Synthèse sur les conditions de travail et les actions de
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Synthèse sur les conditions de travail et les actions de
ETUDE Les dossiers de l'ARACT Nord-Pas de Calais 7 Septembre 2009 Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes Synthèse sur les conditions de travail et les actions de prévention Isabelle ROGEZ S OMMAIRE Introduction......................................................................p 2 1. Le Contexte et la problématique des EHPAD..............................................................p 4 Un vieillissement démographique et un vieillissement de la population accueillie...p 5 Une évolution réglementaire........................................................................................p 5 Un travail soumis à des niveaux de prescription multiples .......................................p 6 2. Les Conditions de travail et la santé.............................................................................p 9 Du point de vue de la santé et des demandes............................................................p 9 Les conditions de travail...............................................................................................p 9 3. Conclusion et pistes d'action......................................................................................p 20 Introduction Ce document est le fruit d’un travail collectif. Il est issu d’une synthèse de différentes actions de prévention menées dans ce secteur, d’entretiens tant avec les acteurs de ces établissements, que des partenaires institutionnels et de santé au travail, ainsi que de l’analyse de différents documents (enquêtes, travaux de recherche, textes réglementaires, interventions…). Nous remerçions particulièrement le Dr Lydie Lebas et Melle Virginie Laporte du Service de Santé au Travail de Boulogne pour le matériau qu’elles nous ont procuré et le temps accordé, Nous remerçions également l’ensemble des directions et des salariés, des représentants du personnel que nous avons eu l’occasion d’interviewer, en espérant que ce travail sera l’amorce d’actions d’amélioration. Nous remerçions encore les collègues du réseau Anact ainsi que les partenaires institutionnels, membres du comité de pilotage qui ont bien voulu nous accorder un peu de temps pour nous aiguiller sur le contexte dans lequel évoluent ces établissements, nous pensons en particulier à Mme Marguerite-Marie.Defebvre de la DRASS. Nous remerçions enfin le Dr Anne Damblemont qui a bien voulu nous a apporter son expérience en tant que médecin du travail d’EHPAD et aussi son expérience personnelle. Le contexte et les objectifs de cette synthèse Partant d’une demande de la CFDT pour le financement d’une action sur l’amélioration des conditions de travail dans les EHPAD, la DRTEFP souhaite élargir le champ de son intervention sur le secteur en y associant les tutelles et les acteurs de la prévention concernés par la problématique. Cette synthèse des actions menées par les partenaires (CFDT, service de santé au travail, Cram, réseau Anact) pourrait constituer le point de départ des actions à entreprendre. Il s’agit dans un premier temps de mettre en débat et de partager un état des lieux du point de vue des conditions de travail. L’articulation avec le plan métier porté par l’Etat et la Région sera recherchée. Cette synthèse a été validée par l’ensemble du comité de pilotage de l’action . Son contenu Ce travail est construit à partir d’une analyse de la problématique de ces établissements et des actions mises en œuvre mais il est aussi produit du point de vue des acteurs. Nous avons tenté de rendre le point de vue : - des institutionnels et des gestionnaires, - des acteurs de l’organisation du travail , - des acteurs du terrain et du dialogue social. - Des bénéficiaires du service (les résidents). Nous sommes partis de l’hypothèse selon laquelle le point de vue de l’ensemble de ces acteurs a un lien avec les conditions de travail, et que les conditions de travail ont elles-mêmes un lien avec la qualité du service rendu. Nous avons tenté de relier les contraintes du secteur à l’organisation des moyens en prenant en compte le point de vue des salariés, et la qualité de service (du point de vue des usagers, cette vision est toutefois partielle). Après un exposé introductif situant la problématique, une seconde partie est consacrée aux conditions de travail et une dernière à des pistes d’amélioration en matière de prévention des risques professionnels et de gestion des compétences. Compte tenu du temps et des données disponibles, notre objectif n’était pas de révéler des faits incontestables mais d’apporter une analyse transversale des interventions réalisées dans le secteur à la lumière des évolutions en cours, enrichie d’entretiens avec des acteurs de ce secteur (dont les bénéficiaires du service) ainsi que des travaux de recherche. Ce travail a été présenté une première fois aux partenaires de l’action et se trouve dans cette deuxième version enrichi par le débat. Le matériau utilisé - Des données sur le secteur : évolution démographique, évolution en terme de politiques publiques, évolution de l’état de santé dans les EHPAD, évolution de la réglementation (loi 2002-2) et de la tarification, - Des interventions dans le secteur (7 interventions réalisées par le service de santé au travail de Boulogne, 4 interventions de l’Aract Nord Pas de Calais, une action collective sur 10 EHPAD de l’Aract Ile de France), des études sur la santé psychique et la prévention des risques dans le secteur. - Des entretiens : DRASS, CFDT, Service de Santé au travail de Boulogne, Dr Anne Damblemont (médecin pour 7 EHPAD dans la fonction publique hospitalière), rencontre des acteurs (direction, salariés, IRP) de 3 établissements pour des entretiens complémentaires, - Un film documentaire de René Baratta réalisé à partir d’une action de l’Aract IDF : « les enjeux de la gestion des âges en entreprise » , - Un agenda de liaison entre la famille d’une personne âgée et le personnel, sur deux années, commenté par l’une des auteurs, - Une étude ethnographique qui se place du point de vue de l’usager du service (5 établissements) : « l’EHPAD, pour finir de vieillir , ethnologie comparée de la vie quotidienne en institution gériatrique » - Nicolas Jaujou, Eric Minaërt, Laurent Riot – mars 2006. En guise d’introduction Travailler en maison de retraite … Extrait de : « EHPAD, pour finir de vieillir » L’aide soignante : « on va au WC ? » La résidente : ben, vous m’y amenez, j’y vais… L’AS : c’est terrible, on est méchant ! La résidente : j’ai pas dit ça ! Exprimé du point de vue de l’usager du service, ce bref échange exprime la partie sensible de la problématique des EHPAD, un « conflit de logique » entre une organisation des services, collective par définition et les besoins des résidents, singuliers par nature. L’auteur de cette étude ethnologique explique que des conflits entre les résidents et le personnel tiennent à un rapport au temps en complète dysharmonie : « Tandis que les uns (personnels) sont pressés par le temps, les autres le passent à attendre ». Il précise : « Les déplacements en maison de retraite n’ont pas de rapport immédiat avec l’envie ou la volonté de se rendre quelque part : les résidents ne sont pas les acteurs de leur mobilité ». En institution c’est l’organisation du travail qui programme les déplacements des résidents et des personnels. C’est au niveau du terrain et des situations de travail que les conflits de logiques se révèlent ou prennent du sens. C’est à cette question des moyens, de leur organisation, parfois de la compatibilité entre des critères de gestion et des exigences de projet individuel que sont confrontés les EHPAD. Nous avons trouvé l’expression de cette problématique sous des formes multiples tant au niveau des directions et de l’encadrement que des acteurs de terrain. Ainsi s’intéresser aux conditions de travail dans les maisons de retraite, c’est d’abord s’intéresser au travail des salariés du point de vue de la relation de service, de la qualité de service telle que définie avec et pour les bénéficiaires. Le travail dans la relation de service fait l’objet d’une co-construction1, il est la résultante de la prise en compte des attentes du destinataire. On pourrait dire que la spécificité et la variabilité sont la matière première de ce travail. Et que dire de la spécificité du bénéficiaire de ce service en EHPAD ? Il réside. Il est assisté selon sa dépendance (son incapacité à prendre en charge certains actes de la vie quotidienne), il bénéficie d’actes de soins selon son état de santé. La prise en charge doit aussi être construite en fonction de son propre projet de vie (souvent au regard de son mode de vie passé). C’est l’objet du projet individuel établi avec lui et ses proches, qui est aussi une obligation renforcée de la loi de 2002-2. A cette logique d’exigence de service répond une logique d’organisation collective du service, c’est-à-dire de définition des moyens et de leur allocation ; une logique de gestion et d’affectation budgétaire. 1 Voir en particulier les travaux de Jean Gadrey ou de Philippe Zarifian -- 1. Le contexte et la problématique des EHPAD La question de la santé physique et psychique des salariés, des conditions de travail dans les EHPAD, objet de ce premier travail de synthèse ne fait-elle pas écho à la question de la maltraitance pour les personnes âgées, objet de recommandations précises du côté des prescripteurs et sujet éminemment d’actualité ? Nous partirons du postulat selon lequel le travail produit des effets sur la santé (positifs ou négatifs) et sur la qualité de service pour les usagers et par conséquent la dégradation des conditions de travail a un lien avec la qualité du service rendu. Pour comprendre les problématiques spécifiques des établissements que nous avons pu enquêter ou conseiller, il convient de reprendre quelques éléments du contexte en lien avec l’évolution des conditions de travail des salariés. L’actualité et les demandes relatives à ces établissements sont semble t-il en augmentation sensible (en lien avec la demande de la CFDT à la DRTEFP, l’actualité ou les interventions du réseau de l’Anact par exemple). Avant toute autre considération, le champ d’intervention couvert par cette synthèse se limite à l’accueil collectif des personnes âgées. Sous cette appellation générale, il existe de nombreux critères de différenciation de ces établissements : - leur structure juridique (et leur mode de financement) : public (fonction publique hospitalière), privé à but non lucratif, privé à but lucratif, - degré de prise en charge des personnes, - existence ou non d’un Cantou (Centre d’Activité Naturelles Tirées d’Occupations Utiles), - situation géographique des établissements (urbain/rural), -histoire des établissements, dimension architecturale et provenance des résidents, - taille de la structure, - des différences entre bassins de vie (GIR plus dans les Flandres qu’en métropole lilloise…), - … Ces différences ne sont pas sans conséquences sur le mode de financement, de gestion ou de management. Nous avons tenté de comprendre ces paramètres avec toutefois la limite du matériau étudié. Ces spécificités mériteraient d’être creusées. -- Un vieillissement démographique et un vieillissement de la population accueillie Une évolution réglementaire Le vieillissement de la population est une tendance lourde aujourd’hui. Il est de plus en plus lié au concept d’espérance de vie en bonne santé. Dans ce contexte, la volonté des pouvoirs publics est de permettre un maintien au domicile des personnes âgées le plus longtemps possible grâce au développement de divers services d’aides à la personne. A l’inverse, les systèmes de prise en charge par les familles (accueil physique des aïeuls) se réduisent. Ainsi l’âge d’entrée en EHPAD tend à augmenter et de façon plus générale le vieillissement des résidents s’accentue, leur état de santé a par conséquent tendance à se dégrader. Depuis 2005, la Maison de Retraite a changé de statut et s’appelle maintenant un Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD). Ce nouveau statut défini des conditions de fonctionnement et de financement qui aboutissent à une triple tarification : Le vieillissement démographique Selon les estimations de l’INSEE, la population de France métropolitaine, qui totalisait 60, 2 millions en 2004 en comptera 67,2 en 2030 soit une augmentation de 11,6%. Dans le même temps, le nombre de personnes âgées de 65 ans ou plus passera de 9,8 millions à 15,6 millions (+ 58,9%). La part des plus de 65 ans passera de 16, 3% en 2004 à 23,3% en 2030 et celle des plus de 85 ans passera de 1,8 à 2,3% en 2030 soit plus de 2,2 millions de personnes. L'état de santé des résidents. Une étude de la DRESS de juin 2006 renseignée par un médecin pour environ 4500 résidents (2003) dans les EHPA montre que : 85 % des résidents présente une affection neuropsychiatrique. 20 % des résidents des EHPA se trouve dans un état grabataire (dépendance complète, confiné au lit, incapable de subvenir sans aide à ses besoins alimentaires, d’hygiène personnelle, d’élimination, de transfert et de déplacement). Il s’agit notamment d’état dépressifs ou de syndromes démentiels qui concernent chacun environ un tiers d’entre eux. Les maladies cardiovasculaires touchent les trois quarts des personnes âgées vivant en établissement, l’hypertension artérielle étant en particulier au premier rang des pathologies rencontrées, avec 47 % des personnes atteintes. La moitié des résidents présentent par ailleurs au moins une affection ostéoarticulaire, surtout les femmes. Enfin les affections uro-néphrologiques et gastroentérologiques atteignent environ un tiers des personnes âgées. Globalement, les résidents cumulent en moyenne sept pathologies diagnostiquées, mais huit ou plus pour un tiers d’entre eux, et près de la moitié de ceux accueillis en unité de soins de longue durée. Ils consomment en moyenne 6,4 médicaments par jour, ce nombre atteignant 7,4 pour les personnes atteintes d’au moins huit pathologies. -- La tarification - tarif hébergement à la charge de l’usager ou de l’aide sociale hébergement - tarif soins à la charge de l’assurance maladie - tarif dépendance à la charge de l’usager et de l’APA (Allocation Prestation Autonomie). Depuis la réforme de la tarification en 1999, les EHPAD signent une convention tripartite pour cinq ans avec le Conseil Général et l’autorité compétente pour arrêter le tarif de soin. Ce document est établi à partir d’un cadre national, il définit les conditions de fonctionnement de l’établissement sur le plan budgétaire et en matière de qualité de la prise en charge des personnes âgées. La convention formalise les engagements pris par l’institution dans le cadre de la démarche qualité. La loi de 2002-2 apporte des exigences tant du point de vue de la gestion que de celui du service rendu. Ainsi, il spécifie que l’habilitation peut être refusée pour tout ou partie de la capacité prévue, lorsque les coûts de fonctionnement sont manifestement hors de proportion avec le service rendu ou avec ceux des établissements fournissant des services analogues. Par ailleurs, qu’il sera possible d’organiser la fermeture d’un établissement lorsque la santé ou le bien-être physique ou moral des personnes bénéficiaires se trouve compromis par les conditions d’installation, d’organisation et de fonctionnement de l’établissement ou du service ou par un fonctionnement des instances de l’organisme gestionnaire non conforme à ses propres statuts. La tarification - Le tarif hébergement comprend les prestations non liées à l'état de dépendance.Il est arrêté pour chaque établissement par le président du Conseil Général. Il couvre les dépenses d'administration, d'hôtellerie, de restauration, d'entretien, de vie sociale. Il est à la charge de la personne âgée, avec éventuellement l'Aide sociale à l'hébergement. - Le tarif-dépendance comprend les prestations d'aide et de surveillance liées à l'état de dépendance. Il est arrêté par le Président du Conseil Général : sur proposition de l'établissement, après validation par les médecins du Conseil Général et de l'Assurance maladie. Il est établi sur la base du total des points de l'établissement dans ses groupes iso-ressources. Il est à la charge de la personne âgée, éventuellement aidée par l’APA (Allocation Personnalisée d’Autonomie) en fonction du GIR de la personne (GIR 1, GIR 2, GIR 3, GIR 4, GIR 5, GIR 6). Il couvre les dépenses : d’emploi de personnel assurant l'aide et le soutien aux personnes âgées dépendantes, fournitures et prestations hôtelières permettant la prise en charge de la dépendance et la prévention de son aggravation. Le degré de dépendance de la personne âgée accueillie est évalué à l'aide de la grille AGGIR (Autonomie Gérontologique Groupe Iso-Ressource), qui permet de répartir les personnes en groupes Iso-ressources (ou GIR). Grille AR – GIR : Autonomie Gérontologie – Groupe Iso-Ressources. La grille classe les personnes en six niveaux de perte d’autonomie à partir du constat des activités ou de gestes de la vie quotidienne réellement effectués ou non par la personne. Ils ont trait à la cohérence, l’orientation, la toilette, l’habillage, l’alimentation, l’élimination, les transferts, les déplacements à l’intérieur, les déplacement à l’extérieur et la communication à distance. Un groupe ISO ressource comprend des personnes qui nécessitent une même mobilisation des ressources pour faire face à leur dépendance. Le groupe 1 correspond à la dépendance maximale, le groupe 6 à l'absence de dépendance. Il y aura donc trois tarifs dépendance (GIR 1-2 ; GIR 3-4 ; GIR 5-6). Le résident prendra à sa charge le tarif dépendance correspondant à son GIR, y compris les personnes GIR 6. - Le tarif journalier afférent aux soins, ou tarif soins recouvre l'ensemble des prestations de "soins techniques et de soins de base". Il est à la charge de l'Assurance Maladie et sera modulé en fonction du groupe iso-ressources. Il couvre : les soins techniques : prestations médicales et paramédicales pour la prise en charge des affections somatiques et psychiques ; les soins de base : prestations paramédicales pour les soins liés à l'état de dépendance des personnes accueillies, avec financement à 70% des charges de personnel relatives aux aides-soignantes et aux Aides Médico-Psychologiques (AMP) avec quelques exceptions.Il y a donc 6 tarifs soins. Le tarif journalier est arrêté par l'autorité compétente pour l'Assurance Maladie, le Préfet (la DDASS) pour les EHPAD recevant des bénéficiaires de l'aide sociale, la CRAM (Caisse Régionale d'Assurance Maladie) pour les EHPAD n'en recevant pas. La maltraitance - évaluation de leur activité et de la qualité de la prestation qu’ils délivrent au regard des procédures de référence et des recommandations des bonnes pratiques La loi 2002-2 vient renforcer la prévention de la maltraitance. Ce renforcement réglementaire fait suite à plusieurs études (nationales et internationales) qui montrent que la maltraitance touche environ 5 % des plus de 65 ans et 15 % des plus de 75 ans. Elle prend des formes multiples (psychologique, physique, financière, civique) à des degrés différents (infantilisation, spoliation). Elles ne prennent pas du tout les mêmes proportions selon que les personnes sont ou non en établissement spécialisé. C’est la maltraitance « par négligence » qui est sensiblement plus présente dans ces derniers (environ trois fois plus). professionnelles, évaluation par des organismes externes, Un travail soumis à des niveaux de prescription multiples. Les sources de la prescription du travail sont nombreuses, elles viennent ajouter autant de contraintes pour les personnels et peuvent parfois être contradictoires. - le résident lui-même, - sa famille - le personnel médical (la prescription médicale), - les financeurs et l’institution (critères de gestion et contrôle du respect des exigences de qualité, des exigences sanitaires…), La loi vient ajouter (ou renforcer) un certain nombre d’exigences en terme de prise en charge des personnes accueillies : - mise en place de conseil de vie sociale ou d’autre forme de participation des bénéficiaires au fonctionnement de l’établissement, - projet d’établissement, projet individuel -- La prescription, du point de vue des résidents : entre dépendance et projet de vie. tante moins le poids des exigences se fait ressentir (connaissance du personnel et du travail, dialogue, participation aux actes de la vie courante…). Néanmoins, ils précisent que la famille est de moins en moins présente et participe peu aux actes de la vie courante. Enfin, l’évolution de la société et la possibilité plus grande de faire entendre leur point de vue et leur droit est aussi un facteur qui accroît l’exigence. la plainte, parfois directement aux organismes de tutelle, est beaucoup plus fréquente : « il peut s’agir parfois de traces trouvées sur le sol de la chambre » (un directeur). Les exigences de la famille ne sont pas toujours en cohérence avec celles des résidents (participation aux activités par exemple). La première spécificité de ce point est que le choix d’intégrer une maison de retraite ne relève pas toujours du choix de la personne âgée mais d’une nécessité. Ce sont ensuite des personnes dont le niveau de dépendance tend à s’élever. L’acceptation du placement et de la dépendance sont des éléments importants à prendre en compte dans la relation de la personne âgée au personnel soignant. Ainsi l’étude ethnologique sus-citée insiste les problèmes en lien avec cette question : « la peur du refus et de l’oubli est si forte chez certains invalides qu’elle peut les conduire à s’abstenir de toute demande et à renoncer à une certaine vie sociale (cas du refus d’assister à certaines animations pour ne pas avoir à être raccompagné). Outre ces répercussions sur la vie sociale, cette peur menace l’estime de soi déjà fragile ou déficitaire dont souffre le résident (cas des personnes préférant porter une couche pour ne pas avoir à demander un bassin) ». Elle souligne l’importance de bien connaître les personnes âgées, leur vie précédente, leur rythme afin d’assurer au mieux leur service et de ne pas les mettre inutilement en position de demande en ce qui concerne leur besoin et, a contrario de ne pas leur imposer des choses qui ne correspondent pas à leur mode de fonctionnement, ainsi : « L’inactivité fait partie de la vie des personnes âgées. Ainsi l’appréhension de l’envie ou de la motivation des résidents pose un problème fondamental ». L’étude souligne enfin que la demande de soin relève souvent d’une demande de présence, ce dernier ne faisant pas partie du travail du personnel de soin en tant que tel. La prescription du point de vue des financeurs et de l’institution. Il s’agit d’une prescription du point de vue l’allocation des ressources et de leur organisation dans le respect des obligations réglementaires. C’est pourquoi nous regroupons ces deux acteurs, tout en sachant que les enjeux des uns et des autres ne se rejoignent que partiellement. Les directions d’établissement négocient les moyens avec les financeurs et gèrent au quotidien des ressources limitées et leur variabilité en fonction des besoins. Une prescription en lien avec la question de la dépendance A son entrée en établissement, le niveau de dépendance de la personne âgée est définie à l’aide de la grille GIR (Groupe Iso-Ressources ) qui permet de définir son niveau d’autonomie (versus dépendance). Ce classement est en corrélation, partiellement au moins, avec la charge de travail pour le personnel des EHPAD. A une exception près, ce niveau de dépendance tend à croître dans les établissements enquêtés, sans qu’il n’y ait de lien automatique et proportionnel avec les ressources allouées (source directions interviewées). Les ratios de personnel sont très inférieurs à ceux du secteur handicapé, alors que les personnes reçues sont de plus en plus grabataires. Le taux d’encadrement dans la région et de 0,6 (0,6 salarié/personne hébergée). La prescription du point de vue de la famille Les études et les entretiens soulignent l’importance de la culpabilité de la part des familles. L’exigence vis à vis du personnel soignant s’en ressent. En effet, au sentiment de culpabilité d’abandon répond une exigence de prise en charge irréprochable. On assiste à un double processus : les familles ont tendance à diminuer la dépendance réelle qui affecte leur parent … tout en la mettant en avant pour justifier, de façon déculpabilisante, leur décision de le placer en institution. Les entretiens réalisés montrent que, tendanciellement, plus la présence des familles est impor-- La grille AR-GIR Les 6 niveaux de la grille Le GIR 1 comprend les personnes confinées au lit ou au fauteuil ayant perdu leur autonomie mentale, corporelle, locomotrice et sociale, et qui nécessitent une présence indispensable et continue d’intervenants. Le GIR 2 est composé de 2 sous-groupes : d’une part les personnes confinées au lit ou au fauteuil mais dont les fonctions mentales ne sont pas totalement altérées et qui nécessitent une prise en charge de la plupart des activités de la vie courante ; d’autre part, celles dont les fonctions mentales sont altérées mais qui ont conservé leur capacités motrices. Les personnes appartenant à ces deux niveaux de dépendance sont considérées comme très dépendantes. Le GIR 3 regroupe les personnes ayant conservé leur autonomie mentale, partiellement leur autonomie locomotrice, mais qui nécessitent plusieurs fois par jour des aides pour leur autonomie corporelle. Le GIR 4 comprend les personnes qui n’assument pas seules leur transfert mais qui, une fois levées, peuvent se déplacer à l’intérieur du logement. Elles doivent être aidées pour la toilette et l’habillage. Les personnes appartenant à ces deux niveaux de dépendances sont considérées comme modérément dépendantes. Le GIR 5 est composé de personnes autonomes dans leur déplacement chez elles qui s’alimentent et s’habillent seules. Elles peuvent nécessiter une aide ponctuelle pour la toilette, la préparation et le ménage. Le GIR 6 regroupent les personnes qui n’ont pas perdu leur autonomie pour les actes discriminants de la vie quotidienne. Les personnes appartenants à ces deux niveaux de dépendance sont considérées comme peu ou pas dépendantes. Un renforcement des exigences en terme sanitaire et de sécurité. Les ethnologues notent la place de plus en plus importante occupée par les normes (de sécurité ou sanitaire). Ce point est souligné par la majorité des personnes rencontrées en entretien. Ce renforcement est parfois contesté dans son fondement (lourdeur des protocoles en lien avec la canicule alors que la région ne déplore pas de décès dans les établissements en 2003 (direction d’établissement) mais c’est surtout son ampleur au regard des moyens globaux d’un établissement qui est questionné. Les directeurs soulignent que l’évolution est très importante, qu’elle a des incidences sur tous les services et corps de métier, de soin mais aussi sur la charge de travail des services administratifs. La prescription médicale Elle est directement en lien avec l’état de santé des personnes que nous avons développé ci-dessus. A l’aune de ces éléments de contexte et au regard des plaintes en termes de conditions de travail, nous formulons l’hypothèse selon laquelle l’exigence à l’égard du personnel s’accroît sans que les moyens et les sources de reconnaisance n’évoluent proportionnellement. -- 2. Les conditions de travail et la santé Du point de vue de la santé et des demandes. du travail, des risques professionnels ainsi que de l’usure au travail. L’analyse des structures d’âges permettrait de prendre en compte la question du vieillissement, de ses liens avec les conditions de travail et de ses effets. Les médecins du travail soulignent les inaptitudes liées à l’usure, la difficulté de reclassement et souvent la perte de compétences (cf. film de R. Baratta également). Sans que nous n’ayons pu traité de données précises, les différentes interventions et études montrent que les principales pathologies développées dans le secteur des EHPAD sont : - les TMS (Troubles Musculo-Squelettiques), en lien avec la pénibilité physique du travail. Ils sont la cause de nombreux arrêts de travail (lombalgies, sciatiques, douleurs musculaires et dorsales) et d’inaptitudes au travail. On relève également de nombreux accidents de manutention ou des chutes. - les troubles psychologiques ou associés Les conditions de travail La charge de travail Cette question revient de façon massive et prioritaire dans la majorité des établissements. On distinguera la charge prescrite (celle qui est liée à l’organisation formelle du travail), la charge réelle (qui prend en compte les variabilités), de la charge vécue (telle que perçue par les salariés) en référence au modèle d’analyse posée par l’Anact. Dans l’une des études analysées, les données de santé montrent que 67 % du personnel souffre de troubles du sommeil. On peut rattacher cette donnée tant aux effets du travail en horaires atypiques que de l’exposition à des risques psychosociaux. Les causes évoquées ont trait à l’ambiance de travail (relations conflictuelles, absence de confiance), la surcharge de travail (peur d’avoir oublié de transmettre quelque chose), la « culpabilité quant à la lenteur de son travail ». Dans l’un des établissements, l’infirmière coordinatrice souligne la prégnance de l’usure psychique sur les problèmes physiques en terme de plaintes et d’arrêts de travail. Dans l’action collective de Boulogne, l’intervention du service de santé au travail fait suite à des plaintes massives du personnel à propos de la charge de travail et à une dégradation importante de l’état de santé par rapport à la dernière série de visite (problèmes de dos, santé psychique). Dans l’une des interventions de l’Aract, ce sont le stress et le turn over qui sont à l’origine de la demande, dans une autre encore, la charge de travail et le stress. Dans une action collective du réseau, ce sont les problèmes de TMS qui sont à l’origine d’une aide pour une démarche collective financée par l’OETH (Obligation d’Emploi des Travailleurs Handicapés). Cet aspect mériterait d’être analysé plus finement afin d’enrichir la compréhension des conditions et de la pénibilité La charge du point de vue de la quantification La question de la charge de travail réelle et ressentie peut être appréciée à travers l’ensemble des paramètres qui l’influe : - les effectifs, - leur répartition (définition de fonctions), - les espaces et les moyens de travail, - les exigences des résidents et de leur famille , et de l’administration - les caractéristiques des agents et notamment leur âge et leur expérience, - l’absentéisme (qui va être un facteur aggravant souvent conséquence de la pénibilité du travail et aussi cause de la surcharge par des phénomènes de cercles vicieux). L’étude menée par le service de santé au travail de Boulogne dans 7 établissements (47 à 114 résidents) travaille sur cette question à partir d’une analyse ergonomique d’une matinée de travail des soignants (Aides Soignants ou Aides Médico-Psychologiques et parfois Agents de Service Hospitalier). L’analyse est centrée plus précisément sur les soins d’hygiène et de confort dispensés le matin : toilette, habillage et mise au fauteuil. Si elle se limite à une demi-journée d’observation, elle a le mérite d’avoir utilisé le même protocole dans chaque établissement et de permettre, de ce fait, une base comparative. Les -- directeurs soulignent l’intérêt de l’analyse tout en précisant qu’il serait utile d’élargir le champ de l’analyse (temps d’observation, observations plus ciblées afin de prendre en compte la charge de travail dans sa globalité). Chaque type de toilette, au lavabo, au lit, au lit avec lève malades, douche, bain, a fait l’objet d’un relevé du temps d’intervention (en réel), qui sert de référence « prescrite ». Dans chaque établissement et sur cette base, l’addition des temps prescrits en fonction des types et des quantités de toilettes à réaliser dans un poste donné, fait apparaître un manque allant de 30 mn à 3h15. Dans ces temps, les autres activités : recueil d’urine pour ECBU, appel de l’infirmière pour un soin, accueil de stagiaires, aide à la prise des petits déjeuners, réponse aux sonnettes, rangement de l’environnement, entrées et sorties ne sont pas comptabilisées. Autrement dit les salariés sont contraints à réaliser des compromis entre la prescription et ce qu’elles peuvent faire compte tenu du temps alloué réellement. cisément du rapport personnel soignant/ résidents. Les intervenants soulignent l’impact de l’utilisation des temps partiels pour gérer l’affectation des ressources en fonction de la charge (plus de souplesse). Ce qui est validé par les directeurs. L’un des établissements audités a mis en place un outil de gestion de la charge intégrant des paramètres « enrichis » sur la base des tâches évaluées dans chaque chambre, réactualisé avec l’aide du personnel. Dans cet établissement l’écart entre temps théorique et temps réel est l’un des plus faible (35mn), on notera que c’est aussi l’établissement où le rapport personnel soignant/résident et le meilleur. S’il est peut être considéré comme un outil de gestion enrichi, les salariés (mais aussi la direction) le juge toutefois insuffisant à rendre compte de la charge réelle de travail: « on ne peut pas faire rentrer notre travail dans des cases » (infirmière coordinatrice). Cette remarque vaut pour les autres activités d’ailleurs : « les chambres à nettoyer sont considérées en fonction des m2 mais une chambre de résidents comporte de multiples bibelots et objets personnels… » (responsable du service de nettoyage). L’étude montre également que l’évaluation du score GMP ne prend pas en compte l’évaluation de la charge réelle de travail liée aux soins et à la dépendance. Ce qui est globalement confirmé dans les entretiens avec les directions des établissements. Ces derniers précisent que qu’une nouvelle grille de calcul du GIR a été mise en place, qu’elle prend mieux en compte la charge de travail liée au soin mais qu’il serait important que les moyens supplémentaires. Ainsi dans l’un des établissements la remise à jour du GIR fait apparaître une nécessité d’augmenter le budget soin de 30 %. Son évolution réelle dépend, aux dires des financeurs, « des possibilités d’affectation budgétaire» (un directeur). On rencontre également différentes méthodes pour l’évaluation du GIR dans les établissements, en particulier du point de vue des acteurs impliqués (médecin coordinateur, infirmière coordinatrice et personnel soignant). La démarche est plus ou moins participative, elle peut être réalisée en deux temps : à l’entrée de la personne et finalisée après une phase d’observation. Dans l’un des cas, le personnel soignant n’est pas du tout impliqué dans l’analyse. L’étude montre par contre un lien entre les effectifs affectés à la toilette au prorata des résidents à charge, et plus pré- Des facteurs facilitant ou aggravant la charge de travail - les locaux : leur conception et leur état. - Les équipements plus ou moins adaptés, - Les aides à la manutention du point de vue de la quantité et des conditions d’utilisation. - Les sanitaires : adéquation et équipements, - Les entre aides et les coopérations (toilettes lourdes et manutentions), - La participation du personnel à la définition et à l’organisation du travail (y compris dans le positionnement dans la grille GIR), - L’absentéisme : il est important dans quelques établissements. Dans certains d’entre eux, on le considère « normal » tout en précisant : « certains ne s’arrêtent pas lorsque ça serait nécessaire pour ne pas laisser la charge à leurs collègues ». - L’état de dépendance des personnes : hormis la déficience physique, les déficiences mentales ou psychiques accentuent la charge, non seulement mentale mais aussi physique : une personne peut se déshabiller plusieurs fois dans la journée, il peut être nécessaire d’effectuer la - 10 - toilette à plusieurs reprises en raison de différents accidents occasionnés par son comportement. Ces personnes sont de plus en plus nombreuses en maison de retraite. l’idée que nous sommes essentiellement au stade de l’injonction paradoxale. Des compromis ? - des impasses sur les différentes activités : sur les activités de soin « de confort » ou des temps d’écoute, ou des sorties ? quid du maintien de la vie sociale des personnes âgées ? - des compromis sur la qualité/ durée des tâches : une aide à la toilette est plus coûteuse en temps qu’une toilette réalisée directement par le personnel : quid de la question du maintien de l’autonomie des personnes âgées ? l’analyse d’un agenda de liaison d’une personne âgée montre que ces compromis peuvent avoir, de façon pernicieuse des incidences sur le comportement des résidents : incontinence générée par le manque de temps. Il est moins coûteux en temps de placer une protection urinaire en lieu et place de l’accompagnement aux toilettes de personnes à mobilité réduite… L’étude ethnologique souligne que ce sont parfois les personnes âgées elles-mêmes qui cessent de solliciter, d’attendre car cela les renvoient en permanence à leur état de dépendance. - Des choix en fonction de la situation des usagers : on négligera ainsi certaines tâches de ménage pour des personnes en fin de vie pour passer un peu de temps à entourer la personne : - Une intensification du travail : « j’ai pris mon temps, j’ai pas mangé » (infirmière coordinatrice à propos des salariés). - La non utilisation de certaines aides à la manutention pour un gain de temps … au prix de sa santé. - … La charge de travail du point de vue de sa perception par les acteurs On pourrait la résumer en deux phrases : - « Elles se sentent toujours coincées par la pendule… une toilette en minutes, ben ça ça ne passe pas » (infirmière coordinatrice) - « Ça dépend de la représentation que les personnes ont de leur travail » (une ancienne aide soignante, 18 ans d’expérience). Des impasses sur certaines activités Du haut de la hiérarchie au terrain, on s’accorde sur le fait que les activités d’écoute, les animations ou encore les sorties sont les variables d’ajustement : « Nous n’avons plus de possibilité de sortie, sauf la piscine » (direction), « Pour une sortie, nous avons un minibus de huit places, et il faut deux personnes pour prendre en charge un groupe, vous comprenez si une personne fugue, s’il n’y a qu’un accompagnant ; il reste avec le groupe ou recherche la personne ? » (direction). La prise des douches, des bains, les soins des cheveux ou des ongles sont aussi fonction des effectifs : « un bain de confort c’est une demi-heure, trois quart d’heure, à une ou deux personnes présentes : comment voulez-vous ? ». Ces activités de soin réapparaissent lorsque l’établissement parvient à obtenir des effectifs supplémentaires, ceci est souligné par certaines directions. L’une d’entre elles confiait déjà la limite avec la maltraitance : lorsque l’on ne peut assurer un bain ou lorsque le personnel est tellement fatigué que la patience ne peut plus être entière. Dans l’un des établissements, c’est l’organisation des activités qui est remise en cause : en accord avec les familles, ces bains sont pris dans l’après midi. Certains compromis sont sans doute tout à fait acceptables du point de vue de la qualité de service et de la santé de la personne, ils dépendent de la bonne connaissance des résidents, de la compétence des salariés et donc de leur bonne organisation du travail, des variabilités et des moments de la journée (« c’est plus facile l’après midi que le matin » une aide soignante). Des régulations, des compromis aux injonctions paradoxales Les compromis sont partie intégrante du travail puisque la réalité est faite de multiples facteurs de variabilité. La question est de savoir sur quelles bases ils peuvent être construits et à quel prix pour les usagers et pour les salariés ? les représentants des établissements insistent fortement sur - 11 - Aux injonctions paradoxales Mais les salariés sont souvent pris dans des injonctions paradoxales : - Prendre en compte la spécificité des personnes et ne pas avoir le temps : « Pour les personnes Alzheimer, on nous dit il prendre le temps avec les gens mais on ne peut pas passer une heure par personne », « parler doucement, bien en face » (infirmière coordinatrice). Une situation vécue est citée par un directeur : « un jour, pour calmer un résident atteint de la maladie d’Alzheimer, un médecin, dont c’est pourtant la compétence a mis un quart d’heure, chaque salarié dispose en moyenne de 40 mn par résident …». - Favoriser le maintien de l’autonomie dans un temps contraint : « il faut plus de temps pour « faire faire » que pour « faire ». - Accompagner les personnes et justifier « comptablement » de chaque activité : « Tout est protocolarisé, il faut justifier chaque geste ». Nous avons surpris une infirmière qui nous disant, à propos d’un salarié : « elle ne fait rien … mais c’est du travail », le « rien » en question était relatif à l’accompagnement d’une personne pour une petite sortie dans le jardin de l’établissement. Et de préciser « il faut le noter comme un travail ». - Stimuler ou respecter la volonté des personnes, cette dernière pouvant elle même être différente de la volonté des familles : « Les familles veulent tout « il faut l’emmener à l’animation » mais parfois, la personne âgée, elle ne veut pas ». - Favoriser la vie sociale des personnes et être dans une impossibilité grandissante de les faire participer à des tâches de la vie quotidienne de l’établissement : « on ne peut pas leur faire éplucher les carottes, sinon on doit les jeter, compte tenu des normes vétérinaires ». L’étude ethnologique, le souligne du point de vue des résidents : « La demande de soin relève parfois surtout une demande de présence. Chez les soignants, la relation entre la présence et l’activité semble indéfectible. Aussi en vient-on a se demander s’il est possible de répondre à ce besoin de présence sans le recouvrir sous une activité particulière ? On parle ensemble pendant une toilette, la réfection d’un lit, ou l’attente d’un chariot repas ; mais peut-on se parler sans justifier cette discussion par le soin ou le travail ? Peuton rester à bavarder à ne rien faire avec - 12 - un résident ? Donne t-on les moyens à l’institution de répondre à ce besoin de présence sans le justifier par un acte de type soignant (aide à la marche, toilette ou prise de repas, etc.) ? ». Une accentuation de la responsabilité Les injonctions paradoxales sont d’autant plus mal vécues, que les salariés ressentent une accentuation de la responsabilité par le biais des démarches qualité (dans une acception large) : « On demande beaucoup à chacune, il faut signer les transmissions, on ne peut pas revenir en arrière, c’est culpabilisant, on ressent un flicage » et de conclure : « Le travail est plus psychique que physique » (infirmière coordinatrice). Cette question vaut aussi pour les directeurs qui ressentent plus fortement la responsabilité (y compris pénale). Dans l’un des établissements rencontrés, des réunions de service ont lieu toutes les semaines (1/2 heure), le premier quart d’heure est consacré à une expression libre des problèmes. La majorité des plaintes a trait à ce que nous pourrions nommer des pertes de repère. L’infirmière coordinatrice insiste fortement sur cet aspect : « c’est dur, qu’estce qu’on met derrière le temps, derrière le travail ?». Plus concrètement, on ne sait plus que faire dans certaines situations : « pour le stimuler, il faut rabacher, le forcer ? s’il ne veut pas se lever ? s’il ne veut pas aller à l’animation ? ... ». Selon elle la suspicion plane sur le personnel et génère de la peur. Elle met l’accent sur une perte de confiance quant au professionnalisme, certains salariés nous disent « avant, on était soignant ». La responsabilisation individuelle dans un contexte de manque de moyen ou de repère est délétère pour les salariés. Ces lieux sont des lieux des lieux de « réorganisation du travail », à partir des questions sur l’évolution du travail, l’évolution de l’état de santé des personnes, les différences entre le travail des anciens et des nouveaux… Dans cet autre établissement public, la divergence de représentation sur la qualité est à ce point importante que la confrontation entre la DRH et ses représentants du personnel (dont du personnel soignant) aboutit à une crise de larme de la part d’une infirmière : - la DRH : si vous avez trop de travail c’est que vous faite de la « sur-qualité » - larmes - Une collègue : « on ne fait pas de la surqualité, on ne fait même pas de l’hygiène de base, lorsque nous pouvons faire les ongles et les oreilles, nous sommes ravis ». compétences, des qualifications et de la reconnaissance (peut-être perçu comme un manque de reconnaissance ou une dévalorisation pour les unes ou pour les autres). - L’ambiance de travail et les coopérations : « une mauvaise ambiance peut faire perdre 20 % de productivité » selon un directeur interviewé. On trouve ici une opposition classique entre la qualité du point de vue de la norme (protocoles et modes opératoires prescrits) et la qualité vue par des professionnels. Il ne s’agit pas ici d’opposer les deux mais au contraire de les rendre compatibles : Conclusion et débat Si l’ensemble des acteurs s’accorde sur le diagnostic global de la charge et du métier, l’accent n’est pas mis sur les mêmes aspects, il nous semble pourtant essentiel de partager une représentation commune, il en va de la pertinence des pistes d’amélioration à venir. Nous souhaitons à ce stade, poser ici les éléments du débat. Jusqu’où la norme en tant que garantie du service et aide au travail ? Jusqu’où la confiance dans le professionnalisme des personnes pour réaliser les meilleurs choix en fonction des situations ? Quelles sont les conditions de possibilité pour réaliser des compromis favorables à la qualité de service et à la santé des salariés ? La spécificité de l’idée soin en maison de retraite est largement débattue, il s’agirait plutôt du « prendre soin » que l’on pourrait rapprocher de « l’éthique du care » (travaux de Pascale Molinier entre autre). L’ambiguïté du mot est soulignée : le soin renvoie le plus souvent à une terminologie "médico-médicale", c'est à dire très technique, protocolisée... Or qu'est ce que le soin quand il est dispensé à des personnes âgées plus ou moins dépendantes? Ce n'est pas le plus souvent "soigner" au sens de "traiter", mais plutôt "prendre soin de ", "entourer" et ceci est fondamentalement différent en terme de représentations pour les différents acteurs du secteur (directions, salariés, familles, institutionnels...). Les éléments de référence sont essentiellement sanitaires, hospitaliers, et ceci se retrouve également sur les questions de l'hygiène. Le « prendre soin » c’est aussi « à l’occasion » de la toilette, des bains de confort ou les soins de manucure ou les cheveux qui ne sont donc pas réductibles à des actes d’hygiène. Les salariés de l’un des établissements avaient souligné à ce propos l’intérêt des toilettes faites avec du lait pour le « bienêtre » des personnes. Pourtant, selon la DRASS, l’analogie avec le secteurs de la santé est proche et elle peut générer des comportements « hygiénistes », elle est parfois renforcée par le manque de formation à la gériatrie, y compris de la part de certains médecins intervenant en EHPAD. Les directeurs, de leur côté, insistent sur Des facteurs facilitant ou aggravant la charge de travail - La bonne coordination directeur/médecin coordinateur/infirmière coordinatrice - Une élaboration collective des compromis et des points de repère, - Une démarche participative qui permette une organisation souple et évolutive en fonction des problèmes rencontrés, - Des marges de manœuvre et une liberté dans l’organisation du travail. - Des glissements de tâches entre les fonctions favorables à l’entraide : nous avons constaté des grandes disparité dans la répartition des personnels soignants : entre AS, AMP et ASH. Dans certains établissements, les glissements de tâches (hormis pour certaines tâches comme la distribution des médicaments) sont plus pratiqués que dans d’autres. Par exemple, les pansements escarres doit être fait après la toilette, les deux tâches se feront en binôme : infirmière et AS. Ces compromis se font sous conditions : o des possibilités formelles offertes par l’organisation, de la conception des espaces, o des caractéristiques et des compétences du personnel (en particulier des conditions du brassage jeunes et anciens), o du fonctionnement des collectifs. o De la prise en compte de la question des - 13 - les exigences des familles et de la DDASS concernant l’hygiène, y compris la propreté des chambres. Ils précisent que les familles n’hésitent pas à porter plainte, ce qui renforce le côté « aseptisé » des établissements. Ils considèrent souvent ne plus être au niveau du compromis acceptable mais de l’injonction paradoxale (c’est-à-dire ayant un impact négatif sur la qualité de service et/ou la santé). Plusieurs personnes insistent sur la communication et même le « suivi » des familles en « prévention des problèmes « et sur le besoin de définir une norme socialement acceptée dans ce domaine qui permette d’allier les besoins des personnes et la réalité du travail. Ces débats mettent en évidence des représentations différentes et la nécessité de les confronter à la réalité du terrain pour une meilleure « objectivation ». Nous en sommes au stade des hypothèses, personne ne conteste fondamentalement l’analyse mais chacun met l’accent (et donc les pistes d’amélioration) sur l’un des aspects. Cette phase d’analyse plus fine est véritablement le point de départ de toute action. Il y va d’un véritable dialogue constructif avec les partenaires de ce secteur : il est selon nous nécessaire de mettre au centre de la réflexion le travail réel, les conditions de sa réalisation afin de permettre un vrai débat outillé sur le projet (et donc les métiers), les exigences des différents acteurs, la charge, et les moyens à mettre en place dans les établissements. - 14 - La question de la santé psychique La charge psychique et émotionnelle est inhérente au travail en relation d’aide, on peut néanmoins poser cette question à l’aune des conflits éthiques posés ci-dessus. Un médecin du travail interviewé a accompagné un travail dans certains établissements sur cette question : « c’est quoi être soignant en maison de retraite ? ». Dans les enquêtes sur la santé psychique, la question « avez-vous les moyens de faire un travail de qualité ? » est souvent posée. La réponse négative à cette question renvoie tant à la question de la qualité de service qu’à la santé psychique pour les salariés. Le renforcement de la responsabilité sans que les moyens ne suivent est délétère pour les salariés, il génère un sentiment de culpabilité et d’impuissance d’action. Dans les EHPAD étudiées, c’est tant la question des moyens que celle des points de repère qui semble essentielle. Elle renvoie au stress, à des conflits éthiques et aussi à la question de la reconnaissance. Ne pas avoir les moyens de faire un travail de qualité Elle est directement en lien avec la question de la charge de travail, à la perception de ne pas être en « capacité de faire face » ou « ne pas avoir les moyens de faire un travail de qualité ». C’est la cause essentielle du malaise trouvé dans les établissements pour personnes âgées. Les modèles d’appréhension de la santé psychique pointent autant le « trop » que le « trop peu » de travail : ne pas pouvoir faire ce qu’on pense être bien. Une salariée rencontrée nous confiait « Avant j’ai travaillé à la chaîne et c’était moins pénible … ce n’était pas de l’humain ». L’ensemble du matériau recueilli nous permet de poser l’hypothèse selon laquelle cet élément constitue le premier facteur de risque pour la santé psychique. L’étude met la focale sur le personnel directement en lien avec les résidents mais selon les directeurs cette question vaut également pour les personnels administratifs (impact de l’alourdissement des procédures) ainsi que pour les directions. Selon certains directeurs, la loi 2002-2 a multiplié au moins par dix la quantité de papiers traités. L’insuffisance de reconnaissance présence suffisant peut également assumer ce rôle . Elle prend des formes multiples : - ne pas se reconnaître dans son travail : la question de la perte de sens - ne pas se sentir reconnu dans les difficultés du travail ou l’insuffisance des moyens, ou encore le renforcement et/ou la rigidité des procédures, - ne pas se sentir reconnu (ou soutenu) de sa hiérarchie, de son institution, au niveau de l’opinion publique (via les médias ou la question de la maltraitance), - ne pas se sentir reconnu des familles (plus exigeantes et plus enclines à revendiquer pour la moindre chose au motif du coût élevé de la prestation), Le manque de reconnaissance est soulignée dans un établissement (par l’encadrement) comme la première source de souffrance du personnel. L’impact de la confrontation à la mort est quant à lui très lié aux circonstances : - la personne a elle été bien entourée ? la mort dans l’établissement est parfois mieux vécue que le départ et le décès à l’hôpital. - l’accompagnement a t-il été géré collectivement ? Ces questions sont essentielles du point de vue de la santé psychique compte tenu des risques d’épuisement dans le temps (burn out). Certains salariés anciens soulignaient les risques plus importants pour les jeunes. La confrontation à des pathologies psychiques lourdes L’organisation du travail et du temps de travail La source principale de reconnaissance dans les établissements demeure celle de l’usager du service. Elle s’amenuise avec la lourdeur des déficiences. Les échanges avec ces personnes âgées sont plus complexes. Ces types de pathologies peuvent aussi générer des formes d’agressivité parfois difficiles à gérer et à vivre. De façon plus globale la dépendance ou les formes d’inactivité subies sont à l’origine d’agressivité : « les personnes s’ennuient, il faut qu’elles s’expriment » (une salariée). La confrontation à des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer est difficile à tenir dans le temps, surtout lorsque les salariés se trouvent seuls dans une unité de vie : « ne pas pouvoir tenir une conversation normale pendant toute une journée c’est très difficile » (directrice, personnel soignant, infirmière coordinatrice), devoir faire et refaire les mêmes choses (changer et habiller plusieurs fois par jour les personnes)… L’embauche de psychologues afin de réaliser une forme de « médiation », de « traduction » entre les personnes âgées atteintes de ce type de pathologies est expérimentée dans certains établissements, elle semble être une piste intéressante tant pour améliorer la communication, l’inter-compréhension et donc le service à la personne que pour faciliter le travail des soignants, prendre en charge leur difficultés et in fine alléger leur charge psychique. Le médecin-coordinateur lorsqu’il dispose d’un temps de Les différences en terme d’organisation sont liées à la spécificité de chaque établissement, nous soulignons toutefois quelques aspects qui ont un impact sur les conditions de travail et la perception des salariés. Le mode de management et d’implication des salariés dans l’organisation De l’absence quasi-totale d’implication (semble plus être des pratiques dans les grands établissements publics, avec une culture hospitalière et des prescriptions descendantes – médecin du travail de la fonction publique), à une implication des représentants du personnel dans la majorité des compromis réalisés (avec dans ce cas l’idée pour la direction que leur implication leur permet de mesurer la difficulté à réaliser les compromis avec les ressources disponibles) en passant par une association régulière à l’organisation du travail (« l’organisation n’est pas fixée, elle est l’objet d’une concertation », une directrice), l’éventail des pratiques est multiple. Il va sans dire que l’implication des personnels est essentiel pour l’amélioration de l’organisation et les fonctionnements collectifs. Le temps de présence et l’implication du médecin coordinateur, le rôle de l’infirmière coordinatrice Il est parfois difficile d’obtenir un implication forte du médecin coordinateur, qui - 15 - est souvent à temps partiel et peut exercer une activité libérale par ailleurs. Dans les grands établissements, la question est moins prégnante car le temps de présence est plus important. Concernant les infirmières, les acteurs de la branche soulignent le turn over important à ce niveau, il est en effet nécessaire d’avoir exercé deux ans en milieu fermé pour pouvoir s’installer en libéral. La présence dans un cas d’une « équipe volante » Elle est susceptible d’assurer les renforts en cas de manque d’effectif ou de surcharge de travail. Ce qui suppose un établissement de taille suffisante. L’utilisation de contrats à temps partiel (80 %) Il semble se développer dans la majorité des établissements rencontrés. Ce type de contrat permet une organisation plus flexible de l’organisation (affectation de quantité de salariés plus ou moins importante en fonction de la charge dans les différentes plages horaires). Il s’agit de limiter les coupures dans les horaires et de permettre l’octroi de plus de week-end. La possibilité d’augmenter ce temps pour des remplacements est parfois offerte aux salariés. Il y a évidemment des incidences sur le niveau des revenus. La question des compétences et de l’intégration des nouveaux embauchés. L’évolution des exigences et du cadre réglementaire impactent directement la formation et les représentations de la nouvelle génération de salariés, ceci est largement constaté dans les établissements dans lesquels il existe un brassage jeunes-anciens. : « c’est plutôt la façon d’accompagner qui change : traçabilité, maltraitance, transmission sur ordinateur, il y a moins de temps pour s’occuper des résidents et plus pour la traçabilité» (un directeur). Un médecin du travail (fonction publique hospitalière) de préciser : « ils ne sont pas formés à la gériatrie, ils ont une approche conventionnelle : on donne le soin et le patient n’a qu’à obéir. Les formations à « l’humanitude » prônent le respect du rythme de la personne âgée, il y a un changement de pratique et une absence de formation ». - 16 - Dans un autre établissement, un directeur souligne la nécessité de faire évoluer la formation des ASH en y intégrant des éléments liés aux activités d’animation, précisant que certaines tâches des ASH ont tendance à disparaître et que les conditions de partage des tâches avec le personnel soignant tend à ce restreindre. D’autres acteurs soulignent parfois l’insuffisance de formation des aides-soignantes à certains soins en cas de glissement de tâches (souligné pour la fonction publique hospitalière). Enfin, dans l’un des établissements, la directrice pointait l’insuffisance de formation aux nouveaux outils de gestion et en particulier ceux gérant les transmissions. Dans ces établissements où nous avons trouvé un brassage entre les générations, nous avons tenté de percevoir ce que pouvait recouvrir ces questions : sont-elles seulement liées à des compétences différentes à acquérir ou également à d’autres paramètres ? De prime abord la question du rapport au travail est mise en avant par les différents acteurs. Mais la variable déterminante semble celle de la représentation. Les nouvelles recrues ont reçu une formation très axée autour de l’accompagnement des personnes : « Les jeunes s’intéressent plus à l’humain , elles partiraient beaucoup plus en déprime à cause de cela. Pour les anciennes, avant il fallait dépoter ». On retrouve ici le cœur de la problématique : une autre approche du travail dans un contexte d’insuffisance de temps. La base pour la construction des compromis évolue sans que de nouveaux points de repères ne puissent se construire collectivement. La représentation influe sur la façon de travailler : « les nouvelles ne s’en sortent pas, les anciennes beaucoup mieux. Les anciennes gèrent mieux les imprévus et la variabilité, peut-être au détriment de l’humain ». Cette représentation aura un impact d’autant plus fort qu’il sera renforcé par l’organisation formelle du travail, et en particulier le cloisonnement entre les métiers via les fiches de postes : « les ASH se sentent dévalorisées, les jeunes AS le font sentir » (une syndicaliste), certaines aides soignantes refusent de réaliser des taches de ménage « je ne touche pas au balai ». Dans cet établissement, on trouve un turn over important chez les jeunes. On touche ainsi du doigt la question de la formation et de la reconnaissance (tant au niveau des Aides soignantes que des ASH). En d’autres termes, elle ne favorise pas la construction de repères collectifs (« les règles de métier ») et donc une culture de travail commune, et le partage des compromis et des ficelles du métier. L’analyse précise que ce travail nécessite une autonomie qui permette de s’adapter aux résidents en fonction de leur état, de leur histoire, de leurs habitudes ). Dans l’étude menée par le service de santé au travail de Boulogne, l’intégration des nouveaux est de plus vécue comme une charge de travail supplémentaire. C’est le cas également dans le diagnostic de l’Aract qui constate que les quelques temps de doublonnage sont insuffisants pour transmettre les savoirs permettant de faire face à la variété des situations et au travail dans un temps contraint. L’analyse conclut que les nouveaux sont régulièrement livrés à eux-mêmes dans des situations de débordement, on pourra aisément faire le lien avec les situations de stress, amplifiées par le poids des responsabilités. La question de l’intégration des nouvelles est à l’origine de l’une des interventions de l’Aract. Cette intervention montre que la question des compétences en maison de retraite relève d’une capacité de prise en charge active : être capable de « faire faire » et non de « faire à la place » à chaque fois que cela est possible. C’est sur le terrain que cette compétence se construit ainsi que dans des formations spécifiques de type « humanitude ». Cette exigence dans le travail est sous contrainte de temps. Il faut solliciter une personne pour la toilette alors qu’on est en retard, solliciter à manger alors que les autres résidents attendent… L’analyse souligne que la « multiplicité des injonctions allongent les temps d’apprentissage nécessaires à la maîtrise du poste de travail ». Elle ajoute que : « pour les nouveaux qui ne maîtrisent pas toutes les activités à effectuer, ne possèdent pas toutes les informations et les connaissances nécessaires , la charge de travail est amplifiée, (notamment le matin). Ils déclarent qu’ »il y a beaucoup de choses à faire ». Ainsi la charge de travail leur semble « lourde » et parfois « insurmontable » au point de quitter l’établissement ». Dans cet établissement, les fiches de postes sont très exhaustives et énoncent l’enchaînement des opérations à réaliser au cours des différents postes pour les aides soignantes et les auxiliaires de vie. Cette prescription est insuffisante à aider les nouveaux à acquérir les subtilités et les astuces du métier. Autant d’astuces qui permettent de tenir le poste sans être en situation de débordement. Cette forte prescription produit des effets néfastes tant pour le bon fonctionnement de la maison de retraite que pour l’intégration des nouveaux. : L’intégration des nouveaux vient réinterroger la nature des compromis réalisés en fonction des représentations du travail et des moyens en temps disponibles. Dans ce sens, l’étude ethnologique précise que les recherches « s’accordent sur le fait que les problèmes perçus ne mettent quasiment jamais en cause les compétences des différents corps de métier, mais renvoient notamment aux représentations que ces derniers ont du bien être des résidents et la part de culpabilité vécue dans l’organisation de leur temps de travail ». Ainsi la question des nouvelles formations vient percuter les représentations mais aussi les systèmes de défense mis en place par les salariés. Les formations à la « bien-traitance », à « l’humanitude » ou à certaines pathologies comme Alzheimer sont parfois mal vécues par les salariés : « la formation sur la bien-traitance, ça fait peur, ensuite on se demande, a t-on bien fait ? » « La formation « maltraitance », c’est comme un coup de massue, on se dit : ça fait 20 ans qu’on maltraite… » ou « on nous apprend à faire des toilettes avec du lait pour le bien-être des personnes, on expérimente, c’est très bien pour les personnes âgées et au bout de deux mois on nous dit, il n’y a plus de budget pour le - l’absence de hiérarchisation : elle dilue les activités essentielles dans les activités plus secondaires, accentuant ainsi la sensation d’une charge de travail insurmontable : « on sait plus très bien comment faire », - elle individualise le travail et affaiblit le collectif par une baisse des coopérations spontanées (qui favorisent l’apprentissage) et produit des tensions dans le collectif. - 17 - lait… », « La formation Alzheimer, c’est bien mais jamais on aura le temps ». Il convient donc pour comprendre la question des compétences de la mettre en lien avec leurs possibilités de construction et de mise en œuvre : - le partage des représentations et la construction d’une représentation collective sur le travail (des règles de métier) partagées dans un projet collectif, - un temps suffisant de tutorat permettant d’appréhender les astuces et les ficelles, et les meilleurs modes d’organisation. - le temps de l’apprentissage et le temps de la mise en œuvre, - des conditions d’organisation suffisamment souples qui permettent des entraides par glissements de tâches… Les espaces de travail La conception et l’aménagement des espaces de travail est un déterminant essentiel du travail. En effet, il facilite ou dégrade les conditions de travail de nombreuses façons : - déplacements des personnels en termes de distances parcourues, - conditions d’utilisation des fauteuils et des outils, - adéquation des lieux aux activités : toilettes, repas, - conditions de manutentions et de déplacement des personnes âgées : couloirs, ascenseurs, lieux communs… - conditions de visibilité et de surveillance des personnes, - … Si l’on imagine aisément les problèmes posés par les locaux anciens, on trouve pourtant aussi de nombreux points noirs dans les conceptions actuelles. Dans cette intervention réalisée par l’Aract, la demande porte sur la charge de travail et le stress. L’établissement est neuf et le nouvel environnement de travail diffère sensiblement en raison de la nouvelle configuration des espaces et la nouvelle organisation du travail. Non seulement les espaces ont été multipliés par trois mais leur implantation est différente. Les chambres, précédemment disposées le long d’un vaste couloir sur deux étages, sont maintenant reparties sur 4 ailes et trois étages. Cela impacte directement les conditions de réalisation du travail, non - 18 - seulement du point de vue des déplacements mais également du point de vue des communications, des coopérations et de la charge de travail. La reconfiguration des espaces ne permet plus les coopérations entre les salariés comme précédemment, ce qui renvoie directement à la pénibilité du travail : anticipation, réduction de la charge (il est moins pénible de porter deux patients à deux que un patient seul etc…). Les chambres pour les rédents sont aujourd’hui essentiellement individuelles, ce qui n’était pas le cas précédemment. L’espace de travail est également pointé par les cadres comme un facteur dégradant les relations entre le personnel et les cadres de service : «toute une matinée, une aide soignante peut travailler sans voir le cadre ». Ils sont aussi un élément de dégradation des fonctionnements collectifs et du climat social. Dans cet autre établissement, l’unité de vie Alzheimer est conçue sur deux étages. Ce qui ne favorise ni la répartition des effectifs (les salariées sont parfois seules sur leur étage), ni les déplacements des personnes. C’est aussi l’implantation des équipements qui est parfois en cause : « de longs couloirs et un seul ascenseur placé à l’extrémité induisent de longs déplacements » (intervention Aract). C’est au moment de la conception des espaces de travail que les marges de manœuvre sont les plus importantes, il convient donc d’associer des ergonomes lors de la conception des espaces de travail afin de mieux prendre en compte les conditions de travail futures des personnels. Les moyens matériels de travail Du point de vue des moyens matériels, chacun s’accorde à dire que la tendance est à l’amélioration : plus d’aides à la manutention, une tendance à la généralisation des lits médicalisés (tant pour les personnes âgées que pour les conditions de travail des personnels), des verticalisateurs, un aménagement des salles de bains … Dans les secteurs périphériques au soins également : amélioration des chariots de ménages et de linge, des locaux fonctionnels (lingeries, restauration…). L’étude du service de santé au travail pointe certaines difficultés dans les 7 établissements étudiés : - les chariots utilisés pour la tournée des soins sont inadaptés ou en quantité insuffisante, - les lèves malades ne sont pas toujours utilisés faute de temps, -les sanitaires : baignoires et bacs à douches sont insuffisamment utilisés : - non adaptés aux déficiences des résidents, - non fonctionnels : anciens, baignoires neuves sans équipements de transfert, douches neuves sans sièges. - Manque de temps du personnel. L’action collective menée par l’Aract Ile de France sur 10 établissements relève également ces questions et souligne l’importance : - du choix du matériel en concertation avec le personnel, - de l’adéquation matériel/espace de travail, - de la présence du matériel en quantité suffisante, - d’une organisation adéquate : temps pour l’utilisation, présence de deux personnes pour certains matériels (lèves malades), - de la sensibilisation des résidents (parfois réticents) pour l’utilisation des aides à la manutention, - de la formation du personnel. Nous soulignerons ici l’importance de la prise en compte du point de vue des utilisateurs de ces matériels ainsi que leurs conditions d’utilisation. - 19 - 3. Conclusion et pistes d'action L’hypothèse posée au départ d’un accroissement des exigences et d’une réduction des marges de manœuvre pour les salariés semble validée à partir du matériau disponible. Les questions relatives à la charge de travail renvoient évidemment à la cohérence entre les objectifs et les moyens, à l’insuffisance des moyens, accentuée par l’absentéisme (effet et cause de la surcharge par des mécanismes de « cercles vicieux »), par l’usure au travail aussi, effet de la durée d’exposition (pour le personnel vieillissant mais aussi pour le personnel jeune du point de vue de l’usure psychique). Différents éléments liés à l’organisation des moyens de travail viendront eux aussi accentuer cette charge pour le personnel, ce qui est parfaitement montré dans l’étude réalisée par le service de santé au travail de Boulogne. Les directeurs ne remettent pas en cause les évolutions du travail, du métier, ni le « plus » de travail mais la cohérence entre les exigences et les moyens ainsi que la nécessaire cohérence entre les exigences et les critères de l’évaluation et du contrôle. Ils insistent sur les contradictions entre le « trop de procédures » ou du « tout aseptisé » et l’idée d’un lieu de vie. La question du métier ou le fait « d’avoir les moyens de faire un travail de qualité » est le pendant de la précédente : « la charge de travail, c’est qu’on fait ce qu’on voudrait faire, ce qu’on ne peut pas faire » (Y. Clot). On peut donc affirmer que la question des pertes de repère et un manque de reconnaissance sont directement en lien avec la question de la charge. Les nombreuses évolutions en cours viennent percuter la façon de travailler dans les maisons de retraite, accentuant la responsabilité individuelle qui pèse sur les salariés. Il semble nécessaire de travailler à la reconstruction de points de repère communs validés par les directions et par un mode d’organisation et de management adéquat. Ce travail peut se faire dans le cadre de la réflexion de l’articulation entre les projets d’établissement (centré sur le service aux résidents) et les moyens organisationnels et humains, c’est pourquoi nous en faisons la première piste d’action. - 20 - 1. Produire un travail approfondi sur la question des projets d’établissement en lien avec les ressources, les moyens mis en œuvre et leur allocation. Il doit se faire à partir d’un travail de terrain qui prenne en compte les problématiques posées au quotidien dans les établissements et non en édictant des objectifs de façon descendante sans reconnaissance de ces problèmes. Ce travail pourrait se faire sur plusieurs établissements (base comparative comme cela a été réalisé à Boulogne) et aidé par le FACT et ou le travail de la CFDT. Un travail avec le FACT permettrait une vraie articulation projet et conditions de travail (charge). Ce travail devrait se faire de façon participative et en concertation avec les instances représentatives du personnel lorsqu’elles existent. Il permettait encore de creuser les différentes questions autour du métier, du « prendre soin », des compétences (et de la reconnaissance). Ce travail comparatif permettra encore de « peser » les éléments de variabilité ainsi que les formes d’organisation (ce qui permettrait aussi de relever des éléments de bases en terme de « bonnes pratiques » dans ces établissements. Ceci est fortement souligné dans lors de la restitution aux établissements. Les autres pistes porte sur les différents aspects contenus dans le rapport, essentiellement liés au mode d’organisation et de management. 2. Un mode de management participatif qui permette une souplesse et une réactivité dans l’organisation du travail et la prise en compte des problèmes du terrain. Cela va du choix des équipements à la remise en cause de l’organisation du travail. Le rapport des ethnologues qui analyse à partir du point de vue des résidents va même jusqu’à recommander une application sélective des normes en précisant : « il semble important de noter qu’aucune de ces normes ne peut assurer un « bien-être » en institution. Dans cette perspective, le protocole d’ethnolo- gie propose de permettre aux direction ne pas appliquer certaines normes notamment lorsqu’elles mettent en péril la vie sociale de l’établissement ». Les salariés et leurs représentants doivent également être associés, aux projets individualisés, ainsi qu’à l’analyse de la dépendance lors de l’intégration des personnes. 3. Un travail d’échange de pratiques entre les professionnels Nous l’avons vu, à propos des réunions de service dans l’un des établissements rencontrés, lors du temps d’expression libre, ce sont les questions autour des pertes de repère qui sont les plus présentes. Un travail à partir des situations rencontrées permet non seulement de les traiter mais de se construire des points de repères collectifs (élaboration collective des compromis). Elle permet de définir les contours de la prestation de service de façon collective et en situation. Ce travail permet non seulement de régler les problèmes mais aussi de prévenir l’usure au travail et permettre la construction d’une compétence individuelle et collective. Elle évite la culpabilisation (ou auto-culpabilisation) extrêmement délétère pour la santé des salariés. Elle permet la reconstruction d’une identité collective. Au delà de cette expérience, un véritable travail sur les pratiques professionnelles serait essentiel pour les personnels. L’analyse des pratiques professionnelles peut-être définie de la façon suivante. Il s’agit « d’une activité organisée dans un cadre institutionnel de formation professionnelle, initiale ou continue. Elle concerne notamment les professionnels qui exercent des métiers (…) ou des fonctions comportant des dimensions relationnelles dans des champs diversifiées ». « Les sujets participants à un dispositif de ce type sont invités à s’impliquer dans l’analyse, c’est à dire à travailler à la co-construction du sens de leurs pratiques professionnelles. Cette élaboration en situation interindividuelle, le plus souvent groupale, s’inscrit dans une certaine durée et nécessite la présence d’un animateur, en général professionnel lui-même dans le domaine des pratiques professionnelles, garant du dis- positif en lien avec les pratiques affirmées » (source CNAM). Le but de l’action est non seulement l’évolution de chacun mais le changement de tout un collectif de travail. Cet espace d’échange permet donc de s’exprimer sur la façon dont chacun réalise son travail, sur les doutes qu’il peut avoir. C’est un lieu qui permet de donner ou de retrouver du sens au travail que l’on exerce et qui va dans le sens de la démarche qualité de l’établissement. 4. Un travail d’échange sur les pratiques et l’organisation inter-établissements L’analyse des différentes situations dans les établissements montrent des différences d’organisation. Il convient de ne pas plaquer un « modèle » d’une situation à l’autre car nous l’avons vu, les situations diffèrent sur de nombreux aspects. Là encore l’échange de pratiques peut permettre d’exploiter des expériences d’autres établissements. Cet échange permettrait alors d’enrichir les modes d’organisation formel (organisation du travail et du temps de travail, effectifs en quantité mais aussi en qualité, matériel, conception…). Cela a été clairement réclamé dans certains établissements rencontrés (directeurs, infirmières coordinatrice). 5. Une meilleure intégration des nouveaux embauchés Les connaissances et compétences des anciens et des nouveaux embauchés sont complémentaires. L’acquisition des compétences d’organisation en particulier se fait sur le terrain et nécessite temps et accompagnement : - d’abord l’apprentissage du geste professionnel, - ensuite la compréhension de l’environnement de travail (connaissance des résidents, connaissance des lieux, des informations), - construction de la meilleure organisation du travail par anticipation, capacité de hiérarchisation et de choix, - apprentissage de la rapidité dans le travail. Ces différentes étapes doivent être dissociées, elles sont chronologiques et supposent d’être maîtrisées étape après étape. La question du tutorat est essentielle dans la réalisation de ce travail. - 21 - 6. Des formations qui aident à la professionnalisation sans renforcer la culpabilité. Au regard du matériau recueilli, nous pouvons affirmer que les formations peuvent être très destabilisantes compte tenu des conditions de possibilités de leur mise en œuvre dans les établissemen C’est pourquoi, nous préconiserons (nous faisons ici l’analogie avec les formations gestes & postures) que ces conditions de possibilité soient réfléchies avant de les dispenser. Dans le cas contraire, l’échange des pratiques professionnelles avec des animateurs permettra de réfléchir aux questions de la bien-traitance et de leurs conditions de l’application pratiques. Cette réflexion étant collective et en situation, elle permettra de déculpabiliser et de réfléchir collectivement (à partir de retours d’expérience), de construire des compromis collectifs lorsque dans l’autre cas, elle viendra renforcer la culpabilité. Par ailleurs, une meilleure compréhension de certaines pathologies et en particulier de la maladie d’Alzheimer et des pathologies de fin de vie serait un plus pour un meilleurs service et un allégement de la charge mentale. L’idée de recruter des psychologues ou de renforcer le rôle du médecin coordinateur sur le terrain afin d’améliorer la compréhension, la communication et la prise en charge de certaines personnes âgées est de nature à enrichir la qualité de service et à prévenir l’usure pour les professionnels. Pour certains salariés, les compromis se font à partir de la question de l’autonomie de la personne. C’est elle qui est à l’origine de la stratégie pour tenter de la maintenir. L’analyse d’un agenda de liaison durant deux ans entre la famille d’une résidente et le personnel montre bien cette tendance, mais ceci au grand désespoir de la famille. 7. Un travail ergonomique en conception des situations de travail Si les caractéristiques de résidents sont appréhendées dans la conception des lieux de travail, il convient d’enrichir cette étape de conception par la prise en compte des conditions réelles de travail. C’est au moment du cahier des charges que cela peut se faire, cela pourrait être une conditions pour l’octroi de financement. - 22 - 8. La réalisation de l’évaluation des risques dans chaque établissement Elle permettrait d’approfondir l’état des lieux et la hiérarchisation des problèmes en situation. Autres pistes pour un FACT de branche 1/ Analyse de la charge de travail au regard du projet : du point de vue de l’ensemble des paramètres de variabilité et de l’organisation des moyens, 2/ Travail sur les données de santé, sur l’absentéisme, 3/ Analyse des conditions de mise en place d’un échange de pratiques, 4/ Travail sur l’intégration des nouveaux embauchés, 5/ Aide à la mise en œuvre de l’évaluation des risques. - 23 - Liste des membres du comité de pilotage - Chantal Coulange (DRTEFP), - Dr Anne Damblemont (CH Bailleul, CH Lens) - Dr Marie-Marguerite Defebvre (DRASS) - Dr Nathalie Delatre (CRAM) - Delphine Durieux (ARACT) - Yves-Alain Durteste (URI CFDT) - Josette Gros (DRTEFP) - Virginie Lapôtre (Astil 62) - Dr Lydie Lebas (Astil 62) - Philippe Lemaire (DRTEFP) - Cindy Lemettre (ARACT) - Dr Béatrice Letourneau (DDASS Nord) - André-Marie Loock, (CRAM) - Nicolas Martinet (Maison de retraite Saint Antoine à Desvres) - Dorothée Metta (ARACT) - Mathieu Raybois (AST 62-59) - Isabelle Rogez (ARACT) - Dr Christine Thévenard (DRTFP). Pour nous contacter Aract Nord-Pas de Calais 197, rue Nationale - 59000 LILLE Téléphone : 03 28 38 03 50 Télécopie : 03 28 38 03 51 E mail :[email protected] www.npdc.aract.fr www.anact.fr Pour une évolution concertée du travail et de la performance dans l’entreprise