Calzedonia, les dessous d`un empire italien
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Calzedonia, les dessous d`un empire italien
2 | plein cadre 0123 DIMANCHE 5 - LUNDI 6 AVRIL 2015 Une des usines sri-lankaises, détenues à 100 % par le groupe. SOCIÉTÉ Calzedonia, les dessous d’un empire italien N euf petites chèvres blanches venues de Mongolie paissent dans un pré à Avio, près du lac de Garde, en Italie. « Nous voulons voir si elles peuvent s’acclimater, pour expérimenter la fabrication du cachemire en Italie », explique Sandro Veronesi, le PDG du groupe familial Calzedonia, qu’il a fondé en 1986. La première tonte ne devrait permettre de tricoter, au mieux, qu’un seul pull-over. Les salariés ont beau jeu d’en rire, en disant que ce sera celui du patron. En attendant, Calzedonia, qui regroupe les collants et chaussettes du même nom, les marques de lingerie Intimissimi et Tezenis, celle de cachemire Falconeri, les robes de mariées Atelier Eme et, depuis peu, les boutiques de dégustation de vin SignorVino, poursuit sa spectaculaire politique d’expansion mondiale. Rien qu’en avril, six nouvelles boutiques Calzedonia seront inaugurées en France. Elles s’ajouteront aux 132, qui, depuis deux ans, ont poussé dans l’Hexagone comme des champignons. Le nombre de boutiques du groupe y a doublé depuis 2013, pour atteindre 148 aujourd’hui – outre les 132 de Calzedonia, on en compte 16 pour Intimissimi. Au niveau mondial, Calzedonia, qui emploie quelque 30 000 salariés, compte 3 860 boutiques, dont 2 285 hors d’Italie. En 2014, 328 nouveaux points de vente ont été ouverts, dont 8 % seulement dans la Botte. « Nous en ouvrirons environ 300 au total en 2015 », dit M. Veronesi. Le PDG avait gardé la France et l’Allemagne comme dernières terres à conquérir pour assouvir sa soif d’expansion sur le Vieux Continent. « Contrairement aux autres pays, ces deux-là comptaient de nombreux concurrents déjà bien assis, comme Etam ou Princesse Tam Tam dans l’Hexagone », explique-t-il. COLLANTS FABRIQUÉS AU KILOMÈTRE M. Veronesi se veut confiant sur l’activité et prévoit, en 2015, une croissance des ventes de plus de 10 % et un redressement significatif des résultats. En 2014, Calzedonia a déjà vu son chiffre d’affaires progresser de 11 %, à 1,84 milliard d’euros. « Et encore, nous avons subi de plein fouet la crise en Russie, notre deuxième marché d’exportation, après l’Espagne. Sans compter les effets d’une météo défavorable, avec un été froid et un automne chaud », rappelle le PDG. La rentabilité de la Le groupe, fondé en 1986 par Sandro Veronesi, connaît une spectaculaire expansion. Il ouvre sans cesse de nouveaux points de vente, qui proposent articles de lingerie et chaussettes fabriqués dans les Balkans ou au Sri Lanka société s’est effritée, avec un résultat courant en baisse de 7,65 %, à 250 millions d’euros, et un bénéfice net en chute de 26,6 %, à 83 millions d’euros. Quant aux filiales – qui ont basé leur succès sur une mode facile à petit prix –, elles font désormais quasiment la même taille : Intimissimi a rattrapé Calzedonia (586 millions d’euros de ventes pour la première, 598 millions pour la seconde). Agé de 54 ans, M. Veronesi reste le seul actionnaire de cet empire des petites culottes, des chaussettes et des collants. L’aîné de ses fils, Marcello, s’occupe des filiales belge et autrichienne ; le cadet, Matteo, intégrera l’entreprise l’an prochain ; le plus jeune, Federico, termine ses études. « C’est parce qu’il n’existait rien entre La Perla, la plus chic des marques italiennes de lingerie, et les soutiens-gorge vendus en supermarchés que j’ai créé Intimissimi », explique simplement leur père. Dans le quartier général de l’entreprise, à deux pas de l’aéroport de Vérone, il appelle presque tous les 500 salariés par leur prénom. Ces derniers bénéficient de la crèche de l’entreprise – elle accueille 140 bébés et petits enfants –, des cours de gym et du spa situé en face dans l’hôtel chic, également détenu par le PDG. Ses deux amis de la faculté d’économie de l’université de Vérone, Marco Carletto et Marisa Golo, tous deux administrateurs délégués, sont depuis près de trente ans à ses côtés. « On est toujours amis », confirment-ils. Pour preuve, ils se voient même les dimanches, avant les fameuses réunions du lendemain, où sont passées à la loupe les ventes hebdomadaires de chacune des marques. L’idée de mettre en Bourse Calzedonia ne semble pas d’actualité. « Nous réussissons à investir 200 millions d’euros chaque année, soit dans de nouvelles boutiques – qui deviennent la plupart du temps des franchises – soit EN AVRIL, SIX BOUTIQUES CALZEDONIA SERONT INAUGURÉES EN FRANCE. EN DEUX ANS, L’ENSEIGNE EN A OUVERT 132 dans des usines », assure M. Veronesi. C’est d’ailleurs l’une des particularités du groupe. Les sites de fabrication sont tous détenus à 100 % par la maison mère. C’est vrai au Sri Lanka, où la lingerie et la corseterie sont confectionnées dans cinq usines. Au total, 12 000 ouvrières, payées au minimum 500 euros par mois, travaillent sans relâche. « La dernière unité de production a été ouverte dans le nord du pays, grâce aux aides du gouvernement sri-lankais pour redonner vie à cette région dévastée par la guerre civile, rappelle M. Veronesi. Le plus difficile a été d’apprendre aux employés à venir tous les matins. Ce n’était pas forcément dans leur mode de pensée. » Le groupe délocalise aussi sa production en Croatie, en Bulgarie, en Serbie. Ce sont des pays à très bas coûts salariaux. « Nous sommes en discussions avancées pour construire une nouvelle usine en Ethiopie, mais les difficultés bureaucratiques sont importantes », ne cache pas M. Carletto. Une première coentreprise dans le coton fonctionne déjà en Egypte et permet de sécuriser l’approvisionnement en matières premières. En Italie, l’usine d’Avio, qui emploie 300 salariés, produit à grande échelle les chaussettes Calzedonia, à raison de 19 millions de paires par an. C’est une belle histoire de jumeaux : Tarcisio Ruffoli est le patron de l’usine d’Avio, tandis que son frère, Francesco, occupe la même fonction sur le site croate, qui produit quelque 30 millions de paires à l’année A Avio, tout est automatisé et un régleur surveille trente-quatre machines – soit un dixième du parc actuel. C’est aussi sur ce site que sont réalisés les prototypes de l’élégante marque de cachemire Falconeri. La collection maille y est intégralement produite et Tarcisio Ruffoli n’est pas peu fier de présenter ses nouvelles machines à tricoter, qui permettent de réaliser un gilet d’une pièce sans couture. Comme pour les grandes marques de luxe, les fils de laine sont soumis à une batterie de tests (résistance à l’usure, à la lumière, au lavage, au boulochage…) avant d’être utilisés. A Mantoue, le groupe a conservé un autre site spécialisé dans les collants, fabriqués au kilomètre, avant d’être envoyés en Croatie pour y être teints et cousus. JULIA ROBERTS OU GISELE BÜNDCHEN Tout le design est concentré à Vérone, où s’élaborent les collections des marques de lingerie, de prêt-à-porter… Chez Intimissimi, Sara Santini parcourt la planète pour trouver les égéries des campagnes de publicité. Son sésame n’est autre qu’un petit livre qui recense toutes les agences de mannequins peu connues. L’actrice américaine Julia Roberts ou la Brésilienne Gisele Bündchen ont déjà posé pour les campagnes maison. « Mais j’ai aussi envie de trouver des filles que l’on ne voit pas partout », explique cette jeune femme. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée dans une sordide banlieue, à 10 kilomètres de Moscou, un peu effrayée à l’idée de rester coincée dans l’ascenseur d’un immeuble sinistre. Le voyage valait le déplacement, puisqu’elle a découvert une beauté russe stupéfiante, Irina Shayk, dans la cuisine d’un minuscule appartement. Celle-ci est devenue une star internationale des podiums. Cette quête la conduit à parcourir la planète. Elle a ainsi prévu d’aller voir une nouvelle école de mannequins en Sibérie en juin. « Il m’arrive de faire défiler une centaine de filles, en petite culotte et en soutien-gorge. Elles sont toutes belles, mais il est rare de trouver une étincelle dans le regard », explique Sara Santini. Elle recrute aussi par le biais des réseaux sociaux. Un peu comme Federico Fellini, qui constituait une banque d’images pour attribuer les rôles de ses films, elle élabore des collections de mannequins « possibles ». Elle est ainsi tombée par hasard, grâce à Instagram, sur Shlomit Malka, une Israélienne découverte quand elle faisait son service militaire. Bon nombre de simples clients ou de jeunes femmes, tous persuadés d’être dotés d’une plastique de rêve, bombardent Sara Santini d’autoportraits en maillot de bain ou en petite tenue. Les plus assidus sont des jumeaux qui pratiquent le culturisme et lui envoient, avec une régularité métronomique, leurs portraits en pied, à la plage, à la piscine… Jusqu’à présent sans succès. Les proches de Sandro Veronesi sont persuadés que tout ce qu’il touche se transforme en or. Cela a failli être vrai quand, avec Marco Carletto, ils ont financé, voici douze ans, des bonnes œuvres pour creuser un puits en Tanzanie. Des traces d’or furent trouvées dans l’eau. « On espérait trouver une mine d’or, on a trouvé un puits de problèmes », résume M. Carletto, assurant juste qu’ils ont, dans cette affaire, « perdu un montant raisonnable d’argent ». p nicole vulser