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Dossier ■ mobilier Structuré autour de quelques rares galeries, il y a vingt ans, le secteur du meuble a été investi par quantité de nouveaux éditeurs physiques ou virtuels. Simultanément, les créations se sont libérées des grands courants du minimalisme, puis du baroque et de l’ornemental, pour afficher un éclectisme réjouissant. Texte d’Eva Bensard. Banc Spaghetti Bale de Pablo Reinoso, bois et acier, exemplaire unique, 2008, Carpenters Workshop Gallery. 24 ❘ Ateliers d’Art septembre-octobre 2012 Dossier ■ mobilier Meubles la nouvelle vague Ateliers d’Art septembre-octobre 2012 ❘ 25 Dossier ■ mobilier Table basse d'Éric Robin, En attendant les Barbares. C abinet baroque d’Élisabeth Garouste en fer forgé et céramique émaillée, miroir fleuri d’Hubert Le Gall en bronze et feuilles d’or, console tout en courbes de Mark Brazier Jones… Pas de doute : nous sommes chez Élisabeth Delacarte, dans sa galerie parisienne Avant Scène, où les artistes cultivent une vision poétique et décalée de la nature, un goût prononcé pour l’ornement. Une tendance qui n’avait rien d’évident dans les années 1980. « Lorsque j’ai ouvert, en 1986, c’était l’époque du minimalisme, des formes droites et parfaites, des rééditions de Le Corbusier. Tout le monde avait plus ou moins le même intérieur ! Face à cette standardisation, j’avais un immense besoin de fantaisie », raconte la galeriste. « Il faut se souvenir qu’il y avait très peu d’éditeurs de mobilier contemporain à cette époque en France, rappelle Anne Bony, historienne du design. La première à ouvrir fut la Galerie Néotu, fondée en 1983 par Gérard Dalmon et Pierre Staudenmeyer. » Pionnières des années 1980 Agnès Standish-Kentish, à la tête de la galerie En attendant les Barbares, fait aussi partie des pionnières et se fait connaître en éditant un couple de créateurs célèbre, Élisabeth Garouste et Mattia Bonetti. Comme Élisabeth Delacarte, elle prône le retour d’un mobilier raffiné, aux courbes sensuelles et à la fantaisie débridée, et partage la même ambition : produire des pièces d’exception en série limitée. À la fois précieux et contemporains, ces objets renouent avec la grande tradition des arts décoratifs et sollicitent le savoirfaire d’artisans de haut niveau – bronziers, ébénistes, fer26 ❘ Ateliers d’Art septembre-octobre 2012 ronniers (comme Pierre Basse, qui travaillait autrefois pour Diego Giacometti). « J’ai une passion pour le bronze. C’est un matériau rassurant par sa solidité et qui traverse très bien le temps », confie Élisabeth Delacarte. Même inclination du côté Agnès Standish-Kentish, qui a aussi une prédilection pour le travail de l’or, en association avec le bois, l’acier ou le fer forgé. « Dans ce que nous proposons, il y a un aspect patrimonial : il est important que nos pièces soient luxueuses et de très grande qualité, qu’elles ne bougent pas au fil des décennies », explique-t-elle. Cette conception précieuse et décorative du mobilier contemporain fait des émules et, au début des années 1990, de nouvelles galeries voient le jour à Paris : celle de Gladys Mougins, qui collabore notamment avec André Dubreuil, un artiste travaillant dans la grande tradition des ornemanistes, ou encore celle d’Antonine Catzéflis, l’une des rares à représenter des créateurs qui sont aussi des artisans et qui conçoivent leurs œuvres du projet initial à la réalisation finale. La galeriste est aussi l’une des seules à présenter autant de meubles en bois, un matériau dont la fragilité et la sensibilité aux variations de chaleur rebutent de nombreux galeristes (lire encadré ci-contre). Lorsque le renouvellement se tarit Plus de dix années ont passé depuis l’ouverture de la galerie d’Antonine Catzéflis et plus de vingt en ce qui concerne celles d’Élisabeth Delacarte et d’Agnès Standish-Kentish. Ces deux dernières ont, au fil des années, perfectionné les formes, les matériaux et la fabrication, proposant des pièces de plus en plus abouties et raffinées. « On est allé vers des finitions plus luxueuses, des formes plus policées », souligne Élisabeth Dossier ■ moBilier l’Art nouveAu Du xxie siècle chaises sculptées de nicolas cesbron, houx et palissandre, Galerie Antonine catzéflis. Photo : Joël laiter. dans son espace de la rue Saint-roch (« ni galerie ni boutique », prévient-elle), antonine catzéflis défend depuis douze ans les créations de deux ébénistes, Benjamin Pagart et nicolas cesbron. « On a démarré ensemble. Les formes végétales, toutes en courbes, de leurs meubles incarnent un nouvel Art nouveau. Ce sont des réalisations proches de la sculpture, mais qui ont une fonctionnalité. » la preuve avec les boîtes en forme de gousses de Pagart ou les tablesmuscles de cesbron. « Le bois peut jouer, se fendiller. Mais sa sensualité est incomparable », affirme nicolas cesbron qui est devenu un virtuose dans l’art de sculpter, affiner, courber et assembler les essences de bois. Ses chaises aux pieds graciles, son bestiaire onirique et ses lampes-fleurs ondoyant sur leur tige de bois sont un défi aux lois de la pesanteur et de l’équilibre. « Chaque tige est chauffée pour que le bois s’assouplisse, puis sculptée et polie par Nicolas, précise la galeriste. Il faut ensuite faire passer un fil électrique dans cette liane de bois, qui fait parfois jusqu’à 6 mètres de hauteur. Le bulbe qui renferme l’ampoule est une calebasse perforée à la main, selon un dessin qui change à chaque fois, et constelle le mur de motifs aux variations infinies. » Présentée à la chapelle de l’église Saint-roch à Paris en 2008, cette forêt de fleurs luminescentes étonna et émerveilla, montrant qu’en ce début du XXie siècle, il était possible d’innover et de faire rêver en s’inscrivant dans la riche tradition des arts décoratifs. chaise Orque, JeanPhilippe Gleizes, en attendant les Barbares. Miroir Rondo de franck evennou, bronze, finition or blanc, 2009, Avant scène. Photo : Bruno simon. Ateliers d’Art septembre-octobre 2012 ❘ 27 Dossier ■ mobilier Table Appuntate d'Andrea Salvetti, plateau en bois brûlé et piètement en aluminium nickelé, 2005, Avant Scène. Photo : Emilio Tremolada. « Il faut beaucoup d’argent pour soutenir des artistes. Les meubles que l’on réalise coûtent En outre, il est difficile de trouver chez un même artiste l’excellence de la ligne, un savoirDelacarte. Mais depuis quelque temps, le renouvellement de leurs artistes peine à se faire. Chez Agnès Standish-Kentish, le dernier choc esthétique remonte à une dizaine d’années. Il s’agit d’Éric Robin, un designer (ancien collaborateur de Christian Ghion et d’Andrée Putman) dont la galerie a présenté tout récemment les créations arborescentes, en fer sculpté et noirci illuminé de feuilles d’or. Même constat chez Avant Scène. « Il s’est écoulé plus de 15 ans entre l’arrivée d’Hubert Le Gall et celle d’Andrea Salvetti (en 2011), c’est énorme », reconnaît Élisabeth Delacarte. Quant à Antonine Catzéflis, elle n’a fait aucune découverte d’envergure depuis les deux « rencontres phares » (Benjamin Pagart et Nicolas Cesbron) de ses débuts… Conséquence : bien peu de jeunes créateurs sont représentés dans ces galeries de référence. Et l’on a tendance à y retrouver les mêmes artistes, même si les pièces présentées sont à chaque fois différentes : Garouste & Bonetti chez En attendant les Barbares, Avant Scène et Cat Berro ; Franck Evennou chez Avant Scène et Cat Berro ; Christian Ghion, Olivier Gagnère, Éric Schmitt et Jacques Jarrige chez Cat Berro et En attendant les Barbares, etc. Pourquoi un tel tarissement chez ces pionniers ? Pour ces galeries, qui sont souvent des structures modestes, chaque nouvelle pièce produite représente un investissement lourd. « Il faut beaucoup d’argent pour soutenir des artistes. Les meubles que l’on réalise coûtent cher. Ils mobilisent plusieurs intervenants et nécessitent énormément d’heures de travail », explique Antonine Catzéflis. En outre, « il est difficile de trou28 ❘ Ateliers d’Art septembre-octobre 2012 ver chez un même artiste l’excellence de la ligne, un savoirfaire de très grande qualité et un style qui me corresponde », poursuit-elle. À l’heure où le design a le vent en poupe, ces galeries de la première heure revendiquent plus que jamais une démarche artisanale. « Le designer réalise son dessin, puis est absent du processus de production. Les artistes-créateurs avec lesquels je collabore suivent au contraire la fabrication de très près. Il s’agit de deux mentalités complètement différentes », précise Élisabeth Delacarte. Kreo, un laboratoire pour la série limitée Ces pionnières doivent en effet composer depuis 2000 avec un nouveau phénomène : le design-art. La galerie Kreo, inaugurée en 2001, est l’une des premières à mélanger ainsi les genres. « Son ouverture marque un tournant, estime Anne Bony. En 2001, Néotu, qui représentait des designers comme François Bauchet, Martin Szekely ou Jasper Morrison, ferme ses portes, et Didier Krzentowski reprend ce créneau : il travaille uniquement avec des designers et fait de sa galerie un lieu d’expérimentations, en réalisant des pièces uniques ou produites en petite série. » Autre particularité : Kreo s’installe dans un quartier considéré à l’époque comme La Mecque de l’art contemporain, fréquenté par de nombreux collectionneurs. « D’un côté, vous aviez des designers qui souhaitaient s’investir dans ce type de recherches, de l’autre, des collectionneurs qui se montraient intéressés et achetaient. Bref, l’assemblage idéal », ont confié Didier Dossier ■ moBilier Lathe V (Red), sebastian Brajkovic, bronze et soie brodée, 2008, carpenters Workshop Gallery. Poltrona di Proust, Alessandro Mendini, bronze, 1990, Kreo. édition Atelier Mendini limitée à 6 exemplaires, pièces signées et datées. Photo : fabrice Gousset. cher. ils mobilisent plusieurs intervenants et nécessitent énormément d’heures de travail. faire de très grande qualité et un style qui me corresponde. » Antonine cAtzéFlis et Clémence Krzentowski dans l’ouvrage Galerie Kreo, seize nouvelles pièces, un nouveau lieu2. Kreo collabore avec un nombre limité de designers, mais leur donne carte blanche, leur permettant de faire évoluer leur réflexion sans contrainte d’argent, de temps, de technique ou de dimensions. Dans ce laboratoire de recherches appliquées au design, des moyens financiers conséquents sont engagés pour la réalisation de chaque objet (50 pièces sont produites chaque année, un chiffre considérable). Mais le retour sur investissement est, en peu de temps, spectaculaire : les « poulains » de la galerie comptent aujourd’hui parmi les vedettes du design (les frères Bouroullec, Hella Jongerius, Pierre Charpin…). la loi de l’offre et de la demande fauteuil Nid d'Andrea salvetti, réalisé avec 1 km de fil d’aluminium anodisé bronze, 2006, Avant-scène. Photo : emilio tremolada. Kreo, un précurseur du design en série limitée ? « La série limitée a toujours existé. La grande différence aujourd’hui, ce n’est pas le fait que ce système existe. La vraie singularité, c’est que l’argent afflue. Les collectionneurs se sont penchés sur cette discipline qu’est le design en édition limitée. Nous sommes donc aujourd’hui dans une situation de l’offre et de la demande », analyse Ronan Bouroullec3. Pour beaucoup, cette évolution est l’un des changements les plus notables du secteur. « Quand j’ai débuté, il y a 15 ans, les collectionneurs achetaient uniquement des meubles des années 1950. Puis le marché s’est ouvert au mobilier contemporain. Il y a aujourd’hui une vraie demande, et donc davantage d’offre », se félicite Hubert Le Gall. Ateliers d’Art septembre-octobre 2012 ❘ 29 Dossier ■ mobilier Bahut L'Un seul et mur de Marc Raimbault, tissu d'ébène travaillé façon guillochis, quatre portes montées sur pivots ouvrant sur un intérieur laqué muré. Photo : J.-F. Rabillon. « Le système de la série limitée a sans doute généré des propositions d’objets parfois un peu faciles, mais le secteur s’est beaucoup renouvelé. Il n’y a plus de style imposé » HUBERT LE GALL Ces dix dernières années, le paysage s’est en effet beaucoup dynamisé et diversifié. De nouvelles galeries ont vu le jour, comme Tools, BSL, NextLevel, Gosserez, sans oublier la Carpenter’s Workshop Gallery, devenue en peu de temps un acteur incontournable du marché. Créée à Londres en 2005 par deux jeunes Français, Loïc Le Gaillard et Julien Lombrail, ce qui était à l’origine une petite structure expérimentale est aujourd’hui une méga-galerie présente à Paris (depuis 2011) et bientôt dans d’autres villes internationales. Son créneau ? La sculpture fonctionnelle. « On s’est rendu compte qu’entre la sculpture et le design, il pouvait exister un entre-deux. Produites en petite série, nos pièces ont toutes un aspect fonctionnel, mais elles peuvent se regarder comme des œuvres d’art », explique Julien Lombrail. En réalité, la fonction tend souvent à disparaître derrière le discours artistique. Pas évident de poser un vase sur une console totalement déstructurée de Vincent Dubourg ou de s’asseoir sur l’une des Lathe Chair de Sebastian Brajkovic, chaises à proprement parler renversantes. Mais cette galerie fait l’effet d’une bouffée d’air frais par son jaillissement de créativité et l’éclectisme de ses artistes. On trouve en effet aux côtés de designers « purs et durs » des créateurs plus proches de la sculpture, comme Vincent Dubourg, Pablo Reinoso et Ingrid Donat. « Le système de la série limitée a sans doute généré des propositions d’objets parfois un peu faciles, mais le secteur s’est beaucoup renouvelé et les meubles proposés sont très variés. Il n’y a plus de style imposé comme dans les années 1980 et 1990 », se réjouit Hubert Le Gall. Parallèlement aux artistes déjà évoqués, une nouvelle catégorie, celle des ébénistes-créateurs, renouvelle avec inspiration et savoir-faire la discipline et sort l’ébénisterie de son image compassée. Chez ces artistes, la maîtrise du dessin se conjugue à l’excellence artisanale, le geste ancestral côtoie la technique de demain, les matériaux traditionnels voisinent 30 ❘ Ateliers d’Art septembre-octobre 2012 avec ceux issus des technologies récentes. La preuve avec Marc Raimbault, qui peut associer dans une même création des matériaux nobles (bois, galuchat, parchemin, nacre…) et du carbone ou de la résine, avec Roland Mellan, dont les pièces caparaçonnées de métal martelé sont au croisement de la sculpture et de l’ébénisterie, ou encore avec Ludovic Avenel (Prix Bettencourt pour l’intelligence de la main) qui aime surprendre par des associations singulières de couleurs, de lignes et de matériaux. En quête de reconnaissance Chez ces artistes, inventivité, talent et qualité des finitions sont présents. Pourtant, entre le design façon Kreo et les galeries plus classiques du type Avant Scène, il n’est pas toujours aisé pour eux de trouver leur place. « Depuis Philippe Starck, on assiste à une starification du designer, mais pas Lathe Lamp Black, luminaire à poser de Sebastian Brajkovic, qui aime jouer avec les notions de perspective et de distortion, aluminium, 2011, Carpenters Workshop Gallery. Dossier ■ mobilier Unissez-vous ! Commode Manga par At-once, multiplis de bouleau, chêne, muirapiranga, érable et noyer, L'Edito. Captain’s Word is Law, table d'Yves Brand’honneur, chêne et sycomore. ➥ À voir Biennale de la création des arts décoratifs, du 15 au 30 septembre, église Saint-Louis de la Salpêtrière, 47 bd de l’Hôpital, 75013 Paris. www.biennaledelacreation.com Afin de mieux faire connaître leur travail, les ébénistes-créateurs ont fédéré leurs efforts et constitué ces dernières années des regroupements professionnels particulièrement dynamiques. C’est le cas notamment de l’association des Ébénistes-créateurs de Bretagne (ECB), créée en 2004. Regroupant une trentaine de professionnels (parmi lesquels Francis Veillerot, Yves Brand’honneur, François Jeannes, Dan Koers...), elle propose chaque année une exposition à Vannes et participe à de nombreuses manifestations à l’échelon local et national. « Aujourd’hui, il faut passer beaucoup de temps à faire de la communication et de la promotion. Or ce n’est pas notre vocation première. L’ECB nous permet de valoriser et de montrer notre travail, mais aussi d’échanger entre professionnels », souligne son président, l’ébéniste Yves Brand’honneur. Autre regroupement particulièrement actif : l’EAC (Exposition des artisans artistes créateurs). Fondée en 2001, cette association traduit le renouveau et la vitalité des arts décoratifs d’aujourd’hui et offre, par le biais de sa Biennale, une prestigieuse vitrine à de jeunes créateurs. Pour l’ébéniste Vittorio Serio, son président-fondateur : « La Biennale de la création des arts décoratifs est un regard vers demain. Un espace associatif où, à travers les rencontres entre créateurs, collectionneurs, amateurs et simples visiteurs, chacun s’enrichit d’une histoire qui se construit. » Buffet Squares d'Olivier Dollé, plaquage en noyer américain, piètement en chêne massif. Les cubes laqués blancs de dimensions variables évoquent des pixels, ils sont éparpillés comme une constellation et, à l’occasion, servent de poignées. Photo : Nicolas Scordia. Ateliers d’Art septembre-octobre 2012 ❘ 31 Dossier ■ mobilier Lit Kyuseisyu de Marc Raimbault, ébène de macassar brut de sciage et poli, parchemin, sycomore, L 2 660 x l 2 450 x h 2 450 mm. Photo : Lion Photo. du tout à celle de l’artisan d’art », déplore Olivier Dollé, un jeune créateur issu de l’École Boulle, lauréat du Grand Prix de la création de la Ville de Paris en 2010. Le cas de Nicolas Cesbron (à la fois sculpteur et artisan) est à cet égard éloquent : malgré un univers personnel très riche et une facture de haute qualité, il a mis dix ans avant de trouver un galeriste qui accepte de défendre son travail. « Les galeries sont un peu frileuses. On me disait : le mobilier-sculpture, c’est invendable », témoigne-t-il. Beaucoup de galeries rechignent à collaborer avec des jeunes issus d’écoles d’art, « trop formatés », estime Élisabeth Delacarte. Quant aux ébénistes issus d’une filière traditionnelle, ils sont considérés comme d’excellents techniciens, mais rarement comme des créateurs potentiels. « Lorsque l’on vient de l’École Boulle, on est tout de suite catalogué “artisan”, se désole Oliver Dollé. Notre grande force est pourtant de pouvoir dessiner mais aussi de fabriquer. J’ai appris la technique avant de m’attaquer à la création et cela m’a beaucoup servi. » Et pour damer le pion aux préjugés, il a inventé une nouvelle catégorie : celle d’artisan-designer. Son savoir-faire en ébénisterie, allié à des lignes très contemporaines héritées de l’Art déco, a donné naissance à son premier succès : la bibliothèque Tree Branch. Un « produit d’appel » qui lui a permis de fonder sa propre marque, le studio Olivier Dollé, en 2010. L’autoédition est aussi la voie choisie par Ludovic Avenel ou Kwantiq – un duo talentueux de jeunes ébénistes-créateurs issus aussi de l’École Boulle – pour diffuser leurs pièces sans passer par les galeries. Mais cette solution nécessite, en 32 ❘ Ateliers d’Art septembre-octobre 2012 plus du talent et d’un investissement financier non négligeable, un important travail préalable. « Avant de se lancer, un ou deux ans d’observation du marché et de montage de projet sont nécessaires », avertit Olivier Dollé. Autre possibilité : se tourner vers une petite maison d’édition. Ces dernières années, boostés par une demande croissante, les petits éditeurs (Y’a pas le feu au lac, Goodbye Edison, Marcel by, Petite Friture, Moustache) ont fleuri sur la scène française. Plus inattendue comme solution : se faire coéditer via Internet. Ce nouveau concept a été expérimenté avec succès par L’Edito. Spécialisée dans les meubles sur mesure écodesign, cette petite société française propose un catalogue de coédition en ligne. Elle sélectionne des projets de professionnels qu’elle soumet ensuite aux internautes-investisseurs. « Il suffit de réunir 1 000 à 5 000 €, selon les enjeux techniques du projet. Cette somme permet de finaliser les études techniques avec le créateur, de construire les prototypes et de financer les premiers investissements marketing. » Actuellement, une centaine de meubles se trouvent à la vente ou en cours de prototypage, qui ont tous quelque chose à voir avec les moyens de leur production : la légèreté d’être ! ■ Anne Bony est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire de la décoration, dont Esprit du meuble et du design. L’évolution esthétique de l’Antiquité à nos jours, à paraître en novembre 2012 aux Éditions du Regard. 1 Galerie Kreo, seize nouvelles pièces, un nouveau lieu, Éditions Archibooks, Paris, 2008. Les citations sont issues d’entretiens avec Clémence et Didier Krzentowski, ainsi qu’avec Ronan Bouroullec ; propos recueillis par Christian Simenc. 2 et 3