L`Echappée - Gymnase Auguste Piccard
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Gymnase Auguste-Piccard 8 novembre 2010 Virginie Borgeaud 3m3 Travail de Maturité Atelier de création poétique L’Echappée Maître : Charles-Edouard Racine Résumé Pour réaliser un tel travail créatif, il est important de se raccrocher à un point de départ autour duquel se construira le recueil. Pour ce faire, il m’a fallu lire énormément de poèmes de différents auteurs afin de trouver quel style, quel thème, quel auteur me correspondaient le mieux. Après de nombreuses hésitations et réflexions, mon choix s’est arrêté sur Blaise Cendrars, un auteur suisse qui a écrit autant de poésies que de romans. Ce poète m’a particulièrement plu, d’abord par son style vif, mais également par son regard simple et posé qu’il porte sur le monde. J’ai eu alors envie d’en savoir plus sur lui, mais surtout sur sa poésie. C’est ainsi que je me suis lancée dans la lecture de son recueil de poésies complètes Du monde entier au cœur du monde. Ce titre, aux apparences énigmatiques ne peut pas mieux annoncer le thème principal du recueil qui est également devenu le mien : le voyage. En effet, comme je l’expliquerai plus en détail dans l’analyse du recueil, Blaise Cendrars a beaucoup voyagé et raconte ses périples dans sa poésie. Ce thème offre énormément de possibilités et est même trop large pour être totalement exploré. C’est pourquoi, je l’ai réduit à un seul de mes voyages, à un trajet quotidien mené deux fois par jour depuis cinq ans : mon voyage en LEB jusqu’à l’école. Ce thème m’est soudainement apparu lorsque j’étais dans le train-même et m’a séduit par son originalité. Malgré ce thème peu banal, je me suis retrouvée plus proche de l’auteur que je pensais l’être au départ. En effet, lors de l’analyse du recueil de poésies complètes de Blaise Cendrars, j’ai déniché un thème autre que le voyage que je ne souhaitais pas particulièrement exploiter dans mes poèmes. Je parle ici évidemment de la modernité. Je me suis plus tard rendue compte que malgré mon intention de ne pas la développer dans mon recueil, elle s’est à plusieurs reprises immiscée dans ma poésie. Ainsi, on la retrouve dans les Scènes, ou même dans des poèmes comme La Pin-up, symbole des nouvelles modes vestimentaires. Je suis également restée proche de l’auteur en essayant de garder son processus de prochronie. En effet, mon thème de voyage jusqu’à l’école en LEB m’a permis de montrer également le côté routinier des trajets que j’effectue chaque jour et donc d’illustrer la prochronie. N’oublions pas également qu’il faut aller à l’école, mais également revenir de l’école. La boucle prochronique est alors parfaitement fermée. Il ne me reste plus qu’à parler du titre de mon recueil. De part l’originalité du thème choisi, il me paraissait évident que je devais jouer sur les lettre L, E et B pour nommer mon recueil. J’ai alors obtenu le titre suivant : Le LEB ou L’Echappée d’une Bachelière. Cependant, après maintes réflexions et discussions avec les gens de mon entourage, mais également avec mon professeur de TM, M. Racine, il m’est apparu dommage d’expliquer à ce point-là le contenu de mon recueil et d’en ôter alors le mystère que pouvait provoquer l’originalité du thème. Je l’ai donc réduit à L’Echappée. 1 Table des matières INTRODUCTION .............................................................................. 3 BLAISE CENDRARS : BIOGRAPHIE ..................................... 3 ANALYSE ............................................................................................ 5 DU MONDE ENTIER .............................................................................. 5 Les Pâques à New York .................................................................... 5 La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France ............ 7 PARTIE CENTRALE DU RECUEIL.......................................................... 8 AU CŒUR DU MONDE .......................................................................... 8 L’ECHAPPEE .................................................................................. 11 CONCLUSION ................................................................................ 22 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................... 23 2 Introduction Pour réaliser un tel travail créatif, il est important de se raccrocher à un point de départ autour duquel se construira le recueil. Pour ce faire, il m’a fallu lire énormément de poèmes de différents auteurs afin de trouver quel style, quel thème, quel auteur me correspondaient le mieux. Après de nombreuses hésitations et réflexions, mon choix s’est arrêté sur Blaise Cendrars, un auteur suisse qui a écrit autant de poésies que de romans. Ce poète m’a particulièrement plu, d’abord par son style vif, mais également par son regard simple et posé qu’il porte sur le monde. J’ai eu alors envie d’en savoir plus sur lui, mais surtout sur sa poésie. C’est ainsi que je me suis lancée dans la lecture de son recueil de poésies complètes Du monde entier au cœur du monde. Le titre aux apparences énigmatiques ne peut pas mieux annoncer le thème principal du recueil qui est également devenu le mien : le voyage. En effet, comme je l’expliquerai plus en détail dans l’analyse du recueil, Blaise Cendrars a beaucoup voyagé et raconte ses périples dans sa poésie. Ce thème offre énormément de possibilités et est même trop large pour être totalement exploré. C’est pourquoi, je l’ai réduit à un seul de mes voyages, à un trajet quotidien mené deux fois par jour depuis cinq ans : mon voyage en LEB jusqu’à l’école. Ce thème m’est soudainement apparu lorsque j’étais dans le train-même et m’a séduit par son originalité. Le titre de mon recueil s’est alors petit à petit construit dans mon esprit. Je voulais jouer sur les lettre L, E et B. J’ai alors obtenu le titre suivant : Le LEB ou L’Echappée d’une Bachelière. Cependant, après maintes réflexions et discussions avec les gens de mon entourage, mais également avec mon professeur de TM, M. Racine, il m’est apparu dommage d’expliquer à ce point-là le contenu de mon recueil et d’en ôter alors le mystère que pouvait provoquer l’originalité du thème. Je l’ai donc réduit à L’Echappée. Blaise Cendrars : biographie Frédéric Louis Sauser, plus connu sous le nom de Blaise Cendrars, est né en Suisse le 1er janvier 1887 dans la petite ville de la Chaux-de Fonds. Il voyage dès son enfance. En effet, sa famille a souvent déménagé. C’est probablement ces premiers déplacements qui lui ont donné le goût du voyage. Après des études peu fructueuses à l’Ecole de Commerce de Neuchâtel, son père l’expédie à Moscou pour un apprentissage, puis à Saint-Pétersbourg chez un horloger-bijoutier, Leuba. C’est à cette époque qu’il écrit son premier poème, La Légende de Novgorode, imprimé en quelques exemplaires. On n’a malheureusement retrouvé aucune trace de ce poème qu’on croyait inexistant bien que l’auteur le 3 mentionne à chaque fois dans ses bibliographies. Ce n’est qu’en 1995 que le poème a été découvert dans une bibliothèque de Sofia. Cependant, l’authenticité de cet ouvrage reste douteuse. Dès 1910, il voyage beaucoup. Il va à Bruxelles et à Londres puis, après un séjour de quelques mois à Saint-Pétersbourg en 1911, il part à New York. C’est durant la nuit de Pâques 1912 qu’il aurait écrit son long poème, Les Pâques à New York. Il signe ce texte pour la première fois du pseudonyme « Blaise Cendrars ». Ce pseudonyme a pour origine les mots « braise » et « cendres » qui rappellent le phénix (oiseau légendaire qui se consume à sa mort et renaît perpétuellement de ses cendres). En effet, cet oiseau est un symbole très important pour le poète puisqu’il illustre parfaitement la prochronie, un système d’éternel recommencement qu’il a mis au point dans ses poèmes (voir analyse). En août 1912, il se rend à Paris où il écrit Séquences, un recueil de poèmes publié en 1913. A la fin de cette année apparaît la Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, accompagnée de quelques compositions de Sonia DelaunayTerk (artiste peintre russe naturalisée française). Lorsque la guerre éclate en 1914, il s’engage dans la Légion étrangère. Après une année de combats, il est grièvement blessé le 28 septembre 1915. Il est alors amputé de l’avant-bras droit avant d’être rapatrié en France. Il doit alors apprendre à écrire de la main gauche, période très difficile pour le poète. En 1916, il publie La Guerre au Luxembourg et est naturalisé français. Dès 1917, il est à nouveau à Paris, s’intéresse de plus en plus au monde de l’édition et abandonne peu à peu l’écriture pour se consacrer au cinéma. Cependant, il publie tout de même en 1918 un poème Le Panama ou les aventures de mes sept oncles, qu’il a écrit avant la guerre. Quelques temps plus tard paraît le recueil de ses Dixneuf poèmes élastiques. Il s’intéresse également, comme beaucoup d’artistes, à l’Afrique et publie alors une Anthologie Nègre qui raconte des contes d’origine africaine. En 1924, Blaise Cendrars entame son premier voyage au Brésil (il en fera trois) à bord du Formose qui donnera son nom à la première partie de son recueil Feuilles de route publié en septembre. Il publie aussi en juin Kodak ou Documentaire, une série de poèmes plagiés du roman Le Mystérieux docteur Cornélius de Gustave Le Rouge (écrivain dont la plupart des œuvres ont une dose de fantastique, de science fiction ou de merveilleux). Durant cette année-là, Blaise Cendrars écrit son premier roman L’Or en deux semaines seulement. Ce dernier connaît un grand succès. Entre 1925 et 1940 se succèdent des publications d’ouvrages et de reportages. En 1940, Blaise Cendrars cesse d’écrire et de publier. Ce n’est que trois ans plus tard qu’il commence enfin à écrire à nouveau. Naissent alors les romans L’Homme foudroyé, La Main coupée et Bourlinguer. En 1944, alors que Blaise Cendrars n’écrit plus de poèmes depuis vingt ans, paraît le premier recueil de ses Poésies complètes. En 1958, à la suite de deux attaques cérébrales, Blaise Cendrars est paralysé. Il cesse totalement d’écrire. Le 17 janvier 1961, Blaise Cendrars reçoit le Grand prix 4 littéraire de la Ville de Paris avant de mourir le 21 janvier à Paris. Il est enterré au cimetière des Batignolles. En conclusion, on peut ajouter que Blaise Cendrars a très rapidement eu des contacts avec le monde artistique. En effet, dans son enfance déjà, la musique était très importante pour lui. Il s’était même imaginé musicien avant d’y renoncer totalement après la perte de sa main. Il a très vite rencontré de nombreux autres artistes : peintres, sculpteurs, romanciers ou poètes comme Guillaume Apollinaire avec qui il a développé une relation où se mêlaient collaboration et rivalité. Blaise Cendrars était un voyageur très solitaire ou du moins paraissait vivre en marge de la société. Il était passionné par toutes les nouveautés techniques du monde moderne qu’il oppose incessamment à une époque antérieure, vieillie et démodée dans ses poèmes (par exemple dans Les Pâques à New York, 1912). Blaise Cendrars semble toutefois avoir été en accord avec la modernité de son temps. En effet, il cherchait à exprimer une forme de poésie nouvelle. Analyse Ce recueil, intitulé Du monde entier au cœur du monde, a été constitué selon la volonté de Blaise Cendrars bien que l’éditeur ait ajouté quelques poèmes inédits. L’auteur met en scène deux thèmes principaux qui reviennent continuellement dans les poèmes : le voyage et la modernité. Ce sont les deux sujets sur lesquels je vais principalement axer mon analyse. Cependant, l’auteur utilise également un système auquel il a donné le nom de prochronie. On peut le décrire comme un cycle. En effet, il s’agit de construire la poésie de telle manière que la fin rejoigne le commencement. Le recueil est donc construit selon un cercle fermé, selon une continuité, selon un éternel recommencement. Chaque partie, chaque poème est relié au suivant, l’ensemble formant une chaîne circulaire. Le recueil est en fait une sorte d’immense poème fragmenté en chapitres. Du monde entier Les Pâques à New York Ce long poème est non seulement le premier du recueil, mais également le premier que Blaise Cendrars a publié sous son pseudonyme. Il est donc très important. Le personnage du poème erre dans New York. Il rencontre sur sa route la déchéance, la prostitution, la pauvreté et la misère. Pendant cette errance, le Christ l’accompagne. Comme le fils du Seigneur, cet homme vit une passion. La longue descente qu’il entame dans New York peut être comparée au long supplice du 5 Christ. En effet, sa douleur provient de la misère du monde à laquelle il est confronté durant son trajet. On peut se demander qui est cet homme, le « je » dans le texte. Très vite, le lecteur devine son identité : c’est Blaise Cendrars lui-même ou plutôt Frédéric Sauser. En effet, c’est ce poème qui donne naissance au pseudonyme « Blaise Cendrars ». On peut comparer Les Pâques à New York à la descente aux enfers de Frédéric Sauser et à sa résurrection en Blaise Cendrars comme le phénix, oiseau qui a largement inspiré le futur nom du poète, renaît de ses cendres. Déjà au début du poème, la présence du pseudonyme est palpable : « Dans la chambre à côté, un être triste et muet // Attend derrière la porte, attend que je l’appelle ! » (p. 32). On retrouve dans ce poème l’histoire-même de Pâques où le Christ, trois jours après sa passion, ressuscite. Le « je » est donc à la fois Frédéric Sauser, Blaise Cendrars et le Christ : « C’est Vous, c’est Dieu, c’est moi, − c’est l’Eternel. » (p. 32). Cette résurrection, cette renaissance illustre très bien la prochronie que Cendrars utilise pour construire ses poèmes. En effet, après la mort, la vie recommence. Après la nuit sombre et terrifiante pendant laquelle se passe le poème vient l’aube à l’arrivée de laquelle l’œuvre se termine : « Seigneur, l’aube a glissé froide comme un suaire » (suaire = linceul) (p. 40). Quant au thème du voyage, il est clairement présent dans ce long poème. En effet, l’auteur voyage d’abord à travers les rues de New York, puis il s’aventure également au plus profond de sa spiritualité, n’hésitant pas à affirmer son absence de foi : « Je ne Vous ai pas connu alors, − ni maintenant. // Je n’ai jamais prié quand j’étais un petit enfant. » (p. 32). Il voyage à travers les malheurs du monde en rencontrant des pauvres, des immigrés, des juifs dans des ghettos, des prostituées. Il explore même l’évolution de la société en opposant la modernité du monde à son ancienneté. Ce thème est déjà annoncé clairement dans le titre du poème : Les Pâques à New York, les Pâques représentant l’antiquité, l’ancienneté et New York la modernité. Il ne faut pas oublier que Blaise Cendrars écrit dans un contexte bien précis. En 1912, l’avancée technologique développée durant les deux siècles précédents tient une place importante dans la société. On voit l’arrivée du cinéma et l’utilisation des nouveaux moyens de transport explose. L’auteur n’y est pas insensible et exploite constamment cette modernité dans la totalité de son œuvre. Les Pâques à New York montrent très bien le passage de « l’ancien » au « moderne ». En effet, au début du poème, la nuit profonde représente l’ancienneté, l’absence de lumière, de nouveauté alors que dès que l’aube arrive, la ville moderne se réveille. Apparaissent alors des gratte-ciel : « Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs. » (p. 40) ; les trains : « Déjà les trains bondissent, grondent et défilent » (p. 40) ; les ponts, la foule. La modernité fait son apparition. Si la naissance de la nouveauté et la réincarnation de Frédéric Sauser en Blaise Cendrars se rejoignent dans le poème, ce n’est évidemment pas par hasard. En effet, la coïncidence de ces deux événements amène toutes les futures caractéristiques de son recueil : le nom de l’auteur, la prochronie, le thème du voyage et surtout une forme de poésie moderne qui vit avec son temps. 6 La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France est sans doute l’œuvre la plus connue de Blaise Cendrars. Ce poème de 450 vers paru en 1913 et accompagné de compositions de la peintre Sonia Delaunay est le premier livre simultané. Il se déplie sur deux mètres et le tirage des 150 exemplaires prévus devait alors couvrir la taille de la tour Eiffel. Malheureusement, tous n’ont pas été assemblés. Selon le système de la prochronie, ce poème doit avoir un lien avec le précédent afin de poursuivre la continuité du recueil. Les Pâques à New York racontent la naissance de Blaise Cendrars et de sa poésie moderne. La Prose du Transsibérien en est la suite. À travers un voyage en Russie dans le Transsibérien, Blaise Cendrars raconte toutes les étapes d’une vie et même de sa vie. En effet, il se met en scène lui-même lors de son adolescence, voyageant avec son maître d’apprentissage. Se pose alors la question de la véracité des faits : Blaise Cendrars a-t-il vraiment pris le Transsibérien ? « Qu’est-ce que ça peut te faire, puisque je vous l’ai fait prendre à tous ! » répond-il lorsque son ami Pierre Lazareff, un journaliste et producteur d’émissions de télévision, lui pose la question. Personne ne saura donc jamais si ce voyage en compagnie de la petite Jehanne de France a vraiment eu lieu. Cette ambiguïté entre le réel et l’imaginaire est présente durant tout le poème. En effet, autant le poète donne des éléments temporels et historiques réels tels que la mention de la guerre russo-japonaise (1904-1905) : « c’était la guerre la faim le froid la peste et le choléra » (p. 47) ou fait apparaître son maître d’apprentissage (p. 48), autant il mentionne des éléments imaginaires tels que des contes ou des récits (Jules Verne, Ali Baba et les quarante voleurs) (p. 48). En lisant le poème, le lecteur se trouve donc toujours à la frontière entre le vrai et le faux. C’est ce qui donne toute sa complexité à cette prose, mais aussi tout son sens. En effet, l’adolescent qu’est Blaise Cendrars au départ du Transsibérien est conscient des événements terribles qui se produisent autour de lui, mais les perçoit encore à travers son regard d’enfant. Puis, au fil du trajet, il va grandir et commencer à se rappeler son enfance. Enfin, il va rencontrer les femmes et l’amour qui apparaissent dès l’énonciation de la Petite Jehanne ou Jeanne de France dont l’identité réelle reste mystérieuse (représente-telle Jehanne d’Arc ou est-elle Jeanne, une simple prostituée ?). L’auteur voyage donc à travers la vie, les souvenir et ses sentiments. Il raconte sa transformation d’adolescent en homme. On voyage donc également dans le temps. Sans parler du voyage au sens propre du terme. En effet, l’auteur nous emmène dans un train qui parcourt des centaines de kilomètres, le Transsibérien. Les paysages défilent et tous les bruits du train sont retrouvés. Comme pour Les Pâques à New York, la modernité est également très présente dans ce poème. En effet, autant la présentation sous forme de livre simultané est innovante, autant la présence du Transsibérien, symbole de la technologie moderne, rappelle cette nouveauté qui attire tant Blaise Cendrars. 7 Partie centrale du recueil Blaise Cendrars met en avant deux thèmes principaux, le voyage et la modernité. On a déjà pu remarquer dans les deux poèmes précédents que ces deux thèmes pouvaient se retrouver sous diverses formes. Ainsi, le voyage peut apparaître sous son sens propre comme dans Feuilles de route où Blaise Cendrars raconte son voyage au Brésil à bord du Formose. Le voyage se fait en bateau et le lecteur peut ainsi suivre toutes les étapes du trajet comme s’il lisait un journal de bord. L’auteur explore aussi l’Amérique et ses paysages sous forme de petits Documentaires (initialement appelé Kodak), poèmes plagiés d’un roman de Gustave Le Rouge, et l’Afrique dans ses Poèmes Nègres. Cependant, Blaise Cendrars n’emmène pas le lecteur uniquement à travers le monde, mais également à travers lui-même, ses pensées, à travers la vie et l’art. Ainsi, dans Le Panama ou les aventures de mes sept oncles, le poète nous emmène visiter toutes les vies possibles et tous les destins qui s’offrent à l’homme à travers les lettres de ses sept oncles. Dans La guerre au Luxembourg, il nous décrit les horreurs de la guerre qu’il a lui-même vécues et se rappelle la perte de sa main droite (c’est d’ailleurs le premier poème qu’il a écrit de la main gauche). Quand au voyage à travers l’art, on le retrouve dans ses Sonnets dénaturés où il démantèle le sonnet sous une forme tout à fait extravagante ou dans Feuilles de route dont le style d’écriture des poèmes n’obéit à aucune règle précise si ce n’est le rythme. Blaise Cendrars écrit donc de la poésie sous des formes tout à fait nouvelles. C’est d’abord dans ces éléments d’écriture que le thème de la modernité apparaît. Cependant, cette dernière se manifeste également autrement. On la trouve dans la mention d’événements modernes comme la construction du canal de Panama (Le Panama ou les aventures de mes sept oncles) ou même dans son récit de la première guerre mondiale, un grand sujet d’actualité. La modernité s’exprime aussi dans les poèmes de Blaise Cendrars à travers des images de technologie moderne comme les gratte-ciel, les bâtiments ou même les marques de voiture comme dans le poème F.I.A.T. (Dix-neuf poèmes élastiques). Ce thème revient encore dans les Poèmes Nègres et Documentaires où l’Afrique, continent dont on commence à percevoir les secrets, et l’Amérique, symbole de la nouveauté, sont le centre des poèmes. Au cœur du monde Au cœur du monde est un long poème entrecoupé de ce que Cendrars appelle des poésies « à forme fixe » qui portent toutes un titre. Ce poème aurait été écrit en 1917. Toutefois, d’après des documents originaux, il aurait été antidaté pour une raison symbolique. En effet, Blaise Cendrars dit être mort en tant que poète pour renaître en tant qu’écrivain de romans en 1917. Cet adieu à la poésie s’est fait d’une façon bien étrange. En effet, Cendrars dit avoir cloué le poème Au cœur du monde au fond d’une caisse. Serait-ce une manière de crucifier le Christ moderne né dans Les Pâques à New York en lequel il s’était incarné ? Rien ne pourra nous le révéler. 8 Au cœur du monde se trouve tout à la fin du recueil. Blaise Cendrars veut ainsi fermer la boucle formée par le système de la prochronie et commencée dans Les Pâques à New York. Les deux poèmes sont donc étroitement liés. Blaise Cendrars reprend son premier poème, Les Pâques à New York, mais le transpose à Paris. On retrouve cette longue marche dans la ville qui l’emmène jusqu’au quartier Latin devant l’Hôtel Notre-Dame qu’il décrit comme étant le lieu de son enfance. Puis, il repart au milieu de la ville de Paris en guerre pour arriver devant la maison 216 Rue Saint-Jacques, L’Hôtel des Étrangers, dont il fait son lieu de naissance. Enfin, il emmène le lecteur encore plus loin, jusqu’au cœur du ventre de sa mère. Comme pour Les Pâques à New York, le poème est construit comme une passion. En effet, Blaise Cendrars marche à travers un Paris en guerre, en proie à la démolition, qui rappelle évidemment ses années de soldat et la perte de sa main. Comme dans le premier poème, le rapport à la religion est très présent. Dans Les Pâques à New York, Frédéric Sauser se réincarne en Blaise Cendrars, le Christ de la poésie moderne. Dans Au cœur du monde, il raconte comment il était destiné à l’écriture en faisant de sa mère une nouvelle Vierge Marie : « Il a un beau tatouage, un nom, une rose et un cœur poignardé. // Ce nom je le connais bien : c’est celui de ma mère. » (p. 307). À elle aussi, comme dans le récit de la naissance de Jésus, on lui refuse l’entrée d’une maison déjà au complet, ce qui l’oblige à accoucher à l’Hôtel des Étrangers : « Au 218 est l’enseigne d’une sage-femme de 1ère classe. // Comme elle était au complet elle envoya ma mère coucher et accoucher à l’hôtel d’à côté. » (p. 311). Blaise Cendrars voyage ici à travers le temps. En effet, il retourne non seulement jusqu’à l’heure de sa naissance, mais n’hésite pas à retourner plus loin encore, jusque dans le ventre de sa mère. Il voyage aussi à travers sa parenté et ses origines. Il rappelle que son nom est unique puisque c’est lui qui l’a choisi et qu’il n’a de ce fait aucune origine : « Pourtant je suis le premier de mon nom puisque c’est moi qui l’ai inventé de toutes pièces. » (p. 311). Puis, on traverse aussi les principales facettes de son caractère. C’est un poète de la contemplation symbolisé par Lavater, un théologien et écrivain, célèbre pour son ouvrage sur la physiognomonie, et Euler, un mathématicien, qui symbolise par la perte de sa vue celle de sa main : « J’ai du sang de Lavater dans les veines et du sang d’Euler, // Ce fameux mathématicien appelé à la cour de Russie par Catherine II et qui, devenu aveugle à 86 ans,… » (p. 311). Puis, arrive le moment fatidique où tout bascule. En effet, comme dans Les Pâques à New York, Blaise Cendrars « chancelle » et ne supporte plus le lieu dans lequel il se trouve. Mais, il n’est pas mort et va se relever en devenant écrivain de romans et de mémoires en entrant à nouveau, mais cette fois-ci seul, à L’Hôtel des Étrangers : « Ô rue Saint-Jacques ! Oui, je chancelle, mais je ne suis pas frappé à mort, ni même touché. » (p. 312), « Mais cette nuit, maman, j’entre seul. » (p. 313). Le thème de la modernité se retrouve aussi dans ce poème. En effet, les bruits de la ville se font entendre et le Paris en guerre est en réalité un Paris en complète rénovation : « On démolit des pâtés de maisons//On a changé le nom des rues » (p. 305). 9 Pour conclure, on remarque que deux thèmes principaux se mêlent constamment l’un à l’autre dans le recueil : le voyage et la modernité. Ces deux éléments sont non seulement présents dans la vie de l’auteur, mais font également partie de ses passions. C’est pourquoi, les deux thèmes sont si développés. A cela s’ajoute que Blaise Cendrars fait usage de la prochronie non seulement dans ses poèmes, mais aussi dans la construction de son recueil. C’est cette intime liaison entre ces différents éléments qui donne tout son intérêt à la poésie de Blaise Cendrars. 10 L’Echappée Recueil de poèmes 11 Train Cheseaux je monte Paysages campagnards Train Bel-Air Bleu Train Camares Vert Train Romanel j’attends Changement brusque Train Union Gris Béton Train Chauderon Noir Poussière Train-train quotidien Le Flon enfin je descends Nous sommes en ville 12 Ciel Champs Réveil Que faire Départ Le Réveil sonne Arrêt de mort Je somnole Tiroir, porte, claquements, cris Quelle rage ! Long ou court Chaud ou léger Sexy, timide ou stylé Tiroir, porte, claquements, cris Quelle rage ! Que vais-je donc porter ? La nuit s’éteint Le jour s’allume J’ouvre la porte Je sors livres sous le bras Je m’en vais apprendre le monde La pluie résonne doucement comme le [tic-tac d’une montre Image de la Nuit Songes envolés Je ne rêve plus Adieu la Lune Frayeurs nocturnes J’entends déjà l’Aube Lumière d’Orient Feu sur mes yeux Je suis aveugle Appel du Soleil Sonnerie du Réveil Enfin je m’éveille 13 Scènes I II III Arrêt Fenêtre Je vois Le ciel Le vert En abondance La terre Et ce jaune Criard Eclatant Le colza Un homme et un tracteur Bientôt Le jaune aura disparu Arrêt Fenêtre Je vois Les champs Les grues En abondance Le vert Et ce monde Etrange Nouveau La mixité Arbres et supermarchés Encore Modernités campagnardes Arrêt Fenêtre Je vois Le gris Les immeubles En abondance Le noir Et cette poussière Triste Epaisse La fumée Trois hommes et un marteau-piqueur Ensemble Longue histoire de modernité 14 Vocabulaire Le hurlement des voies Silence… comment ça se dit déjà ? Il faut se concentrer Il faut y arriver La ligne verte Larve blanche Vert de terre Elle se tortille jusqu’au Flon Escargot Wagons sur le dos Elle rampe en serpentant Brouette des jardins Transport des paysans Elle récolte les passants Le sifflement du train Sourd… comment ça s’écrit déjà ? Il faut se concentrer Il faut y arriver Les cris dans le couloir Calme… comment ça se dit déjà ? Il faut se concentrer Il faut y arriver Et la cacophonie Paix… comment ça s’écrit déjà ? Il faut se concentrer Il faut y arriver Au fond de mon esprit Silence… comment ça se dit déjà ? Ça y est, je m’en souviens RUHE ! 15 Trop plein Le LEB, cet âne Gris et sale Il trotte lentement Chargé, déchargé, plein à craquer Vulgaire bête de somme ! Les écoliers L’homme d’affaires Lignes Habitués des transports Maitres de l’impatience Ils s’agglutinent Meute en chasse Prêts à bondir Un homme Costard-cravate Souliers vernis Droites Et courbes Longues Et étroites Seules Et ensemble Libres Et enchainées Infinies Rois des secrets Princes des ragots Ils s’entretiennent Perroquets des quais Prêts à partir Le LEB arrive On court, on pousse, on crie Ils s’élancent Chiens des trains Prêts à surgir Et sa serviette Amie fidèle Sœur siamoise Regard Horloge Sept heures Soupire… Gauche Droite Un homme et sa serviette Valsent sur le quai 16 Les voies du train Hiver Un train Brûlé par le froid Il frissonne Flocons Buée Axes enroués Il neige Sur les vitres Les larmes du matin cristallisées Le vieillard Attente Petit rabougri Assis sur un banc Il attend impatiemment Grosses Rondes Ballonnées Ont-elles donc si faim ? Mais non ! Mais non ! Grognon tout fripé Pris de tremblements Il marmonne entre ses dents Râleur à lunettes Grand livre d’histoire Il sermonne les blancs-becs En son temps Rien comme à présent Le train était à l’heure ! Grossier personnage Il rouspète sans arrêt « Ces jeunes, plus aucun respect Dégagez, c’est mon siège ! » Vieux con sur trois pieds 17 Fortes Enormes Bouffies Quand sera la fin ? Des mois ! Noeuf mois ! Au cœur du corps Caché Dissimulé Et pourtant perceptible S’édifie Se construit Se bâtit Un fœtus Paroles en l’air Fauve du train A l’affût du moindre bruit Je guette chaque mot Crapauds des champs Reinettes des prés Les ados coassent Chat et SMS As du pianotage Pies bavardes Bassecours des rails Les commères piaillent Potins et ragots Virtuoses des cancans Inséparables voyageurs Ventouses buccales Les amants murmurent Mots doux et baveux Habiles séducteurs Sottes préhistoriques Fossiles oubliés Les mémés radotent Souvenirs et balivernes Victimes d’Alzheimer Fauve du train A l’affût du moindre bruit Je guette chaque mot La pin-up Asperge blanche Peau de pêche Cheveux aubergine Elle poireaute sur le quai Tableau Amande douce Fruit de la passion Pécher originel Elle attend d’être croquée Peinture naissante Œuvre temporaire Reflets fugaces Vitesse Regard noisette Yeux en olive Prunelles pétillantes Elle épluche les garçons Image passagère Miroir impressionniste Défilé indistinct Rapidité Senteur fruitée Melons bien mûrs Grenades explosives Elle se jette sur les pommes Chemin de lumières Fresque illusoire Toile éphémère Accélération Bouche en fraise Couleur cerise Lèvres pulpeuses Elle se fiche de leur poire Le train Musée itinérant Ah, la belle plante Elle s’en va sans crier gare ! 18 Les chaises roulantes Le contrôleur Sherlock Holmes des trains Inquisiteur des rails Il arpente Mouvements pendulaires Couloirs et wagons Inspecteur à casquette Homme d’uniforme Il scrute Soupçonneux Passagers et écoliers Police des resquilleurs Auteur des contraventions Il perfore Menaçant Billets et abonnements Vert émeraude Ecossais Etoffe de pixels Pluie Lentement Une goutte Puis deux Puis trois Des milliers Immobiles Pétrifiés Statues des wagons Côte à côte Face à face Complices des secrets Assiégés Écrasés Victimes des fessiers Patchwork de pluie Chute d’eau Clapotis difformes Flou Au loin Un parapluie se promène Malmenés Humiliés Collecteurs des crachats Enfumés Parfumés Martyrs des pieds Sièges ambulants 19 Scènes I II III J’entends Les klaxons La foule Lointain Le trafic Et cette activité Sourde Absente Endormie Un homme Seul Face à la nuit J’entends Le clocher Les grues Lointain Le vent Et ce monde Opposé Connu La banlieue Un supermarché Fermé Face à la nuit J’entends Les oiseaux Les tracteurs Lointain Le chant des voies Et ce silence Doux Unique Pénétrant Une gare Déserte Face à la nuit 20 Illusions Retour Paupières éteintes Le train démarre J’imagine La télé Un roman Un thé Un lit Mirages Dong C’est l’heure Le train s’en va A la maison Apprendre Apprendre Apprendre… Miracle Une porte s’ouvre Un piano Renaissance Dong La ville s’éclipse Le vert s’embrase Dong Le bleu s’efface Le ciel se dore Dong Le jour s’endort La nuit s’éveille Dong Lune d’argent Soleil d’occident Mélange crépusculaire Dong Berceuse du soir Il est six heures 21 Conclusion Pour conclure, je dirais que je ne suis pas arrivée là où je pensais lorsque j’ai débuté mon TM. En effet, beaucoup de petits détails se sont immiscés à mon insu entre les lignes de mes poèmes. Ainsi, je me suis retrouvée plus proche de l’auteur que je ne l’imaginais au départ. En effet, lors de l’analyse du recueil de poésies complètes de Blaise Cendrars, j’ai déniché un thème autre que le voyage que je ne souhaitais pas particulièrement exploiter dans mes poèmes. Je parle ici évidemment de la modernité. Je me suis plus tard rendue compte que malgré mon intention de ne pas la développer dans mon recueil, elle s’est à plusieurs reprises introduite dans ma poésie. Ainsi, on la retrouve dans les Scènes, ou même dans des poèmes comme La Pin-up, symbole des nouvelles modes vestimentaires. Je suis également restée proche de l’auteur en essayant de garder son processus de prochronie. En effet, mon thème de voyage jusqu’à l’école en LEB m’a permis de montrer également le côté routinier des trajets que j’effectue chaque jour et donc d’illustrer la prochronie. N’oublions pas également qu’il faut aller à l’école, mais également revenir de l’école. La boucle prochronique est alors parfaitement fermée. J’ai beaucoup appris sur la poésie grâce à ce travail de maturité. En effet, il est vrai que beaucoup de gens pensent que, pour faire de la poésie, il suffit d’aligner quelques rimes et quelques belles paroles et le tour est joué. Je savais déjà que ce n’était pas le cas. Cependant, je ne me doutais pas un instant que le moindre détail, du titre du poème à la conception du recueil, soit à ce point calculé. Cela, je l’ai découvert à la fois en analysant le recueil de Blaise Cendrars, mais également dans la construction de mes propres poèmes. On peut dire que je me suis prise au jeu. En effet, j’ai été surprise de constater que, moi aussi, je m’arrêtais sur de petits détails qui pouvaient sembler insignifiants, mais qui avaient à mes yeux toute leur importance. J’ai ainsi compris que les écrivains ne sont pas seulement doués en français ou munis d’un don pour l’écriture, mais doivent certainement apprendre à avoir une grande rigueur dans leur travail. Je dois évidemment avouer que tout n’a pas été facile. Au début de mon travail, il est évident que, malgré l’influence de l’auteur, le thème original et toute ma bonne volonté, je n’ai pas immédiatement trouvé comment écrire mes poèmes. J’entends par là qu’il m’a fallu plusieurs semaines pour trouver mon style d’écriture, le chemin que je voulais suivre et surtout une méthode d’écriture. Je crois que le plus difficile dans tout cela a été de trouver le style que je voulais utiliser. Au commencement, je n’avais pas du tout ce style mordant qui m’avait tellement plu dans les poèmes de Blaise Cendrars. J’ai dû trouver en quoi je pouvais devenir mordante ou plutôt « méchante », comme me l’a si bien conseillé M. Racine. Je pense y être parvenue, du moins en partie, même si cela n’a pas été de tout repos. 22 Bibliographie Livres Cendrars, Blaise, Du monde entier au cœur du monde, Poésies complètes, SaintAmand (France), Poésie/Gallimard, 2010, 420 p. Berranger, Marie-Paule, Marie-Paule Berranger commente Du monde entier au cœur du monde de Blaise Cendrars, Saint-Amand (France), Gallimard folio, 2007, 280 p. Sites internet http://pagesperso-orange.fr/calounet/biographie/cendrars_biographie.htm Site sur la passion du livre contenant des biographies d’auteurs et différents conseils de lecture http://www.fondationlaposte.org/article.php3?id_article=904 Site consacré à l’actualité littéraire et au patrimoine de la correspondance http://fr.wikipedia.org/wiki/Blaise_Cendrars Encyclopédie libre http://www.poesie.net/cendrs2.htm Site consacré à la poésie (Club des Poètes) 23