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édito
3. Trois mots : lumières, lieux, chorégraphies.
Trois clés pour pénétrer l’univers d’Olivier
Massart. Trois manières d’appréhender
la méthode, la singularité, la pratique
de La Mode en Images. Trois approches,
apparemment éclatées, qui dressent
un portrait de la complexité et de la
complétude d’un métier qui en mêle
tant d’autres, d’un regard qui entremêle
des expressions, des sensations et des
émotions complémentaires, d’une souplesse
qui démêle bien des écheveaux tissés
de contradictions apparentes. Soit la mise
en scène, en lumière et en perspective
d’une activité dont l’objet est la mise
en scène, en lumière et en perspective
de créations et de talents multiples.
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Lumières
Dans L’éloge de l’ombre, Junichiro Tanizaki écrit : “…Il
régnait dans cet établissement une certaine obscurité dont
je ne puis oublier la qualité ; c’était dans une vaste salle
qu’on appelait, je crois, la “salle des pins”. Les ténèbres
dans cette pièce immense, à peine éclairées par la flamme
d’une unique chandelle, avaient une densité d’une toute
autre nature que celles qui peuvent régner dans un petit
salon… Avez-vous jamais, vous qui me lisez, vu la couleur
des ténèbres à la lueur d’une flamme ?…”.
Dan Flavin : corner piece • 1987 © courtesy collection M HKA
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Olafur Eliasson : Test for Pedestrian vibes study • 2004 • Photo: Jens Ziehe © 2004 Olafur Eliasson
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Ténèbres. L’homme n’a eu de cesse de s’en libérer,
de les inonder de lumière. Guerre du feu, leçons des
ténèbres, sol y sombra… éternels affrontements
entre l’ombre et la lumière.
« Vous me demandez ce qu’est la lumière ? C’est le
crépuscule du côté de la lune, inconnu des terriens.
Là où seulement les chats ou les lunatiques
voient… » écrivait l’artiste et photographe Raoul
Haussmann dans L’ange du ciel. Justement, à l’origine, Olivier Massart était photographe.
Or, littéralement, qu’est-ce que photographier
sinon écrire avec la lumière ?
Dès avant l’origine, l’enfant du Lubéron qu’est Massart se laissait envahir par les contrastes nés de
l’alternance de l’ombre et de la lumière, du jour et
de la nuit. Levers et couchers de soleil, jeu des rais à
travers les persiennes, ombres étranges qui s’allongent, rétrécissent, se dissolvent…
« Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer
la lumière. » On reconnaît bien là, la gouaille de
Michel Audiard. Fêlé Massart qui laisse si bien passer la lumière ?
Pour mieux la modeler certes, la moduler, jouer de
la fusion et de l’opposition, de l’apparition et de la
disparition, de la matérialisation et de la dématérialisation. Fugacité, impalpabilité, sans cesse se
projeter au-delà du réel.
Jean-Paul Gaultier,
Hôtel particulier virtuel
Un défilé Haute-Couture
plongé dans l’irréel d’un hôtel particulier virtuel, animé
par des films.
(Carrousel du Louvre, Paris)
Au détour de l’analyse des mises en scène orchestrées par La Mode en Images, surgit soudain un
souvenir impérissable. Voilà que sur l’écran un
long travelling traverse entrée, vestibule, escalier,
grand salon, bibliothèque… et, tout au long du
parcours, jaillissant des murs, des bras vivants. À
l’extrêmité de chaque bras, une main tient un
candélabre. Effet saisissant. Fantasmagorie.
Magie. Rêve. Conte de fées sans fée, sensation de
mystère irréel. De La belle et la bête, son auteur,
Jean Cocteau dira qu’il s’agit d’une « œuvre écrite
à l’encre de lumière. »
Écrire avec la lumière, à l’encre de lumière, en épuiser l’alphabet, la grammaire et la syntaxe, telle est
l’une des irrésistibles ambitions de La Mode en
Images au fil de ses événements. Et ainsi, de
confronter, d’affronter, le mystère et l’évidence, le
masqué et le révélé, le symbolique et le signifiant.
« Le plan d’immanence ne cesse de se tresser,
gigantesque navette », constataient Deleuze et
Guattari.
Cartier Santos Night
Un tunnel, des miroirs sans
tain, des transparences, un
immense écran circulaire,
une nuit étoilée… le sentiment constant, persistant
d’être en apesanteur.
(Musée de l’air et de l’espace,
Le Bourget, Avril 2004)
Claude Lévêque : Le Grand Sommeil • 2006 • Installation in situ MAC/VAL, Vitry-sur-Seine • 36 carcasses de lits en pvc, boules blanches en polystyrène, demi-sphères en plexiglas, lumière noire.
D’un défilé l’autre, d’un événement l’autre, d’une
fête l’autre, Massart multiplie, démultiplie les effets
et les contrastes, invente une écriture singulière,
autonome, précise et floue tout à la fois.
Diffusion sonore : musique de salle de pachinko. Conception sonore en collaboration avec Gerome Nox • Photo Marc Domage © Claude Lévêque. Courtesy the artist and kamel mennour, Paris
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François Morellet : Lamentable blanc • 2008 • Néon blanc 640 x 400 x 200 cm © François Morellet • Photo. Paolo Vandrasch • Courtesy Kamel Mennour, Paris
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Lumières projetées, emmêlées, semées d’images
qui se bousculent, se télescopent, se faufilent, se
succèdent, se répondent, rebondissent... Soit une
poétique de l’espace qui exalte la grâce de l’instant
et le génie du lieu.
Jeux de mises en scène, de lumières et de projections, oeuvres vibratiles et mouvantes, comme
animées par le flottement de la surface, les frémissements de l’eau, le souffle du vent, l’illusion de la
palpitation... invitent le spectateur à plonger
jusqu’au vertige dans leurs incessants miroitements, leurs infinis prolongements.
Délices et mystères, ne rien expliquer, ne rien disséquer, donner simplement à sentir et à ressentir...
« Information will never replace illumination »,
concluait Susan Sontag.
Édouard Michel
Kenzo, 30 ans de création
Un spectacle monumental
où se mêlent la lumière et
le mouvement, le son et
l’image, la mémoire et la
technologie, les idées et les
corps… un voyage autour
du monde qui mène quelques milliers d’invités des
rues de Tokyo aux pavés de
Paris, en passant par l’immaculé du grand nord et les
déserts africains, les steppes
infinies d’Asie centrale et
les splendeurs baroques de
Russie… (Zénith de Paris,
octobre 1999)
K
Kamel Mennour
Dix ans déjà et une trajectoire sans faille. L’itinéraire d’un homme au regard singulier : œil aux
aguets, œil qui travaille, œil comme métier.
Première galerie, rue Mazarine. Petit espace et
grands noms, avec la photographie en fulgurant
démarrage : Nobuyoshi Araki, Larry Clark, Annie
Leibowitz, Pierre Molinier, Stephen Shore…
Huit ans plus tard, Kamel Mennour ouvre un
deuxième espace, rue Saint-André des Arts. Vaste,
lumineux, impressionnant celui-là. Entre cour
pavée et jardin dans l’un des plus prestigieux hôtels
particuliers du XVIIe siècle parisien. Un lieu chargé
d’histoire et de mémoire qu’il va réveiller, plonger
en pleine contemporanéité avec la complicité des
architectes Aldric Beckmann et Françoise N’Thépé.
En tout juste huit ans, Mennour a fait ses preuves,
témoigné de sa rigueur et de son engagement, de
sa disponibilité et, une fois encore, de la justesse de
son regard.
Déjà Daniel Buren et Claude Lévêque l’ont rejoint
que suivront artistes célébrés et débutants, tels,
entre autres, François Morellet et Djamel Tatah,
Zineb Sedira et Tadashi Kawamata, Camille Henrot
et Huang Yong Ping…
« La lumière confie Kamel Mennour, est devenue
plus encore q’une matière, un matériau essentiel
de l’expression artistique. Certes, déjà dans les
années 1960, des artistes tels Dan Flavin ou François Morellet en avaient exploré les possibilités et
les prolongements, inventé comme une nouvelle
langue. Aujourd’hui, des créateurs tels Olafur
Eliasson, Claude Lévêque ou James Turrell, pour ne
citer qu’eux, se sont joints à l’aventure, poursuivent
l’exploration, repoussent les frontières. Assez
curieusement, ces jeux de scintillement, de pétillance, de vibration font de la lumière une matière
pour l’oreille, tant elle impose le silence. »
Et le galeriste d’évoquer la dialectique subtile opérée par ces couleurs sans couleur ; de se souvenir de
l’exposition de Dan Flavin au Musée d’art moderne
de la Ville de Paris, laquelle pour peu que l’on changeait l’ordre du parcours, que l’on modifiait l’angle
de vision, organisait un étrange basculement de la
sensation ; d’insister sur l’intervention de Claude
Lévêque au Palais Farnese qui, par une simple utilisation de la lumière noire réécrivait totalement le
plafond des Carrache…
« Sens, sentiment, sensations, tout bascule », murmure-t-il.
Kamel Mennour et Olivier Massart se connaissent
depuis longtemps. Une vraie complicité, une profonde amitié les unissent.
« Olivier se nourrit d’art. Il possède un regard acéré,
il voit incroyablement vite, ressent immédiatement. Son rapport à l’art et à la lumière est une
relation d’échange. Il voit vite parce que souvent il
a vu avant. À l’évidence l’art influe sur ses créations.
Mais jamais il ne copie. Il adapte, dépasse, transfigure et même, souvent, précède. Il est, à l’évidence,
un esthète précis, un perfectionniste, un maître de
la lumière. »
Kamel Mennour • 2008 © Martin Parr
par Gilles de Bure
Il est des lieux qui jaillissent, qui s’imposent, marquent le voyage,
activent la mémoire, accumulent les souvenirs, provoquent
les émotions, suscitent les sensations, exaltent le plaisir,
approfondissent le mystère, accélèrent le basculement du
regard, forcent la pensée à s’envoler. Génie du lieu, magie,
mystère, vibrations, histoire, tout s’exalte au Palais Farnese.
Palais Farnese , façade sur cour • photo: Zeno Colantoni © Ambassade de France en Italie
Palais Farnese
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Le temps Cartier
Rome à la lumière des bougies et des chandelles. Une
atmosphère à la Barry Lindon
de Stanley Kubrick. Et puis
l’éblouissement des lustres
et des candélabres… (Palais
Farnese, Ambassade de
France, Rome, octobre 2003)
En 1495, le cardinal Alexandre Farnese achète, entre
le Campo dei Fiori et le Tibre, un terrain et quelques
bâtiments. Vingt ans plus tard, il confie le soin
d’imaginer un palais en ce lieu à l’architecte Antonio da Sangallo. En 1517 les travaux commencent et
s’étirent jusqu’à ce que, en 1534, le cardinal soit élu
pape sous le nom de Paul III.
Dans la deuxième édition de Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes, qu’il publie
en 1568, Giorgio Vasari écrit à propos du Palais Farnese : « Ce n’était pas tant au début que l’on
pouvait admirer sa perfection, mais après que le
cardinal fut nommé pape, car Antonio da Sangallo
changea tous ses plans, devant faire un palais non
plus pour un cardinal, mais pour un pape. »
En 1546, à Sangallo disparu, succède Michel Ange.
Puis viendront les architectes Vignole et Della
Porta, tandis que Francesco Salviati et Taddeo
Zuccari réaliseront, entre autres, les fresques du
Salotto Dipinto, actuel bureau de l’Ambassadeur (Le
Palais Farnese est devenu Ambassade de France en
Italie en 1874).
Plus tard, en 1595, un autre Farnese, un autre cardinal, Edouard, arrière-petit-fils d’Alexandre, fait
appel aux peintres bolonais Annibal et Agostino
Carrache pour achever la décoration du palais. Naîtront, entre autres, de cette commande, le cabinet
d’Hercule au décor mythologique et allégorique, et
surtout la grande galerie qui porte le nom des Carrache. Soit une pièce de fête, longue de 55 mètres,
donnant sur les jardins et sur le Tibre animée par
l’étonnante et grandiose fresque peinte par les
Carrache, Les Amours des Dieux, exaltation de
l’Antiquité classique.
Passé le Campo dei Fiori, abordées les deux fontaines antiques, voici que se dessine la façade du
Palais Farnese, la loggia et la fameuse corniche de
Michel Ange. Le palais n’a rien perdu de sa majesté
ni de son éclat. Gravir les escaliers et déboucher
dans la galerie des Carrache est à couper le souffle.
Impossible d’y échapper. C’est là, absolument,
qu’Olivier Massart va faire se dérouler le grand et
élégant dîner qui accompagne la présentation de
la nouvelle collection Cartier.
À la lumière dorée et mouvante qui semble provenir des angles de la voûte, se substituent alors
d’étranges éclats. Ceux des pierres précieuses tout
d’abord, ceux aussi des miroirs dont sont faites les
tables, et encore ceux des lumières dansantes sur
les chandeliers.
Et c’est alors que tout bascule. Les tables miroirs sur
lesquelles se projettent Les Amours des Dieux provoquent une étrange mise en abîme. Les Carrache
sont démultipliés, magnifiés, traversant le lieu et
l’histoire. Captation magique de lumières, d’éclats,
d’images, d’immuable mémoire. Le génie du lieu
dévoilé, transmué, revisité.
« J’aime les lieux d’exception, les lieux chargés, les
lieux de mémoire comme le château de Versailles
ou l’Opéra de Paris. Et tout autant les architectures
contemporaines dont on sait qu’elles sont en train
de créer la mémoire à venir, comme celles imaginées par l’architecte japonais Tadao Ando », confie
Massart.
Versailles et l’Opéra Garnier, un théâtre de Kabuki
à Tokyo et le stade de Maracana à Rio de Janeiro et
encore, du Caire à New York, de Londres à Istanbul,
de Shanghai à Barhein, d’une cathédrale à un entrepôt, d’un musée à un aéroport désaffecté, Olivier
Massart s’attache, à chaque fois, à exalter, recréer,
le génie du lieu.
Luca Manfredi
Voûte de la galerie des Carrache • photo: Zeno Colantoni © Ambassade de France en Italie
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Le temps Cartier
Le vertige de la mise en
abîme de l’immense fresque
des Carrache.
par Gilles de Bure
Après des études de langues (anglais, allemand) et
de communication, Christine Borgoltz passe de
l’événement (Lumière du cinéma) et de la presse
culturelle (Clés) aux relations publiques.
C’est dans ce cadre qu’elle rencontre, aux tous
débuts des années 1980, Marie-Claude Beaud alors
directrice du Musée de Toulon. Une vieille institution qu’elles vont s’attacher de concert, chacune
selon son territoire, à dynamiser, donnant ainsi le
coup d’envoi du réveil des musées de province.
Avec, en 1984, en guise de feu d’artifice final, une
exposition qui va faire date : Quatre ans d’acquisitions.
Et puis, tout s’enchaîne. La même année, AlainDominique Perrin crée la Fondation Cartier pour
l’art contemporain. Marie-Claude Beaud en sera la
directrice, et Christine Borgoltz la directrice des
relations publiques et presse. La France est sceptique.
Une fondation privée, qui plus est adossée à une
entreprise, aussi prestigieuse soit-elle, voilà qui
n’entre pas dans les us et coutumes institutionnels
de l’hexagone.
Le trio va faire merveille, management, direction
artistique et communication sont à l’unisson et la
Fondation est un succès. Elle quittera Jouy-en-Josas
et s’installera à Paris, boulevard Raspail, dans une
lumineuse et aérienne architecture signée Jean
Nouvel.
Mais tout a une fin. En 1992, Marie-Claude et
Christine quitteront la Fondation pour d’autres
aventures. La première au grand large, la seconde
au plus près, dans le giron du groupe. La voici Directrice des Relations Extérieures de Cartier International, en charge de l’image corporate, des événements, des relations publiques et de la presse. Ce
qui ne l’empêche nullement de garder un œil vigilant sur la Fondation et de l’entourer de toute sa
tendresse.
En l’espace de dix-sept ans, Olivier Massart et La
Mode en Images sont devenus des interlocuteurs
privilégiés pour elle.
« Oui, Olivier et moi, au fil du temps, sommes devenus des complices tant l’exigence de Cartier
International et celle de La Mode en Images sont
de même nature : qualité, élégance, raffinement,
surprise. »
De cette complicité va naître une collection d’événements exceptionnels. Le dîner du Palais Farnese
en fait partie tout comme d’autres dîners, tel celui
organisé à l’Ambassade de France de Berlin, une
architecture contemporaine signée Christian de
Portzamparc ou encore celui donné dans un palais
privé sur les rives du Bosphore à Istanbul.
D’autres événements encore, à l’instar de la grande
fête organisée au Trocadéro avec Grace Jones en
vedette ; du lancement de la collection Caresses
d’Orchidées installé dans une banque désaffectée
en plein cœur de Manhattan à l’occasion de la
Fashion Week ; du défilé haute couture exotique et
étrange, Inde Mystérieuse, se déroulant à Londres,
dans un espace privé non moins étrange…
« À chaque fois, ce qui nous anime, confie Christine
Borgoltz, c’est la volonté de partager un rêve avec
nos invités. Contes et merveilles, légendes et
secrets, il s’agit pour nous de raconter une histoire,
de surprendre, d’innover. De refuser la banalité, de
fuir la répétition. Et c’est là que notre collaboration
avec La Mode en Images est précieuse, connivence
et émotions partagées. Nos échanges avec Olivier
relèvent de la partie de ping-pong. Nos références,
qu’il s’agisse de cinéma, de musique, de chorégraphie, d’art, d’architecture, de design… sont proches
et se complètent idéalement. À chaque fois, il s’agit
d’une création commune, et cela est incomparable,
irremplaçable. »
Christine Borgoltz • 2009 • Exposition Graffiti à la Fondation Cartier pour l’art contemporain © Anne Deniau
C
Christine Borgoltz
Chorégraphies
“Faire de la création sur la création”, tels sont
l’engagement, l’ambition, la spécificité d’Olivier Massart.
Il faut à cela tout à la fois une grande modestie
et une farouche volonté, une implication constante
dans les besoins et les désirs de l’autre, et un respect
non moins constant de ses propres convictions.
Kader Belarbi et Nicolas le Riche • 2007 • Répétitions à l’Opéra de Paris © Anne Deniau
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L’Oréal, le dîner
de Versailles
Une traversée, un parcours
initiatique : la cour d’honneur, la cour de marbre, les
salons d’apparat, la galerie
des glaces, les terrasses, les
parterres et les bosquets… Et
puis, face à l’élégante et légère façade de l’Orangerie,
voici La Bayadère, conduite
par Kader Belarbi dans la
chorégraphie de Rudolf Nureev. La magie des fêtes de
Versailles retrouvée.
(Château de Versailles, juillet
2002)
En amont, des créateurs. En aval, des créateurs. Et
au milieu, un créateur. L’équation n’est pas simple.
Comment la résoudre, comment opérer la rencontre de la mode et du spectacle, de l’élitaire et du
populaire, des images et des sons, du rêve et de la
réalité.. ?
Qu’est-ce qui fait courir Olivier Massart et ses
troupes de La Mode en Images, en ces temps d’hyper médiatisation ? Oui, quoi, sinon le jeu, le pari,
l’exploit ? Briser les idées reçues, imaginer l’impossible, s’attacher à explorer les rapports entre le
corps, le son, l’image et le langage, de façon à aiguiser la perception et la conscience. Le tout en
alternant le net et le flou, la lumière et l’obscurité,
jouant des attitudes, des mouvements, des couleurs, des espaces, des rythmes comme autant
d’accumulations d’informations et de sensations
mêlées…
Quel que soit le lieu, un palais ou un stade, une
tente caïdale ou une ambassade, un aéroport ou
une étendue d’eau, un musée ou une salle de
concert, une exposition universelle ou une serre, un
lieu clos ou un espace ouvert… la réflexion est la
même, mais la mise en espace unique. Quel que
soit l’horizon, France ou Italie, Moyen Orient ou
Chine, Brésil ou Etats-Unis, Turquie ou Afrique du
Sud, Allemagne ou Japon… l’approche est la même,
mais la solution singulière.
Quel que soit l’objet du spectacle, de l’événement,
de la mise en scène, quel que soit l’objectif du commanditaire, le sentiment est le même, mais la
réponse autonome…
Créateurs en amont, créateurs en aval et au milieu
un jongleur, un catalyseur, un inventeur de situations. « Faire de la création sur la création », Olivier
Massart sait que nul n’est mieux à même de comprendre un créateur qu’un autre créateur. On le sait
également, les équipes de La Mode en Images sont
exceptionnelles : producteurs, régisseurs, ingénieurs du son, éclairagistes, accessoiristes, bricoleurs de génie, gens de la ferraille et du bois, des
images et du son, de la peinture et de la lumière…
forment une armée, à géométrie variable, bien
déterminée à relever tous les défis, à remporter
toutes les batailles.
Un des talents avérés d’Olivier Massart réside dans
sa capacité à faire appel à des créateurs d’autres
disciplines pour mieux formaliser ses intuitions, ses
intentions : chorégraphes, danseurs, musiciens,
chanteurs, comédiens, plasticiens, architectes, designers, tous mobilisés au service d’une seule et
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BMCE Bank,
Voyage hors du temps
Un déferlement d’images
étranges et mystérieuses,
célébrant l’eau, la terre, l’air
et le feu. Quatre éléments
éternels projetés dans un
futur de rêve, le tout ponctué
de chorégraphies aériennes
scandé de voix à la pureté
élégiaque.
(Skhirat, octobre 2009)
Saint-Valentin
Chorégraphies encore et toujours. Enchaînements incessants, ballets de couleurs,
mouvements et sons, gestuelle et projections pour
célébrer la fête de l’amour,
la plus universelle qui soit.
(Palais des Sports, Paris, 14
février 2008)
même cause : la mise en scène, le spectacle, l’événement en question.
Les événements nés de l’imagination de La Mode
en Images sont avant tout des chorégraphies,
savamment élaborées et au sein desquelles se
mêlent, s’entremêlent des sources et des inspirations apparemment contradictoires, mais qu’Olivier
Massart sait unir et pervertir à sa manière et selon
ses propres desseins.
À l’énergie du hip hop et de la break dance, à la gestuelle d’un Charlie Chaplin ou d’un Buster Keaton, à
la folle élégance d’un Fred Astaire, aux rythmes
visuels d’un Jean-Michel Basquiat, se superposent
la clarté et la rigueur classiques d’une Twyla Tharpe,
l’improvisation structurée d’une Trisha Brown, le
travail sur la ligne d’un Merce Cunningham, la plasticité d’une Karole Armitage, la construction du
silence d’une Lucinda Childs...
Rien de plus éphémères que ces événements-là
(même s’il en demeure des traces filmées et
sonores), mais il est vrai que l’éphémère est constitutif d’un univers de signes allusifs et libérés. A
nouveau, ici, se chevauchent et se télescopent
métaphores, paraboles, hyperboles, réifications,
symboles et signes d’ici et d’ailleurs, de toujours et
de jamais.
Olivier Massart est un homme de l’ombre qui
n’aime rien tant que jouer avec la lumière, un
nomade qui aime et sait magnifier les lieux qu’il
traverse, un homme du silence qui sait admirablement faire exploser les sons, un créateur dont
l’engagement, l’ambition, la spécificité sont de donner à voir et à comprendre les créations d’autres
créateurs. Créateurs d’amont et créateurs d’aval.
Cédric d’Houry
K
Kader Belarbi
Dominique Bagouet, George Balanchine, Pina
Bausch, Maurice Béjart, Carolyn Carlson, Serge Lifar,
Mats Ek, Mikhail Fokine, William Forsythe, Michel
Kelemenis, Léonide Massine, John Neumeier,
Jérome Robbins, Roland Petit, Angelin Preljocaj, Paul
Taylor… classiques, modernes, contemporains, rares
sont les chorégraphes qui manquent au palmarès
de Kader Belarbi qui fut dix-neuf ans durant, de
1989 à 2008, danseur étoile à l’Opéra de Paris.
Longévité record qui trouve sa source en 1975
lorsque Belarbi intègre, à 13 ans, l’école de danse de
l’Opéra. Cinq ans plus tard, le voici engagé dans le
corps de ballet. La progression est rapide : quadrille
en 1981, coryphée en 1984, sujet en 1985, premier
danseur en 1989. La même année, en 1989, à l’issue
d’une époustouflante représentation de La Belle au
bois dormant, Rudolf Nureev le nomme danseur
étoile.
Les raisons de cette carrière tout à la fois éclair et
inscrite dans la durée ? Une modernité évidente, Un
sens du jeu et de l’interprétation incomparable, un
génie subtil qui consiste à réconcilier l’ordre et le
chaos, l’ombre et la lumière. Il est vrai que pour
Belarbi, la danse est « bien autre chose que réussir
des pas ». « La danse est un langage universel, les
danseurs sont comme des pinceaux qui dessinent
un paysage sur la scène avec leur corps et leurs
mouvements », ajoute-t-il.
Athlète complet (huit heures de travail par jour en
rythme de croisière), Kader Belarbi est tout autant
un champion du don de soi. Pour lui, une chorégraphie « c’est éveiller et offrir, une idée, un esprit, un
point de vue et, évidemment, une danse ». Les chorégraphies qu’il signe en témoignent à l’évidence.
On se souvient, dans cette écriture qui lui est propre, des éblouissants Wuthering Heights (2002),
BachSuite2 (2003) ou encore Les Epousées (2004)…
En 2008, Kader Belarbi fait ses adieux à l’Opéra de
Paris avec le ballet Signes de Carolyn Carlson (qu’il
avait créé en 1997) sur une musique de René Aubry
et dans un décor de Olivier Debré, un duo d’une
grande sensibilité et d’une profonde émotion, en
compagnie de la danseuse étoile Marie-Agnès
Gillot.
À la fin des années 1990, Kader Belarbi crée un ballet de Michel Kelemenis, Selim, une sorte d’autoportrait en forme de solo, avec Houria Aïchi à la
voix et Kenzo aux costumes.
Entre Belarbi et Kenzo, la sympathie est instantanée. Le couturier japonais lui fait rencontrer son
vieux complice Olivier Massart lequel travaille alors
à la conception et à la mise en scène des Trente ans
de Kenzo, un grand spectacle qui prendra place au
Zénith en 1999. Massart, d’emblée, confie la chorégraphie de deux séquences du spectacle – l’une
autour de Paris et de l’accordéon, l’autre une
manière d’hommage à Hair – à Belarbi. La rencontre est féconde et n’en est qu’à ses débuts. La
complicité se renforce et, pour La Mode en Images,
Belarbi chorégraphie La Bayadère à l’Orangerie
de Versailles en 2002, le défilé inaugural des Jeux
Asiatiques à Doha au Qatar en 2006, la cérémonie
d’ouverture de la Coupe du Monde de Rugby au
Stade de France en 2007, une variation sur la SaintValentin au Palais des Sports en 2008 et, en 2009,
une série de séquences, parties d’un monumental
événement-spectacle, Voyage hors du temps, à
Skhirat…
« Ma rencontre avec Olivier Massart m’a permis de
m’ouvrir à d’autres univers, à d’autres territoires. Il
est vrai que lui-même est une sorte de regard actif,
d’attention extrême. Un créateur qui possède le
talent de merveilleusement connecter les talents
entre eux. Ses créations, ses mises en scène, ses
spectacles apparaissent comme des morceaux
choisis, résultant d’une collecte attentive, sensible,
subtile et complexe. Élégant, courtois et généreux,
il laisse toujours une grande liberté à ceux dont il
s’entoure. Mais sans jamais abandonner le fil de ce
qu’il a conçu, sans jamais perdre du regard l’objectif qu’il s’est fixé. Travailler avec lui, c’est s’inscrire
dans le mûrissement d’un projet. Et de ce mûrissement, naissent la durée et la fidélité. »
Kader Belarbi • 2007 • Coulisses de l’Opéra de Paris © Anne Deniau
par Gilles de Bure
remerciements
Museum Van Hedendaagse Kunst Antwerpen
Studio Olafur Eliasson
Galerie Kamel Mennour
Ambassade de France en Italie
La Fondation Cartier pour l’art contemporain
L’Opéra National de Paris
Emma Charlotte Gobry Laurencin
(Galerie Kamel Mennour), Claire Legras,
Lou Mollgaard (Éditions Taschen).
Rédaction en chef : Gilles de Bure
Direction artistique : Zoé Vayssières
Photos : tous droits réservés
Photos d’événements : LMI et Jean Ber
Et toute l’équipe de La Mode en Images :
Olivier Massart
Romuald Leblond
Morgane Denis
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Alice Rodier
Carine Sionko
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Lucie Catherine
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Mikaël-Khan Panni
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Nuri Tiglioglu, Elvan Tiglioglu
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