Janvier 2012 - vol. 24, no 1
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CONDITIONS DE PUBLICATION Toute personne intéressée à soumettre un article au Comité de rédaction doit en faire parvenir la version définitive, sur support papier ou électronique, avec ses coordonnées, au rédacteur en chef, au moins 60 jours avant la date de parution, à l’adresse suivante: Cahiers de propriété intellectuelle Rédacteur en chef Centre CDP Capital 1001, Square-Victoria – Bloc E – 8e étage Montréal (Québec) H2Z 2B7 Courriel: [email protected] L’article doit porter sur un sujet intéressant les droits de propriété intellectuelle ou une question de droit s’appliquant à de tels droits. Les articles de doctrine ne doivent pas dépasser 50 pages dactylographiées, sans les notes; les textes relatifs à des commentaires d’arrêts, à de l’information et à de la législation ne doivent pas être de plus de 20 pages dactylographiées. Les textes doivent être en langue française, dactylographiés à double interligne sur format 21 cm x 28 cm (81 2" x 11"). Le texte sur le support électronique ne doit être justifié à droite et il doit être aligné à gauche; aucun code ne doit être employé et l’auteur doit indiquer le type d’appareil et le programme utilisés. Les notes doivent être consécutives et reportées en bas de page. Les articles de doctrine doivent être accompagnés d’un résumé en langue française, libre à l’auteur de joindre une version anglaise. Les titres de volumes et de revues, les décisions des tribunaux, ainsi que les mots et expressions en langue autre que le français doivent être en italiques; les articles de revues doivent être cités entre guillemets. Enfin, il est inutile d’apposer les guillemets pour les citations en retrait du texte. L’auteur conserve son droit d’auteur mais accorde une licence de première publication en langue française, pour l’Amérique du Nord, accorde à la revue et à l’éditeur de même qu’une licence non exclusive de diffusion sur le site Internet des C.P.I. L’auteur est seul responsable de l’exactitude des notes et références ainsi que des opinions exprimées. Les Cahiers de propriété intellectuelle, propriété de la corporation Les Cahiers de propriété intellectuelle inc., sont édités par cette dernière. Ils sont publiés et distribués par Les Éditions Yvon Blais inc. Les Cahiers peuvent être cités comme suit: (volume) C.P.I. (page). Toute reproduction, par quelque procédé que ce soit, est interdite sans l’autorisation du titulaire des droits. Une telle autorisation peut être obtenue en communiquant avec COPIBEC, 606, rue Cathcart, bureau 810, Montréal (Québec) H3B 1K9 (Tél. : (514) 288-1664; Fax : (514) 288-1669). © Les Éditions Yvon Blais inc., 2012 C.P. 180 Cowansville (Québec) Canada Tél. : 1-800-363-3047 Fax : (450) 263-9256 Site Internet : www.editionsyvonblais.com ISSN : 0840-7266 Publié trois fois l’an au coût de 199,95 $. Pour tout renseignement, veuillez communiquer avec Les Éditions Yvon Blais, 430, rue Saint-Pierre, Montréal (Québec) H2Y 2M5, tél. : (514) 842-3937. Pour abonnements : 1-800-363-3047. PRÉSENTATION Une longue jonque de nuages… amarrée au ras de l’horizon, retardait seule le premier feu de l’aurore. –Colette, La naissance du jour (Paris : Flammarion, 1928) - Vous êtes en retard ! - Un magicien n’est jamais en retard, ni en avance d’ailleurs Frodon Saquet. Il arrive précisément à l’heure prévue –Peter Jackson (réalisateur), Le seigneur des anneaux : la communauté de l’anneau (2001) Bien sûr, recevoir en fin mars un numéro dont la parution était prévue pour janvier peut surprendre. Ce sont là toutefois les aléas de la publication d’une revue. On oscillera ici entre un « j’ai remarqué souvent que les gens qui sont en retard sont de bien meilleure humeur que ceux qui ont dû les attendre »1 au « on ne peut être en retard si on est dans l’infini »2. La rédaction vous épargne le « mieux vaut arriver en retard qu’en corbillard »3 ! Dans ce numéro, quatre articles, deux capsules et cinq comptes rendus. Les auteurs Christian Bolduc, Guillaume Lavoie Ste-Marie et Olivier Tourangeau4 font le point sur la notion d’emploi d’une marque de commerce par le biais de l’annonce de celle-ci. 1. De l’auteur dramatique André Roussin (1911-1987). 2. Blaise Pascal, Pensées (1670) (Paris : Livre de poche, 1962), à §186. 3. Charles Cahier, Quelque six mille proverbes et aphorismes usuels empruntés à notre âge et aux siècles derniers (Paris : Julien, Lanier et Cie, 1856). 4. Du cabinet Smart & Biggar. V VI Les Cahiers de propriété intellectuelle Laurent Carrière5 nous fait part6 de l’interaction des quatre lois statutaires canadiennes de propriété intellectuelle en ce qui a trait à la protection de la mode7. Anthony Hémond8 et l’Union des consommateurs9 révisent dans leur mémoire au comité législatif10 certains aspects du projet de loi C-11 portant sur la Loi sur la modernisation du droit d’auteur11, en commentant notamment les nouvelles exceptions au droit d’auteur au bénéfice des utilisateurs et les relations entre consommateurs et fournisseurs de service Internet. Les professeurs Geiger12, Griffiths13 et Hilty14 nous permettent la reproduction, en français, de leur déclaration fracassante de 2011 sur le test des trois étapes pour respecter les équilibres du droit d’auteur15, avec le caveat des auteurs à l’effet qu’il ne s’agit pas d’un manifeste rédigé par des activistes anti-droits d’auteur. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. Avocat et agent de marques de commerce, Laurent Carrière est l’un des associés principaux de ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce. Il est toujours curieux de parler de soi à la troisième personne. Ce qui permet deux citations de circonstance sur la mode et le retard, puisque c’est, par la force des choses, le thème de la présentation (mais non du numéro) : « Je hais les montres, c’est la raison pour laquelle je suis toujours en retard » : Karl Lagerfeld, extrait du magazine VSD (édition du 21 au 28 mars 2002), qui est quand même plus délicat que le « Les femmes sont toujours d’une mode en retard. » de Florence Delay, Le aïe aïe de la corne de brume (Paris : Gallimard/Folio, 1984). Maintenant du cabinet Allali Brault, mais à l’époque à l’Union des consommateurs. Sous la direction de Marcel Boucher, responsable des affaires juridiques et de la recherche à l’Union des consommateurs. Ici, il faut départager le « Un escalier de ministère est un endroit où des gens qui arrivent en retard croisent des gens qui partent en avance » de l’homme d’État Georges Clémenceau (1841-1929) du « Un ministère est un lieu où ceux qui partent en avance croisent dans les escaliers ceux qui arrivent en retard » du dramaturge Georges Courteline (1858-1929) et du « Un conseil général est une assemblée où des personnes qui arrivent en retard en rencontrent d’autres qui partent en avance » du politicien Édouard Herriot (1872-1957). Cela dépasse le propos mais la Rédaction sera heureuse de vos commentaires sur l’origine première de cette boutade ! « Les partis sont toujours en retard sur les idées » : Léon Bourgeois, Solidarité (Paris : Armand Colin & Cie, 1896), à la page 9. Maître de conférences, directeur général et Directeur du Laboratoire de recherche du Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI), université de Strasbourg ; chercheur associé à l’institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence et le droit fiscal à Munich. Maître de conférences à la faculté de Droit de l’université Queen Mary de Londres. Directeur de l’institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence et le droit fiscal à Munich ; professeur aux universités de Zurich et Munich. Présentation VII Alexandra Neri16 commente l’affaire eBay17 laquelle apporte des éclaircissements très utiles sur la question de la vente sur une place de marché en ligne de produits portant atteinte à des droits de marque, pose également les limites à la portée des injonctions judiciaires pouvant être prononcées à l’encontre d’un intermédiaire mais laisse une grande incertitude quant aux conditions dans lesquelles l’exploitant d’une place de marché peut voir sa responsabilité engagée du fait des contrefaçons commises par ses utilisateurs. Le cinquantenaire de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle est célébré par Laurier Yvon Ngombé18 par un retour historique sur sa création et son évolution de même que par une discussion sur l’avenir prévisible et l’avenir souhaitable de cette organisation. Olivier Charbonneau19 résume l’ouvrage20 Access-Right : The Future of Copyright Law21. Ghislain Roussel22 fait du « trois pour un »23 avec ses comptes rendus de trois ouvrages24 portant sur la gestion de la propriété 15. « Les lois sont dangereuses quand elles retardent sur les mœurs. Elles le sont davantage lorsqu’elles se mêlent de les précéder. » Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien (Paris : Plon, 1951). 16. Avocate, associée du cabinet Herbert Smith (Paris). 17. CJUE, 12 juillet 2011, L’Oréal e.a./eBay International AG e.a. – C-324/09. 18. Avocat à la Cour d’appel de Paris (Barreau de l’Essonne), chargé d’enseignement au CNAM Île de France et à l’ESGCI – PPA. 19. Bibliothécaire professionnel à l’Université Concordia. 20. Zohar Efroni, Access-Right : The Future of Copyright Law (Toronto : Oxford University Press, 2010). 21. « Si, en art, on devait suivre son époque, alors Rembrandt serait bien en retard par rapport à Van Gogh » : Charlie Chaplin, Histoire de ma vie (1964) (Paris : Pocket, 1989). 22. Président du conseil d’administration des Cahiers. 23. Pas la version française Trois pour un du film canadien These Girls (2006) du réalisateur tout aussi canadien John Hazlett. 24. La gestion de la propriété intellectuelle dans les relations entre l’université et l’entreprise : pour une véritable dynamique d’alliances stratégiques, Avis, Conseil de la science et de la technologie du Québec, Direction générale des communications et des services à la clientèle, ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, gouvernement du Québec (Montréal : MDEIE, 2011), Propriété intellectuelle et Université – Entre la libre circulation des idées et la privatisation des savoirs, Couture (Marc), Dubé (Marcel), Malissard (Pierrick), (Québec : PUQ, 2010) et Université Inc. – Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, Martin (Éric), Ouellet (Maxime), coll. Lettres libres, (Montréal : Lux, 2011). Ce dernier ouvrage cadre bien avec les manifestations étudiantes de mars… VIII Les Cahiers de propriété intellectuelle intellectuelle en milieu universitaire25 et, en prime, un compte rendu d’un ouvrage26 portant sur Louvigny de Montigny27. Il faut également profiter de l’occasion pour souhaiter la bienvenue aux nouveaux membres du comité de rédaction des Cahiers de propriété intellectuelle, Annie Morin28 et Daniel Paul29, qui s’ajoutent à Marie-Josée Lapointe30 et Florence Lucas31 et remercier de leur participation ceux qui ont gracieusement cédé leur place, Marek Nitoslawski et Benoît Clermont, patria bene meritus32. Le comité exécutif de rédaction est maintenant composé, ordre alphabétique oblige, de Louise Bernier, Laurent Carrière, Mistrale Goudreau, Florence Lucas et Ghislain Roussel33. 25. « L’enseignement doit être résolument retardataire. » Charles-Auguste Chartier, dit Alain, Propos sur l’éducation (1932), 13e édition (Paris : PUF, 2002), à la page 46 et le rédacteur admet que la citation est hors contexte, à la limite de la mauvaise foi ! 26. Marie-Pier Luneau, Louvigny de Montigny – à la défense des auteurs (Montréal : Leméac, 2011). 27. « Louvigny Testard de Montigny (né à Saint-Jérôme en 1876 – mort en 1955), parfois connu sous le pseudonyme de Carolus Glatigny, est un journaliste, écrivain, poète et critique québécois » enseigne Wikipédia. C’est bien court pour résumer tout ce que ce dernier a fait pour l’avancement du droit des auteurs et du droit d’auteur au Canada et c’est pourquoi – scoop – le prochain numéro des Cahiers abordera certains aspects de sa biographie. De circonstance, diront certains, eu égard à certaines des avancées ou reculs du projet de loi C-11, ce qui nous permet de placer un « qu’est-ce que le passé, sinon du présent qui est en retard ? » Pierre Dac, L’os à moelle – Organe officiel des loufoques (mars 1940), (Paris : Omnibus, 2007). 28. Avocate, directrice de ArtistI. 29. Avocat, vice-président des affaires juridiques de CGI. 30. Avocate chez BCF. 31. Avocate chez Gowling Lafleur Henderson. 32. Marcus Tullius Cicero, Lettres de Cicéron à Atticus, Livre IX, Lettre IV (49 A.D.), dans « Œuvres complètes de Cicéron avec la traduction en français » (Paris : Firmin Didiot, 1869) sous la direction de Napoléon Désiré Nisard. Cette référence est un prétexte pour dépoussiérer des livres de cours Classique (et hésiter sur la forme plurielle à utiliser, ou non) car la même citation est disponible – et plus accessible – dans les pages roses du Larousse® ou sur le site de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal pour sa médaille Bene Merenti de Patria. 33. Les membres du comité de rédaction sont également membres du comité de lecture. Présentation IX Et, pour tenter de faire pardonner le retard de publication34, le perlier. Si on connaissait déjà « la plante » pour « l’appelante », on a vu récemment un « la pelle » pour un « l’appel ». On aura également lu une prescription « instinctive » plutôt qu’« extinctive »35, une convention « anonyme » des actionnaires plutôt qu’« unanime » et des producteurs qui « bafouillent » les droits des auteurs, plutôt que « bafouent ». Et, enfin, le « ce droit est à vendredi »36 devait sans doute se lire « ce droit est à vendre »37… Sur ce, bonne lecture !38 Laurent Carrière Rédacteur en chef39 34. « La vie est comme un train. Vous prévoyez des retards de temps en temps, mais pas un déraillement… » de nous rappeler le joueur de baseball Wilver Dornell « Willie » Stargell (1940-2001) dans une entrevue : [1976-08-16] Sports Illustrated. (Bien sûr c’est une traduction, la citation complète est « Life is like a train. You expect delays from time to time, but not a derailment, and a derailment’s what we had. It happened so quick and without warning. ») Le rédacteur en chef a vraiment des lectures éclectiques. 35. Si, si, une coquille comme cela, ça ne s’invente pas : Réjean Labonté Inc. c. Fortin, C.S. Abitibi, 615-05-00095-84 (C.S. Qué. ; 1985-08-02), le juge Viens. 36. En fait, cette perle aurait été davantage de circonstances dans un commentaire lié à l’affaire Robinson c. Films Cinar Inc., 2011 QCCA 1361 (C.A. Qué. ; 2011-07-20) ; requêtes pour permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada produites (C.S.C.) ; 2011 QCCA 2305, (C.A. Qué. – requête pour suspension ; 2011-12-09), mais pourquoi attendre ? 37. On pourrait aussi ajouter « À la suite d’une presque incroyable série de bourdes, d’inepties, d’incompétence ou d’inexpérience des différents procureurs qui l’ont représenté tour à tour dans ce dossier, et de la vénalité du demandeur et, faut-il le croire, de celle de ses procureurs… » : Blais c. Barile 2011 QCCS 2921 (C.S. Qué. ; 2011-06-14), le juge Michaud, que l’on pourra opposer – ça ne s’invente pas – à un « Sylvio Langevin réclame la propriété de la terre. Dans un autre dossier entrepris le même jour, il réclame celle des planètes Mercure, Vénus, Jupiter, Saturne et Uranus, ainsi que des quatre grosses lunes de Jupiter. À l’audience, le requérant souhaite amender ce second recours pour y ajouter ses revendications sur Neptune et Pluton, ainsi que sur l’espace entre chaque planète, à la grandeur de la galaxie. » Re Langevin 2012 QCCS 613 (C.S. Qué. ; 2012-02-22), le juge Michaud. 38. « Le retard est la politesse des artistes » : André Maurois, Les roses de septembre (Paris : Flammarion, 1956). 39. Toujours sans traits d’union. CAHIERS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE INC. CONSEIL D’ADMINISTRATION Georges AZZARIA, professeur Faculté de droit Université Laval, Ste-Foy Louise BERNIER, professeur Responsable du Programme Droit et Biotechnologies Faculté de droit Université de Sherbrooke Laurent CARRIÈRE, avocat Robic, Montréal Vivianne DE KINDER, avocate Montréal Jean-Nicolas DELAGE, avocat Fasken Martineau, Montréal Mistrale GOUDREAU, professeure vice-présidente Faculté de droit, droit civil, Université d’Ottawa, Ottawa Ejan MACKAAY, professeur retraité Faculté de droit, Université de Montréal, Montréal Hélène MESSIER, directrice générale COPIBEC Montréal Annie MORIN, avocate Directrice de ArtistI Montréal Pierre-Emmanuel MOYSE, professeur Faculté de droit Université McGill, Montréal Daniel PAUL, avocat Vice-président des affaires juridiques de CGI Montréal Marie-Josée LAPOINTE, avocate secrétaire trésorière BCF, Montréal Ghislain ROUSSEL, président avocat conseil Montréal Florence LUCAS, avocate Gowling Lafleur Henderson, Montréal Daniel URBAS, avocat Borden Ladner Gervais, Montréal Rédacteur en chef Laurent CARRIÈRE Rédactrice en chef adjointe Florence LUCAS Comité de rédaction et comité de lecture Georges AZZARIA, professeur Faculté de droit Université Laval, Ste-Foy Louise BERNIER, professeur Responsable du Programme Droit et Biotechnologies Faculté de droit Université de Sherbrooke Laurent CARRIÈRE, avocat Robic, Montréal Vivianne DE KINDER, avocate Montréal Jean-Nicolas DELAGE, avocat Fasken Martineau, Montréal Mistrale GOUDREAU, professeure vice-présidente Faculté de droit, droit civil, Université d’Ottawa, Ottawa Ejan MACKAAY, professeur retraité Faculté de droit, Université de Montréal, Montréal Hélène MESSIER, directrice générale COPIBEC Montréal Annie MORIN, avocate Directrice de ArtistI Montréal Pierre-Emmanuel MOYSE, professeur Faculté de droit Université McGill, Montréal Daniel PAUL, avocat Vice-président des affaires juridiques de CGI Montréal Marie-Josée LAPOINTE, avocate secrétaire trésorière BCF, Montréal Ghislain ROUSSEL, président avocat conseil Montréal Florence LUCAS, avocate Gowling Lafleur Henderson, Montréal Daniel URBAS, avocat Borden Ladner Gervais, Montréal Comité exécutif de rédaction Louise BERNIER Laurent CARRIÈRE Mistrale GOUDREAU Florence LUCAS Ghislain ROUSSEL Comité éditorial international Valérie Laure BENABOU Directrice du M2 Droit des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication Faculté de droit et de science politique Université de Versailles-SaintQuentin-en-Yvelines, France Awad BASSEM Al Ain Court United Arab of Emirates Jacques de WERRA Professeur ordinaire de droit des obligations et de droit de la propriété intellectuelle Faculté de droit Université de Genève Suisse Paul Edward GELLER Attorney at Law Los Angeles, U.S.A. Jane C. GINSBURG Morton L. Janklow Professor of Literary and Artistic Property Law School of Law Columbia University New York, U.S.A. Teresa GRZESZAK Faculté de droit Université de Varsovie Pologne Lucie GUIBAULT Assistant professeur en propriété intellectuelle Instituut voor Informatierecht Université d’Amsterdam Pays-Bas Jacques LABRUNIE, Ph.D Gusmao Labrunie Sao Paulo, Brésil Fransumo LEE, avocat Cabinet ORIGIN Seoul, Corée du Sud André LUCAS Professeur, Faculté de droit Université de Nantes France Stefan MARTIN Commissaire Office de l’harmonisation dans le marché intérieur Alicante, Espagne Victor NABHAN Président de l’ALAI international Professeur étranger OMPI France Gianluca POJAGHI, avocat Studio Legale Pojaghi Milan, Italie Antoon A. QUAEDVLIEG Professeur Faculté de droit Université de Nimègue Pays-Bas Alain STROWEL Avocat Covington & Burling LLP Professeur, Facultés Universitaires Saint-Louis Bruxelles, Belgique Paul L. C. TORREMANS Professeur, School of Law University of Nottingham Grande-Bretagne Silke von LEWINSKI, chercheur Head of Department European Copyright Law, IP and Indigenous Heritage Max-Planck-Institute for Intellectual Property Münich, Allemagne Ghislain ROUSSEL Avocat conseil Secrétaire du comité Montréal (Québec) Canada TABLE DES MATIÈRES L’emploi d’une marque de service par l’annonce : une approche pratique Christian Bolduc, Guillaume Lavoie Ste-Marie et Olivier Tourangeau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Identifier et protéger la propriété intellectuelle dans les vêtements et accessoires de mode au Canada Laurent Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Mémoire de l’Union des consommateurs sur le projet de loi C-11 Anthony Hémond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Déclaration en vue d’une interprétation du « Test des trois étapes » respectant les équilibres du droit d’auteur Christophe Geiger, Jonathan Griffiths et Reto M. Hilty . . 147 Capsules Vente sur une place de marché en ligne de produits portant atteinte à des droits de marque – responsabilité de l’exploitant de la place de marché – injonctions judiciaires à l’exploitant Alexandra Neri. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 Une brève histoire de l’avenir… de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) Laurier Yvon Ngombé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 XV XVI Les Cahiers de propriété intellectuelle Comptes rendus Access-Right: The Future Of Copyright Law Olivier Charbonneau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173 La gestion de la propriété intellectuelle dans les relations entre l’université et l’entreprise : pour une véritable dynamique d’alliances stratégiques Propriété intellectuelle et université – entre la libre circulation des idées et la privatisation des savoirs Université inc. – des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l'économie du savoir Ghislain Roussel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 Louvigny de Montigny – à la défense des auteurs Ghislain Roussel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 Vol. 24, nº 1 L’emploi d’une marque de service par l’annonce : une approche pratique Christian Bolduc, Guillaume Lavoie Ste-Marie et Olivier Tourangeau* 1. « ANNONCE » : UNE DÉFINITION . . . . . . . . . . . . . . 3 1.1 Dictionnaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 1.2 Loi sur les marques de commerce . . . . . . . . . . . . . 5 1.2.1 Paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de commerce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 1.2.2 Alinéa 5 b) de la Loi sur les marques de commerce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 1.2.3 Paragraphe 20(1) de la Loi sur les marques de commerce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 1.3 La jurisprudence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 © Christian Bolduc, Guillaume Lavoie Ste-Marie et Olivier Tourangeau, 2012. * Christian Bolduc est avocat associé au cabinet Smart & Biggar. Guillaume Lavoie Ste-Marie et Olivier Tourangeau sont étudiants en droit au cabinet Smart & Biggar. 1 2 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2. L’ANNONCE : CONDITIONS D’EMPLOI D’UNE MARQUE DE SERVICE SOUS LE PARAGRAPHE 4(2) DE LA LMC . . . . . . . . . . . . . . . . 9 2.1 L’annonce doit faire référence aux services . . . . . . . 10 2.2 L’annonce doit être communiquée aux consommateurs canadiens . . . . . . . . . . . . . . . . 13 2.3 Les services doivent pouvoir être exécutés au Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 3. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Au Canada, la notion d’emploi est au cœur du droit des marques de commerce, qu’il s’agisse de l’acquisition des droits ou de la mise en application de ceux-ci. Le paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de commerce1 (ci-après « LMC ») établit ce que constitue l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des services (ci-après « marque de service »). Celui-ci diffère de ce que constitue l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des marchandises et qui est prévu par le paragraphe 4(1). Le paragraphe 4(2) de la LMC prévoit notamment qu’une marque de service est réputée employée si elle est i) employée ou ii) montrée dans l’annonce ou l’exécution de services2. Ce texte se penche sur les conditions à satisfaire pour qu’une marque soit réputée employée lorsque employée ou montrée dans l’annonce de services. Puisque la loi est silencieuse sur les exigences de cet aspect du paragraphe 4(2), il existe une certaine ambiguïté entourant l’emploi des marques de service par l’annonce. En effet, le terme « annonce » n’étant pas défini dans la LMC, il faut se tourner vers la jurisprudence et le contexte dans lequel ce terme est utilisé dans la LMC pour bien en comprendre le sens. De plus, certaines conditions doivent être satisfaites afin que l’emploi d’une marque de service par l’annonce de ces services se traduise en l’emploi réputé de la marque en vertu du paragraphe 4(2) de la LMC. Étant donnée l’importance de l’emploi d’une marque et des droits qui en découlent, il est primordial pour son propriétaire de bien saisir le concept « d’annonce » et de déterminer dans quels contextes sa marque sera réputée employée. 1. « ANNONCE » : UNE DÉFINITION Plusieurs sources peuvent être utiles afin de clairement définir le terme « annonce » tel qu’employé au paragraphe 4(2) de la LMC, dont notamment les dictionnaires de langues française et anglaise, qui définissent le terme tel qu’utilisé couramment ; les différents articles de la LMC où le terme est utilisé ; la doctrine, qui pourra 1. Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 [ci-après « LMC »]. 2. LMC, supra note 1, para. 4(2). 3 4 Les Cahiers de propriété intellectuelle éclaircir certaines ambiguïtés ; et la jurisprudence, où les articles pertinents de la LMC sont appliqués en espèce. 1.1 Dictionnaires Lorsqu’un terme n’est pas défini à même la loi où il est utilisé, l’outil par excellence pour définir ce terme est le dictionnaire, qui indique le sens courant d’un terme3. Le Petit Larousse Illustré donne la définition suivante du terme « annonce » : Annonce : – Action d’annoncer quelque chose, de le faire connaître. – Ce qui laisse prévoir un événement ; indice précurseur. – Avis par lequel on fait savoir quelque chose au public et, en particulier, message publicitaire en faveur d’un produit inséré dans les journaux, dit à la radio ou montré à la télévision.4 alors que le Shorter Oxford English Dictionary donne la définition de son équivalent dans la version anglaise du paragraphe 4(2) de la LMC : Advertise : – To call to the attention of (another); to notify, admonish, or formally warn. – To give notice of, make generally known; to make publicly known, by announcement in a journal, by circular, etc.5 Notons que malgré la mention de « produit » dans la définition française, celle-ci demeure néanmoins utile dans l’interprétation de la LMC dans un contexte d’annonce de services. Selon ces défini3. À ce sujet, l’auteur Pierre-André Côté mentionne : « Le juge est censé connaître le sens courant des mots. Il est néanmoins pratique très courante de se référer aux dictionnaires de langue qui ont pour fonction de rendre compte des usages linguistiques d’une communauté à un moment donné. » CÔTÉ (Pierre-André), Interprétation des Lois, 3e éd., (Montréal : Thémis, 1999), à la page 331.Voir aussi Hutt c. La Reine [1978] 2 R.C.S. 476 (C.S.C.), le juge Spence à la p. 481. 4. Collectif, Le Petit Larousse Illustré 2011 (Paris : Larousse, 2010). 5. Collectif, Shorter Oxford English Dictionary, 3e éd., (Oxford : OUP). L’emploi d’une marque de service par l’annonce 5 tions, nous constatons que « l’annonce » implique une certaine communication, soit de faire connaître quelque chose, de le faire savoir au public. Le moyen par lequel le public est avisé ne semble pas être un élément déterminant, bien que les journaux, la radio, la télévision et les circulaires soient mentionnés comme étant des médias acceptables. 1.2 Loi sur les marques de commerce Étant donnée l’absence de définition du terme « annonce » dans la LMC, il est utile de se tourner vers les différents articles de la loi dans lesquels le terme est utilisé afin de bien en cerner le sens. En effet, « (d)onner aux mêmes mots le même sens dans l’ensemble d’une loi est un principe de base en matière d’interprétation des lois. »6. Une définition du terme « annonce » devra donc être constante et bien applicable à chaque instance de son utilisation dans la LMC, et chaque indice quant à son sens nous aidera à donner une définition générale au terme. 1.2.1 Paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de commerce 4.(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services. Comme nous l’avons mentionné plus haut, le paragraphe 4(2) de la LMC établit les conditions d’emploi d’une marque de service. Il est intéressant de noter la logique circulaire de cet article : une marque de service est employée si elle est employée, entre autres, dans l’annonce de ces services. Lu de manière distincte, cet article donne donc une définition d’emploi qui dépend d’elle-même, puisqu’il faudrait d’abord savoir de quelle façon une marque de service peut être employée afin de déterminer si cette même marque est réputée employée sous le paragraphe 4(2). À ce stade, il est important de distinguer l’emploi d’une marque de commerce dans l’annonce de service et l’emploi d’une marque au sens de la définition « d’emploi » de l’article 2. La marque de service 6. R c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378 (C.S.C.), le juge Sopinka au para. 19 [ci-après Zeolkowski]. 6 Les Cahiers de propriété intellectuelle sera réputée employée au sens de l’article 2 si elle est montrée ou employée, entre autres, dans l’annonce de ces services. Puisque le paragraphe 4(2) crée une distinction entre les termes « employée » et « montrée » dans un contexte d’annonce, il s’ensuit qu’il est possible « d’annoncer » sans montrer la marque. Cette section du texte a pour but d’établir dans quel contexte une marque de service peut être « employée ou montrée […] dans l’annonce de ces services », alors que la section suivante se penche sur les conditions à satisfaire pour qu’une marque employée ou montrée dans l’annonce de services soit réputée employée sous le paragraphe 4(2) de la LMC et selon la définition « d’emploi » sise à l’article 2 de la LMC. Par ailleurs, un des critères d’emploi énoncés au paragraphe 4(2) nous donne un indice important : une marque de service peut être montrée dans l’annonce de ces services. Nous savons donc que l’annonce peut avoir un aspect visuel. 1.2.2 Alinéa 5 b) de la Loi sur les marques de commerce 5. Une personne est réputée faire connaître une marque de commerce au Canada seulement si elle l’emploie dans un pays de l’Union, autre que le Canada, en liaison avec des marchandises ou services, si, selon le cas : a) ces marchandises sont distribuées en liaison avec cette marque au Canada ; b) ces marchandises ou services sont annoncés en liaison avec cette marque : (i) soit dans toute publication imprimée et mise en circulation au Canada dans la pratique ordinaire du commerce parmi les marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services, (ii) soit dans des émissions de radio ordinairement captées au Canada par des marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services, et si la marque est bien connue au Canada par suite de cette distribution ou annonce. Alors que le paragraphe 4(2) de la LMC indique que le terme « annonce » peut avoir un aspect visuel, on remarque ici que l’application de l’alinéa 5 b) de la LMC est restreinte aux annonces prenant la L’emploi d’une marque de service par l’annonce 7 forme de publications imprimées et d’émissions de radio7. Cet article nous permet d’étoffer notre définition du terme « annonce » au sens de la LMC en confirmant qu’aux yeux de la loi, il est possible « d’annoncer » dans ces deux médias. 1.2.3 Paragraphe 20(1) de la Loi sur les marques de commerce 20. (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut empêcher une personne : a) d’utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial ; b) d’employer de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce : (i) soit le nom géographique de son siège d’affaires, (ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services, d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce. Puisque ce texte n’a pas pour objectif une analyse poussée du concept de violation d’une marque de commerce, notons simplement que le paragraphe 20(1) nous permet d’élaborer une définition encore plus précise du terme « annonce ». En effet, l’article énumère la vente, la distribution et l’annonce comme étant des actions distinctes. Nous savons donc qu’il peut y avoir annonce sans vente ou distribution. 7. Il est bien établi dans la jurisprudence qu’une marque qui est annoncée d’une autre façon que celles mentionnées à l’alinéa 5 b) ne permet pas d’établir que la marque est bien connue au Canada en vertu de l’article 5 de la LMC. Voir Williams Companies Inc. c. William Tel Ltd. (1999), 4 C.P.R. (4d) 253 (C.F.P.I.) ; Valle’s Steak House c. Tessier (1980), 49 C.P.R. (2d) 218 (C.F.P.I.) ; Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. 44 (C.F.P.I.). 8 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1.3 La jurisprudence Suite à cette interprétation de « l’annonce » dans la LMC, et considérant le sens courant du terme, nous savons maintenant que l’annonce peut prendre plusieurs formes. De son côté, la jurisprudence nous donne des exemples concrets d’annonces pouvant mener à un emploi réputé sous le paragraphe 4(2) de la LMC. Bien que les diverses formes de communication ayant fait l’objet d’une analyse par le registraire ou les tribunaux soient normalement étudiées au cas par cas, les exemples suivants restent utiles en démontrant la grande variété de médias pouvant servir à faire l’annonce de services. D’abord, les médias plus traditionnels mentionnés dans la troisième définition du dictionnaire Larousse8 peuvent être utilisés pour « annoncer » au sens de la LMC. Ainsi, dans l’arrêt Anissimoff & Associates c. Stentor Resource Centre Inc.9, la Commission des oppositions a jugé que l’emploi de la marque ADVANTAGE dans des publicités publiées dans des magazines et des journaux, diffusées à la radio et montrées à la télévision se qualifiaient comme « annonce » au sens de la LMC10. Les nouvelles technologies peuvent aussi servir à faire « l’annonce » de services. Par exemple, un propriétaire de marque de service peut faire l’annonce de ces services sur son propre site Internet11 ou en faisant la promotion des services sur l’Internet en général12. Finalement, il est aussi possible « d’annoncer » en distribuant différents types de documents à des clients potentiels : la distribution de cartes d’affaires13, de dépliants d’information14 et de prospec8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. Supra, note 4. (2004), 38 C.P.R. (4th) 573 (C.O.M.C.) l’agente d’audience Savard [ci-après Anissimoff & Associate]. Ibid aux paras. 6 et 9. Cogan c. EMusic.com Inc. (2001), 92 C.P.R. (4th) 345 (C.O.M.C.), l’agente d’audience Flewelling ; Law Office of Philip B. Kerr c. Face Stockholm Ltd. (2001), 16 C.P.R. (4th) 105 ; Grafton-Fraser Inc. c. Harvey Nichols and Co. (2010), 89 C.P.R. (4th) 394 ; McCarthy Tetrault c. AutoZone Parts Inc. [2011] C.O.M.C. 73. Anissimoff & Associate, supra note 9 au para. 6. Norman M. Cameron Law Corp. c. CMS Cameron McKenna LLP 2009 CarswellNat 5044 (C.O.M.C.), l’agente d’audience Sprung au para. 35 ; Brouillette Kosie Prince c. Great Harvest Franchising Inc. 2008 CarswellNat 364 (C.O.M.C.), l’agente d’audience Sprung aux paras. 11-12, confirmé 2009 CF 48 (C.F.), le juge Beaudry [ci-après Great Harvest Franchising Inc.]. Brouillette Kosie Prince c. Great Harvest Franchising Inc. 2008 CarswellNat 362 (C.O.M.C.), l’agente d’audience Sprung aux paras. 7 et 10, confirmé 2009 CF 48 (C.F.), le juge Beaudry. L’emploi d’une marque de service par l’annonce 9 tus15 peuvent constituer des formes valides d’annonces. Il faut noter qu’il n’est pas certain si l’emploi de la marque de service dans un annuaire pourrait aussi être qualifié d’« annonce »16. Suite au survol de ces différentes sources, nous pouvons maintenant donner une définition – du moins provisoire – au terme « annonce » tel qu’utilisé dans la LMC. L’annonce est une communication dirigée vers le public qui peut prendre plusieurs formes : elle peut avoir un aspect visuel (montrée à la télévision), un aspect auditif (diffusée à la radio), ou être publiée (dans les journaux, par exemple). Comme la jurisprudence l’indique, cette liste n’est pas exhaustive. En effet, il semble que la fonction de l’annonce, soit d’aviser le public, prenne préséance sur une liste fermée de médias acceptables. Il importe donc au propriétaire d’une marque de service d’adapter ses efforts promotionnels afin de s’assurer de gagner l’attention du public. De plus, l’annonce se distingue de la vente et de la distribution : elle peut donc être communiquée à un moment différent de celui où le service est exécuté, ce qui est conforme à la jurisprudence17. 2. L’ANNONCE : CONDITIONS D’EMPLOI D’UNE MARQUE DE SERVICE SOUS LE PARAGRAPHE 4(2) DE LA LMC La jurisprudence, appliquant le paragraphe 4(2) de la LMC dans un contexte d’annonce de service, n’élabore pas sur une définition du terme « annonce ». Par contre, un examen de ces décisions nous permettra d’établir dans quelles situations une annonce satisfera les conditions du paragraphe 4(2) de la LMC. À cet effet, les tribunaux ont élaboré les conditions suivantes, qui devront être respectées afin qu’une annonce constitue un emploi réputé d’une marque de service. 15. Great Harvest Franchising Inc, supra note 13. 16. Il a été jugé dans certaines décisions qu’un tel emploi pouvait être qualifié d’« annonce », par exemple dans Great Harvest Franchising Inc, supra note 13 et Lapointe, Rosenstein c. Bum Wrap Clothing Store (1995), 63 C.P.R. (3d) 564 (C.O.M.C.) [ci-après Bum Wrap Clothing Store]. Par contre, la Cour fédérale a jugé que l’emploi de la marque dans un annuaire qui ne donne que de l’information sur le moyen de contacter l’entreprise n’équivaut pas à une annonce et un emploi de la marque : Salam Toronto Publications c. Salam Toronto Inc. 2009 FC 24 (C.F.) la juge Simpson au para. 41. À ce sujet, voir aussi la section 2.1 de ce texte. 17. Voir par exemple Dynaturf Co., infra note 34, où le registraire a jugé qu’une annonce peut mener à l’emploi d’une marque de service avant même que le service n’ait été exécuté au Canada. 10 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.1 L’annonce doit faire référence aux services La première condition à satisfaire pour qu’une annonce constitue l’emploi d’une marque de service dicte que l’annonce dans laquelle la marque est employée ou montrée doive faire référence aux services offerts. Il est possible de tirer cette condition du paragraphe 4 (2) de la LMC directement. En effet, l’article énonce clairement que la marque doive être employée ou montrée, inter alia, dans « l’annonce de ces services », et non dans l’annonce de la marque seule. Le simple fait d’annoncer une marque de service ne constitue donc pas un emploi de la marque en liaison avec des services, à moins qu’un consommateur puisse associer la marque de commerce aux services en question. À ce jour, les tribunaux ont accepté plusieurs façons d’associer une marque de service aux services offerts : placer la description des services dans le même cadre que celui où la marque est montrée dans l’annonce constitue la façon la plus directe. Par exemple, la distribution de cartes d’affaires pourra constituer une annonce réputée être l’emploi d’une marque de commerce si les services y sont mentionnés ou décrits18. L’association entre la marque de commerce et les services qui y sont rattachés peut également se faire de façon moins directe. Dans l’affaire Lapointe, Rosenstein c. Bum Wrap Clothing Store19, le propriétaire de l’enregistrement de la marque THE BUM WRAP devait prouver, dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 45 de la LMC, l’emploi de la marque en association avec des services d’opération d’un magasin de vêtements. Une page de bottin téléphonique sur laquelle figurait la marque de commerce, déposée en preuve par le propriétaire de la marque, a été reconnue comme une annonce valide sous le paragraphe 4(2) de la LMC. En effet, puisque la marque de commerce était placée sous la section « vêtements » du bottin, il a été accepté que le consommateur puisse associer la marque au service offert. 18. Gowling Lafleur Henderson LLP c. Wall [2011] T.M.O.B. 75. (C.O.M.C.). 19. Bum Wrap Clothing Store, supra note 16. L’emploi d’une marque de service par l’annonce 11 L’affaire Sim & McBurney c. Dieppe Insurance Brokers Ltd20. offre un exemple d’association encore moins directe entre la marque de commerce et la description des services. Dans cette affaire, la Commission des oppositions devait décider si la présence de la marque de service sur la première page d’une présentation sur projecteur était une forme valide d’annonce et d’emploi de la marque de commerce. La présentation en question avait pour but de faire connaître à des clients potentiels les services offerts en association avec la marque de service. Même si la description des services n’apparaissait pas directement à côté de la marque, il a été jugé que les clients potentiels qui assistaient à la présentation pouvaient associer la marque placée sur la première page aux services décrits dans le reste de la présentation. Il ne semble donc pas nécessaire que l’association de la marque annoncée aux consommateurs et la description des services offerts en liaison avec la marque doive être simultanée pour conclure à l’emploi de la marque : elles peuvent être en deux temps. Notons que le fait de montrer la marque de commerce sur un site Internet sur lequel les services sont décrits pourra également être reconnu comme un emploi d’une marque de commerce en liaison avec ces services21, mais que le simple fait d’enregistrer un nom de domaine contenant la marque de service ne sera pas considéré comme étant un emploi de la marque22. Enfin, il semble qu’une description de services faisant partie de la marque même ne sera pas suffisante pour satisfaire la condition d’association entre la marque et les services offerts. Dans l’affaire J.L. Duval, Ltée v. Extra Foods Ltd.23, le propriétaire de la marque EXTRA FOODS & Design en association avec des services d’opération de magasins d’alimentation a mis en preuve des photographies de deux magasins sur lesquels la marque était affichée en réponse à un avis envoyé sous l’article 45 de la LMC. Puisqu’il n’était pas possible de déterminer la nature des services offerts dans les magasins à partir des photographies, la Commission des oppositions a jugé qu’il n’était pas possible d’associer la marque telle qu’employée aux ser20. Sim & McBurney c. Dieppe Insurance Brokers Ltd. [1997] T.M.O.B. 191 (C.O.M.C.). 21. Law Office of Philip B. Kerr c. Face Stockholm Ltd. (2001), 16 C.P.R. (4d) 105 ; Grafton-Fraser Inc. c. Harvey Nichols and Co. (2010), 89 C.P.R. (4th) 394 ; McCarthy Tetrault c. AutoZone Parts Inc. [2011] C.O.M.C. 73. 22. Modis Inc. c. Modis Communications Inc. 2004 CarswellNat 4627 (C.O.M.C.), l’agente d’audience Bradbury au para. 26. 23. (1994), 55 C.P.R. (3d) 565 (C.O.M.C.), le président Partington (ci-après « Extra Foods »). 12 Les Cahiers de propriété intellectuelle vices offerts, et a par conséquent radié la marque du registre. À ce sujet, la Commission écrit : While it might be inferred from the trade mark EXTRA FOODS & Design that the nature of the registrant’s business would relate to food products, such a matter should not be left to inference on the part of the Registrar.24 [les italiques sont nôtres] Notons par contre que la preuve au dossier semble avoir été déficiente puisque l’affidavit soumis par le titulaire ne mentionnait pas le type de service offert dans les magasins photographiés. De plus, le titulaire aurait vraisemblablement pu tenter de démontrer que la marque était montrée dans l’exécution des services, mais il a choisi de ne soumettre aucune argumentation écrite. Par contre, il semble clair que les magasins apparaissant sur les photos en annexe de l’affidavit soumis par le titulaire soient des magasins d’alimentation : on voit sur l’une des photographies une longue file de paniers d’épicerie, alors qu’on aperçoit un homme portant un sac d’épicerie sur une autre25. Il faut alors se demander pourquoi la Commission écrit : « Neither of the photographs provided by Mr. Jerczynski indentifies the type of retail business shown in the photographs. »26. Bien que la Commission semble d’avis qu’une inférence quant à la nature des services ne puisse pas être tirée directement des termes utilisés dans une marque, il semble que la piètre défense du titulaire et l’apparente réticence de la Commission à reconnaître la nature de magasins sur des photographies qui identifient clairement celle-ci aient joué un rôle important dans la radiation de la marque. Essentiellement, donc, cette première condition exige qu’un lien entre la marque et les services offerts soit créé dans l’esprit du consommateur. Les moyens d’arriver à cette fin vont d’une présentation directe et simultanée de la marque et de la description des services à une présentation en séquence, mais une marque descriptive au point de rendre possible une inférence du type de service offert pourrait ne pas être suffisante. Malgré tout, et sans vouloir vanter les mérites des marques descriptives, les auteurs de ce texte croient que l’annonce d’une marque qui mentionne sans équivoque le nom des services tels qu’ils apparaissent sur l’enregistrement de la marque satisfera cette condition étant donné le lien évident entre la 24. Ibid à la p. 567. 25. Exhibit 3 à l’affidavit de John Jerzynski signé le 22 juin 1992. 26. Extra Foods, supra, note 23 à la p. 567. L’emploi d’une marque de service par l’annonce 13 marque et les services. Puisque « l’annonce » est un concept large et qu’il existe donc plusieurs moyens d’annoncer une marque, les tribunaux tendent à examiner la question au cas par cas27. 2.2 L’annonce doit être communiquée aux consommateurs canadiens Pour que la marque de commerce soit réputée employée en liaison avec des services, l’annonce dans laquelle la marque est montrée ou employée doit avoir été communiquée aux consommateurs au Canada28. Cette condition découle de la définition même du terme « annonce » puisque, comme mentionné précédemment, le fait d’annoncer implique de faire connaître quelque chose, de le faire savoir au public. Si l’annonce de la marque de service n’est pas communiquée aux consommateurs canadiens, on ne peut donc pas la considérer employée. Dans la décision Cornerstone Securities Canada Inc. c. Canada 29, le propriétaire de l’enregistrement pour la marque CORNERSTONE & Design devait prouver l’emploi de sa marque en liaison avec des services d’investissement en raison d’une procédure sous l’article 45 de la LMC. Le propriétaire de l’enregistrement a déposé en preuve des annonces préparées pour être envoyées par télécopieur à des clients potentiels, ainsi qu’une publicité rédigée par une autre entreprise dans le but d’être publiée dans les journaux. Bien que la Cour fédérale ait reconnu l’existence de certains de ces documents, elle est arrivée à la conclusion que la marque de service n’avait pas été employée en vertu du paragraphe 4(2) de la LMC. En effet, Cornerstone Securities Canada Inc. n’a fourni aucune preuve démontrant que les annonces avaient réellement été communiquées par télécopieur aux clients potentiels ou publiées dans les journaux. Aux fins du paragraphe 4(2) de la LMC, il n’est donc pas suffisant que l’annonce existe : elle doit aussi être portée à l’attention des consommateurs canadiens. 27. GILL (A. Kelly) et al., Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4e éd. (Toronto : Carswell, 2003), à la p. 3-62. 28. Cornerstone Securities Canada Inc. c. Canada (1994), 58 C.P.R. (3d) 417 (C.F.) [ci-après « Cornerstone Securities »] ; Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, supra note 27, à la p. 3-65, où les auteurs écrivent : « Another important consideration relating to use with services is the requirement that the mark is displayed in the performance or advertising of services in Canada […] » (italiques dans le texte). 29. Cornerstone Securities, supra note 28. 14 Les Cahiers de propriété intellectuelle De plus, comme mentionné précédemment, l’annonce de la marque de service sur le site Internet d’une entreprise peut constituer un emploi de celle-ci30. Il existe toutefois une ambiguïté à savoir s’il est nécessaire, en vertu du paragraphe 4(2) de la LMC, de prouver que des Canadiens ont visité le site Internet ou si le simple fait que le site soit accessible à partir du Canada soit suffisant. Dans certaines décisions, il a été mis en preuve que des personnes se trouvant au Canada avaient visionné la page Internet sur laquelle se trouvait la marque de service31. Cependant, il a été jugé, dans au moins une décision, que l’annonce d’une marque de service sur un site Internet constituait l’emploi de cette marque sans que le juge n’ait indiqué s’il y avait au dossier une preuve démontrant que des consommateurs canadiens avaient visité le site32. Notons qu’il soit possible que le juge ait inféré que des consommateurs canadiens avaient visité le site du simple fait que celui-ci était en ligne. Il serait sans doute tout de même plus prudent pour le propriétaire d’une marque de s’assurer que des consommateurs canadiens ont visité le site puisque, comme mentionné précédemment, « l’annonce » suppose qu’un avis a été donné aux consommateurs. 2.3 Les services doivent pouvoir être exécutés au Canada Finalement, la simple annonce d’une marque de service et son association aux services offerts ne sera pas suffisante pour établir son emploi. En effet, les services associés à la marque annoncée doivent être disponibles au Canada. Bien que cette exigence ne ressorte pas clairement du texte du paragraphe 4(2) de la LMC, la jurisprudence est claire sur la question : le propriétaire d’une marque de service devra s’assurer d’avoir la capacité de desservir les consommateurs canadiens au Canada s’il désire obtenir la protection que lui confère l’emploi de sa marque. En premier lieu, il a été établi dans la décision Porter c. Don the Beachcomber33 que les services auxquels la marque est associée doivent avoir été exécutés au Canada pour que la marque soit réputée employée. Dans cette affaire, l’intimé, qui opérait un restaurant aux États-Unis, a reçu un avis du registraire en vertu de l’article 44 de la LMC (maintenant l’article 45 de la LMC) lui demandant de fournir une preuve d’emploi de sa marque de service DON THE 30. Supra note 21. 31. McCarty Tétrault c. Lawyers Without Borders Inc. (2010), 87 C.P.R. (4th) 437. 32. Deutsche Telekom AG c. TVI Interactive Systems Inc. 1999 CarswellNat 3521 (C.O.M.C.), l’agent d’audience Herzig aux paras. 6-7. 33. Porter c. Don the Beachcomber (1966), 48 C.P.R. 280 (C. d’É.) [ci-après « Porter »]. L’emploi d’une marque de service par l’annonce 15 BEACHCOMBER afin d’éviter qu’elle ne soit radiée du registre des marques de commerce. L’intimé a alors mis en preuve des publicités qui avaient circulé au Canada sur lesquelles figurait la marque de service, mais n’a fourni aucune preuve de l’exécution de ces services au Canada. Le registraire a tout de même conclu qu’il s’agissait d’un emploi de la marque de service suffisant pour que celle-ci ne soit pas radiée du registre. Porter a par la suite porté cette décision en appel à la Cour de l’Échiquier du Canada, qui renversa la décision du registraire. Le juge Thurlow en est venu à cette décision en concluant que deux éléments distincts sont nécessaires pour constituer « l’emploi » d’une marque de services : les services eux-mêmes, qui seront distingués d’autres services grâce à la marque, ainsi que l’emploi de la marque dans l’exécution ou l’annonce de ces services. Comme les services n’avaient pas été exécutés au Canada dans le cas en espèce, le juge Thurlow conclut qu’il n’y avait pas d’emploi de la marque de service au Canada au sens de l’article 44(3) de la LMC et ordonna sa radiation du registre. Il a ensuite été confirmé, notamment dans l’affaire Wenward (Canada) Ltd. c. Dynaturf Co.34, que les principes énoncés par le juge Thurlow concernant les conditions à satisfaire pour conclure à l’emploi d’une marque de service sont d’application générale35. De plus, étant donné les faits différents en l’espèce, le registraire dans Dynaturf a légèrement modifié les conditions de Porter pour tenir compte des situations où un fournisseur de services étranger ne les a pas exécutés au Canada, mais en a la capacité. Dans cette affaire, la compagnie Dynaturf avait déposé une demande d’enregistrement de marque en association avec des services de construction et de réparation de terrains de tennis sur la base d’un emploi au Canada depuis décembre 1969. Wenward s’est opposé à l’enregistrement de la marque en évoquant, entre autres, que la marque DYNATURF n’avait pas été employée au Canada par la requérante, citant à cet effet la décision Porter36. En effet, Dynaturf avait annoncé sa marque et ses services au Canada dès l’automne 1969, mais n’avait jamais exécuté ses services sur le territoire canadien. Le registraire nota par contre une distinction importante entre les faits en l’espèce et ceux établis dans Porter : alors que les services de restauration associés à la marque DON THE BEACHCOMBER ne pouvaient pas être exécutés hors du lieu physique du restaurant, la requérante en espèce avait la capacité d’exécuter ses services à l’étranger puisque 34. Wenward (Canada) Ltd. c. Dynaturf Co. (1976), 28 C.P.R. (2d) 20 (C.O.M.C.) [ci-après « Dynaturf Co. »]. 35. Dynaturf Co., ibid. à la p. 25. 36. Porter, supra note 33. 16 Les Cahiers de propriété intellectuelle la nature même de ceux-ci requérait un déplacement. Le registraire a donc conclu que la première condition d’emploi d’une marque de service – soit l’exécution des services – sera satisfaite s’il est possible de les exécuter au Canada. Ce développement pourra avoir d’importantes conséquences dans l’industrie du commerce électronique. En effet, comme le démontre la décision récente McCarthy Tetrault v. AutoZone Parts Inc.37, il est maintenant possible pour un fournisseur de services installé à l’étranger d’obtenir la protection conférée par une marque de service s’il fait l’annonce sur l’Internet de services disponibles aux consommateurs canadiens. Dans cette décision, AutoZone Parts Inc., le propriétaire de l’enregistrement de la marque GET IN THE ZONE en liaison avec des services de vente de pièces automobiles, a dû démontrer l’emploi de sa marque de service en réponse à un avis du registraire envoyé en vertu de l’article 45 de la LMC. AutoZone Parts Inc. possède seulement des magasins aux États-Unis, mais maintient également un site Internet sur lequel il est possible d’acheter des pièces automobiles. Le site Internet permet, entre autres, aux consommateurs canadiens d’obtenir de l’information au sujet des différentes pièces et de les commander par téléphone, après quoi les pièces sont livrées directement à l’adresse du consommateur au Canada. En concluant que ces activités constituent un emploi de la marque de service au Canada, la Commission des oppositions mentionne : Cependant, l’Inscrivante n’a pas besoin d’avoir un point de vente au Canada pour respecter les exigences en matière d’emploi en liaison avec les services en vertu du paragraphe 4(2) de la Loi. Il suffit pour établir l’« emploi » que les services soient « fournis sans que les clients canadiens aient à quitter le Canada » et que la marque de commerce soit employée en liaison avec lesdits services.38 Il est donc possible pour une entreprise étrangère offrant des services depuis l’extérieur du Canada d’établir l’emploi d’une 37. (2011), 93 C.P.R. (4th) 322 (T.M.O.B.), l’agente d’audience Barnett [ci-après « AutoZone »]. 38. AutoZone, supra note 37 au para. 9, citant Saks & Co. c. Canada (Registrar of Trade Marks) (1989), 24 C.P.R. (3d) 49 (C.F.P.I.) ; Bedwell Management Systems Inc. c. Mayflower Transit, Inc. (1999), 2 C.P.R. (4th) 543 (C.O.M.C.) ; et Venice Simplon-Orient-Express, Inc. c. Société Nationale des Chemins de fer Français SNCF (2000), 9 C.P.R. (4th) 443 (C.F.P.I.), confirmant 64 C.P.R. (3d) 87 (C.O.M.C.). L’emploi d’une marque de service par l’annonce 17 marque de service s’il est possible pour un consommateur canadien de recevoir le service sans quitter le pays. 3. CONCLUSION Afin de se prévaloir des droits qui découlent de l’emploi d’une marque de service, il sera utile pour son propriétaire d’utiliser les conditions établies par la jurisprudence comme ligne directrice d’une stratégie de promotion et de publicité afin que la publicité et la promotion d’une marque de service soient réputées un emploi de celle-ci. Pour ce faire, il est fondamental de distinguer l’emploi d’une marque de service dans l’annonce de ces services de l’emploi réputé d’une marque de service au sens du paragraphe 4(2) de la LMC. En effet, il semble que l’emploi de la marque de service dans l’annonce de service ne soit que la première étape à franchir pour établir l’emploi réputé d’une marque de service au sens du paragraphe 4(2) : il faudra par la suite s’assurer que cette annonce satisfasse les trois conditions énumérées plus haut. De plus, l’annonce est un concept large aux yeux de la loi, et une approche fonctionnelle semble prévaloir sur une définition stricte du terme. En effet, bien que certains médias soient explicitement mentionnés dans différents articles de la LMC, ceux-ci ne semblent pas être déterminants. Retenons plutôt que la fonction principale de l’annonce devra être d’aviser le public d’un lien entre une marque de service et les services offerts. Enfin, le service offert prend une place d’importance égale à celle de l’annonce dans l’emploi d’une marque de service. Alors que les deux premières conditions s’appliquent à la forme et à la communication de l’annonce, la troisième concerne la disponibilité et l’exécution des services. L’emploi d’une marque de service ne dépend donc pas uniquement d’un effort promotionnel, mais aussi d’une activité, ou du moins d’une capacité, opérationnelle canadienne. * Vol. 24, nº 1 Identifier et protéger la propriété intellectuelle dans les vêtements et accessoires de mode au Canada Laurent Carrière* INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 1. LOIS SUR LES DESSINS INDUSTRIELS (L.R.C. 1985, C. I-9) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 1.1 Qu’est-ce que c’est ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 1.2 En pratique qu’est-ce qui pourra donc être protégé ? . . . 29 1.3 Les limites du dessin industriel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 1.4 Qui est propriétaire? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 1.5 Nature des droits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 2. LOI SUR LE DROIT D’AUTEUR (L.R.C. 1985, C. C-42) . . . . 46 2.1 Pas de protection pour les idées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 © CIPS, 2012. * Avocat et agent de marques de commerce, Laurent Carrière est l’un des associés principaux de ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce. Notes pour une allocution initialement présentée le 2011-09-09 lors du colloque « La mode sort ses griffes – Protecting Fashionable Intangibles » organisé par L’ALAI (Canada) dans le cadre de la Semaine de la mode. 19 20 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.2 Types d’œuvres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 2.3 L’originalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 2.4 Qui est l’auteur ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 2.5 Qui est le propriétaire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 2.6 La protection du droit d’auteur et l’enregistrement . . . 52 2.7 Nature des droits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 2.8 L’exception de non-violation et les exceptions à cette exception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 3. LOI SUR LES MARQUES DE COMMERCE (L.R.C. 1985, C. T-13) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 3.1 Qu’est-ce qu’une marque ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 3.2 En quoi peut consister une marque . . . . . . . . . . . . . . . . 62 3.3 Les formes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 3.4 Qu’est-ce qui n’est pas une marque ? . . . . . . . . . . . . . . 104 3.5 Des droits qui naissent de l’emploi . . . . . . . . . . . . . . . 106 3.6 Ce qui est enregistrable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 3.7 Propriétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 4. LOI SUR LES BREVETS (L.R.C. 1985, C. P-4). . . . . . . . . . . 108 CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 Vol. 24, nº 1 Identifier et protéger la propriété intellectuelle dans les vêtements et accessoires de mode au Canada Laurent Carrière « L’année prochaine, je travaillerai dans la haute couture » dit Arthur à Marie-Julie – Louis Garrel (réalisateur), Petit tailleur (2010) INTRODUCTION J’aurais voulu amorcer cette présentation de façon multimédia. Par exemple, un extrait musical de • Fashion, le hit de David Bowie (« Scary Monsters (and Super Creeps) », 1980) ou encore • Les talons hauts de Robert Charlebois (« J’taime comme un fou », 1983) ou, pourquoi, pas • À la droite de Dior d’Alain Chamfort (« Une vie Saint Laurent », 2010). Je vous rassure : c’est sans difficulté que j’ai résisté à un • Addidas de Run-DMC (« Raising Hell », 1986) car il est bien tôt le matin pour du rap ! ou au 21 22 Les Cahiers de propriété intellectuelle • Fashion de Lady Gaga (« Confessions of a Shopaholic », 2009) car, en ce cas, c’est ma crédibilité/bon goût qui aurait pu en prendre un sérieux coup. En guise d’introduction cinématographique, j’aurais pu procéder à un visionnement • de Prêt-à-porter, le film de Richard Altman (1994) ou même • de Le diable s’habille en Prada de David Frankel (The Devil Wears Prada, 2006), ou, qui sait • du Petit tailleur, le court métrage trop peu connu de Louis Garrel (2010) ou encore • Brave Little Tailor, le court métrage d’animation (en Technicolor, s’il-vous-plaît) de Walt Disney (1938) réalisé par Bill Robert et mettant en vedette Mickey Mouse (mais même un p’tit 8 minutes et 21 secondes c’est malheureusement trop long dans le contexte de cette allocution) • d’une sélection de bandes-annonces de films portant sur la mode et son milieu • mais certainement pas de Knock Off (1998), ce navet du réalisateur hongkongais Tsui Hark mettant en vedette Jean Claude Van Damme dans le rôle d’un créateur de mode qui doit faire cause commune avec un agent de la C.I.A. pour combattre des terroristes. Et, dans le domaine de la télévision, faire référence à • What Not To Wear (version américaine sur TLC animé depuis 2003 par Stacy London et Clinton Kelly) • Say Yes to the Dress (toujours sur TLC, immense plogue publicitaire depuis 2007 pour le magasin de robes de mariées newyorkais Kleinfield Bridal) • Ladette to Lady (la série anglaise au nom évocateur sur ITV depuis 2005) ou encore • aux défunts The Fashionista Diaries (ABC, 2007) et Launch My Line (Bravo, 2009-2010) Propriété intellectuelle dans les vêtements 23 Sans compter les comedy drama Ugly Betty (2006-2010), Sex in the City (1998-2004) et How to Make It in America (2010- ) ou même le sitcom Veronica’s Closet (1997-2000). J’aurais même osé vous lire quelques extraits • du Traité de la vie élégante d’Honoré de Balzac (1830), • du Vaillant petit tailleur (Le) [au choix, dans la version conte des frères Grimm (1812), conte illustré de Disney (Deux coq d’or, 1975), bédé de Mazan (Pierre Lavaud, dit) (Delcourt, 1976) ou roman d’Éric Chevillard (Minuit, 2004) • de quelques doctes ouvrages sur la sociologie ou l’éthique de la mode, ou même, pourquoi pas, • du Manuel des normes de l’éco-socio-certification des vêtements et du textile (si, si, ça existe vraiment !), avec pour fond un diaporama en fondu enchaîné de l’évolution de l’habillement depuis 1482. J’aurais ainsi étalé un vaste semblant de culture emprunté sans vergogne du web et démontré mon propos sur le caractère protéiforme de l’intérêt pour un « phénomène multifonctionnel » mais on m’a demandé de modérer mes transports et, sans écorner le budget du colloque, de m’en tenir à la protection des créations de mode au Canada. Ma présentation sera donc mono-média ! La mode, un sujet d’actualité, s’il en est, ce que confirmerait une lecture récente des journaux. Toutes auront soupiré devant la robe de mariage de Kate Middleton, robe à peine froissée par le CopyKate du « qui a copié qui » ? La robe de l’Anglaise Sarah Burton pour Alexander McQueen ressemble-t-elle tant que cela à celle dessinée deux ans plus tôt par le Belge Gérald Watelet pour la [maintenant] princesse Isabella Orsini ? De toute façon, l’une et l’autre n’étaient-elles pas inspirées de celle de Grace Kelly (1956) ? Et toutes ces copies bon marché de la robe de la princesse anglaise qui est venue nous visiter en juillet dernier. 24 Les Cahiers de propriété intellectuelle Cette visite aura d’ailleurs permis de s’éclater sur des sujets aussi constitutionnellement élevés que « Kate Middleton royal tour of Canada in dresses » [quoique certains, voyeurs, auront d’emblée préféré la petite robe jaune virevoltante sous l’hélicoptère]. On aura tous lu, je le présume, sur les déboires américains de Christian Louboutin c. Yves Saint Laurent dans la saga des semelles rouges [778 F. Supp. 2d 445 (S.D.N.Y. 2011-08-11), en appel]. On aura également lu le revers anglais de Lucasfilm c. Ainsworth relativement à la protection du casque des stormtroopers impériaux de Star Wars [[2011] UKSC 39 (U.K. S.C. ; 2011-07-27)]. Et, pour les abonnés aux listes de diffusion des Cours fédérales, l’une ou l’autre des récentes péripéties de Louis Vuitton et Burberry dans leur lutte pour réprimer des contrefaçons vancouveroises et torontoises de leurs sacs griffés [(95 CPR (4th) 297 (C.F. ; 2011-06-27))]. Donc la mode est un sujet qui est d’actualité, même dans le domaine judiciaire. La mode, ce sont les habitudes collectives et passagères en matière d’habillement. La mode vestimentaire est un univers de paradoxes elle est utile ou futile, élitiste ou populaire, naturelle ou surfaite ; elle est un produit ou une valeur immatérielle. Elle doit interpréter l’internationalisation des tendances et la régionalisation des goûts. Portée par les marques, elle s’impose ; critiquée par la rue, elle compose. Porteuse des valeurs de luxe, elle veut se démocratiser : populaire, elle revendique sa créativité. Elle habille le corps et l’âme. Il n’est pas facile, dans ses conditions, d’en faire une radiographie rationnelle. – Gilles FOUCHARD, La mode, collection Idées reçues (Paris : Le cavalier bleu, 2005), aux pages 9-10. La mode (ou les modes), et plus précisément la mode vestimentaire, désigne la manière de se vêtir, conformément au goût d’une époque dans une région donnée. C’est un phénomène impliquant le collectif via la société, le regard Propriété intellectuelle dans les vêtements 25 qu’elle renvoie, les codes qu’elle impose et le goût individuel. […] L’une de ses caractéristiques vient de son changement incessant, incitant par là-même à renouveler le vêtement avant que celui-ci ne soit usé ou inadapté. – WIKIPÉDIA sous l’entrée « Mode (habillement) ». Et, pour introduire le sujet, une citation : Il n’y a plus de mode, rien que des vêtements. – Karl LAGERFELD (1933- ) Et, pour la protection des créations de la mode, que ce soient vêtements, chaussures ou chapellerie, sacs et parapluies, bijoux et autres accessoires de la mode vestimentaire, tout un arsenal est disponible aux • stylistes et modélistes, • ingénieurs textiles, • tailleurs, coupeurs et patronniers, • brodeurs, denteliers et couturiers, • modistes et plumassiers, • créateurs et autres intervenants. Il s’agira, on s’en doute, d’une question de moyens et de volonté mais également de stratégie et d’imagination. Pour les fins de mon propos, je m’en tiendrai aux protections statutaires des lois fédérales canadiennes sur i) les dessins industriels, ii) le droit d’auteur, iii) les marques de commerce, et iv) si, on en a le temps, ce dont je doute fortement, les brevets. 26 Les Cahiers de propriété intellectuelle C’est volontairement que j’exclurai de mon survol (surtout que je n’ai pas de prétentions à l’exhaustivité) les protections non-statutaires qui pourraient découler du délit de substitution, de l’abus de confiance ou d’un bris de contrat et que j’éviterai bien prudemment de m’engager sur l’à-propos de campagnes publicitaires telles « Fakes are never in Fashion » du magazine « à complexes » Harper’s Bazaar <http://fakesareneverinfashion.com/buzz_on_fakes.asp> ou de fournir un avis sur des questions existentielles comme « La mode doit-elle être protégée ? », « La copie, c’est la démocratisation de la mode » et autres propos propres aux blogues sur le sujet <http:// canadafashionlaw.blogspot.com/>. J’ajoute d’emblée que ces protections statutaires s’emboîtent et, parfois, peuvent être cumulées, ce qui maintient un flou artistique pour le plus grand bonheur des juristes. Une réserve : c’est un tour d’horizon dans un temps limité, sinon même très limité, et uniquement en droit canadien. Je dresse également la table pour les autres conférenciers, dont ma collègue Irene Calbolli qui fera, je nous le souhaite, une analyse beaucoup plus pointue (et illustrée !) de droit comparé et prospectif (notamment sur le Innovative Design Protection and Piracy Protection Act – IDPPPA américain) qui, depuis le 2011-08-25 est étudié par le Sous-comité de la Propriété intellectuelle, Concurrence et Internet du Comité judiciaire du Sénat américain. Et je laisserai à d’autres le soin de discuter de l’incidence du modèle communautaire. 1. Loi sur les dessins industriels (L.R.C. 1985, c. I-9) En résumé – In a nutshell • Vise la protection du design original d’un objet. • Doit être enregistré pour être protégé. • Durée de protection limitée à 10 ans. • Taxe d’enregistrement 400 $ + taxe de maintien 350 $. Propriété intellectuelle dans les vêtements 27 What the movement to casual dress may signify is a recession of theatricality as a mode of organizing social interactions, together with a rising cost of time (it takes longer to select, dress in, and undress from formal dress) […] We would expect […] a movement to casual dress because formal dress is less comfortable and generally more expensive, especially when time costs are figured in. – Richard A. POSNER, Public Intellectuals: A Study of Decline (Boston : Harvard University Press, 2001), aux pages 308-309) [A]s critics of casual days have emphasized, deciding what to wear takes more time, and is more stressful, when guidelines are gone. – Erik M. JENSEN, Law School Attire; A Call for a Uniform Uniform Code (2007), 33 Oklahoma City University Law Review 419, à la page 439, note 116. 1.1 Qu’est-ce que c’est ? Un dessin industriel concerne les caractéristiques visuelles relatives : • à la forme, • à la configuration, • au motif, • aux éléments décoratifs, ou • à une combinaison de ceux-ci appliquées à un produit fini • fabriqué à la main ou • à l’aide d’un outil ou d’une machine. Le dessin ne doit pas résulter de la fonction ou de l’utilité même de l’article : seules les caractéristiques ornementales, d’un 28 Les Cahiers de propriété intellectuelle vêtement par exemple, pourront être protégeables au titre de dessin industriel. Le dessin doit posséder des caractéristiques visant à capter l’intérêt visuel. « dessin » : caractéristiques ou combinaison de caractéristiques visuelles d’un objet fini, en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs. « design » or « industrial design »: means features of shape, configuration, pattern or ornament and any combination of those features that, in a finish, should article, appeal to and are judged solely by the eye. Forme et configuration font appel à un objet tridimensionnel. La forme fait référence à l’aspect extérieur de l’objet alors que la configuration fait plutôt référence à l’organisation des composantes, leur arrangement (qui pourra donner lieu à la forme). • la forme d’un chapeau (on pourrait penser ici au haut-de-forme du chapelier fou dans Alice au pays des merveilles, au chapeau de groom de Spirou ou encore aux bibis que l’on voit aux hippodromes de Ascot ou de Chantilly). • Pour ce qui est d’une configuration, imaginons une superposition de nervures sur un chapeau qui lui donneront sa forme. Motifs et éléments décoratifs sont quasi synonymes et font appel à la bi-dimensionnalité : c’est quelque chose qui est apposé sur l’objet. Un motif est souvent constitué d’éléments répétitifs. Un motif peut être décoratif mais toutes les décorations ne forment pas un motif. Ainsi, la broderie d’un pingouin sur la poche d’une chemise est un élément décoratif. Par contre, la répétition de ce même pingouin sur toute la surface de la chemise, c’est alors un motif. Un article peut exister sans motifs ou ornements mais il ne peut exister sans forme ou configuration. Propriété intellectuelle dans les vêtements 29 1.2 En pratique qu’est-ce qui pourra donc être protégé ? Les caractéristiques visuelles d’un objet fini, soit : • un motif répétitif appliqué à un sac à main (un sac griffé) • la forme d’un chapeau ou d’une robe (la robe parapluie de Bouchard) • une décoration appliquée à une chemise (un personnage de manga sur une cravate) • une broderie (l’une de celles de René Derhy ou sur vos nappes des grandes occasions) • les caractéristiques visuelles d’une chaussure de course (ici, il y en a « un char et une barge » et pour le grand sportif que je suis ce n’est pas facile de s’y reconnaître). Mais ne seront pas protégés par dessin industriel : • le matériau dont est faite une jupe ou • le mode de fermeture ou d’attache d’un sac à main. Et c’est quoi un objet fini ? Cela fait référence à un objet physique par rapport à une idée et l’objet fini ne se limite pas à un objet utilitaire mais inclut également le support d’une œuvre. Et les caractéristiques visuelles ? Le texte anglais fait référence à « appeal to and are judged solely by the eye ». [Celles-ci seront appréciées du point de vue d’un consommateur averti.] Il faudra, on s’en doute, que le dessin soit discernable à l’œil. En effet, si le motif est invisible du consommateur, il ne peut pas être ornemental. Donc une constellation de minuscules étoiles sur un tissu qui ne serait visible qu’à la loupe ne se qualifierait pas. Non plus d’ailleurs qu’un dessin qui serait caché à l’intérieur d’une doublure (et non la doublure elle-même qui, elle, se voit). Et ce qui constitue le dessin c’est le motif et non l’effet de ce motif. Par exemple, un effet réfléchissant résultant de la réfraction de la lumière sur des bandes posées sur un sac, ne serait-ce qu’à cause du caractère éphémère et fluctuant, ne se qualifierait pas de 30 Les Cahiers de propriété intellectuelle dessin. Par contre, les bandes elles-mêmes pourraient l’être, sans référence toutefois à l’effet. 1.3 Les limites du dessin industriel Les caractéristiques résultant • uniquement de la fonction utilitaire d’un objet utilitaire • les méthodes ou principes de réalisation d’un objet ne sont pas protégeables par dessin industriel. Un objet utilitaire c’est un objet qui a une fonction autre que de servir de substrat à une œuvre artistique ou littéraire. Cela comprend les modèles et les maquettes de ceux-ci. Mainetti D.I. 39608 de 1975 E.R.A. D.I. 44959 de 1979 Un dessin peut être appliqué à un objet utilitaire mais ce dessin ne doit pas avoir uniquement une fonction utilitaire (par exemple, des pinces à l’extérieur d’un cintre à jupes, c’est pas mal fonctionnel et, judiciairement, cela aura conduit à l’invalidation des dessins industriels qui s’y rapportaient) : The facts of the present case are unusual in that the hangers are not only not sold to the general public, but they are not even visible until removed from the skirt which is hung on them. They are then either thrown away by the vendor or, if given to the purchaser with the garment, they are first seen by the purchaser at the time when the garment is removed from them. All the ornamentation and design on the ends of the hangers is hidden under the skirts until they are removed with only the top of the clip on each end showing, and of course the centre hook. The arms of the hanger and the designs on the ends of Propriété intellectuelle dans les vêtements 31 the arms leading to the hooks remain hidden under the skirt when it is hung on them and it is the function of the design and the spring which the arms provide which holds the skirt out flat for better display free of sagging and wrinkles. It is reasonable to conclude that not even the dress manufacturers themselves who buy these hangers to display and sell the skirts on them have any but the slightest interest in the ornamental design at the ends of the arms. There is a clear distinction to be made, therefore, between ornamental design applied to such hangers and designs applied to objects such as chairs, water pitchers, teapots, and perhaps even tent pegs which are visible in use, the artistic design of which may appeal to a purchaser quite aside from the useful function which they serve. I find therefore that both designs are primarily functional and that a hanger of this sort, where the more significant design features are hidden and which is not intended to be admired by or sold to the public at large in any event, should not have been subject to industrial design registration and should be expunged from the register pursuant to s. 22(1) of the Industrial Design Act. [Mainetti S.P.A. c. E.R.A. Display Co. Ltd. (1984), 80 CPR (2d) 206 (C.F.P.I. ; 1984-03-15), le juge Walsh à la page 226 ; les italiques sont nôtres.] Cette limite ne s’applique pas à un dessin qui, quoique apposé à un objet utilitaire, n’a pas de fonction uniquement utilitaire. Par définition, un vêtement est utilitaire mais le motif floral qui peut être apposé sur celui-ci, lui, aura, plus souvent qu’autrement, une fonction uniquement décorative. L’autre limite c’est l’originalité. Pour être original, il doit y avoir des différences marquées entre le dessin que l’on veut protéger et les dessins préexistants, ce qui s’évalue visuellement. The design is merely a trade variant of what has gone before. This jurisprudence demands a higher degree of originality than is required with regard to copyright. It seems to involve at least a spark of inspiration on the part of the designer either 32 Les Cahiers de propriété intellectuelle in creating an entirely new design or in hitting upon a new use for an old one. It should be noted that one of the dictionary definitions of “original” is “novel in character or style, inventive, creative” [Bata Industries Ltd. c. Warrington Inc. 5 CPR (3d) 339 (CFPI, 1985-03-27), la juge Reed à la page 347 ; les italiques sont nôtres.] Pourra être originale une nouvelle application d’un dessin ancien (par exemple, la reproduction du patriote d’Henri Julien (« Montreal Daily Star », 1888) sur des boucles d’oreilles ou un sac à main. Sera aussi originale la nouvelle application d’une combinaison de vieux dessins, même dans le domaine public. Par exemple, le premier personnage de Bécassine (Annaïck Labornez, dite) sur des cravates ; la combinaison de tous les costumes de Bécassine, en rond, sur des sacs à main. C’est en effet le dessin, considéré comme un tout ornemental, qui sera alors protégé. Et, condition d’importance, au Canada, le dessin ne doit pas avoir été publié depuis plus d’un an en quelque pays que ce soit lors de la production de la demande au Canada. 1.4 Qui est propriétaire ? L’auteur est le premier propriétaire du dessin sauf si l’auteur • a exécuté ce dessin • pour une autre personne • contre contrepartie onéreuse [en anglais : « good and valuable consideration »]. Ici, on peut comparer la disposition avec celle de la Loi sur le droit d’auteur qui, elle, précise que la considération doit avoir été payée… Un enregistrement de dessin industriel peut se céder, en tout ou en partie. Il peut également faire l’objet de licences. Propriété intellectuelle dans les vêtements 33 1.5 Nature des droits L’enregistrement d’un dessin industriel donne à son titulaire le droit exclusif au Canada de • fabriquer • importer à des fins commerciales • vendre • louer • offrir en vue de vente • offrir en vue de location • exposer en vue de vente • exposer en vue de location un objet • pour lequel un dessin a été enregistré ou • différentes versions importantes de celui-ci. [On aura ici noté la similarité entre l’alinéa 11(1)a) de la Loi sur les dessins industriels et le paragraphe 3(1) de même que les alinéas 27(2)a) et 27(2)c) de la Loi sur le droit d’auteur.] Encore une fois, le droit exclusif est acquis par l’enregistrement du dessin ; il n’y a pas de telle chose qu’un dessin industriel non-enregistré. La protection est de 10 ans à compter de l’enregistrement sous réserve d’une taxe de maintien payable à l’expiration de la cinquième année de l’enregistrement. Une fois la protection du dessin expirée, le dessin tombe dans le domaine public et son utilisation est ouverte à tous, du moins en ce qui a trait au dessin qui était protégé par ce dessin industriel. 34 Les Cahiers de propriété intellectuelle Et l’exploitation du dessin industriel n’est pas une obligation préalable à son enregistrement ou au maintien de celui-ci pour son plein terme ou à l’institution de procédures en violation. Tout cela c’est bien beau et bien théorique. Examinons le registre du dessin industriel pour voir ce qui a fait l’objet d’enregistrements. Selon la classification, ce qui serait d’intérêt relèverait de la classe 6 (vêtements), 26 (tissus et textiles), 58 (bijoux) et 223-225 pour les sacs. Illustrons (avec des mots et un appel à vos souvenirs, réels ou inventés) Chapeaux 006-04-01 131204 chapeau Gongshow 2010 111465 chapeau anti-moustique St-Germain 2007 73050 casquette Yupoong 1993 Propriété intellectuelle dans les vêtements 773 chapeau de fourrure d’hiver pour femmes Colman 35 1887 Vestes 006-03-05 137500 veste Nike 2011 134751 veste Lululemon 2010 92684 veste Benisti 2001 2100 veste pour employé Wilkins 1903 36 Les Cahiers de propriété intellectuelle Robes 006-03-01 123042 robe parapluie Bouchard (également objet, on le verra d’un enregistrement de droit d’auteur et d’un enregistrement de marque de commerce) 2008 110747 chemise de nuit Bénard 2007 47475 chasuble Slablinck 1980 19192 robe Faith Gow 1953 Chemises 133089 006-03-03 maillot de sport Nike 2010 Propriété intellectuelle dans les vêtements 97891 chemise Dornbierer 2004 95983 chemise Hatco 2003 1205 blouse Hayward 1895 Corsets et gaines 37 006-02-03 103663 soutien-gorge Lightning2 2004 42359 sous-vêtement pour femmes Strouse, Adler 1977 29910 gaines pour femme Sarong 1967 1454 corset Horne 1898 38 Les Cahiers de propriété intellectuelle Partie de vêtements 006-01 134993 pochette Ben Sherman 2010 107190 col rond avec double ligne Canada Sportswear 2005 80195 revers de gilet Chromalloy 1997 64249 bordure de vêtement Adidas 1989 Tours de cou 006-06 128084 écharpe Villeneuve 2009 116108 nœud papillon Grison 2007 Propriété intellectuelle dans les vêtements 91523 cravate Reed 2001 2368 col Arlington 1905 Tissu 39 026-04 137628 doublure pour vêtement Columbia Sportswear (cubes tridimensionnels) 2011 126833 tissu de camouflage Majerfeld (saison de la chasse ! Mais aurait sans doute pu se qualifier comme marques de commerce ou droits d’auteur, comme on le verra plus tard) 2009 69206 motif Guidi 1991 4671 tartan Monarch 1919 40 Les Cahiers de propriété intellectuelle Bottes 006-05-02 138086 Jeststream Boot DKH 2011 133558 botte Deckers 2010 125772 botte Wolverine 2009 91063 botte ZM 2000 Souliers 006-05-03 138724 soulier Nike (qui squatte le registre du dessin industriel avec plus de 1 700 entrées de toutes sortes) 2011 128209 soulier Crocs (pour peu que vous fréquentiez les hôpitaux) 2009 Propriété intellectuelle dans les vêtements 128046 chaussure Lacoste 2009 373 soulier Boirin 1880 Souliers – Formes simulées 41 006-05-03-06 126252 chaussure Vibram 2009 62225 soulier pour enfant Quality 1989 36418 chaussure Newfeld 1973 16989 soulier Trimfoot 1949 42 Les Cahiers de propriété intellectuelle Semelles 006-05-04 138723 semelle Nike 2011 133196 semelle Columbia Sportswear 2010 41199 semelle Bata 1976 869 semelle Freagant 1900 Chaussettes 006-05-06 139951 chaussette Columbia Sportswear 2011 132465 chaussette X-Technology 2010 17847 bas Burlington 1950 Propriété intellectuelle dans les vêtements 1377 guêtres Horne 43 1898 Sacs 221-10 132136 sac à main Hermès 2010 114647 sac à poignées Harveys 2007 109175 sac à main Gucci 2006 724 sac d’école Edwards 1888 44 Les Cahiers de propriété intellectuelle Contenants 002-02-02 131443 présentoir Effigi 2010 113050 emballage pour vêtement Paris Genève 2007 70731 cartonnage pour bonneterie (« L’Eggs ») (Hanes) Sara Lee/HL (forme d’un demi-œuf, également l’objet d’un signe distinctif) 1992 37305 sac et rabat (avec volet transparent) Dim 1973 carrousel de rangement Pro-Mart 2011 Cintres 138018 044-01-02 Propriété intellectuelle dans les vêtements 129195 cintre de sousvêtements à 5 volants Spotless plastics 2009 128274 cintre multi-section Ingenious designs 2009 3308 coat hanger American Block Hat 1912 Parapluie 45 006-11 • Motifs sur la toile du parapluie (par exemple cette série de balles/ballons de sport) • Forme de la toile • Forme de la poignée (tête de bâton de golf ou animal) 137715 parapluie avec matériel réfléchissant Shedrain 2011 133272 parapluie Elder 2010 67685 parapluie Umbrella industries 1990 motifs sur la surface de la toile, forme de la toile, forme de la poignée, forme de l’étui, etc. 46 2040 Les Cahiers de propriété intellectuelle porte parapluies McClean 1902 Bijoux 058-01 91589 chaînon de fermoir pour bijou Gervais 2001 79116 broche Fortin 1996 41909 bijou couvreongle Guebtin 1977 15034 assortiment broche et vis d’oreille St-Prosper 1946 2. Loi sur le droit d’auteur (L.R.C. 1985, c. C-42) En résumé – In a nutshell • Vise la protection de l’expression originale d’une idée. • Durée de protection : vie de l’auteur plus 50 ans à compter de l’expiration de l’année civile de son décès. • Droit quasi-mondial naissant de la simple création. • Enregistrement facultatif. • Taxe d’enregistrement de 50 $, sans renouvellement. Propriété intellectuelle dans les vêtements 47 La mode, m’en crisse. C’est la haute couture ou rien. La haute couture, je veux bien, comme laboratoire et comme cour à scrap des modes. Je ne veux pas voir des mannequins porter des vêtements qui pendouilleront la prochaine année dans les 23 garde-robes des 23 bonnes femmes les plus riches de la Haute-Yamaska. Je veux voir des mannequins porter des robes qu’on accrochera au mur comme des Van Gogh. Je veux que les robes soient coupées par des alchimistes, pas par des diplômés du collège LaSalle. Des alchimistes qui habillent des émotions, l’amour, la nuit, l’espoir, la mer, la douleur, la fragilité. Et chaque fois, je veux voir dépasser le jupon de la poésie en soie sauvage. – Pierre FOGLIA, Le jupon de la poésie [201109-24] La Presse, Plus-3 2.1 Pas de protection pour les idées Le droit d’auteur, on le sait, ne protège pas une idée ou un concept mais plutôt l’expression de ceux-ci sous une forme matérielle quelconque. Ce n’est pas l’idée d’un motif floral qui sera protégée mais le rendu de ce motif floral. Ce n’est pas l’idée « [de] la réutilisation d’un objet dysfonctionnel en quelque chose d’élégant. » (– Claude Bouchard) comme un vêtement fait avec de la toile de parapluie ou des cravates qui sera protégée mais le rendu de cette idée. 2.2 Types d’œuvres La loi prévoit 4 types d’œuvres : artistiques, dramatiques, littéraires et musicales. La pertinence de chacune d’elles au domaine de la mode n’est pas évidente mais on peut s’y essayer (ne serait-ce que pour démontrer ma proposition initiale sur l’importance de l’élaboration d’une stratégie « ingénieuse » de protection, parfois hors des sentiers battus). 48 Les Cahiers de propriété intellectuelle Artistique : • les croquis, patrons et prototypes : un motif du vêtement, par exemple – la broderie BARBITAL de René Derhy [Grosse frustration ! L’exhibit P-13A a été retiré du dossier 500-09-005144-977 (Greenberg c. Derhy) 37 C.P.R. (4th) 305 (C.A. Qué ; 200403-15) et le produit a été discontinué alors aujourd’hui pour savoir ce en quoi consistait cette fameuse broderie… – les corbeaux de la vancouveroise Dorothy Grant ou – le tartan du Yukon • ou le vêtement lui-même, par exemple – la robe-parapluie de Claude Bouchard [DA 1053688 publiée en 2007] ou – les peignoirs tel le # 720 wrap around bias robe (ou l’une d’elles) de Patricia Fieldwalker [DA 1011825 publiée en 2002]. Dramatique ? La chorégraphie d’un défilé de mode (par hypothèse, ça serait quand même plus que le simple dandinement des mannequins) ou encore sa simple fixation cinématographique. Littéraire ? Les notes d’un styliste sur les idées et thèmes à partir desquels il travaille (attention : ce qui sera protégé c’est le rendu graphique, mots ou dessins, pas l’idée ou le feeling). Plus prosaïquement, ça pourra être un trend book – cahier de tendances comme ceux de Nelly Rodi ou de Pecleres. Musicale ? Une chanson originale accompagnant un défilé ; une mélodie caractéristique déclenchée par le fermoir d’un sac à main ou, encore, l’impression de phrases ou partitions musicales sur un vêtement. Propriété intellectuelle dans les vêtements 49 2.3 L’originalité La créativité est l’art de dissimuler ses sources. Creativity is the art of concealing your source. – Gabrielle BONHEUR, dite Coco Chanel (1888-1971) Le critère de protection sera l’originalité de l’œuvre. Et l’originalité, en matière de droits d’auteur, n’est pas synonyme de nouveauté ou d’inventivité ou de mérite artistique. Une œuvre est originale, pour les fins de la Loi sur le droit d’auteur, si elle émane d’un auteur et si elle n’est pas la copie d’une autre œuvre (ce qui n’empêche pas de s’inspirer des travaux des autres). L’œuvre doit être le produit de l’exercice du talent et du jugement d’un auteur, c’est-à-dire, le recours • aux connaissances personnelles • à une aptitude acquise • à une compétence issue de l’expérience • au discernement • à la capacité de se faire une opinion (et de sélectionner). Il est donc possible que : • Deux œuvres identiques soient originales si les auteurs n’ont pas copié l’un sur l’autre (cela pourra dépendre du thème ou des sources communes). Par exemple, le cœur, symbole de l’amour pour les robes de St-Valentin ! (Je sais, je sais, il y a beaucoup de façons de rendre un p’tit cœur mais à moins d’une représentation anatomiquement correcte – et quelque peu rébarbative – la représentation convenue est celle que l’on trouve généralement sur les jeux de cartes et s’obtient par la sélection du bon casseau des caractères Unicode (2661 pour le cœur blanc, 2662 pour le cœur noir, 2766 pour le cœur floral, etc. ; mal pris, on peut même recourir au « plus petit que 3 » !) 50 Les Cahiers de propriété intellectuelle • En autant qu’il soit suffisamment original, le fait qu’un dessin ou un croquis emprunte des éléments au domaine public (i.e., non protégés) n’invalide pas la protection. On pourra ici comparer la protection que donne un dessin industriel à une œuvre tombée dans le domaine public mais appliquée à un nouveau médium et le droit d’auteur qui ne protège pas une œuvre tombée dans le domaine public, peu importe la façon dont elle est utilisée (i.e., la reproduction d’une peinture de Léonard de Vinci sur des ceintures pourrait être protégée par dessin industriel mais pas par droit d’auteur). (Pour compliquer les choses : La Joconde de Léonard de Vinci est dans le domaine public et n’est plus protégée ; par contre, celui qui prend une photo de la Joconde est propriétaire de l’œuvre artistique qu’est la photographie qui, elle, est protégée et confère à son auteur le droit exclusif d’en permettre la reproduction). • Enfin, une compilation d’éléments du domaine public peut ellemême attirer protection à titre de compilation. 2.4 Qui est l’auteur ? Celui qui crée, qui met la main à la planche à dessin et non pas celui qui donne des idées ou « dirige le trafic ». Cela est parfois difficile à évaluer, particulièrement lorsqu’un chef d’atelier/directeur de collection intervient beaucoup (sinon beaucoup trop au goût du dessinateur) pour corriger/ajuster un dessin technique ou le tombé d’une robe. Il pourra y avoir œuvre de collaboration lorsque l’apport de chacun des intervenants/créateurs ne peut se distinguer, c’est-à-dire qu’il en résulte une œuvre dont on ne peut reconnaître la partie propre à chacun de ses auteurs (donc deux auteurs ou plus pour une même œuvre). Pour qu’il y ait œuvre de collaboration, deux conditions doivent être réunies : i) l’apport doit relever de la composition et non des idées et ii) la contribution doit être significative, mais pas nécessairement identique ou d’importance égale. 2.5 Qui est le propriétaire ? Tout comme pour le dessin industriel, l’auteur est le premier titulaire du droit d’auteur. Si l’auteur est dans une situation d’emploi, Propriété intellectuelle dans les vêtements 51 à moins d’avis contraire, c’est l’employeur qui sera propriétaire des droits d’auteur et ce, sans qu’il soit nécessaire de procéder par voie de cession. Autrement, l’auteur, même payé pour son apport créatif, demeure propriétaire du droit d’auteur. Une situation particulière : la création pour la Couronne. En pareil cas, c’est sa Majesté la Reine qui, à moins d’entente au contraire, est titulaire des droits d’auteur. Dès lors, ceux qui seront appelés à dessiner les nouveaux uniformes des Forces armées royales canadiennes devront en tenir compte. Contrairement au mythe, hors les situations d’emploi ou visant la Couronne, ce n’est pas parce qu’un créateur-pigiste est payé pour ce qu’il a fait qu’il perd la propriété de ses droits ou, inversement, que celui qui a payé pour le travail ne devient pas nécessairement propriétaire des droits d’auteurs dans l’œuvre. Et le monde de la mode ne fait pas exception à ce principe de l’auteur premier titulaire du droit d’auteur. À moins d’une cession écrite, faut-il le rappeler, le créateur conserve ses droits. Au mieux, paiement des honoraires à un pigiste ne donnera droit qu’à une licence limitée d’exploitation pour qui a payé. Si un créateur-pigiste crée des broderies destinées uniquement à des sacs à main, il pourra intervenir advenant que ces broderies soient aussi utilisées pour des vêtements. La question de la propriété des droits, comme bien d’autres, dépend souvent du situs de la création ou de la conclusion du contrat. Ce que je décris est propre à la situation canadienne et ne correspond pas, par exemple, à la situation française ou américaine. Et même si employé ou cédant, indépendamment de la propriété des droits d’auteur dans l’œuvre, le créateur gardera ses droits moraux dans cette œuvre par opposition aux droits d’exploitation économique de celle-ci. Les attributs du droit moral, au Canada, sont • le droit à la revendication de création [je suis l’auteur !] et • le droit à l’intégrité [non-modification de l’œuvre] ou association à une cause, si préjudiciable à la réputation du créateur. Typiquement un dessin signé qui serait dénaturé lors de la reproduction sur l’objet auquel il est appliqué. 52 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.6 La protection du droit d’auteur et l’enregistrement La protection du droit d’auteur s’obtient du seul fait de la création, sans nécessité d’enregistrement. Au Canada, il est cependant possible d’obtenir l’enregistrement du droit d’auteur, ce qui permet de bénéficier de certaines présomptions dans le cas de procédures judiciaires. Par contre, le système canadien, contrairement au système américain, ne demande pas que l’œuvre sur laquelle on veut enregistrer des droits d’auteur soit produite auprès du registraire du droit d’auteur pour les fins de l’enregistrement. Lorsque l’on fait une recherche dans la base de données de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, cela donne des situations où les œuvres protégées ne correspondent, somme toute, qu’à un titre, par exemple • T-shirt, œuvre artistique de Jean-Louis Tremblay • Clothing, œuvre artistique de Jijjy Badee • Clothing/apparel, compilation d’œuvres artistiques de Richard Forbes • Chapeau à faces trapézoïdales T-Cask, œuvre artistique de Gyslain Sylvain • 2 personnages habillés en sacs-ordures, œuvre artistique de Jean Beaulnes • Cancer Ribbon with robe-hood and Ribbon hands positioned as arms up and ready to fight, œuvre artistique de Hilary Walls • The Magic Dress, œuvre artistique de Martin Helse • Little Black Dress, œuvre artistique de Gena Kling [qui d’entre vous, mesdames (ou peut-être messieurs) n’a pas dans sa garderobe la jolie petite robe noire passe-partout ? Alors pour savoir ce à quoi correspond vraiment cet enregistrement, c’est tintin !] Et la durée de protection au Canada est la vie de l’auteur plus 50 ans à compter de l’expiration de l’année civile de son décès. Attention : prendre note que cette durée de protection est différente selon les pays et variera dans le cas d’œuvres de collaboration. Propriété intellectuelle dans les vêtements 53 2.7 Nature des droits Le droit d’auteur est un faisceau de droits qui comporte, entre autres, le droit exclusif • de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre sous une forme matérielle quelconque • et le droit d’autoriser ces actes. Le droit existe, rappelons-le, de par la simple création et n’est pas assujetti à quelque formalité de dépôt ou obligation d’exploitation pour que son titulaire soit admis à en réprimer violation. C’est un droit qui peut se démembrer quasi à l’infini (territoire, média, etc.), selon l’imagination du titulaire, par cession, totale ou partielle, ou licence. Le droit d’auteur semble donc le mode idéal de protection pour les articles de mode. Cela serait trop beau. 2.8 L’exception de non-violation et les exceptions à cette exception Il faut maintenant parler, même brièvement, de l’article 64 de la Loi sur le droit d’auteur. Cet article, pénible de lecture, fait à lui seul deux pages pleines dans les « statuts », en 429 mots dans sa version française et 509 dans sa version anglaise ! L’exception. Résumé : Lorsqu’un dessin est tiré d’une œuvre artistique et appliqué à un objet utilitaire pour lequel il y a plus de 50 exemplaires, tough luck, mais la reproduction non autorisée de ce dessin par un tiers ne constituera pas une violation du droit d’auteur. Développons. Cet article pose pour principe qu’il n’y a pas de violation • du droit d’auteur ou • des droits moraux 54 Les Cahiers de propriété intellectuelle sur • un dessin appliqué à un objet utilitaire ou • sur une œuvre artistique dont le dessin est tiré ni le fait de reproduire • ce dessin ou • un dessin qui n’en diffère pas sensiblement par • réalisation de l’objet ou • reproduction graphique ou matérielle de celui-ci ou • en effectuant un acte réservé exclusivement au titulaire du droit d’auteur ni le fait d’accomplir avec un objet ainsi réalisé un acte réservé au titulaire pourvu que l’objet, de par l’autorisation du titulaire du droit d’auteur au Canada ou ailleurs à l’étranger • soit reproduit à plus de 50 exemplaires ou • si planche, gravure ou moule, serve à la production de plus de 50 objets utilitaires. Pour les fins de cet article, un dessin ce sont les caractéristiques [visuelles] ou une combinaison de caractéristiques visuelles d’un objet fini en ce qui touche • la configuration • le motif • ou les éléments décoratifs. Propriété intellectuelle dans les vêtements 55 Attention, le paragraphe 64(2) de la Loi sur le droit d’auteur ne vise que la violation ou non du droit d’auteur et non l’existence même du droit d’auteur. Une robe, pour esthétique qu’elle soit, est un objet utilitaire. Une robe (ou son patron) est protégée par droit d’auteur. Si la robe n’est pas reproduite à 50 exemplaires, il pourra y avoir violation du droit d’auteur. Si le patron n’est pas destiné à servir à la reproduction à plus de 50 exemplaires de la robe, il pourra y avoir violation. Ce n’est que lorsqu’il y a plus de 50 exemplaires que l’exception de non-violation entre en jeu. Ne seraient sans doute pas visées par cette exception de nonviolation les créations flyées de Jean-Paul Gaultier et compagnie puisque non-destinées à une telle reproduction ; idem quant aux créations du cordonnier Giaconelli Mateotti dans Les chaussures italiennes de Henning Mankel (Paris : Seuil, 2009) [« Ça doit revenir cher, ai-je dit. Quand une chaussure accède au rang de joyau… »]. En pareil cas, l’exception ne s’appliquerait pas, il y aurait violation. Qu’est-ce qu’un objet utilitaire, spécialement dans le domaine de la mode ? • vêtements, chaussures, chapellerie, • sacs • bijoux – épingles à cravate, boutons de manchette et boutons de plastron de smoking – montres – bagues, colliers, bracelets [ces trois derniers produits demeurant sujets de discussion]. C’est un objet remplissant une fonction utilitaire (y compris tout modèle ou toute maquette de celui-ci). 56 Les Cahiers de propriété intellectuelle Une fonction utilitaire, c’est la fonction d’un objet autre que celle de simple support d’un produit artistique ou littéraire. Quaere. Un dessin particulier destiné à être appliqué à un objet utilitaire et cet objet est fabriqué à plus de 50 exemplaires. L’exception devrait jouer. Toutefois, est-ce qu’il y aura violation du droit d’auteur si un tiers applique ce dessin à un objet utilitaire qui, lui, n’a jamais été reproduit à plus de 50 exemplaires. Par exemple, le dessin d’une robe mais qui peut également servir de pochette ou de cravate, de catogan ou garniture de poignée. Quaere. Avant 1988, c’est l’intention de produire à plus de 50 exemplaires qui déterminait ou non la protection [à l’époque, ce n’était pas encore une exception mais plutôt une exclusion de protection]. On pensait sans doute que d’éliminer la preuve d’intention allait faciliter les choses. Que non ! Qu’en est-il, par exemple, d’un objet utilitaire qui, à l’origine, n’est pas destiné à être reproduit à plus de 50 exemplaires ? Quaere. Et qu’en est-il lorsqu’il s’écoule un certain délai entre la révélation du modèle et sa mise en marché ? Est-ce à dire que tant que le fatidique « + 50 » n’est pas atteint, l’exception ne s’appliquerait pas ? Que l’on pense ici aux copies de la robe de mariée de Kate Middleton disponibles dans les 24 heures du mariage. Alors, sauf pour la Haute Couture, les œuvres à vocation muséale ou théâtrale ou les travaux uniques d’étudiants, le droit d’auteur semble dégriffé pour protéger la commercialisation d’un produit prêt-à-porter ou de consommation de masse. Les exceptions à l’exception. Mais pour compliquer les choses, – comme si c’était vraiment nécessaire – il y a non pas une mais des exceptions à cette exception. En effet, le paragraphe 64(3) énumère sept cas de non-application de cette exception de non-violation. Celles qui sont principalement d’intérêt pour le domaine de la mode ont une existence autonome à titre d’œuvres artistiques. Propriété intellectuelle dans les vêtements 57 Récapitulons • L’œuvre artistique est protégée. • Il n’y aura pas de violation si l’œuvre artistique est destinée à être reproduite à plus de 50 exemplaires. • Sauf si une des exceptions à l’exception s’applique. Il y aura violation du droit d’auteur ou des droits moraux sur une œuvre artistique, même destinée à être reproduite à plus de 50 exemplaires sur un objet utilitaire si a) il s’agit d’une représentation graphique ou d’une représentation photographique appliquée à un objet. En anglais, il est dit : « graphic or photographic representation applied to the face of an article ». C’est quoi ça, une « représentation graphique » ? il semblerait que cela couvrirait, par exemple, une broderie. On a droit également à la divergence entre le texte français et le texte anglais. Dans le texte français, une broderie intérieure serait protégée, mais pas selon le texte anglais. b) une marque de commerce, la représentation d’une marque de commerce ou une étiquette. Une marque de commerce, on le verra plus tard, c’est un signe qui permet de distinguer les marchandises d’un individu de celles d’un autre. Il ne s’agit pas de déterminer ici si le propriétaire de la marque de commerce ou le contrefacteur « emploie » celle-ci à titre de marque de commerce sur le produit et, pour que cette exception joue, il pourra y avoir emploi à titre purement décoratif (pourvu que par ailleurs, en d’autres lieux, il y ait un emploi de marque. Par exemple, une étiquette Chanel où le logo CHANEL dans l’étiquette intérieure du vêtement sera un emploi de marque. La reproduction sur tout le vêtement copiée du mot « Chanel » ou du logo ST-HUBERT sur un gaminet, pourrait n’être que purement décorative (donc peut-être pas d’emploi au sens de la Loi sur les marques de commerce) mais l’exception de l’exception jouerait. Dans le contexte, qu’est-ce qu’une étiquette ? Je l’ignore mais ne me suis pas attardé beaucoup à l’étude du sujet. Il pourrait dès lors y avoir une dualité de protection entre la marque de commerce et le droit d’auteur (et même, en certains cas, avec le dessin industriel). Par hypothèse, un personnage de 58 Les Cahiers de propriété intellectuelle Walt Disney est protégé à titre de marque de commerce pour la vente des produits auxquels ce personnage est associé. S’agissant d’un motif qui peut être apposé sur un objet utilitaire, il pourrait y avoir protection par voie de dessin industriel. S’agissant d’une œuvre artistique, même appliquée à un objet utilitaire, l’apposition de ce dessin à un produit pourrait donner lieu à une violation de droit d’auteur. La question de dualité de protection est confirmée au Canada. Toutefois, cela ne viserait que la marque de commerce figurative ou semi-figurative et non la marque nominale puisque dans celleci il n’y aurait pas, par hypothèse, de droit d’auteur. L’exception à cette dualité de protection pourrait être une marque telle celle de Via Vegan [enregistrement 750271 du 2009-10-14] qui consiste en 55 mots et pourrait se qualifier d’œuvre littéraire : CHOOSE LIFE CHOOSE POSITIVITY CHOOSE THE GOLDEN RULE CHOOSE TO BE AT PEACE WITH YOURSELF CHOOSE SALVATION SCEGLIETE DI FARE UNE DIFFERENZA CHOOSE TO MAKE A DIFFERENCE CHOISISSEZ DE FAIRE UNE DIFFÉRENCE CHOOSE TO BE DIFFERENT CHOOSE TO BE A REBEL CHOOSE TO BE FUNKY CHOOSE TO BE YOURSELF CHOOSE TO CREATE A FASHION STATEMENT Mais nous serions alors hors les cadres de l’article 64 LDA puisque celui-ci ne vise que les œuvres artistiques. Fin de la digression. Quid du signe distinctif qui constitue une forme de marque. La reproduction d’un stylo BIC, de l’emballage filé des fromages BABYBEL… Quaere (encore). La forme d’un soulier qui deviendrait distinctive au point d’être protégée en vertu de l’article 13 de la Loi sur les marques de commerce donnerait-elle ouverture à l’exception de l’exception de l’alinéa 64(3) b). Attention, rien n’exige que le titulaire de la marque de commerce soit aussi le titulaire du droit d’auteur. L’enregistrement de la marque de commerce peut avoir été radié. Ce qui compte c’est que le signe fonctionne comme marque de commerce. Propriété intellectuelle dans les vêtements 59 Cela pourrait comprendre la présentation particulière (tradedress) d’un produit, par exemple, les chaussures CROCS. c) matériel dont le motif est • tissé ou • tricoté ou • utilisable à la pièce • utilisable comme revêtement • utilisable comme vêtement. d) des œuvres architecturales qui sont des • bâtiments • modèles de bâtiments • maquettes de bâtiments. On notera d’abord que la définition est plus restreinte que celle de l’article 2 qui fait référence à « bâtiment et édifice » (building and structure). Seraient donc exclus • les ponts • bateaux • tours de forage • tours de télécommunication, per se • sculptures • arches • pièces de bâtiments mais viseraient les maisons en rangée au motif répété de banlieue. 60 Les Cahiers de propriété intellectuelle e) l’exception à l’exception s’appliquera également s’il s’agit de la représentation • d’êtres réels • d’êtres imaginaires • de lieux réels • de lieux imaginaires • de scènes réelles • de scènes imaginaires pour donner à un objet • une configuration • un motif ou • un élément décoratif. [En anglais on notera : feature of shape, of configuration, of pattern or of ornament]. Ne pas oublier qu’il peut y avoir violation de droit d’auteur dans une œuvre bidimensionnelle par l’apposition de cette œuvre sur un autre substrat, sur un objet tridimensionnel ou encore dans un rendu tridimensionnel de l’œuvre et de l’apposition de l’œuvre à la configuration tridimensionnelle d’un objet (par exemple, un gobelet en forme de tête de Popeye). f) les objets vendus par ensemble pourvu qu’il n’y ait pas plus de 50 ensembles. Par hypothèse, pour une édition spéciale, il y aurait moins de 50 kits lesquels comprendraient chacun plus de 50 objets utilitaires comme, par exemple, des boutons de manchettes ornés. g) autres œuvres ou objets désignés par règlement, et il n’y en a pas ! Ce qui nous amène au troisième sujet. Propriété intellectuelle dans les vêtements 61 3. Loi sur les marques de commerce (L.R.C. 1985, c. T-13) En résumé – In a nutshell • Signe qui permet de distinguer les marchandises d’une personne de celles des autres. • Les droits naissent et se maintiennent de par l’emploi territorial. • Quoique non obligatoire, l’enregistrement est possible et alors valide pour 15 ans, renouvelable. • Les taxes d’enregistrement sont de 450 $. For a judge warming the bench, shoes make no devil-may-care statement, and trousers (or breeches aren’t going to show in the courtroom either). Shirts or blouses? No way they’ll be visible, except (maybe) at the collar. – Erik M. Jensen, « Under the Robes – A Judicial Right to Bare Arms and Legs and…? » (2009), 12 Green Bag (2d) 221, aux pages 223224 [deux succulentes notes de bas de page omises] Pour sélectionner tout ce qu’offre cette loi, il convient d’abord d’en cerner, sinon maîtriser les concepts. 3.1 Qu’est-ce qu’une marque ? Une marque de commerce c’est un signe adapté à distinguer les marchandises ou services d’une personne de ceux d’une autre. Cela a pour première conséquence le caractère spécifique de la marque c’est-à-dire qu’elle n’est pas protégée in vacuo mais toujours en liaison avec des marchandises ou services spécifiquement indiqués. Et, pour deuxième conséquence : sous réserve de licence, pour maintenir la distinctivité d’une marque de commerce, seul son propriétaire peut l’utiliser (sinon, la marque n’est plus associée à une seule source) Et enfin, la marque de commerce doit être employée et présentée à titre de marque de commerce et non, par exemple, à titre de 62 Les Cahiers de propriété intellectuelle générique ou dans des variations telles qu’on ne la reconnaît plus. C’est d’ailleurs l’une des problématiques du revamping ou de la modernisation d’une marque. 3.2 En quoi peut consister une marque La marque peut consister : • d’un mot, inventé ou non – ALLIGATOR, enregistrement 136,238 – CAROLINA HERRERA, enregistrement 361,675 – SUHALI, enregistrement 620,227 – TARSIANI, enregistrement 735,171 – RAFFINALA, enregistrement 561,467 – NEOS, enregistrement 783,211 – ROBE PARAPLUIE, enregistrement 743,502 – VANESSA, enregistrement 185,374 [Cette marque illustre bien mon précédent propos sur la spécificité de la marque. Au registre canadien des marques de commerce on trouve la marque VANESSA > de la québécoise Television Sex-Shop inc. pour des services de production et diffusion > de la suisse Biodesign pour des produits de beauté > de l’allemande Hailo-Werk pour des planches à repasser > de l’ontarienne House of Charms pour des bijoux > de la montréalaise Vanessa Equipment pour des machines à crème glacée et à expresso > du beauceron Jacques Fournier pour des poupées Propriété intellectuelle dans les vêtements 63 > de l’italienne Tyco pour des valves > de l’ontarienne Dometic pour des machines à coudre et des aspirateurs > de la chic 111764 Canada pour des vêtements et de la lingerie > de la newyorkaise Oneida pour des assiettes > de la suisse Nyro-Plan pour des lavabos de salle de bain et > de l’anglaise Patons & Baldwins pour du fil à tricoter et des livres.] • d’une ou plusieurs lettres – BVD, enregistrement 149,945 de Modern Shirts (ou B.V.D., enregistrement 10771) – C, enregistrement 689,116 de Polo/Lauren – S torsadé, enregistrement 505,738 de Levi Strauss – S répétitifs, enregistrement 639577 de Aldo – F, enregistrement 557,665 de Fila – GWG, enregistrement 142,459 de Levi Strauss – THD, enregistrement 696,320 de Tommy Hilfiger – LV, enregistrement 557,176 de Louis Vuitton Malletier – XXX, enregistrement 703,315 de Lanificio Emenegildo Zegna – Z, enregistrement 671,166 de Consitex (Zegna) • d’un chiffre – 5, enregistrement 442,247 de Chanel – 501, enregistrement 308,843 de Levi Strauss 64 Les Cahiers de propriété intellectuelle • de lettres et de chiffres – FOREVER 21, enregistrement 569,326 de Forever 21 – FOREVER XXI, demande 1,107,176 de Forever 21 – 725 KIDS, enregistrement 532,501 de Walmart – 1 2 3 UN DEUX TROIS, enregistrement 619,236 de Etam – FIFTY SIX 56 FS-TAG, enregistrement 671,280 de Effigi – 2.1 DENIM, enregistrement 773,712 de Forever 21 • d’un dessin, seul ou avec des mots – FRUIT OF THE LOOM, enregistrement 481,032 – DESSIN DE DEUX CERCLES ET UN TRIANGLE, enregistrement 538,928 – 18 BARS, demande 1454932 – SKULL & CROSSBONES, demande 1,315,104 – TOD’S, enregistrement 755,288 – TRISTAN, demande 1,386,071 – TRUE STAR, enregistrement 687,130 – NEW MAN, enregistrement 172,348 Propriété intellectuelle dans les vêtements 65 1454932 Triple 5 Colour is claimed as a feature of the trade-mark. The trade-mark consists of a series of eighteen (18) contiguous bars having the following colours, commencing from the left: the first bar being in the colour light brown, the second bar being in the colour red, the third bar being in the colour light brown, the fourth bar being in the colour navy, the fifth bar being in the colour green, the sixth bar being in the colour taupe, the seventh bar being in the colour light brown, the eighth bar being in the colour red, the ninth bar being in the colour light brown, the tenth bar being in the colour navy, the eleventh bar being in the colour light brown, the twelfth bar being in the colour red, the thirteenth bar being in the colour light brown, the fourteenth bar being in the colour green, the fifteenth bar being in the colour light brown, the sixteenth bar being in the colour navy, the seventeenth bar being in the colour light brown, the eighteenth bar being in the colour green. 481032 Fruit of the Loom Et la grappe de fruits 172348 Newman (upsidon) 1386071 Boutique Tristan & Iseut Où le T symbolise l’union de l’homme et de la femme ; on verra dans cette marque au style épuré des mains enlacées plutôt qu’une quelconque position du kamasutra ! • d’une couleur ou de couleurs – TOMMY HILFIGER (et ses 3 rectangles), enregistrement 547024 – RED COLOUR, enregistrement 769,715 – TARTAN de Burberry, enregistrement 590,925 – TOILE DAMIER de LVMH, enregistrement 722,343 – FILA, enregistrement 258,009 66 Les Cahiers de propriété intellectuelle 547024 Tommy Hilfiger 722343 LVMH 590925 Burberry The mark is lined for the colours red and blue and the applicant claims the colours red and blue as a feature of the mark. 285009 Fila Red for the upper part of the “F” and blue for all the rest. • d’une étiquette (toutes celles que l’on peut trouver sur une paire de jeans LEVI’S) – CHEMISE LACOSTE, 412,267 – ARMANI JEANS, TMA414,785 – LEVI’S, enregistrement 311581 – RED TAB, enregistrement 566,448 – ORANGE TAB, enregistrement 278290 – ÉTIQUETTE SUR CHEMISE, enregistrement 459128 – BUFFALO DAVID BITTON & TAG, enregistrement 749,259 – RED TAG, enregistrement 194,716 – LEVI STRAUSS & CO. QUALITY CLOTHING, enregistrement 276,249 – GO TAGLESS SANS ETIQUETTE, demande 1,237,896 – BANANA REPUBLIC, enregistrement 804019 – FILA FINE COLLECTION, demande 862057 Propriété intellectuelle dans les vêtements 412267 de Chemise Lacoste (Abd) 414785 de Giorgio Armani 67 276249 Levi Strauss 1237896 Sara Lee/HBI 278290 Levi Strauss 749259 No Excess The trade mark is an orange tab comprising a folded ribbon of textile material or the like appearing on and permanently affixed to the exterior of the garment in such a position that the TAB is visible while the garment is being worn, the trade mark being applied to the goods by stitching the edges of the TAB into a structural seam of the garment so that the stitching of said seam secures one end of the TAB to the garment with the folded edge thereof extending visibly from the seam. The drawing is lined for the colour orange. The trade-mark consists of a small rectangular shaped piece of material applied to or otherwise attached permanently to the exterior of a clothing shirt in a position as indicated in the attached drawing and described as follows: the tab of material is located on the button seam of the shirt approximately mid-way between the last and second to last buttons. The representation of the wares as shown in dotted outline does not form part of the trade-mark as applied for but is used to establish the relationship of the rectangular shaped piece of material with the actual clothing garment. 311581 Levi Strauss 804019 Banana Republic The Trade mark comprises the word LEVI’S rendered on a tab comprising a folded ribbon of textile material or the like appearing on and permanently affixed to the exterior of an article, the trade mark being applied to the article by stitching one edge of the tab into a structural seam of the article so that the stitching of said seam secures one edge of the tab to the article with the folded edge thereof extending visibly from the seam. 68 Les Cahiers de propriété intellectuelle • d’armoiries, vraies ou fausses – CREST de Tommy Hilfiger, enregistrement 483,261 – MILTON YOUTH SOCCER CLUB, enregistrement 727,360 – WOODS & GRAY, enregistrement 459,359 – R.C.M.P., dossier 902,518 – POLO, enregistrement 4591,82 (Polo/Lauren) 483261 Tommy Hilfiger 727360 Milton YSC 459359 Woods & Gray 459182 Polo/Lauren 726491 Dizaro 747571 Dizaro 902518 RCMP • d’une devise ou d’un slogan – QUALITY NEVER GOES OUT OF STYLE, enregistrement 275,541 (Levi) – OUR SIGNATURE, YOUR STYLE, enregistrement 700,836 (Levi) – PLUS VOUS ETES RAVISSANTE, PLUS NOUS SOMMES RAVIS, enregistrement 163,746 (Canadelle) – WONDERBRA, THE BRAS THAT MAKES THE CLOTHES THAT MAKE THE WOMAN, enregistrement 294,000 (Canadelle) Propriété intellectuelle dans les vêtements 69 – POUR S’HABILLER SANS Y LAISSER SA CHEMISE, enregistrement 770,313 (Reitmans) – POUR LA FEMME MODÈLE, PAS LE TOP-MODÈLE, enregistrement 786, 392 (REITMANS) – POUR AVOIR PLUS D’UN STYLE DANS SON SAC, TMA770,333 (REITMANS) – UNUM SUMUS, enregistrement 783,693 (Tristan & Iseult) • d’un poinçon ou d’un sceau – THE SEAL OF QUALITY, TMDA 8199 (Hudson’s Bay) – SHIELD, enregistrement 358,008 – THIS IS A PAIR OF LEVI’S, enregistrement 425,308 – V & R, enregistrement 607,630 – THE GUARANTEED FORSYTH SHIRT, UCA 09333 – ROOTS GENUINE LEATHER, enregistrement 339,963 – L.A. GEAR, enregistrement 394,805 19773 de Hudson’s bay Company Crest and motto consisting of: shield: quartered by a cross-charged in each quarter by beaver statant. Supporters: two stags springing- horned and hoofed – one stag on each side. Crest: fox sejant on cap of maintenance. MOTTO: in scroll PRO PELLE CUTEM. The crest and motto to be enclosed by a double circle in the margin of which the words and figures HUDSON’S BAY COMPANY INCORPORATED 1670 are imprinted and underneath the whole of which is printed the words THE SEAL OF QUALITY. 70 Les Cahiers de propriété intellectuelle 425308 Levi Strauss 339963 Roots 339963 Forsyth • d’une représentation d’animal, réel ou stylisé – ALLIGATOR, enregistrement 751,836 – CROCODILE, enregistrement 559,121 – PERROQUET, enregistrement 536,982 – AIGLE, enregistrement 666,587 – BUFFALO, enregistrement 463,289 – BULL, enregistrement 241,532 751836 de Lacoste 559121 de Crocodile Garments 463289 de Buffalo Bitton 666587 de Aigle • d’une représentation de personnes, réelles ou fictives – POLO PLAYER, enregistrement 314,256 – GIRL, enregistrement 519,040 – WOMEN, enregistrement 201,642 ? ? – EXCEL-FIT, enregistrement 175,184 – DISCRETION (Christine Brodeur enregistrement 174,040 Propriété intellectuelle dans les vêtements 71 – MAN – COWBOY, enregistrement 167,518 – MISS MARY OF SWEDEN, enregistrement 758,578 – SILHOUETTE RENÉ LACOSTE, 1416798 174040 de Avalon 758578 de Miss Mary of Sweden Christine Brodeur a donné son consentement à l’usage de sa photo. Arrière-plan bleu pâle et bleu foncé ; bas-culotte couleur chair et blouson de fleurs de couleurs rose, violet, or et vert ; la matière à lire sur l’étiquette est en blanc, noir et bleu foncé. Arrière-plan bleu pâle et bleu foncé ; basculotte couleur chair et blouson de fleurs de couleurs rose, violet, or et vert ; la matière à lire sur l’étiquette est en blanc, noir et bleu foncé. de Lary 314256 de Polo Ralph Lauren 519040 Le Château 1416798 Lacoste • d’une scène – VILLAGE, enregistrement 665,884 – TOWER, UCA 44941 – ARBRE ET FEUILLES, enregistrement 741,925 – SCENE, enregistrement 290,915 72 Les Cahiers de propriété intellectuelle 665884 Intrawest 44941 C&J Clark 741925 de Cote Reco 290915 Zegna Baruffa « motif d’arbres et feuilles » pour des vêtements de chasse • d’une signature, réelle ou fictive – PIERRE CARDIN, enregistrement 342,833 – AGNÈS B., enregistrement 412645 – CAROLYN TAYLOR, demande 1,267,144 – KATHERINE BARCLAY, enregistrement 715,381 342833 Pierre Cardin 412645 Agnès Trouble 1267144 By Design 715381 Corwik • d’un patronyme, réel ou inventé – ALFRED SUNG, TMA620,491 (né le 1948-06-14) – YVES SAINT LAURENT, enregistrement 358,669 (19362008) – MARIE SAINT PIERRE, demande 1,441,713 (1961- ) – NICOLE BENISTI, enregistrement 721,285 – RENÉ BARTON, enregistrement 654568 – MICHAEL STARS, enregistrement 577185 Propriété intellectuelle dans les vêtements 73 – MICHAEL KORS, enregistrement 473,538 (né Karl Anderson, Jr. le 1959-08-09) • d’une combinaison plus ou moins heureuse de ce qui précède – TRISTAN ET ISEUT, enregistrement 344,035 – ABC, demande 1311580 – THÉATRE DU MOULIN ROUGE…, demande 1528170 – LEVI STRAUSS, enregistrement 266,592 1311580 de Maurice Ohayon La marque de commerce est une marque à deux dimensions. Une vue partielle de trois profils de modèles de jeans attachés à une vue partielle de trois profils de torses humains. Le premier profil est identifié, au bas de celui-ci, par la lettre A, le second profil par la lettre B et le troisième profil par la lettre C. Le tout étant qu’une marque de commerce. La couleur est revendiquée comme une caractéristique de la marque de commerce. Les trois représentations de jeans sont BLEU CLAIR. Les lignes de contour des jeans sont BLEU FONCÉ (là où applicable). Le tracé du dos des mannequins est NOIR. Le tracé de l’abdomen des mannequins est ROUGE. La lettre A est MARRON. La lettre B est MAUVE. La lettre C est ORANGE. 344035 Boutique Tristan et Iseut 1528170 de Bal du Moulin Rouge (Henri de Toulouse Lautrec, 1864-1901) 266592 Levi Strauss 74 Les Cahiers de propriété intellectuelle et des marques traditionnelles, quoique surprenantes : • de l’apposition d’une couleur – BABY ANABELL BAG, enregistrement 635,563 – SEMELLE ROUGE, enregistrement 810,294 635563 de Zapt 1466797 de Louboutin La marque de commerce est composée de couleurs « bleu clair », « rose », « gris » et « blanc » dans la mesure où ces couleurs sont appliquées à la surface visible entière du sac montré dans les dessins. La marque de commerce est une combinaison de la couleur « bleu clair » appliquée au corps du sac montré dans le dessin, la couleur « blanc » appliquée aux représentations du mouton, à l’ovale au-dessus du sac à l’avant et à l’arrière, à la forme carrée au centre de l’avant du sac, à l’ovale dans le coin inférieur gauche de l’arrière du sac, aux formations nuageuses appliquées à toutes les surfaces du sac et aux mots ZAPF CREATION, la couleur « rose » appliquée aux bordures de tous les côtés du sac, à la surface supérieure de la languette qui s’étend en travers du haut du sac, au contour autour des représentations du mouton, au contour autour de toutes les formes ovales et carrées sur le sac, aux mots BABY ANNABELL et <http://www.zapfcreation.com> et au contour des mots ZAPF CREATION, aux points en embruns appliqués à diverses parties de tous les côtés du sac et au contour essentiellement rectangulaire à l’arrière du sac ayant des parties semi-circulaires découpées montrées dans les dessins, et la couleur « gris » appliquée au contour du mouton et les points en embruns appliqués à diverses parties de tous les côtés du sac. Les quatre dessins sont des perspectives de la marque. La marque de commerce consiste en la couleur rouge (Pantone* 181663TP) appliquée à toute la surface externe de la semelle de la chaussure telle que montrée dans le dessin (* Pantone est une marque de commerce enregistrée). Annoncée le 2011-07-06. Admise le 2011-10-21. • d’un positionnement Bon, tous connaissent les broderies sur les poches de jeans. Cela en est parfois « mélangeant » mais on finit par s’y retrouver ! Propriété intellectuelle dans les vêtements 75 621,446 Polo/Lauren 660,917 Reitmans 728,634 Calvin Klein 754,417 NYDJ 756,060 Sellmor (Foxy Jeans) 766,291 Sellmor 722,804 Sellmor 695,373 Sellmor 1,543,804 Sellmor 742,577 Inditex (Zara) 1,514,959 McCrane 588,009 Giorgio Armani 685,967 Dynamite 1,545,085 Paper Denim 1,545,085 Page denim 1,304,072 Abercrombie & Fitch (opposition de Levi Strauss) 706,112 Abercrombie & Fitch 680,637 Abercrombie & Fitch 706,303 Abercrombie & Fitch 706,113 Abercrombie & Fitch 76 Les Cahiers de propriété intellectuelle 788,163 Retail Royalty 688,638 Retail Royalty 688,638 Retail Royalty 786,495 Retail Royalty 1,379,477 Retail Royalty 301,631 H.D. Lee 217,830 H.D. Lee 679,969 denimXworks 679,224 Right-On Co 695,101 Right-On Co 698,976 Right-On Co 675,710 Right-On Co 675,711 Right-On Co 1,280,870 Right-On Co 758,072 Rallye 595,047 Aritzia 709,264 Tween Brands 709,093 Tween Brands 705,689 Tween Brands 715,470 Tween Brands Propriété intellectuelle dans les vêtements 77 1,465,787 Tribal Sportswear 1,466,840 Tribal Sportswear 1,492,730 Tribal Sportswear 1,493,036 Tribal Sportswear 1,466,859 Tribal Sportswear 1,493,492 Tribal Sportswear 1,498,091 Tribal Sportswear 698,832 Western Glove 1,505,375 Western Glove 703,051 Western Glove 1,505,374 Western Glove 517,787 Western Glove 266,223 Edwin 661,212 Edwin 1,392,613 Dylan George 1,392,614 Dylan George 517,605 Levi Strauss 39879 Levi Strauss 1,506,279 Levi Strauss 142,607 Levi Strauss 78 Les Cahiers de propriété intellectuelle 354,788 Levi Strauss 381,977 Levi Strauss 738,977 Levi Strauss 294,040 Basic/Kappa 802,709 Dizaro 802,711 Dizaro 802,715 Dizaro 802,714 Dizaro 469,127 Buffalo 785,399 Buffalo 698,822 Buffalo 714,713 Esprit 728,634 Calvin Klein (ceux qui sont attentifs et qui ont de bons yeux auront constaté que c’est un doublon) 640,212 Banana Republic 684,591 Parasuco 455,442 Parasuco 470,156 Majone 1,499,331 Wrangler (en opposition par Rossignol) 595,540 Fashion Box 455,292 BRI Propriété intellectuelle dans les vêtements 1,511,229 Jiangsu Able 478,537 Big project 1,265,096 Citizens of Humanity 79 702,095 Diesel Mais on peut aller au-delà : – A DOUBLE ARCUATE, enregistrement 398,79 – SLEEVE LINES, 1546656FLY LABEL, enregistrement 490,891 – LULULEMON WAVE DESIGN, enregistrement 728,845 – LUCKY YOU, enregistrement 484,728 (goût douteux) – 3-STRIPES JACKET, enregistrement 757,178 – TOE SMILE, enregistrement 611,997 – SOCK, enregistrement 319,504 – SOCK, enregistrement 348,038 – RED STRIP ON HEEL OF SHOE, enregistrement 696,140 – H CALEÇON, enregistrement 498,624 80 1546656 Lululemon Les Cahiers de propriété intellectuelle 490891 Worsburg 728945 Lululemon The trade-mark consists of a rectangle with two sets of diagonal lines 611997 Converse (TOE SMILE) The mark consists of a two-dimensional label consisting of a solid bar along the middle of the toe. UCA38492 Jockey An arbitrary threepronged figure applied to the front of underwear. 498624 Château Mfg. (Jockey) 757178 Adidas The mark consists of three parallel stripes running along the sleeve of a shirt, Tshirt, sweatshirt, jacket, or coat. 348038 McGregor 696140 Prada The trade-mark is a two-dimensional strip, the colour of which is red, applied to a shoe as shown in the drawing. Propriété intellectuelle dans les vêtements 81 Bottes 513802 de R. Griggs 1515193 de Kodiak The applicant claims the colours as features of the trade-mark, the colour BLACK for the upper ribbing of the outsole; the colour YELLOW for the welt stitching. The mark consists of horizontal ribbing located on the out sole and of a welt stiching. The representation of the outline of a boot shown in dotted lines does not form part of the mark but is included in the drawing to show the position of the mark The representation of the footwear in dotted lines does not form part of the trade-mark. The trade-mark consists of the word EXILE and the curves and loops design shown in black. 858230 de R. Griggs (abd) 328507 de Kodiak The trade-mark consists of a pull tab fastened at the topmost heel portion of the footwear article, two-tone horizontal ribbing located on the outsole, welt stitching and an undersole. The representation of the article of a boot shown in dotted lines does not form part of the trade-mark but is included in the drawing to show part of the position of the mark. The representation of the outline of the undersole shown in dotted lines does not form part of the mark but is included in the drawing to show part of the position of the mark. 82 Les Cahiers de propriété intellectuelle Braguette 738205 de Isaco The trade-mark is two-dimensional. The mark consists of open-fly jeans that includes a representation of denim. The stippling is a feature of the mark that indicates texture and does not represent colour. 484728 de Lucky Brand The design portion of the mark consists of a rectangular cloth label sewn and positioned vertically on the inside of the front fly of a pair of pants and two four leaf clovers. The broken lines in the drawing are not a part of the mark and no claim is made to them. [d’un goût douteux, on en conviendra !] 1514960 de McCrane The trade-mark consists of stitching in the form of a stylized letter J on the fly flap of a pair of pants. The features of the pants themselves do not form part of the trade-mark. 762470 de Selimor A stitched design of a triple bar-tack sewn at the fly of jeans, pants and shorts. The representation of the fly and jeans, pants or shorts shown in dotted outline does not form part of the trade mark. Chandail 714655 de Lance Colour is claimed as a feature of the trademark. The trade-mark is a two-dimensional band applied to the sleeve of a shirt, the colour of the band being yellow. 621814 de H-D Michigan The representation of the garment shown in dotted outline does not form part of the trade-mark. The trade-mark consists of a wide orange stripe outlined by two narrow stripes. The wide orange stripe has been lined for colour. Propriété intellectuelle dans les vêtements 83 531537 de Oshkosh B’Gosh 1467396 de Pence Love The mark consists of an inverted isosceles triangle having a base approximately equal to its altitude superimposed upon the darker background of the overall material itself at a point immediately below the apex formed at the juncture of the two suspender straps at the back of the overall. The representation of the wares shown in dotted outline does not form part of the trade mark. The mark consists of two sets of four horizontal and collinear red stitched lines applied to the bottom right corner of the particular t-shirt shown in the attached drawing. The representation of the t-shirt shown in dotted outline does not form part of the mark. 419663 (rad) de Nike Bauer Hockey 456415 de Adidas The representation of the shirts shown in the dotted outline does not form part of the trade-mark. 408960 de Joff 1542423 de Lululemon The trade mark consists of two parallel one half (1/2) inch stripes which are woven at an angle and incorporated into the inside left hand end of the collar; the representation of the wares shown does not form a part of the trade mark. The trade mark consists of three parallel bars applied to the front left-hand seam of the upper chest/shoulder area of a shirt, t-shirt, sweatshirt, sweater, tank top or jacket. The dotted outline of the garment and the inset view of the garment do not form part of the mark and are intended only to show the position of the mark. Color is not claimed as a feature of the mark. 84 Les Cahiers de propriété intellectuelle 737787 de HDOS The trade-mark consists of the adjacent vertical colour stripes in the following sequence beginning from the left: white, red, yellow, blue applied to the surface of the particular shirt shown in the drawing, and of the colour yellow applied to the surface of the sleeves of the particular shirt shown in the drawing. Chapeau 798013 de Tilley Durables (ref) 1506013 de Rhonda Bear The representation of the hat in dotted outline does not form part of the trade mark. The trade mark consists of four grommets and their relative size and placement in relation to the aplicant’s wares as shown in the above drawing. 1271096 de K&0 (abd) 1268638 de Caracer The mark consists of a flag design on bill of The trade-mark consists of a two-dimensional cap, the design being cross hatched in the design applied to the exterior of a helmet. above drawing to indicate a flag design. The three-dimensional object shown in dotted outline in the drawing does not form part of the trade-mark. Propriété intellectuelle dans les vêtements 85 Chaussette 1376622 de Flagship 1495276 de Thoneburg (abd) The mark consists of a line around the base of a sock, which begins in the heel area on one side of the foot, travels toward the toe area, turns to cross the toe area, and after crossing the toe area turns to continue around the other side to the heel area opposite the place at which it began. The matter shown by the dotted lines in not a part of the mark and serves only to show the position of the mark. The mark consists of a contrasting colored configuration located on the instep and arch areas of the overall sock representation, such contrasting colored configuration extending throughout the instep from the toe area to the top of the ankle area of the sock, and extending as a continuous band encircling the arch area; such configuration being outlined in the instep and arch areas by a first narrow contrasting colored band and a second wider contrasting colored band, and at the top of the ankle area by a single wide contrasting colored band; and having in the instep area two opposite lines of contrasting colored dashes in a symmetrical chevron pattern. The overall sock representation forms no part of the mark. The drawing represents four views of a sock bearing the mark. 1,226,591 de GAKM 319504 de Thoneburg The mark consists of three lines completely encircling the toe area of the sock and in a colour that differs from the background or principal colour of the sock. Colour is not claimed as a feature of this trade-mark, but the subject mark is not depicted in green. The mark consists of a contrasting shaded configuration located in the ball and undertoe areas, and in the heel and immediate adjacent high-splice and sole areas of the overall sock configuration. The representation of a sock forms no part of the mark. 86 Les Cahiers de propriété intellectuelle 794,696 de Sara Lee (ref) 348038 de McGregor The trade-mark consists of a red line located at the toe of a sock. 18622 de McGregor 1420175 de GAKM Representation of a sock having a smiling face The trade-mark consists of the colour GOLD portrayed thereon. applied to the whole visible surface of the toe of the particular sock shown in the drawing. Chemise 769715 de TN1 459128 de No Excess The trade-mark consists of the colour red as applied to the whole of the visible surface of the lower portion of a three dimensional button design as affixed to the penultimate position from the bottom of the shirt and at the penultimate position from the cuffs of the shirt. The drawing is lined for colour. The representation of the shirt shown in dotted outline does not form part of the trade-mark. The representation of the remaining buttons not lined for the colour red shown in dotted outline does not form part of the trade-mark. The trade-mark consists of a small rectangular shaped piece of material applied to or otherwise attached permanently to the exterior of a clothing shirt in a position as indicated in the attached drawing and described as follows: the tab of material is located on the button seam of the shirt approximately mid-way between the last and second to last buttons. The representation of the wares as shown in dotted outline does not form part of the trade-mark as applied for but is used to establish the relationship of the rectangular shaped piece of material with the actual clothing garment. Propriété intellectuelle dans les vêtements 87 1000612 de Natural Balance (abd) 352627 de Dylex The trade-mark consists of a small rectangular shaped piece of material applied to or otherwise attached permanently to the exterior of a clothing shirt in a position as indicated in the attached drawing and described as follows: the rectangular shaped piece of material is vertically located approximately one-quarter of the way from the top of the shoulder of the shirt, and horizontally is set mid-way in the garment. The trade-mark also consists of the lower edge of the shirt collar displayed in a wide “v” shape with a small button in the middle of the “v”. The representation of the wares as shown in dotted outline does not form part of the trade-mark as applied for but is used to establish the relationship of the piece of materials with the actual clothing garment. The mark is applied to the inside collar of a shirt and consists of a row of stitching in kelly green in the form of two arcs; the applicant is claiming the colour kelly green as a feature of the mark. Étiquettes 488554 de Buffalo 625362 de Buffalo The trade-mark consists of a half-circle shape tab with the word BUFFALO written onto. The trade-mark is two-dimensional and consists of a label applied to the wares shown in the attached drawing. The object shown in dotted outline does not form part of the mark but merely shows the position of the mark on the wares 88 Les Cahiers de propriété intellectuelle 456522 de Guess ? The colour red is a claimed feature of the trade-mark. The representation of the neckline of a shirt, shown in dashed outline, does not form part of the mark. 773459 de R. Griggs (abd) The mark consists of a pull tab fastened at the topmost heel portion of the footwear article. The representation of the outline of a boot shown in dotted lines does not form part of the mark is included in the drawing to show the position of the mark. The applicant claims the colours as features of the trade-mark, i.e.: the colour black for the pull tab Gants 399600 de Kinco (rad) The trade-mark consists of a wave-like design; the representation of the wares shown in dotted outline does not form part of the trade-mark. 721878 de Ranka (abd) The trade mark is a small marker or tab, one side of which is affixed permanently to one side of the cuff portion of a glove, the marker or tab projecting visibly outwardly from the glove. The representation of the wares does not form part of the trade mark. 707044 de Kinco The trade-mark consists of the colours grey, red and violet applied to the visible surface of a glove in the particular orientation as illustrated in the drawing. The drawing is lined for the colours grey, red and violet. 643057 de Superior Glove The trade-mark consists of a stripe of contrasting fabric appearing on the lateral side of a glove shown in dotted outline. The representation of the glove is merely for illustration purposes to show the position of the stripe on the glove and does not form part of the trade-mark. Propriété intellectuelle dans les vêtements 268960 de Isotoner 423695 de Autin Glove (rad) 89 416659 de C.B.M. (rad) 296361 de CCM Motif 707999 de Fendi 455587 de Louis Vuitton (motif épi) The trademark is bidimensional, and is constituted of the following elements in a square: lines of duets of black “F”, each duet being composed of two “F” (one the right way up, the other upside down) on a tobacco brown background. The protection is only claimed for the combination of the above-mentioned elements in the mark, to the exclusion of any relief or texture. La requérante revendique les couleurs comme caractéristiques de la marque, soit : la marque est constituée d’un ensemble composé de lignes irrégulières et d’un double ton de couleur jaune produisant un effet de relief. La représentation graphique est une vue de dessus en direction oblique. 303605 de Céline 668459 de S Tous 90 Les Cahiers de propriété intellectuelle Motif – Tartan 611569 de Burberry 795292 Eddie Bauer Colour is claimed as a feature of the trademark. The colours red, blue, yellow, white, hunter green, khaki, hunting orange and navy are claimed as a feature of the mark. The mark consists of a plaid design with the colours red, blue, yellow, white, hunter green, khaki, hunting orange and navy. 731496 de Tommy Hilfiger 523043 de Aquascutum Colour is claimed as a feature of the trademark. The applicant claims the colours red, white, blue and black as features of the mark. The dark squares in the four corners of the drawing are comprised of blue smaller squares in the centre which are outlined by a black frame. The squares in between the dark corner squares are made up primarily of alternating blue and white diagonal lines. The middle square is predominantly white. There are pairs of intersecting lines in the center of the design consisting of alternating blue and white diagonal lines which change to solid blue when they exit the predominantly white centre square. There are predominantly red lines made up of alternating red and white lines on the diagonal outlining the central white portion of the mark. They change to red and blue diagonal lines when they pass the predominantly white centre square. Colour is claimed as a feature of the trademark. The pattern comprises repeating large squares, each large square having four horizontal bands of four smaller squares. The top horizontal band in the large square has the four smaller squares in the following colours: the first one is dark blue on light blue, the next is dark blue on beige, the next is dark blue on light brown, and the last is dark blue on beige. The second and fourth horizontal bands have four small squares in the following colours: light blue, beige, light brown and beige. The third horizontal band has four small squares in the following colours: dark brown on light blue, dark brown on beige, dark brown on light brown, and dark brown on beige. Propriété intellectuelle dans les vêtements 91 Pantalon 757203 de Adidas 523422 de Coalision The mark consists of three parallel equally spaced stripes applied to a trouser or short, the stripes running along one third or more of the side of the trouser or short, as illustrated on the form of the application. The dotted outline of the garment is not claimed as part of the mark and is intended only to show the position of the mark. Partie de la marque, elle est incluse seulement pour démontrer l’emplacement de la marque de commerce qui est une ligne de point de couture représentée sous la forme d’une ligne pleine. Les lignes pointillées ne font pas partie de la marque. 1529404 de Lululemon 301631 de H.D. Lee The representation of the garment in dotted The trade mark consists of a double line of outline does not form part of the trade-mark. stitching in the form of an ogive curve across each of adjacent pockets. The outline of the pocket, and the outline of the garment, do not form part of the trade mark. 1545478 de RCRV The trade mark consists of the stitching design as applied to the waist to thigh portion of each pant leg shown in the attached drawing. The representation of the pant leg shown by the dotted outline does not form part of the trade mark. 92 Les Cahiers de propriété intellectuelle Poche 802714 de Dizaro 577449 de Guess ? The mark consists of a red stylized letter “G” positioned on the side seam of a pocket. The dotted outline of the pocket does not form part of the mark. 1481352 de GWG 1492730 de Tribal Sportswear The trade-mark is two-dimensional and consists of a stitched rectangle centered near the top of the right back pocket of the garment. The representation of the pockets shown in dotted outlines does not form part of the trade-mark, but merely shows the position of the mark. The trade-mark consists of stitching designs as applied to pockets. The representation of the pockets shown in solid lines does not form part of the trade-mark, but merely shows the position of the mark. Sac 186434 de Adidas 1493061 de Timbuk2 The trade mark consists of three stripes of any colour applied to the article at an angle to the vertical and horizontal and located on the article substantially to one side thereof. The mark consists of three vertical panels of varying colours, together spanning the width of the product. The object shown in dotted outline does not form a feature of the mark and is used to indicate the placement of the mark. The solid lines indicate the mark being claimed. Propriété intellectuelle dans les vêtements 1446150 de Kenneth Cole 93 407991 de Louis Vuitton (rad) The trade-mark consists of two two-dimen- La décor floral et les lettres sont en jaune sur sional circles, which do not perform func- un fond marron foncé. tional purposes, as applied to a three-dimensional object. The three-dimensional object shown in dotted lines does not form part of the trade-mark. The drawing depicts two (2) perspectives of the same trade-mark. 714198 de S.A.S. Jean Cassegrain 529821 de Jeanne Lottie’s The trade-mark consists of the colour brown The trade-mark is comprised of a three-diapplied to the whole of the visible surface of mensional tag with front, back and underside the closing flap, handles and zipper tabs of as depicted. the particular handbag shown in the drawing in three different perspectives of the same mark. These perspectives include a front view, rear view and top view of the handbag. Semelle 616311 de Lloyd 684774 de Aerogroup Colour is claimed as a feature of the trademark. The trade-mark is comprised of a continuous and horizontal red strip in the heel of a shoe. The trade-mark comprises a pattern defined by a repeating series of diamond or rhombishaped elements arranged sequentially and adjacent to one another, applied to the bottom surface of the sole portion of a shoe, as shown in the drawing. 94 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1519968 de Converse 456499 de Vans 701806 de Walsh 479488 de C&J Clark The trade-mark consists of the colour black applied to the whole of the visible surface of the particular shoe sole shown in the drawing. The dotted lines shown across and lengthwise represent a chevron patterning on the shoe sole itself, the tip and heel of the sole are stippled to indicate that the chevron pattern does not extend to these portions of the sole. Soulier 1445156 de Kenneth Cole 161856 de Adidas The trade-mark consists of a two-dimensional circle, which does not perform functional purposes, as applied to the three-dimensional object. The three-dimensional object shown in dotted lines does not form part of the trade-mark The trade mark consists of three substantially parallel stripes of any colour applied to the footwear in such a position as to extend substantially diagonally from the lacing to the bottom of the shoe on both sides at a point near the mid-point from front to back thereof. Propriété intellectuelle dans les vêtements 95 264673 de Puma 428850 de Reebok The trade mark consists of an elongated stripe of any colour either contrasting with or identical to the colour of the background on which it appears, which elongated stripe appears on the side of the wares. The dotted stylized outline of an article of footwear does not form part of the trade mark, but is included in the drawing to illustrate the configuration of the mark as it is actually used in association with the wares. The trade-mark is characterized by the affixing of a three-dimensional convex semisphere on the upper part of the tongue, without regard to surface material, texture, words or designs on the surface; the representation of the shoe shown in dotted outline does not form part of the trade-mark. 462218 de Calenda 1483831 de Canadance La représentation d’une chaussure ne fait pas partie de la marque ; la marque consiste en une région dénudée sur l’avant d’une chaussure faisant voir une surface brillante sousjacente. Colour is claimed as a feature of the trademark. The image that is applied to the visible surface of the quarter of the shoe is red. The three-dimensional object shown in dotted lines does not form part of the mark. The trade-mark consists of the color red, in a twodimensional image which does not perform functional purposes, applies to the visible surface of the quarter of a shoe. The Maple leaf in the drawing does not form part of the mark but rather shows an example of the mark wherein the image defines a Maple leaf. 96 Les Cahiers de propriété intellectuelle 264140 de Famolare (rad) 715782 de Keds (abd) The trade mark consists of a nameplate shown in solid lines in the attached drawing. The dotted outline of a shoe does not form part of the trade mark. 450783 de Fila 356449 de Saucony 1499994 de Vans 349356 de Reebok • d’une photo (d’un modèle, professionnel ou non, ou d’une vedette, actuelle ou has been) > JOBST MEDICAL LEGWEAR, enregistrement 516,137 > CASBAH, enregistrement 174,033 > JACQUES VILLENEUVE, enregistrement 524,855 > MICHAEL SCHUMACHER, enregistrement 637,501 Propriété intellectuelle dans les vêtements 516137 BSN Medical 174033 Avalon 97 524855 Villeneuve 637501 Schumacher • caricature ou représentation stylisée – DANNY JAMES, enregistrement 772,083 – ROLLAND Hi Ha TREMBLAY, enregistrement 393,410 – AYKROYD-BELUSHI, demande 1,400,486 – AUTHENTIC HENDRIX, demande 1,291,176 772083 Dan Bauman 393410 Barette 1400486 Aykroyd Belushi « The Blue Brothers » 1291176 Experience Hendrix • marque téléphonique (séquence numérique, complète ou partielle) ou vanité – 967-1111 – -3030 – 98-ROBIC – 800-FLOWERS 98 Les Cahiers de propriété intellectuelle • marque architecturale – façade ABERCROMBIE, enregistrement 771,681 – façade BOBOLI, enregistrement 323,367 – entrée BUILD-A-BEAR, enregistrement 617,964 – décoration intérieure d’ABERCROMBIE, 1,530,377 771681 Abercrombie 323367 Boboli 617964 Build-A-Bear 1530377 Abercrombie & Fitch The trade-mark is three-dimensional. The mark consists of a mounted Moose head centered in a rectangular enclave above and behind the cash wrap counter. The broken lines are intended to show placement of the trade-mark and are not a part of the trade-mark. 3.3 Les formes Une marque peut également consister d’une forme. Une marque de commerce est principalement perçue comme bidimensionnelle. Rien n’empêche toutefois qu’elle puisse être tridimensionnelle. La loi prévoit qu’une marque de commerce comprend également un signe distinctif (distinguishing guise), savoir : • le façonnement de marchandises – BIRDCAGE, enregistrement 712,883 – BOW-TIE DESIGN, demande 1,394,756 Propriété intellectuelle dans les vêtements 99 – SQUITO, demande 1,528,324 – MANTRA, demande 1,431,769 – ELEVEN COAT, enregistrement 458,774 – SAC BIRKIN, demande 1,414,879 – SAC KELLY, enregistrement 696,581 – SEMELLE ROYER, demande 1,384,839 – SAC AMERIBAG, enregistrement 777,017 – BOTTE LUNAR, enregistrement 340648 712883 Winsdsford (birdcage) 1394756 Cotton Babies 1528324 Squito 1431769 Canada Goose 1414879 Hermès (sac Birkin) 777017 de AmeriBag « dessin que forment deux extrémités d’une couche lorsque repliées » 458774 Eleven Floor 696581 de Hermès (sac Kelly) 100 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1384839 Royer 340648 de Régence • le façonnement de contenants – CONTENEUR, enregistrement 459,181 • le mode d’envelopper des marchandises – SACHET DIM, enregistrement 385,046 • le mode d’empaqueter des marchandises – EGG CARTON (COLLAR), enregistrement 463,514 – SACHET DIM (2), enregistrement 348,247 – BOÎTE À T-SHIRT, 1273461 348246 Dim 463514 de Hanes/Sara Lee/ HBI (L’Eggs) 385046 Dim 459181 Daher 1274361 de Mountain Certaines marques tridimensionnelles, parce qu’elles ne forment pas partie intégrante d’une marchandise ou de son contenant, ne seront pas considérées comme des signes distinctifs mais comme des marques de commerce « ordinaires ». Cela peut être avantageux dans la mesure où pour obtenir l’enregistrement d’un signe Propriété intellectuelle dans les vêtements 101 distinctif il faut prouver des ventes très importantes au Canada. [La preuve se fait par affidavit, est stricte et, surtout, accessible à la concurrence…] La différence entre la marque tridimensionnelle et le signe distinctif peut être illustrée par la calandre et l’emblème de garniture sur le capot. Le premier est une partie essentielle sans laquelle le véhicule n’est pas complet alors que l’autre n’est qu’une décoration qui n’empêche pas le véhicule de fonctionner (à preuve toutes ces voitures dont on a piqué l’emblème et qui roulent toujours !) – Un agencement de fermetures à glissières – Une étiquette en cuir avec le mot MACKAGE, rivetée à l’intérieur du col d’une veste, enregistrement 800074 – Trois filaments qui dépassent d’une surpiqûre en forme d’étoile « MIKOSA SHOOTING SAR », enregistrement 712345 – Un cœur tridimensionnel retenu par une double lanière à l’extérieur d’un sac à main, enregistrement 671534 (de Brighton) – Un tire-languette en forme de crâne pour une fermeture à glissière d’un bottillon – Une pastille servant d’étiquette, 1,508,161. – Le fermoir ou serrures VUITTON, non pas seuls mais sur un sac, demande 1202045. Varia 721707 de Seattle Pacific 1508161 de Echo Design The mark consists of the wording UNION on the lower right side of a circular button. The button also has multiple threads attached to a small off-centered hole. The trademark consists of a three dimensional configuration of a disc with a stylized lower case “e” embossed on one side used as a hangtag for the goods. 102 Les Cahiers de propriété intellectuelle 712345 de 1148 Company 671534 de Brighton The trade-mark consists of a three-dimensional configuration of a heart-shaped design and a strap which appear on the side of a handbag which is depicted in dotted-outline form and is not part of the mark but appears in the drawing to show the location of the mark. 1003970 de Carhart (abd) 1,147,291 de Veneto (abd) The mark consists of the semi-heart shaped design of a suspender button by which the suspender of a bib overall is fastened to the torso of the overall bibs. The Trade Mark consists of a three-dimensional tag with front and back as depicted, used only with the word VENETO printed thereon. 797948 de Mackage 750372 de H&M The trade mark is a tab as shown in the attached drawing, permanently inserted at the center back collar inseam of the outerwear jackets, coats, trench coats, parkas, cloaks, ponchos and blazers and in the inseam of the other wares, and held at the bottom by the rivet. The dotted line indicates the location of the rivet which does not form part of the trade mark Propriété intellectuelle dans les vêtements 664747 de Parasuco 103 753577 de Sellmor (les rivets de) The trade-mark consists of three metal studs applied to the particular positioning inside the square stitching as shown in the drawing. 638677 de Jack Spratt (rad) 640360 de Superior Glove The trade-mark consists of a belt loop having The trade-mark is a three-dimensional mark a band of contrasting colour. The outline of and consists of a cut-out design applied to the the goods does not form part of the trade- back of a glove (not shown). mark. 473694 de WWRD The trade mark consists of a repeated pattern of two groups of roses applied to the edge of the article as illustrated in the drawings. The number of groups in the repeated pattern will vary in accordance with the article to which it is applied. 1190402 de Louis Vuitton (abd) 104 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1544859 de Tiffany The mark consists of a three-dimensional rivet with a concentric circle in its center. The stylized words ‘TIFFANY & CO.’ are engraved clockwise around the annulus of the rivet. The gray tones are for shading purposes only. Color is not claimed as a feature of the mark. 3.4 Qu’est-ce qui n’est pas une marque La caractéristique essentielle d’une marque n’est pas qu’elle soit visuellement ou phonétiquement agréable ou qu’elle soit originale mais qu’elle distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée ou qui est adaptée à les distinguer (source, origine). Dès lors, ne pourra atteindre ce but une marque qui ne serait que • un élément qui n’aurait qu’une fonction utilitaire – par exemple, une couture de couleur au bout d’une chaussette relèvera plus d’un mode de construction de la chaussette que d’une marque ou encore comme une ornementation mineure de cette couture – une serrure sur un sac à main – un point de faufilage ou un point arrière (par opposition à un point de fantaisie ou un surpiquage), une piqûre (stitching) destinés uniquement à tenir 2 morceaux de vêtements ou constituant uniquement le mode même de couture – une bande de couleurs qui indiquerait où déchirer un emballage de cellophane dans lequel serait un vêtement. Propriété intellectuelle dans les vêtements 105 • un élément qui n’aurait qu’une fonction ornementale – des fleurs sur une robe [mais peut alors être protégé par droit d’auteur ou dessin industriel] – des bandes parallèles sur un short (oui, oui, l’enregistrement des 3 bandes d’Adidas pour des vêtements a déjà été radié comme n’ayant qu’une fonction décorative mais c’était en 1978 [Addidas (Canada) Ltd. c. Colins Inc. 38 C.P.R. (2d) 145 (C.F.P.I. ; 1978-01-18)) – une surpiqûre ou une broderie à moins qu’elle ne soit utilisée pour distinguer (attention, il peut y avoir également une protection par droit d’auteur ou dessin industriel). • une appellation commune à une industrie – bord-à-bord (edge-to-edge) – sur-mesure (custom made) – grimace (pucker) pour un faux-pli – empire pour une robe puisque c’est un style – cintré (fitted) – ligne A ou A-line pour une robe ou une jupe ajustée aux hanches et s’élargissant jusqu’à l’ourlet, ce qui donne une forme de A (créée par Christian Dior et popularisée par Yves Saint Laurent) – robe parapluie… • un grade de qualité – XXXL ou XS – petite • un terme descriptif du produit (ou d’une qualité essentielle de celui-ci) – « undiz » pour des sous-vêtements – « tout chaud » pour des manteaux (y compris les variantes « to show », « tou cho » et « too chaud ») 106 Les Cahiers de propriété intellectuelle Le sujet est complexe et a fait l’objet de beaucoup d’articles, notamment aux États-Unis. De la jurisprudence canadienne, l’on peut néanmoins tirer : • que ce qui est uniquement décoratif ne saurait constituer une marque de commerce enregistrable [ce qui n’empêchera pas une marque esthétiquement agréable d’être enregistrable] ; • que ce qui est uniquement fonctionnel ne saurait constituer une marque de commerce enregistrable [ce qui n’empêchera pas une marque dont l’utilité est secondaire d’être enregistrable] ; • que si la caractéristique résulte uniquement du processus de fabrication, la marque de commerce n’est pas enregistrable ; • que si la caractéristique n’est pas uniquement décorative ou utilitaire (donc secondaire), la marque est enregistrable ; • que le caractère fonctionnel (esthétique ou utilitaire) doit se rapporter à la marque elle-même et non à son support. 3.5 Des droits qui naissent de l’emploi Il n’est pas requis qu’une marque soit enregistrée pour être protégée et c’est de l’emploi du signe, à titre de marque de commerce, que naîtront des droits exclusifs. Il demeure possible d’enregistrer une marque de commerce, ce qui permet de bénéficier de certains droits exclusifs et d’avantages procéduraux ; c’est aussi une façon d’asseoir son programme de licensing et de droits dérivés. L’enregistrement d’une marque de commerce donne le droit à l’emploi exclusif au Canada de cette marque pour les marchandises ou services visés par l’enregistrement de même que le droit de réprimer l’emploi d’une marque de commerce qui serait de nature à créer de la confusion ou à dévaluer l’achalandage d’une marque de commerce enregistrée. Sauf pour les marques de commerce enregistrées à titre de signes distinctifs, la protection vise l’identification du produit plutôt que le produit lui-même. Propriété intellectuelle dans les vêtements 107 3.6 Ce qui est enregistrable En principe, tous les signes sont enregistrables, sauf… [Et le temps pressant, on sautera par dessus le « sauf », sauf pour préciser qu’il y a souvent « moyen de moyenner » sur cette question car autrement aucun designer ne pourrait enregistrer son nom comme marque de commerce.] La loi pose que certains signes ne peuvent pas être enregistrés, par exemple, un patronyme. Si tel était le cas, en absolu, aucun designer ne pourrait enregistrer sa marque de commerce. Nuançons. La loi prohibe l’enregistrement d’une marque qui n’est qu’un nom de famille. Si la marque est accompagnée d’éléments distinctifs ou encore si la marque a d’autres significations qu’uniquement celle d’un nom de famille (par exemple, deux prénoms ou un nom commun) ou encore que ce nom de famille n’est pas très connu, la marque sera enregistrable. Si ce n’est pas le cas, un patronyme pourra quand même être enregistré à titre de marque de commerce pourvu qu’il soit démontré que par des ventes importantes la marque est devenue distinctive. Une marque qui est le nom du produit dans une autre langue ou qui donne, en français ou en anglais, une description claire ou une description fausse ou trompeuse d’une caractéristique intrinsèque du produit, de son lieu d’origine ou de ses artisans ne sera pas à prime abord enregistrable. Et, bien sûr, ne sera pas enregistrable une marque de commerce qui crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un nom commercial. D’où l’importance de recherches préalables pour s’éviter des surprises ! Le maître-mot, en tous les cas, demeurera de sélectionner ce qui peut distinguer les marchandises et présenter le signe à titre de marque de commerce et non comme un descriptif ou un enjolivement. À cet égard, un marquage approprié est de nature à diminuer un impact négatif. 3.7 Propriétaire C’est celui qui utilise une marque à titre de propriétaire (par opposition à un agent ou distributeur) qui est le propriétaire de la marque. Il peut y avoir violation d’une marque, qu’elle soit enre- 108 Les Cahiers de propriété intellectuelle gistrée ou non ; par contre si une marque est enregistrée mais non employée, elle sera vulnérable à une demande de radiation. 4. Loi sur les brevets (L.R.C. 1985, c. P-4) En résumé – In a nutshell • Vise les inventions, c’est-à-dire une idée couplée à la façon de la mettre en œuvre. • Nécessite 3 critères : nouveauté, utilité et activité inventive. • Enregistrement obligatoire. • Durée de protection limitée à 20 ans à partir du dépôt. • Taxes entre 950 $ et 1950 $ + une taxe de maintien de 50 $ à 650 $ par année. La forme d’un objet de la mode ou la disposition d’un dessin peut être conditionnée par sa fonction, par son but utilitaire. Dans ce cas, les règles en matière d’invention et de brevets s’appliquent aux innovations techniques. On pourra discourir longtemps sur le sujet en indiquant qu’il offre sans doute le meilleur régime de protection mais sans doute le plus coûteux. Il vise entre autres les matériaux, les systèmes d’attache et autres améliorations dans le domaine de la mode de même que des procédés de fabrication. Certaines idées farfelues peuvent faire l’objet de brevets (on dépassera cependant le stade de Jacques Carelman, Catalogue d’objets introuvables (Paris : Balland/Livre de poche, 1969), modernisé à <http://impossibleobjects.com/> ; ou des amusements qui pullulent sur la toile, tel <http://video.answers.com/strange-clothinginventions-516912691>). La simple idée d’une robe faite d’un matériau inhabituel tels condoms, papier annuaires téléphoniques, vaisselle, bulles de plastique (Lady Gaga, en mars 2009 dans son Fame Ball Tour), bandes de caoutchouc, capteurs de luminosité, rubans adhésifs, ballons, aliments (viande comme la robe de Lady Gaga – encore – créée par Propriété intellectuelle dans les vêtements 109 Franc Fernandez pour le 2010 MTV Music Awards), fermetures à glissière, ou une robe à colorier, comme telle, ne sera pas protégeable. Et le succès commercial n’est pas non plus un préalable : Autant illustrer par divers exemples (encore une fois non exhaustifs) tirés du registre canadien des brevets. CA 1299321 SHORTS OU JUPES AVEC COMBINAISON INTÉGRÉE Abrégé : An article of clothing, namely a pair of shorts or a short skirt comprises a first body portion and a second body portion to be worn as an outer member and as an inner member of slip, respectively, and a waistband portion connecting the first and second portions. The first body portion, second body portion and waistband portion comprise s one-piece knitted tube with the waistband portion disposed between and connecting the first and second body portions. The second body portion has a front portion and a rear portion and is adapted to be folded inwardly into the first body portion along the waistband portion, thereby providing a slip or liner within the first body portion when worn by the wearer. Articles of clothing according to the invention present inner slips as holders for absorbent insert pads worn by incontinent adults and effectively conceal such incontinence aids more completely than prior known such garments. Moreover, the manner of construction permits on advantageously economical continuous manufacturing process in which individual garments are produced simply by the separation of pairs from one another and a subsequent folding process. CA 2260056 PROCÉDÉ ET APPAREIL POUR FORMER, EMBALLER ET VENDRE DES VÊTEMENTS Abrégé : Pour vendre des vêtements, on leur confère tout d’abord une forme compacte, puis on les insère dans un récipient. Ce vêtement et son récipient sont ensuite vendus à partir d’un distributeur de boissons classique. CA 2508986 MÉTHODE DE CRÉATION D’IMAGES CORPORELLES Abrégé : A method of creating an image on the body. In particular, a novel method of creating a tanned image or text on the body using an article of clothing for a mask. 110 Les Cahiers de propriété intellectuelle CA 2085429 SYSTÈME DE CARACTÈRES INTERCHANGEABLES POUR LES VÊTEMENTS Abrégé : Les noms des joueurs sur les chandails sportifs sont habituellement cousus ou collés. Ces procédés présentent des inconvénients lorsqu’on veut changer les noms des joueurs. En effet, un certain temps est nécessaire pour cette opération et de plus, il y a un risque d’endommager les chandails. Dans la présente invention, un nouveau procédé offre la possibilité de changer le nom d’un joueur sur un chandail de façon rapide, simple et efficace. Cet élément est particulièrement avantageux lorsqu’un chandail peut être utilisé par différentes personnes. Le nouveau procédé consiste à coudre une bande de matière plastique transparente sur le chandail de façon à former des cases pouvant recevoir des lettres pour former le nom. Ainsi, le nom peut être remplacé à volonté en substituant de nouvelles lettres dans les cases. CA 1083753 CHAUSSETTES INCORPORANT UNE PIÈCE FLEXIBLE SERVANT À LES APPARIER Abstract of the disclosure: A pair of socks is held together from the time it is removed for laundering, during washing, and, later, by means of a flexible patch secured to each sock, the patches of a pair adhering to each other when pressed together. A manual pull will separate the socks for use. Flexible hookand-pile patches are presently preferred inasmuch as their flexibility avoids stretching and tearing the socks during washing. The hook patches are prevented from catching on the trousers or other clothes of the wearer by closing an integral or attached patch of pile to cover these hook patches, and the patches are opened up for additional bonding area with matching hookand-pile patches on the other sock. Bref, deux morceaux d’adhésifs (Velcro®, par exemple) qui fera en sorte qu’au sortir de la sécheuse, il n’y aura plus de chaussettes orphelines.] CONCLUSION Et pour conclure bon ton, une citation : Une mode a à peine détruit une autre mode, qu’elle est abolie par une plus nouvelle, qui cède elle-même à celle qui la suit, et qui ne sera pas la dernière. – Jean de LA BRUYÈRE, Les caractères de La Bruyère (Vienne : de Schraembl, 1849), tome 2, à la page 191. Vol. 24, nº 1 Mémoire de l’Union des consommateurs sur le projet de loi C-11* 1. MESURES TECHNIQUES DE PROTECTION . . . . . . . 114 Proposition d’amendement . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 2. NOUVELLES EXCEPTIONS AU DROIT D’AUTEUR AU BÉNÉFICE DES UTILISATEURS . . . . . . . . . . . 126 a) « Contenu non commercial généré par l’utilisateur » . . 126 Proposition d’amendement . . . . . . . . . . . . . . . 129 b) Reproduction à des fins privées. . . . . . . . . . . . . 130 c) Risques de poursuite contre le Canada. . . . . . . . . 133 Proposition d’amendement . . . . . . . . . . . . . . . 135 d) Fixation d’un signal et enregistrement d’une émission pour écoute ou visionnement en différé . . . 136 e) Copies de sauvegarde . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136 Proposition d’amendement . . . . . . . . . . . . . . . 139 © Union des consommateurs, 2012. * Anthony Hémond, avocat, alors analyste politiques et réglementation en matière de télécommunications, radiodiffusion, inforoute, vie privée pour la recherche et rédaction, sous la direction de Me Marcel Boucher, responsable des affaires juridiques et de la recherche. Mémoire présenté le 31 octobre 2011. L’usage du masculin, dans ce rapport, a valeur d’épicène. 111 112 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3. RESPONSABILISATION DES FOURNISSEURS DE SERVICE INTERNET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140 4. RESPONSABILITÉ DES FOURNISSEURS DE SERVICE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 Union des consommateurs est un organisme à but non lucratif qui regroupe plusieurs Associations coopératives d’économie familiale (ACEF), l’Association des consommateurs pour la qualité dans la construction (ACQC) ainsi que des membres individuels. La mission d’Union des consommateurs est de représenter et défendre les droits des consommateurs, en prenant en compte de façon particulière les intérêts des ménages à revenu modeste. Les interventions d’Union des consommateurs s’articulent autour des valeurs chères à ses membres : la solidarité, l’équité et la justice sociale, ainsi que l’amélioration des conditions de vie des consommateurs aux plans économique, social, politique et environnemental. La structure d’Union des consommateurs lui permet de maintenir une vision large des enjeux de consommation tout en développant une expertise pointue dans certains secteurs d’intervention, notamment par ses travaux de recherche sur les nouvelles problématiques auxquelles les consommateurs doivent faire face ; ses actions, de portée nationale, sont alimentées et légitimées par le travail terrain et l’enracinement des associations membres dans leur communauté. Union des consommateurs agit principalement sur la scène nationale, en représentant les intérêts des consommateurs auprès de diverses instances politiques, réglementaires ou judiciaires et sur la place publique. Parmi ses dossiers privilégiés de recherche, d’action et de représentation, mentionnons le budget familial et l’endettement, l’énergie, les questions liées à la téléphonie, la radiodiffusion, la télédistribution et l’inforoute, la santé, l’alimentation et les biotechnologies, les produits et services financiers, les pratiques commerciales, ainsi que les politiques sociales et fiscales. Finalement, dans le contexte de la globalisation des marchés, Union des consommateurs travaille en collaboration avec plusieurs groupes de consommateurs du Canada anglais et de l’étranger. Elle est membre de l’Organisation internationale des consommateurs (CI), organisme reconnu notamment par les Nations Unies. 113 114 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1. MESURES TECHNIQUES DE PROTECTION L’article 47 du projet de loi C-11 propose l’ajout à la Loi sur le droit d’auteur d’un nouvel article 41, intitulé « Mesures techniques de protection et information sur le régime des droits ». Les mesures techniques de protection y sont définies comme : Toute technologie ou tout dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement : a) soit contrôle efficacement l’accès à une œuvre, à une prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore ou à un enregistrement sonore et est autorisé par le titulaire du droit d’auteur ; b) soit restreint efficacement l’accomplissement, à l’égard d’une œuvre, d’une prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore ou d’un enregistrement sonore, d’un acte visé aux articles 3, 15 ou 18 ou pour lequel l’article 19 prévoit le versement d’une rémunération.1 Le même article du projet de loi interdit le contournement de ces mesures techniques de protection (article 41.1(2) de la Loi sur le droit d’auteur), et permet aux titulaires de droit de poursuivre tout contrevenant. Cette interdiction du contournement des mesures techniques de protection limite par ailleurs l’exercice par les utilisateurs des droits que leur confèrent les nouvelles exceptions introduites au projet de loi, comme le droit à la reproduction à des fins privées ou encore à l’enregistrement pour visionnement différé. On ne peut que déplorer l’inclusion, dans la définition des mesures techniques, des technologies qui contrôlent l’accès à une œuvre. Les mesures techniques protégées vont de ce fait bien au-delà de ce que les Traités de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) prévoyaient. En effet, l’article 11 du Traité OMPI sur le droit d’auteur (WCT), intitulé « obligations relatives aux mesures techniques », se lit comme suit2 : 1. Projet de loi C-11, article 47 du, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublica tions/Publication.aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011). 2. L’article 18 du Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT) contient une disposition similaire à celle de l’article 11 WCT. Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes. Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes [en ligne] <http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/wppt/trtdocs_wo034.html> (page consultée le 13 janvier 2011). Mémoire sur le projet de loi C-11 115 Les Parties contractantes doivent prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en œuvre par les auteurs dans le cadre de l’exercice de leurs droits en vertu du présent traité ou de la Convention de Berne et qui restreignent l’accomplissement, à l’égard de leurs œuvres, d’actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs concernés ou permis par la loi.3 En établissant une protection juridique pour les mesures techniques de protection qui contrôlent l’accès aux œuvres, l’article 41 va au-delà de la simple protection des droits dont disposent les auteurs, en permettant aux auteurs et aux titulaires de droit de limiter, par le biais de mesures techniques, les droits que la Loi confère aux utilisateurs. En effet, les droits conférés à l’auteur, droits à la sauvegarde desquels devraient contribuer les mesures de protection dont traitent les Traités OMPI, se retrouvent tous édictés à l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur ; à aucun moment le droit de contrôler l’accès à l’œuvre n’est identifié comme étant un droit conféré à l’auteur. Les seules références dans la Loi sur le droit d’auteur à un droit d’accès dont disposerait l’auteur se retrouvent aux articles 30.8 et 30.9, qui traitent des enregistrements éphémères et du droit des auteurs d’avoir accès aux registres des entreprises. Comme le fait justement remarquer Thomas Heide, ni les Traités OMPI, ni la convention de Berne ne confèrent à l’auteur un tel droit d’accès, pas plus qu’un droit d’intervenir sur les droits d’accès conférés aux utilisateurs4. L’accès à l’œuvre est le droit qu’exerce l’utilisateur suite, par exemple, à l’exercice par les artistes interprètes et les producteurs d’enregistrement sonore de leur droit de mise à disposition, droit de mise à disposition qui n’est lui-même qu’une composante du droit de communication au public5. Ainsi, « l’artiste interprète a un droit d’auteur qui comporte le droit exclusif, à l’égard de sa prestation ou 3. Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (WCT), article 11 [en ligne] <http://www. wipo.int/treaties/fr/ip/wct/trtdocs_wo033.html> (page consultée le 13 janvier 2011). 4. HEIDE Thomas, « Copyright in the E.U. and United States: What “Access Right”? » (2001) E.I.P.R. 469, 470. « Does copyright provide a “right against the gaining of unauthorised access” to copyrighted works, a right which would give rise to a power to control access to such works if it could be said to exist? To be sure, neither the WIPO Copyright treaty nor the Berne Convention explicitly articulate such right. (…) It is instantly observable that there is no “right against the gaining of unauthorised access” to a copyrighted work. ». 5. REINBOTHE Jörg, et Silke Von LEWINSKI, The WIPO Treaties 1996, Butterworths Canada Ltd, Markham, Ontario, 2002 p. 103 « (…) the making available right was considered to be an aspect of the communication right (…) ». 116 Les Cahiers de propriété intellectuelle de toute partie importante de celle-ci : (…) d) d’en mettre l’enregistrement sonore à la disposition du public et de le lui communiquer, par télécommunication, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement6 », et le producteur d’un enregistrement sonore a un droit d’auteur qui comporte le droit exclusif, à l’égard de la totalité ou de toute partie importante de cet enregistrement sonore « (…) (1.1) a) de le mettre à la disposition du public et de le lui communiquer, par télécommunication, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement7 ». La lecture de ces articles sur le droit de mise à disposition par télécommunication nous amène à souligner l’incohérence du projet de loi. En effet, l’exercice par le titulaire du droit de mise à disposition par télécommunication confère aux utilisateurs un droit d’accès aux œuvres, droit d’accès qui devient illusoire et peut être nié à l’utilisateur si le titulaire des droits d’auteur met en place des mesures techniques de protection qui contrôlent l’accès aux œuvres et restreignent ou empêchent l’exercice de ce droit d’accès. L’article 11 du Traité OMPI WCT, qui ne définit en aucune façon ce qu’il faut entendre par mesure technique efficace, laisse donc aux États membres une grande flexibilité pour l’intégration de ces mesures, comme le soulignent les auteurs Reinbothe et Von Lewinski : « Contracting Parties’ legislators have a wide range of flexibility for implementing the obligations under Article 11 WCT8 », qui tempèrent pourtant : « At the same time, Article 11 WCT does give some guidance and indicates the limits to such flexibility 9. » Le Traité OMPI WCT n’énonçant que l’obligation minimale de l’existence d’une protection juridique appropriée, il revient aux États d’établir le type de mesures techniques visées et la protection qu’ils entendent accorder à ces mesures techniques de protection. Séverine Dusollier abonde dans le même sens : Il ressort de ces discussions que cette formulation, et particulièrement le critère de protection appropriée, vise à soumettre la 6. Article 9(1) du projet de loi C-11, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublica tions/Publication.aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011). 7. Article 11(1) du projet de loi C-11, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublica tions/Publication.aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le4 octobre 2011). 8. REINBOTHE Jörg, et Silke Von LEWINSKI, The WIPO Treaties 1996, Butterworths Canada Ltd, Markham, Ontario, 2002 p. 142. 9. Ibid. Mémoire sur le projet de loi C-11 117 protection des mesures techniques à l’économie générale du droit d’auteur et cherche à atteindre un équilibre entre les intérêts en jeu. Il n’est donc plus question d’une protection précise, mais d’une simple obligation de protéger les mesures techniques dont l’étendue et la portée adéquates doivent être trouvées par chaque législateur national.10 Depuis 1996, date à laquelle ces Traités OMPI WCT et WPPT ont été adoptés, nombreux sont les pays qui les ont ratifiés. À titre d’exemple, les États-Unis ont, avec le Digital Millenium Copyright Act, introduit dans la Copyright Law le chapitre 12 relatif aux mesures techniques de protection. L’article 1201 (a) mentionne : « No person shall circumvent a technological measure that effectively control access to a work protected under this title. (…)11 » À cela s’ajoute la définition de l’efficacité d’une mesure technique : « a technological measure “effectively controls access to a work” if the measure, in the ordinary course of its operation, requires the application of information, or a process or a treatment, with the authority of the copyright owner, to gain access to the work12. » On constate que l’approche adoptée par la loi américaine, sur laquelle semblent prendre exemple les mesures avancées dans le projet de loi canadien, se concentre sur les mesures techniques de protection qui contrôlent l’accès à l’œuvre. Cela est d’autant plus vrai que l’interdiction de contourner les mesures techniques de protection ne vise que celles qui contrôlent l’accès13. Il est important de tenir compte du fait que la loi américaine n’est pas construite sur le même modèle que la Loi canadienne et qu’elle n’intègre pas, par exemple, de droit de mise à disposition pour les titulaires de droit14. Il importe donc de faire preuve de la plus grande prudence lorsque l’on désire importer dans le droit canadien des mesures calquées sur la législation américaine. 10. DUSOLLIER Séverine, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers numérique, Larcier, Bruxelles, 2007 p. 89. 11. Copyright Law of the United States and related Laws contained in Title 17 of the United States Code, [en ligne] <http://www.copyright.gov/title17/> (page consultée le 21 janvier 2011). 12. Ibid. 13. Article 41.1 de la Loi sur le droit d’auteur : « 41.1 (1) Nul ne peut : a) contourner une mesure technique de protection au sens de l’alinéa a) de la définition de ce terme à l’article 41 ; ». 14. Sydnor, Thomas D., 2009 « The Making-Available Right Under U.S. Law » Progress & Freedom Foundation Progress on Point Paper, vol. 16, No. 7, March 2009. [en ligne] : <http://ssrn.com/abstract=1367886> (page consultée le 27 janvier 2011). 118 Les Cahiers de propriété intellectuelle La Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, J.O.C.E., 22 juin 2001, L 167/10, dite Directive société de l’information (ciaprès « la Directive »), adopte une approche plus neutre des mesures techniques de protection et ne se concentre pas essentiellement sur les mesures qui contrôlent l’accès aux œuvres. L’article 6 (1) de cette Directive précise : « Les États membres prévoient une protection juridique appropriée contre le contournement de toute mesure technique efficace, que la personne effectue en sachant, ou en ayant des raisons valables de penser, qu’elle poursuit cet objectif15. » Une mesure technique est définie comme : toute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter, en ce qui concerne les œuvres ou autres objets protégés, les actes non autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur prévu par la loi, ou du droit sui generis prévu au chapitre III de la directive 96/9/CE. Les mesures techniques sont réputées efficaces lorsque l’utilisation d’une œuvre protégée, ou celle d’un autre objet protégé, est contrôlée par les titulaires du droit grâce à l’application d’un code d’accès ou d’un procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’œuvre ou de l’objet protégé ou d’un mécanisme de contrôle de copie qui atteint cet objectif de protection.16 Outre le fait que cette disposition ne vise que les mesures de protection qui visent à assurer l’exercice des droits qui sont déjà conférés au titulaire des droits d’auteur, il est intéressant de constater que la Directive s’attarde à définir la notion d’efficacité, qui est une condition essentielle à l’interdiction du contournement de ces mesures techniques de protection. En effet, seules les mesures techniques qui sont efficaces dans l’atteinte de l’objectif de protection mentionné à cet article (soit la protection des droits existants des titulaires) sont protégées. Cette définition d’efficacité étant absente dans le projet de loi C-11, le texte proposé ouvre la porte à des litiges quant à l’interprétation du terme « efficace » qui est utilisé, sans y être défini, dans la définition de ces mesures techniques de protec- 15. Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. 16. Ibid. Mémoire sur le projet de loi C-11 119 tion17. Et ces litiges ne manqueront pas de soulever la question du type de traitement qui devra être réservé à des mesures de protection qui sont efficaces quant aux fins visées par celui qui les utilise, mais qui ne visent pas exclusivement à protéger un droit conféré par la Loi au titulaire. Les États membres disposent, nous l’avons vu, d’une certaine flexibilité pour intégrer dans leur droit national les dispositions de la Directive. La Suède, qui a également ratifié les Traités OMPI WCT et WPPT, a adopté en ce sens l’article 52 de la Loi sur le droit d’auteur concernant les œuvres littéraires et artistiques (la Loi sur le droit d’auteur suédoise) : The expression “Technological measure” as used in this Chapter, means any effective technology, device or component designed to prevent or restrict, in the normal course of its operation, the reproduction or the making available to the public of a copyright-protected work without the consent of the author or his successor in title. (…) It is prohibited to circumvent, without the consent of the author or his successor in title, any digital or analogue lock which prevents or limits the making of copies of a work protected by copyright, to circumvent a technological process, such as encryption, that prevents or limits the making available to the public of a work protected by copyright, or to circumvent any other technological measure that prevents or limits such acts of making available.18 Les mesures techniques qui sont visées par la Loi sur le droit d’auteur suédoise sont exclusivement, conformément à ce qui est prévu aussi bien dans le Traité OMPI que dans la Directive, celles qui protègent les droits existants, soit les droits de reproduction et de mise à disposition. Il n’est donc pas question de protéger les mesures techniques de protection qui contrôlent l’accès aux œuvres. La Suède entend au contraire s’assurer que le droit d’accès conféré aux utilisateurs est lui aussi bien protégé. Le second alinéa de ce même article 52 de la Loi sur le droit d’auteur suédoise prévoit en effet que l’interdiction de contourner les mesures techniques de protection ne s’applique pas aux utilisateurs qui ont un accès légal 17. Article 41 de la Loi sur le droit d’auteur tel que proposé par l’article 47 du projet de loi C-11. 18. Act on Copyright in literary and artistic Works (Act 1960:729, of December 30, 1960, as amended up to April 1, 2009). 120 Les Cahiers de propriété intellectuelle aux œuvres, à qui il est donc permis de contourner les mesures techniques de protection19. Le projet de loi C-11 ne prévoit malheureusement aucune disposition dans ce sens. L’absence d’une précision semblable est regrettable lorsqu’on considère les types de problèmes que posent à l’utilisateur certaines de ces mesures techniques de protection. Par exemple, certaines mesures de protection empêchent la lecture de CDs de musique sur des ordinateurs afin d’empêcher la copie de son contenu – alors que le droit d’accès conféré à l’utilisateur se doit, logiquement, d’inclure le droit de cet utilisateur d’accéder à l’œuvre à partir de tout appareil compatible. Le choix du type d’appareil que pourra utiliser le consommateur ne relève évidemment pas des droits conférés par la Loi au titulaire des droits d’auteur. D’autres mesures techniques de protection empêchent également la lecture de DVDs sur des ordinateurs portables. D’autres encore rendent impossible la lecture des DVD achetés en Europe sur un lecteur DVD canadien. Et ce ne sont là que quelques exemples. Aussi, nous croyons que le Canada devrait fortement s’inspirer de l’approche adoptée par la Loi sur le droit d’auteur suédoise, attendu que cette approche, qui protège à la fois les droits existants des ayants droit et du public, parvient à maintenir l’équilibre que devrait absolument viser la législation canadienne sur le droit d’auteur. On retiendra qu’un nombre non négligeable de pays qui ont signé et ratifié les Traités OMPI WCT et WPPT n’ont pas intégré dans leur législation de protection pour les mesures techniques qui ont pour objet de contrôler l’accès aux œuvres, se limitant à reconnaître les mesures techniques qui protègent les droits existants. Au Japon, par exemple : “technological protection measures” means measures to prevent or deter such acts as constitute infringements on moral rights of authors or copyright mentioned in Article 17, paragraph (1) or moral rights of performers mentioned in Articles 89, paragraph (1) or neighboring rights mentioned in Article 89, paragraph (6) (hereinafter in this item referred to as “copyright, etc.”) (“deter” means to deter such acts as constitute infringements on 19. Ibid., article 52d) Act on Copyright in literary and artistic Works : « The provisions of the first Paragraph do not apply when someone, who in a lawful way has access to a copy of a work protected by copyright, circumvents a technological measure in order to be able to watch or listen to the work. ». Mémoire sur le projet de loi C-11 121 copyright, etc. by causing considerable obstruction to the results of such acts; the same shall apply in Article 30, paragraph (1), item (ii)) by electronic or magnetic means or by other means not perceivable by human perception (in next item referred to as “electro-magnetic means”), excluding such measures as used not at the will of the owner of copyright, etc., which adopt means of recording in a memory or transmitting such signals as having specific effects on machines used for the exploitation of works, performances, phonograms, broadcasts or wire diffusions (in next item referred to as “works, etc.”) (“exploitation” includes acts which would constitute infringements on moral rights of authors of performers if done without the consent of the author or the performer), together with works, performances, phonograms, or sounds or images of broadcasts or wire diffusions.20 La Loi sur le droit d’auteur de la Slovaquie ne fait pas mention non plus des mesures techniques qui protègent l’accès aux œuvres. L’article 59(2) précise à cet effet : « Technological measure pursuant to par. 1 shall mean any procedure, product or component integrated into a procedure, product or device designed to avoid, limit or prevent infringement of copyright in a work21. » Outre la Suède, la Slovaquie et le Japon, on pourra ajouter à la liste des pays qui ont veillé, tout en protégeant les mesures techniques de protection, à préserver l’équilibre entre les droits des titulaires et les droits des utilisateurs : la Finlande, le Danemark, le Mexique, la Chine, certains de ces pays se trouvant être parmi les plus importants partenaires commerciaux du Canada22. Il est important de noter que le rattachement d’une protection des mesures techniques de protection qui contrôlent l’accès au critère d’efficacité des mesures techniques de protection prévu dans les Traités est fortement remis en question. À ce sujet, concernant l’absence de définition du critère d’efficacité, Séverine Dusollier précise : « La protection des mesures techniques mises en place par le texte international ne vise en effet que les outils qui satisfont au critère d’efficacité, critère qui n’est pourtant pas défini par les traités23. » Si le Traité OMPI n’oblige pas les parties contractantes à traiter des 20. Copyright Law of Japan, Article 2 (xx), [en ligne], <http://www.cric.or.jp/cric_e/ clj/cl1.html#cl1+S1> (page consultée le 26 janvier 2011). 21. Copyright, Act No. 618, as amended, 2008 [en ligne] <http://www.wipo.int/ wipolex/en/text.jsp?file_id=189475> (page consultée le 11 janvier 2010). 22. Gouvernement du Canada, Droit d’auteur équilibré, [en ligne] <http://www.ic.gc. ca/eic/site/crp-prda.nsf/fra/h_rp01153.html> (page consultée le 11 janvier 2011). 23. DUSOLLIER Séverine, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers numérique, Larcier, Bruxelles, 2007, p. 137. 122 Les Cahiers de propriété intellectuelle mesures techniques de protection qui contrôlent l’accès aux œuvres, certains considèrent que le Traité doit être interprété comme les incluant, attendu que c’est ce qu’a fait la législation américaine. Séverine Dusollier réfute à bon droit cette interprétation : « un commentateur des traités (FICSOR, p. 545, C11.04) trouve l’interprétation de la notion dans le texte américain du DMCA. Une telle méthode d’interprétation, recourant à un texte postérieur et émanant d’un autre législateur, nous paraît erronée24. ». Selon certains auteurs, la prise en considération des mesures techniques protégeant l’accès aux œuvres est essentielle pour se conformer aux exigences des Traités OMPI WCT et WPPT25. Comme nous l’avons mentionné, les Traités OMPI WCT et WPPT ne visent pas expressément les mesures techniques de protection qui protègent l’accès aux œuvres, se limitant à celles « qui sont mises en œuvre par les auteurs dans le cadre de l’exercice de leurs droits. » Certains pays européens qui ont ratifié les Traités WCT et WPPT ainsi que la Directive ont fait le choix de ne pas inclure parmi les mesures techniques de protection, qu’il est interdit de contourner, celles qui protègent l’accès aux œuvres ; il est donc tout à fait possible de ratifier ces Traités OMPI WCT et WPPT sans inclure de mesures techniques de protection qui contrôlent l’accès aux œuvres. Dans son ouvrage de référence sur le droit d’auteur et la protection des œuvres dans l’univers numérique, Séverine Dusollier mentionne à propos de la Directive société de l’information : Les simples actes de réception et d’utilisation de l’œuvre, et notamment l’accès à celle-ci, peuvent désormais, par le truchement de mécanismes subordonnant l’accès à l’œuvre et par la protection légale de ceux-ci, faire l’objet d’un contrôle par l’ayant droit. Cette avancée de la propriété littéraire et artistique sur le terrain de l’accès et de l’utilisation de l’œuvre bat en brèche le principe essentiel de l’indépendance de l’œuvre et de son support. Tandis que l’accès à l’œuvre constitue une prérogative normalement réservée au propriétaire matériel du support de l’œuvre ou au fournisseur du service portant sur l’œuvre la couverture par le droit d’auteur des dispositifs techniques por24. Ibid. 25. FICSOR Mihály, « Legends and reality about the 1996 WIPO Treaties in the light of certain comments on Bill C-32 » [en ligne] <http://www.iposgoode.ca/wp-content/ uploads/2010/Ficsor-Legends-and-Reality-about-the-1996-WIPO-Treaties-C-32and-TPMs.pdf> (page consultée le 10 janvier 2011). Mémoire sur le projet de loi C-11 123 tant sur cet accès brouille les cartes en s’écartant de la notion d’exploitation publique des œuvres, qui définit en principe l’étendue de la réservation conférée sur l’œuvre.26 Le consommateur qui se procure une copie d’une œuvre dans un magasin, suite à l’exercice par l’ayant-droit de ses droits existants, soit ceux de mise à disposition ou de distribution, s’attend à pouvoir accéder à l’œuvre, et cela sans difficulté, puisque « l’accès à l’œuvre constitue une prérogative normalement réservée au propriétaire matériel du support de l’œuvre27. » Cette volonté de contrôle excessif a un effet pervers : les mesures techniques de protection atteignent aujourd’hui un tel degré dans la volonté de contrôler l’accès aux œuvres que le consommateur se détourne souvent des œuvres qu’il pourrait d’autre part légalement se procurer. Ironiquement, les titulaires des droits d’auteur vont jusqu’à pousser les consommateurs à chercher à se procurer auprès de sources non autorisées des œuvres qu’ils auraient été prêts à acquérir par les voies traditionnelles, qu’ils bouderont en raison des restrictions abusives qui leur sont imposées. Le cas du jeu vidéo « Spore » illustre parfaitement cette situation – les mesures techniques de protection ont gravement affecté les ventes de ce jeu. Pour jouer à ce jeu vidéo, le consommateur devait en effet nécessairement disposer d’une connexion Internet et activer un compte en ligne. Le consommateur devait par conséquent être continuellement connecté à Internet pour jouer28. Outrés par ces mesures techniques de protection abusives, les consommateurs se sont tournés vers des sources « alternatives » pour se procurer l’œuvre dans un format qui n’était pas muni de ces mesures de protection29. L’éditeur du jeu a par la suite décidé de supprimer les mesures techniques de protection pour offrir le jeu en téléchargement sur Internet30. Selon certains, les mesures techniques de protection qui contrôlent l’accès par l’utilisateur aux plateformes de téléchargement, qui sont d’après eux nécessaires parce qu’elles soutiennent des 26. DUSOLLIER Séverine, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers numérique, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 581. 27. Ibid. 28. CHAMPEAU Guillaume, Spore lapidé à cause de ses DRM, [en ligne] <http:// www.numerama.com/magazine/10584-spore-lapide-a-cause-de-ses-drm.html> (page consultée le 11 janvier 2011). 29. FABIEN H., Spore : le piratage bat son plein depuis son lancement [en ligne] <http://www.generation-nt.com/spore-piratage-drm-telechargement-actualite152821.html> (page consultée le 11 janvier 2011). 30. EA commercialise Spore sans DRM [en ligne] <http://www.cnetfrance.fr/news/ ea-commercialise-spore-sans-drm-39385763.htm> (page consultée le 11 janvier 2011). 124 Les Cahiers de propriété intellectuelle modèles d’affaires, doivent être protégées dans la Loi sur le droit d’auteur31. On rétorquera que la Loi sur le droit d’auteur n’a pas pour objet de protéger des modèles d’affaires, mais bien de conférer aux auteurs certains droits et obligations, tout en assurant un équilibre entre ces droits et ceux du public. La protection des mesures techniques qui contrôlent l’accès ne relève pas selon nous de la Loi sur le droit d’auteur, les modèles d’affaires dont il est question concernant la prestation d’un service et non le droit d’auteur. Comme le rappelle si bien Séverine Dusollier : « Délivrer un accès à l’œuvre, en autoriser une utilisation limitée, mettre l’œuvre à disposition du public, permettre son téléchargement, sont autant d’actes de prestations de services32. » L’auteure mentionne à titre d’exemple, les projections cinématographiques : […] l’acte de projeter publiquement un film est un acte de communication pour lequel l’exploitant doit avoir l’autorisation de l’auteur, tandis que l’acte de contrôler l’accès des personnes dans son lieu d’exploitation ne relève que des conditions de la prestation de services qu’il offre au public. Cette délivrance de l’accès n’est pas un acte soumis au monopole de l’auteur, il ne relève que de la prestation de services ou, le cas échéant, de l’exercice d’un droit de propriété sur le support.33 Il importe donc de ne pas céder à la confusion qui semble voulue et entretenue par certains titulaires de droit. L’accès non autorisé ou frauduleux à de tels services est déjà sanctionné par la loi, par le biais de dispositions pertinentes figurant, par exemple, au Code criminel. Ne cherchons pas à faire de la Loi sur le droit d’auteur un fourre-tout qui viserait à protéger l’ensemble des intérêts des entreprises qui transigent, d’une manière ou d’une autre, des biens ou des services en relation avec des œuvres sur lesquelles il pourrait exister un droit d’auteur. 31. SOOKMAN Barry, An FAQ on TPMs, Copyright and Bill C-32 [en ligne]<http:// www.barrysookman.com/2010/12/14/an-faq-on-tpms-copyright-and-billc-32/> (page consultée le 11 janvier 2011) ; GANNON James, TPMs: A comprehensive guide for Canadian copyright law [en ligne] <http://jamesgannon.ca/ category/2010-copyright-bill/> (page consultée le 11 janvier 2011). 32. DUSOLLIER Séverine, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers numérique, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 398. 33. Ibid. Mémoire sur le projet de loi C-11 125 Proposition d’amendement Nous proposons que soit amendé l’article 47 du projet de loi C-11 relatif à la définition de mesures techniques de protection par la suppression du point a) de cet article et par une modification du point b) de ce même article. Suite à ces modifications, cet article se lirait donc comme suit : « Mesure technique de protection » : Toute technologie ou tout dispositif ou composant mis en œuvre par les titulaires de droits d’auteur dans le cadre de l’exercice des droits que leur confère la présente loi et qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, restreint efficacement l’accomplissement, à l’égard d’une œuvre, d’un acte visé aux articles 3, 15 ou 18. Concernant le critère d’efficacité, le sens donné à ce terme par les auteurs Reinbothe et Von Lewinski devrait, d’après nous, être retenu dans le projet de loi. Selon ces auteurs : Technological measures, which do not function properly or which interfere with the normal functioning of the equipment or services, the use of which they are intented to apply to and to control, do not qualify for protection under Article 11 WCT. If, for example, a copy control mechanism interferes with the playability of a television or a VCR, it is not protected against circumvention or abuse.34 Aussi, devrait être intégrée dans le projet de loi une définition de l’efficacité, comme le proposent Reinbothe et Von Lewinski, ainsi que Séverine Dusollier35. Cette définition se lirait comme suit : Une mesure technique de protection qui empêche le fonctionnement ou interfère avec l’activité normale des équipements de lecture ou des services ou avec une utilisation légitime des œuvres est réputée ne pas être efficace. Cette définition de mesures techniques de protection serait conforme aux exigences des Traités internationaux de l’OMPI, serait limitée aux seules mesures techniques de protection qui relèvent 34. REINBOTHE Jörg, et Silke Von LEWINSKI, The WIPO Treaties 1996, Butterworths Canada Ltd, Markham, Ontario, 2002 p. 145. 35. DUSOLLIER Séverine, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers numérique, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 138. 126 Les Cahiers de propriété intellectuelle de l’exercice des droits d’auteur et maintiendrait le nécessaire équilibre entre les droits des titulaires des droits d’auteur et ceux des utilisateurs. 2. NOUVELLES EXCEPTIONS AU DROIT D’AUTEUR AU BÉNÉFICE DES UTILISATEURS Le projet de loi C-11 introduit de nouvelles exceptions au bénéfice des utilisateurs. Il s’agit des exceptions intitulées « contenu non commercial généré par l’utilisateur36 », « reproduction à des fins privées37 », et « fixation ou reproduction pour écoute ou visionnement en différé38. » Ces nouvelles exceptions, qui confèrent aux utilisateurs certains droits nouveaux, sont les bienvenues et cette initiative est d’autant plus appréciable que ces nouvelles exceptions viennent légaliser des pratiques largement répandues chez les consommateurs, pratiques supportées par le marché, qui leur offre depuis longtemps certains des outils qui permettent ou facilitent ces pratiques. Les dispositions qui prévoient ces exceptions doivent toutefois, à notre avis, être amendées ; en effet, certaines conditions rattachées à l’exercice ou l’encadrement de ces exceptions risquent fort de se révéler inapplicables, ou semblent ne pas atteindre la cible qu’elles devraient viser. De plus, certaines des limites qui sont apportées à l’exercice de ces droits ne nous semblent pas justifiées. En outre, le libellé de ces articles n’apparaît pas toujours propre à permettre aux utilisateurs de bien connaître et comprendre la nature, la portée et les limites de ces droits qui leur sont conférés. a) « Contenu non commercial généré par l’utilisateur » L’article 22 du projet de loi C-11, qui propose l’ajout de l’article 29.21 à la Loi sur le droit d’auteur, introduit une nouvelle excep- 36. Article 22 du projet de loi C-11 proposant l’ajout de l’article 29.21 à la Loi sur le droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication. aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011). 37. Article 22 du projet de loi C-11 proposant l’ajout d’un article 29.22 à la Loi sur le droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication. aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011). 38. Article 22 du projet de loi C-11 proposant l’ajout d’un article 29.23 à la Loi sur le droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication. aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011). Mémoire sur le projet de loi C-11 127 tion au droit d’auteur relativement au contenu non commercial généré par l’utilisateur. Cet article se lit comme suit : (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour une personne physique, d’utiliser une œuvre ou tout autre objet du droit d’auteur ou une copie de ceux-ci – déjà publiés ou mis à la disposition du public – pour créer une autre œuvre ou un autre objet du droit d’auteur protégés et, pour cette personne de même que, si elle les y autorise, celles qui résident habituellement avec elle, d’utiliser la nouvelle œuvre ou le nouvel objet ou d’autoriser un intermédiaire à le diffuser, si les conditions suivantes sont réunies : a) la nouvelle œuvre ou le nouvel objet n’est utilisé qu’à des fins non commerciales, ou l’autorisation de le diffuser n’est donnée qu’à de telles fins ; b) si cela est possible dans les circonstances, la source de l’œuvre ou de l’autre objet ou de la copie de ceux-ci et, si ces renseignements figurent dans la source, les noms de l’auteur, de l’artiste-interprète, du producteur ou du radiodiffuseur sont mentionnés ; c) la personne croit, pour des motifs raisonnables, que l’œuvre ou l’objet ou la copie de ceux-ci, ayant servi à la création n’était pas contrefait ; d) l’utilisation de la nouvelle œuvre ou du nouvel objet, ou l’autorisation de le diffuser, n’a aucun effet négatif important, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation – actuelle ou éventuelle – de l’œuvre ou autre objet ou de la copie de ceux-ci ayant servi à la création ou sur tout marché actuel ou éventuel à son égard, notamment parce que l’œuvre ou l’objet nouvellement créé ne peut s’y substituer.39 Nous sommes d’avis que le libellé des exceptions devrait permettre aux utilisateurs de comprendre facilement la portée des droits qui leur sont conférés et de savoir aussi précisément que possible le cadre à l’intérieur duquel ils peuvent profiter de l’exercice de ces exceptions aux droits des auteurs. Si, en adoptant ces nouvelles dispositions, on vise à normaliser les pratiques des utilisateurs, il 39. Article 22 du projet de loi C-11 proposant l’ajout de l’article 29.21 à la Loi sur le droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication. aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011). 128 Les Cahiers de propriété intellectuelle nous semblerait important de veiller aussi à ce que la rédaction soit elle-même un tant soit peu normalisée, afin d’assurer que les utilisateurs comprennent bien le cadre de ces exceptions. La certitude qu’auront les utilisateurs que ce qu’ils font est tout à fait légal amènera une plus grande sécurité juridique, et un cadre clair leur permettra de savoir à quel moment ils excèdent la portée des droits qui leur sont conférés. Nous soulignerons ici certains des problèmes que nous percevons dans les exceptions telles que rédigées. L’alinéa a) de ce nouvel article 29.21 exclut l’application de cette exception à toute exploitation commerciale de la nouvelle œuvre créée par l’utilisateur. Si elle est exploitée commercialement ou si l’utilisateur autorise une exploitation commerciale de la nouvelle œuvre, l’utilisation de l’œuvre source sera considérée être faite en violation du droit d’auteur. Cette nouvelle exception a été présentée comme l’exception « YouTube ». Or, « YouTube » n’est pas une organisation à but non lucratif, mais bien une entreprise commerciale. Il faut savoir que le contenu généré par les utilisateurs est exploité commercialement par la compagnie « Google », le site affichant des bandeaux publicitaires sur les pages où le contenu généré par l’utilisateur est diffusé. Aussi, tel que libellé, cet article ne permettrait pas à l’utilisateur qui entend se prévaloir de l’exception d’autoriser YouTube à diffuser ce nouveau contenu qu’il aurait généré. L’alinéa b), quant à lui, crée une exception à la reconnaissance des droits moraux des auteurs40, puisque l’obligation imposée à l’utilisateur qui génère du contenu à partir d’une autre œuvre de citer le nom du créateur de l’œuvre originelle est toute relative, le droit à la paternité de l’auteur sur l’œuvre originelle devenant ainsi accessoire. Si la justification dans ce contexte de cette entorse aux droits moraux apparaît évidente, il n’en demeure pas moins que l’équilibre est rompu et qu’il serait bon de chercher à minimiser autant que possible cette atteinte aux droits moraux. Si la Loi ne peut raisonnablement imposer à l’utilisateur, dans le cadre de cette exception, de contrainte supérieure à celle qui y est prévue, une généralisation des licences « creative commons » pour40. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C-42, article 14.1 : « L’auteur d’une œuvre a le droit, sous réserve de l’article 28.2, à l’intégrité de l’œuvre et, à l’égard de tout acte mentionné à l’article 3, le droit, compte tenu des usages raisonnables, d’en revendiquer, même sous pseudonyme, la création, ainsi que le droit à l’anonymat. ». Mémoire sur le projet de loi C-11 129 rait combler cette faille. Les créateurs auraient en effet intérêt à adopter des licences de type « creative commons », qui permettent non seulement la modification des œuvres, mais qui garantissent le droit à la paternité41. Proposition d’amendement Le fait de permettre aux utilisateurs de générer du contenu et de créer de nouvelles œuvres à partir d’œuvres existantes est souhaitable et le fait de légaliser une pratique qui est courante l’est tout autant, pourvu que les droits des créateurs ne soient pas mis en péril. Le fait de prévoir que ce droit de créer une nouvelle œuvre à partir d’une œuvre existante ne pourra être exercé que si cela n’a « aucun effet négatif important, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation – actuelle ou éventuelle – de l’œuvre (…), notamment parce que l’œuvre ou l’objet nouvellement créé ne peut s’y substituer » nous apparaît maintenir à ce titre une protection équilibrée. Afin de régler les incertitudes qu’amènerait la rédaction de l’actuelle proposition relative au contenu généré par l’utilisateur, nous proposons une modification de cet article afin qu’il se lise comme suit : (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour une personne physique, d’utiliser une œuvre ou tout autre objet du droit d’auteur ou une copie de ceux-ci – déjà publiés ou mis à la disposition du public – pour créer une autre œuvre ou un autre objet du droit d’auteur protégés et, pour cette personne de même que, si elle les y autorise, celles qui résident habituellement avec elle, d’utiliser la nouvelle œuvre ou le nouvel objet ou d’autoriser un intermédiaire à le diffuser, si les conditions suivantes sont réunies : a) la nouvelle œuvre ou le nouvel objet n’est utilisé qu’à des fins non commerciales par l’utilisateur, et l’autorisation donnée par l’utilisateur à un tiers d’utiliser la nouvelle œuvre interdit l’exploitation commerciale directe de cette nouvelle œuvre ; 41. Nous pensons ici à une solution semblable à celle qui a été proposée pour la reproduction d’œuvres écrites, soit la gestion collective des droits de reproduction par les titulaires de droits d’auteur, sur laquelle nous reviendrons plus loin. 130 Les Cahiers de propriété intellectuelle b) des efforts raisonnables, compte tenu des circonstances, sont entrepris par l’utilisateur pour que la source de l’œuvre ou de l’autre objet ou de la copie de ceux-ci et, si ces renseignements figurent dans la source, les noms de l’auteur, de l’artiste-interprète, du producteur ou du radiodiffuseur soient mentionnés ; c) l’utilisation de la nouvelle œuvre ou du nouvel objet par l’utilisateur ou par le tiers qui a été autorisé à le diffuser n’a aucun effet négatif important, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation – actuelle ou éventuelle – de l’œuvre ou autre objet ou de la copie de ceux-ci ayant servi à la création, ou sur tout marché actuel ou éventuel à son égard, notamment parce que l’œuvre ou l’objet nouvellement créé ne peut s’y substituer. b) Reproduction à des fins privées L’article 22 du projet de loi C-11 introduit un nouvel article 29.22 dans la Loi sur le droit d’auteur, qui instaure une nouvelle exception aux droits exclusifs des auteurs. Cette exception viserait à permettre aux utilisateurs d’effectuer des reproductions des œuvres dont ils possèdent une copie. Si cette exception est souhaitable, les conditions qui l’encadrent sont, malheureusement, extrêmement restrictives et ne sont pas de nature à permettre à cette exception de procurer les avantages réels qui devraient raisonnablement en découler. En effet, si l’utilisateur ne peut contourner les mesures techniques de protection (comme le précise le paragraphe c) de l’article 29.22 proposé), ce droit de reproduction à des fins privées risque fort de n’être applicable que selon le bon vouloir des ayants droit ; il leur suffirait en effet d’utiliser une mesure de protection pour interdire la mise en œuvre par les utilisateurs d’un droit qui leur est consenti par la Loi42. Or, dans la recherche d’équilibre qui doit être une préoccupation constante en matière de droit d’auteur, les droits conférés aux ayants droit ne doivent pas avoir pour effet de leur permettre de restreindre indûment ceux qui sont conférés aux utilisateurs. La Cour suprême le rappelait en ces termes dans l’affaire 42. La Cour suprême du Canada reconnaît en effet dans la décision CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339 au §48, que les « exceptions » constituent des droits reconnus aux utilisateurs : « À l’instar des autres exceptions que prévoit la Loi sur le droit d’auteur, cette exception correspond à un droit des utilisateurs. ». Mémoire sur le projet de loi C-11 131 Euroexcellence : « De même, dès que le droit d’auteur est accordé à l’égard d’une œuvre, la protection qu’il confère ne doit pas excéder ses limites naturelles et doit dûment tenir compte des droits des utilisateurs43. » Afin d’assurer la mise en œuvre de ce droit à la copie privée conféré aux utilisateurs, nous proposons donc que l’interdiction de contourner les mesures de protection n’y fasse pas obstacle. Tel que rédigé, ce droit à la copie privée semble pour le moins difficile à mettre en œuvre dans les faits ; c’est l’acte que constitue le fait de faire une reproduction qui est autorisé au premier alinéa, sous réserve de certaines conditions. Les conditions dont l’existence peut être vérifiée au moment de l’acte permettent à l’utilisateur de connaître les limites de son droit (la propriété de la copie de l’œuvre, par exemple) ; certaines autres, qui portent sur des faits qui ne pourront être que postérieurs à l’acte autorisé (ne donner la reproduction à personne, par exemple, ou l’interdiction de céder la copie de l’œuvre qui a servi à faire la reproduction sans que n’aient été détruites au préalable toutes les reproductions), visent à interdire un acte (la reproduction) qui était permis au moment où il aura nécessairement été fait. Outre les problèmes d’application évidents que posent ces conditions (ne serait-ce que sur le plan de la vérification), cette façon de procéder, soit l’interdiction a posteriori de faire une chose qui était autorisée au moment où elle a été faite, n’est pas de nature à permettre aux utilisateurs de bien comprendre la portée des droits qui leur sont conférés et de normaliser efficacement les comportements du public relativement à la copie privée. Pour ce qui est des termes utilisés dans cet article, soulignons par ailleurs que les reproductions qu’il permet, qui sont déjà pratique courante, sont couramment appelées « copies » (plutôt que reproductions) par tous les intervenants (les utilisateurs aussi bien que les ayants droit). En nommant à cet article « copie » l’original qui sera utilisé pour effectuer une reproduction (par exemple, à l’alinéa 1a) : la personne a obtenu la copie légalement), le texte tel que rédigé risque fort d’entretenir une certaine confusion. Dans une perspective de simplification qui viserait à permettre à tous une meilleure compréhension de ce qui est permis et des limites de ces autorisations, il nous semble par ailleurs qu’une exception conçue plus largement permettrait d’inclure dans un même 43. Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37. 132 Les Cahiers de propriété intellectuelle article l’exception introduite avec l’article 29.23, soit le droit de fixer un signal et d’enregistrer une émission pour écoute ou visionnement en différé et l’exception de copie privée44, et le droit à la copie de sauvegarde introduit par le projet de loi C-11. À notre avis, l’institution d’un régime unique pour la reproduction des œuvres45, assorti de redevances adéquates, serait en effet possible et préférable. Un tel régime, qui serait, idéalement, neutre technologiquement, présenterait le double avantage de permettre à tous les créateurs qui voient leurs œuvres copiées d’être rémunérés, et aux utilisateurs de ne plus vivre dans l’insécurité juridique, en se demandant si le fait de copier telle ou telle œuvre sur un de leurs appareils est autorisé ou non par les titulaires de droit ou par la Loi. Idéalement, et pour respecter les exigences des Traités de l’OMPI, cette exception de reproduction à des fins privées devrait donc être assortie d’un système qui permette une rémunération des créateurs, à l’image de celle qui est définie dans la partie VIII de la Loi sur le droit d’auteur. À cet effet, nous souhaiterions rappeler ce que les parlementaires canadiens suggéraient déjà dans les années 80 : Constatant que l’on ne s’entend guère sur l’importance du préjudice économique occasionné par le phénomène de l’enregistrement à domicile, la majorité des membres du Sous-Comité ont conclu que, quelle que soit l’envergure du dommage causé, cette pratique n’en demeure pas moins une reproduction non autorisée d’une œuvre protégée, pour laquelle les titulaires de droits d’auteur ne reçoivent aucune indemnité. Le Sous-comité estime qu’un régime de redevances doit être institué. Aussi a-t-il rejeté la solution qui consiste simplement à soustraire l’enregistrement à domicile de l’application de la loi sur le droit d’auteur ; il préconise plutôt la mise en place d’un régime d’indemnisation en échange duquel l’enregistrement à domicile serait légalisé.46 44. « En résumé, pour résoudre le problème de l’enregistrement à domicile, la majorité des membres du Sous-comité ont recommandé une solution semblable à celle qui a été proposée pour la reproduction d’œuvres écrites, soit la gestion collective des droits de reproduction par les titulaires de droits d’auteur, sous réserve seulement de l’approbation par une Commission du droit d’auteur réorganisée des tarifs contestés. » HÉBERT Monique, « La réforme de la Loi sur le droit d’auteur », Bulletin d’actualité, Bibliothèque du Parlement, 25 octobre 1982, révisé le 9 janvier 1990, p. 16. 45. Rappelons que les œuvres littéraires peuvent elles aussi être reproduites. 46. HÉBERT Monique, « La réforme de la Loi sur le droit d’auteur », Bulletin d’actualité, Bibliothèque du Parlement, 25 octobre 1982, révisé le 9 janvier 1990, p. 14. Mémoire sur le projet de loi C-11 133 À cela, le Sous-Comité ajoutait : […] la majorité des membres du Sous-comité ont recommandé que les redevances soient perçues à la fois sur les appareils et sur les supports d’enregistrement sonore et magnétoscopique ; cette solution est celle qui permet le mieux de respecter le principe de la responsabilité liée à la reproduction de l’œuvre, et elle tient compte de l’évolution rapide de la technologie, qui pourrait fort bien, par exemple, rendre désuète l’utilisation des bandes. En résumé, pour résoudre le problème de l’enregistrement à domicile, la majorité des membres du Sous-comité ont recommandé une solution semblable à celle qui a été proposée pour la reproduction d’œuvres écrites, soit la gestion collective des droits de reproduction par les titulaires de droits d’auteur, sous réserve seulement de l’approbation par une Commission du droit d’auteur réorganisée des tarifs contestés.47 Aussi, si nous croyons, attendu que la pratique est largement répandue et que la Loi doit veiller à la normaliser, que la reconnaissance et l’encadrement de ce droit de copie privée sont indispensables, nous proposons par ailleurs d’amender le projet de loi C-11 en vue d’y intégrer une mesure favorisant la rémunération des titulaires de droit, soit l’instauration de redevances sur les supports et appareils permettant la reproduction des œuvres. Cette mesure tiendrait ainsi compte des usages des consommateurs qui copient des œuvres sur différents supports ou appareils. À notre avis, en plus de veiller à assurer un meilleur équilibre entre les droits des utilisateurs et ceux des créateurs, l’instauration d’un régime de redevance généralisé applicable aux copies privées serait aussi plus prudente : advenant la mise en place d’un droit tel que celui de reproduction pour fins privées sans rémunération pour les créateurs, nous pensons que le Canada court un risque de poursuite devant l’Organisation Mondiale du Commerce. c) Risques de poursuite contre le Canada Nous sommes d’avis que le droit de reproduction à des fins privées sans rémunération pour les créateurs serait contraire aux obligations prévues aux Traités internationaux et exposerait le Canada 47. Ibid., p.15-16. 134 Les Cahiers de propriété intellectuelle à des recours devant certaines organisations internationales comme l’Organisation mondiale du commerce. En effet, l’article 10 du Traité OMPI WCT énonce les règles qui encadrent l’introduction de nouvelles limitations ou exceptions aux droits des auteurs : 1) Les Parties contractantes peuvent prévoir, dans leur législation, d’assortir de limitations ou d’exceptions les droits conférés aux auteurs d’œuvres littéraires et artistiques en vertu du présent traité dans certains cas spéciaux où il n’est pas porté atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causé de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. 2) En appliquant la Convention de Berne, les Parties contractantes doivent restreindre toutes limitations ou exceptions dont elles assortissent les droits prévus dans ladite convention à certains cas spéciaux où il n’est pas porté atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causé de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.48 Toute nouvelle limitation ou exception doit être analysée à la lumière du test en trois étapes, déjà présent dans la Convention de Berne49 et repris dans l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)50 : (1) la limitation ou exception doit être un cas spécial, (2), qui ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et (3) ne cause pas de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. Ce test en trois étapes a été utilisé et analysé par un « panel » de l’OMC dans une affaire opposant les États-Unis à l’Union européenne51. En l’occurrence, le « Copyright Act » prévoyait certaines exceptions pour les magasins, qui étaient ainsi autorisés à diffuser de la musique sans avoir à rémunérer les créateurs pour l’utilisation 48. Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (WCT), article 11 [en ligne] <http://www. wipo.int/treaties/fr/ip/wct/trtdocs_wo033.html> (page consultée le 13 janvier 2011). 49. Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, [en ligne] <http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/berne/trtdocs_wo001.html> (page consultée le 17 janvier 2011). 50. Accord sur les aspects de droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), [en ligne] <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/legal_f.htm #TRIPs> (page consultée le 17 janvier 2011). 51. Rapport du groupe spécial de l’Organisation mondiale du commerce, ÉtatsUnis – Article 110, 5 de la loi des États-Unis sur le droit d’auteur, 15 juin 2000, WT/DS160/R. Cette décision a été largement commentée, aussi nous ne commenterons pas cette décision. Mémoire sur le projet de loi C-11 135 qu’ils faisaient ainsi de leurs œuvres. Il faut donc retenir, au-delà de l’interprétation que le « panel » a faite du test en trois étapes, que les risques pour le Canada d’être également poursuivi devant un tel « panel » existent et que ce risque devrait être pris en compte dans l’analyse de la pertinence d’apporter des amendements au projet de loi C-11 pour tenter de limiter le préjudice que les nouvelles mesures sont susceptibles d’entraîner pour les créateurs. Afin de résoudre le problème et éviter tout recours, il serait donc préférable et souhaitable que soit étendu le système de redevance pour copie privée. Proposition d’amendement Nous proposons ainsi la suppression de l’actuel alinéa c) de cet article 29.22, et son remplacement par ce qui pourrait se lire comme suit : c) les auteurs, artistes-interprètes et producteurs admissibles ont droit, pour les reproductions à des fins privées des œuvres, à une rémunération versée par le fabricant ou l’importateur du support ou de l’appareil, selon les modalités des articles 82 et suivants de la Loi sur le droit d’auteur. De plus, les conditions actuelles qui sont liées à des actes postérieurs à la reproduction autorisée devraient idéalement se présenter comme des interdictions d’utilisation de cette reproduction. À ces réserves s’ajoutent nos critiques sur les mesures techniques de protection, déjà exprimées, qui nous amènent à demander la suppression de l’alinéa relatif à l’interdiction de contourner les mesures techniques de protection. L’article 29.22 pourrait donc se lire ainsi : 29.22 (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour une personne physique, de reproduire l’intégralité ou toute partie importante d’une œuvre ou d’un autre objet du droit d’auteur si les conditions suivantes sont réunies : a) la copie de l’œuvre ou de l’autre objet du droit d’auteur reproduite n’est pas contrefaite ; b) la personne a obtenu la copie légalement, autrement que par emprunt ou location, et soit est propriétaire du support ou de l’appareil sur lequel elle est reproduite, soit est autorisée à l’utiliser ; c) la reproduction n’est faite et utilisée qu’à des fins privées. 136 Les Cahiers de propriété intellectuelle (2) Les auteurs, artistes-interprètes et producteurs admissibles ont droit, en considération des reproductions à des fins privées des œuvres, à une rémunération versée par le fabricant ou l’importateur du support ou de l’appareil, selon les modalités des articles 82 et suivants de la Loi sur le droit d’auteur ; (3) Les termes « support et appareil » mentionnés à l’alinéa (1)b) et c) s’entendent notamment de la mémoire numérique dans laquelle il est possible de stocker une œuvre ou un autre objet du droit d’auteur pour en permettre la communication par télécommunication sur Internet ou tout autre réseau numérique. (4) Constitue une violation du droit d’auteur : a) le fait de donner la reproduction à un tiers ; b) le fait de conserver la reproduction alors que la personne a cédé la copie reproduite. d) Fixation d’un signal et enregistrement d’une émission pour écoute ou visionnement en différé Comme nous le mentionnions plus tôt, nous préconisons l’abandon de cet article 29.23, et la création, en lieu et place, d’un droit étendu de reproduction à des fins privées. e) Copies de sauvegarde L’article 22 du projet de loi C-11 propose d’introduire un article 29.24 dans la Loi sur le droit d’auteur. Il s’agirait d’une nouvelle exception au bénéfice des utilisateurs, soit le droit de faire des copies de sauvegarde. Traditionnellement, le droit d’effectuer des copies de sauvegarde a été réservé aux logiciels (la Loi utilise les termes « programme d’ordinateur »). L’article 30.6 b) de la Loi sur le droit d’auteur prévoit en effet : Ne constituent pas des violations du droit d’auteur : le fait, pour le propriétaire d’un exemplaire – autorisé par le titulaire du droit d’auteur – d’un programme d’ordinateur, de produire une seule copie de sauvegarde de l’exemplaire ou de la copie visée à Mémoire sur le projet de loi C-11 137 l’alinéa a) s’il établit qu’elle est détruite dès qu’il n’est plus propriétaire de l’exemplaire.52 Le projet de loi C-11 propose donc de permettre aux utilisateurs de faire des copies de sauvegarde de toutes les copies des œuvres qu’ils possèdent. Cependant, l’article 29.23 de la Loi sur le droit d’auteur, tel que proposé par le projet de loi, permet déjà d’effectuer des reproductions des œuvres. L’introduction d’une telle exception aux droits des auteurs complexifierait inutilement, à notre avis, la Loi sur le droit d’auteur : l’utilisateur pourra légitimement se demander de quelles œuvres il a le droit d’effectuer une copie de sauvegarde… et en quoi cela diffère d’une reproduction pour des fins privées ? Nous avons déjà mentionné que le projet de loi devrait chercher à rendre aussi clairs que possible les droits qui sont conférés aux utilisateurs, afin de permettre à ces derniers d’être certains que les utilisations qu’ils font des œuvres sont couvertes par les exceptions à la Loi sur le droit d’auteur, et de connaître les limites de ces droits qui leur sont conférés. Or, l’introduction du droit à la copie de sauvegarde vient au contraire créer de la confusion et de l’incertitude, en instaurant deux régimes différents pour la copie de sauvegarde, selon qu’il s’agit d’un programme d’ordinateur ou des autres œuvres qui ne sont pas des programmes d’ordinateur. Nous pouvons également réitérer ici nos critiques sur les conditions encadrant cette exception et portant sur les mesures techniques de protection : l’impossibilité de se prévaloir de ce droit à la copie de sauvegarde lorsqu’une mesure technique de protection est insérée dans l’œuvre limite indûment les droits des utilisateurs. On remarquera que l’article 31 du projet de loi C-11 (qui prévoit un remplacement de l’article 30.6 de la Loi sur le droit d’auteur), n’interdit pas le contournement des mesures techniques dans le cadre des copies de sauvegarde des programmes d’ordinateur. Les articles 22 et 31 du projet de loi C-11 méritent certains commentaires particuliers. L’article 22 du projet de loi C-11, propose un nouvel article 29.24(1) de la Loi sur le droit d’auteur, qui disposerait : 52. Article 30.6 de la Loi sur le droit d’auteur. 138 Les Cahiers de propriété intellectuelle Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour la personne qui est propriétaire de la copie (au présent article appelée « copie originale ») d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur, ou qui est titulaire d’une licence en autorisant l’utilisation, de la reproduire si les conditions ci-après sont réunies (…).53 Cet alinéa, tel que rédigé, est de nature à faire persister une certaine confusion dans la compréhension du régime des droits d’auteur. Il en va de même pour l’article 31 du projet de loi C-11 qui modifierait comme suit l’article 30.6 de la Loi sur le droit d’auteur : Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour le propriétaire d’un exemplaire – autorisé par le titulaire du droit d’auteur – d’un programme d’ordinateur, ou pour le titulaire d’une licence permettant l’utilisation d’un exemplaire d’un tel programme de le reproduire dans le seul but d’obtenir de l’information lui permettant de rendre ce programme et un autre programme d’ordinateur interopérables.54 Le propriétaire de la copie d’une œuvre n’est propriétaire que du support de l’œuvre, à moins que le créateur ait cédé tous ses droits sur l’œuvre. La licence est, pour sa part, conférée par le créateur ou le titulaire de droit à l’utilisateur et porte (ou devrait porter) véritablement sur les droits d’auteur. La propriété d’un support par l’utilisateur ne peut avoir pour effet de limiter l’exercice par le créateur de ses droits d’auteur. La licence ne peut non plus avoir pour effet de limiter les droits de l’utilisateur. À ce sujet, Séverine Dusollier explique : S’il y a bien vente, c’est d’un exemplaire d’un programme d’ordinateur ou d’une base de données qu’il s’agit et non de la vente de l’œuvre elle-même. Autrement, il s’agirait d’une cession totale des droits d’auteur sur l’œuvre, ce qui ne correspond aucunement à la réalité d’une telle distribution commerciale. La licence s’applique à l’œuvre, distincte de l’exemplaire matériel dans lequel elle se matérialise. (…) 53. Article 22 du projet de loi C-11 proposant l’ajout de l’article 29.24 à la Loi sur le droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication. aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011). 54. Article 31 du projet de loi C-11 modifiant l’article 30.6 de la Loi sur le droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Doc id=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011). Mémoire sur le projet de loi C-11 139 Il n’empêche que cette figure contractuelle, certes complexe, peut être dissociée en deux contrats distincts : d’une part, le contrat de vente relatif au support, ou de prestation de services s’il s’agit d’un téléchargement ou d’une utilisation à distance et, d’autre part, le contrat de licence relatif aux droits de l’auteur sur l’œuvre incorporée sur le support ou transmise par le vecteur informatique.55 Les licences octroyées interdisent systématiquement la copie de sauvegarde. C’est notamment le cas pour les jeux vidéo, préalablement à l’utilisation desquels l’utilisateur doit accepter des contrats de licence d’utilisateur final56. Cette pratique qui consiste à assortir la vente de support d’œuvre avec des contrats de licence commence à se répandre dans le domaine de la vidéo avec les disques Blu-Ray, ou encore dans l’édition, avec les livres électroniques, mais également dans la musique avec les plateformes telles qu’iTunes. Aussi, devant l’incapacité du consommateur de pouvoir négocier ces contrats de licence et de faire valoir ses droits d’utilisateur, nous suggérons que le projet de loi C-11 affirme clairement que les droits conférés par la Loi aux utilisateurs, bien souvent par le biais d’exceptions aux droits exclusifs des titulaires, soient déclarés d’ordre public et que la Loi reconnaisse que les utilisateurs ne peuvent y renoncer. Proposition d’amendement L’article 21 du projet de loi C-11 devrait être modifié, et proposer que l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit aussi que : Nul ne peut, par convention, imposer à un utilisateur la renonciation à un droit que lui confère l’une ou l’autre des exceptions au droit d’auteur prévu à la présente loi. 55. DUSOLLIER, Séverine, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers numérique, Larcier, Bruxelles, 2007, p. 413. 56. Par exemple, l’accord de licence de la compagnie « Rockstar » qui mentionne : « vous acceptez de ne pas : faire des copies du Logiciel en totalité ou en partie », [en ligne] <http://www.rockstargames.com/eula/fr> (page consultée le 20 janvier 2011) ; Electronic Arts) interdit également la copie du jeu jeu vidéo FIFA soccer 10, article 1d, du contrat de licence [en ligne] <http://www.ea.com/portal/ pdf/legal/EULA_en_SecuROM_Disk_and_Digi_No_Ad_PC_20090824.pdf> (page consultée le 20 janvier 2011). 140 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3. RESPONSABILISATION DES FOURNISSEURS DE SERVICE INTERNET Traitant de la responsabilisation des fournisseurs de service Internet, le projet de loi C-11 vient légaliser les pratiques actuelles des fournisseurs de service Internet. En effet, le système dit d’« avis et avis » est encadré par l’addition de l’article 41.26 à la Loi sur le droit d’auteur. Ce système dit d’« avis et avis » est déjà en place et est utilisé comme moyen de prévention à destination des utilisateurs qui se livrent à certains actes qui seraient en contravention des droits d’auteur. Le fonctionnement de ce système est assez simple. Le titulaire de droit qui repère sur Internet une utilisation d’une de ses œuvres qui serait selon lui faite en contravention de ses droits expédie au fournisseur de service Internet de l’utilisateur contrevenant un message alléguant cette contravention à ses droits. Le fournisseur se chargera ainsi de communiquer cet avis à l’utilisateur. Certains titulaires de droit demandent la modification de cet article 41.26, et son remplacement par un système d’« avis et retrait » tel celui que l’on retrouve dans le Digital Millenium copyright Act américain57. Contrairement au processus d’« avis et avis », le titulaire de droit ne se contenterait pas d’envoyer une allégation de violation de ses droits au fournisseur de service Internet ou à l’hébergeur du contenu : il pourrait demander, par application d’une procédure d’« avis et retrait », et sur simple avis au fournisseur d’accès, le retrait du réseau de ce contenu qu’il juge problématique. Il reviendrait ainsi à l’utilisateur d’envoyer au fournisseur de service, le cas échéant, un contre-avis demandant le maintien du contenu en ligne en établissant qu’il n’est pas coupable de la violation alléguée. Toutefois, ce système d’« avis et retrait » est plus qu’imparfait et il a été fortement critiqué aux États-Unis. Certains ont reproché notamment à ce système les pouvoirs excessifs qu’il accorde aux ayants droit, ces derniers l’ayant parfois utilisé pour tenter de limiter la liberté d’expression. À ce sujet, l’organisation Electronic Frontier Foundation (EFF) publie sur son site Internet un « Takedown Hall of Shame » qui détaille les demandes de retrait faites par des titulaires de droit de façon abusive. Par exemple, Universal Music Group a demandé le retrait d’une émis- 57. 17 U.S.C. §§ 512. Mémoire sur le projet de loi C-11 141 sion qui critiquait l’un de ses artistes58 ; Warner Music Group a demandé à plusieurs occasions le retrait de vidéos amateurs sur You Tube qui chantaient une chanson dont Warner a les droits59. Ce ne sont que deux exemples de cette longue liste d’utilisations de cette procédure d’« avis et retrait » qu’EFF qualifie de honteuses. D’autres titulaires de droit demandent que la Loi impose aux fournisseurs de service Internet le paiement d’une compensation pour les œuvres qui circulent sur Internet en contravention de leurs droits60. En fait, les titulaires de droit demandent aux fournisseurs de service Internet de payer pour tous les actes qu’ils estiment illégaux et qui seraient commis sur les réseaux par les utilisateurs. Si on imposait aux fournisseurs de service Internet le paiement de tels « droits », il est bien sûr à prévoir qu’ils augmenteraient en revanche les tarifs des abonnements Internet. Autrement dit, tous les utilisateurs, qu’ils contreviennent ou non aux droits des titulaires de droit, auraient à payer une telle compensation. Si un tel système de redevance devait être envisagé, il serait bon qu’un système plus logique et plus équitable soit proposé. Il est en effet curieux d’envisager un système qui propose d’une part de maintenir, voire de multiplier les contraventions à la Loi sur le droit d’auteur (les utilisateurs qui paieraient sans être contrevenants étant encouragés à le devenir) et qui envisage le paiement par des non-contrevenants de « redevances » qui ne devraient autant que possible être imposées qu’à ceux qui entendent avoir des agissements qui sont susceptibles de concerner des œuvres visées par le droit d’auteur. Nous reviendrons dans ce qui suit à une approche qui nous semblerait plus acceptable. 4. RESPONSABILITÉ DES FOURNISSEURS DE SERVICE L’article 18 du projet de loi C-11 propose d’introduire de nouveaux alinéas (2.3) et (2.4) à l’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur : 58. Music Publisher Tries to Muzzle Podcast Criticizing Akon, [en ligne] <https:// www.eff.org/takedowns/music-publisher-tries-muzzle-podcast-criticizing-a> (page consultée le 22 janvier 2011). 59. YouTube’s January Fair Use Massacre, [en ligne] <https://www.eff.org/deeplinks/ 2009/01/youtubes-january-fair-use-massacre> (page consultée le 22 janvier 2011). 60. Radio Canada, Les artistes montent aux barricades, [en ligne] <http://www. radio-canada.ca/nouvelles/arts_et_spectacles/2010/11/30/001-droit-auteurmanif.shtml> (page consultée le 22 janvier 2011) « Les artistes réclament notamment des redevances des fournisseurs de service Internet pour compenser les pertes qu’ils subissent en raison du téléchargement illégal de musique sur Internet. ». 142 Les Cahiers de propriété intellectuelle (2.3) Constitue une violation du droit d’auteur le fait pour une personne de fournir sur Internet ou tout autre réseau numérique un service dont elle sait ou devrait savoir qu’il est principalement destiné à faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur, si une autre personne commet une telle violation sur Internet ou tout autre réseau numérique en utilisant ce service. (2.4) Lorsqu’il s’agit de décider si une personne a commis une violation du droit d’auteur prévue au paragraphe (2.3), le tribunal peut prendre en compte les facteurs suivants : a) le fait que la personne a fait valoir, même implicitement, dans le cadre de la commercialisation du service ou de la publicité relative à celui-ci, qu’il pouvait faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur ; b) le fait que la personne savait que le service était utilisé pour faciliter l’accomplissement d’un nombre important de ces actes ; c) le fait que le service a des utilisations importantes, autres que celle de faciliter l’accomplissement de ces actes ; d) la capacité de la personne, dans le cadre de la fourniture du service, de limiter la possibilité d’accomplir ces actes et les mesures qu’elle a prises à cette fin ; e) les avantages que la personne a tirés en facilitant l’accomplissement de ces actes ; f) la viabilité économique de la fourniture du service si celui-ci n’était pas utilisé pour faciliter l’accomplissement de ces actes.61 Ces alinéas ont été présentés comme ceux qui vont s’attaquer aux services en ligne qui permettent de télécharger et de mettre à disposition sur Internet des œuvres protégées par le droit d’auteur. 61. Article 18 du projet de loi C-11 proposant l’ajout de nouveaux alinéas (2.3) et (2.4) à l’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/ HousePublications/Publication.aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011). Mémoire sur le projet de loi C-11 143 Autrement dit, il s’agit de mettre fin à des services tels que ceux d’« Isohunt », ou « the Pirate Bay »62. Cet article ne peut toutefois être lu indépendamment des dispositions de l’article 35 du projet de loi C-11, qui propose notamment d’introduire un article 31.1 à la Loi sur le droit d’auteur et qui viserait spécifiquement les fournisseurs de services Internet : 31.1 (1) La personne qui, dans le cadre de la prestation de services liés à l’exploitation d’Internet ou d’un autre réseau numérique, fournit des moyens permettant la télécommunication ou la reproduction d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur par l’intermédiaire d’Internet ou d’un autre réseau ne viole pas le droit d’auteur sur l’œuvre ou l’autre objet du seul fait qu’elle fournit ces moyens. (2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas dans le cas où la prestation du service par la personne constitue une violation du droit d’auteur prévue au paragraphe 27(2.3).63 Ces articles proposés, soit 27(2.3), (2.4) et 31.1 de la Loi sur le droit d’auteur, lus ensemble, indiquent que les fournisseurs de services Internet, s’ils ne veulent pas voir leur responsabilité engagée et être eux-mêmes poursuivis pour violation du droit d’auteur, auraient l’obligation de bloquer des services Internet qui seraient susceptibles de permettre des violations au droit d’auteur (ou d’entraîner, à la limite, des allégations de violation de la part d’ayants droit). Une telle obligation nous amène inévitablement à nous interroger à l’atteinte qui, du fait du blocage de services sur des réseaux, serait faite à la liberté d’expression, protégée par la Charte canadienne des droits et libertés64, et de façon plus générale à la neutra62. Témoignage de M. Barry Sookman devant le Comité législatif C-11, le 1er décembre 2010 : « Bien sûr, au Canada, nous avons des problèmes similaires à The Pirate Bay. Nous avons isoHunt, qui est le deuxième plus gros site BitTorrent au monde. C’est le plus gros du Canada. Nous avons sept autres sites BitTorrent en service au Canada, et de nombreux sites Leech et d’autres encore. L’affaire Pirate Bay est un bon révélateur et mérite que l’on y réfléchisse. Nous avons nous aussi ces problèmes à régler au Canada et la disposition sur la facilitation sera un bon outil à cet égard. » (nos italiques), [en ligne] <http://www2.parl.gc.ca/House Publications/Publication.aspx?DocId=4839067&Language=F&Mode=1&Parl= 40&Ses=3> (page consultée le 22 janvier 2011). 63. Article 35 du projet de loi C-11 proposant l’ajout de l’article 31.1 à la Loi sur le droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication. aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011). 64. Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, <http://www.canlii.org/fr/ca/const/const1982.html> (page consultée le 26 janvier 2011). 144 Les Cahiers de propriété intellectuelle lité d’Internet, qu’il nous semble essentiel de garantir. Il n’appartient certes pas aux fournisseurs d’accès de décider quels sites devraient ou ne devraient pas être accessibles aux internautes. Si, en théorie, ce type d’approche pouvait sembler prometteuse à certains, le législateur aurait eu avantage à tenir compte des expériences étrangères dans le domaine, qui se sont toutes avérées plus inutiles les unes que les autres, et qui n’ont en aucun cas permis aux créateurs d’être rémunérés, que ce soit en Suède, avec la loi IPRED qui était censée mettre un terme au « piratage »65, en France avec la loi HADOPI, où les internautes se sont détournés des applications surveillées par l’HADOPI pour continuer à s’adonner par d’autres biais à leurs pratiques habituelles66. Toutes ces tentatives désespérées pour mettre fin au « piratage » sont une perte de temps, et une perte d’argent pour les créateurs et les acteurs de l’économie numérique. Il est déplorable de constater que le choix que plusieurs semblent encore privilégier, malgré l’échec d’une telle approche, soit celui d’une répression qui a fait la preuve de son inefficacité – il y aurait certes lieu d’enfin s’atteler à trouver de nouveaux mécanismes de rémunération pour les créateurs : une licence pour la mise à disposition des œuvres sur les réseaux, payée par les utilisateurs à leur fournisseur de services Internet nous semblerait en ce sens une approche plus efficace, plus viable et plus équitable. Il nous semble que c’est ce genre d’approche, où les créateurs seraient rémunérés par les utilisateurs des œuvres protégées par le droit d’auteur, les sommes étant perçues par leur fournisseur de service Internet, qui serait le plus à même de satisfaire l’ensemble des parties. Une telle mesure serait certes préférable à une tentative de responsabilisation des fournisseurs de services Internet, qui n’auraient d’autres choix que de mettre en place un blocage ou un filtrage d’Internet qui non seulement est inefficace, mais nécessiterait vraisemblablement des moyens financiers importants. Des sommes qui seraient d’ailleurs prélevées dans la poche du consommateur, à n’en point douter. Puisque ce type d’approche aurait pour effets prévisibles de limiter la circulation des œuvres, de mettre en péril la neutralité d’Internet 65. CHAMPEAU Guillaume, La loi suédoise IPRED est un succès : le piratage augmente, les ventes aussi, [en ligne], <http://www.numerama.com/magazine/ 15417-la-loi-suedoise-ipred-est-un-succes-le-piratage-augmente-les-ventesaussi.html> (page consultée le 22 janvier 2011) 66. Rédaction de Zdnet, Hadopi : 75 % des adeptes du téléchargement n’ont pas modifié leurs habitudes, [en ligne] <http://www.zdnet.fr/actualites/hadopi-75des-adeptes-du-telechargement-n-ont-pas-modifie-leurs-habitudes-39757470. htm> (page consultée le 22 janvier 2011). Mémoire sur le projet de loi C-11 145 et la liberté d’expression, d’entraîner des frais pour les consommateurs, sans que ces sommes ne profitent jamais aux créateurs, qui souhaitent à n’en point douter une plus grande diffusion de leurs œuvres, nous persistons à croire qu’il est plus que temps de réévaluer les priorités et de travailler à élaborer un cadre qui avantage toutes les parties impliquées. Nous tenons à rappeler que certains pays ont pourtant montré la voie à suivre. En Espagne, la jurisprudence a de façon constante refusé de condamner les sites qui permettaient le téléchargement et la mise à disposition des œuvres sur Internet. Comme le déclarait très lucidement le tribunal : « Condamner impliquerait la pénalisation d’une pratique socialement admise et d’un comportement largement pratiqué où le but n’est pas de s’enrichir illégalement, mais d’obtenir des copies privées67. » Qu’il nous soit permis ici de faire un parallèle avec ce qu’écrivait Montesquieu dans l’Esprit des lois, et qu’il nous soit également permis de croire que le législateur canadien s’en inspirera : Nous avons dit que les lois étaient des institutions particulières et précises du législateur ; et les mœurs et les manières, des institutions de la nation en général. De là il suit que lorsqu’on veut changer les mœurs et les manières, il ne faut pas les changer par les lois (…).68 Ainsi, comme l’ont prouvé certaines expériences étrangères, ce n’est pas par la loi que les mœurs actuelles pourront être changées et que l’on arrivera à détourner les internautes des applications ou des sites Internet qui leur permettent de se procurer des copies d’œuvres. Il est bon de rappeler que la finalité d’une loi sur le droit d’auteur est de favoriser la diffusion de la création, d’une part, et d’assurer que les créateurs soient justement rémunérés, d’autre part. Si les technologies et les pratiques actuelles ont pour effet de permettre une diffusion sans précédent des œuvres créatives, il serait absurde 67. CHAMPEAU Guillaume, Le partage par P2P est légal en Espagne selon la Justice !, [en ligne], <http://www.numerama.com/magazine/3519-Le-partage-parP2P-est-legal-en-Espagne-selon-la-Justice.html> (page consultée le 26 janvier 2011). 68. Montesquieu, L’Esprit des lois, Livre XIX, Chap. XIV, [en ligne] <http://www. voltaire-integral.com/Esprit_des_Lois/L19.htm#L19_14> (page consultée le 22 janvier 2011). 146 Les Cahiers de propriété intellectuelle de tenter, par le biais d’une loi qui vise justement une large diffusion, de poser quelque frein à ces possibilités d’accès phénoménales. Le plus sage serait au contraire de veiller à cette autre finalité, celle dont les pratiques actuelles n’arrivent pas à elles seules à assurer l’atteinte, soit une juste rémunération pour les créateurs. C’est pourquoi nous suggérons la mise en place d’une rémunération pour les créateurs qui serait fondée sur la gestion collective du droit de mise à disposition des œuvres. En pratique, les utilisateurs qui souhaiteraient mettre à disposition des œuvres sur Internet pourraient obtenir une licence, qui serait en fait proposée avec l’abonnement Internet de l’utilisateur. Un montant supplémentaire, soit un tarif établi par la Commission du droit d’auteur, serait ainsi perçu par le fournisseur de service Internet auprès de l’utilisateur, et cette somme serait ensuite versée à la société de gestion collective qui gérerait cette licence ainsi que la redistribution des montants perçus. Il est faux de dire que la culture du gratuit est actuellement dominante sur les réseaux numériques et que les consommateurs refuseront de payer ce qu’ils obtiennent actuellement sans le payer directement. Les consommateurs reconnaissent la valeur de la création, et l’expérience a démontré que, lorsque les créateurs laissent aux utilisateurs la liberté de fixer eux-mêmes le prix de la musique, leur donnant même la possibilité de ne rien payer du tout, les utilisateurs dans la grande majorité sont prêts à débourser pour soutenir les créateurs. Les nombreux exemples à ce sujet, comme ces offres de Misteur Valaire, de Radiohead, ou encore de Nine Inch Nail, nous semblent éloquents. Ainsi, nous invitons le législateur à veiller, dans le cadre de sa réforme, à ce que soit maintenu l’équilibre actuel de la Loi sur le droit d’auteur, en permettant aux créateurs d’être rémunérés pour les utilisations de leurs œuvres, et en permettant aux utilisateurs d’avoir accès aux œuvres et à la culture dans le plein exercice de leurs droits. Vol. 24, nº 1 Déclaration en vue d’une interprétation du « Test des trois étapes » respectant les équilibres du droit d’auteur Christophe Geiger*, Jonathan Griffiths** et Reto M. Hilty*** INTRODUCTION Les inquiétudes soulevées par l’impact du test des trois étapes (ci après « le test ») sur le droit d’auteur et les droits voisins vont croissantes. Depuis son inclusion au sein de la Convention de Berne, le test des trois étapes, destiné à permettre la reproduction d’œuvres protégées par le droit d’auteur « dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur »1, a vu sa portée constamment accrue. Repris dans l’accord ADPIC2 et les traités de l’OMPI3, son application s’est vue © Christophe Geiger, Jonathan Griffiths, Reto M. Hilty, 2012. * Maître de conférences, directeur général et Directeur du Laboratoire de recherche du Centre d’etudes internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI), université de Strasbourg ; chercheur associé à l’institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence et le droit fiscal à Munich. ** Senior lecturer à la faculté de Droit de l’université Queen Mary de Londres. *** Directeur de l’institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence et le droit fiscal à Munich ; professeur aux universités de Zurich et Munich. 1. Art. 9 (2) de la Convention de Berne. 2. Art. 13, accord ADPIC. 3. Art. 10 du Traité OMPI sur le droit d’auteur et art. 16 (2) du Traité OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes. 147 148 Les Cahiers de propriété intellectuelle élargie à l’ensemble des droits d’auteur et des droits voisins. Depuis, le test a été consacré explicitement au niveau communautaire4 et incorporé dans de nombreuses législations nationales5. Aujourd’hui, le test est désormais au cœur de toutes les réflexions concernant le futur des exceptions et des limitations au droit d’auteur6. Parallèlement à cette évolution, la lecture consacrée du test des trois étapes est devenue de plus en plus restrictive. L’interprétation du test par le panel de l’OMC, sollicité à propos de la section 110 (5) du Copyright Act américain de 1976, consacre une approche strictement économique de cet instrument juridique et semble ne laisser qu’une marge de manœuvre très limitée aux États pour rechercher un équilibre satisfaisant entre les intérêts des titulaires de droits et les autres intérêts concurrents7. Les juges nationaux ont parfois mal compris les exigences du test et ont pu l’appliquer d’une manière profondément déséquilibrée8. C’est dans ce contexte que l’Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle de Munich et la Faculté de droit de l’Université Queen Mary de Londres ont réuni un certain nombre d’experts de diverses nationalités au sein d’un projet commun, avec pour objectif d’élaborer une déclaration proposant une interprétation équilibrée du « test des trois étapes » en droit d’auteur. La déclaration issue de cette collaboration est reproduite ci-dessous. La liste des signataires est ouverte sur les sites Internet de l’Institut Max Planck9 et de la Faculté de droit de Queen Mary, University of London10. 4. V. principalement l’article 5 (5) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. 5. Notamment en France, v. l’avant-dernier alinéa de l’article L. 122-5 du CPI, inséré par la loi du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information. 6. V. notamment le Livre Vert de la Commission des Communautés européennes, Le droit d’auteur dans l’économie de la connaissance, Bruxelles, COM (2008) 466/3, p. 5, selon lequel le test des trois étapes « est devenu la référence en matière de limitations au droit d’auteur ». 7. Rapport du panel de l’OMC daté du 15 juin, WT/DS160/R. 8. V. Par exemple Cass. 1re civ., 28 févr. 2006 : RIDA juill. 2006, p. 323. 9. <http://www.ip.mpg.de>. 10. <http://www.law.qmul.ac.uk>. Les équilibres du droit d’auteur 149 Déclaration en vue d’une interprétation du « test des trois étapes » respectant les équilibres du droit d’auteur11 Préambule Le rythme toujours croissant du développement technologique a fondamentalement modifié le rôle et l’impact du droit d’auteur. L’évolution des nouveaux modèles économiques a entraîné un changement des priorités. Des menaces nouvelles ont vu le jour – menaces pesant à la fois sur les intérêts des ayants droit et sur ceux des utilisateurs. Autant que possible, ces intérêts potentiellement en conflit doivent être réconciliés. Jusqu’à présent, l’harmonisation du droit d’auteur au niveau international a eu en premier lieu pour objectif de permettre aux ayants droit de profiter des nouveaux modes d’exploitation et des nouveaux modèles économiques. Bien qu’une telle harmonisation internationale profite aux pays exportateurs d’œuvres en leur garantissant un cadre légal stable et prévisible, les expériences passées, la théorie économique et le principe de souveraineté indiquent que les États doivent pouvoir jouir d’une marge de manœuvre suffisante pour adapter leur droit d’auteur national en fonction de leurs propres besoins culturels, sociaux et économiques. Ce sont les dispositions sur les exceptions et les limitations au droit d’auteur qui fournissent le principal mécanisme juridique permettant de garantir au niveau national une balance des intérêts équilibrée et pertinente, adaptée aux besoins de chacun des États. Le test des trois étapes constitue un outil efficace permettant d’éviter une application excessivement large des limitations et exceptions au droit d’auteur. En revanche, il n’existe aucun autre mécanisme juridique permettant d’éviter une approche excessivement étroite des limitations et exceptions. Pour cette raison, l’interprétation du test doit être guidée par la recherche d’une application appropriée et équilibrée des limitations et des exceptions. Ceci est fondamental si l’on souhaite obtenir une juste balance des intérêts en cause. 11. Ce texte constitue la version française de la « Declaration on a balanced interpretation of the “Three-Step Test” in Copyright Law », établie pour en faciliter l’accès aux lecteurs francophones. Bien que la traduction se veuille fidèle à la version originale anglaise, seule cette dernière engage les signataires. La version française a été rédigée par Christophe Geiger et Sylvie Nérisson. Le texte original est disponible en ligne sur le site de l’Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle : <http://www.ip.mpg.de>. 150 Les Cahiers de propriété intellectuelle Considérant ce qui suit : L’objectif du droit d’auteur est de servir l’intérêt général en incitant à la création d’œuvres nouvelles et à leur diffusion auprès du public. En tant que telles ou en servant de point de départ à de nouvelles créations, ces œuvres permettent de satisfaire les besoins de la collectivité. Toutefois, l’intérêt général n’est réellement promu que si le droit d’auteur fournit des incitations appropriées pour toutes les parties en cause. Le droit d’auteur doit donc satisfaire les intérêts des détenteurs originaires de droits (tels que les créateurs) autant que les intérêts de ceux qui acquièrent les droits dans le cadre de l’exploitation de l’œuvre (que nous appellerons par la suite les cessionnaires). Les créateurs et les cessionnaires ont souvent des intérêts communs, comme par exemple la lutte contre les utilisations non autorisées des œuvres. Cependant, leurs intérêts respectifs peuvent également diverger. En effet, les limitations et les exceptions sont presque toujours un obstacle à la maximisation des profits provenant des investissements des cessionnaires alors qu’elles peuvent dans certaines circonstances favoriser les intérêts des créateurs. Cela est particulièrement le cas dans les systèmes juridiques où l’application des exceptions et limitations est liée au paiement d’une rémunération équitable dont une part est obligatoirement reversée au créateur. Le test des trois étapes ne devrait pas être interprété d’une manière qui compromette une solution adéquate à ce conflit d’intérêts. Il n’est pas dans l’intérêt général de promouvoir les intérêts des ayants droit au détriment des autres intérêts individuels et collectifs existant au sein de la société. Lorsque les intérêts des ayants droit et ceux du public entrent en conflit, un effort doit être fait pour parvenir à un arbitrage équilibré. Cette recherche d’équilibre est un objectif général des règlementations internationales de propriété intellectuelle, comme l’indique l’article 7 de l’accord ADPIC. Le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur insiste d’ailleurs dans son préambule sur « la nécessité de maintenir un équilibre entre les droits des auteurs et l’intérêt public général, notamment en matière d’enseignement, de recherche et d’accès à l’information ». Les limitations et les exceptions sont le principal instrument juridique pour réconcilier le droit d’auteur avec les intérêts individuels et collectifs du public. Lors de la détermination de la portée du Les équilibres du droit d’auteur 151 test des trois étapes, les intérêts des ayants droit ne devraient pas être les seuls pris en compte. Le besoin de respecter également les autres intérêts en cause (comme ceux des tiers) est expressément confirmé par l’application du test au droit de la propriété industrielle (v. les art. 17, 26 (2) et 30 de l’accord ADPIC). Le fait que les intérêts des tiers ne soient pas explicitement mentionnés dans les dispositions sur le test des trois étapes en matière de droit d’auteur n’exclut pas la prise en compte de ces intérêts. Bien au contraire, cette absence révèle une omission qu’il revient aux juges de combler. Une juste application du test des trois étapes requiert une appréciation globale plus qu’une application « étape » par « étape » des différentes conditions, telle que sa lecture usuelle (mais trompeuse) semble impliquer. Aucune des trois « étapes » ne devrait primer. Ainsi appliqué, le test ne condamne pas la nécessaire recherche d’équilibre entre les intérêts des différents groupes d’ayants droits, ou entre les ayants droit d’une part et le public d’autre part. Si, dans un cas particulier, lors de l’examen des différentes étapes, l’analyse de la conformité d’une exception ou d’une limitation conduit à des résultats contradictoires, il convient d’adopter une approche globale. La formulation actuelle du test des trois étapes n’exclut pas une telle lecture. Cependant, cette approche a souvent été négligée par la jurisprudence12. L’intérêt général est particulièrement fort lorsque l’on est en présence de valeurs qui sous-tendent les droits fondamentaux. Ces mêmes valeurs doivent faire l’objet d’une attention particulière lors de la mise en œuvre du test. Par ailleurs, même si la reconnaissance de droits exclusifs par le droit d’auteur tend inévitablement à restreindre la concurrence, l’intérêt général commande de limiter cette propension au strict nécessaire. Les limitations et exceptions constituent un mécanisme permettant d’éviter les utilisations anticoncurrentielles pouvant résulter d’une position exclusive sur le marché découlant d’un droit de propriété intellectuelle. À cet égard, les limitations et exceptions se révèlent plus efficaces que le droit de la concurrence puisqu’elles éta12. V. par exemple l’arrêt de la Cour de cass. du 28 févr. 2006, précit. note 8. La même approche a été retenue dans le rapport du panel de l’OMC WT/DS114/R du 17 mars 2000 (Canada – Patents), selon lequel le fait qu’une seule des trois conditions ne soit pas remplie établit nécessairement qu’il y a violation de l’article 30 de l’accord ADPIC. Le rapport suivant WT/DS160/R du 15 juin 2000 (USA – Copyright), bien qu’il ne reprenne pas expressément le même raisonnement, ne s’en est pas écarté suffisamment pour dissiper les incertitudes à ce propos. 152 Les Cahiers de propriété intellectuelle blissent un fondement général pour « remédier » à ces positions anticoncurrentielles (contrairement à l’approche au cas par cas du droit de la concurrence). Elles renforcent ainsi la sécurité juridique en garantissant une certaine prévisibilité et permettent de réduire les coûts de transaction. Les décisions concernant l’introduction et la portée des limitations et exceptions pour promouvoir la libre concurrence devraient être laissées à la discrétion des législateurs nationaux. Le test des trois étapes ne devrait pas être appliqué d’une manière qui permette le maintien de pratiques anticoncurrentielles ou empêche l’établissement d’un équilibre harmonieux entre les intérêts légitimes des ayants droit d’une part et la libre concurrence d’autre part (surtout sur les marchés secondaires). Une des clefs du caractère incitatif du droit d’auteur pour les titulaires originaires de droits et pour leurs cessionnaires est la rémunération de l’utilisation des œuvres à un prix établi par la loi de l’offre et de la demande. En effet, des tarifs élevés sont acceptables s’ils résultent d’une libre concurrence. Toutefois, le marché n’est pas le seul indicateur à même d’établir le montant d’une rémunération « équitable » et à la mesure des intérêts des ayants droits. La détermination d’une rémunération dans des conditions anticoncurrentielles n’est pas acceptable. En conséquence, lorsque l’introduction de nouvelles limitations et exceptions aux droits exclusifs est nécessitée par la prise en compte des intérêts des tiers, le test des trois étapes ne devrait pas exclure une rémunération inférieure au cours établi par le marché. La rémunération est équitable tant qu’elle constitue une incitation suffisante à la création de nouvelles œuvres et à leur diffusion. Son montant doit donc aussi être considéré comme satisfaisant lorsque la différence entre la rémunération réelle et inférieure au cours du marché et celle qu’établirait théoriquement la loi de l’offre et de la demande est justifiée par les intérêts des tiers. Objectifs Le test des trois étapes remplit différentes fonctions selon le type de règlementation et l’ordre juridique dans lequel il s’inscrit. Dans l’ordre international, il dessine les contours de la liberté laissée aux États de déterminer les exceptions et limitations au droit d’auteur. Dans l’ordre interne, le test peut être intégré au droit positif ou seulement servir de clef d’interprétation du droit national. Les équilibres du droit d’auteur 153 Cette déclaration n’a ni l’ambition de supprimer ces différences, ni celle de restreindre la liberté des législateurs de déterminer les exceptions et limitations dans le droit interne ; encore moins d’intervenir dans la répartition des compétences à l’intérieur de l’ordre juridique européen. Le droit international économique permet la recherche d’un équilibre des intérêts économiques et sociaux. Le droit international de la propriété intellectuelle souligne le besoin de cette recherche d’équilibre. Cette déclaration propose, en matière de droit d’auteur, une interprétation équilibrée du test permettant d’assurer que les exceptions et limitations déjà reconnues par les lois nationales ne soient pas excessivement restreintes et que l’introduction d’exceptions et de limitations justement équilibrées ne soit pas prohibée. Déclaration Les signataires : – Conscients de la reconnaissance croissante du test des trois étapes par le droit d’auteur au niveau international, communautaire et national, – Considérant certaines interprétations du test au niveau international comme indésirables, – Estimant que l’application du test par certaines juridictions et législations nationales a été à tort influencée par une interprétation restrictive de ce test, – Considérant qu’il est souhaitable que l’interprétation du test se fasse de manière équilibrée, Déclarent ce qui suit : 1) Le test des trois étapes constitue un ensemble indivisible. Les trois conditions doivent être examinées ensemble et selon une approche globale et ouverte. 2) Le test n’impose pas une interprétation restrictive des exceptions et limitations. Ces dernières doivent être interprétées conformément à leurs objectifs et justifications/raison d’être. 154 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3) La circonscription des exceptions et des limitations aux droits exclusifs à certains cas spéciaux par le test des trois étapes n’interdit pas : a) aux législateurs d’introduire des limitations et exceptions de type « ouvert », tant que leur portée est raisonnablement prévisible, ou b) aux juges de – faire une application mutatis mutandi des limitations et exceptions légales à des espèces similaires à celles prévues par la loi, – créer de nouvelles limitations et exceptions, lorsque leur système juridique le leur permet. 4) Les limitations et exceptions ne contreviennent pas à l’exploitation normale des objets protégés lorsqu’elles – reposent sur d’importantes considérations de valeur égale à celles qui sous-tendent la protection, – ont pour effet d’empêcher des restrictions injustifiées à la libre concurrence, notamment sur les marchés secondaires, particulièrement lorsqu’une rémunération équitable est garantie, que ce soit par voie contractuelle ou par une autre voie. 5) L’application du test des trois étapes doit tenir compte tout autant des intérêts des détenteurs originaires de droits que de ceux de leurs cessionnaires. 6) Le test des trois étapes devrait être interprété de telle manière qu’il respecte les intérêts légitimes des tiers, à savoir – les intérêts découlant des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, – les intérêts découlant d’un principe de libre concurrence, notamment sur les marchés secondaires, et Les équilibres du droit d’auteur 155 – les autres intérêts de la collectivité, comme notamment le progrès scientifique et le développement culturel, social et économique. Initiateurs et coordinateurs de la Déclaration : C. Geiger, Maître de conférences, Directeur général et directeur du Laboratoire de recherche, Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI), Université deStrasbourg, Chercheur à l’Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence et le droit fiscal, Munich ; R. M. Hilty, Directeur de l’Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence et le droit fiscal, Munich, Professeur aux Universités de Zurich et Munich ; J. Griffiths, Senior Lecturer, Faculté de droit de l’Université Queen Mary de Londres ; U. Suthersanen, Professeur, Faculté de droit de l’Université Queen Mary de Londres. Groupe d’experts ayant participé aux travaux aboutissant à la Déclaration, et premiers signataires : V.-L. Benabou, Professeur à l’Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Directrice du Laboratoire Dante ; L. Bently, Professeur et Directeur, Centre for Intellectual Property & Information Law, Faculté de droit de l’Université de Cambridge ; T. Dreier, Professeur à l’Université de Karlsruhe et Directeur, Institut für Informationsrecht, Karlsruhe ; S. Dusollier, Professeur et Responsable du département Droits Intellectuels au Centre de recherche informatique et droit, Université de Namur ; G. Ghidini, Professeur à l’Université de Milan et Directeur, Osservatorio di proprietà intellettuale, concorrenza e comunicazioni, Université Luiss Guido Carli, Rome ; H. Große Ruse-Khan, Docteur en droit, Chercheur à l’Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence et le droit fiscal, Munich ; B. Hugenholtz, Professeur et Directeur, Institute for Information Law, Université d’Amsterdam ; D. Kallinikou, Professeur associé à l’Université d’Athènes ; K. Koelman, Docteur en droit et Avocat, Amsterdam ; A. Kur, Professeur à l’Université de Stockholm, Chercheur à l’Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence et le droit fiscal, Munich ; M. Makeen, Lecturer à la Faculté de droit et à la School of Oriental and African Studies, Université de Londres ; V. Mizaras, Professeur associé et responsable du département Civil Law and Civil Procedure, Faculté de droit, Université de Vilnius ; H. MacQueen, Professeur et co-directeur, AHRC Research Centre for Studies in Intellectual Property and Technology Law, Université d’Edimbourg ; G. Okutan Nilsson, Professeur assistant, Intellectual Property Law Research Centre, Université Bilgi d’Istamboul ; A. Peukert, Professeur assistant, Chercheur à l’Insti- 156 Les Cahiers de propriété intellectuelle tut Max Planck pour la propriété intellectuelle, Munich ; J. Reichman, Professeur à la Duke University School of Law, États-Unis ; J. Rosen, Professeur à l’Université de Stockholm ; J. Schovsbo, Professeur à l’Université de Copenhague ; M. Senftleben, Professeur de propriété intellectuelle à l’Université VU d’Amsterdam ; F. Siiriainen, Professeur à l’Université de Nice Sophia Antipolis ; P. L.C. Torremans, Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Nottingham ; E. Traple, Professeur à l’Université de Cracovie ; M. Vivant, Professeur à l’Institut d’études politiques (« Science Po »), Paris ; R. Weber, Professeur à l’Université de Zurich ; G. Westkamp, Senior Lecturer à la Faculté de droit, Université Queen Mary de Londres ; R. Xalabarder, Professeur à l’Université de Catalogne, Barcelone. Assistance sur le projet : B. Bajon, Doctorant et boursier à l’Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, Munich. Capsule Vente sur une place de marché en ligne de produits portant atteinte à des droits de marque – responsabilité de l’exploitant de la place de marché – injonctions judiciaires à l’exploitant Alexandra Neri* Le 12 juillet 2011 la CJUE a rendu un arrêt très attendu dans l’affaire L’Oréal e.a./eBay International AG e.a.1. La Cour de justice de l’Union européenne a été saisie de plusieurs questions préjudicielles posées par la High Court of Justice dans le cadre d’un litige qui opposait L’Oréal et plusieurs de ses filiales à eBay, et plusieurs personnes physiques. L’Oréal commercialise des parfums, des cosmétiques et des produits de soin des cheveux. Au Royaume-Uni elle est titulaire de plusieurs marques nationales, au niveau européen elle est titulaire d’une marque communautaire. eBay exploite une place de marché en ligne sur laquelle sont présentées des annonces pour des produits mis en vente par des personnes inscrites à cette fin auprès du service et ayant créé un compte vendeur. eBay prélève une commission sur les transactions © Alexandra Neri, 2012. * Avocate, associée du cabinet Herbert Smith (Paris). 1. CJUE, 12 juillet 2011, L’Oréal e.a./eBay International AG e.a. – C-324/09. 157 158 Les Cahiers de propriété intellectuelle effectuées. Les vendeurs et les acheteurs sont tenus d’accepter des conditions générales interdisant la vente d’objets contrefaits et imposant le respect du droit des marques. Ce litige soulève plusieurs questions impliquant l’interprétation de la Directive sur les marques, dont la première concerne la vente sur la place de marché eBay de produits de marque « L’Oréal » sans emballage, ainsi que des objets de démonstration et des échantillons, à la revente desquels eBay se serait toujours opposé au sein de l’Espace Economique Européen. Selon L’Oréal, ces ventes étaient faites en violation de ses droits de marque et eBay en serait solidairement responsable, dès lors qu’elles étaient intervenues via sa plateforme (Point 34). La deuxième question concernait donc le point de savoir si eBay est elle-même responsable de l’utilisation de marques de L’Oréal en raison de l’affichage de celles-ci sur son site (lors de l’affichage des annonces de ses utilisateurs sur son site), soit en raison de l’utilisation de ces marques pour des campagnes de référencement sur les sites d’opérateurs de moteurs de recherche, tels que Google (Point 38). L’Oréal faisait valoir que, même si eBay n’était pas responsable des atteintes aux droits attachés à ses marques, une injonction devait lui être adressée en vertu de l’article 11 de la directive 2004/48 (Point 43). Les questions préjudicielles posées par la High Court of Justice nécessitaient l’interprétation des articles 5(1) (a) et 7(1) et (2) de la Directive 89/104/CE sur les marques, des articles 9(1) sous a) et 13 (1) et (2) du Règlement 40/94/CE sur la marque communautaire, de l’article 14(1) de la Directive 2000/31/CE sur le commerce électronique et enfin de l’article 11 de la Directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle. À l’occasion de ce litige et en réponse aux questions préjudicielles posées par la High Court of Justice, la CJUE est venue apporter des éclaircissements très utiles sur la question de la vente sur une place de marché en ligne de produits portant atteinte à des droits de marque. Vente sur une place de marché en ligne 159 Elle pose également des limites assez claires à la portée des injonctions judiciaires pouvant être prononcées à l’encontre d’un intermédiaire tel que la société eBay. En revanche, la décision laisse une grande incertitude quant aux conditions dans lesquelles l’exploitant d’une place de marché peut voir sa responsabilité engagée du fait des contrefaçons commises par ses utilisateurs. Les enseignements de cette décision sont à analyser en quatre points. 1. La contrefaçon commise par les utilisateurs en cas de revente de produits marqués sans emballage, ou qui constitue des échantillons ou des produits de démonstration interdite à la vente La CJUE, conformément à sa jurisprudence constante, rappelle que la fourniture d’échantillons de parfums à des distributeurs avec interdiction de les vendre, ne constitue pas, en l’absence d’éléments probants contraires, une mise dans le commerce (point 73). (Arrêt du 15 janvier 2009, Silberquelle, c-495/07). La règle de l’épuisement des droits ne peut donc pas jouer. Par ailleurs, le titulaire de la marque peut s’opposer à la vente de parfums sans emballages si le retrait de l’emballage prive le consommateur d’informations essentielles ou porte atteinte à la réputation de la marque (point 83). Il appartient au titulaire de la marque d’établir l’existence des éléments constitutifs de cette atteinte (point 79). La Cour rappelle en outre que le titulaire peut agir même si les produits ne se trouvent pas dans le territoire couvert par la marque (point 62). Il suffit que l’offre en vente soit destinée à des consommateurs situés dans ce territoire (point 65). 2. L’absence d’usage de marque imputable à l’exploitant de la place de marché du fait de l’apparition des annonces sur la place de marché en ligne Lorsque la marque est utilisée par des utilisateurs de la plateforme pour vendre des produits, la Cour de justice estime qu’eBay ne 160 Les Cahiers de propriété intellectuelle peut pas être l’auteur d’une contrefaçon puisqu’il n’est qu’un prestataire intermédiaire. L’exploitant d’une place de marché en ligne ne fait donc pas lui-même un « usage » de la marque, au sens des articles 5 de la Directive 89/104 et 9 du Règlement nº 40/94 (Point 105). L’usage de la marque est le fait des clients vendeurs de l’exploitant de la place de marché et non de l’exploitant lui-même (para. 103). L’usage n’est alors répréhensible de la part de l’internaute que s’il est effectué « dans la vie des affaires » (point 54). Tel est le cas si les ventes dépassent, en raison de leur volume, leur fréquence ou d’autres caractéristiques, la sphère d’une activité privée (point 55). 3. L’usage de la marque est en revanche imputable à l’exploitant de la place de marché s’il prend lui-même l’initiative de l’utiliser pour promouvoir lui-même les offres de ses utilisateurs sous la forme de liens sponsorisés dans le cadre de campagne de référencement payant : L’appréciation de la contrefaçon suppose alors une analyse au cas par cas de chaque lien sponsorisé Selon la CJUE, eBay engage sa responsabilité, en tant qu’annonceur, lorsqu’il utilise des marques pour faire la promotion de son service, ou pour promouvoir les offres de ses utilisateurs. Le titulaire d’une marque est habilité à interdire à l’exploitant d’une place de marché en ligne de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet exploitant a sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits de cette marque mis en vente sur ladite place de marché, lorsque cette publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si lesdits produits proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers (point 97). La CJUE estime que, pour éviter toute confusion, eBay devrait au moins s’assurer que chaque « lien sponsorisé » communique son identité ainsi que le fait que les produits sont mis en vente au moyen de la place de marché qu’il exploite (point 96). Vente sur une place de marché en ligne 161 4. La recherche difficile du régime de responsabilité adéquat de l’exploitant La question est de savoir si l’exploitant peut bénéficier, en cas d’illicéité des annonces mises en ligne sur la place de marché, du régime de responsabilité spécifique des hébergeurs prévu à l’article 14 de la Directive 2000/31 sur le commerce électronique. La CJUE n’exclut pas cette possibilité mais la soumet à la condition que l’exploitant ne joue aucun « rôle actif », rôle que les juridictions nationales doivent apprécier au cas par cas. • Si eBay se contente de stocker sur son serveur les offres à la vente, il peut bénéficier du régime dérogatoire en matière de responsabilité prévu par la directive 2000/31 et ce, même s’il fixe les modalités de son service (notamment le prélèvement d’une commission sur les ventes) et même s’il donne des renseignements d’ordre général à ses clients (conseils et recommandations générales sur l’usage du service, la manière de libeller les annonces etc.). • Mais si eBay prête à ses utilisateurs une assistance plus poussée, en agissant notamment directement pour « optimiser la présentation des offres de vente » ou pour « promouvoir ces offres », il y a lieu de considérer qu’il a non pas occupé une position neutre entre le client vendeur concerné et les acheteurs potentiels, mais joué un rôle actif excluant la dérogation en matière de responsabilité visée par l’article 14 de la directive 2000/31 (point 116). Mais il est à noter que la CJUE reste extrêmement vague sur les notions « d’optimisation » et de « promotion » des offres de ses clients. Il est possible de penser que les hypothèses envisagées sont celles décrites par la Cour de justice au point 31 de l’arrêt qui mentionne certaines activités d’aide aux vendeurs pour optimiser leurs offres, créer leurs boutiques en ligne, promouvoir et augmenter leurs ventes. eBay fait notamment de la publicité pour certains des produits mis en vente sur sa place de marché en ligne au moyen d’un affichage d’annonces par des opérateurs de moteurs de recherche, tels que Google. Une telle interprétation est très largement conjecturale à ce stade. On peut penser que les divergences d’appréciation entre les juridictions des États-Membres quant au régime de responsabilité 162 Les Cahiers de propriété intellectuelle adéquat pour les places de marché en ligne ne vont pas cesser en Europe. Enfin, même dans l’hypothèse où il n’a pas joué un rôle actif, la responsabilité de l’exploitant reste engagée « s’il a eu connaissance des faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité des offres à la vente et, dans l’hypothèse d’une telle connaissance, n’a pas promptement agi » (point 124). Là encore, cela entraîne de l’incertitude. La Cour fait en effet une référence étonnante à la notion d’« opérateur économique diligent » qui « aurait dû » constater l’illicéité. Cela peut laisser penser qu’un hébergeur pourrait tout de même, dans certains cas, être tenu d’effectuer lui-même des recherches minimales pour vérifier directement la licéité de certains contenus qu’il héberge. On peut se demander si cela est bien compatible avec l’article 15 de la Directive sur le commerce électronique, qui exclut expressément que les intermédiaires puissent se voir imposer une obligation générale de rechercher eux-mêmes activement l’illicéité des informations, ce dont il résulte qu’en principe, la connaissance de telles informations ne peut-être que le résultat d’un signalement précis. 5. L’exigence de proportionnalité des injonctions judiciaires pouvant être prononcées contre l’exploitant En vertu de l’article 11 de la directive 2004/48 sur le respect des droits de propriété intellectuelle, les juridictions nationales ont le pouvoir d’enjoindre à l’exploitant d’une place de marché en ligne, de prendre les mesures qui « contribuent de façon effective à mettre fin aux atteintes portées aux droits de marque et à prévenir de nouvelles atteintes » (point 131). Les injonctions doivent cependant être « proportionnées », ne doivent pas créer d’obstacles au commerce légitime (point 144), mais au contraire respecter un juste équilibre entre les divers intérêts en cause (point 143). Ainsi, il ne peut être exigé de l’exploitant qu’il surveille activement l’ensemble des données de chacun de ses clients (point 139). Enfin, l’injonction adressée à cet exploitant ne peut avoir pour objet Vente sur une place de marché en ligne 163 ou pour effet d’instaurer une interdiction générale et permanente de mise en vente de produits de marque (140). L’exploitant peut toutefois être contraint de suspendre l’auteur de l’atteinte (point 141) ou encore de prendre les mesures permettant de faciliter l’identification de ses clients vendeurs (point 142). Ces mesures sont cependant citées à titre de simple exemple, le juge national disposant de marges de manœuvre pour déterminer les mesures adéquates pouvant contribuer à la prévention des atteintes futures aux droits de propriété intellectuelle des plaignants. On peut regretter, là encore, l’insécurité juridique introduite par la Cour de justice sur ce point. Elle accorde en effet aux juges nationaux le pouvoir d’enjoindre à l’exploitant d’une place de marché en ligne, de prendre les mesures qui « contribuent de façon effective à mettre fin aux atteintes portées aux droits de marque et à prévenir de nouvelles atteintes », mais sans définir ces mesures. Elle fait ainsi confiance à l’imagination des juges et à leur pouvoir de créer des obligations nouvelles (obligation de sensibiliser les utilisateurs aux problèmes de la contrefaçon, d’adopter à leur encontre une politique de sanction stricte, de mettre en place des systèmes d’alerte automatisée etc.) qui, à notre sens, devrait relever exclusivement du législateur. Capsule Une brève histoire de l’avenir*… de l’organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) Laurier Yvon Ngombé** L’avenir est un présent que nous fait le passé. — André Malraux INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 1. L’AVENIR PRÉVISIBLE DE L’OAPI . . . . . . . . . . . . 167 1.1. Concurrence institutionnelle . . . . . . . . . . . . . . 168 1.2 Unification institutionnelle . . . . . . . . . . . . . . . 168 2. L’AVENIR SOUHAITABLE DE L’OAPI. . . . . . . . . . . 170 CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172 © Laurier Yvon Ngombé, 2012. * Pour reprendre le titre d’un essai de Jacques Attali. ** Docteur en Droit, Avocat à la Cour d’appel de Paris (Barreau de l’Essonne), Chargé d’enseignement au CNAM Île de France et à l’ESGCI – PPA. L’auteur a publié en 2009 Le Droit d’auteur en Afrique, 2e éd. (Paris : L’Harmattan, 2009) en cours de réédition. 165 INTRODUCTION Le continent africain célèbre chaque 13 septembre la Journée de la propriété intellectuelle. Cette date correspond à celle de la création, en 1962, de l’Office africain et malgache de la propriété intellectuelle (OAMPI) qui deviendra en 1977 l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI)1. Cette année, l’OAPI va donc célébrer son cinquantenaire. À la faveur de cet événement, quelques réflexions sur les scénarios envisageables pour le demi-siècle à venir paraissent être un exercice aussi intéressant que l’établissement d’un bilan. Les spécialistes de la propriété intellectuelle ont l’habitude de la projection plus ou moins lointaine dans l’avenir, comme approche de réflexion2. Concernant l’avenir de l’OAPI, il est d’abord possible d’envisager les scénarios prévisibles, au regard de son histoire et du présent. Ensuite, il semble intéressant d’évoquer des scénarios souhaitables pour proposer des pistes de réflexions sur l’avenir. 1. L’AVENIR PRÉVISIBLE DE L’OAPI Sur ce point, le fil de l’histoire des cinquante années écoulées laisse entrevoir deux évolutions relatives, d’une part, à une « concurrence institutionnelle » et, d’autre part, à une « unification institutionnelle ». 1. CAZENAVE (Bertrand), « L’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) de Libreville à Bangui » [1989] Propriété industrielle 311 ; NGOMBE (Laurier Yvon), « Une discrète quinquagénaire : l’organisation africaine de la propriété intellectuelle » : (2012), 2 Communication Commerce électronique, Focus 11, page 2. 2. V. par exemple CARON (Christophe), « Le droit d’auteur de l’an 2440. Cauchemar s’il en fût jamais », dans Études à la mémoire du professeur Xavier Linant de Bellefonds (Paris : Lexisnexis, 2007), pp. 105 et s. et aussi L’avenir de la propriété intellectuelle. Acte du colloque organisé par l’IRPI le 26 octobre 1992 (Paris : IRPI-Litec, 1993). 167 168 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1.1 Concurrence institutionnelle Concernant la concurrence institutionnelle, il y a eu dans un premier temps la question d’une éventuelle concurrence entre l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) et l’OAPI. En effet, le conseil des ministres de l’OHADA avait, en 2002, étendu le champ de compétence de l’OHADA à la propriété intellectuelle. En 2011, l’OHADA a finalement retiré la propriété intellectuelle de son champ de compétence. Néanmoins, l’absence de système juridictionnel dans le cadre de l’OAPI et les inévitables points de contact entre la législation de l’OHADA et celle de l’OAPI devraient conduire le juge de l’organisation régionale en charge du droit des affaires à se prononcer sur les textes de l’organisation en charge de la propriété intellectuelle. Se pose également la question de la coordination entre les textes de l’OAPI sous sa forme actuelle, ou sous la forme qui adviendra suite à la fusion des deux organisations régionales, et les organisations sous-régionales d’intégration économique telle que l’Union Économique et Monétaire Ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC)3. L’évolution des textes des différentes organisations se fera avec davantage de coordination. 1.2 Unification institutionnelle Sur le plan institutionnel, l’avenir de l’OAPI renvoie particulièrement à la question de la « cohabitation » de l’OAPI avec l’ARIPO (African Regional Intellectual Property Organization) et de la très probable fusion entre les deux organisations. À ce jour, 16 États sont membres de l’OAPI. En dehors de la Guinée Equatoriale et de la Guinée Bissau, tous les États membres de l’OAPI sont francophones. De l’autre côté, les États membres de l’ARIPO sont essentiellement anglophones. À l’origine, l’ARIPO était, justement, l’organisation régionale anglophone de la propriété intellectuelle (English Speaking African Regional Intellectual Property Organization). Le « découpage » linguistique initial a été abandonné par chacune des 3. Ainsi, la question de l’épuisement des droits de propriété intellectuelle pourrait être abordée en tenant compte de l’existence de ces différents « marchés communs ». L’Organisation africaine de la propriété intellectuelle 169 organisations. Les deux organisations ont, en effet, prévu chacune une « ouverture » au-delà de leur espace linguistique originel. Par ailleurs, comme le souhaitent de nombreux spécialistes, l’intégration régionale de la propriété intellectuelle sur le continent africain va irrésistiblement aboutir dans les prochaines années, à plus ou moins long terme, à la création d’une organisation régionale unique. En 2007, l’Union Africaine a adopté la Décision sur la création d’une Organisation Panafricaine de la Propriété intellectuelle4 (PAIPO5). L’idée d’une création d’une organisation africaine unique de la propriété intellectuelle se concrétise donc peu à peu. Cette unification institutionnelle devrait être l’œuvre de l’OMPI, de l’Union Africaine, de l’OAPI et de l’ARIPO. Elle impliquera une mutualisation des moyens et des compétences, notamment en matière de formation et de documentation. Il est fort probable que d’ici quelques années cohabitent deux revues africaines relatives à la propriété intellectuelle, sans doute sous forme électronique. Le master de propriété intellectuelle de l’OAPI sera concurrencé par des formations qui apparaîtront au sein de diverses universités d’États membres. C’est un scénario dont la réalisation est probable dans les prochaines années. La législation de l’OAPI s’est progressivement enrichie. Entre 1962 et 1999, l’OAPI a considérablement élargi son champ législatif. Ainsi en 1977, l’Annexe VII de l’Accord de Bangui portait sur la propriété littéraire et artistique (incluant la protection du patrimoine culturel) ; en 1999, était adoptée l’Annexe X relative aux obtentions végétales6. La législation relative au patrimoine culturel va sans doute davantage évoluer, notamment pour intégrer les nouveaux textes internationaux sur la question (et particulièrement les travaux de l’OMPI). Par ailleurs, on peut s’attendre à quelques amendements pour tenir compte des effets de l’évolution technologique depuis 1999. Cet enrichissement normatif se fera sans doute dans le cadre d’une organisation unique à l’échelle du continent. Le chemin qui mène à la création d’une organisation unique et donc à la transformation de l’OAPI comporte néanmoins quelques préalables. Par exemple, sous l’égide de l’OAPI existe une législation 4. Assembly/AU/Dec. 138 (VIII). 5. Pan African Intellectual Property Organization. 6. MIENDJIEM (Isidore Léopold) et al., « Libres propos sur la législation OAPI relative aux obtentions végétales », (2010), 14:3 Lex Electronica ; disponible aussi à <http://www. lex-electronica.org/docs/articles_245.pdf>. 170 Les Cahiers de propriété intellectuelle uniforme de la propriété industrielle alors que, dans le cadre de l’ARIPO, tel n’est pas (pas encore) le cas. L’organisation unique devra-t-elle prévoir comme l’OAPI une législation uniforme ? Cette question fait partie de celles qui permettront à la cohabitation entre ARIPO et OAPI de durer encore quelques années… mais seulement quelques années. 2. L’AVENIR SOUHAITABLE DE L’OAPI Quel que soit l’avenir de l’OAPI, il est souhaitable que sur le plan législatif certains points soient « renforcés ». En matière de droit d’auteur, on peut souhaiter un mécanisme de contrainte afin d’assurer une meilleure harmonisation sur ce point. En effet, le minimum conventionnel prévu par l’Annexe VII de l’Accord de Bangui (texte de l’OAPI sur le droit d’auteur et le patrimoine culturel) n’est pas toujours respecté par les lois des États membres7. Par ailleurs, il est souhaitable d’intégrer à la législation sur le droit d’auteur des dispositions relatives aux questions de conflit de lois 8. De même, on peut s’interroger sur les aspects pénaux de la propriété industrielle. Les textes de l’OAPI relatifs aux marques et aux brevets, par exemple, prévoient aussi bien les actes réprimés que les peines encourues dans tous les États membres. Concernant les amendes, cela peut poser problème. Sans doute, celles-ci devraient être « libellées » autrement. Il pourrait, par exemple, être retenu une référence permettant de tenir compte du niveau de vie de l’État dans lequel l’amende sera prononcée. De même, il peut être judicieux de lancer de nouvelles réflexions sur l’épuisement des droits9. En matière de marque, la révision de la législation régionale en 1999 a été l’occasion de supprimer l’exigence de l’exploitation de la 7. Pour une illustration parmi plusieurs, voir NGOMBE (Laurier Yvon), « L’œuvre audiovisuelle dans les États de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle » (2005), 17:2 Cahiers de propriété intellectuelle 337. 8. Sur l’intérêt de la question, voir notre étude : « Mise en œuvre du droit d’auteur dans les États de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle et questions de droit international privé » (2006), 2 Journal du droit International – Clunet 563. 9. Pour une critique de la législation régionale actuelle, voir TANKOANO (Amadou), « Les importations parallèles et les licences non volontaires dans le nouveau droit des brevets des États membres de l’OAPI », dans Commerce, propriété intellectuelle et développement durable vus de l’Afrique, Documents présentés au Dialogue régional de Dakar, organisé les 30 & 31 juillet 2002, par ICTSD, ENDA Tiers Monde et Solagral. p. 115; disponible à <http://ictsd.org/downloads/2008/06/dakar_ chapter6.pdf>. L’Organisation africaine de la propriété intellectuelle 171 marque comme condition de son renouvellement10. Il paraît souhaitable d’envisager au moins sur ce point une révision de l’Annexe relative aux marques. En attendant la mutation annoncée et prévisible de l’organisation et quelle que soit la forme qu’elle prendra, se pose toujours la question de la mise en place d’un système juridictionnel. Cette question fait partie de celles qui méritent d’être mises en chantier pour les années à venir. Il sera a priori plus facile de distinguer les aspects de propriété industrielle des aspects de propriété littéraire et artistique. On peut souhaiter, à ce propos, l’existence d’une juridiction supranationale compétente, d’une part, pour se prononcer sur les questions préjudicielles relatives à l’ensemble du champ législatif de l’OAPI et, d’autre part, pour se prononcer en dernier ressort sur l’application du droit uniforme (propriété industrielle). Parmi plusieurs points à aborder pourrait figurer celui de l’arbitrage en matière de propriété intellectuelle. On peut ainsi imaginer un centre d’arbitrage de l’OAPI. Ce centre d’arbitrage pourrait, par exemple, être compétent en matière de conflit de titularité d’expressions du folklore. Il est également souhaitable de veiller au renforcement de l’accès à la documentation et particulièrement de la jurisprudence en matière de propriété intellectuelle. Les spécialistes africains de la matière sont de plus en plus nombreux. Ce qui sera un facteur contribuant à une plus grande effectivité du droit de la propriété intellectuelle sur le continent. On peut néanmoins souhaiter des échanges plus fréquents entre ces spécialistes. Cela peut se faire par le biais d’un réseau animé par l’OAPI. Pour les années à venir, on peut aussi souhaiter un investissement plus important de l’OAPI dans l’encouragement de la création, comme cela se fait avec beaucoup de succès pour l’innovation. 10. KIMINOU (René), « La révision des marques de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle » (2011), 129 Revue du droit de la propriété intellectuelle 23 172 Les Cahiers de propriété intellectuelle CONCLUSION Dans l’attente de cet avenir rêvé et possible à l’horizon 2062, on peut déjà se féliciter des efforts fournis, du travail accompli et du chemin parcouru par l’OAPI pendant les cinquante années écoulées. Compte rendu Access-Right: The future of copyright law* Olivier Charbonneau** Le droit d’auteur souffre de réformes inappropriées suite à l’émergence de nouvelles technologies de l’information et des communications et opère dans un cadre où sa structure est fatalement biaisée. Ainsi, Zohar Efroni propose que la nature même du droit d’auteur numérique (« digital copyright ») aurait été lentement et subtilement érodée pour en faire un outil qui dicte les modalités d’accès aux œuvres numériques protégées par le droit d’auteur, au delà de ce qui était possible avant l’émergence du monde numérique. Ce constat normatif quant aux assises épistémologiques du droit d’auteur (auquel l’auteur ne s’objecte pas) impose une réflexion quant à la conceptualisation dominante de cet outil législatif dans l’articulation des marchés de biens d’information numérique. Si le droit d’auteur est maintenant un outil de contrôle de l’accès, comme la criminalisation du contournement de verrous numériques, réfléchissons à comment réconcilier ce nouveau rôle avec son articulation comme cadre juridique. Afin de développer son sujet, l’auteur divise son livre en trois parties. La première – de loin la plus intéressante et réussie – consiste en une analyse théorique puisant dans les fondements des sciences de la communication, de l’économie et du droit. Ensuite, © Olivier Charbonneau, 2012. * Efroni (Zohar), Access-Right: The Furure of Copyright Law (Toronto, Oxford University Press, 2010), xxiv, 608 p. ISBN10 : 0199734070. ** Bibliothécaire professionnel à l’Université Concordia, candidat au doctorat en droit à l’Université de Montréal. 173 174 Les Cahiers de propriété intellectuelle l’auteur se lance dans une analyse historique et comparative détaillée (et parfois aride) des développements législatifs en Europe et aux États-Unis. Il se base sur les études déposées par les diverses instances gouvernementales officielles et les lois ainsi édictées. Finalement, l’auteur articule son modèle du point de vue conceptuel afin de proposer des pistes pour sa mise en œuvre. Avant de poursuivre l’analyse du contenu du livre, présentons rapidement le modèle proposé par Efroni. L’auteur propose comme solution l’analogie de « l’accès » comme étant idée dominante du droit d’auteur numérique. Dans son modèle, une œuvre numérique protégée par le droit d’auteur est employée dans le contexte d’un accès « humain » (« human access »), par exemple, par la lecture d’un livrel1 ou lorsque le lecteur en discute du contenu avec une connaissance ou, par un accès « technologique » (« technological access ») lorsque ledit livrel est copié sur une liseuse. Ensuite, l’auteur précise que l’accès peut également être divisé en « comportements d’accès » (« accès-conducts ») puis en « comportements de communication » (communication-conducts) – essentiellement, le fait d’accéder pour soi dans le premier cas ou pour autrui dans le second. Ainsi, l’auteur définit le « droit d’accès » (« accessright ») comme étant le droit exclusif d’autoriser les comportements d’accès ou de communications sur une œuvre protégée. Il distingue également le « droit-à-l’accès » (« right-of-access ») comme étant un droit dont l’utilisateur dispose pour contraindre l’ayant droit pour permettre (ou faciliter) un accès humain. La force du modèle proposé découle d’une approche nuancée des impératifs évoqués dans le contexte numérique. Les mesures de protection technologiques (« technological protection measures ») peuvent limiter certains accès humains portant ainsi préjudice au droit-à-l’accès d’une utilisatrice. Puis, les droits d’accès sont garantis par l’intégrité des systèmes de gestion des droits numériques (« digital rights managements »), d’où leur importance dans le contexte du droit d’accès. Ainsi, il est possible de mieux articuler les modalités du droit d’auteur dans l’univers numérique. 1. Selon le Grand Dictionnaire de l’Office québécois de la langue française (<http:// www.granddictionnaire.com>), un livre électronique se désigne par livrel – à l’instar d’un courrier électronique en courriel. Access-Right: The Future of Copyright Law 175 L’auteur arrive à ce modèle à la fin de la première partie de son livre, où il emploie une analyse Hohfeldienne2 du modèle de communication de Shannon3 dans l’univers numérique. Hohfeld proposa un cadre théorique pour formaliser les relations juridiques implicites entre deux individus selon leur contexte. Chaque relation découle de deux positions mutuellement exclusives juridiques, créant ainsi un continuum entre une prétention de droit jusqu’à l’immunité et indiquant leurs positions opposées pour l’autre. Shannon, quant à lui, proposa un modèle simple de la communication qu’il utilisa dans ses recherches sur la cryptographie. La combinaison de ces deux modèles mène à une analyse économique du droit d’auteur fort pertinente pour les questions soulevées par l’univers numérique. Dans sa seconde partie, Efroni livre une analyse détaillée et parfois aride des développements législatifs en Europe et aux ÉtatsUnis. Son objectif est de démontrer que ces développements ne sont pas en lien avec le modèle qu’il propose, surtout au niveau de la rhétorique proposée dans la documentation officielle des commissions et autres études gouvernementales ou parlementaires. Les trois thèmes retenus (un chapitre chaque) sont le droit de reproduction numérique (« digital reproduction right »), le droit de communication numérique (« digital communication right ») et la protection des verrous numériques (« anticircumvention laws »). Malheureusement, cette section se concentre sur la documentation et ne réserve qu’une très petite place à l’application de son modèle au contexte législatif, ce qui la rend aride et brise l’équilibre de son texte. Enfin, Efroni reprend son modèle à la troisième et dernière section pour proposer des pistes de mise en œuvre, surtout en tant que modifications législatives. Encore ici, il semble manquer la cible en maintenant son analyse dans l’arène théorique lorsqu’une analyse plus pratique aurait été bienvenue. Par exemple, on s’attendrait à ce qu’il identifie les dispositions législatives à modifier dans le contexte Européen et des USA, puisqu’il a déjà offert une analyse poussée de leur processus de réforme dans la section précédente. En lieu de ceci, il propose deux versions de son modèle – forme « forte » ou « faible » (« strong form » ou « weak form ») et indique au lecteur d’imaginer la suite. 2. Surtout : Hohfeld (Wesley N.), « Some fondamental legal conceptions as applied in judicial reasoning », (1913) 23 Yale Law Journal 16 et Hohfeld (Wesley N.), « Fondamental legal conceptions as applied in judicial reasoning », (1917) 26 Yale Law Journal 710. 3. Shannon (Claude E.), Weaver (Warren), The mathematical theory of communication, University of Illinois Press, 1963. 176 Les Cahiers de propriété intellectuelle Efroni offre un livre intéressant qui propose des pistes concrètes pour une définition axiologique du droit d’auteur en lien avec l’environnement numérique. La force de son œuvre réside dans sa première partie, où il démontre avec une dextérité intellectuelle surprenante la flexibilité et l’intelligence de son modèle des droits d’accès. La donne change là où l’épistémologie rencontre l’herméneutique. Sa deuxième partie brise le ton de la première tout en négligeant de tisser des liens adéquats avec son modèle proposé. La troisième partie ne sauve pas la donne et laisse le lecteur sur sa faim. Pour tout dire, Efroni propose une théorie très intéressante, pertinente, mais mal exécutée et démontrée. Compte rendu La gestion de la propriété intellectuelle dans les relations entre l’université et l’entreprise : pour une véritable dynamique d’alliances stratégiques* Propriété intellectuelle et université – entre la libre circulation des idées et la privatisation des savoirs** Université inc. – des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir*** Ghislain Roussel**** © * Ghislain Roussel, 2012. La gestion de la propriété intellectuelle dans les relations entre l’université et l’entreprise : pour une véritable dynamique d’alliances stratégiques, Avis, Conseil de la science et de la technologie du Québec, Direction générale des communications et des services à la clientèle, ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, gouvernement du Québec, Montréal, 2011, 71 pages, ISBN : 978-2-550-61858-4 ; ISBN PDF : 978-2-550-61857-7 (Document disponible à : <http://www.mdeie.gouv.qc/objectifs/informer/rechercheet-innovation>). ** Propriété intellectuelle et Université – Entre la libre circulation des idées et la privatisation des savoirs, Couture, Marc, Dubé, Marcel, Malissard, Pierrick, Presses de l’Université du Québec, Québec, 2010, 374 pages, ISBN : 978-2-76052587-0. *** Université Inc. – Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, Martin Éric, Ouellet, Maxime, Lux Éditeur, coll. Lettres libres, Montréal, 2011, 152 pages, ISBN : 978-2-89596-126-0. **** L’auteur est avocat conseil en droit d’auteur et président de la corporation Les Cahiers de propriété intellectuelle inc. 177 178 Les Cahiers de propriété intellectuelle Le présent compte rendu couvre exceptionnellement trois ouvrages, mais il ne vise pas dans le détail l’ensemble du contenu des ouvrages Propriété intellectuelle et Université – Entre la libre circulation des idées et la privatisation des savoirs et Université Inc. – Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, car le fil conducteur porte sur les impacts de la commercialisation de l’expertise et du savoir par les universités en quête plus que jamais de sources de financement accrues ou nouvelles à des fins d’enseignement et de recherche. Le compte rendu s’attarde aux conséquences et aux retombées économiques effectives sur la gestion de la propriété intellectuelle au fil des années par les universités qui se sont dotées de plus en plus et pour la plupart de politique ou de stratégie de commercialisation et de bureau de valorisation de leurs innovations, recherches et savoirs, et, tout particulièrement, aux effets sur les missions premières des universités, la « liberté universitaire » et l’apport financier des étudiants avec l’augmentation des frais de scolarité. En 1980, les États-Unis adoptaient la Loi Bayh-Dole établissant un encadrement législatif de la propriété intellectuelle en milieu universitaire en vue de faciliter et de renforcer les activités de transfert technologique des universités, sinon de les y inciter fortement vers l’entreprise privée qui réduisait de plus en plus ses budgets dans la recherche et le développement. Ladite loi légitimait l’effort de commercialisation des recherches dans les universités américaines dorénavant autorisées à déposer un brevet sans l’aval de l’agence fédérale de financement et à transférer leurs technologies vers des PME américaines. Cette loi a eu des effets positifs, semble-t-il, mais les activités de transfert technologique ne représentent que 10 à 15 % du volume total des transferts vers l’industrie. La Loi Bayh-Dole a fait des petits et elle a été appuyée par l’OCDE et la Commission européenne par la suite et divers pays de l’Asie. Divers consortiums de recherche précompétitive et centres stratégiques de recherche ont été créés. De nouveaux modèles de gestion de la propriété intellectuelle ont été proposés et mis en place, ainsi que des centres d’échanges sur la propriété intellectuelle avec, comme objectifs, l’éducation et la formation à l’entrepreneuriat dans les universités visées. Or, selon l’Avis du Conseil de la science et de la technologie « CST »), se basant sur divers rapports et données statistiques, « [L]es activités de transfert technologique stricto sensu rapportent Propriété intellectuelle et université 179 peu aux universités, qui misent de plus en plus sur une approche holistique visant à maximiser les retombées globales de leurs activités de transfert. D’ailleurs, ce n’est pas le transfert technologique qui attire en premier lieu l’entreprise, mais l’accès à l’expertise en recherche (excellence) et aux compétences des étudiants ». Le Canada a tenté de faire de même à quelques reprises, mais sans trop de succès ni de résultat tangible d’envergure. Le Rapport Fortier de 1999 (Rapport du groupe d’experts sur la commercialisation des résultats de la recherche universitaire - Les investissements publics dans la recherche universitaire : comment les fructifier, 4 mai 1999, Conseil consultatif des sciences et de la technologie) a connu de vives oppositions de la part des professeurs-chercheurs et d’universités, notamment, et a soulevé des tensions entre les universités et les entreprises au regard de la gestion de la propriété intellectuelle. Le Québec a tâché d’intervenir en 2001 par l’adoption d’une politique et, en 2002, du Plan d’action en matière de gestion de la PI dans les universités et établissements du réseau de la santé et des services sociaux (Ministère de la Recherche, de la Science et de la Technologie). Des universités se sont certes dotées d’un bureau de transfert de technologie et elles ont développé des activités de commercialisation de la recherche, mais les revenus accrus se sont fait beaucoup attendre au regard des dépenses engendrées par les universités au chapitre du fonctionnement des organismes de transfert. Par ailleurs, loin d’être un incitatif, les contrats de recherche continuaient d’augmenter sensiblement et davantage que les revenus de commercialisation émanant des transferts technologiques. La raison invoquée était aussi « le faible taux de réussite des mécanismes de transfert technologique en provenance des universités, [à] la difficulté de les arrimer aux objectifs commerciaux des entreprises… ». L’Avis du CST présente dans son chapitre 1 le contexte international en effervescence dans ce domaine, dont celui aux États-Unis, puis la situation au Canada au chapitre deuxième et, dans le troisième, le défi particulier du Québec. Le chapitre 4 de l’Avis énumère et décrit les principaux problèmes et irritants à la collaboration universités-entreprises dans la gestion de la propriété intellectuelle, dont la capacité financière et stratégique des PME, la résistance historique des universités au regard de leur mission « car la commercialisation se fait au détri- 180 Les Cahiers de propriété intellectuelle ment de la recherche fondamentale, le manque d’harmonisation nuit à l’image du monde universitaire comme partenaire… La recherche universitaire est très en amont du marché et peu orientée sur les besoins des entreprises, même à long terme ». Le chapitre 5 de l’Avis propose et met de l’avant huit grands facteurs de succès de transfert technologique des universités vers les entreprises, dont : un engagement réel et responsable des partenaires de haut niveau, une amélioration générale des compétences en gestion de l’innovation et en entrepreneuriat, la confiance et des relations à long terme, la rapidité, la souplesse et la flexibilité des négociations, le travail en synergie, et non en solo, la diminution des risques juridiques et technologiques reliés aux transferts, une connaissance approfondie des besoins de l’entreprise, de l’environnement externe et du marché (les « centres [de recherche sectoriels]… rôle de passerelle dans l’arrimage des travaux de recherche des universités aux réalités et aux besoins du marché »), et des stratégies d’appui aux PME. Le chapitre 6 de l’Avis du CST contient les recommandations du Conseil en vue d’une dynamique renforcée d’alliances et de coopération universités-entreprises : « la gestion de la propriété intellectuelle dans les relations entre les universités et les entreprises doit être envisagée comme l’une des composantes d’une dynamique d’innovation interactive, coopérative et la plus fluide possible, plutôt que comme une activité isolée de commercialisation d’une invention ». De telles approches de coopération universités-entreprises ne sont cependant pas toujours bien perçues ni reçues par les premières impliquées, soit les universités, et les professeurs-chercheurs comme nous le verrons ci-après. Enfin, l’Avis du CST sur La gestion de la propriété intellectuelle dans les relations entre l’université et l’entreprise : pour une véritable dynamique d’alliances stratégiques est complété de diverses annexes, dont la liste des membres du Conseil, la liste des membres du comité sur la propriété intellectuelle, dont Me JeanNicolas Delage, avocat chez Fasken et membre du comité de rédaction des Cahiers de propriété intellectuelle, les fiches des trois ateliers du Forum qui ont servi à la consultation, à la réflexion et à la rédaction de l’Avis du Conseil au ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation. Propriété intellectuelle et université 181 L’ouvrage Propriété intellectuelle et Université – Entre la libre circulation des idées et la privatisation des savoirs de Marc Couture, Marcel Dubé et Pierrick Malissard décortique les impacts de cette stratégie de la commercialisation des innovations techniques par les universités et ses conséquences sur la diffusion et le partage de l’information scientifique. L’ouvrage est une « vue d’ensemble des enjeux entourant le lien entre les activités menées au nom des missions de l’université et la mise en œuvre du régime de la propriété intellectuelle ». Marc Couture est notamment professeur à la Télé-Université, Marcel Dubé professeur retraité de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke et Pierrick Mélissard, responsable des relations avec l’Europe à l’Université du Québec à Montréal. Tous trois se sont intéressés depuis plusieurs années à la commercialisation de la recherche et de l’expertise universitaires, à l’accès et à la diffusion de l’information scientifique et à l’évolution de la gestion de la propriété intellectuelle dans les institutions d’enseignement supérieur. Avant d’aborder la dimension de la commercialisation de l’information scientifique en tant que telle, résumons au préalable les chapitres autres que les sixième et septième de cet ouvrage, fort complet et riche en enseignements. Dans les chapitres 1, 2, 3 et 4, comme « de nos jours peu de dimensions de l’activité universitaire qui ne fassent tôt ou tard intervenir des questions ou des enjeux de propriété intellectuelle », incluant l’enseignement et la recherche, Marcel Dubé présente de manière concise, claire et fort accessible la nature et la portée juridique de la propriété intellectuelle, du point de vue canadien, mais aussi américain et britannique, en considérant la jurisprudence récente dont l’Affaire CCH. L’auteur traite ensuite des diverses formes de la propriété intellectuelle et de leurs domaines d’application, de la titularité de la propriété intellectuelle et, finalement, de la protection et de l’exploitation de la propriété intellectuelle, sous l’angle du droit civil du Québec et de la common law, englobant le régime des sanctions. Au chapitre 5, Pierrick Malissard fait un magistral historique des origines et de l’évolution de la propriété intellectuelle et il « évoque aussi comment… les communautés scientifiques et le monde universitaire ont été interpellés par ces nouvelles notions ». C’est tout le dilemme entre la mission même des universités, qui est la diffusion du savoir dans le public, l’enseignement avec, en opposi- 182 Les Cahiers de propriété intellectuelle tion ou, pour certains en complémentarité, la mission de recherche. Dans la seconde moitié du XXe siècle, « les universités sont devenues ou ont été incitées à devenir des partenaires majeurs de l’entreprise, tant publique que privée, dans l’« économie du savoir »… « ce partenariat n’apparaît que très marginalement orienté vers sa [l’université] vocation première : la formation ». L’auteur met en perspective, sous l’angle de la common law, puis du droit continental ou civil de la propriété intellectuelle, d’une part, l’historique visant le statut des inventeurs, des inventions et des brevets, à savoir l’origine des « monopoles », et, d’autre part, l’historique du statut des auteurs, des œuvres et du copyright. L’auteur nous entraîne dans une lecture captivante, remontant à l’époque romaine, bien avant l’Édit de Moulins ou le Statute of Anne, et identifiant l’origine du mot copyright, soit copye, soit le nom et le titre de propriété dans un registre foncier (pages 114-115). Pierrick Mélissard conclut que « les doctrines civiliste et anglo-américaine ont pourtant eu tendance à converger avec le temps… ». L’auteur se penche par la suite sur l’ambivalence canadienne du régime de la propriété intellectuelle entre la common law et le droit civil. Comment le monde de la science est intervenu ou a été immergé dans la propriété intellectuelle et comment l’Université y a été confrontée ? « Avec l’apparition du professeur-chercheur, le rapport des universités à la propriété intellectuelle allait, d’abord imperceptiblement puis de manière plus évidente, se modifier ». Dès les années 1920-30, des universités ont commencé « à jouer un rôle de plus en plus actif dans la commercialisation des innovations techniques découlant de leurs activités de recherche… ». Mais l’Université continuait de remplir sa mission de diffusion du savoir dans le public et à « sauvegarder son espace de liberté universitaire ». Le chapitre 8 de Propriété intellectuelle et Université – Entre la libre circulation des idées et la privatisation des savoirs est consacré à l’enseignement médiatisé et au droit d’auteur. Marc Couture analyse toutes les facettes de l’activité universitaire, même les plus modernes, et il en scrute la dimension de la propriété intellectuelle, vaste exercice complet et d’actualité en dépit de la date de l’ouvrage (2010) et de questions non encore résolues ou pendantes avec le projet de loi C-11 de 2011 sur la modernisation de la Loi sur le droit d’auteur. Nous naviguons du droit d’auteur sur les œuvres de l’enseignement, œuvres traditionnelles ou numériques, en insistant sur les traditions universitaires et l’« exception professorale : la liberté universitaire des professeurs », qui est fondamentale dans la détermina- Propriété intellectuelle et université 183 tion de la titularité, au droit d’auteur sur les cours en ligne (titularité du professeur ou multiple ? Est-ce une œuvre de collaboration ? Qu’en est-il dans le cas de la direction d’une équipe de recherche ?), à l’utilisation d’œuvres protégées dans l’enseignement médiatisé, aux hyperliens (pages 217 et s.), au respect des logos et des marques de commerce, à l’accès libre aux ressources numériques d’apprentissage. Le chapitre 9 de l’ouvrage présente également un vaste portrait de qualité visant les étudiants et la propriété intellectuelle, à savoir l’étudiant en tant que tel, l’étudiant auteur, chercheur, utilisateur de documents protégés, l’étudiant rémunéré dans le cadre d’un projet de recherche, l’étudiant auteur « fantôme ». L’auteur Marc Couture traite aussi de la cosignature (page 230 et s.), de la coinvention, de l’utilisation et de l’exploitation de la propriété intellectuelle, ainsi que du partage des redevances avec l’étudiant chercheur ou collaborateur. Le chapitre 10 résume la réglementation de la propriété intellectuelle dans les universités canadiennes à partir de la documentation recueillie à même des sites universitaires sur le Web. Les volets intéressants à souligner portent sur la décision de commercialiser (pages 283 et s.), les droits d’utilisation par les non-titulaires (pages 287 et s.) et le partage des revenus de la commercialisation (pages 291 et s.) où les régimes sont diversifiés et nombreux. L’ouvrage est complété par six annexes : Exceptions à la violation du droit d’auteur applicables aux universités, Notes méthodologiques sur l’analyse des politiques des universités canadiennes, Liste des documents des établissements universitaires cités, Pratiques de cosignature dans diverses disciplines, La gestion numérique des droits et L’accès libre, le logiciel libre et les licences associées. Le chapitre 6 Propriété intellectuelle et Université – Entre la libre circulation des idées et la privatisation des savoirs se penche sur le lien entre la recherche universitaire et le monde industriel, les universités s’étant « vu confier par les pouvoirs publics un nouveau rôle en matière de commercialisation des innovations techniques résultant de recherches menées en leur sein ». Pierrick Mélissard écrit que « ce mouvement vers une commercialisation croissante des productions et des expertises universitaires soulève beaucoup de questions ». Il y a transformation du rôle et de la mission de l’Université traditionnelle de diffusion du savoir dans le public dès les 184 Les Cahiers de propriété intellectuelle années 1920-30. Le phénomène de la commercialisation de la fin des années 1990 et du début de 2000 n’est pas nouveau selon l’auteur, car il « renoue en fait avec la situation qui régnait avant la Deuxième Guerre mondiale, ou même un peu après. Depuis la fin du XIXe siècle,… l’histoire de la recherche scientifique montre des variations cycliques de collaboration entre les chercheurs et les industries ». Les années 1980 ont vu l’expansion de la commercialisation universitaire dans le contexte de la Loi Bayh-Dole américaine encadrant les fonds fédéraux dans le financement des recherches dans les universités. L’auteur fait également état des critiques et des retombées de la législation, puis des tentatives d’agir de même en Europe, avec les réticences des professeurs-chercheurs qui perdaient alors dans plusieurs pays leur statut ou privilège de professeur au chapitre de la titularité dans les brevets. « Dans l’ensemble, la réputation de la loi américaine apparaît sans doute surfaite : le Bayh-Dole Act a probablement servi de prétexte à une sorte d’effet “bandwagon” qui s’est superposé à une hausse des activités de commercialisation dans les universités, en particulier à une augmentation du nombre de brevets universitaires… (…) [l]es revenus de commercialisation des universités ne sont pas, toutes proportions gardées et sauf exception, particulièrement impressionnants…. De plus, ces revenus engendrent des frais divers qui demeurent flous, au total,… ». « Une loterie » ! Un seul brevet sur 200 commercialisé génère des revenus supérieurs à 1 million $. L’auteur Mélissard fait ensuite état des politiques adoptées par le gouvernement canadien en tentant de créer un climat positif à des alliances entre les universités et les entreprises. Le bilan s’est avéré peu concluant dans l’ensemble, sinon peu flatteur, et les résultats furent, somme toute, mitigés. Les universités ont adopté leur propre cadre stratégique de gestion de la propriété intellectuelle, indépendamment de la volonté exprimée dans le Rapport Fortier précité. Ce dernier fut très mal accueilli par les universités et les professeurschercheurs, répétons-le. Quant au gouvernement du Québec, rappelons la Politique québécoise de la science et de l’innovation en 2001 et le Plan d’action en matière de gestion de la propriété intellectuelle dans les universités et établissements du réseau de la santé et des services sociaux où se déroulent des activités de recherche de 2002. Ce plan proposait des modèles de cadre réglementaire de la propriété intellectuelle dans les universités. Les réactions furent très critiques au nom de la Propriété intellectuelle et université 185 « liberté universitaire » et de la propriété intellectuelle des chercheurs. Leur propre cadre réglementaire a été adopté par les universités, sans modification au regard du plan d’action gouvernemental, le tout dans un environnement très varié et incohérent. Quant aux impacts économiques de la commercialisation sur la recherche universitaire, ils soulèvent des questions majeures concernant l’éthique scientifique ou l’intégrité de l’institution universitaire, la diffusion de l’information scientifique et son partage, l’effet pervers dans l’obtention de brevets et la fragmentation des résultats de recherche, etc. L’université « entrepreneuriale » peut-elle encore défendre le domaine public ? « Tout en continuant de prendre la charge (et la défense) du domaine public, elles [les universités] se sont mises à utiliser de plus en plus certains dispositifs de protection, tels les brevets, pour appuyer des activités de commercialisation de plus en plus importantes. Or, les dangers ou les risques d’une telle évolution sont nombreux : effritement du statut de l’Université comme institution indépendante et neutre ; perte de crédibilité pour le monde universitaire… ; érosion du domaine public dont elle était jusque-là un des remparts. Dans un tel contexte, la défense de la liberté universitaire peut tout aussi bien signifier la défense de la liberté d’entreprise et des intérêts individuels de ces nouveaux “propriétaires du savoir” que sont les chercheurs-entrepreneurs, que celle des intérêts de la communauté universitaire et de la société qu’elle dessert – et qui assure la majeure partie de son financement ». De plus, il y a réappropriation de la diffusion de l’information scientifique et des résultats de recherche. Ce sont ces mêmes inquiétudes qui seront reprises pour partie par les auteurs Éric Martin et Maxime Ouellet dans leur ouvrage ci-après, lequel poursuit un autre objectif cependant. Le chapitre 7 de l’ouvrage de Couture, Dubé et Mélissard est consacré à l’information scientifique diffusée sous forme de produits traditionnels dont les revues savantes, mais aussi dans les nouveaux médias dont l’Internet, de même qu’à la propriété et à la diffusion des données et des informations et à celle des descriptions des recherches et des résultats de recherche. La diffusion traditionnelle recourait d’abord aux périodiques ou revues savantes, puis à la suite de leur disparition ou substitution, aux publications en ligne et à l’accès en ligne des contenus, dans 186 Les Cahiers de propriété intellectuelle un contexte de privatisation et de concentration accrue des revues savantes sur support papier. Une nouvelle problématique du droit d’auteur a surgi, vu le peu d’intérêt des auteurs dans un premier temps, puis leur intérêt accru, à protéger leurs droits. L’auteur de ce chapitre souligne que les politiques ou les pratiques des revues en ligne ne sont pas cohérentes ni uniformes et qu’il y a de tout. En conclusion, l’auteur souligne qu’« il est à souhaiter que la tendance à l’accroissement de la circulation et du partage des idées – plus concrètement, l’accès aux innovations et aux créations qui les incarnent – soit ce qui finisse par dominer dans toutes les sphères de l’activité universitaire… Une seule chose est sûre : l’espoir de tirer de la commercialisation de ces œuvres des profits – ou même des revenus – plantureux s’est vite évaporé ». Ce sont ces préoccupations, en sus d’autres, que nous constaterons dans l’ouvrage suivant complémentaire : Université Inc. – Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir. Éric Martin est doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa et chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) et Maxime Ouellet est docteur en études politiques de l’Université d’Ottawa et il enseigne au Collège LionelGroulx et, depuis peu, à l’UQAM. L’ouvrage Université Inc. – Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, consiste à réduire en miettes, sous l’angle de la hausse des frais de scolarité et de l’endettement des étudiants universitaires, divers mythes entourant le financement des universités, la recherche de partenariats avec l’entreprise privée et la commercialisation du savoir et à dénoncer le changement de mission de l’Université, la gestion de la propriété intellectuelle, le transfert des revenus supplémentaires provenant de la contribution des étudiants vers la mission de recherche, et ce, selon des alliances avec l’entreprise privée et au détriment de l’enseignement de base, de la formation, du rôle premier de l’Université dans la société, dans le domaine public, dans la diffusion du savoir dans le public. L’Université doit-elle marcher au pas de l’entreprise privée ? « La raison principale [de la hausse des frais de scolarité] tient à l’adhésion de l’élite économique à un nouveau mythe, celui de l’économie du savoir. Ce mythe veut que la nouvelle façon de faire des profits implique de consacrer le plus de fonds possibles au financement de la recherche et développement, entre autres pour créer des innovations Propriété intellectuelle et université 187 techniques brevetables que l’on pourra par la suite faire fructifier en bourse. Curieusement, dans l’économie du savoir, l’enseignement devient beaucoup moins important que la recherche… [c]e sont les jeunes et les familles que l’on appauvrit pour financer une mutation commerciale de l’université qui ne rapporte presque rien aux institutions, qui bénéficie certes à une poignée d’administrateurs et d’entrepreneurs, mais qui n’entraîne pas les retombées économiques positives promises… L’utopie du capital de risque et de l’économie du savoir ne donne pas les résultats escomptés… Les professeurs se désintéressent de l’enseignement pour se consacrer à la recherche… Le phénomène de la hausse des frais de scolarité est le symptôme d’une logique de privatisation et de marchandisation des universités, non seulement de leur financement, mais aussi et surtout de leur finalité… Il s’agit d’un détournement de la mission fondamentale des universités… ». Voilà quelques extraits de l’introduction de cet ouvrage de Martin et de Ouellet qui ne peuvent être plus clairs sur le devenir de la mission des universités et l’utopie de la commercialisation du savoir. Le chapitre 1 de l’ouvrage traite du mythe « Il faut augmenter les frais de scolarité parce que les universités sont sous-financées ». Les auteurs constatent que « Le financement de la recherche vient donc grever le budget qui devrait normalement être dédié à l’enseignement… La recherche prend le pas sur l’enseignement… L’Université se trouve donc écartelée entre deux missions et la recherche semble être en voie de dépasser l’enseignement… [l]a hausse des frais de scolarité ne servira pas à corriger le problème du sousfinancement de l’enseignement universitaire. Elle servira surtout à appliquer le modèle anglo-saxon au Québec : des universités de recherche abondamment financées, où le fardeau du coût de l’enseignement incombe à des étudiants qui paient des frais de scolarité élevés… » Le mythe 2 « La hausse des droits de scolarité ne réduit pas l’accès à l’université » est aussi démoli : « une telle mesure aura des impacts négatifs sur la fréquentation scolaire et découragera ceux qui désirent entreprendre ou poursuivre des études supérieures », statistiques à l’appui. Le mythe 3 « La hausse des frais de scolarité sera compensée par une augmentation de l’aide financière aux études et indexera ces frais à la valeur qu’ils avaient en 1969 » : « on essaie de faire payer les 188 Les Cahiers de propriété intellectuelle Québécois pour le renversement des finalités d’institutions autrefois publiques ». Le mythe 4 « La modulation des frais de scolarité par discipline est plus équitable » nous interpelle moins comme le mythe 5 : « Il est juste d’augmenter les frais de scolarité parce qu’en investissant davantage dans leur “capital humain”, les étudiants vont obtenir un meilleur salaire une fois sur le marché du travail ». « (…) Cette rhétorique vise à inverser la conception historique de l’éducation : on ne considère plus que la formation des individus relève de la responsabilité de la société, mais qu’il s’agit plutôt d’un investissement individuel au service exclusif de l’accumulation de richesse personnelle et de la croissance économique des entreprises… Les chantres de la liberté de l’individu se font plutôt les promoteurs d’une nouvelle tyrannie : celle du marché »… [n]ous sommes en voie de transformer l’institution d’éducation en institution de reproduction de services du système, de « bipèdes pensants qui n’ont d’autres soucis que de maintenir ce [pseudo-] marché libre et autorégulé et de maintenir cette mécanique de reproduction et de multiplication de l’argent ». Le mythe 6 « Le bas prix des études universitaires diminue la valeur des diplômes » est aussi battu en brèche : « l’augmentation des frais de scolarité induit une logique clientéliste qui pervertit le sens de l’éducation et qui risque de réduire la qualité de l’enseignement ». « En résumé, loin de rehausser la valeur des diplômes, l’augmentation des frais de scolarité conduit à une détérioration de l’apprentissage et des critères d’évaluation, bref, à un nivellement par le bas généralisé aux antipodes de ce que devait être la période des études… ». Le mythe 7 « Les dons privés ne menacent pas l’indépendance des universités » dénonce les effets pervers du recours au secteur pour le financement des universités. « Cette reconversion commerciale de l’université tend à se faire au détriment des activités pédagogiques les plus fondamentales ; la recherche prend le pas sur l’enseignement… ». « En résumé, l’assujettissement des universités à la mission de développement économique mêne à une perte d’autonomie pour les établissements d’enseignement et à une augmentation des dépenses bureaucratiques qui détourne les finalités de l’éducation au profit d’intérêts privés corporatifs ». Le mythe 8 « La commercialisation de la recherche universitaire va servir à financer le système universitaire ». Or, selon les Propriété intellectuelle et université 189 auteurs, « Les revenus de commercialisation profitent principalement des redevances de licences. Ils sont faibles essentiellement parce que les licences sont cédées très tôt dans leur phase de développement… Bref, cette activité commerciale ne rapporte rien aux universités et équivaut à financer publiquement de la recherche pour les entreprises privées… ». L’augmentation des frais de scolarité profite « Essentiellement aux entreprises qui tirent profit de l’économie du savoir… ». « En résumé, la commercialisation des résultats de la recherche universitaire n’est pas une véritable source de financement pour les universités. C’est une façon, pour les entreprises, de sous-traiter la recherche aux universités… ». En conclusion, « L’instrumentation du savoir par les missionnaires du développement économique met en péril l’autonomie universitaire et provoque un accroissement des dépenses bureaucratiques qui détourne les finalités de l’éducation au profit d’intérêts privés. Loin de financer l’université, cet arrimage signifie plutôt que les établissements d’enseignement supérieur deviendront les laboratoires de sous-traitance des entreprises… C’est sans doute ce détournement des finalités des institutions qui est l’aspect le plus préoccupant de toute cette charge par l’élite contre l’université pour la plier aux besoins de la guerre économique… ». Enfin, l’ouvrage est suivi de contributions de Guy Rocher, Lise Payette, Omar Aktouf et Victor-Lévy Beaulieu. Il y a de quoi être songeur, sinon inquiet, avec ce nouvel Eldorado des revenus de la commercialisation de la recherche scientifique par les universités. Compte rendu Louvigny de Montigny – À la défense des auteurs* Ghislain Roussel** Louvigny de Montigny !!! Qui était-ce ? Qui est-ce ? Un auteur, un écrivain, un journaliste, un juriste, un polémiste, un gestionnaire de droits de répertoires français, un traducteur, une décision d’un tribunal ? Tout cela et davantage. Certains se souviendront avant tout de Louvigny de Montigny comme le « Père » du droit d’auteur du Canada par le nombre de poursuites judiciaires qu’il a entreprises ou initiées, par ses nombreux écrits dont les préfaces de ses divers ouvrages publiés au fil des ans et par ses multiples interventions auprès de parlementaires et d’éditeurs de journaux pour le respect du droit d’auteur au Canada et la reconnaissance des droits des écrivains. Pour d’autres, cela éveillera des causes jurisprudentielles fondamentales en droit canadien du droit d’auteur du début du XXe siècle jusqu’aux années cinquante. Pour d’aucuns, un illustre inconnu qui devait le demeurer même s’il fut des plus actifs professionnellement dans la première moitié du XXe siècle comme auteur, polémiste et important gestionnaire de droits d’auteur et élément moteur dans l’organisation professionnelle du métier d’écrivain. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir par hasard au Salon international du livre de Montréal de novembre 2011 l’ouvrage de © Ghislain Roussel, 2012. * LUNEAU (Marie-Pier), Louvigny de Montigny – à la défense des auteurs (Montréal : Leméac, 2011), 221 pages, ISBN : 978-2-7609-06004. ** L’auteur est avocat conseil en droit d’auteur et président de la corporation Les Cahiers de propriété intellectuelle inc. 191 192 Les Cahiers de propriété intellectuelle Marie-Pier Luneau Louvigny de Montigny – à la défense des auteurs publié chez Leméac. On m’avait souligné le rôle de ce personnage – sans plus – lors de ma formation en droit d’auteur et en propriété industrielle à l’Université Laval, au début des années 70, et j’avais souvenir de la lecture de l’ouvrage de référence d’alors écrit par Jacques Boncompain, qui est toujours de ce monde. J’ai donc beaucoup appris à lire l’ouvrage de la professeure Luneau sur l’histoire du droit d’auteur au Canada. Des tas de choses que j’ignorais, à l’exception d’une certaine jurisprudence mettant en cause Louvigny de Montigny, sur ce grand aristocrate de naissance canadienne-française – appellation de l’époque – dont feu Pierre Tisseyre, qui devait prendre la relève des mandats de gestion de Louvigny de Montigny au nom des répertoires de la Société des gens de lettres de France (SGDL) et de la Société des auteurs dramatiques de France (SACD), me parlait avec abondance, enthousiasme et flamme. Quelle brillante idée de redonner vie à cet auteur, polémiste, défenseur et promoteur du droit d’auteur et des droits des écrivains canadiens-français d’alors. Sachons-en gré à la professeure Luneau. L’intérêt de cet ouvrage, c’est avant tout qu’il n’est pas rédigé par un juriste ni sous la lorgnette du droit. L’auteur est professeure de littérature québécoise au Département des lettres et des communications de l’Université de Sherbrooke et elle est codirectrice du Groupe de recherches et d’études sur le livre au Québec, le GRÉLQ. Elle s’intéresse au statut d’auteur entre autres de Louvigny de Montigny qu’elle suit minutieusement tout le long de sa vie et à son rôle primordial dans la défense des droits des écrivains français d’abord, puis de ceux des Canadiens-français et dans l’organisation de la professionnalisation du métier d’écrivain du Québec. L’exercice est mené de manière alerte et dynamique et le tout est appuyé par de multiples documents épistolaires provenant de divers fonds d’archives, bien que certaines périodes soient à ce chapitre lacunaires. Louvigny de Montigny fut peut-être un écrivain de moindre importance, malgré ses prétentions, mais il fut un ardent promoteur et défenseur du droit d’auteur et des écrivains et il fut de toutes les batailles. Nous apprenons beaucoup et il y a là un magistral cours synthèse de l’origine et de l’évolution du droit d’auteur au Canada, en Louvigny de Montigny 193 tant que Dominion, et jusqu’aux années cinquante. Nous découvrons que la source jurisprudentielle authentiquement canadienne émane de la « piraterie » à grande échelle d’œuvres protégées réalisée par la négation de l’application de la Convention de Berne de 1886 au Canada, même si ce dernier en était membre du fait de l’adhésion de l’Empire britannique au nom de ses Dominions. Les premiers responsables de cette piraterie étaient les éditeurs et, tout particulièrement, les éditeurs de journaux qui reproduisaient impunément et sans autorisation ni reconnaissance des sources ni versement de redevances des textes d’écrivains français préalablement édités, puis ultérieurement des textes d’écrivains québécois (« canadiensfrançais »). Cette bataille de tout instant pilotée par Louvigny de Montigny dans la première moitié du XXe siècle s’est poursuivie sa vie durant avec une lutte acharnée contre la piraterie, malgré la confirmation par des tribunaux de l’application au Canada de la Convention de Berne. Cela n’a pas empêché de multiples interventions et poursuites de ou au nom de Louvigny de Montigny. Et les écrivains plutôt timides ou réfractaires à entreprendre ou mandater des procédures judiciaires ne furent pas les plus grands alliés de Louvigny de Montigny. Au contraire ! En introduction, l’auteure Luneau remonte aux origines de Louvigny de Montigny né à St-Jérôme le 1er décembre 1876, descendant d’une huitième génération établie en Nouvelle-France. Ses origines aristocrates lui furent reprochées toute sa vie presque, étant souvent accusé avec mépris et dédain, en s’attaquant fréquemment à son apparence et à son habillement et à la qualité de la langue française qu’il plaidait, de défendre les intérêts des écrivains d’ici alors qu’il se nourrissait – intellectuellement et économiquement – des écrivains français. Louvigny de Montigny est le cinquième d’une famille de quatorze enfants. Il effectue des études au Collège Sainte-Marie, puis il entreprend une première année de droit à la Faculté de droit de l’Université Laval à Montréal, puis abandonne. Son père a publié en 1869 la première « Histoire du droit canadien ». De Montigny a notamment été directeur des services de traduction du Sénat canadien, poste dont il s’est beaucoup servi dans ses démarches en vue de la reconnaissance du droit d’auteur au Canada, puis directeur de ces services, représentant de la SDDL et de la SACD en Amérique du Nord, membre de la Société Royale du Canada, dont il a démissionné avec fracas, membre du bureau d’administration de l’Association 194 Les Cahiers de propriété intellectuelle des auteurs canadiens, officier d’Académie, Chevalier de la Légion d’honneur, etc. Louvigny de Montigny meurt le 20 mai 1955, à 78 ans. Plus en détail, le chapitre 1 de l’ouvrage de Marie-Pier Luneau « Une trajectoire en porte-à-faux » décrit le parcours d’auteur de Louvigny de Montigny dont déjà sa lutte épique pour le respect du droit d’auteur et l’amélioration du sort économique des écrivains. La professeure Luneau fait état des origines de Louvigny de Montigny comme écrivain et de son rôle dans la création de l’École littéraire de Montréal en 1895. Il collabore au Monde illustré et il est très actif comme journaliste avec divers textes afin d’éradiquer la piraterie dans les journaux : La Presse, dès 1899, Les Débats, Les Vrais Débats, L’Avenir, La Gazette municipale de Montréal. Il agit déjà comme surveillant assidu des pratiques frauduleuses des journaux avec la reproduction non autorisée d’écrits d’écrivains français protégés, reproduits fréquemment sans référence au nom de l’auteur et de la maison d’édition. Dans diverses publications, les siennes ou celles qu’il promeut comme Maria Chapdelaine, il entend « occuper une place de programmateur dans la vie littéraire » (page 39) et il « trace un véritable plan d’action pour favoriser l’envol de la littérature canadiennefrançaise » (page 40), ce qui lui occasionne plusieurs vives oppositions. Il publie La langue française au Canada, objet de polémique comme la plupart de ses ouvrages. Attaques contre le contenu, mais les attaques sont aussi menées contre les prétentions littéraires et linguistiques de Louvigny de Montigny et sa légitimité comme écrivain. Il publie en 1925 Antoine Gérin-Lajoie, en 1928, Le bouquet de Mélusine, puis Les boules de neige en 1935 et, en 1937, La revanche de Maria Chapdelaine, regroupement de textes d’une thèse de doctorat. Ce que nous devons noter de cette période, ce sont les luttes assidues, la polémique, mais « sa renommée n’est pas à la hauteur de son talent » (pages 59-60). « S’il ne fait pas l’unanimité comme écrivain à Montréal, il semble pourtant occuper le premier plan dans la vie culturelle outaouaise [lieu de résidence à Ottawa à une époque]. Concernant le droit d’auteur, il devient vite une référence obligée » (page 60). Le chapitre 2 intitulé « Le père du droit d’auteur au Canada » se penche longuement sur le combat mené par Louvigny de Montigny afin de s’assurer que la Convention de Berne s’applique au Canada et Louvigny de Montigny 195 pour faire déclarer que le Canada en fait partie. La législation canadienne sur le droit d’auteur contient alors une disposition qui s’oppose à la Convention de Berne en exigeant l’enregistrement du droit d’auteur pour sa protection et le dépôt de trois copies de l’œuvre visée. Louvigny de Montigny mène également de front le dossier relatif au manque d’organisation de la profession d’écrivain et à l’indifférence des écrivains d’ici face au problème du droit d’auteur et à la piraterie. Soulignons certains événements importants : en 1904, création de la Commission des droits d’auteur au sein de l’Association des journalistes canadiens-français ; 1er décembre 1904, première action devant les tribunaux contre des éditeurs responsables de piraterie ; 23 mars 1906, décision du juge Fournier de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Mary contre Hubert qui dispose que la Convention de Berne a préséance sur la Loi sur le droit d’auteur ; confirmation du jugement en juin 1906 par la Cour d’Appel du Québec, mais cela ne met pas un terme à la piraterie. En effet, le projet de loi sur le droit d’auteur envisagé en 1910, qui deviendra loi en 1924, maintient le statu quo et il constitue un net recul. De vives contestations surgissent à propos de la reconnaissance légale d’un régime de licence de reproduction sans autorisation d’un ouvrage publié hors Canada au profit des éditeurs canadiens. En dépit de toutes les représentations à l’échelle du Canada auprès du gouvernement, la loi est adoptée sans modification. Le combat en vue de sa modification se poursuivra jusqu’à la fin des années quarante. Et ce, même si le Canada adhère à la Convention de Berne, Acte de Berlin, en 1928, et que le Parlement ratifie le tout le 22 juin 1931. D’aucuns diront que rien n’a beaucoup changé par comparaison aux débats entourant les projets de loi de 2009 (C-32) et de 2011 (C-11) modernisant la Loi sur le droit d’auteur avec la sourde oreille du gouvernement fédéral aux critiques. De Montigny écrit en 1930 : « cette loi a plutôt été élaborée pour la protection de l’Industrie et pour permettre aux industriels d’exploiter avec impunité les Auteurs » (page 100). Plusieurs tentatives de sensibilisation des écrivains canadiens-français au respect de leurs droits sont effectuées, mais en vain. La Société des écrivains canadiens constituée en 1936 se joint cependant à la lutte contre la piraterie conduite par Louvigny de Montigny. Des contrats de reproduction sont conclus avec des édi- 196 Les Cahiers de propriété intellectuelle teurs de journaux et nous pouvons écrire que ces contrats sont pour l’époque très avant-gardistes et qu’ils constituent des modèles au chapitre des exigences au bénéfice des auteurs et des redevances à verser (pages 87-88). L’implantation de tels contrats semble courante dans les années 1940 tant à la SGDL qu’à la SACD. En dépit de sa persévérance et de son opiniâtreté, tout le travail de Louvigny de Montigny dans le domaine du respect du droit d’auteur et de la piraterie sera à refaire lors de la Seconde Guerre mondiale. Les éditeurs de journaux reprennent leurs « mauvaises habitudes » en prétextant l’inapplicabilité de la Convention de Berne en temps de guerre et se basant sur l’adoption par le Parlement canadien de la législation d’exception permettant la réimpression sans autorisation des livres français contre une redevance de 10 % versée au Bureau du Séquestre des biens ennemis. Le Canada est alors en guerre et la France est déclarée collaboratrice de l’Allemagne. Il s’ensuit une très grave crise d’autorité pour Louvigny de Montigny comme gestionnaire des répertoires d’œuvres d’auteurs français. De Montigny rebondira rapidement et il travaillera étroitement avec le Bureau du Séquestre désormais responsable de la gestion des licences de reproduction. Louvigny de Montigny obtiendra ainsi des mandats de réclamation de la part du Séquestre. Au chapitre 3 « À la guerre comme à la guerre », Marie-Pier Luneau s’attarde au fonctionnement du droit d’auteur au Canada à l’époque de Louvigny de Montigny et en temps de guerre, période qui a permis l’éveil du métier d’« editor » et l’éclosion d’une industrie de l’édition littéraire, laquelle devait connaître des lendemains très difficiles après la fin de la Seconde Guerre mondiale et avec la reprise de l’édition des écrivains français en France. La professeure Luneau traite avec moult détails captivants de la participation de Louvigny de Montigny à la gestion des droits d’auteur en temps de guerre sous le Séquestre relativement à la réimpression d’ouvrages français par des éditeurs canadiens, dont les éditeurs de journaux. Plusieurs éditeurs et organisations caritatives font cependant fi des mandats de Montigny. Ils contestent âprement son mandat de gestion sous le régime du Séquestre et du Commissaire aux brevets et ils lui reprochent de s’enrichir aux dépens des auteurs. D’autres poursuites contre la piraterie s’enclenchent précédées ou accompagnées parfois de fort longs échanges épistolaires à l’occasion acrimonieux. Certains s’éternisent même, mais en vain. Le combat couvre également la suppression des signatures des auteurs, en plus de la lutte pour la reconnaissance et la signature du traducteur en 1942. Louvigny de Montigny 197 De Montigny occupe aussi le champ de la gestion du droit d’exécution publique d’œuvres musicales à la radio et au cinéma. L’historique du litige qui a mené à la décision Zamacoïs c. Le Bien public en 1943 est hallucinant et descriptif du climat de contestation et de suspicion prévalant à l’égard de Louvigny de Montigny. Comme faisait-il pour tenir le coup, car il devenait âgé ? Je renvoie de plus au litige avec la Revue Aujourd’hui dans l’affaire De Montigny c. Cousineau qui a donné, en 1950, la décision de la Cour suprême du Canada. Celle-ci a confirmé l’application de la Convention de Berne au Canada même en période de guerre et la pleine autorité du Séquestre de déléguer ses pouvoirs à une tierce personne. Opiniâtreté certes de Louvigny de Montigny, mais combien d’ennemis (page 149). « On prête à Montigny quelque 480 actions en justice mettant en cause le droit d’auteur… » (page 22). Le chapitre 4 « La mise en valeur pacifique du terrain conquis » est consacré à l’organisation de la profession d’écrivain, à la planification de la relève de Louvigny de Montigny comme gestionnaire de droits, laquelle ne s’est pas effectuée en toute sérénité, là encore, et à l’émergence du véritable rôle de l’éditeur. Louvigny de Montigny s’opposait fermement à ce rôle, car il défendait bec et ongles son droit de regard dans la fabrication du support de ses œuvres, même si par la suite il a eu recours à des éditeurs pour la publication de certaines de ses œuvres. Il faut prendre connaissance de la bataille épistolaire épique de Louvigny de Montigny avec l’éditeur Gérard Dagenais des Éditions Pascal, à partir de 1944, quant à la publication de Au Pays du Québec et, après publication, pour exiger des redditions de comptes. Le conflit est incessant entre l’auteur et l’éditeur et, selon le point de vue de Louvigny de Montigny résumé par la professeure Luneau : « S’il doit y avoir un dominant dans la relation auteur-éditeur, il est clair dans son esprit qu’il ne peut s’agir que de l’auteur… » (page 175). Puis, les années cinquante et la vieillesse certes méritée, mais toujours aussi mouvementée, dont ses responsabilités au sein de la Société des écrivains canadiens, dont il sera le vice-président de 1946 à 1951, et la persistance de ses représentations afin de faire modifier l’article 4 de la Loi sur le droit d’auteur de 1938 afin de permettre aux auteurs et aux compositeurs canadiens de recevoir une redevance lors de la reproduction de leurs œuvres sur des supports mécaniques. 198 Les Cahiers de propriété intellectuelle À son agenda sont toujours inscrites la promotion constante de la littérature et la mise en œuvre d’un projet de contrat type déjà fort moderne à l’époque avec, entre autres, une clause pénale en cas de retard de l’éditeur (pages 184-185) et la reprise de possession des exemplaires invendus ou en entrepôt en cas de faillite de l’éditeur. Le projet n’a cependant pas abouti. En 1953, Louvigny de Montigny alors âgé de 76 ans transfère ses responsabilités à Pierre Tisseyre. Il démissionne de la SGDL en octobre 1954 et il est pris la même année dans un différend avec la SACD à propos de la succession du mandat de gestion pour l’Amérique du Nord. En conclusion, la professeure Luneau mentionne notamment ce qui suit : « En ce domaine [le droit d’auteur] il est indiscutablement le spécialiste. Mais comme écrivain, il n’est pas un mentor… » (page 214)… « Si Montigny, le médiateur culturel, a été un agent incontournable dans la vie littéraire de la première moitié du XXe siècle, Montigny l’auteur… est aujourd’hui oublié. » (page 215)… « Sur ce plan [considérations économiques] les acquis sont énormes. Montigny a réussi, au fil des décennies, à imposer la notion de droit d’auteur : en punissant les pirates, il a éveillé les consciences des écrivains eux-mêmes quant à la valeur de leurs travaux.… Mais Montigny a fait en sorte que ce combat devienne une cause collective…, portée par plusieurs agents – dont les éditeurs eux-mêmes… » (page 207). Pour parodier les propos de Claude-Henri Grignon, non Louvigny de Montigny n’est pas mort ni oublié.