Étude mécanique et rhéophysique de mousses

Transcription

Étude mécanique et rhéophysique de mousses
École normale supérieure de Lyon
Université Claude Bernard Lyon 1
Parcours Sciences de la Matière
2012-2013
Sébastien Lherminier
M2 - Physique
Étude mécanique et rhéophysique de mousses
encapsulées
02 avril 2013 – 26 juillet 2013
Résumé : J’ai développé un dispositif expérimental permettant l’étude de la réponse mécanique et
rhéologique (déformation et écoulement) de matériaux mous, tels que gels, mousses et émulsions, sous
l’effet d’une compression. J’ai étudié spécifiquement des mousses ultra-stables que nous réalisons nous
mêmes au laboratoire, à partir de l’encapsulation de bulles de gaz. En parallèle, j’ai effectué des mesures
dynamiques de tension de surface et montré l’importance sur ces mesures d’effets dynamiques, inertiels
et visqueux, grâce au modèle de Rayleigh-Plesset. J’ai ainsi montré les limites de la méthode de
la bulle montante pour des mesures dynamiques.
Mots-clefs : mousses, rhéologie, encapsulation, acoustique
Encadrement :
– Stéphane Santucci (stephane.santucci[at]ens-lyon.fr)
– Éric Freyssingeas (eric.freyssingeas[at]ens-lyon.fr)
Laboratoire de Physique de l’Éns de Lyon, Cnrs Umr 5672,
École Normale Supérieure de Lyon
46 allée d’Italie
69007 Lyon, France
http://www.ens-lyon.fr/PHYSIQUE/
Remerciements
Je remercie bien sûr Stéphane Santucci et Éric Freyssingeas pour leur encadrement tout au long
de ces 4 mois de stage. Leurs conseils et leur expérience ont été d’une grande aide pour l’élaboration
du montage dans ses moindres détails.
Je remercie également Ramon Planet et Bosi Mao pour leurs travaux sur la formulation des
mousses et les études de stabilité qui en ont découlé. Sans ces échantillons, mon travail n’aurait pu
être réalisé.
Merci également à Marie-Julie Dalbe et Xavier Clotet-Fons avec qui j’ai partagé la salle de
manip et ces 4 mois au laboratoire.
Merci à toute l’équipe du laboratoire et de l’atelier pour l’accueil et leur aide à chaque fois que
j’en ai eu besoin.
Une pensée à Vance Bergeron qui a initié le travail sur les mousses hyperstables, à qui je souhaite
un bon rétablissement.
2
Table des matières
Remerciements
2
Table des matières
3
Introduction
4
I
Écrasement de mousses encapsulées
5
I.1
Dispositif expérimental et méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5
I.2
Étude préliminaire : rhéométrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
I.3
Écrasement de mousses encapsulées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
8
I.4
Conclusion et perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
16
II Mesures dynamiques de tension de surface
II.1 Motivation
17
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
17
II.2 Principe de fonctionnement de la machine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
17
II.3 Étude dynamique de la tension de surface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
18
II.4 Conclusion et perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
20
Conclusion
23
Bibliographie
24
Annexes
25
3
Introduction
Aujourd’hui, les mousses sont omniprésentes dans nos habitudes de consommation : alimentation,
cosmétiques, construction... En raison de leur nature diphasique et leur structure, et selon le fluide et
le gaz mis en jeu, des propriétés mécaniques des interfaces, de leur âge, les mousses décrivent un vaste
champ de comportements rhéologiques [1].
Vance Bergeron et Stéphane Santucci ont développé des mousses et émulsions ultra-stables au
laboratoire de physique de l’Éns de Lyon, dans le cadre du post-doc de Ramon Planet et aujourd’hui
du stage de Master de Bosi Mao. Ces mousses et émulsions ont une durée de vie supérieure à un an,
et sont obtenues grâce à l’encapsulation de bulles de gaz ou de gouttelettes d’huiles. Précisément, deux
techniques d’encapsulation sont utilisées, utilisant soit la polymérisation d’un gel à leur interface, soit
en recouvrant celle-ci de nanoparticules [2, 3, 4, 5]. Dans les deux cas, une membrane est crée qui
empêche les phénomènes de vieillissement propres aux mousses et émulsions tels que la coalescence et
le mûrissement d’Ostwald.
Pour mon étude, je me suis concentré sur les mousses encapsulées par un gel. Afin de caractériser
les propriétés mécaniques et rhéologiques de telles mousses, j’ai développé un montage expérimental
qui combine plusieurs techniques de mesures : mesure directe force-déformation, visualisation directe et
acoustique. Ces différentes méthodes, réalisées simultanément sur les mêmes échantillons, permettent
d’en déduire les caractéristiques rhéologiques de ces mousses de nouvelle génération.
En parallèle, j’ai réalisé des mesures de tension de surface de manière dynamique par la méthode
de la bulle montante. Pour cela, j’ai utilisé une machine commerciale mise à la disposition du laboratoire. L’objectif était de comprendre et expliquer les limites d’une telle machine pour les mesures
dynamiques.
4
I
Écrasement de mousses encapsulées
I.1
Dispositif expérimental et méthodes
I.1.1
Réalisation du dispositif
Afin de déterminer les propriétés mécaniques et la réponse à l’écrasement de mousses encapsulées,
j’ai développé un montage permettant la compression contrôlée d’échantillons. Le but de ce montage
était de pouvoir effectuer un suivi de l’écrasement par des méthodes différentes mais complémentaires
telles que la mesure de force et de déplacement, l’observation directe de la surface, l’acoustique et
la diffusion de la lumière (qui permet une observation en volume à très petite échelle). Au final, la
diffusion de la lumière ne sera pas mise ne place pour cause d’encombrement spatial et de manque de
temps.
Le premier montage (figure I.1a) était uniquement constitué d’une platine de translation motorisée
ThorLabs Z712B, reliée via un capteur de force Testwell KD40S/10N à un disque de verre de
diamètre 6 cm. L’ensemble du dispositif est contrôlé par un programme LabView, qui permet de
donner les consignes et d’acquérir les mesures. C’est avec ce montage que j’ai effectué les premiers
essais de compression, essentiellement sur de la mousse à raser de marque Williams.
Nous avons alors observé de larges fluctuations de force lors de la compression de mousse à raser
commerciale de marque Williams, ce qui se trouvait en désaccord avec les premières observations de
Ramon Planet à la fin de son post-doc. Nous avons donc cherché d’où pouvait venir ces fluctuations,
et nous avons remarqué qu’elles étaient totalement reproductibles (voir figure I.1b) en termes de
position par rapport à la course du moteur. En démontant la moteur de son logement, nous avons
constaté la présence d’un jeu sur la tige filetée qui permet de transformer le mouvement de rotation
en translation. De plus, nous avons pu confirmer que ces fluctuations étaient un artefact dû au moteur
en le remplaçant respectivement par un circuit hydraulique constitué de deux seringues reliées par un
tube, l’une étant contrôlée par un pousse seringue ; et par un moteur Z812B. Dans les deux cas, nous
n’avons pas retrouvé ces fluctuations.
I.1.2
Montage final
Nous avons donc commandé un moteur Z825B chez ThorLabs pour remplacer le moteur défectueux. Nous avons également décidé de placer en parallèle du montage un capteur de position pour
s’assurer que la course du moteur est bien conforme à la consigne donnée, et cela nous permet de séparer la partie consigne de l’acquisition des mesures, en plus d’une amélioration de la précision. Enfin,
l’ensemble du dispositif a été placé sur une table optique, posée sur des amortisseurs viscoélastiques,
afin de minimiser au maximum les vibrations parasites.
Nous avons aussi modifié la plaque de compression pour obtenir une compression avec une surface
5
Rapport de stage – M2 Physique
Sébastien LHERMINIER
0.004
0.002
0
-0.002
-0.004
-0.006
capteur de force
Force (kg)
moteur ThorLabs Z712B
8
8.5
9
9.5
10
8
8.5
9
9.5
10
8
8.5
9
Position (mm)
9.5
10
0.004
0.002
0
-0.002
-0.004
-0.006
0.004
0.002
0
-0.002
-0.004
-0.006
plaque de compression (ø6cm)
plaque support
mousse
(a) Première machine de compression utilisée
(b) Fluctuations de force en fonction de la position du
moteur pour 3 échantillons différents de mousse
Williams à 2 vitesses différentes : 10 µm/s pour [—]
et [- -] et 20 µm/s pour [· · · ] (détail)
Figure I.1 – Premier montage et répétabilité des fluctuations de force
constante entre l’échantillon et le piston. Le nouveau piston a un diamètre de 28 mm.
Lors des premiers tests avec les mousses encapsulées, j’ai remarqué que lors de la compression,
on peut entendre des bulles exploser dans l’échantillon. Afin de réaliser un suivi de ces événements,
nous avons ajouté un micro Bruël & Kjær Type 2669 à quelques centimètres de l’échantillon. Le
signal est amplifié par un conditionneur Bruël & Kjær Nexus. Pour récupérer un signal acoustique
exploitable, nous devons utiliser une fréquence d’échantillonnage suffisante pour les fréquences audibles
(20 Hz à 20 kHz). Afin de respecter le critère de Shannon, nous réalisons l’acquisition à 40 kHz. Cette
fréquence étant bien supérieure à ce qui est nécessaire pour les signaux de force et de position, ceuxci seront décimés avant traitement, afin d’alléger les calculs et de libérer de la mémoire. La carte
d’acquisition est une carte NI 16 bits, ce qui donne une précision suffisante pour nos mesures. Enfin,
pour pouvoir comparer les mesures acoustiques à de l’observation directe, nous utilisons une caméra
CCD ultrarapide Photron Fastcam Ultima 1024.
Le montage complet est schématisé sur la figure I.2.
I.1.3
Fabrication des échantillons
Les mousses encapsulées étudiées sont produites par polymérisation d’un gel autour de bulles
d’air en suspension [2]. Tout d’abord, ces bulles sont produites par cavitation dans de l’eau additionnée du surfactant HTAC (HexadecylTrimethylAmmonium Chloride) à la concentration micellaire
critique (CMC, concentration au-delà de laquelle des micelles se forment spontanément en solution, ici
0.416g/L). À cette concentration, la tension de surface de la solution est minimale. On obtient alors
une dispersion de bulles en solution.
L’encapsulation proprement dite est réalisée en mélangeant cette dispersion de bulles à un même
volume de solution de métasilicate de disodium (Na2 SiO3 ) à pH fixé. En effet, le pH initial de cette
solution est de 12, et l’on peut déclencher la gélification en l’ajustant entre 10 et 4 par ajout d’acide
chlorhydrique (HCl). Une valeur plus faible augmentera la vitesse de polymérisation. La concentration
de la solution de sel est un paramètre important pour l’efficacité de l’encapsulation et donc la stabilité
6
Rapport de stage – M2 Physique
Sébastien LHERMINIER
moteur ThorLabs Z825B
capteur de force
capteur de position inductif
micro B&K Type 2669
plaque de compression (ø28mm)
plaque support
mousse
caméra CCD
Figure I.2 – Machine de compression définitive utilisée pour l’étude des mousses
de ces mousses. Son effet est associé à l’épaisseur des capsules autour des bulles d’air : à basse concentration, les capsules sont très fines, puis lorsque la concentration augmente, l’épaisseur doit augmenter,
et l’on voit apparaître des liens entre capsules, puis à très forte concentration, on forme une matrice
de gel qui retient les bulles d’air.
Une fois la solution de sel ajoutée, l’encapsulation des bulles a lieu spontanément par gélification
à l’interface, car les ions silicate SiO2−
3 sont attirés à l’interface eau-air par le surfactant cationique
HTA+ . Si l’on ne mélange pas assez vite la solution de sel, elle gélifie toute seule et on ne peut plus
l’utiliser pour fabriquer de la mousse. Ensuite, on laisse reposer quelques minutes pour drainer le
liquide, et l’on obtient une mousse hyper-stable (des échantillons réalisés par Ramon Planet il y a 3
ans sont encore intacts).
Pour mes expériences, le pH a été fixé à 8.5 et la concentration la plus souvent utilisée est de 0.18
mol/L. Nous chercherons également dans l’étude à voir l’effet de cette concentration sur les propriétés
de nos mousses.
Les échantillons tests sont des cylindres de 31 mm de diamètre et de hauteur 8 mm, placés sous
le centre de la plaque de compression. Ils sont réalisés par remplissage d’un moule puis démoulage
directement sur la plaque support.
I.2
Étude préliminaire : rhéométrie
Nous avons utilisé un rhéomètre commercial disponible au laboratoire (C-VOR de la marque
Bohlin), pour réaliser des tests de cisaillement à déformation imposée, avec une géométrie cône-plan
de 40 mm de diamètre et d’angle 4°. Le test consiste en l’application d’une déformation sinusoïdale de
fréquence 1 Hz, moyennée sur 10 périodes afin d’assurer la statistique, et dont on choisit l’amplitude.
On effectue alors une rampe montante puis une rampe descendante d’amplitude sur plusieurs décades.
Un temps de relaxation de 2 s est observé entre deux mesures à différentes déformations. L’appareil
mesure alors la contrainte qui s’applique sur le cône test.
Tout d’abord, nous comparons nos mousses encapsulées avec des systèmes témoins : la mousse à
raser Casino et le gel coiffant Dop (essentiellement à base de carbopol). Ces systèmes constituent en
effet des systèmes « modèles » car largement étudiés en rhéologie des fluides à seuil. Les résultats des
7
Rapport de stage – M2 Physique
Sébastien LHERMINIER
tests sont présentés sur la figure I.3.
On constate que les 3 systèmes, comme attendu, ont un comportement de fluide à seuil : à basse
déformation, la contrainte est proportionnelle à la déformation. Lorsque la déformation augmente, il
apparaît une rupture de pente : on a atteint le seuil d’écoulement. On remarque que la contrainte
seuil de la mousse encapsulée est plus élevée que celle du gel ou de la mousse à raser, et également la
déformation seuil est un ordre de grandeur plus faible pour la mousse encapsulée. Cette dernière est
donc bien plus rigide et son comportement plus proche de celui d’un solide.
De plus, au-delà du seuil, les mousses encapsulées présentent un comportement plastique avec
un effondrement de la contrainte à grande déformation. Ceci est confirmé par la forte hystérésis
observée entre la rampe montante et celle descendante : la plasticité est associée à des réarrangements
structuraux irréversibles, contrairement aux systèmes témoins qui présentent une hystérésis faible [6].
103
100
102
Force (kg)
Stress (Pa)
10−1
101
10−2
100
10−1
10−4
Mousse encapsulee
Gel coiffant
Mousse a raser
10−3
10−2
10−1
100
10−3
101
102
-10
Deformation
I.3.1
-8
-6
-4
-2
0
Gap (mm)
Figure I.3 – Courbes de contrainte-déformation
pour nos différents systèmes (mousse encapsulée
à 0.18 mol/L)
I.3
Mousse encapsulee
Gel coiffant
Mousse a raser
Figure I.4 – Force d’écrasement comparée de la
mousse encapsulée à 0.18 mol/L et de nos systèmes témoins
Écrasement de mousses encapsulées
Observations générales et comparaison avec les autres fluides à seuil
J’ai commencé par comparer les mousses encapsulées avec les autres fluides déjà utilisés en rhéométrie.
La figure I.4 présente les courbes de force-déformation des différents systèmes. On constate un comportement similaire au niveau de la forme des courbes, mais les forces mises en jeu sont bien plus élevées
dans le cas des mousses encapsulées. Lorsque la compression est peu avancée, pour les 3 systèmes, la
force prend des valeurs faibles mais augmente rapidement, ce qui correspond à un comportement de
type solide. En particulier, la pente de la courbe donne une idée du module de compression, et on voit
que celui de la mousse encapsulée est bien plus élevé que pour les 2 autres fluides à seuil.
Au fur et à mesure que le gap diminue, la contrainte seuil d’écoulement est atteinte et on entre dans
un régime de type fluide, avec une augmentation de la force en fonction du gap beaucoup plus lente.
Dans le cas de la mousse encapsulée, la contrainte seuil est beaucoup plus grande que pour les autres
systèmes (il y a environ un rapport 5 entre le seuil de la mousse encapsulée et celui du gel coiffant).
De plus, la force associée aux mousses encapsulées présentent de larges fluctuations, absentes dans
le cas de la mousse à raser et du gel coiffant. Celles-ci peuvent être associées à des réarrangements
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Rapport de stage – M2 Physique
Sébastien LHERMINIER
structuraux irréversibles correspondant à l’hystérésis observée lors des tests rhéologiques. On peut
enfin remarquer que la forme de la courbe de force est très similaire à celle obtenue pour des mousses
solides [7, 8].
J’ai également remarqué que lors des essais de compression, les mousses encapsulées rejettent de
grandes quantités d’eau. Pour cette raison, les échantillons de mousse sont systématiquement pesés
avant la compression et après en avoir extrait toute l’eau (dans tous les cas, la compression est
destructrice, donc on peut utiliser un absorbant pour peser ensuite le résidu sec).
Afin de mieux comprendre l’effet de la concentration en sel lors de l’encapsulation sur les propriétés
mécaniques des mousses, nous pouvons comparer les résultats obtenus aux concentrations 0.09, 0.18
et 0.36 mol/L. La première observation est que les mousses formées avec un sel à 0.09 mol/L sont
beaucoup moins stables que celles formées à plus haute concentration. En effet, après une semaine, la
moitié des échantillons produits avait disparu par séchage et tassement. La stabilité de ces mousses
sur le long terme est donc très affectée par la qualité de l’encapsulation, c’est-à-dire l’épaisseur de la
membrane de gel. En particulier, une assemblée de bulles piégées dans une matrice de gel est beaucoup
plus stable qu’une mousse où les capsules sont très fines.
En plus de la stabilité dans le temps, la structure interne des mousses doit avoir une incidence sur
leur réponse mécanique à l’écrasement, ce que nous allons étudier dans les partie suivantes.
I.3.2
Étude du régime d’écoulement
Au-delà du seuil, la force mesurée F (t) pendant la compression de la mousse peut être séparée en
deux parties : une tendance, rendant compte de l’évolution de la moyenne locale, et des fluctuations
autour de cette moyenne locale :
F (t) = Fsmooth (t) + Ff luct (t)
avec
hFf luct (t)it = 0
(eq. I.1)
où h·it représente une moyenne locale.
En pratique, j’effectue un lissage par moyenne glissante sur une épaisseur de gap de 20 µm avec une
fenêtre pseudo-gaussienne (3 passages d’une fenêtre rectangulaire), ce qui me donne le signal Fsmooth .
Le signal Ff luct est obtenu par différence entre la mesure et le signal moyenné.
Écoulement moyen
Différents modèles existent [9] pour décrire un fluide à seuil et qui permettent de calculer la force
nécessaire à la compression. Le modèle phénoménologique le plus simple [10] que nous pouvons utiliser
est le modèle de fluide plastique de Bingham. Pour un tel fluide, la relation force-déformation s’écrit
comme (eq. I.2) :
(
σ = K + µγ̇
si σ > K
(eq. I.2)
γ̇ = 0
si σ < K
avec σ la contrainte, K le seuil d’écoulement, µ la viscosité d’écoulement et γ̇ le taux de déformation.
D’après l’étude rhéologique décrite précédemment, pour nos mousses encapsulées, on peut estimer
le seuil d’écoulement K à quelques centaines de Pa. Pour ce qui est de la viscosité d’écoulement, il est
difficile de la mesurer au viscosimètre pour un fluide à seuil. Par comparaison avec des gels, on peut
estimer la viscosité d’écoulement µ de nos mousses à quelques dizaines de Pa·s. Les mesures réalisés en
rhéométrie donnaient des résultats très dispersés, même pour des mousses encapsulées avec la même
9
Rapport de stage – M2 Physique
Sébastien LHERMINIER
0.03
0.4
F
Fsmooth
0.02
0.3
0.01
0.25
0
Force (kg)
Force (kg)
0.35
0.2
0.15
-0.01
-0.02
0.1
-0.03
0.05
-0.04
-0.05
0
-5
-4
-3
-2
-1
-5
0
Gap (mm)
-4
-3
-2
-1
0
Gap (mm)
(a) Force mesurée et force lissée (détail)
(b) Fluctuations Ff luct de la force mesurée (détail)
Figure I.5 – Lissage de la force mesurée et extraction des fluctuations (mousse encapsulée à 0.18
mol/L)
concentration de sel. C’est pourquoi nous ne pouvons que nous contenter d’ordres de grandeurs pour
les valeurs numériques de K et µ.
Dans [9], Patrice Estellé utilise un modèle bizone à frontière plane, c’est-à-dire qu’une zone est
en écoulement alors qu’une autre est statique et sous contrainte élastique. Il détermine alors la force
de compression en fonction du nombre de Bingham défini par eq. I.3, reflétant l’importance de la
composante visqueuse du fluide testé au regard de la composante plastique.
g=
µḣR
Kh2
nombre de Bingham
(eq. I.3)
avec R le rayon du piston et h l’épaisseur du gap. Il faut remarquer que la géométrie considérée par P.
Estellé est légèrement différente de la notre puisque sa plaque support est exactement de la même
dimension que son piston. Dans notre cas, l’échantillon repose dans sa totalité sur la plaque support,
mais le rayon de compression est tout de même constant. Ainsi, un léger écart pourrait apparaître en
raison de frottements sur la plaque support plus importants.
On peut tout de même calculer la force donnée par le modèle et qui s’exprime par l’équation (eq.
I.4) reprise de [9] afin de la comparer à nos mesures.
√
2πKR2 (3 3B 2 h + BR + 2R)
F =
(eq. I.4a)
3Bh(B + 2)
q


 √
g
q
2 2(3g + 2)3/2 (3g+2)
3
1

p
avec
B = 2(3g + 2) sin  arctan 
(eq. I.4b)
3
3g 3g 2 + 6g + 4
La figure I.6 montre la comparaison entre une de nos mesures sur une mousse encapsulée à 0.36
mol/L et la force prédite par le modèle décrit ci-dessus. On constate un bon accord entre le modèle et la
mesure pour les gaps étroits. En revanche, le modèle ne prenant pas en compte la mise en mouvement
du fluide lors du contact avec le piston, on ne cherche pas à décrire le régime élastique et le début
de l’écoulement. Les paramètres K et µ utilisés pour le modèle ont été ajustés manuellement, tout en
restant dans la gamme définie précédemment, pour s’approcher de la mesure.
10
Rapport de stage – M2 Physique
100
Fsmooth , mousse 0.36 mol/L
Bingham, K = 420 Pa, µ = 100 Pa·s
Force (kg)
Force (kg)
100
Sébastien LHERMINIER
0.36
0.18 #1
0.18 #2
0.18 #3
10−1
10−1
-5
-4
-3
-2
Gap (mm)
-1
-5
0
Figure I.6 – Comparaison des niveaux de
force mesuré et prédit par le modèle de Bingham (paramètres ajustés manuellement dans la
gamme définie)
-4
-3
-2
Gap (mm)
-1
0
Figure I.7 – Comparaison de la force mesurée
pendant l’écoulement pour différents échantillons
La figure I.7 compare les niveaux de force mesurés lors de la compression de plusieurs échantillons
de mousse encapsulée, en fonction de l’épaisseur. Certains échantillons ont été produits dans les mêmes
conditions (concentration en sel de 0.18 mol/L), un autre à été produit avec une solution de sel à 0.36
mol/L. On constate que pour des mousses encapsulées dans les mêmes conditions, on observe une
forte dispersion des niveaux de force mesurés, et si l’on compare deux échantillons encapsulés avec des
solutions de concentration différente, l’écart entre les deux niveaux de force n’est pas plus grand que
entre deux échantillons encapsulés dans les mêmes conditions.
Force maximale
Afin de s’affranchir de l’hypothèse de la modélisation comme un fluide de Bingham, et vu les
grandes variations que l’on peut observer pour des expériences dans les mêmes conditions, on doit
choisir une valeur expérimentale pour comparer les expériences entre elles. Le choix le plus simple est
de prendre la force maximale, atteinte à la fin de la compression c’est-à-dire pour un gap d’environ 1
mm et qui renseigne sur la résistance globale de l’échantillon à la compression. Pour chaque expérience,
la valeur de la force maximale est reportée sur les figures I.8 en fonction des paramètres mesurés sur
l’échantillon. Ces paramètres sont la concentration de la solution de sel utilisée lors de l’encapsulation,
la masse totale de l’échantillon pesé avant l’écrasement, la masse du résidu sec obtenu en comprimant
fortement la mousse avec un papier absorbant (ce qui extrait toute l’eau et ne laisse que le gel) et
enfin la fraction d’eau calculée à partir des 2 masses citées précédemment. On peut remarquer que
pour une même concentration en sel (même symbole), les échantillons présentent une forte dispersion
de toutes ces valeurs, car la capacité d’absorption d’eau du gel est remarquable. Les échantillons les
plus secs ont été obtenus en laissant drainer l’eau hors de l’échantillon, voire en le plaçant sur un
papier absorbant pour extraire l’eau par capillarité. La quantité d’eau finale dans l’échantillon résulte
d’un équilibre entre les forces capillaires dans l’échantillon et la gravité (ou les forces capillaires dans
le papier absorbant le cas échéant).
L’ensemble des points ne laisse pas apparaître de tendance, ce qui indique que les propriétés de
ces mousses sont reliées de manière complexe à l’ensemble des paramètres, et non de manière simple
à chacun d’entre eux.
11
Rapport de stage – M2 Physique
1.4
Sébastien LHERMINIER
1.4
0.09 mol/L
0.18 mol/L
0.36 mol/L
1.2
1.2
1
Fmax (kg)
Fmax (kg)
1
0.8
0.8
0.6
0.6
0.4
0.4
0.2
0.05
0.1
0.15
0.2
Csel
0.25 0.3
(mol/L)
0.35
0.2
0.5
0.4
(a) Force maximale en fonction de la concentration en
sel pour l’encapsulation
1.4
1
1.5
Masse totale (g)
2
2.5
(b) Force maximale en fonction de la masse totale de
l’échantillon
1.4
0.09 mol/L
0.18 mol/L
0.36 mol/L
1.2
1.2
0.09 mol/L
0.18 mol/L
0.36 mol/L
1
Fmax (kg)
1
Fmax (kg)
0.09 mol/L
0.18 mol/L
0.36 mol/L
0.8
0.8
0.6
0.6
0.4
0.4
0.2
0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
Masse residuelle (g)
1.2
0.2
0.4
1.4
(c) Force maximale en fonction de la masse de matière
sèche
0.5
0.6
0.7
0.8
Fraction d’eau extraite
0.9
(d) Force maximale en fonction de la fraction d’eau
dans l’échantillon
Figure I.8 – Force maximale atteinte lors de la compression pour chaque expérience en fonction des
paramètres mesurés sur les échantillons
12
Rapport de stage – M2 Physique
Sébastien LHERMINIER
(a) Échantillon avant éjection d’une bulle (détail)
(b) Échantillon après éjection d’une bulle (détail)
Figure I.9 – Photographies avant/après éjection d’une bulle de l’échantillon (largeur de l’image : 17
mm)
I.3.3
Étude des fluctuations de force lors de la compression
Extraction des fluctuations
Après avoir étudié en détail l’évolution moyenne de la force, nous pouvons nous intéresser aux
fluctuations Ff luct autour de celle-ci. En effet, contrairement aux expériences avec la mousse à raser et
le gel coiffant, comme on peut le voir sur la figure I.4, la force de compression des mousses encapsulées
présentes de larges fluctuations. La figure I.5 présente l’allure de ces fluctuations et leur extraction à
partir de la mesure de force et du signal Fsmooth .
D’après nos observations, ces chutes brutales sont associées à l’éjection de bulles d’air hors de
l’échantillon, comme on peut le voir sur la figure I.9. Ces bulles d’air nucléent lorsque des capsules
sont cassées par compression et migrent vers l’extérieur de l’échantillon jusqu’à leur éjection, associée
à une explosion que l’on a pu entendre. C’est pourquoi nous avons étudié la corrélation entre les
fluctuations et le signal acoustique.
Corrélation entre les fluctuations et l’acoustique
Le signal acoustique présente de nombreuses bouffées très localisées, à des fréquences comprises
entre 5 et 10 kHz, comme présenté sur la figure I.10a. Ces bouffées sont, d’après nos observations,
la signature de l’expulsion d’une bulle d’air du milieu et doivent correspondre aux grosses chutes de
force observées. J’ai donc localisé ces pics acoustiques et superposé leurs positions sur le signal de
fluctuations. Le résultat est montré sur la figure I.10b, pour les grands gaps.
On constate qu’il y a une très bonne correspondance entre événements acoustiques et chutes de
force au début de la compression. Lorsque la compression est plus avancée, de nombreux événements se
superposent ce qui donne une forme très variable aux fluctuations, alors qu’en début de compression,
les différents événements sont bien séparés. La corrélation est alors moins évidente. De plus, en début de
compression, il y a peu d’échantillon qui dépasse autour du piston de compression, donc les expulsions
de bulles d’air ont lieu directement de dessous la plaque, alors que lorsque le gap est très fin, la plupart
du volume de l’échantillon a coulé à la périphérie et les expulsions ont lieu loin du piston. Ainsi, la
chute de force ressentie lorsque la bulle d’air sort de sous le piston ne correspond pas à l’explosion de
la bulle qui aura lieu lorsque celle ci aura migré à la périphérie de l’échantillon.
Évolution de l’amplitude avec la réduction du gap
Pour étudier l’évolution de l’amplitude des fluctuations au cours de la compression, j’ai calculé
l’écart-type de Ff luct sur une fenêtre correspondant à une diminution du gap de 0.5 mm. On peut
alors comparer pour les différents échantillons l’évolution de cette amplitude en fonction de la valeur
13
Rapport de stage – M2 Physique
Sébastien LHERMINIER
0.2
0.003
0.15
0.002
0.1
0.001
Ff luct (kg)
Signal acoustique (V)
bouffée
0.05
0
-0.05
0
-0.001
-0.002
-0.1
-0.003
-0.15
-0.2
-0.004
0
0.5
1
1.5
2
2.5
7
Time (ms)
6.5
6
5.5
5
Gap (mm)
(b) Détail du signal des fluctuations en début de compression et localisation des bouffées localisées
(a) Exemple de signal acoustique à détecter
Figure I.10 – Corrélation entre acoustique et fluctuations de force (mousse encapsulée à 0.36 mol/L)
du gap. La figure I.11a présente les résultats pour quelques échantillons à différentes concentrations.
On constate que les fluctuations augmentent de façon exponentielle avec le gap, et ce avec une taille
caractéristique d’environ 1.2 mm, indépendante des différents paramètres des mousses tels que la
concentration en sel lors de l’encapsulation ou la masse des échantillons.
Afin de déterminer l’origine de cette taille caractéristique, j’ai modifié la vitesse de compression
pour voir l’effet obtenu sur cette observable. Le résultat comparé pour la vitesse doublée, c’est-à-dire
0.1 mm/s, est présenté sur la figure I.11b. On constate que la taille caractéristique associée a été
divisée par deux, ce qui signifie que cette taille caractéristique n’est pas intrinsèque au système, mais
dépend du forçage. La vitesse étant fixée au cours de la compression, une taille caractéristique peut
aussi correspondre à un temps, et les valeurs associées aux expériences présentées sont de 24 s pour la
vitesse 0.05 mm/s et 6 s pour la vitesse 0.1 mm/s. Ces fluctuations ne sont donc pas non plus associée
à un temps caractéristique constant.
Spectres de puissance des fluctuations
Nous pouvons calculer le spectre de puissance des fluctuations afin de déterminer s’il existe une
taille caractéristique associée aux fluctuations. La figure I.12a présente la forme du spectre de puissance
des fluctuations. On voit que le spectre présente plusieurs pics larges dans la gamme de 0.1 à 1 mm.
Tous les spectres présentent cette allure avec un pic maximal dont les longueurs d’onde pour les
différents échantillons sont données sur la figure I.12b. Ces longueurs d’onde sont associées à la valeur
maximale du spectre qui donne un indice de l’amplitude des fluctuations.
On constate ici aussi qu’aucune tendance ne se dégage en fonction de la concentration du sel utilisée
lors de l’encapsulation. On peut remarquer que la valeur associée à une vitesse plus élevée (0.1 mm/s)
garde une valeur dans la gamme atteinte pour la vitesse de 0.05 mm/s. Mais l’ordre de grandeur de
cette taille caractéristique, environ 200 à 300 µm, correspond à une ou plusieurs taille de bulles dans
l’échantillon (celles ci ont une taille d’environ 50 à 100 µm, avec une forte polydispersité due à la
façon de les préparer). On peut donc supposer que cela correspond au nombre de capsules qu’il est
nécessaire de casser avant de pouvoir nucléer une bulle d’air qui sera ensuite éjectée.
14
Rapport de stage – M2 Physique
Sébastien LHERMINIER
10−1
σ(Ff luct )/Fmax
σ(Ff luct )/Fmax
10−1
10−2
10−3
0.09
0.18 #1
0.18 #2
0.36
exp(x/1.2)
10−4
-5
-4
-3
Gap (mm)
-2
10−2
10−3
0.18 v = 0.05
exp(x/1.2)
0.18 v = 0.1 #1
0.18 v = 0.1 #2
exp(x/0.6)
10−4
-1
-5
(a) Amplitude des fluctuations de force normalisée en
fonction du gap
-4
-3
Gap (mm)
-2
-1
(b) Amplitude des fluctuations de force normalisée en
fonction du gap
Figure I.11 – Évolution de l’amplitude des fluctuations au cours de la compression
1e-06
3.5e-07
3e-07
Valeur du spectre
Valeur du spectre
8e-07
2.5e-07
2e-07
1.5e-07
1e-07
6e-07
4e-07
2e-07
5e-08
0
10−3
0.09 mol/L
0.18 mol/L
0.36 mol/L
0.18 mol/L, v = 0.1 mm/s
10−2
10−1
100
101
0
0.15
102
Wavelength (mm)
0.2
0.25
0.3
λmax (mm)
0.35
0.4
(b) Longueurs d’onde du maximum du spectre des
fluctuations pour les différents échantillons
(a) Exemple de spectre de puissance des fluctuations
(mousse encapsulée à 0.18 mol/L)
Figure I.12 – Données d’analyse des spectres de puissance
15
Rapport de stage – M2 Physique
I.4
Sébastien LHERMINIER
Conclusion et perspectives
Dans cette première partie de mon travail, je me suis intéressé à l’étude mécanique et rhéologique
de mousses de nouvelle génération, développée au laboratoire de physique de l’Éns de Lyon. Ces
mousses ont une très grande stabilité sur des échelles de temps de l’ordre de l’année, grâce à une
interface eau-air rigidifiée par un gel de polymère. Elles sont donc dites encapsulées.
Le but de cette étude était d’étudier le comportement de ces systèmes sous compression et de
déterminer les paramètres importants influant sur ce comportement. J’ai tout d’abord comparé ces
systèmes à des systèmes « modèles » en rhéologie : le gel coiffant (à base de carbopol, très stable dans
le temps) et la mousse à raser, qui est également stable à l’échelle de temps de l’expérience (quelques
minutes). Les mousses encapsulées présentent de fortes fluctuations de contrainte normale lors d’une
compression à déformation imposée, fluctuations qui sont absentes lors de la compression de gel coiffant
ou de mousse à raser. Ces fluctuations sont dues à l’éjection de bulles d’air qui nucléent lorsque des
capsules cassent sous l’effet de la compression. Un suivi acoustique permet de détecter certaines de ces
fluctuations en repérant le son produit lors de l’éjection. La tendance de l’augmentation de la force
est bien modélisée par le modèle de Bingham des fluides plastiques. Les fluctuations, quant à elles,
augmentent exponentiellement lorsque l’épaisseur de l’échantillon diminue. La taille caractéristique
associée à cette augmentation change avec la vitesse de compression et ne doit donc pas être reliée
aux caractéristiques de la mousse. Enfin, je n’ai pas pu mettre en évidence de dépendance des données
caractéristiques de la compression avec les paramètres de la mousse tels que la concentration en sel
utilisée pour l’encapsulation, la masse de l’échantillon ou encore la fraction d’eau présente. En effet,
ces mousses présentent une forte dispersion de ces observables, même pour deux échantillons issus du
même flacon (les mousses sont produites en quantité de 50 ou 100 mL par flacon).
À l’avenir, une étude plus complète en fonction de la vitesse de compression est nécessaire, et si
possible en diminuant la vitesse par rapport aux 50 µm/s utilisés dans cette étude, qui est la vitesse
minimum possible avec notre moteur ThorLabs Z825B.
16
II
Mesures dynamiques de tension de surface
II.1
Motivation
Le laboratoire dispose d’une machine commerciale (Tracker) de la société Teclis. Cette machine
permet de déterminer la tension de surface γ d’une interface par la méthode dite de la bulle montante
et/ou de la goutte pendante (méthode PAT : Profile Analysis Tensiometry). Elle a été mise à la
disposition du laboratoire par Teclis car ils ont remarqué que des effets dynamiques apparaissent
sur la mesure de tension de surface lors d’une modulation sinusoïdale en volume [11, 12]. Ces effets
sont supposés être inertiels et apparaissent pour des fréquences d’excitation supérieures à 1 Hz (pour
une interface eau-air). En effet, la forme d’une goutte/bulle à l’équilibre est donnée par la relation de
Young-Laplace (eq. II.1). Dans le cas dynamique, la forme s’éloigne du modèle laplacien, ce qui
induit une erreur sur la mesure de tension de surface.
∆P = γ
1
1
+
R1 R2
(eq. II.1)
avec ∆P différentiel de pression et Ri rayons de courbure de l’interface.
II.2
Principe de fonctionnement de la machine
La figure II.1 présente le fonctionnement de la machine. Une bulle est formée dans un liquide grâce
à la seringue motorisée. Ensuite, on peut moduler son volume de manière sinusoïdale, avec la seringue
aux basses fréquences et avec le module piézoélectrique aux hautes fréquences. La caméra, de marque
Allied, filme à un taux de 208 fps. La figure II.2 présente le type d’image enregistrée par la caméra.
seringue motorisée
Module piézo
bulle
cuvette
Caméra
Fluide
Figure II.1 – Schéma de principe du Tracker
Figure II.2 – Bulle d’air dans l’eau, photo exploitée pour le calcul de tension de surface
17
Rapport de stage – M2 Physique
Sébastien LHERMINIER
Le traitement des images est réalisé automatiquement : la première étape du calcul est la détection
de l’interface par variations de luminosité et codage en termes de coordonnées. Ensuite, le logiciel du
Tracker réalise une résolution des équations suivantes (obtenues à partir de Young-Laplace eq.
II.1) à partir des coordonnées obtenues :

dx

 ds = cos φ
dz
ds = sin φ

 dφ
ds
= 2 − βz −
sin φ
x
où (x, z) sont les coordonnées cartésiennes, s l’abscisse curviligne le long du profil de l’interface et
φ l’angle local. Le paramètre d’interpolation est le nombre de Bond/Eötvös (qui donne le rapport
entre la force gravitationnelle et la force de tension de surface), défini par β = ρgR02 /γ, avec R0 la
hauteur de la bulle, ρ l’écart de masse volumique entre le gaz et le liquide, g l’accélération de la
pesanteur. La valeur de γ est ensuite déduite de β.
II.3
II.3.1
Étude dynamique de la tension de surface
Aspect théorique
La dynamique d’une bulle de gaz dans un fluide peut être modélisée par l’équation de RayleighPlesset (eq. II.2), valable pour une bulle sphérique et essentiellement utilisée pour des phénomènes
de cavitation [13, 14].
2γ
∆P
3
ν
=
− RR̈ − Ṙ2 − 4 Ṙ
ρR
ρ
2
R
(eq. II.2)
où R est le rayon de la bulle, la notation Ṙ représente une dérivée temporelle, ν est la viscosité
cinématique du liquide et ρ la différence de masse volumique entre le gaz et le liquide (en pratique, la
masse volumique du liquide).
Même si l’équation n’est pas valable quantitativement pour une bulle axisymétrique, on peut
toujours extrapoler les résultats qualitatifs et les comparer aux résultats obtenus dans les expériences.
II.3.2
Développement en perturbation
J’ai effectué des mesures des mesures sur une bulle d’air immergée dans de l’eau purifiée dont la
tension de surface est γ ' 72 mN/m à 20°C. Lors de mes expériences, j’ai appliqué une modulation
en volume dont l’amplitude n’a jamais dépassé 1 µL (et le plus souvent 0.5 µL), pour une bulle d’au
moins 10 µL, soit un ratio de 10% au maximum. La variable pertinente est donc le volume et non
le rayon dans Rayleigh-Plesset, et on peut réaliser un développement limité. Dans le cas d’une
3
−1 R3 , l’équation eq. II.2 devient :
perturbation en volume δ pour un volume initial V0 = 4π
0
3 R0 = C
∆P
2γ
1
4ν
δ̇
1
δ̈
1
δ̇ 2
=
+
+
−
ρ
ρ (CV0 + δ)1/3
3 CV0 + δ 3 (CV0 + δ)1/3 18 (CV0 + δ)4/3
(eq. II.3)
Pour une perturbation δ = Aei2πf t , on peut effectuer le développement de l’eq. II.3. On peut alors
mettre l’équation de Young-Laplace sous la forme dynamique eq. II.4, en définissant une tension
de surface effective dynamique γ̃ dépendant de la fréquence d’excitation f .
18
Rapport de stage – M2 Physique
Sébastien LHERMINIER
∆P =
2
γ̃
(CV0 )1/3
(eq. II.4)
avec γ̃ = γ0 + γ1 + γ2 + . . . définis par (eq. II.5).
γ0 = γ
(eq. II.5a)
1 2 ρν
A
1ρ
− + i (CV0 )1/3 2πf −
CV0 (2πf )2
CV0
3 3 γ
6γ
A 2 2 2 ρν
1 ρ
1/3
2
γ2 = γ
− i (CV0 ) 2πf +
CV0 (2πf )
CV0
9 3 γ
12 γ
γ1 = γ
(eq. II.5b)
(eq. II.5c)
Dans notre cas de la goutte axisymétrique, a priori, les termes du développement doivent rester
valables, aux préfacteurs près. C’est ce que nous allons tester à partir des résultats obtenus lors des
expériences.
À basse fréquence, l’équation de Young-Laplace retrouve sa validité, donc on ne doit prendre
en compte que les termes correctifs dépendant du temps (c’est-à-dire de la fréquence d’excitation), ce
qui définit les γi0 donnés dans (eq. II.6) :
2 ρν
1ρ
A
i (CV0 )1/3 2πf −
CV0 (2πf )2
=γ
CV0
3 γ
6γ
A 2 2 ρν
1 ρ
γ20 = γ
i (CV0 )1/3 2πf +
CV0 (2πf )2
CV0
3 γ
12 γ
γ10
II.3.3
(eq. II.6a)
(eq. II.6b)
Résultats expérimentaux
Le Tracker donne directement une suite de valeurs de tension de surface en fonction du temps
(figure II.3), ainsi que les données géométriques (volume et surface dynamiques de la bulle), mesurés à
partir des images (cf. figure II.3. On peut donc prendre la transformée de Fourier (TF) de la tension
de surface et observer les modes qui apparaissent. En particulier, on se concentrera sur le mode 1,
c’est-à-dire la réponse linéaire de la tension de surface à l’excitation en volume.
Si les calculs réalisés précédemment sont vérifiés qualitativement pour la bulle axisymétrique, alors
en traçant respectivement la partie imaginaire et la partie réelle de la TF de la tension de surface
en fonction des paramètres de l’étude (amplitude, fréquence d’excitation, volume initial), on doit
retrouver une relation du type :
A
ρ
α CV0 (2πf )2
CV0
γ
A
2 ρν
Im [T F (γt )(f )] = γ
β
(CV0 )1/3 2πf
CV0
3 γ
Re [T F (γt )(f )] = γ
(eq. II.7a)
(eq. II.7b)
où α et β sont des préfacteurs géométriques, liés au passage de la bulle sphérique à la bulle axisymétrique.
Les figures II.4a et II.4b représente les données expérimentales obtenues pour une bulle de volume
initial 15 µL. Elles sont obtenues en calculant la TF du signal de tension de surface, puis en prenant
comme référence de phase le signal de volume. Ainsi, on obtient la partie réelle et la partie imaginaire
du signal de la TF de la tension de surface telles que définies dans (eq. II.7).
19
Rapport de stage – M2 Physique
Sébastien LHERMINIER
volume
γ
70.8
17.4
17.2
70.6
70.4
17
70.2
16.8
70
16.6
69.8
69.6
Volume (µL)
Surface tension (mN/m)
71
9.55 9.6 9.65 9.7 9.75 9.8 9.85 9.9 9.95
Time (s)
16.4
Figure II.3 – Valeurs mesurées de tension de surface et de volume au cours de l’expérience (détail) :
Xnorm = (X − hXi)/σX
Pour la partie réelle, à haute fréquence (supérieure à 1 Hz), on a un bon accord avec la prédiction
quadratique, alors qu’à basse fréquence, les points expérimentaux s’éloignent fortement de la prédiction. Pour ce qui est de la partie imaginaire, la tendance observée est plutôt en bon accord avec la
prédiction linéaire, à part pour les points à la plus haute fréquence. À basse fréquence, l’existence d’un
bruit de fond sur la mesure de tension de surface peut expliquer ce fort écart pour la partie réelle, car
les valeurs attendues sont trop faibles pour être détectées correctement.
Cette observation reste valable lorsque l’on regarde les résultats pour différents volumes initiaux
comme sur les figures II.4c et II.4d
Enfin, si les dépendances fréquentielles semblent bien être prédites par le modèle, la question
des préfacteurs α et β nécessite d’être approfondie. En effet, sur les courbes présentées, les valeurs
utilisées sont α = 0.003 et β = 4. La valeur de β semble correcte car de l’ordre de 1, mais celle de
α est étonnante. Nous pensons qu’elle pourrait s’expliquer par l’hypothèse que les effets visqueux et
inertiels ne s’appliqueraient pas dans la même direction et donc la prise ne compte de deux rayons de
courbure au lieu d’un seul deviendrait obligatoire.
II.4
Conclusion et perspectives
J’ai effectué un suivi dynamique de mesure de tension de surface sur un tensiomètre commercial
(Tracker de la société Teclis) fonctionnant par la méthode de la bulle montante. Grâce à la possibilité de faire varier dynamiquement le volume de la bulle d’air, j’ai pu mettre en évidence des effets
hydrodynamiques qui éloignent la bulle d’air de la forme laplacienne d’équilibre. Ce phénomène a une
grande importance pour les industriels, car il limite les possibilités des appareils par l’analyse et non
par les spécifications matérielles.
Ces effets ont été mesurés sur la partie réelle et la partie imaginaire de la transformée de Fourier
de la tension de surface donnée par l’analyse d’image. À haute fréquence (supérieure à 1 Hz), la
dépendance fréquentielle des parties réelles et imaginaires de la TF sont bien prédites par le modèle
de Rayleigh-Plesset associé à une bulle sphérique. La question des préfacteurs reste en suspens,
et une étude plus poussée, notamment en faisant varier les caractéristiques des fluides utilisés (masse
20
Rapport de stage – M2 Physique
Sébastien LHERMINIER
101
101
Mode 1 imag amplitude
Mode 1 real amplitude
100
10−1
10−2
10−3
10−4
10−5
10−6
10−2
Data
r1 f 2
10−1
100
101
Frequency (Hz)
102
10−2
10−3
Data
i1 f
10−1
100
101
Frequency (Hz)
102
(b) Amplitude de la partie imaginaire du mode 1,
V0 = 15 µL
101
101
Mode 1 imag amplitude
100
Mode 1 real amplitude
10−1
10−4
10−2
(a) Amplitude de la partie réelle du mode 1,
V0 = 15 µL
10−1
10−2
10−3
10−4
10 µL
12 µL
15 µL
17 µL
r1 f 2
10−5
10−6
10−2
100
10−1
100
101
Frequency (Hz)
100
10−1
10−2
10−4
10−2
102
(c) Amplitude de la partie réelle du mode 1, tous
volumes initiaux
10
12
15
17
10−3
10−1
µL
µL
µL
µL
i1 f
100
101
Frequency (Hz)
102
(d) Amplitude de la partie imaginaire du mode 1,
tous volumes initiaux
Figure II.4 – Données expérimentales obtenues pour une bulle d’air immergée dans l’eau, à différentes
fréquences et renormalisées en fonction de l’amplitude de l’excitation
21
Rapport de stage – M2 Physique
Sébastien LHERMINIER
volumique, tension de surface et viscosité) est nécessaire.
22
Conclusion
Lors de ce stage, j’ai mis en place une expérience de compression de mousses. J’ai été confronté à
des problèmes matériels et logiciels que j’ai dû résoudre ou contourner et j’ai ensuite pu exploiter le
montage expérimental pour obtenir des résultats intéressants mais nécessitant une étude plus poussée.
Le développement du montage s’est fait au fur et à mesure des observations et des difficultés rencontrées, en ajoutant ou remplaçant un élément par un autre afin d’améliorer la précision.
En parallèle, j’ai pu travailler sur une expérience déjà montée à partir d’un tensiomètre commercial. J’ai utilisé un modèle théorique pour décrire des phénomènes dynamiques apparaissant dans les
mesures et limitant les possibilités de la machine.
Tout au long de ce stage, j’ai donc abordé toutes les facettes de la recherche en physique : expérimentale, théorique, et également la conception d’une expérience.
23
Bibliographie
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[2] Vance Bergeron, Jean-Thierry Simonnet, Florence Levy, Aurélie Lafuma, and Stéphane Santucci.
Bubble encapsulation via silicilic acid complexation, patent OA13160.
[3] Vance Bergeron, Jean-Thierry Simonnet, Florence Levy, Aurélie Lafuma, and Stéphane Santucci.
Stable emulsions via particle absorption by electrostatic interaction, patent OA13161.
[4] Vance Bergeron, Jean-Thierry Simonnet, Florence Levy, Aurélie Lafuma, and Stéphane Santucci.
Stable bubbles via particle absorption by electrostatic interaction, patent OA13162.
[5] Vance Bergeron, Jean-Thierry Simonnet, Florence Levy, Aurélie Lafuma, and Stéphane Santucci.
Emulsion stabilization via silicilic acid complexation, patent OA13163.
[6] Thibaut Divoux, Vincent Grenard, and Sébastien Manneville. Rheological Hysteresis in Soft
Glassy Materials. PRL, 110(018304), 2013.
[7] M. F. Ashby. The mechanical properties of cellular solids.
14A :1755–1769, September 1983.
Metallurgical Transactions A,
[8] Sandip Basu. Quasi-static and dynamic compression behavior of flexible cellular material. Technical report, 2012.
[9] P. Estellé. Méthodes d’analyse inverse des données d’écoulement de compression de fluides complexes homogènes. PhD thesis, INSA Rennes, 2011.
[10] Patrick Oswald. Rhéophysique. Belin, 2005.
[11] M.E. Leser, S. Acquistapace, A. Cagna, A.V. Makievski, and R. Miller. Limits of oscillation
frequencies in drop and bubble shape tensiometry. Colloids and Surfaces A : Physicochemical
and Engineering Aspects, 261(1–3) :25–28, 2005.
[12] M. Karbaschi, D. Bastani, A. Javadi, V.I. Kovalchuk, N.M. Kovalchuk, A.V. Makievski, E. Bonaccurso, and R. Miller. Drop profile analysis tensiometry under highly dynamic conditions. Colloids
and Surfaces A : Physicochemical and Engineering Aspects, 413(0) :292–297, 2012.
[13] Lord Rayleigh. On the pressure developped in a liquid suring a collapse of a spherical cavity.
Philosophical Magazine Series 6, 34(200) :94–98, 1917.
[14] M. S. Plesset and A. Prosperetti. Bubble dynamics and cavitation. Annual Review of Fluid
Mechanics, 9 :145–185, 1977.
24
Annexes
Compression de mousse contrainte en volume
Nous effectuons le test de compression en laissant le moule utilisé pour former les échantillon :
celui-ci est donc contraint à un volume cylindrique de 31 mm de diamètre. Le seul degré de liberté
d’écoulement est dans la couronne de 1.5 mm d’épaisseur autour du piston. La figure annexe 1
présente les résultats importants pour ce type de test de compression : la forme de la courbe de force
et l’aspect de l’analyse spectrale.
On constate que l’allure de la force et celle du spectre des fluctuations sont inchangées, mais on peut
aussi remarquer que la valeur maximale atteinte du spectre des fluctuations est un ordre de grandeur
au-dessus de celle observée lors des tests à rayon constant. Ceci est la marque d’une augmentation
de l’amplitude des fluctuations, que l’on peut aussi voir sur l’allure de la force en la comparant par
exemple à la figure I.5a. Ce phénomène est la conséquence de la contrainte exercée sur l’échantillon,
qui empêche l’expulsion de petites bulles d’air et donc seules de grosses bulles sont expulsées ce qui
entraîne de plus grosses fluctuations.
0.5
4e-06
F
Fsmooth
3.5e-06
Valeur du spectre
0.4
Force (kg)
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-10
3e-06
2.5e-06
2e-06
1.5e-06
1e-06
5e-07
-8
-6
-4
-2
0
10−3
0
Gap (mm)
10−2
10−1
100
101
102
Wavelength (mm)
(a) Allure de la force mesurée lors de la compression
d’une mousse contrainte en volume
(b) Spectre de puissance des fluctuations de force
Figure annexe 1 – Données de compression de mousse contrainte en volume
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