UN LARGE ENTR`OEIL»: CANON DE BEAU`l%
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UN LARGE ENTR`OEIL»: CANON DE BEAU`l%
J. L. ROLANDBÉLANGER «UN LARGE ENTR'OEIL»: CANON DE BEAU'l% 1.1. On se rappellera que fétranger A Colonne dit A Oedipe aveugle: "Vous avez I'air bien né" (v. 76). De tous temps on a voulu croire h une typologie' d e la persoinalité. Au wr' siecle Cesare ~ o m b r o s o croyait discerner la criminalité dans le. physique de la persnnne, et encore de nos jours William Sheldon veut somatotyper ,les gens en .e6tomorphes, endomorphes et mésomorphes. ii en était de meme au 'm\i&cle franpis. D& demoiselles "bien nées", voyant entrer dam la grande salle un chevalier "bien né", se disaient l'une h I'autre: "Qu'il est beau! Qu'il a les épaules larges et la taille grele, et que1 large .entr!oeill': De meme, il fallait aux demoiselles .?bien nkes" des sourcils "bien faits", le front "poli", et un "large entr'oeil" l. Alice M. Colby présentait en 1965 une. solide étude sur les canons d e heauté'dans Chrétien de Troyes 2. Cette remarquable vue &ensemble, qui,trace les origines de ces canons de beauté chez les auteurs latins classiques aussi bien que médiévaux, ne discute pas, toutefois, le "large entr'oeil", sauf au sens évident de la heauté physique. Pennettez-moi ce ma& ces quelques réflections quivisent A ouvrir une autre perspective. . . 1.2. ' ~ propose e l'hypothcise suivante: un "large entr'oeil" sihifie 'la valeur spirituelle; et l'idée nous vient de l'Extr6me-Orient. ~ o i c i mon argument. . . l. Voir mon Appendice. 2. Alice M. Colby, The Portroit in TmslfMi-Cenhirg French Llterafura, Genave: Draz, 1965. A. "Un large entr'oeii" est synonyme du "troisi&me oeil" mystique; ce troisidme oeil est tres connu parmi les Musulmans et en Orient. B. Les rapports entre SOccident et SOrient ont été continus depuis le premier siecle chrétien. C. L'influence de SOrient sur i'art, la théologie et la spiritualité de i'occident au xn" sidcle est déjh connue et démontrée. D. Donc, quoi de plus raisonnable que de proposer, aussi, une influence sur la littérature de ce meme m' sikcle? . ... .. J'avoue dds maintenant que je n'ai ancune prenve positive. Vous me permettrez, donc, d'accumuler des détails circonstanciels qui, dans leur ensemble, .S'& nv .convaincr.ont pas, d u moins .feront-ils r.éfléchir. . entfoeii" exigerait, nous 1.3. Discuter .h.fond l'expression "un large Donc, A allons le voir, descoñnaissance$ presque en~yclopédi~ues. Sinstar d'Edgar Morin dans La méthode, essayons tout simplement 'e dencyoler'r. quelques idées directrices. ~ 3 . . 4. ''UN :LARGE m'.oELL>', m SYNONYME DY ".TROIS~ME. o m " i.4. "Les écrits sur Poeg sont inépuisables. On lit $un oeil unique, .de deni yeix, $un troisikme oeil, ile multiples yeix. Dans 'la -~hagaoad Gita et les ~ ~ a n i s h a dnos s d6ux yeux sont le ioIeil et 'la lune; ce Sont les aeuXyeuX de vaishvanara. Dans le Taoisme; ce sont les deux -y& ds P'ankou ou 3e Lao-kiuns. Pour les Victorins 6 e 'Paris, les denx yeux sont 'lamour et la fonction intellective4. 1.5. ¿a résolution de la dualité des aeux yeux .ious donne ';le troisierne &", I'oeil frontal de Civa, I'oeil de la sagesse ou du Dharma desBouddhistesO. Je cite Pierre Grison: "Cette vision unitive <exprime encore dans SIslarn par le franchissement .&i'&ux yeux de l a lettre -ha, dont le dessin arabe comporte gffectivement aeux boudes ..." 6. Selon S~indoulsme,toute personne posdile un troisi&me oeil, normalement caché de vue mais servant 'X canaliser une immense puissance7. Hugnes de Saint-Victor '(m. 1141), "le nouvel ' ~ u ~ u k t i n "parle , ile trois -yeuxi ' 3; PiemCdson, p. 294, in Dictionnoife des symboks, éd, Jean Chevaliei et Alain Ghcerhiant, Pa*: Seghers; 1974 (1969), 'Oeü 1". pp. 294-296. 4. Ibid., p. 295. . . 5. Ibid., pp. 294 ss. 6. Ibid., p. 295. ,- 7. Richsrd Cavendish, p. 886, 'In Man, Myth & Mogic, ed. .Richa~d Cavefidirh, o. ed., New York: Marshall Cavendish, 1983. v. 4, "Eye. The Thiid Eye", p. 886. Poeil de la chair, I'oeil de la raison, et l'oeil de la contemplation 8. Les memes degrés:- trouvent chez Guillaume de Saint-Thierry: animal, rationnel,. spirituele. Pour Guillaume, les deux yeux deviennent souvent un oei! unique.. . lorsque dans la contemplation de Dieu la raison passe dans I'amour lo. D'aprbs Cavendish, cet oeil nnique se situe au miliw du front, juste au-dessus de la rencontre des sourciis ll. 1.6. Pierre Grison nous apprend que I'expression l'oeil. de Lame se trouve chez Platon !(c. 427-347) et Clément d'Atexandrie. (fin E"-déhut m" siicle), et que 1a:variante Poeil du coeur ou de l'esplit "peut etre reloée chez Plotin (205?-270), chez saint Augustin (354430) ou chez saint Paul, chez saint Jean Climaque (VI" siecle), chez Philotée. le Si-. naite ..., chez saint Grégoire de. Nazianze (329-389)"12. Notous en passant que. tous. oes auteurs sout de I'Orient et de PAfrique du Nord. Voir avec cet oeil de P h e est c e qu'ou appelle la faculté dioratique 13. 1.7. Pierre Grison. trouve que cet oeil de Pime "est encore une. constante de. la spiritualité musulmane (ayn-el-Qalb)..." 14. Eva Meyerovich, de meme, trouve chez Avicenne ( 0 - l a 3 7 ) l'idée de Payn,. oeil de la contemplation de la nature intime de Dieu ' 6 . C e troisihe oeil symb.olise le .surhumain ou le divinlB. 1.8. Dans. un des mythes de création d'Egypte, Phomme- nalt de. lbeil. de Ri; Poeil donc est une oulva lT. Girardot affirme que dans le Taoisme il. y a une équivalence symbolique entre la tete et le ven: tre 18.'Les Freudiens d&sles. débuts. ont noté la parenté du visage et. de, - 8. Margot Schmidt, p. 56, "Das Auge als Symbol der Erleuchtung- bei Ephraim. und Parallclen in der Mystik des Mittelalters", in Oriens Christionw, Band 68 (1984), Wiesbaden: Otto Harrassowitz. 9. A. Solignac, c. 597, "Oculus!', io DictionMIre de sl>iritualit&,t. 11, 1982. 10. Ibid.. c. 597. 11. R. ~avendish,' 7 h e Third Eyd', p. 886. 12. P. Grison, "Oeil", p. 295. 13. A. Solignac, "Oculns", c. 594. 14. P. Grison, p. 295. 15. Eva Meyerovich, p. 297, "Oeil 2.3.4", in Dictionnaire des symboles, kd. Jean Chevnlier et Alain Gheerbrant, Paris: Seghers, 1974 (1969), pp. 296-298. 16. J; E. Cirlot, p. 100, A Dictionnty of Symbgls, 2nd-ed., tr. from the Spanirh by Jack Sage, New York: Philosaphical Library, 1971. 17. Ad de Vries, p. 170, in Dictionory of Symbols nnd Imogeq, 3rd rev. ed., ~ o n d o n : Narth-Holland Publishing Company, 1981. Voir aussi Stith Thompson (ed.), Motif-Index of Folk Litemture, 6v., rev. and enl. ed. by Stith Thompson, Bloominp ton, IN: Indiana U. Press, 1955-58; A1211.4. Dixan trouve la mhme idee en Micronkrie. Voir S. Thomoson. T541.7. 18. N. J. Girardot. Myth ond Meoning in Eorly Tooism, Berkeley, CA: U . of Calt fornia Prers, 1983, p. 268. i'aine: l e nez et les yeux seraient les organes sexuels extérieurs miles aussi bien qu'intérieurs femelles. Comme I'aine est le lieu de la génération naturelle, Pentr'oeil serait le lieu de la génération surnaturelle. Nous sommes, sans doute, A la source de l'unicome mais Bulfinch ne le sait pasl. 1.9. Eric Maple et Ad de Vries nous appreuueut que ceux dont les sourcils s'approchaient ou, pke, se touchaient, étaieiit vus comme des loups-garous en EuropelY Nous pouvons dire, conversement, que plus il y avait d'espace entre les sourcils et plus la personne était estimable. Zntr'oeil et entre-sourcils sont identiques,. selon le Tobler-Lommatzsch.' 2.0. Donc, jusqu'ici,. deux idées signifiantes: d'abord le troisikme neil frontal cacbé et situk A i'entr'oeil, symbole de la connaissance et de la puissance spirituelle; ensuite, la présence notable de POrieut, de SIslam, et de l'lnde. Notous qu'il y a Proche-Orient: Liban, Syrie, Palestine, Turquie, Egypte, Gdce; Moyen-Orient: Arménie; Irak; Perse, Afghanistan; et Extreme-Orient: Inde, Chine. Ces trois Orieiits se touchent, se tassent, se pénktrent l'un Pautre. 2.1. Or, il nous est parvenu de 1'Extreme-Orient un livre de sagesse, Le Secret de la Fieur d'Or, appelé en chinois le Tai l Chin IIua Tsung Chih. On le connalt d&s le MI" sikcle. Attribué A un certain Lu Yen ou Lu Tsou ce petit traité semble avoir reufenné la doctrine essentielle d t n e nouvelle secte appelée plus tard au Japon le Zen", et qui selon lleinrich Dumoulin atteint sa plus grande éclosion précisément aux-vn" et wrCsikcles 22. De plus, pour sauvegarder la spontanéité spirituelle cette secte répugne A mettre son enseigiieniest par écritZ3, ce .qui ,expliquerait le fait que Le Secret de Ea Fleur d'OÍ a été transmis oralement du vm' au x w " sihle, quand il a été enfin mis de fa puissance separ écrit. Cette doctrine initie en la subiimation . . 19, Eric Maple, p. 888, "The Evil Eye", in Mon, Myth & Mngic, ed. Richard Cavendish, n. ed., New York: Marshall Cavendish, 1983, v. 4: ''Ewy. Ad de Vries, op. cit , p. 172. Ceci n'a pas touiours &té le cas. Voú A. M. Colby, The Portrait, pp. 38-39. 20. Liou Tse Houa (tr.), Le Secret de la Fleur d'Or, Paris: Librairie de Medicis, 1969. 21. Arthur Waley, The Way o& lts Power, Roston: Houghton Mifflin, 1935, p. 120. 22. Heinrich Dumaulin, Zen Enlighfenment: Origins ond Meoning, tr. from the Germen by J o h C. Maraldo: Tokyo: WeBtherhill, 1979 (1976), p. 31. 23. IMd., p. es. melle, en puissance spirituelle, concentrée par la méditation dans res: pace entre les yeux. Permettez-moi quelques citations: "Concentrer les fleurs séminales dans le corps humaiu en haut dans l'oeil, c'est la grande clé du corps humain. Enfants, réfléchissez A cela! Qnaud un jour vous ne vaquez pas h la'méditation, cette lumiere -s'écoule, qui sait ~ h ? " ~Et~ plus . 10in: "La lumiire est quelque chose d'extremement mobile. Qnand on &e la pensée sur le point central entre les deux yeux, la lumiere rayonne d'elle-mbme h I'intérienr" 20. Encore: "Cela n'est rien de plus que réduire I ' h e inférienre et de parfaire i ' h e . súpéiieure ... L ' h e snpérieure estdans le coenr céleste. Elle est de.la nature de la lumiire, elle est l'énergie du principe lumineux et pur" 28. Je cite toujours la traductiou de Liou Tse Houa: "Le coenr céleste se tient entre le soleil et la lune [les deux yeux] ... La maison d'un pied carré est le visage. Le champ d'uu pouce carré dans le visage: qn'est-ce 'que' cela pourrait & r e sinon l e coeur céleste? Au milieu du pouce carré réside la splendeur" 2'. La force sexuelle, appelée ching 'en chi-' nois; se transforme en chin tan, c'est-h-dire vital éiixir d'or. Ce dernier est l'e but du Ta'o, la Voie. Dans le yoga mystique hindou ce procédé de sublimation s'appelle le Kundalini. Une fois excité, le Kundalini' monte. le loug da l'épirie dorsale de I'aine h la tete, oit la fleur, la chakra, s'éclot. Cette chakra est nommée en Cbine la Fleur $01 (Chin Hua) 28; 2.2. Richard Wilhelm, le premier sinologue A avoir traduit ce traité du chinois en allemand e n 1929, nous dit que le corps est régi par deux structures psychiques, le hun, qu'il traduit par animus, l'$me masculine, parce qu'il appartient an principe yang, et deuxiemement le p'o, qui appartient au pnncipe' yin, et qu'il traduit par anima. L'animtq e s t ' f h e shpérienre qui brille et réside dans les yeux; Z'anima réside dans le ventre et ,est [email protected]ánima serait la volonté aveugle, leni-~ mus serait I'intellect aO. Le Tao transfigure la personne, ne. la d é t ~ i t . 24. Liou, Le Senet, p. 66. 25. Ibid., p. 69. 26. Ibid., pp. 55 so. 27. Ibid., p. 47. 28. Charles San, pp. d-aii, "Introduction to the CausTay edition", in R. Wilhelm. T b Se&& of the Golden Flmer, Ncw York: Caiisawuy Bnoks: 1974. 29. Richard Wilhelm, pp. 14 ss., The Secret of the Colden Flower: A Chinese Book of Life, tr. from the Chinese into German (1929). tr. from the German by C a p F. Bakes, N& Yoik: Cameway Books, 1975 (19311. 30. ZMd., Q. 16. .. , . . .. . .. . . . .. . . . . . . ... . . pas; Cette transfiguration se voit dans la Lumiere, symbolisée dans Le Secret par la. Fleur d'Or. 2.3. Richard Wilhelm s'accorde avec le traducteur du texte francais sur la date et I'auteur du Secret ZOr, et il ajoute que ce supposé dynastie T'ang (61&907)31. Lu Yen est né en 755 I'époque. de Wilhelm décele trois influences sur cette doctrine d.e sublimation. D'ahord, une influence du bonddhisme mahayana, surtout la répudiation du monde. pour la recherche de la Nirvana3$. Heinrich Durnoulin, le grand historien et interpdte allemand du Zen, nous apprend que, des. deux formes principales. du bouddhisme, Hinayana et Mahayana,. seule la deuxieme réussit s'établir en Chine ii cause de, ses. deux doctrines. de "négativité." et de "vue cosmique" s3. Deuxibement, dit. Wilhelm,, la lumikse qui se situe dans l'espace entre. les yeux indiquerait une. influence perse on mazdéenne; de fait, il se trouvait beauconp de temples perses en Chine ?I l'époque. T'ang". La troisihme. influence, toujours selon Wilhelm, serait nettement chrétienne36: Jean Grenier, dans son étude LIEsprit du Tao, tout en soulignant l'abme qui sépare la du Taoisme sur le point de la liberté personnelle 30, pensée ~hrét~enne rapproche le Taoiste et le Mystique, "ce dernier entendu comme quelqu'un qui, délibérément, néglige la voie intellectuelle pour un chemin Mmédiat ayant Sunion pour but avec une r6alité ineffable,?". Nous reviendrons cette idée anti-intellectualiste, Malgrk lepposition en. principe du christianisme et du Taoisme, Grenier conclut que "la contradiction des doctrines ne dait pas faire mkconnaltre la parenté des états.*38. Par cette dernikre remarque le maitre d'Albert Camus rejoint Wilhelm sur le caractere. chrétieu du Secret ZOr. Pierre Couronne pré: cise que cette influence chrétienne est nestoriennesg. Voila donc pour la premiZre partie de mon argument: l'bypothese du "troisieme oeil" venu de I'Orient; Passons ii la deuxikme partie: les rapports entre rOrigt, et. I'Occident. 31. Ibid., pp. 5 SS. 32. Ibid., p. 7 . Voir aussi A. Waley, The Way, p. 120. 33. H. Durnoulin, Zen Enlightenment, pp. 25.27. 34. R. Wiihelm. The Seciet, D. 10. 35. I M ~ . ,pp. 10 S S . 36. Jenn Grenier, L'Espdt. duTao, Paris: Flammarion, 1957, pp. 188-190. 37. Ibid., p. 191. 38: lbid., p. 210. 39. Pierre Couronne, pt 15, "Prr5face". in Le Seere de- Io Rleur d!Or; tr; Lio" Tse Houa, Paris: Libraine de Medicip, 1969. 2.4. Ces rapports se groupent surtout en rapports Europe et ProcheOrient, et Proche-Orient et Extreme-Orient. Louis Bréhfer a donné en grands détails dans son livre, L'Zglise et E'Orient au Moyen Age 40, les rapports religieux entre le Proche-Orient et l'occident. Veuillez bien m'excuser de vous rappeler les principaux jalons de cette histoire. Dabord, le transfert du siAge impérial de Rome A Byzance par Constantin k 11 mai 330 consacre "officiellement [la], prééminence de I'Orient sur POccident" 41. DeuxiAmement, les marchands orientaux, désignés sous le nom général de "Syriens", s'établisient partout en Gaule, en Italie, en Afrique, et ils ont leurs quartiers A eux "A Rome, A Ravenne, A TrAves, ? Lyon, i A Bordeaux, A Narbonne". On .les .=etrouve aussi "en Arménie, dans PInde, en Asie centrale et jusqu'en Chine"42. Bréhier afaf&mequ'ils "sont les intermédiaires attitrés entre les Iointaines civilisations $Extreme-Orient et le monde gréco-r~main"~~. TroisiArnement, on compte aux M"et vur" .si&clescinq papes originaues de Syrie41 QuatriAmement, la donation du Saint-Sépulcre A Charlemagne par IIaronn-al-Raschid, cette basilique sur l e lieu le plus sacré du monde construite par Constantin le Grand, développe énormément les échanges, et des églises sur le modele de la rotonde du SaintSépulcre vont s'élever dans toute PEurope4s6.Enfin, sous saint gtienne (997-1038) les Hongrois se convertissent au christianisme et toute la vallée du Danuhe s'ouvrent aux pAlerins qui s'acheminent maintenant sur terre k Jénisalem par centaines, voire miliers. Tout ceci avant les croisades. .Nul besoin de rappeler les contacts peudant les croisades, A partir de 1096. 2.5. Les rapports Proche-Orient et Extreme-Orient se tracent surtout dans le commerce des Syriens et les relations chrétiennes. La meilleure étude en angiais des rapports Asie-Europe est ceIle de Donald Lach, Asia in the Making of Europe. J'y puise certains renseignements 40. Louis Bikhier, L'EgZlse et I'Ofienf ou Moyen A@, Viotor Lecoffre, 1921. 41. Ibid., p. 9. 42. Ibid., pp. 7 8s. 43. Ibid., p. 8 . 44. Ib<d., p. 9, u. 3, 45. Zbid.. p. 32. 4' éd., Parü: Librairie utiles. Alexandre le Grand bataille en Inde de 325 & 32446. Un marchand romain d'Egypte écrit en grec vers Pan 50 A.D. un manuel appelé Le Périple de la Mer Erythde, c'est-&-dire I'Océan Indien; on y trouve la premikre mentiou sans. doute de la Cbine en littérature enropéenne 47. Henri de Lubac enregistre le fait que Dion Chqsostol me (m. 117) au début du second sihcle chrétien mentionne la présence BIndiens & Alexandrie, "ce qui n'a rien d'étonnant" 48. Des commercants romains atteignent la Chine aux u" et me sikcles aprks J.-C. 48. .&lexandrie est Pentrepbt desbiens qui arrivent de I'Orient par mer, Antioche en Syrie le point d'échange des biens qui arrivent par voie terrestre 90% de ces derniers sont des étoffes en soieG1, jusqu'au. m" sihcle quand i'industrie d e l a soie Setablit en Syrie 9". Needham croit que des idées confucianistes et taoistes ont été introduites A Rome dans les premiers sikcles chrétiens, mais des preuves concrktes manquent 6% Clément d'Aleuandrie (m. ca.. 220) est le premier avoir une .connaissance précise de la philosophie hindoue et ii mentionner le BouddhaB4 dans ses Stroínates (1, ch. 15) Emile Bréhier, Olivier Lacombe et plusieurs autres historiens de la philosophie voient une influence hindoue, certaine pour Bréhier, probable pour Lacombe, dans le mysticisme de PlotinG8. Hippolyte (m. 235) et d'autres témoinsnombreux révklent leur déception d'avec le rationalisme grec des premiers sikcles chrétiens et sont convaincus que les barbares d'orient. posskdent de meilleurs moyens de connaitre Ie divin An S" sihcle Ia Iégende orientale de Barlaam et Josaphat ajoute au répertoire de la Le Pkre de Lubac esquisse: vi6 des saints l'histoire du Bouddha l'histoire de cette biographie du Bouddha Sakyamouni, rédigée d'abord en langue sanscrite, ensuite traduite et adaptée par un chrétien perse DanaId Lach, Asfo (an fhe Makine of Eumve: v. 1, The Centuw of DiscoThe U. of Chicago Press, 1965, p. 7. 47. Ibid.. PP. 14 SS. 48. Henri de Lubsc, Lo rencontre du Bouddhism el de I'Occident, Parir: Aubier . . , . Montaigne, 1952, p. 17. 46. D: Lach, Tha Century, p. 13: . . 50. IbM., p. 15. 51. Ihid., p. 15. . . 52. Ibid.. p. 21. . ., , . 53. Ihfd., p. 17. 54. Iljid.. p. 18. 55. 1.1. de Litbnc, La rencontre, p. 20. 5G. Ibld., p. 23. 57. D. Lach, The Cenfuw, p. 18. 58. Ibid.. pp. 19, 27. 46. oerg, Chicaso: de lcingue pehlvie, puis passée en arabe, en géorgien, et en gr& 60. Cette légende eut un "succes prodigieux" BO.. Une fameuse collection defables hindoues, la Panchatantra>.est tra-' duite en syriaque au VI" sikcle, en arahe au a", et en hébreu au m" Au m" siecle un marchand. aiabe appelé Soleyman laisse le récit de seS voyages aux Indes, en Chine, et i CeylanB?. Et en Pan 987 "paraissait un vaste traité de hihliographie, le Kitab-al-fihrist, dont tout. un chapitre est consacré aux religions d e PInde; c'estt.un précis remarquable", nous dit le R r e de Lubace8. Bref, des idees. aussi bien que des produits s'introduisent de POrient . ,. 2.6. Passons aux relations chrétiennes avec le Moyen-Orient et PExtieme-Orieut. D'apres Kenneth Scott Latourette, A History of Christian Missions in China, des chrétiens se trouvent en Mésopotamie dtis la fin du premier siecle; ils s'établissent en Perse probablement au u.' .si&cle. La.langue eeclésiastique est le syriaque, qui donnera son alphabet ila langue mongole @. Au v\i&cle, on trouve quatre évechés en Perse ef en Asie Centrale, malgré Popposition $es zoroastrianistes et des chef$ Sassauides (226-651). Cet empire sassanide, cependant, "crée une vaste cvculation entre le nord:ouest de PInde et la Syrie"Q8.Rappelons que ce christianisme oriental est devenu nestorien. Les Arabes. ~enversentlessassanides au vn" sikcl,e et établissent PIslam:.Les califes abhassides, . , du milieu du m"au milieu d u xnr\i&cle (750-1258), a b p t e n t , favo-Y risent meme, les chrétiens. Dans son étude, The :Way.of the .Mystics, Margaret Smith a un chapitre. étonnant s u r les' rapports tres intimes., et amicaux entre les chrétiens nestoriens et l e s 'musulmans, des le. temps meme de Mahomet Smith conclut: "It is evident that Islam ..., at a time when its mystical doctrines were developing,. found itself almost everywhere in a Christian environment, in close contact with Christian forms of worship and Christian culture" H. de Lubac, La rencontre, p. 28. Ibid., p. 29. P.Lach, The Century, p. 27: . ., . . . ., H . de Lubac, Lo rencontre, p. 31. Ibid., p. 31. , . D. Lach, The Centurg, p. '19. Kenneth Scott Latourette, A History of Christion Missio'ns in Chino, Teipei: Ch'eng-Wen Publishing Company, 1966 (1929), p. 63. , ' . .. . 66. H. de Lubac, La renconlre, p. 19. . . 67. Margaret Smith, The Way oj the Mptics, N w York: 'Orford U. Piess, . . .~ 1978 (1931),p. 108. , 68. Ibid., pp. 123 SS. .. , . 59. 60. ..61. 62. 63. 64. 65. Quant I'Inde, une communauté chrétienne y exisfait sans doute au IV" siicle. Pour la Chiie, tout est conjectnral avant la dynaitie T'ang, gui débute en 618. Auhrey Vine, dans son étude, The Nestorian Churches, écrit: "The dirst effective Christian mission to China of which we have any definite knowledge was that sent by the Patriarch Yeshuyab 11 in about the year 035" ". Ii existe un t d s fameux monument religieux, découvert en 16s mais érigé en 781 2t Sianfu lo. Ce monument nestorien est inscrit en cbinois et en syriaqneT1. On y tronve i'histoire du nestorianisme en Chine, ainsi qu'un résumé des doctrines et des pratiques des missionnaires. Notons que le nestoriauisme y est appelé "la religion lnmineuse" '2. On y lit aussi que le chiistianisme fut apporté en Chine vers 635 par un moine perse nommé Alopen, venn de Syrie TS. Avant la ñn du siecle Ia nouvelIe religion se tronva implantee dans dix provinces T4. On consacre un métropolitain pour la Chine avant 823, et on fonde un monasthre dans la capitaleT6. 2.7. Concluons ces renseignements en disant que des contacts entre i'Europe et le Proche-Orient sout habituels dbs les débuts dn christianisme. De m&meles contacts entre le Proche-Orient et le MoyenOrient. Quant aux relations entre le Proche-Orient et i'Extr&me-Orient, et spécsquement la Chine, ils sont continns partir d'au moins le vm" sibcle. Répétons ici que le Taoisme original s'est détaché de ses racines au mCsibcle pour former une secte basée sur le bouddhisme mahayanaTB.C'est pen aprks que Le Secret de la Fleur d'Or parait ea Chine. 11 est sans doute devenu le texte fondamental de cette nouvelle secte, comme le Tao Te Ching l'avait été pour le Taoisme original. Les chrétiens chinois auraient été, tres vraisemblablement, an courant et de cette nouvelle secte et de sa doctrine. 69. p. 130. 70. 71. 72. 73. A~breyR. Vine, The Nestorion Churches, London: Independent Press Ltd., 1937, K. S. Latourette, A Hinmy, pp. 46-53 passim. R. Wilhelm, The Secret, PP. 10 ss. K. S. Lataureite, A Histoq, p. 53. A. R. Vine, The Nestodan Churcher, p. 131. 74. Ibid., p. 131. 75. K. S. Latourette, A History, p. 54. 76. A. Waley, The Wny, p. 120. C. ~FLLJENCESORIENTALES DANS L'ART, LA LA S P ~ A L &nE I~~~OLO El'C I E L'EUROPE 2.8. Nous venons i la troisibme partie de notre argument. Tous ces contacts continus et profonds entre les trois Orients d'abord, et puis entre SOrient et l'occident, ont laissé de nombreuses traces dans i'art, la théologie et la spiritnalité de PEurope. Ja'i relevé plus d'une vingtaine de références i une influence orientale dans i'étu.de d'Henri Focillon, Le Moyen Age roman7'. 11 parle des "voiítes sur nef en Catalogne, sans doute ? I'exemple i des *es orientaux" 78, de "cet art méditerranéen, d'origine orientale"", "de formes d'outre-mer, venues surtout des communautés cbrétiennes d'Orient"8O, de Sogive dans les monnments chrétiens d'Annénie dks la fin du x" sibcle8', de "toute une série de rappnrts entre l'art syrien et I'art roman" 82, du "monarque oriental de Moissac" d'un parallkle Daniel et Gilgamesh entourés de lions de I'entrelacs qui nous vient de la Géorgie et de I'Arménie des grands lions orientaux an portail de Chardenae des "tissus iiturgiques timbrés ... des m6daillnns et des syrnboles de i'orient" 8: de "SOrient mozarabe des Beatus"88, des "scbnes de chasse orientales" 89. 2.9. Jean Ebersoltao, pour sa part, attire notre attention sur les saints orientaux vénérés et souvent sculptés: Epbrem le Syrien, Georges, Serge, Cosme et Damienol; Sabas, Antoine et PacBmes2; saint Blaise d'Arm6nieo8, saint Nicolas &&que de MyxaB*,saint Théociore 5 77. 78. 79. 80. 81. 82. R2. . . 84. 85. 86. 87. 88. 89. 90. 91. 92. 93. Henri Facillon, Le Moyen Age roman, P d s : h a n d Calin, 1938. Ibid., p. 62. Zbid., P. 66. Zbid., p. 95. Zbid., p. 117. Ibid., p. 156. Ihld.. . . , n. = 228. --Ibfd., P. 231. Ibfd., p. 257. Ibfd., p. 285, Ibid., p. 313. Zbid., p. 321. Zbid., p. 328. Occident, Jean Ebersolt, Orient Bocard, 1954. Ibid., P. 45. Zbid., p. 47. Zbid., P. 64. Chartrese6, sainte Barbe, la vierge orientaleoB. 11 nous rappelle I'éléphant qu'Haroun-al-Raschid donna A Charlemagne et dont le motif s e trouvera sur les tissus et les chapiteaux S.' "Lq mode des borduresorientales a régné en plnsieurs r é g i o n ~ " ~Les ~ . Arabes d'sEspagne introdui.sent "des animaux fantastiques e t réels, originaires des pays orientaux: i'éléphant; le chameau, le gtiffon A tete d'aiglem88. La croix A douhle traverse apparait des le vm5iecle sur les monnaies byzantines, se répand en Occident '''0, ~t inspire :aussi le donble transept (e.g. Sainc Vorles de Ch&tillon-sur-Seine10'). André Grabar a pu écrire: "La parenté des oeuvres d'ari chrétiennes et musulmanes en Syrie, en .Mésopotamie; e n Arabie, en Palestine, A la fin du premier millénaire, est:.. pr~uyépour I'ornement, pourla mosaxque, pour la fresque, pour !es revetements en stuc"O2. 11 considere que le monument chrétien de PatléinB en Bulgarie, du IX"ou du x" siecle, "nous révele une nonvelle forme d e somptuosité de I'art de I'Orient chrétien, tout en montrant, et' plus nettement que jamais, I'origine asiatiqne de ce gobt du décor précieux, resplendissant.de couleurs éclatantes" 'O8. 11 conclut: "On considérera donc Part d e Patleina comme un a i t chrétien asiatique" 'O4. 3.0: Le critique d'ak Jurgis Baltrusaitis signale la parenté des de,mons et dragons ailis d e chauves-souris et la crete & épines ou A dents de scie et d e possibles modeles chiioii", mais la plupart d e se.. eiemples iiieñxieut partil. du m'. siecie, a@&s la grande peur des .. . . < . , . . . .. . Mongols; .., . . . . . . ., 3.1. ,, D'autres savints . . o n ~ s i g n a l éune clairi influence orientale dins la théologie et la spiritnalité de la ~ r a i c emédiévale. La voie de hansmission a Até le monachisme. Parmi une vaste..documentation, signalons seulement certaines idées que se rattacheraient plus évi95. Ibid., p. 117. . . . . 96. Ibid., p. 118. 97. Ibid., pp. 64 SS. 98. Ibid., p. 122. 99. Ibid., p. 66. 100. Ibid., p. 119. . . 101. H. Focillon, Le Moyen &e romnn, p. 62. 102. Andrk Grabar, Recherches sur les influences orientales -don* l'art bolkanique, Paiis: Les Belles Lettres; 1028,:pp. 47 ss. ' .. 103. Ibid., P. 52. . . 104. Ibid., p. 53. 105. Jurgis Baltrusaitis, Le Moyen Age fantastigue, Paiis: . h a n d Colin, 1955, p. 158. . . demment notre hypothese. D'ahord; I'idée de Papatheia, but et terme de i'asdse et moyen de maltriser la chair et le monde '"% Cette doctrine de Jean Climaque, abbé du Sinai (m. ap. 650) et inspirée $Evagre GEgypte (m. 399), 1e.Pere Bouyer nous dit qu'elle "restera & I'arriere-plan de toute la txadition spirituelle, byzantine" 'o7. L'apatheia est un 'es termes qui, selon Marie-Dominique Chenu, nons permettent de suivre dans les textes "I'occidentalisation de la théologie orientale" 'O8. An début d u xre siecle la spiritualité du Sinai envahit le moiiachisme de Byzance *Os. 3.2. Cette doctrine de Papatheia s'apparente A I'idée taoiste de "wu-yu" ou "manque de désir", qui permet de maitriser ses passions et celles des autresX0. Selon le sinologue Arthur Waley, I'idée est essentielle a u quiétisme taoiste l'. La fin de Papatheia est Phesychia, "le repos en Dieu", un des themes majeurs des moines de Syrie l12. Commeut ne pas i'associerau quiétisme, au nirvana de tout a I'heure? Et il y a plus. Le Pere Bouyer, historien de la spiritualité byzantine, écrit que "c'est un texte de l%chelle [de Jean Climaque; nous sommes au vu" si&cle] qui, pour la premiere fois A notre conuaissance, met en liaison directe ces trois termes,: mémoire de Jésus, maitrise de la respiration, et hesychia" V3. Or, nous savons que la maitrise de la respiration est un des principes fondamentaux du yoga hindou, et Arthur Waley note que certainspassages du Tao TeChing se réferent, quoique indirectement, A une technique physique du Taoisme, au contr6le de la respirationn4. Mais c'est dans Le Secret de la Fleur $07 que Son trouve, pour la premiere fois en Chine, tout un passage sur les liens entre la circulation de la lumiere et I'art de rythmer la respiration116. Un des plus grands auteurs mystiques de notre temps, Thoreligieuhs .. de I'Orient, mas Merton, croyait que, de toutes les formes ~. 106. Louis Bouyer, pp. 655 SS., ' l a spirituaUt6 byzantine", in La sp(rituolitk du Moven Aga, par Dom J. Lecleicq, Dorn F. Vandenbroucke et Louis Bouyer, Paris: Ailbier, 1961. 107. Ibid., p. 657. 108. Mnrie-Dominique Chenu, O P., La Thdologle au Douzikme Sldcle, 2' éd., Paris: Librairie Philoaophique J. Vrin, 1966, p. 371. 109. L. Bouyer, "La qpiritunlité byzantine", p. 662. 110. A. Wnlev. Tlte Wov. D. 89. . . 111. Ibid., p. 91. 112. L. Bouyer, "La spirihialit& byzantule", p. 680. 113. Ibid., p. 681. 114. A. Wsley, The Wog, p. 99. 115. Liou Tse Haua, Le Secret, pp. 76.84. celle du Zen est la plus appropriée au christianisme"8. L'éveque byzantin Kallistos Ware, en discutant la trds fameuse "Prihre de Jésus", conclut: "There are striking similarities between this 'hesychast' method and the tecbniques used in Yoga aud Sufism, but it is difficult to h d proof of direct influence" " l . 3.3. Au centre de cette spiritualité orientale, il y a le coeur, pas la thte. C'est la sensibilité qu'il faut, plutot que l'intellectualité. C'est l'expérience, pas Ia discussio~ithéorique118; la vie, pas des idées sur la vie. L'expérience est centrale aussi au systbeme du mystique Avicenneug. Le coeur, c'est la tendresse, ce sont les larmes, un des deux traits les plus caractéristiques de Syméon le Nouveau ThéologienU0. L'archevhque orthodoxe Krivochéine signale que, pour Syméon, ce sont les larmes qui nous transfoment en une demeure de la Sainte Trinité (Cat. 9:374-385)12'. On se rappelle que dans les chansons de geste nos braves chevaliers plenrent A chaudes larmes souvent et facilement. Le regretté Charles Payen dans son Motif du repentir dons la littérature franguise médiévule traite souveut du sujet des lannes; son iudex donne plus d'une soixantaine de références. Dans l'histoire de la dévotion larmoyante, Payen nomme Grégoire de Nazianze, Evagre, Siméon le Jeune, saint Ben03t'~~.Mademoiseile Davy rappele le vieil adage de saint Jérome: monachi non est docere, sed lugere: l'oeuvre du moine n'est pas d'enseigner, mais de pleurer Eucore un cbauion qui resserre I'Occident A forient. 3.4. Láputheia, Phesychia, nihnent tout naturellement A une certliine méfiance de l'intelligcncc. Cette méfiauce a été caractéristique de la théologie et la spiritualité de POrient, affirme entre autres Jarmlav 116. Alerander Lipski, Thomds Merton and Asia: His Quest for Utopia, Kalamaros, MI: Cistercian Publicatians, 1983, p. 61. 117. K~llistosWare,p. 409, 'Wayr af Prayer and. Conternplation. 1. Eastem:', in Christian Spiritunlity: Origins ta Che Twelfth Centunl, ed. Bernard MacGinn et al., N e v York: The Crasrraad Publishing Company, 1987. 118. Dom Jean Lecleicq, OSB, Initiatbn aur nuteurs mamstigues du Moyen Age, 2*' &d. conigée, Paris: Les Editioris du CerF, 1957, pp. 13, 207,. 213. 119. M.-D. Chenu, Ln théologis;. p. 138. 120. L. Bouver, "La rpüitualité byzanthe", p. ,663. 121. Basile Krivochfinc, Donr la LumiL'7e du Christ: s: Symkon le Nonveou Théologien (949-1022J, Chevetogne, 1981, p. 39. 122. Jean-Charles Payen, Le m ~ t i fdu repentir dam lo Yiná.aEure froncbe médiéuoh, Geneve: Librsirie Droz, 1968, pp. 32 ss. 123. M.-M. Davy, Initlotion mddiéunle: Ld philosophie au 12' &le, Paris: Albin Michel, 1980, p. 41. Voir ausoi, J. Leclercq, IdtinHon,. p. 196. Pelikanm4.Cette méfiance se trouve aussi en Chine. Dumoulin, dans son Zen Enlightenmnt: O~iginsa d Meaning, note que le moine bouddhique chinois Seng-Chao (334-416)a écrit un traité mahayaniste in~ . courant occidental de la titulé La sagesse n'étant pos le s a o o i ~ ' ~Le théologie "négative ou apophatique" se nourrit tfes fortement du Pseudo-Denys, surtout dans son traité sur Les n o m dioins. Dans le tout premier paragraphe de i'édition Gandillac nous lisons: "... ne pas dé. montrer la vérité des paroles divines par des probabüités tirées d'une sagesse humaine, mais bien par une révélation de cette puissance qui vient aux théologiens de PEsprit et qui nous fait adhérer sans parole et sans savoir aux rBalités qui ne se disent ni ne se savent, unis A elles A notre facon au delA des puissances et des forces de la raisou et de i'intelligence" Un peu plus loin les adjectifs "invisible, indescnptible, inexplorable, indépistable" 12'. L'influence capitale du Pseudo-Denys en Occident n'est pas h souligner, influence due surtout aux VictorinslZ8.Cbenu rappelle "la grande controverse sur Deus-Deitas et sur "On assiste ainsi, sans i'axiome Quidquid de Deo dicitui est Deus" lZ9. nul doute, écsit le Pbre Bouyer, A un retour h une anthropologie biblique, faisant du 'coeur', vu comme la source de toutes nos décisions profondes, et non plus du noür, de la pure intelligence, le centre et la cime de notre personnalité" la*. Pas surprenant, donc, qu'A partir du concile de Reims en 1148 dans le conflit des auctodtates, "les résistances s ' a f b e n t contre les autorités nouvellement introduites, entendez les textes des docteurs g r e c ~ " Selon ~ ~ . le Pbre Chenu, ces Grecs sont, par excellence, Denys, Grégoire de Nazianze surnommé le Théologien, et Maxime le Confesseur, qui "infectent", disons, Hononus d'Autun, Hugues de Saint-Víctor, Rupert de Deutz Ordéric Vital... W2. 3.5. Je n'ai pas eu le temps d'approfondir i'idée de I ' h d i t é . Vow 124. Jaroslav Pclikan, The S&¡t of Eostern Chnstendom (600-1700), Chicago: U. of Chieago Press, 1974, pp. 258 ss. 125. H. Dumoulin, Zen Edightenment, p. 35. 126: Maurice de Gsndillac (éd:); Oeumes comp>ldtes du P s e ~ d ~ D e n gPArkopagite, s. Paris: Aubier Montaigne, 1943, p. 67. 127. Zbid., p. 69. 128. Dom Franpis Vandenbmucke, OSB, p. 298, "Nouveaux milieus; nouveaur probldmes, du 1%- au 16' siecle", in La spirituolitd du Moyen &e, par Dom J. Leclemq. Dorn F. Vandenbroucke et Louis Bouyer, Paris: Aubier. 1961. 129. M. Chenu, La thdologie, p. 105. 130. L. Bauyer, "La spiritualit6 byzantbe?, p. 686. 131. M. Chenu, Lo thkologie, p. 287.. 132. Zbid., PP. 276, 279. savez qu'elle devient tres importante au cours du XII" sikcle, en fittérature comme en s p i i r i t ~ a l i t é ~01, ~ ~ .l'humilité est, selon Syméon le Nouveau Théologien (949-1022), un des trois dons que l'union avec le Christ confere au croyant, et c'est celui qui a le plus fixé l'attention de Syméon13*. On peut supposer, e n attendant des recherches positives, que les deux idées del'humilité et des larmes sortent du renouveau spirituel lancé aux x" et x~"si&cles par Syméon le Nonveau Thbologien, qu'Yves Congar appelle "un des plus grands mystiques chré: tiens" 135. De meme, l'idée de la Transftguration est b. rechercher. Elle recoit beaucoup d'attention dans la théologie palamite, fondée sur ~ . fete du 6 aout était déjA Syméon lo Nouveau T h é o l ~ g i e n l ~Cette ti+s répandue dans l'église orientale avant que Pierre le Vénérable (1094-1157) ne l'introduise A Cluny dans la premiere moitié du XII' si&c1e187. Y aurait-il des liens entre Syméon le Nouveau ThéOlogen; le renouveau spirituel qu'il déclenche, son insistjnce sur la Transfigura. . tion, l'idée de la "lumitire" et "Pentr'oeil"? 3.6. Outre Papport du monachisme, nous connaissons bien l'influence capitale des crois'ades. 11 y . a anssi les influences de l'Afrique dn Nord, c'est-Azdire musulmane et égyptienne. Avicenne (980-1037) se révdle au xu" sikcle avec, dans'le premier tiers du sihcle, "un prem i e ~lot d'oenvres aiabes, passées par le Iabofatoire des traducteurs de Tolhde" 13=.Davy affirme qu'un nouvel intéret se développe air =>si&cle b. Iegard de IZgypte, considérée &aprks Cassiodore comme la "mere" des arts 1 i b B r a u ~ Et ~ ~ Davy ~ . d'affirmer aussi que cet apport culturel attiibué A PCgypte "était en réalité d'origine iranieune" $40. 3.7. ' Finissons ce développement avec une idée assez subtile. Chenu, dans sa discussion du "nouvel équilibre de la nature et de la grkce" au. XII" sihcle, bcrit: "Nous assistons & Ia formation d'une sensibilité de plus en plus vive aux phénomhnes de la nature: A I'harmonie du cos' , . 133. J. Leclercq, Initiatlon, p. 158. 134. J . Pelikan, The Spirit, p. 257. 135. Yves Congar, O P., l e 6roi.r en l'Es@t-Saimt, t. 1: L'EspribSaint dans "l'kcanomie", rku6htion et emhience de FEaprit, Priris: Editions du Ced, 1979, p. 131. ii v aursit une éhide A faiie sur I'influence de ce Svméon sur la ltttérature médiéuale. Luchant les trois poinb des'laimes, de I'humilité ét de la confeision aux laicr. V O ~ +bid., pp. 141 ss. 136. J. Peliknn, The Spirit; p. 266. 137. J. Leclemq, Znitiation, p. 59. 138. M.-D.Chenu, La thkoiologie, p. 135. 139. M.-M.Davy, lnitiotion mQdidvale, p. 38. 140. Ibid., p. 39. mos, -a la place de I'homme dans cet univers oii sa liberté réagit au miIieu des déterminismes memes qu'il observe, oii it est lui-meme une nature, oii it tente d'exercer sa maftrise dans la conscience de son &re, oii i'autonomie de ses démarches est éprouvée comme la couditiou de sa perfection morale, voire de sa valeur religieuse" '4'. Cette maitrice, cetteautonomie s'affirment par exceltence dans la sublimatiou de la libido. Et M.-M. Davy de poursuivre: "La peusée de Gregoire [de Nysse] se rattache étroitement I'lncarnation ... Le Christ inaugure un ordre nouveau entre le créé et I'incréé. 11 se présente comme un médiateur entre la chair et I'ecprit, entre i'ombre et la lumiere; le corps mal, gré son ombre peut devenir éclairé, done transfiguré. 11 faut uoter ici -car.le fait est nouveau- l'importance du corps qui loin detre méprisé 'participe I'illumiuation"~'". Pour moi, ces deux citatious suscitent des pensées de sublimatiou, de maltrise et d'équilibre spirituels, en un,mot, d'entr'oeil. Davy concfut que dans la pensée de Joachim de Flore (1130.1202) "le plan de Dieu est régi par la loi spirituelle qui fait passer de I'état animal I'état psychique .puis pneumatique" '43. Ce passage d'un état A I'autre s'effectue par le Kundalini et s'éclot en une procréation spirituelle. Mais avant Joachim de Flore le plus grand pneumatique, disons aujourd'hui charismatique, était Syméou le Nouveau Théologieu, précurseur direct de Joachii dans son insistance su? ,le r6le de I'Esprit-Saint dans la transfiguration de I'Homme et du. Monde. . , . . . .. . . ., . 3.8. Pour conclure, qu'est-ce qu'il y aurait de positif dans toute cette documentation poui soutenii l'hypothese qu'un "Iarge eutr'oeil" sym,boIise le "troisieme oeil" et aous v i e ~ tde I'Orient? En tout premiek .Ileu; l a profondeur mystique du w" si&cle francais, qui se révele dans les 'nouvelles foudations religieuses: POrdre de Grandmont (1076), les Chaitreux (1084), les Cistercíeus (1098),les Prémontrés (1120); ces deriiers s e répandent aussit8t. en Proche-Onent et dialogueut quotidieunement avec les Musulmans.'41 Dom Jean Leclercq a pu afllher que 141. 142. 143. 144. M.-D.Chenu, La théologie, p. 246. M.-M. Davy, Inithtion médiéuole, p. 69. Zbid., p. 190. Dorn Jean Leclercq. OSB, p. 188, "De s. Grbgoirs B s. Bernard", in Lo sp(ritualitd du Moyen Age, par Dom J. Ledercq, Dom F. Vandenbroucke et Louis Bauyer, Psris: Aubier, 1961. pendant la seconde moitié du xx" siecle on voit u n e "intense poussée religieuse" les, et U n vaste et profond 'mouvement érémitique' surtout en France, spAcialement dans SOuesf", mouvement érémitique dans leque1 les femmes joueut un grand r8le Deuxikmement, il y a parenté entre les idées spirituelles de SOrient et de SOccident, surtout en ce qui concerne rapatheia et son résultat existentiel, expérienfiel et auti-iintellectuel, les lannes, l'humilité, et la Transfiguration. E n h , entre le Proche-Orient et PExtreme-Orient il y a l e détail positif dUne techuique psycho-phy'siologique pour faciliter la méditation, nommément le contrble de la respiration. Voila' ce qu'il y aurait de positif. 3.9. Tout le reste que j'ai présenté est circonstanciel. Tout n'est qu'échafaudage la Beaubourg, espérous-l&l-. Manque tout d'abord une complbte base de données. Manqueut en conséquence la chroriologie et la géographiede l'expression "un large entr'oeil" a u xn" síkcle francais. Manque aussi I'histoire détaillke et régionaliiée du mysticisme du xn" si&cle fran~aisen littérature profane. Manquent plusieurs précisions, et surtouf la clé d e voíite, e¡ fait critique de l'infiuence positive du lime chinois,Ze SecM & la Fleur 8 0 7 ou 'Pai I Cñin Hua Tsung Chih, sur Ia pensée proche-orientale et occidentale. Et je me limite, expres, 2 l'expression figée "entr'oeil"; paur le moment, je ne considere pas, par exemple, "Entre les dcius oilz out large fe front" du Roland (v. 1217) et d'autres chausons, et qui {appliquent le plus souvent A de mauvais géants ennemis. Cela dit, je crois avou donné des points de rapprochements nombreux et suggestifs @ur uie'lecture plus attentive de nos chansons épépiques. Dans un. colloque tenu New York en juin dernier sur ce quí consiitue m:beau visage,, une duectrice de mannequins af6nna quUn *visage photogénique a toujours inclus un nez droit,, des pommettes hautes, des Ievres pleines, et un large entr'oeü" .'41 Je doute fort que dani ee contexte "un large entf oeil" ait le moindre sens spirituel! Peut-&re n'en e-t-il pas, non plus, dans de m"siecle. francah. A nous de'& ciderl l.. -a 145. Ibid., p. 173. -ldfi - -. .lMJ --.-., nr. -1fiR --. 147. N m Yovk Times, June 20, 1988, p. B2, c. 6. 148. Je ti& A iernircier ici les moines b4n6dictini de Chevetogne, Belgique, p u i leur chnleureuss bospitalit& ei les. ressources de leur ,hiliotheque, #"*out les PeRs Philipps van der Heyden et Thaddee B m a s . , . "UN U R G E ENIR'OEU": U W O N DE BEAUTÉ AU .U* S ~ C L EFRANI&4IS 189 APPENDICE A. "large entr'oeil": dit des personnes . . l. 2. 3. 4. 5. 6. B. . .. . , "large entr'oeil": dit des animaux 1. C. . .. Large antr'oel, sorciz aligniez, Nes ot ne fardez ne guigniez (Phi~omena,Chrétien de Troyes; cité dans Cofby, p. 38, w. 147 SS.Date: av. 1176 (voir Colby, p. 10). Sorciex bien fais et large entiueil (Percaval, Chrétien de Troyes;,éd. Roach, v. 1819. Dit de Blanchefleur. Date: ca. 1193). Sorciz brunez et large enkue/l (De Guillkme au Faucon; éd. Barbazan et Méon, t. 4, p. 410, v. 91. Dit de la cbAtelaine). Par reson ot larget entreuil (Méraugis de Portlesguez, Raoiil de Houdenc; éd. Michelant, v. 63.. .Dit de Lidoine, fille du roi. .. Date: ap. 1200?),. Li sorci sont dougie et bel, Haut et voutiz a large entrueil (La Poire, v. ,1642). . . .. .1. front avoit bl+c. et p@i, . , Large entr'ueil et sorcix brunez (Escanor. v. 8426. Date: ap. 1280). Col enarcie et large entroel (Amadas et Idoine; Bd. Reinhard (CFMA), v. 4196. Dit du cheval. Date: xm' sibcle). "entr'oeil": autres usages, dit des personnes 1. Li antriaus ne fu pas petis, Ains iere asses grans par mesure (Roman de la Rose; éd. D. Poirion, w. 530 ss. Dit de Oiseuse. Date: ca. 1229-1239). 2. 3. 4. D. "entr'oeil": autre usage, dit d'un animd 1. E. L'entrueil sans poil et bien faitis (Richard li biaus; Bd. W. Foerster, v. 146. Dit de Clarisse). Maint be1 cors et maint be1 entruel, Et maint lanc col et maint vair uel (Durmart le Gallois; éd. E. Stengel, VV. 4435 SS. Dit de plusieurs demoiselles nobles. Date: ca. 1220-1230). Ces cheveux blonds, sourcils vontis, Grand entroeil. ce regard joli ("Regrets de la BeUe Heaulmiere", F. Villon). [Li entroyl] ceo est cele partie taunt cum ad entre le dur bek et le oyl (Cod. Digby 86, s. Tilander Clan. lex 83. D;t de I'oiseau de chasse). "enhoikure" 1. 2. Grant ot I'entroilleure et si ot haut le nes (La Conqudte de Iérusolem, v. 6383. Date: fin xu" siecle?). Grant ot I'entruelleure et le poil tot ferrant, De I'un oel a I'autre plaine paume tenant (Les Chétifs, v. 12558. Date: fin XII" sihcle?).