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ISSN 0298-8879
ISBN 2-908065-17-7
TRAVAUX ET DOCUMENTS
Responsable de la série: Daniel BACH
SENEGAMBIE: TERRITOIRES, FRONTIERES,
ESPACES ET RESEAUX SOCIAUX
par Ebrima SALL
N° 36
1992
Institut d'étude du développement économique et social
Université de Paris 1
Je voudrais exprimer ici ma reconnaissance à Agnès Lambert et Corinne Moncel
pour leurs commentaires sur un premier projet.
CENTRE D'ETUDE D'AFRIQUE NOIRE
Institut d'études politiques de Bordeaux
Domaine universitaire
B.P. 101
33405 TALENCE CEDEX - FRANCE
Tél. (33) 56 84 42 82
Fax (33) 56 37 45 37
Prix: 50 FF
E. Sall
RESUME/ABSTRACT
L'auteur repère plusieurs "espaces" en Sénégambie: l'espace social global
sénégambien défini par des critères historiques, sociaux, géographiques; l'espace
national créé par la colonisation et délimité par les frontières; le sous-espace
Ouest de l'Afrique de l'Ouest, lieu d'échanges et de représentations; l'espace
social des communautés particulières ou réseaux, structuré par des logiques
clientélistes, des solidarités religieuses et économiques. Ces espaces produisent
des dynamiques opposées qui jouent en même temps, renforçant le référent
national ou renforçant l'interdépendance entre Etats du sous-espace Ouest. Les
crises de 1989 entre le Sénégal et ses voisins, la dissolution de la Sénégambie et
les réactions de chaque Etat et des populations illustrent l'analyse.
For the author Senegambia encompasses several spatial configurations: the
global senegambian social space which is to be identified trough historical,
social and geographical variables; the western part of west africa which is
articulated amid empirical trade patterns; and the social space of specific
communities or networks which is structured through clientelist logics and
religious and economic solidarities. These spacial configurations produce
conflicting dynamics which operate simultaneously and strengthen national unity
or, in the contrary, increase interdependency among the states concerned. This
analysis is illustrated with examples drawn from the 1989 crisis between Senegal
and its neighbours, the dissolution of Senegambia and the reactions of the states
and population.
E. Sall
Le partage colonial de l'Afrique sub-saharienne* trouve une illustration
singulière dans la disposition géographique du Sénégal et de la Gambie, le
territoire de celle-ci étant presque totalement enclavé dans celui-là. La
construction dans les deux pays d'Etats "nationaux" centralisés et centralisateurs,
implique la production d'espaces sociaux-nationaux distincts. Ce projet se traduit
entre autres choses par la mise en place de dispositifs d'encadrement social et
territorial et de stratégies frontalières.
Plus de cent ans après le tracé des frontières des deux pays, celles-ci
continuent de symboliser ce partage. Les institutions de la Confédération
sénégambienne "tournant à vide", celle-ci a été suspendue, puis dissoute en 1989.
La seule véritable expérience d'intégration politique sous-régionale en Afrique
depuis la création de l'OUA en 1963 (Bach, 1991) s'est ainsi soldée par un échec.
Là où l'histoire, la géographie, le peuplement et la culture semblaient s'y prêter,
les facteurs économiques et politiques s'y opposant l'ont emporté sur les autres.
L'expérience avait pourtant été tentée dans l'une des sous-régions où ce qu'on
peut appeler "l'intégration par le bas" est la plus forte. On peut donc se demander
quels sont la nature et la signification véritables des frontières, le poids relatif de
l'appartenance "nationale" par rapport à l'appartenance aux communautés
particulières d'une part et, d'autre part, à l'espace social global de la "Sénégambie
historique", la "Grande Sénégambie" (Barry, 1981 et 1988), que d'autres
appellent le "sous-espace Ouest" de l'Afrique de l'Ouest (Coste et Egg, 1991;
CILSS et Club du Sahel, 1991) (1).
Ce travail est centré sur la problématique des frontières et des échanges parallèles
d'une part, et d'autre part sur l'analyse de la production d'espaces nationaux
distincts dans le sous-espace Ouest, notamment dans le cas du montage
* Une première version de cette communication a été présentée au COLLOQUE CEAN (Bordeaux) IFAN (Dakar) sur: "Etat et sociétés au Sénégal: crises et dynamiques sociales", Bordeaux, 21-24 octobre
1991.
(1) Les qualificatifs d'"historique" et de "grande" ont le mérite de distinguer cet espace social global de la
Sénégambie issu du pacte signé entre les deux Etats en décembre 1981. Le terme "grande" peut
cependant être mal interprété du fait qu'il peut suggérer un certain chauvinisme, voire un expansionnisme.
La seule signification politique qu'il faut tirer de l'emploi que nous en faisons ici est celle de l'existence
d'un espace social global, d'une "maison commune" des peuples, correspondant plus ou moins au sousespace Ouest de l'Afrique de l'Ouest constitué par la Gambie, le Sénégal, la Guinée, la Guinée Bissau, la
partie ouest du Mali et la partie sud de la Mauritanie.
1
Sénégambie: territoires, frontières, espaces et réseaux sociaux
sénégalo-gambien (2). "Nun nyep ben lanu [nous constituons un même peuple],
ce sont les colonisateurs qui nous ont divisés" est la phrase qui revient le plus
souvent lorsque Sénégalais et Gambiens se rencontrent. Nous rappellerons ce qui
fait l'identité globale du sous-espace Ouest, ce que le partage colonial a séparé et
ce qu'il a regroupé.
Nous aborderons ensuite la question des frontières et des réseaux
d'échanges parallèles. Ce que les Anglo-Saxons appellent conventional wisdom
(le bon sens) veut que les réseaux de fraude et de contrebande (pour ne citer que
ceux-ci) qui sillonnent toute l'Afrique (MacGaffey, 1991a) soient la preuve du
rejet des frontières d'origine coloniale par les masses africaines, un "vote par les
pieds" pour l'unité africaine (Davidson, 1987; Davidson and Munslow, 1990;
MacGaffey, 1991a). Ce n'est pas l'avis de tous les responsables politiques
africains et ce n'est sûrement pas l'avis des dirigeants de l'Etat sénégalais par
exemple. Nous verrons qu'en fait, on est en présence de stratégies frontalières
pratiquées tout à la fois par les Etats et les populations; des stratégies qui ne se
résument pas à de simples attitudes de défense ou de rejet des frontières. Nous
verrons les manières dont les logiques étatiques et celles de certains groupes
sociaux perpétuent la "division coloniale" du sous-espace Ouest, tandis que
d'autres logiques s'inscrivent plutôt dans une dynamique d'emblée sous-régionale.
Nous parlerons enfin des crises qui ont secoué l'ensemble du sous-espace
Ouest entre le printemps et l'automne 1989, crises de voisinage au cours
desquelles les relations entre certains des Etats (Sénégal/Mauritanie,
Sénégal/Gambie et Sénégal/Guinée Bissau) ont atteint un niveau de dégradation
inégalé depuis les indépendances. Nous nous arrêterons cependant plus
longuement sur ce qui s'est passé entre le Sénégal et la Gambie.
(2) Dans le langage diplomatique de ces deux Etats, la nuance entre les termes "sénégambien" et
"sénégalo-gambien" est très importante. Le premier renvoie à une appartenance, voire une identité
commune et traduit le projet unificateur, tandis que le second renvoie à l'existence de deux entités et
souligne le caractère distinct des deux Etats. Ainsi, le Secrétariat commun aux deux Etats ouvert à
Bathurst (Banjul) en 1967 était sénégalo-gambien, tandis que la Confédération mise sur pied entre les
deux pays était sénégambienne: le projet était plus ambitieux. Du temps de cette Confédération, écrire
Sene-Gambia au lieu de Senegambia pouvait être un acte politique, nationaliste, correspondant chez
certains Gambiens à une prise de distance par rapport au projet confédéral considéré plutôt comme une
absorption de la Gambie par le Sénégal, voir le titre du pamphlet de H. Sallah, The Sene-Gambia
Confederation: Facts, Fears, Myths, Doubts and the Truth, Banjul, The Nation's Publishers, 1985
(traduction française, chez le même éditeur). Nous parlerons donc de "sénégalo-gambien" pour faire
référence à l'existence de deux projets sociétaux-étatiques, et de "Grande Sénégambie" ou de "sousespace Ouest" pour souligner le caractère global de l'espace social. Le terme "sénégambien" aura ici son
sens courant, la somme des deux pays, sauf lorsqu'il s'agit d'une citation.
2
E. Sall
L'espace social global: le "sous-espace Ouest" ou la "Grande Sénégambie"
Deux niveaux d'analyse sont à distinguer: d'une part, celui d'un espace
global, que les uns limitent à la "Sénégambie" (Barry, 1981 et 1988; Person,
1974) et les autres à l'Afrique de l'Ouest (Gailey, 1964); d'autres encore
l'étendent à toute l'Afrique noire (C.A. Diop, 1974). Les uns et les autres
s'accordent cependant pour dire que cet espace était relativement homogène sur
le plan sociologique, et singulier sur ce même plan et sur le plan de son histoire.
On sait qu'un espace social est à la fois un espace physique, un espace de
production, de reproduction, d'échanges et de représentations dont celles de
l'espace lui-même, l'espace physique étant en quelque sorte "la matière première
sur laquelle ont opéré les forces productives des sociétés diverses pour produire
leur espace" (Lefèbvre, 1974). Pour l'Etat-territoire (pour ne pas parler d'Etatnation), le contrôle de cet espace physique est une nécessité vitale. D'autre part,
existe aussi celui des espaces des sociétés particulières et "ethnies" qui
s'étendaient et s'étendent encore souvent bien au-delà des frontières sénégalogambiennes. Ces espaces particuliers correspondent à ce qu'on peut appeler des
"espaces modulaires" qui sont des espèces de "patchwork de communautés
attachées à leur autonomie territoriale" (Antheaume et al., 1987, p. 3). L'espace
global, dit "réticulaire" est par contre celui où "prédominent les réseaux
fortement destructurants pour l'organisation traditionnelle de l'espace (...) [et où
se multiplient] les liens d'interdépendance entre les territoires". Les espaces
modulaires peuvent être plus ou moins étanches ou plus ou moins perméables,
tandis que:
"...l'organisation évolutive de l'espace se retrouve invariablement
dans la création et la superposition de réseaux mettant en relation des
modules autonomes. Cette structuration réticulaire de l'espace résulte
bien du développement des échanges (d'hommes, de biens, de
capitaux, etc...) et d'une division croissante du travail. Elle traduit
aussi l'organisation spatiale imposée par des groupes construisant
leur domination: celle des Incas dans les Andes, celle de la
colonisation espagnole, celle actuelle des réseaux télématiques
modernes" (Antheaume et al., 1987, p. 4).
Certaines définitions de l'espace dit "sénégambien" sont dynamiques et
socio-historiques, d'autres plutôt statiques. Ainsi pour certains, cet espace
"sénégambien" se limite au territoire compris entre les fleuves Sénégal au nord,
et Gambie au sud. Pour d'autres, notamment Boubacar Barry,
"... la Sénégambie dépasse historiquement depuis le XVe siècle cette
limite et comprend l'ensemble des deux bassins du fleuve Gambie et
du Sénégal, depuis leurs sources dans les hauts plateaux du Fuuta
Jallon, jusqu'à leur embouchure dans l'océan Atlantique. Il s'agit
d'une vaste région ayant pour limites au nord la vallée du fleuve
Sénégal, c'est-à-dire les deux rives, au sud le Rio Grande et à l'est le
Bafing" (Barry, 1981, p. 37).
3
Sénégambie: territoires, frontières, espaces et réseaux sociaux
Barry montre ainsi que les limites-frontières de la Sénégambie historique
n'ont pas toujours été les mêmes et ont évolué au cours de l'histoire, évolution
liée au développement des échanges sociaux et économiques. Par exemple, avec
l'arrivée des Européens, "... le commerce transsaharien décline, le Bambuk et le
Bure dont l'or est recherché se détachent du bassin du Niger pour devenir une
composante de la Sénégambie..." (Barry, 1981, p. 52).
L'acception que l'on retient de la Sénégambie restreint ou élargit le champ de
l'analyse:
"Du point de vue colonial, le nom de Sénégambie apparaît en 1763
pour désigner l'ensemble des possessions britanniques gouvernées à
partir de Saint-Louis, mais cette réalité a pris fin dès 1779 [1783
selon d'autres sources] et n'a été rétablie de façon éphémère que de
1809 à 1817. Elle n'a donc pas eu le temps de marquer les esprits"
(Person, 1974).
Pour d'autres encore, il n'y avait pas vraiment d'espace social
"sénégambien" à proprement parler, car la Sénégambie était simplement "une
enveloppe large", un "bon cadre conceptuel qui ne signifiait peut-être pas grandchose pour les habitants de cette région" (Bridges, Ed., 1974, p. 83).
Les hommes et les femmes qui peuplaient cet espace à la veille de la
colonisation appartenaient à des familles culturelles diverses. Néanmoins, autant
sur le plan physique que sur le plan social, il existait une homogénéité globale de
ce sous-espace. Tout d'abord le cadre géophysique et climatique a contribué au
maintien d'une "personnalité culturelle" distincte dans cette région, en limitant les
influences soudanaises (Person, 1974). En outre, les espaces ethnolinguistiques
étaient eux aussi globaux car constitués par des groupes de populations ou
"ethnies" (3): Manding et apparentés, Wolof, Fulbe et Tukulër (les Halpulaar'en),
Joola, Sereer, Soninke, etc. On y distingue trois grands groupes sociauxlinguistiques et socio-culturels, correspondant à deux grandes familles
linguistiques: la famille dite "Atlantique Ouest", la famille "Mande" et celle des
"Rivières du sud". "La majorité parle les langues regroupées dans la famille dite
"Atlantique Ouest", qui s'oppose par ses quelques traits distinctifs (...) à la
famille Mande qui les investit par l'est, et dont le Manding forme l'élément
principal" (Person, 1974). Sur le plan géographique, la distinction serait entre un
groupe nord "sénégambien" et un groupe des "Rivières du sud".
Le groupe nord, beaucoup plus important à l'échelle du sous-espace Ouest, est
composé de trois unités ethnolinguistiques: les Wolof (avec les Lebu), les Sereer
(3) On sait que le concept d'ethnie doit être compris dans son acception dynamique, étant donné que les
ethnies sont des constructions historiques, mouvantes, intégrant sans cesse de nouveaux membres et des
éléments venant d'autres cultures et en perdant d'autres dans une logique de métissage continu (voir JL. Amselle et E. M'Bokolo, 1985; Amselle, 1990,). Certaines "ethnies", telles que les Jaxanke, se sont
même constituées et s'identifient avant tout sur des bases religieuses (l'islam, tel qu'il leur fut enseigné par
leur chef spirituel, al-Hajj Salim), et "professionnelles" (le cléricalisme) (voir L. Sanneh, 1979).
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E. Sall
(auxquels se rattachent les Nduut, les Noon et les Nyominka) et les Halpulaar'en
(Tukuleur et Peul).
Le groupe des "Rivières du sud" "réunit les nombreuses petites langues (...),
parlées le long de la côte Sud de la Gambie, à travers la Guinée Bissau et
jusqu'en République de Guinée". Les Beafade, Bijago, Papel, Manjak, Balante,
Bainuk et Joola en sont les groupes les plus grands. Il s'agit des sociétés
"organisées initialement en sociétés lignagères sans Etat, certaines se sont
structurées en monarchies, comme les Bainuk, sous l'influence des Mandingues"
(Person, 1974, p. 4-5).
A ces groupes s'ajoutent les Badyar, qui vont des îlots de la Guinée Bissau
jusqu'à la moyenne Gambie, et qui incluent les Badyaranbe, les Coniagui, les
Basari et les Bedik. La distinction entre les sociétés dites "sans Etat" et les autres
est cependant de plus en plus remise en question par d'autres travaux
(C. Coquery-Vidrovitch, 1981; J-L. Amselle, 1990). Hubert Deschamps et
Adama Mbodge font eux-aussi des classements des populations plus ou moins
identiques à ceux de Barry et Person. Mbodge souligne les affinités entre les
langues ce qui explique, peut-être, le fait que beaucoup de gens parlent au moins
deux de ces langues. De même, les pratiques religieuses - même avant l'arrivée
de l'islam - et les coutumes locales, les modes d'organisation politiques et les
stratifications sociales se ressemblent un peu. La différence la plus grande se
rencontre entre les "cinq grands groupes" et ce qu'il appelle les "peuples
minoritaires" (les Joola, Bainuk, Balante, Tenda et Basari) de la vallée de la
Casamance (Mbodge, 1974, p. 49-50). Gailey souligne quant à lui, l'appartenance
des populations du sous-espace à l'ensemble ouest-africain (Gailey, 1964, p. 7).
En résumant, on peut donc dire que l'on peut parler d'espace social global
"sénégambien", à condition de le circonscrire de façon précise, en termes de
réalité géographique, de réalité sociologique et d'une réalité historique également
en partie commune au regard d'expériences partagées, tant vis-à-vis du Maghreb
- commerce transsaharien, islam - que vis-à-vis de l'Atlantique et de l'Europe,
exception faite des expériences coloniales; vient ensuite le fait que cette sousrégion a été la partie périphérique des grands empires ouest-africains: Ghana,
Mali, Songhaï, d'où avaient émigré les Manding, Soninke et les Jaxanke vers la
côte Atlantique, en apportant et y laissant leurs modes d'organisation sociale et
politique: "La Sénégambie se définit en effet comme étant la seule région située
au confluent des deux grands fronts historiques d'acculturation de l'Ouestafricain, celui du Sahara et celui de l'océan" (Person, 1974, p. 7-8).
Selon Boubacar Barry, les fronts historiques d'acculturation qui se sont
croisés dans la sous-région sénégambienne seraient au nombre de trois: d'abord
les fronts saharien et soudanais qui se rencontrent dans le "cul de sac", le
"finistère" sénégambien; puis le front de l'océan Atlantique qui entraîne une
"victoire de la caravelle sur la caravane", "victoire" à partir de laquelle tout en
Sénégambie se détermine désormais par rapport à l'océan. De plus, du point de
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Sénégambie: territoires, frontières, espaces et réseaux sociaux
vue de leurs influences relatives, Boubacar Barry nous dit que "le front
soudanais à composante islamique s'est fait sentir essentiellement le long de
l'axe de la Gambie", tandis que le front du Sahara s'est fait sentir beaucoup plus
dans la région du fleuve Sénégal que vers la partie sud du sous-espace, jusqu'à ce
que le front de l'Atlantique (européen) vienne le supplanter et donner "à
l'ensemble de cette région une nouvelle dimension". L'influence du front
soudanais s'est fait sentir d'abord en étant à l'origine de la transformation des
sociétés lignagères en sociétés à Etat; ensuite, par la généralisation du système de
castes dont les germes existaient déjà, selon Person, avec l'arrivée des Manding
(Niane, 1989); troisièmement, en insérant la région dite sénégambienne dans les
circuits du commerce de longue distance et enfin en provoquant la refonte des
structures politiques et le déplacement de populations:
"Le Mali, au faîte de sa puissance, a entrepris une véritable
colonisation le long de l'axe de la Gambie où les Mandingues
fondèrent au sud le Gabou (Guinée Bissau), le Nyumi, le Niani et le
Wuli le long du fleuve en refoulant ou en assimilant les populations
autochtones du groupe Badyar. Les Mandingues sont aussi les
ancêtres du Sine et du Saloum (Peul Wolof et Sereer). Pour échapper
à l'hégémonie du Mali qui s'est étendue à la majeure partie de la
Sénégambie, les Joola se concentrèrent dans les marécages de la
Casamance" (Barry, 1981, p. 38).
Le repérage d'une Sénégambie par des critères historiques et sociologiques
laisse donc apparaître un espace social qui déborde largement le cadre restreint
des deux pays réunis, le Sénégal et la Gambie, pour couvrir l'ensemble du sousespace Ouest de l'Afrique de l'Ouest. Le fleuve Gambie était, et est encore dans
une certaine mesure, à la fois la ligne de partage entre les parties septentrionale et
méridionale du sous-espace Ouest, et le coeur, l'axe autour duquel plusieurs
réseaux sociaux et économiques s'organisaient. Le découpage colonial entraînait
des ruptures dans des réseaux d'échanges sociaux, politiques et économiques
ainsi que dans des processus globaux.
Frontières et stratégies frontalières
Le sous-espace Ouest ayant vécu trois types de colonisation (français,
britannique et portugais) s'est vu partagé en six territoires différents, chacun doté
d'un Etat central. Les raisons et les modalités du partage colonial, comme les
supports et la légitimité des frontières ont déjà fait l'objet de nombreux travaux.
Nous nous arrêterons donc ici surtout sur le tracé des frontières sénégalogambiennes, les stratégies frontalières et les réseaux transfrontaliers.
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E. Sall
Le partage colonial
Le mot "frontière" évoque tout à la fois "la barrière et la contrainte,
l'arbitraire et l'artificiel, le colonial et l'impérialiste" (Foucher, 1988, p. 8).
Etymologiquement, le mot "frontière" vient du mot "front", "la ligne de front,
c'est-à-dire la guerre".
La Grande-Bretagne, puissance maritime et commerciale, s'est intéressée
pendant longtemps moins à la conquête de territoires étendus dans notre partie de
l'Afrique, qu'au bon déroulement de son commerce. C'est à ce titre que le fleuve
Gambie, l'un des plus navigables de l'Afrique de l'Ouest, l'attirait. Jusqu'à ce
qu'elle ressente l'encerclement territorial de la France - avec les immenses
territoires que celle-ci avait conquis dans l'hinterland africain, interceptant des
routes commerciales, etc. - comme une menace. Le libéralisme laisse alors
progressivement la place à un certain protectionnisme (Gailey, 1964; Newbury,
1971; Hopkins, 1973).
Il en était autrement pour la France, plus nationaliste dans sa démarche et
qui avait besoin de "planter son drapeau" d'abord pour que les sociétés françaises
aient plus ou moins l'exclusivité de certains marchés (Brunschwig, 1971). Une
part importante atteignant les 70 % à certains moments du commerce français se
faisait également avec des territoires britanniques, y compris des comptoirs sur le
fleuve Gambie, tel Albreda (Newbury, 1971; Gailey, 1964). Elle poursuivra donc
une politique d'encerclement territorial en procédant à la conquête des territoires
au nord, au sud et de la partie est du fleuve Gambie, dans l'espoir de pouvoir
reprendre tôt ou tard celui-ci à la Grande-Bretagne. C'est donc tout naturellement
qu'elle propose à celle-ci de procéder à un troc de territoires: la Gambie
"britannique" contre Grand Bassam ou l'Assinie (dans l'actuelle Côte-d'Ivoire), le
Gabon, les Nouvelles Hébrides (Vanuatu), St-Pierre-et-Miquelon, les Afars-etIsars (Djibouti), la Somalie française, etc., sous contrôle français (4). Un tel troc
devait rationaliser la carte coloniale du sous-espace Ouest. Plus généralement,
l'idée était d'arriver à un partage bilatéral ordonné de l'Afrique de l'Ouest. Cette
idée sera progressivement abandonnée lorsque le partage bilatéral se révèlera
difficile à réaliser. Chacune des deux puissances protégeaient ses intérêts
localisés à des endroits précis mais dispersés tout le long de la côte Ouest
africaine.
Le doute planera ainsi sur l'avenir colonial de la Gambie pendant toute la
période des négociations (1866-1883) et même au-delà; en 1926 encore, le
(4) Naturellement, les tentatives d'échanger la Gambie avec ces territoires français et donc de rationaliser
la carte coloniale, n'ont pas manqué de susciter des réactions anti-cessionnistes du côté français aussi.
Ainsi, les quelques compagnies françaises installées à Grand-Bassam et à Assinie (dans l'actuelle Côted'Ivoire) ou à Porto Novo (dans l'actuel Bénin) depuis une bonne vingtaine d'années, s'opposeront
vivement à la cession de ces territoires à la Grande-Bretagne. Originaires de la Rochelle (comme la
Compagnie Verdier) et de Marseille, les marchands, influents dans leur chambre de commerce feront
tout, avec l'aide d'un député local pour que ce troc de comptoirs et de territoires n'ait pas lieu, car ils y
perdaient (voir sur ce point Hargreaves, 1971, p. 266).
7
Sénégambie: territoires, frontières, espaces et réseaux sociaux
Congrès national de l'Afrique de l'Ouest Britannique (NCBWA) lors de son
congrès de Bathurst (fin 1925-début 1926), se sentit dans l'obligation d'adopter
ainsi une résolution s'opposant à l'idée du transfert de la Gambie aux autorités
françaises (Langley, 1969). La proposition française reçut de la part du Colonial
Office britannique un accueil tantôt favorable, tantôt froid selon l'évolution de la
doctrine coloniale générale de la Grande-Bretagne, doctrine elle-même
influencée par l'évolution des rapports entre lobbies en faveur ou hostile à la
cession de telle ou telle colonie, voire pro et anticoloniales.
Les frontières sénégalo-gambiennes seront donc tracées en 1889
légèrement retouchées en 1904 - autour d'une table à Paris, à l'aide d'un crayon
et d'une règle et un peu au hasard. Lors de ces négociations, la France, forte de
ses vastes ensembles territoriaux a face à elle une Grande-Bretagne dont la seule
préoccupation, concernant la Gambie, est d'obtenir au moins la reconnaissance
de ses droits sur le fleuve de même nom. La France cédera sur ce point parce
qu'elle est convaincue que tôt ou tard ce pays va lui revenir. "Ce fleuve deviendra
français par la force des circonstances, comme Ziguinchor en Casamance" écrit
le Département colonial en France (cité par Hargreaves, 1971, p. 276). Son
représentant aux négociations sur les frontières, M. Bayol a donc tracé alors
"deux lignes sur une carte de l'embouchure du fleuve jusqu'à Yarbutenda et a
déclaré qu'à l'intérieur de ces lignes se trouvait le territoire qui pouvait être
raisonnablement assigné à la Grande-Bretagne" (Gailey, 1964, p. 103).
Les différentes parties prenantes aux négociations semblaient toutes
convaincues du caractère temporaire de ces frontières. Le résultat se voit encore
aujourd'hui; c'est ce que le président Abdou Diouf qualifiait d'existence
accidentelle "d'un Etat dans un autre" - le président Jawara étant naturellement
d'un avis différent (Sall, 1991).
Des ruptures introduites par la délimitation des frontières de la Gambie,
devaient découler des dynamiques et des processus de totalisation allant dans le
sens de la création de nouveaux espaces sociaux-nationaux. Or, dans une
situation coloniale les deux principaux types de totalisation, à savoir
institutionnelle et existentielle (Oriol, 1979 et 1985), ne pouvaient être que
conflictuels.
La totalisation institutionnelle à l'échelle de chacun des pays dont les limites
venaient d'être tracées se faisait au détriment de celles qui existaient jusque-là
aux niveaux des ethnies, des Etats et autres communautés de base. Les décisions
individuelles et les totalisations existentielles auront à se faire désormais dans
cette situation nouvelle. C'est de la même façon que les identités particulières,
(ethniques, etc.) vont devoir se soumettre et se dissoudre dans une nouvelle
identité collective mais coloniale, nouvellement instituée - ou plus exactement,
que les colonisateurs tentent d'instituer. Les frontières de la Gambie comme
celles de la plupart des Etats africains deviennent alors significatives - dans la
réalité et pour notre analyse - autant par rapport à ce qu'elles regroupent que par
rapport à ce qu'elles séparent (Foucher, 1988, p. 19).
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E. Sall
Le problème des supports des frontières
Les frontières Sénégalo-gambiennes seraient "artificielles" parce qu'elles ne
suivent pas des configurations "hydro-topographiques" (ligne de partage des
eaux, montagnes, fleuves, etc.). Or, les fleuves, loin de toujours être des barrières
entre peuples différents, sont très souvent des lieux de rencontre et d'échange. Le
fleuve Sénégal sert de support à la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie,
mais l'espace physique aussi bien que les sociétés des deux côtés du fleuve sont
les mêmes, ce qui a accentué le caractère dramatique du conflit d'avril 1989. Le
fleuve Congo sépare les pays du Zaïre et de la République populaire du Congo.
Mais une frontière ne peut être plus "artificielle" que celle qui coupe un même
peuple en deux et précisément sur le lieu même qui lui servait jusque-là d'artère.
Frontières "naturelles et frontières artificielles sont certes des "notions de
référence", mais des notions qui "fonctionnent comme autant de conceptsobstacles dans la compréhension des phénomènes géopolitiques" (Foucher,
1988, p. 10).
Les modalités du tracé: l'arbitraire, le conventionnel et les choix existentiels
des populations
Les frontières issues d'une conquête et de négociations entre puissances
coloniales ne pouvaient être
"...qu'arbitraires si l'on considère que les peuples étaient "coupés" en
deux par des décisions prises de loin autrefois, dans les salons du
Quai d'Orsay ou du Foreign Office, ou, plus récemment, sur la
Riviera de la mer Noire, à Yalta. Assurément, on consulte bien
rarement les peuples des frontières: moins de 2 % de la longueur de
celles tracées en Europe au XXe siècle sont le fruit d'un plébiscite. On
ne consulte pas toujours les Etats concernés" (Foucher, 1988, p. 11).
Avant la colonisation, les frontières des royaumes et des empires africains
étaient fixées ici ou là en fonction de l'état des rapports des forces (Asiwaju,
1983, p. 43-49). Mais comme toutes les frontières, elles étaient aussi "des
constructions géopolitiques datées. Les frontières sont du temps inscrit dans
l'espace ou mieux, des temps inscrits dans des espaces" (Foucher, 1988, p. 11).
Le caractère doublement étranger des frontières actuelles (dans leur origine
et dans leur signification) les rend du même coup "illégitimes".
Stratégies frontalières
Dans les faits, des stratégies frontalières différentes sont pratiquées par les
Etats. Les uns cherchent à consacrer, voire à consolider leurs frontières même si
elles sont issues de la colonisation, en s'appuyant sur le fait qu'elles sont
internationalement reconnues. Tandis que les autres cherchent à étendre leurs
territoires pour englober au moins certaines parties de ceux des Etats voisins:
9
Sénégambie: territoires, frontières, espaces et réseaux sociaux
c'est le cas du Maroc, avec son idée d'un Grand Maroc qui s'étendrait dans sa
partie sud jusqu'au fleuve Sénégal, c'est le cas aussi de la Libye et de la Somalie.
La stratégie frontalière de la Gambie diffère sur ce plan de celle du Sénégal.
Celui-ci évoque - plus implicitement qu'explicitement - l'idée de frontières
"naturelles", "historiques" qui seraient celles de la Sénégambie - mal définie; ce
qui équivaut à une remise en cause de la légitimité des frontières qui le séparent
de la Gambie. La théorie senghorienne de l'intégration africaine par cercles
concentriques allait dans ce sens, tout comme la thèse de "l'histoire accidentée"
chère à M. Diouf. Il s'agit dans ce dernier cas, d'un appel à la restitution de la
Sénégambie dans ses frontières "naturelles". L'argumentation s'appuie entre
autres choses sur "les faits de la géographie et de la démographie", comme le
disait l'un des derniers gouverneurs britanniques en Gambie (Sessional Paper
n° 9, 1964). L'assemblage des territoires oblige les Etats à trouver des
arrangements qui permettent d'atténuer les difficultés de communication entre les
parties nord et sud du Sénégal, et entre la Gambie et les autres pays du sousespace Ouest (5).
L'attitude des dirigeants gambiens par rapport aux frontières est aussi plus
complexe qu'une simple défense de celles-ci. Ils encouragent la réexportation à
partir de la Gambie des produits importés du marché mondial, vers le reste du
sous-espace Ouest. Cette stratégie s'inscrit depuis 1987 dans la dérive ultralibérale du régime du président Jawara (Oyowe, 1990). Elle a lieu dans un
contexte d'ajustement structurel et a l'aval des bailleurs de fonds internationaux.
Elle équivaut à une volonté de surmonter les contraintes de l'exiguïté territoriale.
En outre, l'Etat ajusté semble oeuvrer pour une off-shorisation partielle de
l'économie du pays (Budget Speech, 1991).
Mais en même temps, l'Etat gambien plantait des unités de sa gendarmerie
nouvellement créée à ses frontières pour empêcher la vente de l'arachide
gambienne au Sénégal durant la campagne agricole de 1989-1990 (Sall, 1990).
Contrebande et réexportation.
C'est précisément l'existence de ces frontières matérialisées de plusieurs
manières qui explique les disputes des Etats gambien et sénégalais à propos des
taxes à prélever sur les produits importés. L'un libéralise son commerce extérieur
pour jouer sur la masse - la Banque africaine de développement estimait en 1987
que 40 % des importations gambiennes étaient destinées à la réexportation vers le
marché sous-régional (BAD, 1987). L'autre joue sur les taux par la pratique du
(5) Les différentes administrations coloniales avaient dû signer un certain nombre d'accords à cet effet.
Voir, par exemple, les trois accords signés le 10 mars 1956 entre A.N.A. Waddell, Colonial Secretary
(Gambia) et M. Giraud, Directeur général des Travaux publics de l'AOF, Sessional Paper N° 3/56,
Trans-Gambian Road and Ferry: Agreements with the Government General of French West Africa. L'un
de ces accords s'appela: Agreement Concerning the Regulation of Transit Traffic by the Trans-Gambian
Road and by the Road from Bathurst to Portuguese Guinea and of Certain Facilities Granted in
Connection with the Circulation of Vehicles and Persons between the Senegal and the Gambia.
10
E. Sall
protectionnisme - les recettes douanières constituaient 37,5 % des recettes
fiscales du Sénégal en 1986-1987 (75 milliards de f. CFA, sur 200 milliards au
total) - et la fermeture de ses frontières avec les autres pays du sous-espace pour
que rien ne lui échappe. L'Hériteau et Corbeau (1987, p. 17) chiffraient le
manque à gagner en recettes fiscales pour le Sénégal entre 28 à 35 milliards de
f. CFA. Mais, comme ils le soulignaient, il reste à savoir si ce "manque à gagner"
que le Trésor sénégalais essaie de récupérer, ne disparaîtra pas lui-même avec la
contrebande (L'Hériteau et Corbeau, 1987).
Il serait cependant inexact de réduire à sa dimension fiscale l'attitude des
deux Etats face à la contrebande et à leurs frontières en général. Les arguments
qu'ils avancent permettent d'ailleurs d'entrevoir d'autres questions de fond.
L'objectif est d'arriver à mettre un terme non seulement à la contrebande, mais
aussi à l'isolement de la Casamance. Or, les Casamançais ne se plaignent pas
seulement de cet isolement mais aussi de leur marginalisation du fait d'une
"wolofisation" et de politiques qui perpétuent la soumission de leur région (Diop
et Diouf, 1990, p. 45-51; Thiéba, 1985). En outre, la contrebande, lorsqu'elle va
de la Gambie vers le Sénégal, rend les efforts d'industrialisation et de
construction d'une autosuffisance nationale du Sénégal plus difficiles. Elle a déjà
produit le délaissement croissant des secteurs productifs par l'Etat et l'émergence
d'une classe de grands affairistes en Gambie.
Les flux de l'arachide se sont développés dans les deux sens: du Sénégal
vers la Gambie jusqu'en 1985-1986, (date de la forte dévaluation du dalasi
gambien) et de la Gambie vers le Sénégal depuis cette date. L'Etat du pays
destinataire se voit alors obligé de subventionner les paysans de l'autre, à moins
que les prix sur le marché mondial soit suffisamment élevés (Harvey, 1990). Or,
chacun des Etats, en cours d'ajustement, a du mal à trouver les fonds nécessaires
même pour acheter l'arachide aux paysans (6). La décision de transporter son
arachide de l'autre côté de la frontière va donc dépendre de plusieurs facteurs,
dont le cours du franc CFA (Vallée, 1989). La question de la contrebande a
souvent empoisonné les relations entre les deux Etats. Les dirigeants de l'Etat
sénégalais la jugent très préjudiciable à leur économie. Jean Collin parlait ainsi
"d'agression économique" du Sénégal par la Gambie. Ses propos avaient entraîné
alors chez de nombreux habitants de Banjul des réactions violentes obligeant le
président Senghor à écourter sa visite en Gambie en 1969. Une étude
(6) L'Union Coopérative gambienne (GCU), qui achète environ 60 % de l'arachide aux paysans pour la
revendre au Gambia Produce Marketing Board (GPMB) détenteur du monopole de l'exportation jusqu'en
février 1990, ne reçoit plus de subventions et est obligée depuis la campagne de 1989-90 de différer la
remise des liquidités aux producteurs pour leur arachide. Le producteur qui vend son arachide reçoit dans
un premier temps un bon, monnayable plus tard; cette pratique bien connue des paysans sénégalais,
oblige certains d'entre eux à vendre leur arachide aux acheteurs privés qui paient tout de suite. Or comme
les prix aux producteurs ont été libérés, les prix pratiqués par le privé sont souvent inférieurs à ceux de la
GCU. Ceci donne lieu à des pratiques spéculatives, d'autant que certains paysans qui ont besoin de
liquidités revendent leurs bons à moindre valeur aux acheteurs privés, qui les encaissent plus tard à leur
valeur nominale (Voir Sall, 1990).
11
Sénégambie: territoires, frontières, espaces et réseaux sociaux
commanditée par la Caisse Centrale de Coopération Economique et le ministère
français de la Coopération en 1987 a eu pour but de donner des indications
chiffrées sur ce problème et d'en trouver les causes (L'Hériteau et Corbeau,
1987). De nombreuses études, notamment celles menées par l'IRAM-INRA-UNB
depuis 1986 pour le compte du Centre international de lutte contre la sécheresse
au Sahel (CILSS), du Club du Sahel et du ministère de la Coopération, ont
également essayé de mieux cerner ce problème qui touche l'ensemble du sousespace Ouest.
Plus fondamentalement, les stratégies frontalières s'inscrivent tout à la fois
dans des logiques différentes de production d'espaces sociaux, nationaux et
étatiques mais aussi dans des logiques d'accumulation et "d'évitement". Ces
logiques sont quelquefois complémentaires, mais le plus souvent conflictuelles.
Les stratégies des différents acteurs prennent alors un caractère plutôt paradoxal
(Adji, 1991). Du temps de la colonisation déjà, on traversait la frontière, symbole
à la fois du partage et d'un enfermement, pour échapper à la conscription
(Amselle, 1990, p. 223) ou aux travaux forcés imposés par l'une ou l'autre
administration, bref, à la brutalité du système colonial (Buijtenhuijs, 1991, p. 44).
On peut également comprendre que les frontières posent problèmes par
rapport aux choix existentiels des populations autant par ce qu'elles regroupent
que par ce qu'elles séparent. A l'échelle de l'Afrique, les conflits de frontières
entre Etats sont en effet moins nombreux que les tensions et conflits internes aux
Etats. A tel point que l'on peut effectivement se demander, avec Michel Foucher,
si les armées africaines ne sont pas plus destinées à imposer un ordre interne qu'à
protéger ou à défendre les frontières vis-à-vis d'agressions venues de l'extérieur.
Les cas qui font exception sont ceux où il existe des menaces de sécession et
d'irrédentisme, par exemple en Casamance ou au Biafra. On ne peut cependant en
rester, comme semble le faire Foucher, à des explications "ethniques" des
tensions internes. L'on ne peut même pas invoquer ce type d'explication comme
facteur dans le cas de la Somalie. Au Burundi, autre cas exemplaire, Hutu et
Tutsi "ont la même langue (le Kirundi), le même type d'organisation sociale,
souvent les mêmes styles de vie, et ont vécu ensemble en paix pendant des
siècles..." (Lemarchand, 1991, p. 3).
En outre, les cas de remise en cause de l'Etat territorial (le Biafra, la
Somalie, etc.) sont restés exceptionnels, malgré la diversité ethnique et ce,
contrairement aux craintes que l'on a pu avoir. Comme le soulignent D.B. Cruise
O'Brien et R. Rathbone:
"...l'Etat en tant qu'entité politique semble reposer sur une part
importante d'acceptation populaire. Il a en général, été rarement
contesté avec une résolution quelconque, un fait en principe
surprenant dans le cas d'une entité politique dite artificielle, une
création du règne colonial européen (...); cette acceptation a sa
logique non-articulée: qui est que les possibilités futures discernables
en l'absence de l'Etat sont bien pires que la réalité imparfaite du
présent" (Cruise O'Brien, Dunn et Rathbone, 1989, p. 1).
12
E. Sall
La particularité du cas africain en matière de légitimation de frontières
étatiques réside, d'après Foucher, dans le fait qu'à la différence de l'Amérique
centrale et du Sud, il n'y a pratiquement pas eu de seconde "orogénèse", après la
première qui avait donné lieu aux frontières d'origine coloniale (Foucher, 1988).
A l'indépendance, l'Etat "africain" nouvellement né hérite de frontières déjà
tracées, et les cas de renégociation de celles-ci sont très rares. Il est vrai que là où
des conflits ou des simples disputes de frontières ont surgi jusqu'à présent comme autour d'une partie de la frontière nord de la Gambie au début des années
1970, les frontières Mali/Burkina Faso, Sénégal/Guinée Bissau, et
Sénégal/Mauritanie, etc. - il s'agit souvent de cas où la frontière coloniale était
mal définie, facteur auquel viennent s'en ajouter d'autres. Mais presque partout
ailleurs c'est "l'arbitraire" qui sera légitimé.
Les conflits de frontières n'en disparaissent cependant pas pour autant. I.
Pop en a énuméré plusieurs en Afrique de l'Est comme en Afrique de l'Ouest
(Pop, 1980, p. 11). Selon John Ravenhill il existe également une tendance à
remettre en cause les frontières dans les faits et cette tendance risque de
s'accentuer. Il s'agit non seulement du développement des mouvements
séparatistes, tel le Biafra, mais aussi, et surtout du développement des vélléités
expansionnistes de certains Etats (Maroc, Libye, etc). Cela vient notamment,
nous dit-il, de l'agrandissement des inégalités entre les Etats, car le collective selfreliance du Plan d'action de Lagos, et le panafricanisme et panarabisme qui l'ont
précédé, n'auraient plus, selon lui, qu'une valeur symbolique. Les nombreux
projets d'intégration régionale sont donc pratiquement tous restés à l'état de
projets. "La seule exception possible est l'absorption graduelle de la Gambie par
le Sénégal, répercussion de l'extrême vulnérabilité de la Gambie" (Ravenhill,
1988). Ces propos sont bien sûr à réactualiser.
Les réseaux et les dynamiques sociales sous-régionales
Denis Constant-Martin donne la définition suivante d'un réseau:
"Sous le terme générique de réseau, on envisage des groupements sans
règles explicites ni frontières fixes, mis en mouvement dans une conjoncture
particulière. Les réseaux traversent les partis et les syndicats, les
associations et les coopératives (...). Les réseaux cherchent à mobiliser les
soutiens en faisant jouer les solidarités d'origine au profit d'intérêts
essentiellement transtribaux (...) et utilisent fréquemment des mécanismes
clientélistes qui transcendent les oppositions de classe [dans le cas présent,
on parlera aussi des frontières]. Ils peuvent également être constitués à
partir de structures religieuses (telles les confréries musulmanes au
Sénégal...). Enfin, jetant des passerelles entre l'institutionnel et l'informel,
entre le politique et l'économique, entre l'affectivité (les liens d'origine ou
de confession) et la rationalité (les avantages recherchés), jouant le rôle de
lubrifiant du passage à la modernité, il n'est pas étonnant qu'on retrouve
ces réseaux dans ce qu'il est convenu d'appeler le secteur 'non structuré' "
(Martin, 1991, p. 163-164).
13
Sénégambie: territoires, frontières, espaces et réseaux sociaux
En réalité, les réseaux de contrebande, etc. - et de façon générale ce que
l'auteur appelle le "secteur non structuré" (7) - sont bel et bien structurés. Janet
MacGaffey préfère de ce fait parler de "deuxième économie" (second economy),
et elle montre comment celle-ci se développe à la faveur de la crise. On le sait,
dans de nombreux pays d'Afrique (Ghana, Guinée, Zaïre, Ouganda, Angola,
Tanzanie, etc.) les salaires représentent une part infime des revenus familiaux.
"Les gens trouvent une variété de stratégies pour se débrouiller avec une
situation si désespérée. Ils travaillent à des seconds emplois, gèrent des petites
affaires, s'engagent dans diverses formes de commerce, cultivent des produits
vivriers" (MacGaffey, 1991a, p. 2).
La contrebande est l'un de ces moyens. Au bout du compte, "la contrebande
a amené officieusement (unofficially) l'intégration régionale qui a bel et bien
échoué sur le plan officiel " (MacGaffey, 1991a, p. 2). Les stratégies développées
face aux difficultés "représentent non seulement des stratégies pour survivre
mais aussi dans certains cas, une résistance à l'oppression et, dans d'autres, la
poursuite d'opportunités de mobilité sociale ou la consolidation d'une position
de classe" (MacGaffey, 1991b).
La notion de sous-espace (d'échanges autour d'un pôle économique)
actuellement en usage dans les publications du Club du Sahel, du CILSS et de
l'IRAM-INRA-UNB dénote un lieu structuré et sillonné par plusieurs réseaux. Ce
sous-espace est défini de manière plutôt opératoire:
"Nos premières enquêtes sur le commerce frontalier en Afrique de
l'Ouest ont montré que l'intensité des échanges entre pays permettait
d'identifier des zones dans lesquelles les échanges régionaux de
céréales sont plus denses et plus importants qu'ailleurs. Nous les
avons dénommées "sous-espaces régionaux" de l'Ouest, du Centre et
de l'Est (...). Le sous-espace Ouest correspond donc à un ensemble de
pays qui entretiennent entre eux des échanges importants - bien que
pour la plupart non enregistrés - et dont les politiques sont devenues
(7) Dans l'ouvrage dirigé par Hugon et Deblé (1982), certains auteurs parlent également de "secteur non
structuré" (J. Charmes, Méthodologie des enquêtes sur le secteur non structuré en Tunisie, p. 223-239);
tandis que d'autres (comme Gérard Salem) contestent l'hypothèse de la "non structuration" de ce secteur,
en montrant entre autres choses que selon les activités et les réseaux, etc., on trouve une prédominance de
tel ou tel type de population, par exemple les Laobe, descendants de la caste des travailleurs du bois, et
les Mourides, qui s'impliquent également dans la vente des sculptures, y compris en France, bien que les
deux en soient à des degrés d'organisation et de mobilité différents.
Pour Gérard Salem, "l'hypothèse selon laquelle ce secteur serait anarchique, non structuré...", typique de
la démarche "quantitative", est fondée à la fois sur une tautologie et sur un ethnocentrisme; car il
s'interroge sur la pertinence des notions de revenu et d'investissement dans ce cas ("Les réseaux
commerciaux des artisans colporteurs sénégalais", p. 85 in: Hugon et Deblé, dirs., 1982).
Philippe Hugon parle de "secteur souterrain" ("Secteur souterrain ou réseaux apparents", p. 26-49 in:
Hugon et Deblé, 1982).
D'autres encore préfèrent parler de secteur et de marché "informels" (Janet Roitman, 1990), et
"d'économie et de marché parallèles". Voir aussi, les travaux de Janet MacGaffey sur le Zaïre; ceux de
René Lemarchand, 1988 et ceux de l'IRAM-INRA-UNB sur les échanges dans le sous-espace Ouest de
l'Afrique de l'Ouest, déjà cités, et ceux d'O.J. Igué, 1983.
14
E. Sall
de ce fait, en grande partie interdépendantes. Ces pays voisins ont de
surcroît en commun un certain nombre de problèmes (...). Le sousespace peut donc se définir comme un espace d'échanges et de
nécessaire concertation" (Coste et Egg, 1991).
Aux six pays énumérés plus haut, ces auteurs estiment qu'on peut ajouter la
Sierra Leone. Le sous-espace Ouest ainsi défini correspond donc sur le plan
géographique, comme on l'a vu, à peu près à ce qu'on appelle la "Grande
Sénégambie". Les autres sous-espaces identifiés sont celui de l'Est, constitué par
"le Nigéria et tous ses voisins", et celui du Centre qui regroupe "la Côte-d'Ivoire,
le Ghana, et leurs voisins du Nord" (CILSS et Club du Sahel, 1991).
Chacun de ces espaces se caractérise actuellement sinon par un certain
degré d'intégration marchande, non officielle, en dépit de la "balkanisation
étatique" - mais aussi, paradoxalement, en partie grâce à cette balkanisation,
comme on le verra plus loin - du moins par l'existence de dynamiques sociales
d'ensemble. Les réseaux marchands qui les irriguent s'inscrivent pour une part
dans la lignée des réseaux des commerçants d'avant le découpage colonial (Igué,
1983).
Au centre de chacun des sous-espaces se trouve un pôle économique: le
Nigéria à l'est, le Ghana et la Côte-d'Ivoire au centre, et le Sénégal à l'ouest.
Cependant, celui-ci se voit disputer fortement le rôle de pôle par la Guinée, du
moins sur le plan du poids économique potentiel, des échanges et de l'intérêt que
ce pays suscite auprès des bailleurs de fonds - l'équivalent de 48 % de toute l'aide
reçue par les neuf pays du Sahel en 1987 est allée à la Guinée entre 1989 et 1991
(Igué, 1990, p. 7; Lambert, à paraître en 1992).
Cette approche de la notion de sous-espace privilégie les échanges
marchands et, dans un premier temps, retient de l'histoire, de la sociologie et des
structures religieuses du sous-espace essentiellement ce qui conforte l'hypothèse
de l'intégration marchande. Elle s'est enrichie par la suite de données sur la place
du sous-espace non seulement dans le reste du Sahel mais aussi dans l'économiemonde, sur les échanges sociaux non économiques et sur les représentations.
Les structures écologiques et productives, comme celles du reste du Sahel,
sont de manière générale fragiles. La production est dominée par les oléagineux
et les céréales, et les échanges économiques sont essentiellement céréaliers et peu
favorables aux paysans puisqu'il s'agit de céréales importées (notamment le riz)
du marché mondial pour la plupart (Coste et Egg, 1991).
Quant aux réseaux, aucun ne semble être fondé sur un seul type de
rationalité. Ceux des Mourides, relèvent des solidarités à la fois religieuses
(Coulon, 1983) et économiques (Lambert et Diouf, 1989), tout en entretenant des
rapports assez ambivalents avec les Etats (Diop et Diouf, 1990; Coulon et Cruise
O'Brien, 1989; Coulon, 1979 et 1991). Les grands importateurs de Banjul traitent
avec des grands commerçants maliens, sénégalais, bissau-guinéens, en passant
15
Sénégambie: territoires, frontières, espaces et réseaux sociaux
par de nombreux intermédiaires tels que les grossistes et détaillants mauritaniens,
guinéens et gambiens.
Les paysans vivant des deux côtés de la frontière sénégalo-gambienne
commercialisent leur arachide et s'approvisionnent dans l'un ou l'autre pays en
fonction des prix, du cours du franc CFA, des campagnes agricoles, des besoins
de liquidités, etc. Ainsi, lors de la campagne de 1991-1992, le prix de la tonne
d'arachide a bénéficé de subventions étatiques au Sénégal. Il était supérieur de
plus de 25 000 f. CFA par rapport à celui, totalement "libre" qui est payé au
paysan gambien: de ce fait plus de 70 % de l'arachide produite en Gambie a été
vendue au Sénégal.
Une tentative a été faite pour analyser le sous-espace Ouest d'un point de
vue anthropologique (Lambert et Diouf, 1989). Ont alors été identifiés, outre les
"espaces frontaliers géographiquement circonscrits", des "espaces-réseaux
sociaux qui sont structurés par des logiques clientélistes et qui font intervenir
tout une série d'acteurs" (Lambert et Diouf, 1989, p. 3). Les exemples
"d'espaces-réseaux" cités par ces auteurs sont notamment les opérateurs
gambiens, le système mouride, les commerçants de Kaolack et l'Etat. Il s'agit,
dans certains cas, plus de groupes avec leurs réseaux que d'espaces sociaux à
proprement parler.
Les grands commerçants du sous-espace Ouest fonctionnent en réseaux à
l'échelle de tout ce sous-espace. C'est en effet à ce niveau que l'on trouve les
membres de ce que Ousman Manjang appelle la "classe des contrebandiers"
(smuggler class, Manjang, 1986; T.M. Sallah, 1990). Les grands importateurs de
Banjul, tels les groupes gambien Amdalaye, Libano-Syriens (Boule, Transgam,
Madi, Farage, etc.) sont ainsi en relation avec ceux de Dakar (tels que Serigne
Sall) de Kaolack, de Bamako (dont Bali) de Kayes (Tejan Tambedou, Falasa
Sissoko etc.) et de Bissau (8). Ils importent les uns pour les autres en ayant
souvent recours aux procédés du transit afin de bénéficier d'exonérations
douanières, et s'achètent les uns aux autres (Sall, 1990).
A titre d'exemple, une cargaison de riz ou de sucre peut partir de l'Asie du
Sud-Est ou de Hambourg pour Banjul et être finalement déchargée au port fluvial
gambien de Kaur à quelque 200 km, en vue d'un acheminement par voie terrestre
vers le Mali ou la Guinée Bissau. En réalité, une partie est souvent vendue sur
place ou au Sénégal. En outre, entre le grand importateur qui opère sur les
marchés internationaux et sous-régional et d'autre part le détaillant, existe une
foule d'intermédiaires: les grossistes et demi-grossistes gambiens, guinéens,
sénégalais et mauritaniens, les transporteurs, les boutiquiers, etc.
La "classe des contrebandiers" faite en un mot, de grands importateurs et de
leurs alliés est ainsi présente dans tout le sous-espace Ouest. Il s'agit d'une classe
aux ramifications extrêmement étendues et complexes. Les maillons en sont les
villes "saintes" du Sénégal, telles que Touba, Prokhane et Madina Gounass, des
fonctionnaires des douanes et des commerçants intermédiaires divers.
(8) The Gambian, vol.3, novembre 1988, intitulé: Transit and Direct Delivery Scandals.
16
E. Sall
Comme on l'a vu, l'espace social global de la Grande Sénégambie est
pluriel. La production d'espaces nationaux pocède de ce fait d'une entreprise de
redéfinition des espaces sociaux, des référents identitaires, des loyautés. Cette
entreprise est d'autant plus complexe que la construction des Etats se fait
simultanément avec celle de blocs de pouvoir, chacun de ces deux processus
étant fait des luttes âpres au cours desquelles chaque acteur met en branle l'une
ou l'autre de ses appartenances en fonction des circonstances et des enjeux.
L'unification des espaces publics nationaux autour des Etats et la centralisation
relèvent ainsi d'une dynamique d'ensemble qui ne va pas sans heurts.
C'est, somme toute, la problématique d'un Etat-territoire qui est cependant
presque partout assis sur des frontières perméables. Les ensembles sociaux bien
construits qui existaient avant le partage colonial se sont avérés difficiles à
scinder effectivement. De la plasticité de ces espaces sociaux résulte un
phénomène d'appartenances multiples face à l'Etat-territoire.
Dans le cas précis qui nous préoccupe, chacun des Etats se débat avec une
difficulté supplémentaire: pour l'Etat gambien, l'exiguïté et l'enclavement presque
total de son territoire; pour l'Etat sénégalais, la difficulté d'accès de sa région sud,
la Casamance (Diop et Diouf, 1990, p. 47). Ces difficultés font partie de
l'héritage colonial. Chacun des Etats les gère à sa façon, les deux se concertant
quelquefois. Dans cette situation, les différentes composantes des populations se
déploient elles aussi en fonction de leurs propres logiques qui tantôt se
confondent avec celles de l'un des Etats, tantôt s'opposent à celles des deux Etats.
Le cas gambien est, de ce point de vue, assez illustrateur (9). La solidarité
entre les différents membres de l'élite urbaine s'est forgée dans leur opposition
commune contre la chambre de commerce qui pratiquait une discrimination en
faveur des compagnies européennes (Langley, 1969), puis, contre
l'administration coloniale. Chez les chefs du protectorat, leur rapprochement
viendra pour une large part des initiatives prises par le Gouverneur. Après avoir
complètement dominé et refaçonné l'espace public, le gouvernement colonial
déploie, à partir de 1944 beaucoup d'efforts pour inculquer chez les chefs du
protectorat l'idée qu'ils sont gambiens et sujet de Sa Majesté. Des conférences
annuelles seront organisées par le Gouverneur qui convoque l'ensemble des chefs
et les exorte à faire des efforts pour se connaître. On leur fait découvrir le reste
du pays en changeant chaque année le lieu des conférences au cours desquelles
les ordres du Gouverneur leur sont bien sûr communiqués. C'est entre autres
choses en tant que "Gambiens", qu'ils sont invités à s'opposer à la vente
clandestine des produits alimentaires notamment le riz, en territoire "français". A
l'approche de l'indépendance, les membres de l'élite administrative urbaine sont
également convoqués à ces conférences où les chefs constituent déjà un corps
assez solidaire.
(9) Pour des développements plus longs sur la construction de l'Etat, la gouvernementalité et la
production d'un espace social gambien, lire notre thèse (Sall, 1991).
17
Sénégambie: territoires, frontières, espaces et réseaux sociaux
L'ethnicité ne constitue pas vraiment un facteur majeur de contradictions.
La "politisation de l'ethnicité" (Hughes, 1975), ne viendra en fait qu'avec les
luttes en vue de la succession d'Etat. L'élite manding plus récemment urbanisée
s'organise alors en un parti politique, le People's Progressive Party (PPP) et
mobilise la majorité rurale (Manding aussi à 40 %) pour s'opposer, dans un
même mouvement, aux colonisateurs et à leurs concurrents Wolof et Aku des
villes - descendants des captifs de la traite négrière affranchis et installés en
Gambie. Arrivé au pouvoir à la suite des élections de 1962, le gouvernement du
PPP limoge tous les chefs ruraux qui ne lui étaient pas favorables et travaille à
transformer le parti, alors parti "des peuples du protectorat" comme son premier
nom l'indiquait, en un parti national. Une politique systématique de cooptation
des dirigeants des autres partis et communautés est entreprise ainsi qu'une
"démocratie consociative", c'est à dire un gouvernement confié à un "cartel
d'élites" (Hughes, 1975 et 1983; Nyang, 1981; Lijphart, 1969).
Les remises en causes répétées de l'existence séparée de la Gambie - depuis
les tractations en vue de la cession de la colonie à la France, jusqu'à la
Confédération sénégambienne -, son indépendance tardive, les doutes exprimés
quant à sa viabilité et la politique de "grand voisin" pratiquée par les
gouvernements sénégalais de temps à autre, contribuent à renforcer le
nationalisme des élites gambiennes. Leurs intérêts économiques et politiques
immédiats feront le reste.
Ceci ne signifie pas l'absence de toute contradiction à coloration ethnique.
Le thème revient occasionnellement dans les propos tenus par les hommes
politiques. Néanmoins, derrière de tels propos se cachent souvent d'autres enjeux.
Ainsi, l'un des barons wolof du PPP, Lamin Saho, expliquera sa démission
fracassante en 1982 par le caractère "tribaliste" du gouvernement issu des
élections de la même année. En fait, le président Jawara était à l'époque engagé
dans une politique de rénovation du PPP (Makédonsky, 1987, vol. 2) et de son
gouvernement, notamment en cooptant les jeunes intellectuels de la Terri Kafo, à
majorité manding, association qui se reconnaissait jusque-là plus dans la
personnalité du dirigeant de l'opposition Shérif Dibba, que dans le PPP. D'autre
part, Saho n'admettait pas que quelqu'un d'autre plus jeune que lui et qui venait
de faire son entrée au PPP, Bakary Dabo, ait été nommé vice-président. Mais le
contexte - moins d'un an après le retour au pouvoir de Jawara après le putsch de
juillet-août 1981, et dans la perspective de la Confédération naissante - favorisait
la nomination de Dabo, ancien ambassadeur à Dakar, au poste de vice-président.
Au Sénégal aussi, la crise politique et sociale de ces dernières années a
entraîné entre autres choses, l'éveil de certaines sensibilités "ethniques" dues, en
partie, aux difficultés de l'intégration horizontale (Diop et Diouf, 1990).
D'une manière générale, le sous-espace Ouest souffre beaucoup moins des
problèmes d'ordre strictement "ethnique" que des problèmes économiques. Le
18
E. Sall
drame que vivent les Halpuaar'en de la Mauritanie (10) et la persécution de
certains Joola soupçonnés de séparatisme en Casamance constituent évidemment
des exceptions. Les boutiquiers beydane se font également rares dans une partie
du sous-espace depuis 1989. Quelque deux millions de Peul guinéens avaient
trouvé refuge notamment dans les autres pays du sous-espace pour échapper aux
politiques "socialistes" et à la persécution que Sékou Touré leur faisaient subir une forme de migration de "protestation" (Buijtenhuijs, 1991 p. 46). D'aucuns ont
pris le chemin du retour depuis 1984, notamment les grands hommes d'affaires
(Lambert, 1991). Sur ce plan, la Guinée Bissau se trouve aussi de temps en temps
"sous tension".
Cependant, dans tous les cas, les contradictions sociales ne sont pas
uniquement d'ordre "tribal" ou ethnique. Les crises de voisinage de 1989
résultent en partie des logiques et politiques conflictuelles, et ont révélé à la fois
les difficultés d'harmoniser le régionalisme par le haut avec le régionalisme par le
bas et les limites des expériences "de branchement des circuits étatiques [et ceux
de la classe de contrebandiers] d'accumulation sur les flux informels" du sousespace Ouest, comme ce fut le cas pour le Bénin et d'autres pays d'Afrique
également (Bach, 1991).
Les crises de 1989
L'année 1989 a été une année de crises dont les répercussions ont touché
l'ensemble du sous-espace Ouest, apportant une fois encore la preuve qu'on est en
présence d'un espace d'interdépendance. Quatre événements se sont succédés en
quelques mois:
- le conflit qui oppose le Sénégal à la Mauritanie en avril 1989 et les
rapatriements réciproques de ressortissants de chacun des pays ainsi que
l'expulsion, par la même occasion des Mauritaniens noirs à qui la nationalité
mauritanienne a été retirée de fait.
- le gel et l'éclatement de la Confédération sénégambienne en aoûtseptembre 1989, suivis d'une sorte de blocus économique autour de la frontière
sénégalo-gambienne.
- le différend frontalier qui opposait la Guinée Bissau au Sénégal en aoûtseptembre 1989. L'exploitation du gisement pétrolier offshore "Dome Flore" qui
est à cheval sur la frontière contestée servait de toile de fond.
- enfin, le regain d'activité des séparatistes casamançais.
Il s'agissait dans tous les cas, de problèmes dont les germes avaient été
semés bien avant 1989. Il existe une documentation abondante sur le conflit entre
le Sénégal et la Mauritanie, ainsi que sur la question de la Casamance.
L'expulsion de Mauritanie de dizaines de milliers de négro-mauritaniens et
l'exécution de centaines d'entre eux, en particulier halpulaar'en, sont intervenues
quelques années après l'abolition incomplète de l'esclavage (Africa Watch, 1990).
Le déclenchement de ces événements s'est fait après le conflit de frontière entre
(10) Voir les rapports de Amnesty International et de Africa Watch ces dernières années.
19
Sénégambie: territoires, frontières, espaces et réseaux sociaux
le Sénégal et la Mauritanie et relève d'une stratégie de confiscation des terres de
la vallée du fleuve Sénégal et, plus généralement, de "blanchiment"
(unblackenning) de ce pays entrepris par un gouvernement baathiste au
panarabisme primaire (Omaar, 1991; Omaar et Fleischman, 1991; Crousse, 1988;
Diop et Diouf, 1990) (11).
Les relations entre le Sénégal et la Guinée Bissau avaient déjà été affectées
par le refus, en août 1988, des pays de l'Union monétaire de l'Ouest africain
(UMOA) d'admettre la Guinée Bissau au sein de la zone franc. Ce pays en
voulait, semble-t-il, au gouvernement sénégalais de ne pas avoir suffisamment
soutenu sa candidature (La Lettre du Continent, 1/09/1989). Par ailleurs la
découverte du pétrole off-shore en 1983 avait attiré son attention sur la situation
frontalière de la zone pétrolifère. La Guinée Bissau formulait alors des
revendications et les deux pays avaient décidé en 1985 de s'adresser à un tribunal
arbitral dont le verdict, rendu public le 31 juillet 1989, favorisait le Sénégal
(Jeune Afrique, 11/09/1989). La Guinée Bissau l'ayant contesté, les armées des
deux pays se sont retrouvées pendant un moment - heureusement court - sur le
pied de guerre...
Le constat de non consommation du mariage confédéral sénégambien a été
fait en août 1989 par le président Diouf, la demande de divorce étant formulée
peu après par le président Jawara. Il faut croire que ce mariage était plutôt forcé.
Nous ne reviendrons pas ici sur tous les tenants et les aboutissants déjà évoqués,
du projet confédéral (1982-1989) ni sur les raisons de la crise. Nous avons
également abordé ailleurs (Sall, 1990) les conséquences de sa rupture sur les
échanges.
L'ensemble de ces crises a provoqué une montée des nationalismes dans les
différents pays. Le gouvernement sénégalais semble en avoir voulu au
gouvernement gambien pour la faiblesse de sa solidarité envers lui dans ses
difficultés avec la Mauritanie, la Guinée Bissau et la Casamance (cf. la non
extradition des séparatistes casamançais arrêtés en Gambie au début de l'année
1988), et pour avoir cherché, dans les faits à se retirer de la Confédération. Avec
la dissolution de celle-ci, la décision sera alors prise de renforcer le contrôle aux
frontières gambiennes. La contrebande devait s'arrêter. Le transit de la Gambie
vers les autres pays du sous-espace ou vice-versa fut rendu extrêmement
difficile. La Gambie ne fut plus approvisionnée en gaz et en lubrifiants par le
Sénégal. La sortie des francs CFA fut strictement contrôlée. Les officiers des
douanes sénégalaises furent déclarés "héros nationaux". Les véhicules - les "taxibrousse" et le service de bus de la Gambia Public Transport Corporation entre
Dakar et Banjul - ne pouvaient plus passer du Sénégal en Gambie ou inversement
comme ils le faisaient auparavant. Les routiers sénégalais qui prenaient la
(11) Pour une version mauritanienne officielle non seulement des faits mais aussi de l'histoire de la
Mauritanie, lire l'article de l'ambassadeur de la Mauritanie au Nigéria, Mouhamed Lemine Ould Kettab :
"Official Persecution", West Africa, 22-28 April 1991. Il s'agit d'une réponse à l'article de Rakiya Omaar
(1991), Directrice Exécutive de Africa Watch.
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E. Sall
traversée transgambia pour passer du Nord au Sud du Sénégal furent contraints
de faire le détour par Tambacounda, ce qui doublait le nombre de kilomètres à
parcourir. Le nombre de véhicules qui empruntaient le passage de transgambia,
alors qu'il atteignait quelquefois les 10 000 par mois, tomba à 6 732 en septembre
1989, (7 589 en octobre, 6 715 en novembre). Les variations saisonnières
n'expliquent pas entièrement ces baisses, car les bacs étaient plus grands, plus
rapides et plus modernes à cette époque. A partir de décembre 1989, une
remontée assez sensible est observée (8 445 en janvier 1990).
L'on a aussi tenté, mais sans grand succès, de détourner les frontaliers
sénégalais des marchés hebdomadaires qui se tenaient en Gambie en organisant
des "contre-marchés" dans les villages sénégalais les mêmes jours et à quelques
kilomètres des marchés gambiens. Or, ces marchés, points de passage il est vrai
d'une partie - mais peut-être pas la plus importante - de la contrebande, attirent
des gens et des produits de l'ensemble des pays du sous-espace Ouest. Dans les
comités qui les gèrent, tous les villages environnants sont représentés, quelle que
soit leur nationalité. De manière générale les populations estimaient que les chefs
d'Etat des deux pays pouvaient leur épargner "leurs histoires", et elles vivaient
mal les mesures de contrôle aux frontières.
On était alors loin de tout ce qui caractérise "le bon voisinage" (Pop, 1980).
La défense par chaque Etat d'abord de ses intérêts propres au détriment des
intérêts communs marque en général les relations interétatiques. Lorsqu'il s'agit
d'Etats voisins à dimensions très inégales, le "bon voisinage" prend un caractère
très particulier: par exemple, les relations que le Nigéria entretient avec ses
voisins immédiats (Nwokedi, 1985), et le rôle qu'il essaie de jouer actuellement
en Afrique de l'Ouest, ressemblent à celui que joue l'Inde dans l'océan Indien.
Dans les deux cas, les tentations de jouer les "grands voisins" sont très fortes.
Plus près de nous et à une échelle plus modeste, les visées sous-régionales des
pôles centraux des sous-espaces Centre et Ouest s'inscrivent dans la même
logique.
Les répercutions de ces crises sur les situations politiques et sur les
économies gambienne, sénégalaise et mauritanienne ont été assez importantes:
- en Gambie, le dalasi a perdu entre 5,8 et 8,3 % de sa valeur (selon les
marchés) lorsque les hommes d'affaires et boutiquiers beydane mauritaniens
quittèrent le Sénégal et, partiellement la Gambie en avril-mai 1989. Cette
dépréciation s'explique cependant par d'autres facteurs liés à la conjoncture :
raréfication de devises du fait de la fin des saisons touristique et arachidière et
nombreux départs en pèlerinage à la Mecque. Les restrictions aux échanges
sénégalo-gambiens ont entraîné, en outre, une dévaluation de fait du dalasi de
7,44 %. Le retour des Mauritaniens en Gambie et la reprise des échanges a
conduit à une réappréciation de la monnaie gambienne. De fait, les échanges
échappent largement au contrôle des Etats. L'Etat gambien lui-même se fait
"doubler" par les grands importateurs, comme en témoignent ses sursauts
occasionnels en vue de reprendre le contrôle du commerce extérieur.
21
Sénégambie: territoires, frontières, espaces et réseaux sociaux
- au Sénégal, le départ des Mauritaniens a entraîné la reprise en main du
petit commerce. Les nombreuses difficultés avec les pays voisins ont été
interprétées par certaines forces de l'opposition comme autant de signes de
faiblesse de l'Etat. Le gouvernement a alors essayé de rassembler la nation pour
partir à la reconquête de sa place de pôle régional. L'ouverture récente du
gouvernement à une partie de l'opposition et le changement complet d'attitude
vis-à-vis des séparatistes de la Casamance - passage de la répression sauvage à la
négociation - devraient simplifier cela.
- en Mauritanie, le président Ould Taya semble être parti à la reconquête de
l'appareil d'Etat. La manière expéditive dont l'équation démographique (Beydane
Négro-Africains) y a été réglée et la confiscation des terres de la vallée du fleuve
Sénégal ne faciliteront cependant pas l'avènement d'une paix interne juste, ni une
normalisation des relations avec le Sénégal.
*
*
*
L'absence de fortes tensions "ethniques" à l'intérieur des différents pays à l'exception de la Mauritanie et du Mali avec son problème touareg - s'explique
par la relative homogénéité du sous-espace. Les crises de ces dernières années
ont d'ailleurs opposé plus les Etats entre eux et les Etats et certaines composantes
de leur population que les différents segments de celle-ci - à l'exception du cas
sénégalo-mauritanien. Faut-il en déduire que les intégrations nationales sont
faites?
Nous avons essayé de montrer ici que l'existence des Etats centraux et
centralisateurs, l'existence des frontières, la redéfinition des espaces publics
amorcée par l'unification des centres de décision sous la colonisation et
poursuivie par l'Etat postcolonial, les interventions de celui-ci et les "luttes
d'accès" (Ibrahim, 1991) aux ressources économiques et non-économiques dont il
a le contrôle, etc., ont fortement participé au renforcement du référent national
par rapport aux autres. Une étude récente sur deux communautés haoussa des
deux côtés de la frontière entre le Niger et le Nigéria montre que les Haoussa de
chaque pays se sentent plus proches de leurs concitoyens Peul, etc., que des
Haoussa de l'autre côté de la frontière (Miles et Rochefort, 1991). Si le référent
national s'avérait également si fort dans nos villages - conclusion dépendant, bien
sûr, du moment et de la façon de mener l'enquête - il serait temps d'actualiser nos
approches de la question de l'intégration effective et de la transformation sociale
de la Grande Sénégambie.
L'homogénéité de l'espace global "grand-sénégambien" et la plasticité des
espaces sociaux particuliers relèvent d'une sorte de "contre-tendance
modératrice" par rapport au référent national. Les réseaux sociaux qui irriguent le
sous-espace Ouest vont également dans ce sens. La différence même des
22
E. Sall
monnaies et des politiques économiques, agricoles et douanières a participé à
l'intensification des échanges et au renforcement des interdépendances entre les
Etats du sous-espace. Ceux de la "queue d'aronde" sénégalo-gambienne le sont
encore plus. Les Etats et les différents groupes sociaux ont chacun leur manière
de gérer cette situation. Le bon sens serait au moins d'essayer d'harmoniser les
politiques et les stratégies.
En simplifiant à peine, on peut assimiler les rapports que les Etats et
groupes ou classes dominantes entretiennent avec tel ou tel autre groupe ou
classe à des tentatives de capture, - pour reprendre une notion qui a déjà fait
couler beaucoup d'encre - et "d'évitement". La "capture" permettrait de mieux
"diriger la conduite des hommes et des femmes" (Foucault 1989) et d'accumuler
(Mbembé, 1991). La particularité du cas gambien réside dans la volonté de l'Etat
gambien et de certains grands commerçants de la sous-région d'inscrire leurs
stratégies dans les dynamiques sociales sous-régionales, des dynamiques qui
traduisent pourtant entre autres choses une "déterritorialisation" de l'Etat (Bach,
1991).
Il n'en demeure pas moins qu'actuellement c'est l'ensemble du sous-espace
Ouest qui est "sous capture" et qui voit sa conduite dirigée par les grands
bailleurs de fonds. C'est dans ce contexte que les groupes dominants de chaque
pays essaient d'asseoir leur hégémonie.
Le "Traité d'amitié et de coopération entre la République du Sénégal et la
République de Gambie", signé à Banjul le 25 mai 1991 par les ministres
sénégalais et gambien des Affaires étrangères, MM. Ka et Sey, s'appuie entre
autres choses sur "la nécessité de développer et renforcer une coopération
privilégiée entre les deux pays". Ses deux objectifs sont de promouvoir "des
consultations et la coopération entre les deux pays" (dans des domaines à définir
ensemble), et "de renforcer et de consolider davantage la paix et la stabilité
sous-régionale." Djibo Kâ le caractérisait comme un "contrat de solidarité". Il
faudra lui trouver un répondant "par le bas".
Les principes de l'autodétermination non seulement externe, mais aussi
interne (Shivji, 1989) et de la démocratie sont plus que jamais à l'ordre du jour,
notamment en Afrique. Les projets sociétaux "nationaux" et celui d'une "Grande
Sénégambie des Peuples" (Barry, 1988), gagneraient à en tenir compte.
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Sénégambie: territoires, frontières, espaces et réseaux sociaux
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