Pour une relecture de l`Antigone comme tragédie du no

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Pour une relecture de l`Antigone comme tragédie du no
Pour une relecture de l’Antigone comme tragédie du nomos
Fabio Ciaramelli
University of Catania
[email protected]
Abstract
This paper would like to suggest that Antigone’s distance from moral, law and
politics – in different ways implicating a necessary reference to the universal – comes
from the peculiar stress on Antigone’s desire. In its singularity and uniqueness, in
its one-sidedness, and therefore in its very conflict with law and politics, Antigone’s
desire reveals itself as the last source of rights that social order cannot negate
without injustice. Because nomos can emerge only from this conflict, Sophocle’s
Antigone makes evident the instituted – and therefore contingent – character of
symbolic order, giving voice to its always possible alteration and stressing the
impossible elimination of conflict in human institutions.
L’ordre social, juridique et politique, ne peut pas assumer le registre du sens.
Il peut seulement en ménager les abords. Mais il est essentiel qu’il le fasse et
que pour le faire il sache de lui-même indiquer que par-delà la loi jaillit le
sens.
Jean-Luc Nancy, Fraternité
1
Doit-on chercher dans l’Antigone “une leçon de morale” ?
Dans les premières pages qu’il consacre à Antigone au cours de son séminaire
sur L’éthique de la psychanalyse, Jacques Lacan déclare : «Nous voici maintenant en
devoir d’entrer dans ce texte d’Antigone en y cherchant autre chose qu’une leçon
de morale». 1 Ce propos mérite d’être suivi, sans que cela impose de souscrire à la
direction générale de l’interprétation lacanienne qui fait d’Antigone l’incarnation du
“désir pur”, à savoir du désir de mort comme tel. 2 Il nous faudra revenir sur cette
réduction de l’action tragique à la loi d’un désir voué à sa propre destruction ; 3 on
verra que le refus d’Antigone de s’en tenir au kèrygma de Créon peut tout aussi bien
ouvrir d’autres voies à une réflexion sur l’ambiguïté du nomos et du désir, sans exclure
pour autant une implication réciproque et nécessaire de ces deux instances.
Toujours est-il que la remarque initiale de Lacan, quoi qu’il en soit de la fidélité de
sa propre interprétation aux potentialités ouvertes par cet aperçu, suggère d’entrée de
jeu d’éviter l’inscription hâtive du conflit mortel entre Antigone et Créon au registre
1 Lacan
1986, 292.
mène jusqu’à la limite l’accomplissement de ce que l’on peut appeler le désir pur, le pur et
simple désir de mort comme tel. Ce désir, elle l’incarne»(Lacan 1986, 328-9). Sur le “désir pur”, cf. Baas
1992.
3 Pour une discussion de le lecture lacanienne d’Antigone, voir Guyomard 1992, Butler 2000 et plus
récemment Honig 2013.
2 «Antigone
Metodo. International Studies in Phenomenology and Philosophy
Vol. 2, n. 1 (2014)
ISSN 2281-9177
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prétendument universel d’une “morale” opposée au statut conventionnel du nomos.
Recoupant forcément l’antinomie du naturel et de l’institué, une telle opposition finit
par considérer comme allant de soi l’appartenance immédiate de la “morale” à l’ordre
d’une “nature” précédant la contingence de l’“institution” humaine et abritant depuis
toujours les significations et les valeurs universelles que les comportements individuels
et sociaux n’auraient qu’à mettre en œuvre. C’est précisément cette préséance de la
“nature” et de sa régularité par rapport aux complications et à l’imprévisible affectant
la condition humaine que la remarque lacanienne invite d’emblée à mettre en question.
Il faut cependant reconnaître qu’il n’est pas facile de se détacher d’une lecture
puisant dans l’Antigone la “leçon morale” d’une subordination du nomos – chaque
fois différemment déterminé et par conséquent particulier – à un foyer universel
et originel du sens, seul à même de déjouer les risques d’arbitraire et d’injustice
menaçant toujours les délibérations humaines. Le schéma qui régit une telle lecture
classique s’impose presque spontanément à cause de la tradition vénérable à laquelle
il appartient et qui remonte à Aristote.
Dans le premier livre de la Rhétorique, le statut particulier de la loi chaque fois
posée dans les différentes sociétés humaines se distingue du statut universel de la loi
commune à tous les peuples : la seule qui puisse se réclamer du “juste par nature”,
indépendamment de toute institution ou convention humaine. C’est précisément dans
ce contexte qu’Aristote se réfère à Antigone. Voici ce qu’il en écrit : «Par loi (nomon)
j’entends d’une part la loi particulière (idion), de l’autre la loi commune (koinon) ; par
loi particulière, celle qui, pour chaque peuple, a été définie relativement à lui ; et cette
loi est tantôt écrite, tantôt non écrite ; par loi commune j’entends la loi selon la nature
(kata physin). Car ce qui est par nature de manière commune juste et injuste (physei
koinon dikaion kai adikion), tous les hommes le pressentent (manteuontai) même quand
il n’existe entre eux aucune communauté ni aucun accord ; c’est évidemment, par
exemple, ce dont parle Antigone dans Sophocle, quand elle affirme qu’il était juste
d’enfreindre la défense et d’ensevelir Polynice ; car cela est juste par nature (physei
on touto dikaion). ‘Loi qui n’est ni d’aujourd’hui, ni d’hier, qui est éternelle et dont
personne ne connaît l’origine’» .4
Dans le sillage d’une telle considération, tout un courant de la philosophie spéculative a hissé Antigone, comme le dit d’une manière solennelle et paradigmatique
Jacques Maritain, au statut «d’héroïne éternelle du droit naturel, que les Anciens
appelaient la loi non écrite, et c’est le nom qui lui convient le mieux».5
Il est vrai qu’un tel recoupement du droit et de la loi, suggérant une sorte d’équivalence entre ius naturale et lex naturalis, a été critiqué et réfuté, dans le sillage de cette
même tradition,6 par un philosophe et historien du droit comme Michel Villey, pour
lequel il est, en toute rigueur, impossible d’étayer sur Antigone – dont la révolte contre
l’édit du tyran fait toujours appel à la conscience ou à la religion, mais jamais à la
nature – une véritable référence au droit naturel. D’où sa prise de distance et son refus
de faire d’Antigone une prêtresse du jus-naturalisme : «Pourquoi tant de rhéteurs
se croient-ils, à propos de droit naturel, obligés de citer Antigone ? Contre les ordres
du tyran, les vers d’Antigone en appellent à Zeus et à la Dikè, à la conscience, loi
non écrite : et pas du tout à la nature. Si quelqu’un dans cette tragédie représente le
4 Rhétorique I,13, 1373 b 4-13, qui renvoie à Sophocle, Antigone v. 456-457. Aristote revient sur la question
dans Rhétorique 1375 a 33 sq.
5 Maritain 1988, 657.
6 Cf. aussi, quoique basées sur des présupposés complètement différents, les réserves de Simone Weil :
«C’est par une singulière confusion qu’on a pu assimiler la loi non écrite d’Antigone au droit naturel»(Weil
1957, 25, cité par Gabellieri 2003, 459).
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droit naturel, ce serait la douce Ismène, laquelle fait reproche à sa sœur de s’opposer à
la nature, à la nature féminine, en voulant se dresser toute seule contre la force du
destin».7
Cependant, ces réserves de Villey, qui relèvent essentiellement d’une querelle
interne au thomisme,8 malgré l’évaluation différente de la figure d’Antigone qu’elles
proposent, s’abstiennent de toute mise en question de l’«idée classique de droit naturel»,
basée sur «l’existence d’un donné naturel proto-juridique, strictement objectif, antérieur
et supérieur à toute construction humaine», et par conséquent «ontologiquement
premier».9 Une telle mise en question s’avère pourtant incontournable pour bien saisir
le propre de la tragédie en tant qu’institution de la polis démocratique ,10 ainsi que
pour rendre justice à la résistance acharnée mais radicalement singulière de l’héroïne,
dont la désobéissance au pouvoir établi exclut toute subordination à n’importe quelle
instance universelle.11 Dans les deux cas, il est impératif d’abandonner l’horizon
ontologique de tout devoir-être – qu’il soit “naturel”, “moral” ou “religieux” – qui
précèderait et fonderait l’ordre socialement institué.
2
Il n’y a aucune “solution” juridique ou politique se dégageant de
la pièce
S’il est vrai, comme on vient de voir, qu’il ne faut pas entrer dans le texte de Sophocle
pour y chercher une “leçon de morale” et qu’il faut en même temps le soustraire à
l’emprise du “droit naturel", puisque dans les deux cas la prétention d’universalité
finirait par annuler la singularité de l’action tragique,il est tout aussi vrai qu’à travers
l’Antigone “l’instruction par le tragique” 12 force le discours philosophique à reconnaître
la fragilité et l’indétermination des affaires humaines et par conséquent l’inexistence
d’une conclusion dernière des débats politiques ainsi que d’une issue définitive des
conflits qui les déchirent. Comme l’a écrit Juan-Ramón Capella, «n’importe quelle
décision politique, indépendamment des moyens par lesquels elle a été légitimée,
reste ouverte à la critique, et il peut éventuellement lui arriver d’être considérée
comme illégitime. Il faut toujours pouvoir douter même des décisions légales, car
celles-ci, pour être conformes à la loi, ne peuvent pas moins se révéler illégitimes.
Tout cela est aussi vieux que l’Antigone de Sophocle».13 Autrement dit, l’instruction de
la philosophie par le tragique concerne le statut essentiellement non-clôturable – et
donc virtuellement illimité – de l’interrogation portant sur la justice des lois et des
délibérations politiques d’où elles dérivent.
Dès lors, ce sont précisément l’«échec absolu et réciproque» par lequel se solde la
pièce ainsi que les «apories juridiques» et les «paradoxes politiques» qu’elle soulève,
7 Villey
1962, 123 ; cf. Bauzon 2003, 110-1.
mise au point de la question dans un ouvrage récent de L.Milazzo sur le fondement théologique
du droit chez Saint Thomas : cf. Milazzo 2003.
9 De Bechillon 1994, 54.
10 Cf. Meier 1991.
11 Sur la “conspiration” d’Antigone comme clef de lecture “agonistique” de la pièce qui puisse la soustraire
à une lecture humaniste et “maternaliste” la réduisant au deuil et en refoulant ses implications politiques et
conflictuelles, l’on se référera aux analyses puissantes et originales de Bonnie Honnig dans le dernier grand
livre sur Antigone : cf. Honig 2013.
12 Tournure qui revient souvent sous la plume de Paul Ricœur dans l’admirable Interlude sur “Le tragique
de l’action”, entièrement consacré à l’Antigone, au seuil de la neuvième et avant-dernière étude de Soi-même
comme un autre : cf. Ricœur 1990, 280-290.
13 Capella 2007, 84.
8 Bonne
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qui autorisent à conclure que «nulle ‘solution’ politique ou juridique ne s’en dégage».14
L’étude détaillée de l’Antigone menée par François Ost dans son livre sur les sources de
l’imaginaire juridique – qu’il repère essentiellement dans les mythes et les archétypes
de la littérature universelle – montre bien que le conflit mortifère entre l’héroïne et
Créon est construit sur le paradoxe tragique d’une composition à la fois impossible
et nécessaire entre le “droit en vigueur” (l’édit de Créon) et le “droit idéal”(les
principes inébranlables d’Antigone) : c’est ainsi, en effet, qu’il reformule la dichotomie
traditionnelle entre “droit positif” et “droit naturel”. Cependant, au lieu d’opter pour
l’un ou pour l’autre ou, du moins, de «hiérarchiser leurs exigences respectives», Ost
propose de «s’aviser à ce que, relevant précisément de l’idéal, le droit idéal n’a pas
vocation à se substituer au droit en vigueur – il en est plutôt l’horizon ultime, la face
cachée, l’exigence éthique qui ne cesse d’en creuser les prescrits. Or, pas plus qu’on ne
se débarrasse de son ombre, le droit en vigueur ne pourra jamais prétendre se passer
du droit idéal, par exemple parce qu’il en aurait intégralement satisfait les valeurs»
.15 Il suit de là que si le droit en vigueur appartient de toute évidence à l’ordre de
l’institué, «le droit idéal est instituant».16 Aucun des deux ne peut se passer de l’autre,
aucun des deux ne peut résoudre le conflit tout seul.
Ce serait une singulière erreur de ne considérer "l’instruction par le tragique" qu’au
regard du statut intraitable du conflit. Plus profondément, l’enjeu de la pièce consiste à
évoquer cet en deçà de l’institué d’où jaillit le sens et qui fait surgir et permet de laisser
interminablement ouvert le débat sur la justice des décisions juridiques et politiques. La
tradition spéculative depuis Aristote s’est empressée de déterminer ontologiquement
le fondement du nomos (dans sa double acception de coutume/usage/convention et
de loi posée par le pouvoir établi) comme l’ordre stable et régulier de la “physis” qui
le précède ; mais en réalité, même chez Aristote les choses sont à la fois beaucoup
plus souples et plus compliquées. Il suffit d’analyser dans ses implications radicales
le petit passage bien connu du cinquième livre de l’ Ethique à Nicomaque où il dit
qu’il y a plusieurs politeiai– au sens général de constitutions politiques – «mais une
seule est partout la meilleure selon la nature (alla mia monon pantochu kata physei
è aristè».17 Cet ajout adversatif – si on le prend au sérieux – ébranle la conception
aristotélicienne de la “nature” et montre qu’à l’intérieur du domaine humain, les
composantes fondamentales de la physis aristotélicienne se disloquent.
Rappelons-nous que pour Aristote la physis comporte une dimension téléologique et
normative, qui va de pair avec son accomplissement effectif dans la réalité empirique.
Par conséquent, la physis des étants naturels définit aussi leur ‘normalité’ : sauf
aberration, l’étant naturel accomplit son telos. Cette régularité de la physis en est donc
l’effectivité prédominante : or, c’est exactement à cet égard que les actions humaines
constituent une exception. Aristote, en effet, prend soin de distinguer l’action [praxis]
de la production [poiesis] 18 : cette dernière est régie par un modèle idéal qui la précède
et qu’elle se doit de mettre en œuvre ; par contre l’action n’a pas de telos extérieur
qu’elle aurait à réaliser. Il en résulte que dans le domaine humain, l’accomplissement
réussi de la praxis n’est pas ontologiquement fondé. Par conséquent, l’action au sens
de la praxis irréductible à la poiesis fait vaciller la conception téléologique et normative
de la physis, caractérisée par la présence de repères déterminés et inébranlables, qui
14 Ost
2004, 176.
2004, 178-9.
16 Ost 2004, 180.
17 Eth. Nic. V 1135 a 5.
18 La reprise de la différence aristotélicienne entre poiesis et praxis est au cœur des analyses des activités
humaines par Hannah Arendt, qui y distingue labor, work et action (cf. Arendt 1983).
15 Ost
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font défaut à l’expérience humaine dans la polis .19
Revenons maintenant à la politeia. S’il y a une seule constitution politique qui “selon
la nature (kata physei)” s’avère être partout la meilleure, force est de constater qu’elle
manque d’effectivité, car personne n’a jamais rencontré une politeia qui accomplirait
son essence naturelle. Au contraire, toutes les poleis existantes sont défectueuses.
Précisément parce qu’une seule constitution politique est partout la meilleure, et que
toute constitution effective doit inévitablement exister quelque part, la seule qui serait
telle “selon la nature”, n’existe nulle part.
Dès lors, l’expérience concrète de la praxis humaine dans la polis diffère radicalement
de la déterminité préalable et universelle régissant d’après l’ontologie aristotélicienne
le mode d’être des étants “naturels”. La polis est en effet une réalité irréductible à toutes
les réalités qu’on peut ramener à la régularité de la physis : celles-ci, à l’exception des
monstres qui sont “contre nature (para physin)” (tel par exemple un cheval à cinq pattes),
dans leur propre exercice d’être, réalisent la finalité qui constitue leur “nature”. La polis
démocratique, par contre, s’il est vrai qu’elle ne saurait exister sans loi, c’est elle-même
qui pose - et se donne - ses lois ; et pour le faire, dans son activité instituante, elle n’a à
“imiter” aucun modèle donné au préalable, qui serait ontologiquement premier (voilà
pourquoi Platon est un adversaire acharné de la démocratie). Cependant, une fois la
polis instituée, la teneur de sa constitution politique (politeia) peut et doit être évaluée :
mais le critère de jugement qui préside à cette évaluation, ne pouvant faire référence à
aucun étalon ontologique donné au préalable, se doit d’acquérir le statut d’un projet
humain : c’est là qu’intervient la référence à la seule constitution politique qui partout
est la meilleure (mais qui ne se rencontre nulle part).
S’il y avait – avant l’action – un univers de règles déjà données que les êtres humains
agissants devraient se borner à mettre-en-œuvre, il n’y aurait plus de praxis. Dès
lors, la poiesis (la production ou fabrication) serait la seule forme d’activité humaine,
et la tragédie deviendrait superflue et dangereuse. Cette exclusion conjointe de la
praxis (constituant l’activité fondamentale du bios politikos) et de la tragédie (en tant
qu’institution fondamentale de la polis démocratique) est au centre de la première
philosophie politique, celle de Platon.20 Dans la Cité platonicienne de la République et
encore plus dans la Cité des Lois, la forclusion de la fragilité de la praxis au profit d’une
fabrication concertée va de pair avec la mise au ban des poètes tragiques. L’argument
principal dans la dénonciation parallèle de la démocratie et de la tragédie par Platon
est «l’invocation du principe de la spécialisation artisanale»,21 qui régit la réplique
du vieil Athénien aux poètes tragiques dans le livre VII des Lois. Et Taminiaux de
commenter : «Ce que la réplique du vieil Athénien ne dit pas, mais qu’elle présuppose,
à coup sûr, c’est d’abord que la tragédie, telle qu’elle existait depuis Eschyle, est, pour
lui, devenue superflue précisément parce qu’elle imitait la praxis, laquelle par essence
résiste aux procédures de la fabrication, tandis que celles-ci dans la Cité des Lois
régissent l’existence tout entière, de sorte que la praxis interlocutoire et plurielle, et sa
fragilité foncière, y ont été purement et simplement éliminées : l’action y est abolie et
métamorphosée en comportements conformes à des normes».22
La polis n’est pas le produit d’une fabrication collective, mais l’aboutissement des
interactions humaines ; c’est pourquoi elle ne trouvera pas dans la finalité normative
de la physis le modèle accompli et réalisé de son excellence. L’interrogation sur la
19 Cf.
Castoriadis 1978, 275-87.
ce qui suit je me réfère essentiellement à l’analyse magistrale du “théâtre des philosophe” par
Jacques Taminiaux (Taminiaux 1995).
21 Taminiaux 1995, 28.
22 Taminiaux 1995, 30.
20 Dans
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206
justice des lois n’a pas de conclusion possible, c’est qu’elle ne vise pas une “qualité
intrinsèque” à chacune d’elles, qui pourrait être inférée à partir d’une unité de mesure
extérieure à l’action politique, mais renvoie au rapport de la société elle-même à ses
propre lois.23 Pour bien saisir le propre de l’Antigone, il convient donc de recentrer
le statut de la morale, du droit et de la politique à partir du pathos de la singularité
agissante. Mais pour le faire, il faudra se pencher sur le jaillissement du sens qui les
précède dans les interactions humaines au sein de la pluralité.
3
Les nomima d’Antigone et le kèrygma de Créon
La figure d’Antigone permet d’évoquer cette dimension instituante de l’humain
qui d’un côté se révèle irréductible à la physis mais qui, de l’autre côté, se situe à
l’écart de l’ordre juridique et politique du nomos. C’est vers cet en deçà pré-logique
et en quelque sorte pré-social, mais déjà tout à fait humain, et non pas simplement
“naturel”, dans la mesure où il est traversé par le pathos de la pluralité, que fait signe
d’une manière obstinée ce qu’on a pu appeler le “silence d’Antigone”.24 Sa parole, en
effet, se situe dans un retrait radical eu égard au logos.
Une remarquable élucidation du statut ‘impolitique’ de la parole d’Antigone est
au cœur d’un très beau petit texte de Massimo Cacciari, publié en avant-propos de sa
traduction de la pièce, dont on se limitera à citer ce passage :
Antigone ne s’oppose pas du tout au logos de Créon, pour déraisonnable qu’il
lui apparaisse. On pourrait aussi aisément penser qu’elle en a même entendu la
‘raison’. Mais cette raison serait de toute façon à ses yeux tout à fait étrangère et
impuissante. Si l’on interprète le conflit entre les Deux comme un conflit intérieur
à la sphère du droit ou de l’éthique ou de la politique, l’on rate complètement la
cible. Sophocle en a l’intuition ‘avec crainte et tremblement’ : Antigone ne vise pas
à ‘réformer’ le pouvoir de Créon, à le rendre plus respectueux des traditions ; elle
ne cherche pas de composition plus ou moins honorable entre le droit positif de
l’Etat et la pietas domestique. Elle ne revendique ni un nouveau droit ni un nouvel
ordre politique. La parole d’Antigone manifeste une altérité radicale à l’égard de
toutes ces dimensions du logos. En cela précisément consiste sa ‘démesure’, que le
Chœur remarque tout de suite.25
L’unicité d’Antigone tranche précisément sur l’ordre du nomos. Dans son «extranéité
absolue au commandement des lois» 26 - une extranéité plus forte et radicale qu’un
simple conflit, qu’on peut toujours espérer résoudre - elle fait place à l’événement
du sens, que l’ordre social, juridique et politique ne saurait assumer, mais où leurs
contours s’esquissent. Car le nomos – et tout ce qui est nécessaire à l’ordre de la polis
– trouve dans le retrait “impolitique” qui abrite la parole d’Antigone sa “naissance
latente”, à savoir l’indication de ses limites et donc, à la fois, de son altération toujours
possible.
Franchir les limites de l’ordre socialement institué, du commandement politique,
du pouvoir établi ; rendre évident le caractère institué – et donc contingent – de l’ordre
symbolique du nomos ; ouvrir la polis à la question non-clôturable de sa justice : c’est
bien à tout cela qu’invite l’appel d’Antigone aux nomima (vers 456) non écrits, qu’elle
invoque à la place du décret de Créon. C’est la seule fois qu’on retrouve ce mot
dans la pièce. Dans son analyse du «langage juridique» de la tragédie, F. Ost fait
23 Cf.
Quiriny 2008, 31.
Punzi 2009, 157 sq.
25 Cacciari 2007, VIII-IX.
26 Cacciari 2007, IX.
24 Cf.
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remarquer que «dans le vocabulaire de Sophocle, les nomima sont les lois d’origine
divine, inscrites dans la conscience des justes : il mettra le mot également dans la
bouche d’Electre, autre femme d’exception révoltée contre l’injustice».27 Les nomima
d’Antigone – semblables en cela aux nomoi évoqués par le chœur de l’Œdipe Roi 28 –
font signe vers un passé immémorial. Il s’agit de lois non écrites (agrapta : v. 455), qui
donc ne présupposent pas une délibération consciente et intentionnelle. L’enveloppe
mythique de leur origine renvoyant aux dieux de la cité et de la tradition grecque fait
signe vers «une source de l’institution qui se situe au-delà de la conscience lucide des
hommes comme législateurs» 29 .
Mais, comme le remarque S. Tzitzis, cela ne signifie pas que les lois d’Antigone
se fondent sur la régularité de la nature, puisqu’au contraire elles ont un statut
«positif»,dans la mesure où elles renvoient aux coutumes communes chez les Grecs 30 et
«montrent les devoirs du kalos kagathos politès».31 Le conflit mis en scène dans la pièce a
lieu entre deux manières irréductibles d’entendre les devoirs des citoyens à l’intérieur
de la polis. Pour Créon, les décisions du législateur sont souveraines, illimitées et il
faut y obéir sans discussion ; pour Antigone, ces mêmes décisions doivent respecter
les lois non écrites, concernant dans ce cas la sépulture d’un conjoint, qui constituent
dans le monde grec un devoir coutumier et traditionnel imprescriptible. Encore faut-il
reconnaître, ne fût-ce qu’entre parenthèses, que même si Antigone en appelle aux lois
non écrites de la sépulture des conjoints, elle affaiblit considérablement la force de
cette référence à la tradition religieuse et coutumière, en avançant, dans le fameux
passage (vers 904-912) qui déplaisait à Goethe et qui reste obscur dans beaucoup
d’interprétations, qu’elle ne pouvait pas éviter d’ensevelir Polynice parce qu’un frère
est irremplaçable, une fois les parents disparus, et que la situation eût été différente
s’il s’était agi d’un mari ou d’un fils. «Assurément, comme le remarque Castoriadis,
ni la loi humaine ni la loi divine sur l’enterrement des morts ne reconnaîtraient une
telle distinction. De surcroît, ici comme partout ailleurs dans la pièce, plus encore
que le respect de la loi divine, c’est l’amour passionné d’une sœur pour son frère qui
s’exprime dans la bouche d’Antigone».32
Quoi qu’il en soit de cet argument controversé, du moment que le conflit entre
Antigone et Créon se joue à l’intérieur de l’ordre socialement institué, Créon commet
l’illicite, «non parce qu’il enfreint quelque loi divine», mais – pour le dire en langage
juridique moderne – «parce qu’il attente au Droit constitutionnel non-écrit de la Cité
grecque».33 Dans ce sens , comme l’a indiqué George Steiner, en faisant sienne une
remarque de Charles Maurras, Créon aurait tort parce que son édit contre Polynice
«n’est pas ‘constitutionnel’. C’est cette usurpation qui fait la différence entre le despote
et le roi véritable».34
A la lumière de cette remarque, le kèrygma de Créon devrait se lire à l’instar d’une
loi ordinaire susceptible d’être considérée comme illégitime à l’aune de principes
d’ordre supérieur. Les nomima non écrits joueraient dans la pièce le rôle que dans nos
27 Ost
2004, 171, qui renvoie à Electre, v. 1095-1096.
lois [nomoi] les plus hautes, nées dans l’éther céleste, dont l’Olympe seul est le père, qui n’ont pas
été engendrées par la nature mortelle des hommes et qu’aucun oubli jamais n’endormira ; car en elles gît un
grand dieu, qui ne vieillit pas», Oedipe Roi, v. 865-871. Cf. aussi Œdipe à Colone, v. 1383.
29 Castoriadis 1975, 183.
30 Tzitzis 1988, 246.
31 Tzitzis 1988, 254.
32 Castoriadis 1986, 301.
33 De Bechillon 1994, 66.
34 Steiner 1986, 206. Tzitzis 1988, 259 rappelle aussi l’opposition entre “droit légal” et “droit coutumier” à
laquelle Jean Carbonnier reconduisait le sens véritable de la révolte d’Antigone à l’édit de Créon.
28 «Les
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démocraties constitutionnelles jouent les Constitutions rigides. Une lecture semblable
inspirait en Italie dans l’immédiat après-guerre et au lendemain de la Constitution
républicaine un juriste et homme politique comme Piero Calamandrei dans ses
références “militantes” aux lois d’Antigone.35 Aujourd’hui encore les riches analyses
de Gustavo Zagrebelsky renvoient au même schéma. Le célèbre auteur du Droit en
douceur,36 invite à considérer, dans plusieurs interventions sur l’Antigone parallèles à
la revendication du caractère irréductible de la Constitution à l’ordre de la loi et à son
inscription au champ du ius,37 l’appel d’Antigone aux nomima comme une référence
nécessaire à des principes juridiques supérieurs, éventuellement capables de corriger
la loi instituée, si elle devient arbitraire et donc potentiellement tyrannique.38
Les nomima d’Antigone se différencient du nomos qui au cinquième siècle était
devenu, pour le dire avec Aldo Schiavone, «un mot chargé d’idéologie», qui désignait
«un paradigme de souveraineté» impliquant l’expérience de la démocratie et celle de
l’écriture comme communication politique : loi, écriture et laïcité allaient de pair, dans
l’effort pour «opposer la certitude de la cognoscibilité et de la stabilité à l’arbitraire
d’une règle religieuse ou coutumière, manipulable à volonté par les détenteurs du
pouvoir».39 C’est cette souveraineté prétendument dernière du nomos qu’Antigone met
radicalement en question. Pour elle, le nomos comme souveraineté du commandement
politique n’a pas le dernier mot : il est mis en demeure de trouver «sa légitimité, mais
aussi sa limite, dans le respect des exigences de la Dikè, l’équité, la justice traditionnelle
et non écrite des dieux qu’expriment les règles coutumières les plus fondamentales
(nomina)».40 En deçà de l’activité consciente d’institutionnalisation, en dehors de
son autorité considérée comme allant de soi, l’ordre socialement institué plonge ses
racines dans un instituant qui en montre les limites et qui permet de laisser ouverte
l’interrogation sur sa légitimité.
4
L’hybris et ses implications philosophiques
Le conflit qui oppose Antigone et Créon se joue donc intégralement à l’intérieur
du domaine humain où se déroule la praxis, mais où en même temps se pose aussi
la question de ses limites. Lire la pièce de Sophocle comme si Antigone s’opposait
à Créon au nom du droit naturel et de ses principes universels de justice revient à
escamoter le vrai sujet de la tragédie qui, ici comme toujours dans la tragédie classique,
est l’hybris, l’excès ou la démesure de l’action humaine, la méconnaissance de ses
limites, ou, pour le dire plus précisément, l’échec de son auto-limitation. L’hybris a
bien entendu des implications morales, c’est-à-dire qu’elle a affaire à l’action et retentit
donc sur le comportement concret des êtres humains : mais elle ne présuppose aucune
“morale” – au sens d’un code préalablement donné de règles de conduite – et surtout
ne se réduit pas du tout à l’enfreinte à une ou plusieurs normes établies. Raisonner
comme si l’hybris – à l’instar du péché de la tradition hébraïco-chrétienne – équivalait
à la transgression d’un interdit, impliquerait la présupposition d’un corpus de normes
de conduite, qui cependant ne préexistent pas à l’action.
Il ne faut pas se laisser abuser par l’usage du terme hamartia dont le sens peut varier :
35 Cf.
maintenant Calamandrei 2004.
Zagrebelsky 2000.
37 Cf. par exemple Zagrebelsky 2008, 127. D’où le véritable «pari du constitutionnalisme», à savoir «la
capacité de la Constitution, posée comme lex, de devenir ius» (p. 126).
38 Cf. Zagrebelsky 25 giugno 2003, Zagrebelsky 2006 et Zagrebelsky 2008, 51-72.
39 Schiavone 2005, 77.
40 Ost 2004, 172.
36 Cf.
Metodo. International Studies in Phenomenology and Philosophy
Vol. 2, n. 1 (2014)
Pour une relecture de l’Antigone
209
si, dans le grec du Nouveau Testament, il indique le "péché", à savoir la transgression
de la Loi divine ,41 dans la Poétique (52 a) aristotélicienne il désigne la "méprise" dont
traite la tragédie. Pour Aristote, à l’opposé de Platon, il y a une véritable instruction
par le tragique. Comme l’a écrit Jacques Taminiaux dans son analyse de la résistance
d’Aristote au refus spéculatif de la tragédie par Platon, «l’intrigue tragique est porteuse
d’enseignement parce qu’elle atteste l’impossibilité de réduire l’action, qui est toujours
interaction en même temps qu’interlocution, à l’application technique d’un savoir
acquis ou à la mise-en-œuvre de modèles évidents».42 Dans ce contexte,«l’hamartia –
littéralement rater la cible – est toujours possible. Le personnage tragique est celui
qui, se tenant dans l’intervalle de l’èthos (ensemble de bonnes habitudes et d’options
en faveur du bien-agir) et de l’eudaimonia, entre-deux qu’habitent tous ceux qui
interagissent, est à la merci de ce raté qui fait que sans mériter son infortune elle est
cependant de son fait. Conjurer l’hamartia toujours possible en laquelle viennent se
précipiter les avatars de la tuchè, voilà donc selon Aristote la leçon que la tragédie
prodigue aux citoyens assemblés, et ce par le canal d’une pitié – cela n’est pas mérité –
et d’une crainte – cela pourrait m’arriver – qui l’une et l’autre sont facteurs de lucidité».
43
Cette dimension praxéologique essentielle à la tragédie, amène Taminiaux à prêter
attention à la phronèsis qui, en tant que «perspicacité délibérative, foncièrement
temporelle et particularisée, englobant l’ensemble de la vie et liée à une pluralité»,44
constitue une vertu intellectuelle entièrement «référée à l’espace des apparences et à
la praxis qui s’y inscrit».45 La phronèsis est exactement ce qui «se dessine en creux dans
la description de l’intrigue qu’Aristote tient pour l’imitation proprement tragique
de la praxis. Rendant droit à toute la fragilité de la praxis interlocutoire et plurale, la
mesure, elle-même fragile, de la phronèsis serait alors la seule conjuration possible de
l’hamartia».46
Cette absence de repères universels, auxquels les individus agissant dans l’espace
public de la cité devraient se conformer, constitue la prémisse ontologique radicale
de la tragédie. Celle-ci est en effet une création de la démocratie, en tant que «régime
qui risque de son propre fait. La démocratie n’est pas garantie contre elle-même. Les
autres régimes ne connaissent pas le risque, ils sont toujours dans la certitude de la
servitude. Ils ne sont pas plus que la démocratie garantis contre eux-mêmes – mais
ils garantissent à tous l’esclavage».47 A l’instar de l’action individuelle, irréductible à
la mise-en-œuvre d’un modèle idéal donné au préalable, la démocratie est l’activité
collective où la l’institution des lois naît uniquement de l’interlocution conflictuelle
des citoyens. La notion d’autonomie et celle d’autolimitation s’imposent ici en même
temps : étant la source de ses propres normes, la cité ne saurait se dérober devant
la question des limites de sa propre activité autonome. «Dans une démocratie, le
peuple peut faire n’importe quoi – et doit savoir qu’il ne doit pas faire n’importe quoi.
La démocratie est le régime de l’auto-limitation ; elle est donc le régime du risque
historique – autre manière de dire qu’elle est le régime de la liberté – et un régime
tragique. Le destin de la démocratie athénienne en est une illustration».48 Dans ce sens,
la tragédie se précise comme une «institution d’auto-limitation. On a pris l’habitude
41 Il
suffit d’évoquer le célèbre chapitre VII de l’Epître aux Romains.
1995, 55.
43 Taminiaux 1995, 58.
44 Taminiaux 1995, 68.
45 Taminiaux 1995, 65.
46 Taminiaux 1995, 68.
47 Castoriadis 2004, 297.
48 Castoriadis 1986, 296.
42 Taminiaux
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Fabio Ciaramelli
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de parler de ‘tragédie grecque’, alors qu’il existe seulement une tragédie athénienne. La
tragédie (par opposition au simple ‘théâtre’) ne pouvait en effet être créée que dans la
cité où le processus démocratique atteignit son apogée» 49
Irréductible au péché chrétien, l’hybris suppose «l’imprécision fondamentale des
repères ultimes de nos actions» ; par conséquent, elle n’existe que «lorsque l’autolimitation est la seule ‘norme’, quand sont transgressées des limites qui n’étaient nulle part
définies».50 Cette place capitale de l’hybris dans l’imaginaire grec amène Castoriadis
à conclure que «la Grèce est d’abord et avant tout une culture tragique. [. . . ] Ce
qui fait la Grèce, ce n’est pas la mesure et l’harmonie, ni une évidence de la vérité
comme ‘dévoilement’».51 Bien au contraire, «l’assise ontologique» de la tragédie est la
dés-occultation du Chaos, de l’Abîme, du Sans-Fond d’où émerge l’être humain 52 .
Finalement «ce que la tragédie donne à voir à tous, non pas ‘discursivement’, mais par
présentation, c’est que l’Etre est Chaos».53
5
L’affection originaire par la pluralité
Antigone et Créon ne sont pas les représentants singuliers d’une mise-en-œuvre
plus ou moins réussie ou plus ou moins ratée d’un étalon idéal. Ce sont des individus
agissants. C’est précisément la singularité de leur action – et son “tragique”– que refoule
la référence normative au jus-naturalisme. En effet, si Antigone était l’incarnation du
droit naturel, Créon finirait par jouer le rôle du despote tyrannique et inhumain ; dans ce
cas, il devrait être le seul “coupable”. Mais une telle conclusion, assez simpliste, fausse
complètement le sens de la pièce. Il n’est pas nécessaire de souscrire à l’interprétation
hégélienne 54 pour reconnaître que Créon, lui aussi, a ses raisons, et qu’Antigone,
comme le chœur le remarque (v. 383), est la proie d’une véritable folie. «L’insistance
sur l’opposition évidente – et assez superficielle – entre les lois humaine et divine
oublie que pour les Grecs enterrer les morts est aussi une loi humaine – au même titre
que défendre son pays est aussi une loi divine (Créon le dit explicitement)».55 Antigone
et Créon sont tous les deux incapables de «tisser ensemble (pareirôn) les lois de la
cité (nomous khtonos) avec le jugement/justice des dieux, garanti par le serment (theôn
enorkon dikan)», comme le dit encore Castoriadis 56 en citant le vers 369 du célèbre
hymne à la gloire de l’homme. Finalement Créon n’est pas le seul à devenir apolis par
audace exagérée, par insolence et par arrogance (tolmas kharin) ( v. 370-371).
Comme le rappelle George Steiner, Créon et Antigone sont profondément ressemblants, sans que cela atténue leur conflit, car «tous deux sont des auto-nomistes, des
êtres humains qui ont pris la loi entre leurs propres mains».57 Chacun des deux se
rapporte aveuglement au nomos d’une manière auto-référentielle et auto-centrée : issue
d’autant plus tragique, que l’un et l’autre manquent de cette phronèsis à laquelle se
réfèrent, pour la glorifier, les derniers vers du chœur : «La sagesse (to phronein) est de
beaucoup la première source de bonheur : il ne faut pas être impie envers les dieux.
Les paroles hautaines, par les grands coups dont les paient les gens orgueilleux, leur
49 Castoriadis
1986, 299.
1986, 297.
51 Castoriadis 2004, 278.
52 Cf. Castoriadis 1986, 364.
53 Castoriadis 1986, 299.
54 Je ne peux pas analyser en détail l’interprétation hégélienne de l’Antigone. Je me borne à renvoyer, pour
une présentation d’ensemble, à Voltaggio 2013 et pour une discussion critique à Taminiaux 1995, 69-119.
55 Castoriadis 1986, 301.
56 Castoriadis 1999, 25. Sur tout cela cf. Klimis 2004.
57 Steiner 1986, chap. 2, §6.
50 Castoriadis
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Pour une relecture de l’Antigone
211
apprennent, mais seulement quand ils sont vieux, à être sages» (v. 1347-1354). C’est
d’ailleurs en cela que consiste le reproche du chœur à Créon : «C’est bien tard, il me
semble, que tu vois ce qui est juste (tèn dikèn)» (v. 1270).
Les deux protagonistes principaux suivent une «stratégie d’évitement à l’égard
des conflits internes à leurs causes respective» 58 ; mais cela ne fait qu’accentuer
l’unilatéralité et l’étroitesse de leurs points de vue.59 «Des deux attitudes religieuses
que l’Antigone met en conflit aucune ne saurait en elle-même être la bonne sans faire
à l’autre sa place, sans reconnaître cela même qui la borne et la conteste».60 Le lien
qui unit Antigone et Créon, c’est en même temps l’abîme qui les sépare. Ils restent
étrangers l’un à l’autre, ce qui veut dire qu’entre eux aucune médiation n’est possible 61
Dans ce sens, l’enseignement le plus important de la pièce concerne l’impossibilité
d’éliminer le conflit, comme l’a montré Martha Nussbaum dans son analyse de l’hymne
à l’homme (vers 332 sq) où elle souligne que la célébration d’une conquête humaine
est systématiquement suivie par l’indication d’une série de problèmes irrésolus. «Plus
précisément – dit-elle – chaque élément révèle la variété et la pluralité des valeurs
humaines et soulève un doute sur la tentative de créer une harmonie à travers la
synthèse. C’est ainsi que l’ode nous conduit, par-delà la critique des protagonistes, vers
une critique plus générale à l’égard de l’ambition d’éviter le conflit». 62 Le conflit moral
– le conflit portant sur les comportements et les valeurs – s’avère être inéliminable, car
il ne concerne pas, comme le pensait Hegel, uniquement les “caractères” tragiques qui
seraient immédiatement déterminés à agir par leur nature : 63 avant l’unilatéralité des
caractères, la source des conflits éthiques est bel et bien l’unilatéralité «des principes
moraux confrontés à la complexité de la vie». 64 Cependant ni les caractères ni les
principes ne sauraient être considérés et vécus comme unilatéraux, s’ils n’étaient
pas obligés d’entrer – et même d’être – en relation. Ce qui émerge d’une manière
remarquable et émouvante de l’Antigone, c’est cette dimension relationnelle qui –
se situant en deçà de l’institution du nomos, mais au-delà la régularité de la physis
– caractérise l’humain en tant que tel. La mise en scène tragique en communique
le pathos. De cette pluralité originaire de l’humain – «paradoxale pluralité d’êtres
uniques» 65 - jaillit le sens, avant l’élaboration conjointe du nomos et du logos.
Sous l’enveloppe mythique de leur origine divine, les nomima non écrits d’Antigone
font allusion à cette sensibilité originaire affectée par la pluralité humaine qui précède
l’ordre social institué, dont elle constitue une limite interne et une source intarissable
de mise en question. La phronèsis comme vertu intellectuelle de la praxis s’enracine
dans ce pathos de la pluralité humaine. «Si dans la phronèsis, c’est bien l’agent lui-même
58 Ricœur
1990, 284.
Nussbaum 1986, 67.
60 Vernant et Vidal-Naquet 1986, 34.
61 «La tragédie d’Antigone, comme la ‘tragédie’ de la traduction, est ce qui montre le dilemme de la
réduction de l’étranger» ; à la lumière du paradigme de la traduction, en effet, «il n’y a pas de médiation
possible entre le propre et l’étranger, il n’y a pas de troisième lieu où les deux premiers puissent trouver
une synthèse». Dès lors, il est légitime de conclure que «le lien d’étrangeté entre Antigone et Créon est
précisément ce qui fait le tragique de la tragédie» (Menga 2007, 23).
62 Nussbaum 1986, 73-4.
63 «Lorsqu’il introduit la notion de caractère – ce qui en grec se disait èthos – Hegel prend soin de la définir
comme la ‘décision immédiate’ qu’impose la nature à l’agent éthique et qui l’affecte à l’une ou à l’autre
des deux puissances [masculine ou féminine, F.C.]. Le caractère ainsi entendu est ce qui précède l’action»
(Taminiaux 1995, 106). Cfr. Hegel 1991, 303-14.
64 Ricœur 1990, 290.
65 Arendt 1983, 232 : «Chez l’homme l’altérité, qu’il partage avec tout ce qui existe, et l’individualité, qu’il
partage avec tout ce qui vit, deviennent unicité, et la pluralité humaine est la paradoxale pluralité d’être
uniques».
59 Cf.
Metodo. International Studies in Phenomenology and Philosophy
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et son bien-vivre qui sont en cause, il ne s’agit pas de lui seul en tant qu’individu isolé,
mais de lui comme lié à une pluralité. C’est pourquoi Aristote dit que Périclès, que
critiquait le Socrate platonicien, est à juste titre considéré comme phronimos parce qu’il
était capable de voir (theorein) ce qui était bien non seulement pour lui mais pour ses
concitoyens». 66
C’est exactement ce qu’on ne saurait dire ni de Créon ni d’Antigone. Comme le
remarque Castoriadis, «la catastrophe se produit parce que Créon comme Antigone
se crispent sur leurs raisons, sans écouter les raisons de l’autre».67 Lorsque Hémon
prie son père Créon ne de pas vouloir «être sage tout seul [monos phronein]»(v. 707), il
exprime probablement l’idée centrale de la pièce. 68
Malgré l’“étrange inhumanité” qui d’après Martha Nussbaum 69 les unit, la similitude d’Antigone et de Créon n’arrive cependant pas à atténuer notre admiration
et notre préférence pour la jeune fille, basée sur sa “supériorité morale” à l’égard de
l’homme de pouvoir. 70 Pour mieux éclairer cette préférence dont la figure d’Antigone
jouit incontestablement, il n’est peut-être pas inutile de revenir aux vers 904-912 où
elle justifie son acte au nom du caractère irremplaçable d’un frère bien-aimé. Dans ce
passage, que Butler arrive à considérer comme“infâme [infamous]”, 71 il y a pourtant
une attention extrême à l’unicité comme protagoniste de la pluralité humaine et des
relations qui, s’établissant dans son sein, la constituent. Une telle sensibilité pour ce qui
est irremplaçable dans l’être aimé constitue probablement le trait le plus frappant d’Antigone, capable de communiquer immédiatement son humanité 72 et sa supériorité à
l’égard de Créon. Cette affectivité puissante et passionnée, qui s’adresse à la singularité
de l’être aimé par-delà ses qualités, surgit dans le pathos d’une relation intersubjective,
et acquiert la structure inaugurale de l’un-pour-autre du sens. L’immédiateté du
pathos relationnel dessine ici le jaillissement originel du sensé avant les significations
socialement instituées. Le texte d’Antigone communique immédiatement ce pathos de
l’humain auquel s’identifie le lecteur ou le spectateur, ce qui probablement explique la
préférence dont elle jouit.
6
L’implication nécessaire de désir et de nomos
La singularité d’Antigone émerge de la pièce et s’impose puissamment à notre
attention. Il s’agit d’une revendication d’unicité si radicale, qu’on ne peut l’englober
dans aucune généralisation morale, juridique ou politique. On ne peut, pour cela,
se passer d’une référence à l’universel, tandis que l’unicité qu’Antigone fait valoir,
se pose comme origine, quoique conflictuelle, du sens : à la fois limite et ressource
instituant l’ordre social.
Nous retrouvons ainsi la question du désir, effleurée au début de ce texte à partir
de Lacan. Nul doute que dans l’Antigone le rapport entre désir et nomos, relève d’une
antinomie, pour autant qu’il oppose la revendication (au sens de Butler 2000) ou
l’interruption (au sens de Honig 2013) d’une singularité non généralisable à l’ordre
socialement institué. Mais ce rapport est traversé par des stratifications internes qui
66 Taminiaux
1995, 65-6, qui renvoie à Eth. Nic. 1140 b 8-9.
1986, 302.
68 Cf. Castoriadis 1986, 302. Sur la solitude de Créon cf. Montanari 1995.
69 Nussbaum 1986, 65.
70 Cf. Nussbaum 1986, 63, 66. Cf. Ricœur 1990, 285.
71 Butler 2000, 9.
72 Tout à fait oppose est l’interprétation de Lacan, pour lequel Antigone représente «l’énigme d’un être
inhumain» (Lacan 1986, 306).
67 Castoriadis
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Vol. 2, n. 1 (2014)
Pour une relecture de l’Antigone
213
dessinent entre ces deux dimensions une jonction possible et nécessaire. En effet, le
rapport du désir au nomos – et c’est là une implication fondamentale du discours
psychanalytique 73 – ne vise pas le refus de l’ordre (symbolique et à la fois institué) de la
loi, ce qui ne pourra que le conduire à la destruction, mais au contraire il vise un autre
rapport à cet ordre de la loi : un rapport permettant au désir de dépasser son anomie
originaire, de sorte qu’au lieu d’aboutir au malheur de la solitude, il puisse jouir de
l’autre en en sauvegardant l’altérité. A la lumière des deux dimensions opposées mais
constituantes de la subjectivité humaine, «la dimension auto-référentielle fondée sur
l’anomie du désir et celle qui reconnaît l’altérité et accepte les limitations que comporte
cette reconnaissance»,74 l’Antigone se précise comme tragédie de la normativité qui,
au lieu d’opérer comme ‘frayage’ du désir, se fige en contrainte engourdissante et en
dernière analyse mortifère, car orientée vers l’affaissement de l’unicité animée par le
désir.
Cette sclérose de la normativité est la dérive toujours possible de la socialisation.
Ce que l’Antigone met en scène c’est le manque aigu – et, dès lors, l’exigence – d’une
socialisation s’opposant au conformisme du Pouvoir, une socialisation qui résiste à la
contrainte de la normalité/normativité et qui accepte la force déstabilisante du désir.
«La valeur d’usage des règles consiste en ceci, que l’enchaînement qu’elles imposent
au désir ne le conduit pas à son aliénation mais à sa socialisation (sublimation), qui le
limite uniquement pour pouvoir lui assurer sa satisfaction».75
La vérité d’Antigone 76 consiste précisément dans un rapport au nomos qui n’interdise pas au désir la possibilité de sa satisfaction. La pièce de Sophocle nous fait
entrevoir en contrepoint de la mise en scène tragique une intégration féconde entre
désir et nomos, basée sur leur implication nécessaire. Par contre, le désir laissé à son
anomie, visant la consumation de l’autre, donc la destruction de son objet, se voue à
sa propre destruction. La tragédie enseigne, par contrecoup, que le nomos qui limite le
désir, c’est en même temps ce qui lui permet de rejoindre sa satisfaction : la jouissance
de l’autre au lieu de la consommation. La première serait impossible sans le maintien
de son altérité, que la seconde par contre dévore et détruit.
Antigone disant «je suis née pour partager l’amour (sumphilein) et non la haine»
(v. 523) et le disant au sujet de son frère devenu l’ennemi de la cité, sait bien que la
relation à l’autre - comme relation d’amour - est plus forte que le conflit. Son frère
bien-aimé, bien qu’il soit devenu l’ennemi de la cité, reste son objet d’amour. Ce qu’elle
ne veut surtout pas, c’est le tuer une deuxième fois comme l’exige l’édit de Créon, car
alors elle sauverait sa vie mais détruirait son propre désir. Ce qu’elle refuse, c’est la
volonté du pouvoir qui l’obligerait à ne subsister que comme mort-vivant. Créon, lui,
est le seul qui survit.77 Par contre, choisissant la mort, Antigone continue d’affirmer la
vie : non pas la vie biologique, à savoir la simple survie, mais la vie humaine.
῎Ερως ἀνίκατε μάχαν (v. 783) chante le chœur. Le fait qu’Eros soit invincible dans
le combat, signifie qu’ il est impossible de lutter contre le désir qu’on éprouve pour
l’objet d’amour. Antigone est un caractère tragique non pas, comme le suggère Hegel,
parce qu’elle est immédiatement déterminée dans son action par sa nature de femme
et de sœur, mais au contraire parce qu’elle a le courage de refuser la simple survie et
fait preuve d’une option (proairesis) ferme et déterminée pour les significations et les
valeurs qui font de la vie biologique une vie humaine.
73 Thanopulos
2012.
2012, 32.
75 Thanopulos 2012, 33.
76 Je me réfère à un texte sur Antigone de Sarantis Thanopulos, encore inédit.
77 Cf. Cacciari 2007, XIII.
74 Thanopulos
Metodo. International Studies in Phenomenology and Philosophy
Vol. 2, n. 1 (2014)
214
Fabio Ciaramelli
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Metodo. International Studies in Phenomenology and Philosophy
Vol. 2, n. 1 (2014)