Ensemble des résumés - ART-Dev
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Ensemble des résumés - ART-Dev
Corinne LUXEMBOURG – docteur en géographie – Laboratoire MOSAIQUES, UMR LOUEST 7145 – [email protected] Patrimoine industriel, villes industrielles, aménagement urbain, muséification, identité Le patrimoine culturel comme objet des sciences sociales est entré de façon plus ou moins récente dans le vocable de chacune des disciplines qui les composent. De même, l’élargissement de la notion de patrimoine est un phénomène relativement nouveau. Ainsi, le terme de patrimoine industriel n’apparaît qu’au tout début des années 1970, avec la naissance de l’écomusée du Creusot – Montceau‐les‐Mines en 1973. La construction du patrimoine industriel repose alors sur le recensement du patrimoine bâti des établissements de production et sur une volonté de conservation de ce bâti. Ce n’est qu’à partir de 1976 que l’on nomme ce patrimoine patrimoine industriel et ce n’est, seulement, qu’en 1983 qu’une cellule de patrimoine industriel est créée auprès de l’Inventaire des monuments et richesses artistiques de la France et donc que le patrimoine industriel devient patrimoine culturel, c’est‐à‐dire un ensemble reconnu comme faisant partie d’un corpus universel à transmettre. Il passe d’un statut de connaissance d’une catégorie particulière de la société qui compose les différents éléments du système de production à celui d’appartenance collective au‐delà des seuls salariés et habitants concernés originellement. Cela se manifeste par exemple par l’installation d’outils ou d’éléments à connotation industrielle sur l’espace public et donc par des aménagements de l’espace urbain particulier. Ce passage implique nécessairement une appropriation de l’histoire économique de la ville par les acteurs politiques ce qui n’est pas obligatoirement le cas. La patrimonialisation de l’héritage industriel n’intervient donc que lorsque l’identité industrielle de la ville et assumée comme telle. Plus peut‐être que d’autres bâtiments « patrimonialisables », les établissements industriels sont soumis, dans ce qui paraît être une forme d’« assainissement » du paysage urbain, à la démolition. Si ce n’est pas le cas, restent les interrogations « Que faire de… ? » et « Quelle doit être l’ampleur de la conservation ? ». Le patrimoine industriel devient alors un facteur de l’aménagement urbain à part entière. La structuration des paysages industriels fait alors partie intégrante de ce patrimoine. L’évolution de ce patrimoine est aussi fonction des utilisations et/ou des réaménagements dont il fait l’objet. Citons la muséification, ou différentes mises en scène qui participent de la « mise en tourisme1 » d’objets particuliers. Le réaménagement s’illustre aussi par différentes formes de revitalisation du bâti par des activités de production, d’habitat ou de loisirs. On pense alors à l’aménagement de friches industrielles en lieux culturels. Selon l’accessibilité (espace privatif, sélection financière…) des lieux ainsi réaménagés, on peut constater une forme de confiscation du Expression utilisée par le TICCIH pour désigner le reclassement du bâti industriel en patrimoine destiné à témoigner de l’héritage industriel. Le TICCIH est lié à l’ICOMOS sur des questions qui relèvent du domaine spécifique du patrimoine industriel, notamment en matière d’évaluation des candidatures à l’inscription sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. 1 patrimoine industriel à ceux qui avaient participé à la production (en particulier les ouvriers). Ainsi le patrimoine industriel, issu du monde de la production, peut changer radicalement d’usagers en fonction des choix qui sont opérés et un bien appartenant à l’environnement d’une catégorie spécifique devenir un lieu qui exclut celle‐là même. Enfin, il convient de mentionner qu’en s’élargissant, le patrimoine industriel concerne aussi les activités de production et les savoir‐faire, que cela se matérialise par des visites d’usines ou par des conservatoires de savoir‐faire. Notre exposé s’appuiera plus précisément sur des exemples urbains comme Le Creusot, Gennevilliers ou Valenciennes pour rendre compte des différents niveaux de patrimonialisation comme illustration de différents niveaux d’appropriation par les acteurs locaux de l’identité industrielle. Auteur : MARCONDES, Maria José de Azevedo, Architecte, Urbaniste et Professeur ‐ Cours d’Architecture et urbanisme, Institut d ‘Arts, l’Université d’Etat de Campinas (Unicamp), Brésil [email protected] Patrimoine, Politique , Protection , Valeur, Ville Territoire et Patrimoine dans la ville de São Paulo : la notion de patrimoine émergent L’objectif de ce travail est de discuter les lignes directrices et les stratégies de préservation et de conservation du patrimoine culturel incorporées dans le Plan Directeur d’Usage et d’Occupation du Sol de la ville de São Paulo, qui a été élaboré et promulgué ces dernières années, dans la perspective, exprimée de forme paradoxale, des possibilités politiques des divers groupes sociaux d’obtenir la jouissance des biens patrimoniaux, de l’héritage culturel et de la mémoire de la société. La préservation du patrimoine culturel dans la ville de São Paulo, initiée en 1974, définie par l’administration municipale, été désignée à l’origine avec la création de zones d’usage et d’occupation du sol dans la ville à partir de la délimitation des biens culturels significatifs de l’aire centrale, fondée sur les savoirs techniques définis par des spécialistes, au moyen de la sélection des biens patrimoniaux architecturaux, selon deux points de vue concomitants et superposés ‐ division en cycles économiques (époque des « bandeiras » ; expéditions systématiques à la recherche de l’or ; agriculture de subsistance ; production du café, période préindustrielle et période industrielle) et une autre relative aux techniques de construction (pisé ; brique et ciment armé). La liste de base des biens culturels résultant de cet inventaire s’est transformée en zones d’usage du sol – 100 zones d’usage– organisées aux abords des bâtiments de caractère historique ou d’une exceptionnelle valeur artistique, culturelle ou paysagère, destinés à être préservés, et formées de l’aire qui s’étend dans un rayon de 200 m autour des dits bâtiments situés dans la région centrale de la ville de São Paulo. Plus récemment un immense débat s’est engagé sur les directrices du développement urbain, des stratégies de requalification urbaine et de la préservation de l’environnement naturel et culturel, dans le cadre des débats publics du Plan Directeur Stratégique et des Plans Régionaux. La proposition de créer des Zones de Protection Culturelles – ZEPECs – dans l’actuel Plan Directeur de la ville de São Paulo a fini par concerner tout le territoire municipal et non plus la seule région centrale. La conceptualisation et la délimitation de ces zones résultant des débats du plan avec la communauté dans les sous‐préfectures, ont atteint la délimitation de 150 aires définies en tant que zones de protection culturelle. La protection des ensembles historiques s’est efforcée de se guider d’après le milieu de vie quotidienne des personnes et non plus d’après l’idée de monument et de la singularité au sens traditionnel de la conservation,mais à partir d’un processus d’ample consultation publique pour l’élaboration des plans régionaux de développement urbain, dans lesquels sont inclus le plan de protection du patrimoine culturel. Ces nouvelles zones de protection culturelle, qui incident dans les anneaux enveloppant l’aire centrale du municipe, concernent des territoires intermédiaires de l’anneau central et désignent surtout un patrimoine industriel, ainsi que des aires d’urbanisation précaire avec de grands contingents de population de migrants, lesquelles ont défini les éléments de la culture matérielle de ces territoires à préserver. L’élargissement du concept de patrimoine, autrefois limité à l’idée de monument, vers un ensemble plus ample comprenant tout le champ de la culture pose des questions sur la façon de protéger et de traiter cet ample territoire, questions qui se posent à partir du processus de sélection des biens à protéger, guidé selon la vision d’un collectif d’acteurs sociaux. Les critères et les valeurs qui émergent des nouvelles indications des zones de protection du patrimoine culturel se réfèrent à la valeur de l’environnement urbain, constitué par des paysages culturels, et par le patrimoine industriel, essentiellement, en contraste avec les valeurs artistiques et historiques qui sédimentent le choix des biens culturels à protéger, fondé autrefois sur des conceptions « cultivées » de l’histoire et de l’art. Nous concluons que la politique culturelle doit prendre en compte le caractère évolutif de la notion de patrimoine et de ses transformations dans les sociétés contemporaines, et qu’elle peut s’organiser selon la différence proposée par Raymond William, dans son œuvre Marxisme et Littérature (1989), auteur qui établit les différences, dans le domaine de la culture, entre l’archaïque, le résiduel et l’émergent, plus que par l’opposition entre le traditionnel et le moderne. Jean‐Paul FOURMENTRAUX* Un art citoyen et territorial à valeur d’usage Les « Nouveaux Commanditaires » de la Fondation de France Depuis les années 1990, les politiques publiques et/ou privées visent à élargir le champ d’intervention des arts et à en accroître les retombées pour la société à travers une volonté de « démocratisation de la culture » : par un enrichissement de l’offre et une ouverture à des pratiques qui n’étaient pas jusqu’alors reconnues comme faisant parties des Beaux arts (danses urbaines, design, architecture, paysage, art culinaire…) . Dans cette période où est menée une « politique des artistes » et de soutien aux auteurs, la Fondation de France propose de reconsidérer la « valeur d’usage » de l’art. Le programme d’action des « Nouveaux Commanditaires » conçu par l’artiste François Hers invite des citoyens, confrontés à un problème de société ou de développement d'un territoire, à prendre l'initiative d'une commande à des artistes contemporains. Son originalité repose sur une conjonction nouvelle entre quatre acteurs : les citoyens commanditaires, le médiateur culturel de la Fondation de France et l'artiste, rejoints dans la phase de production de l'œuvre par des partenaires publics et privés. Il s’agit d’éclairer les mutations du travail de création et la métamorphose des œuvres d’art promu par ce dispositif de soutien et de médiation artistique. En prenant la métamorphose des œuvre comme objet d’étude privilégié de la redéfinition des relations entre art, territoire et société, il s’agit d’examiner trois niveaux de conséquences : le changement d’échelle de la création artistique, les interactions accrues entre l’art et la société, l’entrée en scène de nouveaux acteurs dans la production et valorisation des arts. L’enjeu principal de la communication sera de documenter ces processus de création en portant un accent particulier sur les controverses et négociations dynamiques qui entourent la métamorphose de l'œuvre et composent les ressorts d’une mise en œuvre d’art partagée entre l'artiste, le médiateur et les commanditaires. Mots Clés : Art et Société, Espace public, Territoire, Communication, Médiation, Médiatisation, Expression et participation citoyenne. Jean‐Paul Fourmentraux est Sociologue, Maître de Conférences à l'Université de Lille 3, UFR Arts et Culture et laboratoire de sciences de la communication GERIICO. Il est également chercheur associé au Centre de Sociologie du Travail et des Arts, à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris (EHESS). Il mène aujourd’hui des recherches comparatives sur les interfaces entre production artistique, recherche‐développement et innovation technique. Coordonnées personnelles : 13 rue de Suez, 75018 Paris ‐ Tél. 06.87.02.21.21 jean‐[email protected] ‐ http://cesta.ehess.fr/document.php?id=80 Publications récentes Art et Internet. Les nouvelles figures de la création, CNRS Éditions, Paris, 2005. Sélection d’articles dans des revues scientifiques Faire œuvre commune. Dynamiques d’attribution et de valorisation des co‐productions en art numérique. Sociologie du Travail. Vol.49, n°2. 2007. Favoriser l’innovation artistique à l’heure des TIC, Regards sur l’actualité, La documentation française, n°322, 2006 Quête du public et tactiques de fidélisation. Une sociologie du travail et de l’usage artistique des NTIC », Réseaux n°125, 2004. L'œuvre, l'artiste et l'informaticien : compétence et personnalité distribuées dans le processus de conception en art numérique », Sociologie de l’art, OPuS 1/2, 2002. VERNEY Sébastien Doctorant à l’Institut des Études Régionales et des Patrimoines (IERP) Université Jean Monnet Saint‐Étienne Professeur H‐G/ Collège français Charles Nicolle – Sousse (Tunisie) Courriel : [email protected] site web : http://crpindo.ifrance.com « Notre perle d’Extrême‐Orient ». Conceptualisation et gestion d’une construction patrimoniale héritées du contexte colonial : l’exemple de l’urbanisme indochinois (1859‐2007). L’Indochine française, vaste construction territoriale débutée au XIXe siècle, dont la constitution s’effrite au XXe siècle, demeure un cas intéressant de patrimonialisation car soulevant plusieurs interrogations sur son origine, son développement et son devenir à l’aune de la mondialisation dans un contexte asiatique. Le patrimoine, en tant qu’objet historique s’articulant dans le temps, engendre dans les territoires anciennement colonisés un double défi, tant pour l’ancienne puissance coloniale que pour l’ancien pays colonisé. L’intégration du patrimoine urbain dans une mémoire collective, cinquante ans après l’accès des pays indochinois à leurs indépendances respectives, pose la question du sens politique de son maintien physique et de son intégration dans l’identité de la nation. En effet, à partir du moment que ce dernier n’est pas détruit mais pérennisé par les autorités du pays, voire conservé en perpétuant son ancienne fonction (la municipalité d’Hô Chi Minh ville (HCMV), aujourd’hui Comité populaire), cette démarche soulève la question de sa place au sein des mentalités locales. De par son poids historique, le patrimoine colonial est cependant absent d’une réflexion plus globale par sa contribution à la constitution d’une identité nationale, rejetée tel un « fils » dont la paternité soulève l’épineuse question d’une union adultérine. Outre la différenciation dans les approches patrimoniales différentes selon les aires culturelles occidentales ou orientales, le fait colonial demeure encore tabou car relégué derrière une histoire nationale privilégiant un patrimoine asiatique plutôt qu’occidental2. Pourtant, outre la fonction utilitaire des structures urbaines, la colonisation par sa rencontre violente et quelques fois fécondes entre différentes civilisations, transmet par ce patrimoine urbain une identité nouvelle dite de « franco‐indochinoise ». Son intégration dans l’architecture (Musée d’Histoire du Viêt‐nam à HCMV), la culture par l’outil scolaire, voire son application politique par l’éphémère fédération Indochinoise sous Vichy, recherche une fusion entre les aires culturelles indochinoises dont la finalité première est de présenter la France protectrice de ses « petites nations ». Cette démarche inaugure un renouvellement dans l’approche des cultures dominées, qui de négligées deviennent l’objet d’un attrait scientifique utilisé à des fins politiques. Cette identité indochinoise naissante qui ne survit guère à la Seconde guerre mondiale, est un 2 A titre d’exemple la prochaine conférence internationale de l’UNESCO sur le patrimoine au Viêtnam en 2009 est consacré à l’architecture urbaine, dont le patrimoine colonial semble absent des thèmes retenus. des legs actuels de la colonisation française d’où sa survivance en France plutôt qu’au Viêt‐nam, au Cambodge ou au Laos. Les autorités françaises, entre soucis de repentances et souhaits d’éviter un clash diplomatique, utilisent donc avec parcimonie ce patrimoine partagé dans leurs nouvelles relations économiques avec les « petits dragons » de la péninsule. Par des projets universitaires mêlant les Affaires Étrangères, des institutions françaises (École Chaillot au Cambodge dans le cadre du « Fonds de Solidarité Prioritaire » en 2007), la question patrimoniale n’aborde plus son aspect colonial. De la sorte, la priorité est donnée à des projets locaux écartant la sauvegarde de ce patrimoine franco‐indochinois en se focalisant sur le patrimoine culturel plus apolitique3, l’absence d’une réflexion sur cette sauvegarde dans la nouvelle Hô Chi Minh Ville du côté français est des plus significatif4. Notre communication abordera également ce patrimoine, lourd de sens symbolique, sous l’angle de son utilisation économique en devenant un outil touristique, voire un canon esthétique comme le prouve sa réutilisation dans certaines constructions privées tant au Viêt‐nam qu’au Cambodge et au Laos. Il en est de même dans la « nostalindochine » auprès de la population française, mémoire entretenue par les derniers témoins de la période ou par des productions cinématographiques récentes. Enfin, nous privilégierons les cas de plusieurs villes de la péninsule indochinoise dans leur gestion territoriale et asiatique de ce patrimoine colonial. Nous présenterons la progressive construction culturelle d’une Indochine coloniale imagée, son développement et enfin sa réalité urbaine face aux défis que doivent affronter les pays indochinois actuels. Fiche biographique : Sébastien Verney est professeur d’histoire au Collège Charles Nicolle (Tunisie). Après un travail de quatre années aux seins des archives nationales vietnamiennes, cambodgiennes et laotiennes, il achève une thèse de doctorat portant sur les politiques identitaires de Vichy en Indochine : La Révolution nationale catalyseur d'une construction identitaire dans un contexte colonial. L’essor des identités nationales indochinoises durant le régime de Vichy (1940‐1945) (Université Jean Monnet de Saint‐Étienne). Dernières publications Livre : Courant 2009 : VERNEY S., « 3 Projet FSP n°2002-125 « Valorisation de l’écrit en Asie du Sud-Est » fin 2006, projet FSp n° 2004023 « Revalorisation du patrimoine muséographie vietnamien » fin 2007. Voir http://www.ambafrancevn.org 4 Communauté urbaine de Lyon, « Le développement urbain d’Hô Chi Minh ville », conférence à Hô Chi Minh ville, 09 mars 2007 Colloque international : 15 et 16 mai 2008 : VERNEY S., «Le nécessaire compromis colonial : le cas de la plantation Michelin de Dầu Tiếng (Cochinchine) de 1932‐1937». Institut de l’Histoire du Temps Présent, Colloque international sur les Administrations coloniales, 15 et 16 mai 2008, IHTP Paris Article : Février 2008 : JENNINGS E., VERNEY S., « Vichy aux Colonies. L’exportation des statuts des Juifs dans l’Empire » (« Vichy and the colonies. Export of the status of the Jews in the Empire»), Les Archives juives, n°41/1, 1er semestre 2008 « Saigon, lieu de rencontre entre orient et occident. Diversités locales et politique coloniale, naissance d’un patrimoine urbain commun (1859‐1945) ».Site web : http://crpindo.ifrance.com Le béret sans les sabots. Vins et vignoble de Saint‐Mont (Gers, France) : construire un patrimoine pour demain Danièle LAPLACE‐TREYTURE MCF en Géographie, membre du Laboratoire SET (UMR 5603), Université de Pau et des Pays de l’Adour (France) Daniele.laplace@univ‐pau.fr Mots‐clés : vignoble – valorisation du patrimoine ‐ mémoire collective – mise en images – approche culturelle Des chercheurs aux acteurs locaux du territoire, en passant par l’UNESCO, vins et vignobles évoquent de manière consensuelle un patrimoine naturel et culturel devant être préservé et valorisé5. Auréolé de cette dimension patrimoniale, le vignoble français ‐ ce « monument national qui fait partie intégrante du patrimoine » (Roudié, 2000, p. 345) ‐ fait d’ailleurs l’objet d’une attention croissante de la part des pouvoirs publics qui cherchent de plus en plus à le valoriser sur un plan touristique6. Mais vin et patrimoine ne se déclinent pas nécessairement partout sur le mode touristique. Dans le Sud‐ouest de la France, en marge (voire à l’ombre) du vignoble de Bordeaux, existe un autre patrimoine en quête de reconnaissance, qui affirme haut et fort sa légitimité, et dont le vignoble de Saint‐Mont offre un exemple intéressant. Situé dans une petite région rurale dont l’attractivité touristique reste faible, celui‐ci cultive l’image d’un vignoble paysan enraciné dans une culture gasconne, tout en affichant depuis 30 ans sa volonté de « sauvegarder et développer une région »7. Loin de vouloir appliquer toutes les « recettes » habituellement proposées (route des vins, musée du vin… cf. rapport Dubrule) les 200 vignerons coopérateurs de Saint‐Mont construisent leur patrimoine par le biais d’actions et de projets qu’ils inscrivent en référence à un déjà là « 1050 : déjà un terroir et des crus reconnus » et un pas encore là « Saint‐Mont demain : le meilleur vin du Sud‐Ouest »8. Ils mobilisent une histoire qui est double, celle de la vigne (liée à la présence de lambrusques sauvages) et celle des hommes, en particulier l’organisation coopérative plus récente qui prend alors valeur de patrimoine. L’appellation entre aujourd’hui dans une phase de transition, « déstabilisante », marquée par le passage de la génération des fondateurs de l’appellation (années 70) à la jeune génération ayant un rapport que les anciens qualifient « de moins affectif et plus économique à la vigne ». Cette dynamique interne s’inscrit dans un contexte global porteur lui aussi de changements, autour de nouvelles valeurs et enjeux supposant 5 Voir par exemple : Paysages de vignes et de vins. Patrimoine – enjeux – valorisation, Colloque International de Fontevraud (2, 3 et 4 juillet 2003). En 1999, l’UNESCO classe le vignoble de Saint‐ Emilion au titre de paysage culturel. 6 Le label Destinations Vignobles ; le rapport Dubrule (2007) sur L’oenotourisme : une valorisation des produits et du patrimoine vitivinicoles ; l’annonce au printemps 2009 de la création d’un Conseil National de l’oenotourisme et d’un label « Vin et Patrimoine » par le ministre Michel Barnier. 7 D’où de multiples implications dans la vie culturelle de la région, notamment lors du festival Jazz in Marciac, dont ils partagent, avec les organisateurs, des valeurs communes autour du développement local. Formulation reprise dans la presse locale, nationale et internationale, spécialisée ou non. 8 Document interne de présentation de l’appellation. d’intégrer ou d’anticiper l’intégration de normes liées, notamment mais pas exclusivement, à la durabilité. Dans ce contexte, deux projets paraissent emblématiques de la manière dont cette communauté de vignerons articule reconnaissance /valorisation du patrimoine et « désir de territoire », car, au‐delà de la préservation d’un type de vins dits géographiques et d’un mode de gouvernance (l’AOC, le système coopératif), il s’agit de défendre un modèle culturel, la qualité d’un lien au lieu et aux autres. ‐ un travail sur la mémoire vigneronne, initié en 2000, consistant en une collecte sous la forme d’entretiens filmés (une 100aine à ce jour) de la parole de vignerons et de personnes ayant travaillé pour la cave, un projet volontairement confié au Collège des Anciens de la cave coopérative de Saint‐Mont ; ‐ le projet Géowine9 qui a d’abord pour objectif la construction d’une géo‐ traçabilité permettant notamment une amélioration qualitative des vins mais qui, à terme, devrait permettre (à travers l’internet) la mise en images d’un « patrimoine actif »10 (présentant, outre le paysage viticole, le savoir‐faire des vignerons et leur travail tout au long de l’année), de même qu’un contact direct entre le consommateur et le vigneron, portant ainsi le patrimoine bien au‐delà des frontières de l’appellation. Cette communication permettra d’interroger le patrimoine du point de vue de ceux qui tout à la fois en vivent et le font vivre, le pensent et le valorisent non seulement dans ses composantes matérielles (paysagère ou bâtie) mais aussi et surtout dans sa dimension immatérielle, de comprendre leur capacité à se raconter et à raconter une « histoire à soi », à faire lieu et lien, ici et ailleurs. Ce patrimoine du vivant est ici un outil de production doté d’une forte valeur économique ; il faut le transmettre tout en le « renouvelant sans cesse »11. A cet égard, cette patrimonialisation dit non seulement un attachement au passé mais aussi une capacité à se projeter dans l’avenir, offrant en quelque sorte l’image d’un patrimoine à la fois conservatoire et laboratoire. 9 Initié depuis trois ans, ce projet incorporant plusieurs technologies innovantes, est cofinancé par l’Europe, le conseil Régional de Midi‐Pyrénées et le département du Tarn‐et‐Garonne. 10 Selon l’expression de Jean‐Luc Samson, président du groupe Plaimont, construit autour de la cave de Saint‐Mont. 11 Même source. Le développement d’un patrimoine culturel francophone canadien au nord du 60e parallèle Anne ROBINEAU, Chercheuse, Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, Moncton, Canada [email protected] Éric Forgues, Chercheur et directeur adjoint, Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques [email protected] Christophe Traisnel, Professeur adjoint, Département de science politique, Université de Moncton, chercheur associé à l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques [email protected] Quand on pense aux territoires nordiques du Canada, l’image de grandes étendues blanches nous vient bien avant le désir de territoires de petites communautés francophones. Pourtant aussi petites qu’elles soient, ces communautés sont bien présentes au Yukon, aux Territoires du Nord‐Ouest et au Nunavut. Elles ont des écoles en français, des associations défendant activement leurs intérêts. Elles ont aussi leurs symboles officiels comme leurs drapeaux et leurs hymnes célébrant leur récent enracinement dans le nord et leurs liens avec les autres communautés linguistiques des territoires. L’objet de cette communication est de présenter la façon dont ces communautés francophones sont en train de développer leur patrimoine culturel. Ce développement peut paraître a priori paradoxal. En effet, ces communautés sont composées d’environ 80% de migrants, notamment de francophones des autres provinces canadiennes auxquels s’ajoutent quelques Européens et quelques Africains. Malgré cette hétérogénéité dans la composition même de ces communautés francophones, des valeurs communes semblent les rassembler autour d’un désir de territoire à la fois physique et symbolique. Ces valeurs expriment un attachement à la nordicité tout en cultivant le désir de vivre en français. La construction de l’identité ethnolinguistique qui en découle, s’appuie alors sur un projet de communauté et de développement de ses institutions. L’inscription de ce projet dans une mémoire collective permet aussi de penser ces communautés dans une continuité historique avec ses pionniers et les luttes qui ont permis d’affirmer la présence francophone dans le Nord. Cette communication présentera donc les principaux résultats d’une recherche menée depuis deux ans sur les communautés francophones des trois territoires canadiens. Pour réaliser cette étude, une centaine d’entretiens semi‐directifs ont été réalisés. D’autres données ont été collectées à travers des statistiques, des documents d’archives et un certain nombre d’ouvrages et d’articles scientifiques portant sur divers aspects de la francophonie nord‐canadienne. GRAVARI‐BARBAS Maria, Professeur, Université Paris 1 Les pulsions patrimonialisatrices : une analyse diachronique des « machines à produire des patrimoines Les historiens de la notion du patrimoine ont montré pertinemment l’émergence et la consolidation de la notion au cours du 19e siècle dans le contexte de l’affirmation des Etats‐Nations. Les grands sites du patrimoine national français ont pour la plupart été attentivement exhumés, sélectionnés, voire fabriqués pour servir l’idéal national. La patrimonialisation du Mont Saint‐Michel, des grandes cathédrales, des vestiges romans, a été effectuée par les premiers « entrepreneurs du patrimoine », (les premiers inspecteurs des monuments historiques) afin d’incarner l’esprit de la Nation. Dans un deuxième temps, c’est la modernité qui a servi de « machine à produire du patrimoine » pour reprendre l’expression de Claude Parent. L’industrialisation, les changements radicaux des modes de productions, l’évolution des paysages urbains ou ruraux, ont été à l’origine de reflexes ou des volontés de préservation d’un monde qui évoluait plus rapidement que les sentiments. Dans un troisième temps, c’est la mondialisation qui semble jouer un rôle majeur dans la production de nouveaux patrimoines. Les flux touristiques transnationaux ont en particulier créé les conditions à la fois de la production et de la demande patrimoniale contemporaines et agissent, de nouveau, comme une « machine patrimoniale » dont la puissance semble être bien plus forte que celle en marche dans le passé. A côté des éléments promus au rang patrimonial tout le long des 19e et 20e siècles, dont la sémantique a été savamment retravaillée pour faire appel à des registres autres que le sentiment national ou la valeur refuge, une multitude de nouveaux éléments ont accédée au rang patrimonial pour les besoins du tourisme dans une perspective de singularisation des territoires. L’analyse des nombres et des typologies des éléments patrimoniaux produits par les « entrepreneurs du patrimoine » contemporains met en évidence un processus de patrimonialisation dont le fonctionnement est étroitement lié au système touristique international. La communication proposée vise à analyser les trois modalités de production du patrimoine présentées plus haut (nationalisme, modernité, mondialisation), eu égard aux 4 mots clés proposés par l’appel à communication (économie, territoire, identité, pratiques). Elle montrera que l’emballement plus récent de la machine patrimoniale repose sur un système qui fait appel à ces 4 mots clés: la compétitivité des territoires repose sur des identités singulières, qui loin d’être « spontanées et naturelles » font appel aux pratiques d’acteurs de plus en plus spécialisés, dans un but de développement économique, dans lequel le tourisme joue un rôle primordial. Marion KRÜGER ([email protected]). PhD student, Department of Cultural and Social Anthropology at the University of Tübingen, Germany. Andalusian intangible cultural heritage – Flamenco between identity politics, internationalization and local practice Key words: flamenco –identity politics – ritual practice – economy ‐ globalization Flamenco, as an Andalusian music and dance style, includes notions such as art, tourist attraction, ritual body practice as well as being a field of identity politics and economic interests. As an art, it is performed mainly in theatres. Here we find a clear distinction between those who act and those who watch and listen. Flamenco performed largely for tourists (i.e. in the zambras and tablaos) reinforces a stereotyped version of it and leads tourists to have exotic expectations towards flamenco, which play with the image of wild, passionate gypsies. In contrast, mainly in semiformal and informal contexts which are less anonymous, flamenco is a ritualized social practice, where the frontier between audience and artists dissolves – there is much more dynamic, improvisation and interaction. There are thousands of people coming to Andalusia each year to see, learn, experience and practice flamenco (e.g. 500 students per year in only one flamenco/language academy in Granada). They identify with the music, and they assume flamenco as part of their personality although it is not a part of their culture, and sometimes they even quit their previous life for it. This leads to proceeding internationalization (flamenco academies and festivals in whole Spain, in London, New York, Japan etc., online‐shops for the flamenco market etc.) and professionalization (flamenco events with professional artists in bars, theatres, peñas, tablaos; artists touring mainly throughout Europe, Latin America, North Africa, Russia and Japan; at the same time scientification of research on flamenco (flamencología)). The UNESCO strives for the preservation of musical traditions against the risks of standardization of culture through globalization. But with respect to flamenco, internationalization, professionalization and the merging with other music styles have fructified a diversification of what is displayed on different stages. In the Estatuto de Autonomía de Andalucía from February 2007, flamenco is defined as Andalusian cultural heritage (art. 68), whereby all rights for dispersing, preserving, researching and promoting would belong to the regional government, the Junta de Andalucía. Thereby, all flamenco produced outside Andalusia, is being questioned or at least downgraded as something “not authentic”. The influences of the charter on the evolution of flamenco will have to be waited for, but one difficulty is evident: how to claim a territory for an intangible, mobile cultural heritage, as it is flamenco? The identity politics aims on preserving flamenco as cultural heritage. But in fact, the regional government enhances an artistic form of flamenco more than fomenting flamenco as a ritual practice. Both cases, stereotyped flamenco for tourists and flamenco as performance arts, reveal certain disentanglement from its roots as ritual practice. This means that both forms don’t achieve being integrated into the identity of a local culture. Where this is supposed to happen, namely in semiformal and informal contexts, where spectators and actors merge, where flow and duende emerge more easily, where a local and social anchoring of flamenco still is lived and therefore absorbed by the attendees as something forming part of their lives and personality, this is actually where regional identity politics doesn’t stimulate flamenco. My observation is that on that informal, small scale, identity politics isn’t able control flamenco. Further more, it is a form of flamenco still associated with nightlife, noise, alcohol, and drugs. The peñas as institutional, local agents for preserving and dispersing flamenco, to a certain extent create contexts in which flamenco appears as social practice. But preserving here means a defence against new influences and the search for a pure, authentic form of flamenco music. Contrary to that defending attitude, mainly successful flamenco artists have pushed forward a fusion of flamenco with other music or dance styles. But this tendency is nothing new; the flamenco market is strongly internationalized at least since the 1950s and has integrated manifold influences from the very beginning. Therefore, those artists act as agents for evolution and understand flamenco as a vivid culture. If we refer to something as cultural heritage, we have to sustain the phenomenon as a whole. But the protagonists that claim flamenco as being “their” cultural heritage, seem to be interested only in some of its aspects – aspects which are, to their point of view, prestigious, authentic or economically attractive. Further more, the concept of cultural heritage as something which has to be protected politically, in the case of flamenco (as intangible cultural heritage) seems to impede more its evolution and diversification than it contributes to it. Arts as well as social practices are something vivid and changeable and can’t be conserved like fossils in a museum. Katia BALLACCHINO Anthropologist PhD submitted University “Sapienza”, Rome [email protected] Feast, Cultural Immaterial Heritage, community, migration, trans‐national Ethnography of a migrant heritage: “La festa dei Gigli di Nola My proposal is a part of research based on the theoretical and ethnographical analysis of the centuries‐old Feast of the “Gigli”, or Lilies, in Nola (Naples, Italy), which manifests both popular heritage and the original dimensions of handcraft, poetry, music, photography and film memories. This spectacular feast represents an occasion for community building but also of extreme competition between several of the feast protagonists. Part of the research is dedicated to the study of the contemporary forms of “migrated” feast12, in particular in the contest of New York, where the ritual has been celebrated every year for more than a century. Families of Italian origin within the population of the Williamsburg district (Brooklyn), together with those in the surrounding areas, manage and celebrate the “Gigli” ritual. They represent second or third generation migrants, with different characteristics from the first generation, but notwithstanding these differences they celebrate a family feast that in many ways seems “frozen” in the moment their relatives left their homeland. These groups have no common place of origin: most of them come from Campania or more generally Southern Italy, but original Nolan families are few. This aspect does not prevent them from considering the tradition as their own. The Giglio feast has become a catalyst as well as a promoter of relationship networks based on a double religious and ethnic belonging. The feast plays an important role in many interlinked aspects of life: the safeguarding or reconstruction of cultural identity and its insertion into and consolidation within its new context through the strengthening of their Italian origins via the antique tradition that once “Nolan” has now become “Italian”. The feast seems to have become a bridge, strengthening trans‐national contacts and ties, between the place of origin, settlement and other eventual points of movement. Due to its trans‐national nature, for Italian migrants the feast has become the main point of defence for their cultural heritage and for the reconstruction of a relevant and accepted identity, where imported elements are mixed with others learned through contact with the host society. In the last 10 years, the only American family that maintains a house in Nola and returns every year has been special guests of the feast in Brooklyn. The head of the family in particular is contributing to making the American feast 12 For some time the ritual in question has assumed multiple “migrational” dimensions that are different between each other but all with interesting characteristics: The various towns of the Campagnia region in which numerous Gigli dances are repeated and national geographic movement of the Gigli beginning in the 1980’s and recently reproduced; the different “performance” events in which the Gigli are involved through twinning with festivals in Portugal and Spain and and finally the “italo‐ americano” migratory context in New York. closer to the Nolan one: he claims Italian origin and keeps day by day contacts, thanks to his relationship with the rest of the family in Nola, and to the foundation of a twinned association called “Giglio Boys Club. Nola‐NewYork”. All this is reinforced by recent media operations and the easy mobility between the two continents that allows the two “giglianti” communities to meet at the other feast, learn about the characteristics of the other ritual and sometimes implement changes in their homeland. Over time, the feast has also acquired a strong media dimension, thanks to the creation of several dedicated websites describing and sponsoring the ritual, its story and the city of Nola. They have become like “virtual squares” where people talk every day, creating a network among passionate people and going beyond spatial frontiers. We could imagine that this century‐ old feast machine, with a spire shape, is in some way linked to the towers that migrant Simon (Sam or Sabato) Rodia, from the province of Avellino constructed in the suburb of Los Angeles in which he lived between 1921 and 1954. The architectonical structure with three spires and a boat that he built alone was classified a National Monument of the State of California, (alongside the iron lily covered by paper mache in Brooklyn), representing a point of reference for the district and Italo‐american society in those areas. This is also valid for the “giglio” in Nola, and has lead to the aspiration of candidating the city as containing Intangible Heritage of Humanity, under the protection of UNESCO. Of ingenious manufacture, and without considering its material or use and place where it was built, the Nolan “spire”13 seems to remind people of a “demartinian” bell tower, giving those with a shared passion for the feast, a common belonging to Italy or the same religious beliefs the opportunity to join together. So nowadays, the tradition of the “Giglio”, could be seen as having changed from an expression of material and handcraft culture, to a symbol of cultural “intangible heritage”. 13 The fundamental characteristic of the “festa dei Gigli in Nola” is its musical dimension, through and thanks to which the 8 festival machines are “cullate”, that is each transported on the shoulders of about 128 men, making the symbol of the Giglio similar to that of a dancing belltower as happens in Brooklyn, but not however in Los Angeles, because the Watts Towers are fixed works of art. Even these have become a focus point for followers of jazz giving a certain musical dimension to the obelisk. BINDI Letizia Anthropologie culturelle Professeur Associé Università degli Studi del Molise (Italie) Mystères du Patrimoine Fête, cité et valorisation des ‘traditions locales’ dans le nouveau scénario européen D’après une recherche de quelques années sur un particulier système festif et cérémoniel de la Fête Dieu qui se déroule à Campobasso (Molise, Italie), l’auteur veut aborder le thème de la valorisation des traditions locales dans le nouveau cadre de référence représenté par la Convention UNESCO pour la sauvegarde et tutelle du Patrimoine culturel immatériel (2003) et les relatives dynamiques sociopolitiques dans les différents endroits. Les Mystères de Campobasso sont un cérémoniel complexe dans lequel un group de familles – aujourd’hui constituées en tant qu’association laïque, dans le passé organisées en confréries – organisent, à chaque année, une Procession de scènes d’argument religieux autour de treize machines rituelles réalisées vers la moitié du XVIII siècle et portées sur les épaules par des groups de porteurs de nombre variable. La fête, qui plonges ses origines dans le formes du théâtre religieux du Moyen Age et dans les successives transformation du ‘spectacle’ publique de la Renaissance et de la Contre‐ Réforme, n’a jamais connu d’interruptions, sauf dans la période de la Seconde Guerre Mondiale. Elle constitue un des événements le plus important du calendrier religieux et publique de cette moyenne ville italienne, capitale d’une petite Région du Sud, telle que le Molise. La population participe à la fête en tant que spectatrice, mais quelqu’un aussi comme acteur vivant des représentations sacrées, surtout les enfants en vêtements d’anges, ‘en vol’ sur les ‘fers’, les Mystères, qui représentent des scènes de vie de la Sainte Vierge, d’un certain nombre de Saints et de l’Ancien Testament. Aujourd’hui, après une phase dans laquelle la fête était considérée exclusivement paysanne et populaire, les administrateurs locaux semblent être de plus en plus conscients de la valeur que le cérémoniel a dans la scène locale d’un point de vue culturel et économique et l’église officielle, qui auparavant presque ignorait cette expression de la dévotion populaire, en séparant clairement le moment des Mystères de la Procession liturgique du Saint Sacrement, montre une nouvelle attention pour le rituel en cherchant d’y recouvrir un rôle important. Sur l’arrière‐plan de cette nouvelle relevance de la fête sur le plan local il y a sans doute la conscience des opportunités de développement et de visibilité pour la cité et le débat soulevé par la ratification en 2008 par le Gouvernement Italien de la Convention UNESCO 2003 sur le patrimoine culturel immatériel, mais aussi une réflexion récente de l’Eglise officielle sur les relations entre liturgie officielle et manifestations de la religiosité populaire. En reconstruisant les diverses phases de la fête et des processus de valorisation activés au niveau local, mais aussi de circuits de promotion qui sont en train de se développer au dessus, la communication essayera d’aborder les enjeux théoriques et méthodologiques posés aux ethnologues par l’étude des systèmes festifs locaux et des traditions populaires en tant que pivots d’une possible promotion de la localité sur un plan translocal et transnational. Mots‐clés Politiques du Patrimoine immatériel Fête populaire Développement des territoires Mystères de la Fête‐Dieu Campobasso, Italie BROCCOLINI Alessandra Anthropologist Resarcher at “Università La Sapienza” of Rome (Italy) [email protected] Hybrid, uncomfortable and contested: embarrassment and conflict within the dynamics of ethnographic heritage in Southern Italy Key Words: Ethnographic heritage, Folk culture, Politics of Identity, Naples (Italy), Pilgrimage, Artisanship As is well known, for many years in Italy folk culture (cultura popolare) has been at the centre of powerful processes of patrimonialization. These extremely heterogeneous and complex processes, on a local, regional and national scale have existed here for about ten years, around the notion of “patrimonio etnografico” (ethnographic heritage, or according to the accepted Italian terminology, material or non‐material beni etnografici). This is a notion around which a heated anthropological‐disciplinary debate has developed alongside many territorial experiences tied to the creation of local museums, the re‐ invention of feasts, festivals, music, food and numerous other cultural phenomena. It is a commonly accepted fact in European ethnology that such processes are variously linked to claims of territorial identity. There is also a loose convergence between local identity and the rediscovery and safeguarding of ethnographic heritage, especially if promoted by ethnological studies and more recently by some central institutions. The identity conflicts that characterize these processes of “valuing” are however less explored, above all in places where the notion of ethnographic heritage has to negotiate between different disciplinary competences, with conflicting political dynamics and with the characterization of a “folk culture” deeply rooted in an urban lumpen‐proletariat that is not recognized in a shared vision of patrimony. If “heritage” (patrimonio cultutrale) is what is defined as such by a certain community and social actors, the process of “valuing” simply implies selection. But who has the power to conduct the selection that defines a phenomena in terms of ethnographic heritage? What is valued, at what price and with which economic or identity aims? The two case studies examined in order to reflect upon these themes come from a densely urbanized zone in Southern Italy. The first is a pilgrimage well known to etno‐ anthropological academics that takes place annually in the province of Naples at the Sanctuary of the Madonna dell’Arco. The second case regards the artisan production of the traditional nativity‐scene figures, in the historical centre of Naples. Both are historical places and emblematic of a popular urban culture and create extremely conflicting dynamics in identity terms. Because of its hybrid and lumpen‐proletariat nature that have developed over the centuries, the pilgrimage does not display a shared vision of heritage and identity, and precisely because of this, it has become a conflicting scenario of a “folk culture” that is perceived and represented as uncomfortable and embarrassing. The craft production of Neapolitan nativity‐scene figures, however, is seen as possessing economic and tourist potential that generates political and different disciplinary interests, which have the common aim of promoting a “noble” image of the city, at the expense of hybrid popular practices and knowledge. This contribution will take these two cases as examples to reflect upon the multiple dynamics that organize cultural heritage within complex political and identity frameworks, characterized by conflicting rhetoric that refer to different models of development and evaluation of “heritage”. Gaëlle VIOLO, ethnologie, doctorante et allocataire de la Région Bretagne, rattachée à l'Université Européenne de Bretagne (UEB)/Université Bretagne Occidentale (UBO)/Laboratoire du Centre de Recherche Bretonne et Celtique (CRBC). [email protected] Langue patrimoine : une stratégie de valorisation ? Pour qui et pour quelle(s) transmission(s) ? Le cas du breton en Bretagne (France La langue bretonne est une langue historique de la partie occidentale de la Bretagne. Aujourd'hui, elle est visible sur le territoire de la région : toponymie, panneaux signalétiques français‐breton... En revanche, elle s'entend très peu. Ses locuteurs se font progressivement de moins en moins nombreux, alors que le breton était la langue véhiculaire pour la majorité des bas‐breton avant la Seconde Guerre Mondiale. Pour de multiples et complexes raisons, beaucoup ont délaissé le breton et ne l'ont plus transmis à leurs enfants et petits‐enfants. Coexistent donc des locuteurs premiers (des grands‐ parents, pour lesquels le breton est la langue première), des néo‐bretonnants (des enfants ou des petits‐enfants, pour lesquels il a souvent été acquis d'une manière institutionnelle), et des non‐bretonnants qui ne connaissent pas le breton. Aucune des trois générations en présence n'a le même vécu, la même connaissance ou les mêmes représentations de la langue. En revanche, toutes parlent français au quotidien, alors que le breton n'est usité qu'occasionnellement. Depuis une trentaine d'années surtout, une réappropriation progressive de la langue s'opère par les générations n'ayant pas reçu le breton dans leur famille. Percevant un risque de perte, de plus en plus d'initiatives, hors du cadre familial, sont entreprises pour valoriser la langue elle‐même et sa pratique. Cette démarche de mise en valeur passe par l'incitation à apprendre la langue, à mettre en lien les générations pour la transmettre davantage, à rapprocher « passeurs » potentiels et « quêteurs » de cet idiome14. Une des stratégies dans le discours de valorisation est d'associer la langue à la notion de patrimoine. Ainsi, en Bretagne, on peut lire ou entendre, sur différents médias, des expressions telles que «les langue bretonnes [sous‐entendu breton et gallo], patrimoine de la Bretagne »15, « la langue bretonne, patrimoine de tous »16, « patrimoine linguistique »17. Ces propos s'appuient en partie sur les textes de l'Unesco qui affirment, par exemple, que « dans le domaine des expressions et traditions orales, la langue n'est pas seulement le véhicule du patrimoine culturel immatériel, mais sa substance même. »18, et sur l'inscription récente de l'article 75‐1 de la Constitution Française, en juillet dernier19, qui déclare que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la 14 Vocabulaire tiré de l'initiative menée par le Conseil Général du Finistère « Quêteurs de mémoire ». Les « passeurs » étant les locuteurs ayant le breton comme langue première. 15 Le site de la Région Bretagne, http://www.bretagne.fr/internet/jcms/c_16790/langues‐bretonnes, consulté le 11/05/09 16 Le site du Conseil Général du Finistère, http://passeport.cg29.fr/article/articleview/691/1/279, consulté le 11/05/09 17 « Lancement de l'opération « Quêteurs de mémoire » », dans Ouest France, le 6 octobre 2008 18 UNESCO, Patrimoine culturel immatériel. Langues en danger. Sauvegarde des langues en danger, http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=FR&pg=00136, consulté le 7/05/09 19 Constitution de la République française, Constitution du 4 octobre 1958, Article 75‐1 introduit par l'article 40 de la loi constitutionnelle n°2008‐724 du 23 juillet 2008 France ». Bien au‐dessous des attentes, selon les personnes engagées, cette inscription marquerait tout de même une certaine forme de reconnaissance. Cependant, d'autres s'empressent de préciser que les langues régionales sont un « patrimoine vivant », et non un « patrimoine ». La désignation de la langue comme patrimoine interroge. Sur mon terrain, qui s'inscrit dans une démarche ethnologique, je ne retrouve pas, ou très rarement, les expressions précédemment citées dans les dires des personnes que je rencontre, qui parlent breton, même occasionnellement. Bien au contraire. Un de mes interlocuteurs, bretonnant depuis l'enfance, me disait : « c'est ma langue, c'est quand même dommage qu'on soit obligé de dire que c'est un patrimoine ». Certes, la désignation d'un objet comme patrimoine ne met pas fin à sa transmission. Cette dernière prend d'autres formes. Cependant, en dehors de la sphère scientifique, il semble que pour la plupart des individus, la notion de patrimoine soit associée à des objets du passé, qui n'ont plus d'utilité réelle. Dans le cas d'une langue qui présente une rupture de transmission à travers les générations, et pour laquelle l'objectif officiel ‐ régional‐ est désormais de rétablir à long terme une pratique quotidienne dans la sphère privée comme publique, « la référence au patrimoine reste‐elle si efficace » ? Est‐elle vraiment incitative ? L'association des termes patrimoine et langue, dans une stratégie qui se veut valorisante, ne desservirait‐elle pas la (re)transmission de l'objet linguistique ? Mots clés : ethnologie, transmission, patrimoine culturel immatériel, valorisation, langue bretonne. CHENEVEZ Alain [email protected] Docteur en sociologie, qualifié aux fonctions de maître de conférences en sociologie et anthropologie. Ancien directeur du Musée Urbain Tony Garnier (Lyon, 8ème) ‐ (2003/2008) Fonctions actuelles : Réalisateur documentaire scientifique audiovisuel / sociologue indépendant et Président de SEA Europe. Les logements sociaux sont‐ils « patrimonialisables » L’association Région Urbaine de Lyon souhaite fédérer des cités « HLM » (habitation à Loyer Modéré) habitées, labellisées par l’Etat au début des années 2000 « Patrimoine XXème siècle », dans un programme de valorisation patrimoniale, nommé « Les Utopies réalisées ». L’observation du phénomène de patrimonialisation de certaines cités d’habitat social, en tant qu’actifs de l’héritage industriel, dans un axe Lyon/Saint‐Etienne Métropole est pertinente pour saisir l’intérêt que notre société porte à ses catégories populaires et aux modalités de valorisation de leurs espaces. Le patrimoine est devenu un enjeu essentiel dans nos sociétés, il est instrumentalisé et s’inscrit dans une multiplicité d’attentes concernant le développement symbolique des territoires et des espaces. Il n’est pas simplement d’inspiration publique, mais peut être pragmatique et social, porté initialement par des acteurs ordinaires. Il est ainsi utilisé pour valoriser symboliquement les espaces urbains délaissés. C’est toujours un processus politique fruit d’une action collective, c’est un travail de mémoire et d’évocation. C’est un processus pétri d’oubli qui trie et sélectionne les éléments susceptibles d’être mis en valeur, c’est un choix pratique et une mise en ordre qui enracine et mythifie. Ainsi, ce n’est jamais reproduction, mais bien transformation emblématique, jamais continuité du passé, mais bien rupture20 et innovation métaphorique. C’est une sorte de programme figuratif qui discrimine et divise les groupes sociaux, les territoires, les objets, autrement dit qui distingue. A cet égard, notre hypothèse que la patrimonialisation des logements sociaux de la Région urbaine de Lyon se réalise bien dans un processus de séparation entre l’espace des cités et d’autres quartiers encore plus stigmatisés. Il s’agit en partie de se valoriser en se dissociant des images négatives attribuées aux autres quartiers d’habitat social et à d’autres populations plus défavorisées. De montrer ainsi sa singularité en évoquant la valeur des architectes‐ créateurs, typique du Mouvement moderne. L’originalité, c’est que la patrimonialisation des logements sociaux ne se réalise par dans un processus de gentrification. C’est néanmoins un processus qui arrache à l’existence quotidienne pour se transformer en grandeur, en Utopie réalisée. Même s’il ne possède encore qu’une faible visibilité patrimoniale, les projets de patrimonialisation des logements sociaux reste en devenir, c’est un processus diachronique qui a besoin de temps pour se réaliser, pour s’inventer. Car même si pour se déployer, il exclut lentement la structure sociale immatérielle, il est une ressource territoriale originale qui interroge, fait penser et renouvelle la réflexion sur 20 Michel RAUTENBERG.‐ La rupture patrimoniale. Ed. A la croisée, 2003. les espaces urbains et sur ses imaginaires. Ces initiatives sont des brèches dans l’espace politique de la ville, des arguments pour transformer les représentations portées sur ses territoires et éviter de les réduire à la question sociale. Nous vous proposons de présenter les différentes modalités de patrimonialisation des logements sociaux, des Utopies réalisées de la Région Urbaine de Lyon. Ainsi, le sens contemporain du patrimoine, son utilité sociale, sa diversité, tout autant que la réputation scientifique et historique, méritent de devenir des instruments de mesure du rôle de l’héritage collectif dans l’urbain, comme une empreinte de notre modernité. Mots clés : Urbain, mémoire, patrimoine, imaginaire, populaire. LORET Julie Doctorante en deuxième année de sociologie ‐ monitrice / Université de Rouen Laboratoire GRIS (groupe de recherche innovations et sociétés) [email protected]‐rouen.fr La patrimonialisation du Cirque‐Théâtre d’Elbeuf : Du prestige industriel au patrimoine culturel Mots clés : image / réhabilitation / requalification urbaine / valorisation patrimoniale / héritage culturel. S'appuyant sur un travail de thèse en sociologie intitulée « Arts du cirque et politiques urbaines », cette communication propose de s'intéresser à la réhabilitation du Cirque‐Théâtre d'Elbeuf comme symbole de requalification de la ville et d’analyser le rôle de la structuration politico‐administrative locale et de la multiplication des financeurs dans l’aboutissement de ce projet. Fleuron de l'industrie drapière et lainière jusque dans les années 1970, la ville d'Elbeuf se paupérise suite à l'effondrement de cette mono‐industrie. Depuis, la ville souffre d’une image peu attrayante. Une projection qui se cristallise autour de quelques réalités statistiques actuelles – un fort taux de chômage, des établissements scolaires qui totalisent un nombre élevé de violences, une forte proportion d'habitat social concentré, un faible niveau de formation – et autour de souvenirs toujours vivaces – les interdits de séjour, des quartiers sinistrés, la figure du récidiviste Roger Knobelspiess… Au vu de ces critères de perception, l’emploi du terme de « réhabilitation », pour désigner les politiques urbaines mises en œuvre à Elbeuf, semble plus qu’ailleurs faire écho à ses différentes acceptions – pénale et architecturale. Parallèlement à la politique de reconversion des friches industrielles lancée par les élus socialistes dans le but d'améliorer le cadre de vie des elbeuviens, émerge la volonté de revaloriser l’image de la ville par un projet patrimonial et culturel fort. Le Cirque‐ Théâtre fait alors converger nombre d’espoirs. Bâtiment typique de l'architecture industrielle de la fin du XIX° siècle, le Cirque‐Théâtre recouvre certaines des caractéristiques communes à tout patrimoine : la rareté – ne restent que huit bâtiments de ce type sur le territoire national – et l’originalité – un espace scénique composé d’une scène à l’italienne et d’une piste circulaire. Pendant un peu plus d’une vingtaine d’années, le projet de voir ce « chapiteau en dur » renaître fédère les énergies d’un nombre d’acteurs sans cesse croissant : les élus locaux, initiateurs et porteurs du projet, de nombreux agents territoriaux, des architectes et des scénographes, l’équipe du Cirque‐Théâtre, des artistes intervenants. Au croisement des politiques publiques urbaines, patrimoniales et culturelles, notre analyse porte sur les deux initiatives qui ont lancé le Cirque‐Théâtre sur la voie de la préservation et de la valorisation patrimoniale. Dans les années 1980, il s’agit d’analyser l’inscription de la réhabilitation du Cirque‐Théâtre d’Elbeuf dans les missions de « banlieues 89 », dispositif de requalification urbaine proposé sous le premier mandat de François Mitterrand. Dans les années 1990, il s’agit de montrer comment l’effort de légitimation des arts du cirque sous le ministère de la culture de Jack Lang a permis d’associer au souhait de préservation et de restauration du bâtiment un projet de valorisation patrimoniale fortement identifié par une programmation resserrée autour de spectacles de cirque exclusivement contemporains. La caution artistique étant même, ici, la condition sine qua non de cette réalisation. Il s'agira donc d'étudier la politique de préservation du Cirque‐Théâtre à Elbeuf qui donne à voir, par le bas, les dispositifs originaux mis en œuvre pour sa sauvegarde. Entre les différents projets initiés et le projet abouti, nous verrons que la montée de l’intercommunalité elbeuvienne est décisive. Enfin, nous expliquerons comment l’initiative de faire valoir cet héritage culturel pour faire oublier la fin brutale du prestige industriel elbeuvien est soutenue par une ambition artistique avant‐gardiste qui agit comme un signe distinctif pour la ville. Isabelle LEFORT, Professeur, Géographie, Université de Lyon, UMR 5600, EVS, isablle.lefort@uiv‐lyon2.fr Ghada Salem, doctorante, Tourisme, UMR 5600, EVS, Ghada.Salem@univ‐lyon2.fr Baalbek : haut‐lieu de l’humanité ou enclave territoriale Mots clefs : Baalbek, tourisme, temporalité patrimoniale, haut lieu. Bien avant sa classification comme patrimoine mondial de l’Unesco, la réputation de Baalbek avait couru le monde. Dès le XVIème siècle, les voyageurs en Orient parlaient de « l’exceptionnalité » de cette ville flanquée des Mont‐Liban et Anti‐Liban. De « Baal Beka » la phénicienne à « Baalbek » l’arabe en passant par la l’« Héliopolis » romaine, la ville de Soleil a vu son identité se forger à travers le culte. Païen, chrétien ou musulman, ce dernier a sédimenté des pratiques et cristallisé les lieux. La valeur architecturale ajoutée à la pratique cultuelle a construit un lieu de « pèlerinage touristique » bien avant même que la notion de patrimoine ait apparu. Ce haut lieu moyen oriental ‐ figuré en temple, acropole ou monument ‐ constitue un laboratoire privilégié pour les thèmes du colloque : s’y croisent des questions identitaires complexes qui mettent en jeu des acteurs à toutes les échelles (de la reconnaissance internationale aux prestataires locaux), selon des mailles temporelles et spatiales plus ou moins emboîtées et des rapports d’imaginaires différenciés. C’est en mobilisant son identité touristique culturelle que Baalbek a intégré le champ patrimonial. Son inscription UNESCO est venue labelliser l’identité complexe d’un haut‐lieu touristique. Cependant, les contextes et pratiques actuels modifient sensiblement la donne. À l’heure où le patrimoine devient un enjeu de valorisation culturelle, Baalbek semble vouloir s’émanciper de ce sceau, « incompatible » avec les représentations culturelles de sa population locale. En effet, la réflexion identitaire, engendrée par une reterritorialisation à référentiel culturel, rejette les valeurs patrimoniales attribuées à ce site, témoignage d’une projection orientaliste occidentale. Elle réinterroge la mémoire de la ville à la recherche de « nouveaux » repères culturels ; repères actifs qui renvoient à l’état contemporain de la société, et non à un passé « mort » et appartenant au domaine des « autres ». L’hiérarchisation des éléments identitaires marginalise le site archéologique qui devient alors une enclave, séparée du reste de la ville. Ce qui est considéré comme patrimoine par le regard « extérieur » ne l’est pas par le regard « intérieur ». Les échelles, internationale et locale, entrent alors en opposition, alors même qu’à l’échelle nationale, l’Etat conçoit une pure instrumentalisation du site archéologique au service du développement touristique du Liban. Incapable de soumettre le site « protégé » par l’UNESCO au processus de son affichage identitaire, la population locale « isole » le site de son territoire. Le clivage spatio‐culturel qui en résulte, questionne les catégories même du classement et de la reconnaissance patrimoniale, en reposant crument la question de savoir pour qui il fait patrimoine et quels imaginaires (cultuels et culturels) il mobilise. Malgré toutes les pressions que subit la fonction touristique du site, celui‐ci continue d’occuper la première position en fréquentation des sites archéologiques libanais…. En s’appuyant sur ce site/territoire laboratoire, la communication se propose donc d’aborder les questions de l’inversion et de la transmutation (locales) du regard patrimonial à/sur Baalbek, des temporalités patrimoniales et d’imaginaires à l’œuvre et donc sur les mises en intrigues successives et aujourd’hui dissonantes qui s’y jouent. DJAMENT‐TRAN Géraldine Géographie Maître de conférences Université de Strasbourg [email protected] [email protected] Patrimoine et capitale nationale. Le cas de la « Ville Eternelle Cette communication se propose d’interroger le lien historique entre patrimoine et échelle nationale à partir du cas de la « Ville Eternelle », laboratoire de la patrimonialisation et archétype de ville historique européenne. Quelles relations entretiennent le statut de haut lieu patrimonial et celui de capitale politique ? On montrera dans un premier temps, sur la base du dépouillement des actes parlementaires, que l’identification de Rome comme territoire par excellence du patrimoine italien a constitué un critère de localisation décisif de la capitale politique lors de la décennie 1861‐1871, conformément à la logique de head link, ville qui unit le pays à son histoire, théorisée par le géographe américain Spate en 1942. Dans un deuxième temps, nous analyserons le patrimoine romain comme enjeu géopolitique dans la construction de la capitale nationale. Après 1871, l’œuvre italienne dans sa nouvelle capitale est marquée à la fois par des destructions patrimoniales, par un réemploi du patrimoine architectural de la période pontificale et par la tentative de production d’une nouvelle strate monumentale nationale. Elle fait l’objet de nombreuses controverses archéologiques et politiques, comme dans le cas du monument à Victor‐ Emmanuel II. L’appropriation du patrimoine antique constitue un élément central dans le conflit entre le pouvoir italien et le Vatican (la « question romaine ») qui dure jusqu’en 1929. L’affirmation d’une échelle nationale de gestion du patrimoine accompagne cependant le développement d’une identité italienne. Ainsi, une vaste zone archéologique relève au sein du territoire municipal de la compétence nationale. La période fasciste constitue ensuite un observatoire des relations ambivalentes, entre survalorisation et tri drastique, du futurisme totalitaire au patrimoine. Dans un troisième temps, le patrimoine romain sera considéré comme un observatoire des reconfigurations scalaires dont les capitales nationales sont le siège à l’heure de la mondialisation et de la métropolisation, sa traduction urbaine. Précocément internationalisé du fait de sa valeur religieuse, celui‐ci tend depuis les années 1980 à se mondialiser, par les acteurs comme par les logiques qui interviennent dans sa gestion. Le classement de son centre historique au patrimoine mondial de l’Unesco puis l’orientation de son marketing urbain vers la filière culturelle en témoignent. Les nouveaux dispositifs patrimoniaux expérimentés dans le sillage du jubilé de l’an 2000 instaurent en outre un nouveau dialogue entre temporalités, comme à la centrale Montemartini. Cette étude de cas plaide in fine en faveur d’une approche du patrimoine qui explicite la notion de territoires du patrimoine et les jeux d’échelles, spatiales et temporelles, qui s’y expriment. Mots‐clés : Capitale, échelle, territoire, géopolitique, mondialisation De l’artivisme urbain a la speculation patrimoniale : la favela au cœur des enjeux du centre historique de Rio de Janeiro Nicolas BAUTES Université de Caen Basse‐Normandie ‐ UMR CNRS ESO 5690‐CRESO Chercheur associé au laboratoire Favela e Cidadania ‐ Université Fédérale de Rio de Janeiro L’objet de cette communication est d’analyser les logiques à l’œuvre dans le centre historique de Rio de Janeiro à l’aune d’initiatives tournées vers la valorisation de formes patrimoniales caractéristiques des espaces d’occupation illégale que sont les favelas. Ces initiatives émanent, dans le cas qui nous intéresse, à la fois d’institutions publiques et d’artivistes, acteurs engagés dans l’exploration des nouvelles possibilités offertes par la médiatisation et la valorisation tant économique que politique de l’intervention artistique dans l’espace urbain. À Rio de Janeiro comme dans d’autres espaces du monde, cultures de la périphérie, cultures marginales ou cultures afro‐brésiliennes, se trouvent au cœur des enjeux patrimoniaux. Leur mise en exergue, à des fins identitaires, économiques et/ou politiques, permet d’identifier des logiques conflictuelles qui sont l’expression de désirs de territoires émanant de groupes isolés ou de pouvoirs municipaux en quête d’un projet susceptible de répondre aux exigences actuelles du développement urbain durable. Cette contribution se nourrira d’une recherche en cours depuis 2005 dans et autour de la favela Morro da Providência, dans le centre historique de Rio de Janeiro. Cet espace est soumis depuis le milieu de la décennie 1980 à une série d’initiatives visant à réhabiliter et à mettre en valeur des formes urbaines jusqu’ici peu valorisées par les politiques urbaines. Celles‐ci, qui conduisent les institutions culturelles et patrimoniales locales à définir des périmètres protégés, et à soutenir des projets de rénovation architecturale, s’accompagne aujourd’hui d’une multiplication d’initiatives oeuvrant à la revitalisation culturelle de cette portion de l’espace urbain, laissant entrevoir un processus de gentrification de quartiers de la ville jusqu’ici peu pratiqués par les franges les plus aisées de la population urbaine. Jonchées sur des collines surplombant le centre historique, plusieurs favelas se trouvent au cœur des enjeux de la transformation du centre, comme en témoigne le projet touristique et patrimonial visant à créer un musée à ciel ouvert de la favela Morro da Providência. C’est cette favela qui, depuis plusieurs années, concentre nombre de stratégies visant, selon les cas, à légitimer et mettre en exergue l’action publique, ou à soutenir l’émergence de groupes culturels contestataires. C’est aussi cet espace que l’on retrouve, plus récemment, représenté au travers d’expositions engageant les principaux acteurs et centres culturels de la ville. C’est, enfin, cet espace dont l’occupation est considérée illégale que l’on retrouve en voie d’être protégé par l’Institut de Protection du Patrimoine Historique et Artistique National (IPHAN) et par le Ministère de la Promotion Raciale au titre des quilombos21 urbains, édifiant ainsi en patrimoine un ensemble d’édifices architecturaux, de groupes sociaux et d’expressions culturelles peu enclins, avant cela, à compter parmi les éléments structurants de l’héritage urbain. De l’intervention artistique contestataire et la production d’images singulières de la favela, leur valorisation au moyen de l’économie culturelle, à la quête de dispositifs juridiques de protection patrimoniaux, le constat d’une spéculation patrimoniale dans et autour de la favela permet d’identifier certaines tendances majeures la production patrimoniale au Brésil, aux prises avec la force des réminiscences de son passé, et avec la nécessité de définir de nouveaux modes de reconnaissance sociale. 21 Espaces associés à des groupes issus de descendants d’esclaves afro‐brésiliens ayant lutté contre le pouvoir colonial. Les revendications de droits de propriété foncière en territoire reconnu comme quilombo s’appuient sur l’article 68 (transitoire) de la Constitution brésilienne de 1988, établi pendant la période de transition de ce pays vers la démocratie. SAMAH Ahmed Faried The impact of modernization on material culture. A critical Stud to Statistic, Change and Reformation in Historical Cairo This paper argues for three patterns of material culture in old Cairo city, Traditional pattern, Modernistic pattern, Reproducing or reformation pattern that represents in the integration between the folk tradition and modern features in old buildings or which refers to (traditionalism) which is used in this context to refer to the fact when traditional elements gain a modernistic feature for the sake to grasp new function which is totally differs from its original purpose. The second part of my argument will be devoted to discuss the historical issue for the material culture shape through Islamic Egyptian periods and analysis the identity of material culture as consider it part of Islamic architecture which form in urban environment that seems to be now deformed buildings. This study applies an Folklore Method that depend on historical approach for material culture original in old Cairo and Anthropological method to "GAMALIA" Quarter where there are great deal of traditional building, heritage crafts, craft market like KHAN EL‐KHALILI and different pattern of Islamic architectures, A case study method will be also applied to a sample of craft workshops. This paper could successfully set up some indicators for material culture pattern which is dividing into triple relationships of culture forms; statistical culture, changeable culture and third culture (new culture). Keywords Modernization‐Material culture‐New culture Traditionalism‐reforming culture Introduction The Egyptian heritage is rich with many heritage material crafts, building, art Islamic architecture which form part of material culture and reflect some distinguish culture traits about some folk communities in Egypt .Gamalia area is one of the most famous folk communities in ancient Cairo, which still keeps its traditional characteristics, also rich with much indigenous art Islamic architecture and patterns of handmade crafts as “KHIAMIA” which reflect the creativity of craftsmen. The history of these crafts sometimes develop and other times disappear with the change in folk communities, Now when we look deeply at Gamalia quarter structure particularly the state of material culture types, we can see a sharp contradiction existed in architecture life between what he is traditional elements and modernization elements which I see it as an internal conflict between traditional architecture and modernization building. As a result there is many changes in the structure of material culture establishments as a result of the change that be happened in social, economic, culture shapes in the folk communities. The resulting urban and architectural chaos was exacerbated in the twentieth century by acute problems of rapid expansion, population explosion, and underdevelopment. Today the material culture faces many problems in old quarter, the first problem is the modernization that published in every thing in the folk communities especially in the local market such as the changes that be happened in craft work habits, norms ,the people vision towards its important, the replacement Of the technical machine in production process, The change that be happened in folk building shape and in art symbolic, the dependency of ready made of raw material, the change in the skills of handmade work and so on . Today we must be awareness towards these facts and try to put empirical solution and new policy to make the material culture appropriate with the modern concepts inside the production process, The problem here is not to what extent is the clash between what is traditional elements and modernization elements because any possible kind of clash that may be found between traditional form and modernization form in any community and it is not absolute evil , but we must concern about the process of renewal and reformation the original culture and this will be more clarified in material culture field. From that point the main goal of this study is collecting the elements of modernization that be happened inside the folk community (social and culture change) and analysis the influences of modernization on the shape of material culture either in changing it or reforming it in respect to some indicators to these process. Also,Islamic handcrafts markets are attributed as one of the most material culture patterns which is sensitive to the identity of Islamic architecture. It is a mirror that reflects historical, political, economical, social and cultural aspects in historical Cairo. In addition, Islamic handcrafts are considered as a part of traditional culture which forms a unique feature of the society. Although Islamic handcrafts were formed through Islamic period, it has a perfect interaction with the present reality of the society In popular and old quarter ,there are some various Islamic architecture related to Islamic handcrafts such as Wekala‐El Ghory, so this study will focus to collect data about the role of Wekala Al Ghory as a handcraft market in preserving the material culture. Moreover, Gamalia quarter evolves some important Islamic monumental which reflect a view of Islamic culture. It is a fact that Islamic culture paved the road to the Islamic handicrafts to emerge and supported them to carry on through different eras. In the present time, the position of the Islamic handicrafts has changed due to both social change and the development of social and economical quality of living standards of Cairo. It could be noticed that both local and global economical changes significance affected these Islamic handicrafts in Egyptian society generally and n historical Cairo particularly. An evidence of that claim is that, traditional quarter was including some productive markets which reflect special aspects of Islamic handicrafts of Cairo. However, these productive markets have transformed to be commercial market selling non‐local products Therefore the central assumption of the present paper is to show the features of new modification taken place in old buildings, traditional crafts and the Islamic arts whether by adding new modern styles or partially some parts, also, studying the process of removal some traditional parts including the traditional crafts or symbolic arts and its impacts on the material culture in the future. For the sake of clarification, we claim that the structure of Islamic architecture in Gamalia Quarter has three dimensions, firstly ecological dimension which refers to physical structure traits and ecological environment manifestation which have active roles in preserving or changing the material culture. The second dimension is socio‐ cultural dimension which is basically derived from both Islamic and moral system which is internally implied in individual consciousness. This dimension also represents in its urban and architectural developments and interprets them in light of the cultural. Thirdly, emotional dimension that refers to the state of perceptual consciousness regarding to the importance of culture identity preservation. so We will also examine architectural types and urban patterns in GAMALIA Area to see how they relate to their wider Islamic and Mediterranean contexts. Accordingly, this study supposes that the interconnection between those three dimensions will lead the material culture to make balance in its shape and its art. In this state of interconnection, the material culture has a dynamic state or dynamic functions of integration between the present and the future which I describe it as a continuous activity leading it to adjust and maintains with any change could happen in the Egyptian society. On the contrary, when there is a lack of interconnection between the pervious elements, it could lead to a state of a dangerous position to the essence of material culture. This study will depend on Clifford Geertz theory and his book around The Interpretive of Theory of Culture and his pervious study “The Bazaar Type Economy”. Also this study will depend on concept of Odorno “Culture Industry”, Bourdieu Theory of Popular Culture and Braverman studies around Skill mismatch and Skill shortage In the light of pervious theoretical frame and pervious studies, our present study will mainly focus on answering the following inquires: 1‐ What do we mean by material culture as represented in field work and what its shape, patterns and symbols art in Gamalia quarter? 2‐ To what extent does the pattern of material culture match the identity of Islamic architecture? 3‐ What is the influence of modernization on the elements of material culture? 4‐ What is the contribution of formal and informal culture institutions to preserve material culture either by Eco‐developing the community or by supporting and participation with the Global institution that are concerned in preserving Islamic architecture such as AGA‐ KHAN institute. Finally the present study seeks to examine the process of changing and reformation the traditional elements in material culture and its impact on culture identity in old Cairo. The field work strategy The particular goal of this study is to draw a portrait of the material Culture Types in Gamalia quarter and observing their ability to adjust with the Islamic architecture there, so this study based on folklore approach that included as follow : 1‐historical approach : it will provide us with clear understanding the original of material culture because I claim that all types of material culture have distinctive roots and hence distinctive influences of consciousness individual regarding in developing it or reducing it. 2‐ Folklore method: This study will apply the quantities approach to collect data which is concerned about the pattern of Islamic architecture and its shape in the community. 3‐ This study applied the Anthropological method including the following methodological tools: Observation, Participant Observation, Interview, Case study, Field study Guides, Reports, photographs, Video show, tools of visual anthropology. Conclusion No major found difference in kind or shape can be found in the structure of material culture in old Cairo. However, in recent years there are remarkable changes in physical, Ecological, Social, Economic and culture context in old quarter. The changeable processes are emerged in using technology in traditional material crafts, the reformation process which are emerged in integrating the traditional elements and modernization elements in the traditional building and crafts. Moreover, there is sort of Bureaucratic at the Process of Eco‐development of the community and disorganization in programs of Islamic arts Architecture preserving in the actual life. Hence, there is no more strict belief toward the importance of material culture and its important of social and cultural feedback. References (1)Kathleen Z. Young, Sociocultural Theory in Anthropology, 2nd Edition, Routledge, New York, Winter 2002 (2)James A. 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Mécanismes et enjeux du développement urbain. Mail : [email protected] Les « balades urbaines » : révéler un patrimoine local et construire la ville Depuis le début du siècle, la littérature urbaine voit volontiers se multiplier les ouvrages proposant à leurs lecteurs une découverte itinérante de leur ville : Paris balades22, Promenades dans Belleville et Ménilmontant23 mais également Quinze promenades dans Toulouse sous le regard complice des sculpteurs24 ou encore Promenades dans Saint‐Etienne d’hier et d’aujourd’hui25, etc. A ces nombreux guides touristiques s’ajoute une myriade d’initiatives associatives et municipales d’exploration citadine : le collectif les Robins des villes offre différentes promenades dans la cité de Lyon ; l’association Belleville ça se visite promène ses groupes de touristes dans le quartier de Belleville à Paris ; le conseil général de Seine‐Saint‐Denis invite ses habitants et visiteurs à de multiples balades dans les villes du département ; enfin, des parcours urbains sont organisés par la municipalité marseillaise. Comment se construisent ses « balades urbaines » ? Quel patrimoine citadin et culturel est mis en valeur ? Quels enjeux territoriaux et politiques sous‐tendent de telles activités touristiques ? Une enquête approfondie, réalisée dans le cadre de ma thèse de doctorat en sociologie, au sein du quartier parisien de Belleville, a révélé l’émergence d’une nouvelle forme de tourisme urbain, créateur d’un patrimoine local et producteur de territoire. L’association Belleville ça se visite insiste sur le caractère insolite de ses promenades citadines : on se balade dans les ateliers et les cours habités, on rencontre les artistes et les artisans, on échange avec les habitants et les commerçants, etc. Ces visites ne montrent pas seulement le quartier à travers les traces de son histoire, mais dévoilent une manière d’être en ville et d’occuper le territoire. Tous les éléments représentatifs de la vie de quartier sont ainsi érigés en patrimoine local, producteur d’identité territoriale. Créateurs et restaurateurs, cafés et boutiques participent ainsi, au grès des visites, à la construction d’un espace « réinventé »26, lequel ainsi produit, se visite comme un site touristique. 22 « Paris balades », Le guide du routard. Paris, Hachette, 2007. 23Détune D. et Hourcadette Cl., Promenades dans Belleville et Ménilmontant, Paris, Christine Bonneton, 2007. 24 Coutarde V., 25 Logier G. et Rivatton B., Promenades dans SaintEtienne d’hier et d’aujourd’hui, Saint‐Etienne, Pierre Sangouard, 2001. 26 Je fais référence à l’ouvrage d’Alain Bourdin : Bourdin A., Le Patrimoine réinventé, Paris, Presses universitaires de France, 1984. L’objectif de cette communication est de réfléchir sur ce mode singulier de production patrimoniale et territoriale. On décrira, d’une part, cette pratique touristique itinérante. Comment se déroule une « promenade insolite » à Belleville ? Quels acteurs – organisateurs et visiteurs – participent à ces balades urbaines ? Quels registres sémiotiques et patrimoniaux sont mobilisés au cours des visites ? Dans une optique plus large de réflexion sur le développement urbain, on s’intéressera, d’autre part, au processus de patrimonialisation en ville et à ses conséquences économiques, politiques et sociales pour les espaces traversés. Ancien quartier ouvrier et populaire, Belleville apparaît désormais sous les traits d’un quartier « branché », « où il fait bon vivre et se promener ». Comment s’opère cette transformation ? Quelle place le processus de patrimonialisation prend t‐il dans l’évolution des territoires urbains ? Mots clés : local, gentrification, patrimonialisation, quartier, tourisme. BARTEMENT Daniel, Martine ASSENAT Entre patrimoine et projet : de la fondation et de la refondation des territoires en Turquie. Ce projet est le produit d’une rencontre entre un itinéraire de chercheur et un programme institutionnel de travaux matérialisés par des axes de recherche. Aussi, celui‐ ci veut témoigner d’une insertion possible dans ces axes et proposer une mise en cohérence de ce projet avec ceux‐ci. Mes travaux antérieurs, ainsi que ceux que j’ai dirigés ou encore ceux auxquels je participe aujourd’hui, s’inscrivent aux confins de l’anthropologie, de la géographie, de la science politique et de l’histoire immédiate. Leurs thématiques trouvent une unité autour des notions de patrimoine, de territoire, de paysage et d’identité mais qui ne sont jamais que l’habillage conceptuel, chemin faisant, d’une recherche compréhensive revendiquant sa cohérence dans la rigueur d’une méthodologie procédant de la construction de l’objet. Les terrains choisis se situent autour de la Méditerranée, et depuis 2002 pour partie, en Turquie. Contextuellement, ces travaux sont marqués par la multiplication de territoires de compétence, produits de la mue des états, résultant de la décentralisation en France et plus largement en Europe de la redéfinition et de la recomposition des espaces politiques, entraînées par la construction d’une entité supranationale. Ceci, après un travail de thèse consacré à montrer le rôle du récit historique27 et de son emblématisation28 dans l’espace urbain, permettant de saisir comment s’autorisait un pouvoir municipal29 par son travail de refondation d’une identité citadine. Ce travail a été poursuivi à d’autres échelles et à propos de différents territoires de compétence. Aussi, nous nous proposons de bâtir notre projet en mêlant va et vient entre nos terrains d’observation et constructions conceptuelles, qui sont les deux pôles de notre cheminement méthodologique. Quelle que soit l’issue du processus concernant l’adhésion de la Turquie à l’UE, un constat est d’ores et déjà possible ; celui de l’inscription de l’Europe, entité territoriale supranationale, comme « horizon d’attente » pour la société turque. Et si le mode de construction de l’Europe est une déconstruction des Etats‐nations, entraînant l’apparition de nouveaux rapports entre le supranational et l’infranational, créant des « modèles » d’évolution, français, espagnols, italiens30, il est possible de parler de laboratoire turc. Instituer un nouvel ordre territorial, l’inscrire dans la durée, suppose la reconnaissance de l’autorité, jusqu’ici fondée sur le roman national turc, rapport au passé révélant en Turquie l’omniprésence d’une dogmatique emblématisée31 et monumentalisée, 27 Paul Ricœur, Temps et récit, T.1 Le récit historique, Points Seuil, Paris, 1992. 28 Louis Marin, Le portrait du Roi, Minuit, Paris, 1984. Pour Louis Marin, l’emblème est « écriture et portraiture joints » 29 Pierre Legendre, L’Empire de la Vérité Introduction aux espaces dogmatiques industriels, Fayard, Paris, 1983. 30 A fin d’illustration, et ce dans mon champ disciplinaire d’origine, cf. D. Rivière, L’Italie Des régions à l’Europe, Armand Colin, 2004, Paris. P. Legendre, op.cit. Pour Pierre Legendre la fonction emblématique est celle, nécessaire, qui accompagne d’esthétique la dogmatique du pouvoir qui se déclare. Par ailleurs, parmi les recherches françaises en Turquie qui se préoccupent des emblèmes : E. Copeaux. et C. Mauss‐Copeaux., Le drapeau turc, emblème de la nation ou signe politique ?, Cahiers d’Etudes sur la Méditerranée orientale et le monde turco‐iranien (CEMOTI), n°26, pp.271‐291. (1998) 31 marquant l’espace du sceau du prince père de la nation, le corps de celle‐ci se confondant avec le corps de celui‐là. Sur les billets de dix millions ‐montant le plus important en monnaie turque il y a peu32‐ figure au centre en médaillon le visage de Mustapha Kemal sur fond de barrage Atatürk, le tout encadré par les emblèmes du kémalisme. Cela dessine le paysage d’une terre promise où la fondation et le projet33 sont réunis, où le territoire est appréhendé à travers un code stratégique et esthétique. La série des billets de l’euro, de cinq à cinq cents, supporte chacun d’entre eux un archétype architectural accolé à une carte de l’Europe aux limites floues vers l’Est. Chacun de ces monuments archétypaux, sans réalité concrète, est le produit d’une sélection et d’une décontextualisation ; ils sont sans feu ni lieu. Sur un billet de cinq euros, le citoyen français peut voir le Pont du Gard, l’espagnol Ségovie –et pourquoi pas demain le stambouliote l’aqueduc de Valens. Sur ces billets en euro l’eau, agent d’érosion, mais aussi du temps qu’il fait et du temps qui passe, n’a pas d’effet comme sur les monuments incarnant l’histoire de l’Europe. Ils sont réputés infalsifiables et leur couleur est inaltérable. Cela n’est‐il pas la possibilité de signifier que la référence est inexpugnable, que le présent se protège de sa propre contingence ? Ce détour nous livre peut‐être une piste pour appréhender la place qui est faite en Europe à des mémoires différentes, hier disputées, demain partagées dans un rapport d’étrangeté et d’altérité reconnu. Le paysage, le patrimoine sont convoqués pour traduire les formes de l’accord du vivre ensemble qui font dans la durée territoire et identité. Aujourd’hui en Turquie, le conflit des mémoires34 est visible et lisible dans l’espace concret35. Au point de départ, une observation sur des pratiques récentes : celles mises en œuvre par des élus locaux en Turquie dans la gestion de leur territoire de compétence36. Dans un Etat‐nation, où la version officielle de l’histoire est légendaire et monumentalisée37, ces élus locaux exhument, reconstruisent des lieux qui permettent de concrétiser et de faire voir un nouveau rapport au passé qui est aussi un nouveau rapport à l’avenir. Observer Kagithane38, arrondissement d’Istanbul, c’est saisir comment –et non pourquoi‐, par en bas, se dissout la turcité, comment le monument à la liberté devient ruine, comment une radicale coupure entre la temporalité du monument et celle des collectifs se fait jour, tandis que s’élabore à Saadabad l’incarnation d’un projet à l’échelle 32 Avant la dévaluation de février 2001. 33 Louis Marin rappelle l’étymologie commune de portrait et de projet. Louis Marin, De la représentation, Hautes Etudes, Gallimard, Le Seuil, Paris, 1994. 34 Olivier Abel, Le conflit des mémoires Débris ottomans et Turquie contemporaine, Esprit, janvier 2001, pp.124‐139. 35 Cette visibilité dans l’espace urbain s’inscrit sous la forme d’une néo‐monumentalité dont les produits nécessitent un effort méthodologique pour être lus et interprétés. La transversalité de ces objets implique le recours à des références comme E. Panofsky, et plus près de nous et plus liés à la ville et au territoire, G.C. Argan 36 Cette gestion illustre les trois figures discursives que peut prendre le territoire selon Alain Bourdin, territoire patrimoine, territoire projet, territoire de compétence. L’élu énonce un territoire projet au nom d’un territoire patrimoine, ce qui entraîne une transaction sociale entre acteurs permettant de tracer les limites du territoire de compétences. Alain Bourdin, Pourquoi la prospective inventetelle des territoires ? Espaces et Sociétés, n°3, 1995. 37 L’œuvre de Maurice Agulhon montre l’importance de ce processus en France. 38Depuis 2001, nous avons entrepris un travail d’observations et d’enquêtes sur cet arrondissement récent, et dirigé le DEA de Bigue Örör. Un Cd‐rom est en voie d’achèvement sur cet arrondissement d’Istanbul. d’un arrondissement qui donne à vivre un empire antérieur, fantasme d’un vivre ensemble à venir. Ce choix de lieux singuliers, érigés en modèles de changement social, s’accompagne d’un « désir d’Europe » matérialisé par la demande de coopération décentralisée. Il y a là matière à observer à une échelle fine ce que l’Europe produit en terme de reterritorialisation. Est évoquée alors une multiplicité de patrimoines qui, même si le mot équivalent n’existe pas en turc39, semblent se constituer selon une série de critères correspondant à la catégorie : bien trans‐local, trans‐temporel, apte à modifier de manière métaphorique les limites privé/public et enfin, bien hérité qui lie l’actif au passif40. Peut‐on rendre compte de l’émergence de la catégorie de patrimoine en Turquie dans le cadre d’un modèle de la diffusion d’une idéologie de la durabilité41 qui s’est emparée des discours politiques ? Peut‐on l’imputer à une prise de conscience de la valeur intrinsèque d’un patrimoine mis à mal par une politique d’aménagement centralisée, frontale et sectorielle ? En France, nous avons assisté depuis quelques années à un intense mouvement de re‐problématisation des ressources42, conduisant à une remise en cause d’une territorialisation à dominante économique et fonctionnelle. Ce mouvement a été initié par des acteurs marginaux, néo‐ruraux dans les campagnes43, squatters dans les villes, requalifiant villages abandonnés en villages de charme et ateliers industriels en lofts44. Les territorialisations qui se dessinent alors sont environnementales et culturelles, au sens large. La patrimonialisation de la nature et de la culture constitue l’aspect visible de ce changement de paradigme aménagiste. L’instituant est devenu l’institué, le parc naturel régional a fait accéder un espace de carence à un espace d’excellence. Ces nouvelles territorialisations s’accompagnent de la mise en place de dispositifs de visibilité du mémorable, de pratique de l’admirable, de fréquentation du remarquable. L’histoire locale, le spectacle de la nature vernaculaire et la curiosité pour le folklore local structurent des musées hors les murs, écomusées45. Faudrait‐il voir dans ces dispositifs institutionnels outils de gouvernance un modèle transposable ? Cela serait ne considérer qu’un seul versant de l’institution, la réduire à une forme, une structure établie, et délaisser l’activité de la force instituante. L’institution, par sa bivalence, est ouverte aux possibles qui la transforment, elle est avant tout le champ des médiations symboliques46. Et si dans la perspective de l’adhésion de la Turquie à l’UE, il faut envisager un transfert de normes en matières de gestion des patrimoines naturels et culturels, 39 Damien Bischoff et Jean-François Pérouse, La question des barrages et du GAP dans le Sud-est anatolien : patrimoines en danger ?, Les dossiers de l’IFEA, série : patrimoines au présent, n°3, août 2003. 40 François Ost, La nature hors la loi ?, La découverte, Paris, 1999. 41 André Micoud, Du patrimoine mondial de l’humanité comme un symptôme, Droit et Société, n°2, L.G.D.J., Paris, 1995. 42 Témoignant de la justesse de la position de Claude Raffestin pour qui il n’y a que des choses devenant ressources par rapport à une stratégie et à une vision du monde. Claude Raffestin, Pour une géographie du pouvoir, Litec, Paris, 1980. 43 D.Hervieux-Léger et B. Hervieux, Au fond de la forêt, l’Etat, Fayard, Paris, 1979. 44 Alain Tarrius, Anthropologie du mouvement, Editions Paradigmes, Caen, 1989. 45 Hugues de Varine, L’initiative communautaire, recherche et expérimentation, Editions W M.N.E.S., Mâcon, 1991. 46 Maurice Merleau-Ponty, Résumés de cours au Collège de France (1952-1960), Gallimard, coll. « Tel », Paris, 1982. construction par en haut47 d’une nouvelle territorialisation, cette perspective se traduit déjà par l’émergence d’un principe normatif sans norme, celui de développement durable. Ce principe peut être reçu par des acteurs locaux, les responsables du GAP par exemple, comme une invite à penser durablement le développement dans les cadres qui sont les leurs aujourd’hui. Ainsi, n’hésitent‐ils pas à définir les grands barrages comme des monuments technologiques et culturels pour les générations futures48. Cette interprétation a le mérite de montrer la créativité de l’énoncé qui invite les acteurs locaux à figurer un devenir possible. Même si le cas échéant, le pathétique et le dérisoire d’une rhétorique vide de sens se font jour, témoignant de l’inadéquation entre mémoire, attente et aménagement. Le recours incantatoire au patrimoine ne peut être alors efficace. Même si de fait, aux XIX° et XX° siècles, accompagnant le succès de la mise en place des Etats‐nations, le patrimoine est l’agencement d’une topographie du souvenir national. Il est certain qu’en France, par exemple, que la mise en place d’un dispositif législatif de protection et de mise en exposition qui rencontre la mémoire collective explique la légitimité de cette catégorie voire même d’identifier en elle la source de l’autorité. En Turquie, la mémoire collective s’ordonne autour d’une amnésie et sans doute la table rase –effectuée envers le passé et envers le territoire‐ ne permet plus d’offrir un horizon d’attente. Aujourd’hui, se réveillent des mémoires fragmentaires et erratiques49. Cependant, considérer le patrimoine turc comme un ensemble des œuvres des sites, des paysages conduirait à une vision pérennaliste qui assimile le patrimoine à un donné, qui fait du passé le déterminant du présent. A contrario, il est possible d’affirmer la nature historique, contingente et socialement construite du patrimoine, être de langage plutôt qu’être de raison, résultat d’un triple processus de figuration, de problématisation et d’institutionnalisation du passé. La confrontation entre institué et instituant se traduit par la distinction entre théorie du patrimonial et théorie de la patrimonialisation. Or, si la patrimonialisation est une construction sociale qui s’écrit au présent, c’est alors le statut de la mémoire collective qui est interrogé et P. Ricœur50 distingue deux perspectives, celle de l’archéologie, prenant en compte le poids d’un passé authentique et stable sur le présent, et celle de la téléologie pour qui importe le choix du passé, renvoyant à des stratégies présentes. 47 Et nous pensons qu’il est préférable d’éclairer la construction « par en bas », cf. Jean-François Bayart, L’illusion identitaire, Fayard, Paris 1996. 48 Damien Bischoff et Jean-François Pérouse, op.cit. 49 Olivier Abel, op. cit. Mais aussi Anne-Laure Dupont, Des musulmans orphelins de l’empire ottoman et du khalifat dans les années 1920, Vingtième Siècle, Revue d’histoire, 82, Avril-juin 2004, p. 43-56 ; Méropi Anastassiadou et Paul Dumont, Une mémoire pour la Ville : la communauté grecque d’Istanbul en 2003, Les dossiers de l’IFEA, série : le Turquie aujourd’hui, n°6, août 2003. 50 P. Ricœur, 50 Maurice Merleau-Ponty, Résumés de cours au Collège de France (1952-1960), Gallimard, coll. « Tel », Paris, 1982. 50 Et nous pensons qu’il est préférable d’éclairer la construction « par en bas », cf. Jean-François Bayart, L’illusion identitaire, Fayard, Paris 1996. 50 Damien Bischoff et Jean-François Pérouse, op.cit. 50 Olivier Abel, op. cit. Mais aussi Anne-Laure Dupont, Des musulmans orphelins de l’empire ottoman et du khalifat dans les années 1920, Vingtième Siècle, Revue d’histoire, 82, Avril-juin 2004, p. 43-56 ; Méropi Anastassiadou et Paul Dumont, Une mémoire pour la Ville : la communauté grecque d’Istanbul en 2003, Les dossiers de l’IFEA, série : le Turquie aujourd’hui, n°6, août 2003. Archéologie et téléologie in De l’interprétation, Seuil, Paris, 1991. L’écueil est alors de considérer la patrimonialisation comme une instrumentalisation des croyances visant à assurer la reproduction sociale. Il existe certes une « invention de la tradition »51, mais aussi des « communautés imaginées »52 et que la créativité n’est pas absente de ce processus constant d’appropriation de l’histoire. S’entremêlent alors deux problèmes, qui renvoient à la distinction évoquée ci‐dessus : celui de la gestion des patrimoines, esthétiquement, scientifiquement et socialement reconnus et celui de la patrimonialisation qui réclame l’appréhension par les chercheurs d’un processus en cours. L’interrogation porte alors sur les stratégies et les tactiques. Quels collectifs se nouent autour de choses53 ? Et nos premières enquêtes mettent au jour, à partir de deux terrains, Varto et Diyarbakir, la place et le rôle que joue la diaspora dans ces collectifs dans le dispositif de figuration et de problématisation de ces « choses » qui deviennent nouvelles ressources. Quels sont les statuts auxquels accèdent ces choses ? Quel est le principe de la collection qui réunit ces biens communs ? Quelles limites spatiales enserrent ces biens ? Quelles limites territoriales sont générées par les principes que matérialise la collection ? La patrimonialisation est une opératrice de communauté en même temps qu’une dynamique de territorialisation. Notre hypothèse est alors celle‐ci : ce processus, qui superpose un espace concret et un espace social, élabore un espace public54 en même temps qu’il vise à inscrire dans le temps ce qui est venu le rompre. L’institution d’une durée publique dont les pas de temps sont en homologie avec les échelles spatiales du nouvel espace public, autorise le nouveau cadre légitime de l’action publique. Ce qui permet d’envisager un rapprochement que nous espérons fructueux entre des travaux portant sur des circulations d’une part et sur les constructions de l’identité d’autre part. Mener à bien une telle recherche suppose collaboration, confrontation afin de pouvoir réélaborer la problématique, identifier et discerner de nouveaux terrains afin de pouvoir saturer les données et trianguler les approches en prévoyant que l’interprétation des données se fera à partir de plusieurs cadres théoriques. Le calendrier de la recherche se constitue en accord avec le temps de l’institution, tout comme le projet se construit en accord avec les axes de l’institution. 51 Eric Hobsbawm et Terence Ranger, The invention of tradition, Oxford-Londres, 1982. Benedict Anderson, Communautés imaginées, La Découverte, Paris, 1991. 53 Pour la notion de sémiophore et plus largement pour les statuts que les choses acquièrent : Histoirepp191229 in Krzysztof Pomian, Sur l’histoire, Folio Histoire, Gallimard, 1999. 54 Jurgen Habermas, L’espace public, Payot, Paris, (1971)1997. 52 Jerzy ELZANOWSKI Keywords: ruins, ruinology, picturesque, urban identity, holocaust photography The Manufactured Ruin as Urban Archive Objects of Memory and Warsaw's Urban Identity Crisis Ruins of the Krasinski Palace in Warsaw photographed by Leonard Sempolinski in 1945 (Borecka, 1985) Introduction The goal of this paper is to understand the role ruins play in shaping Warsaw’s urban heritage. Imagine Warsaw in 1945 as an archive of documents testifying to the atrocities of Nazi occupation and further understand that any archive is based on a process not only of retaining documents, but also of choosing those to be eliminated. The reconstruction of Warsaw was therefore an enormous archival project. Warsaw, like Berlin or Dresden, has become a mysterious archive of semantically unclear documents and simulations of WWII destruction (compare Jarzombek, 2001). Witness to two uprisings and systematic Nazi demolition, Warsaw’s old town is now a UNESCO world heritage site: an “outstanding example of a near‐total reconstruction” (UNESCO, 1980). Yet this simplified view of Warsaw’s history does no justice to the complex processes of creating civic memory that are ongoing in the city. Warsaw was not totally reconstructed. In fact, it is littered with ruins: countless walls, gates, foundations, rubble mounds and columns speckle the city as if dropped at random from the sky. Far from random, these ruins are, in reality, the combined result of carefully planned destruction and reconstruction operations. The new leadership burdened the superhuman postwar reconstruction effort with a specific political agenda. The Office for the Reconstruction of the Capital (Biuro Odbudowy Stolicy) turned ruins into palaces and palaces into ruins. For the new socialist city propaganda rather than practicality was prioritized (Crowley, 1997). As a result the city authorities, either through conscious monumentalization or neglect, began to manufacture ruins. Real ruins were either cleared or the buildings reconstructed while new ruins were created to replace them in a controlled fashion. Given that an overwhelming percentage of Warsaw’s urban fabric had been totally eliminated, the fact that undamaged buildings were demolished and their fragments turned into picturesque ruins was simply manipulative. Since ruins in Warsaw therefore cannot be taken at face value they add to the inherent geographic and temporal confusion that hinders the development of an urban identity rooted in a sense of continuity (GDRC, 2009). With a prescient understanding of this sense of temporal compression, in 1945 Irving Brant wrote: “An American enters Warsaw with the feeling that he has stepped out of the real world into something which could not possibly exist. These rows of roofless, doorless, windowless walls, reaching in parallel columns mile on mile, might have been dug out of the earth by an army of archaeologists” (Lukas, 1982). Warsaw had imploded on itself creating a ready‐made archaeological site [1]. What was in reality brought down to the ground seemed to eyewitnesses to rather have been unearthed and centuries of natural decay were mimicked within the span of a decade. 1. Raczynski Palace gardens photographed by L. Sempolinski in 1945 (Borecka, 1985) Brant was not alone in seeing Warsaw as a giant archaeological dig. In October 1945, the Polish poet Jaroslaw Iwaszkiewicz described the ruins of the church of St. Alexander as reminiscent of Roman ruins. “Each day I pass by that way and I see some artist crouching in a ruined gate mimicking Piranesi” (Borecka, 1985). The same year an influential Warsaw photographer, Leonard Sempolinski, took a series of several hundred photographs documenting Warsaw in a state of wintry destruction. Although he did not avoid documenting death, even at a glance it is clear that Sempolinski saw an aesthetic opportunity in the destruction. His photo of the colonnade of the same church of St. Alexander bears a striking resemblance to 16th ‐ 19th century depictions of the ruins at the Forum Romanum in Rome [2,3]. Whether this was a professional habit, a defence mechanism against trauma or even perverse objectification remains to be discovered, but what is clear is that even in the levelled Warsaw of 1945, how people viewed their post‐catastrophic city was intimately connected to a long tradition of depicting urban ruins. For Varsovians, a struggle began between understanding ruins as archival or as aesthetic objects – in sum, a struggle between remembering and forgetting. 2 & 3. Church of St. Alexander in Warsaw photographed by L. Sempolinski in 1945 (left) and The Forum Romanum by Clerisseau in 1798 (Borecka, 1985; Syndram, 1988) So are these ruins purely aesthetic constructions ‐ civic monuments clothed in the skin of wartime remnants? Or perhaps they are symbolic rearrangements – their materiality representing the archetypal ruin? Is authenticity important? Where is the fine line between artistic interpretation and simple misinformation and even propaganda? What is their function in the immense memorial landscape of the city and can they play a positive role in establishing an urban identity? Finally, where do the manufactured ruins of Warsaw lie on the continuum between archival and aesthetic object? Warsaw’s citizens struggle with what is real and what is not, what to remember and what to forget and what point in history to take as “reality”. Understanding Warsaw’s ruins is a step towards a respectful, inclusive and responsible civic memory. Selected Bibliography Assmann, J. & Czaplicka J. “Collective Memory and Cultural Identity.” New German Critique 65 (Spring ‐ Summer, 1995) 125‐133. Baer, U. “To Give Memory a Place: Holocaust Photography and the Landscape Tradition“. Representations Special Issue: Grounds for Remembering 69 (Winter, 2000) 38‐62. Borecka E. (Ed.) Warszawa 1945. Warszawa: Panstwowe Wydawnictwo Naukowe, 1985. Coser, L.A. (Ed.) Maurice Halbwachs on collective memory. Chicago: The University of Chicago Press, 1992. 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Patron‐saint festivals of Moors and Christians as cultural resource in Portugal, Spain and Brazil Keywords: locality, heritage, identity politics, cultural resource, Moors and Christians Festivals of Moors and Christians, combining patron‐saint‐day celebration and staged mock battles between two rival ‘armies’, figure as a valuable cultural resource in strategies directed at the acquisition of social, economic and political capital deployed by a variety of social actors, and at the projection of these festivals onto a larger (trans)national scale. Research undertaken by local and outsider scholars ‐ and the documentation they produce ‐ is often used in the identification of the festivals as heritage and their subsequent instrumentalization in these strategies, being called upon to validate and legitimize processes of heritage making. At the same time, notions of ‘identity’ and ‘belonging’ appear as driving motivations for the individuals that participate in these cultural performances, strengthening the ties they feel with the place where they live and work, but also drawing individuals from outside that are looking to (re)create lost community ties through their participation in these festivals. Underlying both the success of the festivals as ‘cultural heritage’‐ which is measured by the media attention and number of spectators they manage to attract ‐ and as medium for the expression of belonging, seems to be a notion of identity which is directly linked to, and defined as an aspect of ‘genuine’ ‘traditional’ local culture. This notion of cultural identity based on locality is explored through what Hill and Wilson define as identity politics on the one hand and politics of identity on the other55. These politics, although originating from different agents that pursue different objectives, converge on the same focal point: the peformance of identity as cultural heritage. 55 Hill, J.D., T.M. Wilson. 2003. Identity Politics and the Politics of Identity. Identities: Global Studies in Culture and Power. 10: 1-8 In my presentation ‐ based on data gathered through fieldwork and documentary research in three festivals of Moors and Christians, in Portugal, Spain and Brazil ‐ I will compare how the aforementioned issues intertwine in a complex process in which the performance of what people perceive to be constituent of their collective identity, combines and sometimes collides with economical and political strategies that aim at the exploitation of this performance as cultural ‘heritage’, with all the problems this entails. LEBLON Anaïs Doctorante en anthropologie Centre d’Etudes des Mondes africains (CEMAf‐Aix) UMR 8171 CNRS Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme ‐Université de Provence Email : [email protected] La patrimonialisation d’une fête de transhumance au Mali : mise en scène de l’ethnicité peule et enjeux pastoraux locaux. « L’espace culturel du yaaral et du degal » a été déclaré chef‐d’œuvre du « patrimoine oral et immatériel de l’humanité » par l’UNESCO en novembre 2005, sur proposition du gouvernement malien. Le yaaral est une fête annuelle de transhumance des pasteurs peuls du Delta intérieur du fleuve Niger au Mali. Elle est marquée par la traversée à la nage du fleuve Jaaka par les troupeaux de bovins revenant de leur transhumance dans le Sahel pendant la saison des pluies et s’accompagne de concours de troupeaux, de déclamations de poésies pastorales et d’une valorisation de l’esthétique féminine peule. Une enquête de terrain de plusieurs mois a permis d’observer ce processus de construction patrimoniale, dans le temps de sa réalisation, et de renouveler le questionnement sur l’identité peule dans le cadre des changements sociaux, politiques et écologiques affectant les territoires pastoraux. Une réflexion sur le patrimoine traite des représentations qu’une société a d’elle‐ même, des représentations que les concepteurs et les usagers du patrimoine en ont et des modalités du contexte et du moment dans lequel ils s’inscrivent. Comment les niveaux de la patrimonialisation institutionnelle et officielle interagissent‐ils avec les formes endogènes de définition du patrimoine qu’investissent localement les acteurs ? Comment les dynamiques territoriales (décentralisation politique, redéfinition des rapports de pouvoir, gestion des ressources naturelles) influencent‐elles l’identification et la sélection des éléments ethnoculturels qui vont être préservés et valorisés? Le processus de mise en patrimoine induit une réinterprétation du passé des sociétés pastorales peules dans le cadre de problématiques contemporaines de la culture et de ses dimensions identitaires et politiques. Cette réinterprétation est le fruit des regards croisés des organismes tels que la DNPC (Direction Nationale du Patrimoine Culturel), l’UNESCO et leurs experts, des organisateurs officiels des traversées et des populations pastorales locales. Ces dernières ont un pouvoir créatif et réflexif sur ces festivités présentées à un public extérieur au monde pastoral, essentiellement de fonctionnaires et d’hommes politiques, depuis la fin de la période coloniale. Le yaaral se définit, à la fois, comme une expression locale du patrimoine « fina tawa », « on est né, on a trouvé », et comme une mise en scène administrée et publique de certains de ses éléments les plus représentatifs (poésie pastorale, compétition des troupeaux, esthétique féminine). L’expression « fina tawa » est une énonciation commune de l’identité et de l’appartenance qui fait l’objet de redéfinitions dans le cadre d’un processus de mise en patrimoine dans ses formes institutionnelles mais aussi ses manifestations internes. Les individus justifient leurs actions au nom de la permanence et du « fina tawa » et montrent leur capacité à faire des choix dans cet héritage culturel en fonction du contexte socio‐économique et politique. Par exemple, les compétitions du troupeau le plus gras vont être redéfinies pour répondre aux enjeux actuels que pose la pratique de l’élevage transhumant. Ces fêtes se déroulent dans un contexte de multiplication des conflits entre les différents acteurs de l’espace deltaïque et une situation de grande insécurité foncière. Les reformulations du « fina tawa » se situent à l’articulation des rapports entre identité, territoire et ressources dans le contexte spécifique du Mali contemporain, celui de la décentralisation politique, du développement local et de la crise écologique qui touche directement les sociétés pastorales sahéliennes. La mise en scène de l’ethnicité peule peut alors être comprise comme une affirmation d’une identité basée sur des symboles empruntés au pastoralisme dans le but de légitimer une domination politique, foncière ou sociale sur l’espace de la transhumance. Mots‐clés : patrimonialisation – festivité de transhumance – ethnicité – Peuls – Mali LA FÊTE DE « LA TOMA DE GRANADA » Muñoz Jiménez María Dolores Le patrimoine en lien avec la notion de solidarité intergénérationnelle liée au territoire face aux émergences de nouvelles constructions identitaires. Anthropologie Sociale. Collaboration (non contractuelle) avec le Dr. Rafael Briones Gómez dans des projets de recherche sur des sujets de religions et de rituels. Département d’Anthropologie Sociale, Faculté de Philosophie et Lettres. Collaboration non contractuelle avec le Dr. Rafael Briones Gómez, titulaire du département d’Anthropologie Sociale. Université de Grenade (Espagne). [email protected] En partant de l’anthropologie, j’ai pu constater combien la notion de patrimoine (comprise comme « l'ensemble des biens qu'une génération veut transmettre aux suivantes ») s’enracine et s’articule dans une double dynamique de mémoire et d’oubli. Elle projette des points de tensions là ou la mémoire s’acharne, d’un côté, pour effacer ce que la société ne souhaite plus regarder et consigner aux oubliettes. Et, d’un autre côté, recréer une tradition, qui lui offre un possible miroir de ce qu’elle souhaite encore contempler comme image de soi. La ville de Grenade a, traditionnellement, rassemblé une population où se côtoyaient le citadin originaire de la ville, les émigrants ruraux et des extra provinciaux. La présence des étrangers qui habitaient de façon permanente la ville était assez rare dans le passé (sauf les touristes, en vacances). Cette ville a connu ces dernières décades une augmentation considérable des personnes en provenance de différents pays, devenant des citoyens qui essayent de s’intégrer. La ville a exercé un grand attrait, spécialement, entre des personnes originaires des pays musulmanes, en vue de son passé historique. La fête de la Toma de Granada, peut nous offrir l’opportunité de réfléchir aux questions qui se pose ce colloque sur le patrimoine et qui reste lié à des expressions identitaires de la ville : « la mémoire, les enjeux du passé, la transmission culturelle », ce qui nous permettra, à juste titre, d’interroger la notion de patrimoine culturel à partir de son étude. Cette fête commémore la prise de la ville de Grenade par les Rois Catholiques en 1492 (Boabdil remet la ville). La fête répond donc aux traditions centenaires de la ville et à ceux qui s’y reconnaissent comme leurs dépositaires : les granadinos de souche. Mais cette fête, traditionnellement lieu de retrouvailles entre les habitants et le Maire de la ville, est mal vécue par ceux qui sont évoqués comme l’altérité « vaincue » : les musulmans, devenant ainsi source de conflit ouvert avec ceux qui souhaitent le maintient de la fête : 1) D’un côté une partie de la population qui a connu la fête dans leur enfance. A leurs yeux elle contienne des référents de solidarité intergénérationnelle et identitaires dans la ville. Lié à la mémoire, à des émotions et à une construction de l’identité de la ville élaborée par son histoire, ils ressentent leur patrimoine culturel en péril. 2) D’un autre côté, des groupes idéologiques d’extrême droite présents aux festivités avec leurs drapeaux et insignes. Et ceux qui souhaitent sa disparition : 1) La communauté musulmane, présenté comme offensé. 2) Des groupes idéologiques assez mobilisés de gauche, qui accusent les participants à la fête de néonazis et de franquistes. Il y a ainsi la plateforme « Granada por la Tolerancia » (en 2007 elle a organisé des Contre Actes de la fête, sous le nom « Fiesta de las Culturas »). En dernier, il y a le Maire de la ville : soit de droite ou de gauche, il a toujours accompli son rôle dans cette fête. Donc, dans ce contexte, quel significations pour la fête en ce jour ? Ici nous trouvons, effectivement de matière à réfléchir sur ce qui est proposé dans le programme du colloque : la contradiction entre le patrimoine culturel et les désirs de territoires, tout cela lié a la notion d’identité, dont les questions posés par le colloque me semblent assez pertinentes dans ce cadre : - « en quoi le patrimoine culturel favorise‐t‐il la construction d’identités collectives territorialisées ? » - « Le patrimoine est‐il une garantie d’inviolabilité des biens culturels transmis ou une injonction au développement touristique ? », et j’ajouterai idéologiques ? - « En quoi l’assomption patrimoniale contemporaine participe‐t‐elle de la transformation de la vie quotidienne, de la redéfinition des cadres mentaux et de l’expérience des lieux ? » - « Quels sont les liens entre patrimoine, construction des temporalités et vécu de l’expérience personnelle ? ROBERGE, Martine Ethnologie Professeur adjoint au Département d’histoire de l’Université Laval [email protected] Mots clés : Tradition festive, fête revitalisée, ressource patrimoniale, touristification, patrimonialisation. Tradition festive L’expansion des champs patrimoniaux, doublée d’un éveil de la conscience patrimoniale, se caractérise principalement par deux grandes tendances. La première consiste à faire du patrimoine un objet d’herméneutique qui conduit à l’étude du discours. Une deuxième approche, plus sociologique, s’intéresse aux pratiques et aux usages sociaux du patrimoine ; elle prend en considération les pratiques patrimoniales du point de vue des acteurs. Dans ce cadre, l’étude des nouveaux patrimoines, des pratiques rénovées ou l’étude de la revitalisation des traditions, par exemple dans le cas d’une fête locale reconstituée après le passage de l’ethnologue, s’avèrent une avenue féconde et jusqu’ici peu explorée pour revisiter la notion de patrimoine culturel. Cette approche conduit également à étudier la patrimonialisation des pratiques, définie comme le processus de constitution symbolique des identités collectives, au regard des stratégies de production, de mise en scène, de protection et de mise en valeur. La relation entre patrimoine et tourisme est quasi indissociable, du moins dans la perspective des acteurs qui se saisissent du premier pour développer le second. Cela rejoint le désir de certains acteurs d’ériger des pratiques au potentiel patrimonial comme ressources culturelles en faisant intervenir diverses stratégies de mise en œuvre qui prennent forme dans des projets collectifs. À cette visée « économique » et controversée s’ajoute la légitimité des localités, petites ou moyennes, de faire du profit à des fins de développement, au nom du patrimoine et du tourisme. L’étude des fêtes locales participe de ce questionnement et s’avère un lieu de réflexion propice à la compréhension des enjeux économiques, culturels et identitaires qui sous‐tendent ces actions collectives. Les fêtes, comme expression du patrimoine culturel, semblent jouer un rôle de plus en plus important dans les économies locales. À l’instar du carnaval de Binche (Belgique), elles représentent des marqueurs identitaires forts pour la population locale tout en constituant un enjeu économique important pour faire vivre certaines communautés à l’année, entre autres par leur pouvoir d’attraction touristique et les retombées qu’elles suscitent. Les fêtes sont donc souvent l’objet d’une tension entre un désir de « faire sien », d’appropriation et un désir de « se projeter », voire de séduire pour rentabiliser le développement local, ce qui suppose des procédés de commercialisation, de spectacularisation, bref de touristification. Pour examiner ces questions, nous avons choisi de présenter ici le cas de la fête de la mi‐carême qui se déroule chaque année dans trois petites localités au Québec : Ile‐aux‐Grues, Natasquan et Fatima (Iles‐de‐la‐Madeleine). Cette tradition ancienne, qui s’inscrit dans le cycle carnaval‐carême, a été célébrée dans plusieurs communautés, surtout rurales, jusqu’au milieu du 20e siècle. Seules trois localités aux spécificités géographiques singulières (deux sont des espaces insulaires) l’ont aujourd’hui reprise avec certaines transformations et adaptations. Fête costumée pour les uns, tradition revisitée pour les autres, festival ou carnaval, la Mi‐carême offre l’occasion d’étudier la patrimonialisation des pratiques festives afin d’en dégager les mécanismes de reconnaissance, d’appropriation et de transmission du point de vue des acteurs sociaux. Cette fête, dans sa spécificité québécoise, permet d’aborder diverses notions comme la tradition, l’authenticité, l’innovation, l’invention ou la revitalisation, sur lesquelles repose la construction de la valeur patrimoniale. Notre hypothèse s’appuie sur le fait que cette valeur est étroitement liée au territoire (espace social et géographique) que ces localités ont su préserver et maintenir et qu’elles revendiquent comme lieu d’appartenance. La fête de la mi‐carême sera donc abordée dans son rapport à la tradition, à la commercialisation touristique et enfin, à l’identité locale. Franck DORSO Sociologie et urbanisme Docteur, ATER Institut de Géoarchitecture, EA 2219 franck.dorso@univ‐brest.fr Du coupe‐gorge au folklore romancé, construction d’un patrimoine culturel à l’ombre d’un patrimoine bâti La communication propose de considérer un mode de construction particulier d’une forme de patrimoine culturel. Celui‐ci se construit dans l’ombre d’un patrimoine bâti qui jouit apparemment d’une forte reconnaissance internationale, la muraille de Théodose II à Istanbul. Dans les faits la situation s’avère complexe : le processus de patrimonalisation de l’édifice demeure conflictuel et hésitant, tandis que des formes culturelles, fondées au départ sur l’histoire des usages informels du site, tendent à s’ériger en un folklore des bas‐ fonds au caractère ambigu. La muraille de Théodose II ceint la vieille ville historique d’Istanbul sur les sept kilomètres de sa partie terrestre. Bâti au cinquième siècle, l’édifice a perdu sa fonction militaire au dix‐ neuvième siècle, et a dès lors été progressivement occupé par des activités économiques légales ou non (artisanat, maraîchage, pâture…), de l’habitat (durable ou temporaire) et des activités plus labiles et parfois réprouvées : déambulations, rencontres, libations, pratiques sexuelles, péages informels, simple repos, petits trafics, campements Roms. En 1985 la ville est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Des opérations de dégagement et de rénovation sont engagées, mais les occupants reviennent s’installer à la fin des chantiers. En 2003, l’UNESCO menace d’inscrire le site sur la liste des chefs d’œuvre en péril. La réponse de la municipalité reste ambiguë. Alors qu’elle condamne fermement les usages du site, et qu’elle montre lors de quelques épisodes ponctuels qu’elle a les moyens de « nettoyer » la muraille, les usagers continuent d’imposer leur présence sur le terrain. Les objectifs de développement touristique établis à l’échelle de la métropole font de la rénovation de la muraille un chantier de premier plan. Au quotidien, pourtant, aucun touriste ne se risque sur les lieux. Par ailleurs, les tensions entre l’UNESCO, la municipalité et les experts turcs ou étrangers caractérisent une transaction patrimoniale erratique. Plusieurs plans d’analyses permettent d’éclairer cette situation paradoxale. On voit notamment se dessiner, derrière la condamnation presque unanime des déprédations sur la muraille, un folklore du bas‐fond de la ville qui tend à s’ériger en un patrimoine culturel d’une Istanbul mythique, qui aurait survécu à la chute de l’Empire Ottoman. Cette figure de repoussoir est un élément décisif des processus de construction identitaire à l’échelle individuelle et collective. La muraille‐repoussoir sert ainsi à définir ce qu’est et ce que doit être la « bonne » ville d’Istanbul. Les riverains n’hésitent pas à déplorer avec condescendance ce coupe‐gorge infâme – alors qu’ils peuvent en être eux‐mêmes les acteurs quelques instants plus tôt. Cette duplicité est importante. Tout l’enjeu, en société, consiste à montrer que l’on est du bon côté des choses, en forçant le trait sur les images de la déchéance. Ces processus d’identification se concentrent dans les deux figures emblématiques du Stambouliote (de souche, urbain, intégré, cosmopolite…) et de l’Anatolien (migrant, rural, inadapté, déprédateur…), chacun attachant la plus grande importance à montrer son appartenance à la première catégorie. Dans la pratique, les usages stigmatisés renvoient cependant à des fonctions d’amortisseurs des tensions socio‐économiques (absorption des migrants ruraux, problèmes d’emplois et de logement…). Ils permettent également aux individus de trouver des exutoires aux pressions morales du quotidien. Les usages informels remplissent ainsi des fonctions de « soupapes », finalement plus stabilisatrices que déstabilisatrice de l’ordre social. Certains de ces usages bénéficient alors de formes de bienveillance : comme les figures du maraîcher ou du şarapcı (littéralement le « buveur de vin », qui s’apparenterait à celle de notre « bon » clochard) ou, surtout, les fêtes Roms aux pieds des remparts. La mobilisation de ces formes de construction mémorielle dans de récents conflits d’aménagement contigus aux murailles montre leur progressive « patrimonalisation » et leur rôle émergent dans l’action publique. Dans la pratique, ces usages arrangent finalement tous les acteurs de la ville. Un début de « patrimonalisation » signifierait‐il une forme de récompense pour services rendus – évitant ainsi de placer le débat sur le plan plus sensible des politiques publiques sociales et économiques ? La coproduction des lieux du patrimoine immatériel Quels enjeux pour les projets d’aménagement ? Mélaine Bertrand PODA Architecte – Urbaniste D.E.I.A.U Doctorant en Géographie et Aménagement Laboratoire SET‐UMR 5603 du CNRS Université de Pau et des Pays de l’Adour (France) [email protected] ou melaine.poda@univ‐pau.fr Mots ‐ clés : Patrimoine immatériel ‐ Aménagement ‐ Lieux ‐ Culture ‐ Afrique Faut–il aménager nos territoires et reconstruire nos villes sur elles mêmes tout en ne tenant pas compte des éléments du patrimoine culturel ? Cette question très controversée se pose encore aujourd’hui dans bon nombre des pays du sud du Sahara, alimentant les débats en prélude des politiques d’urbanisme et d’aménagement du territoire. En effet, après les interventions des spécialistes en matière d’aménagement, une autre forme de transformation de l’espace social56 émerge souvent. Ces indicateurs et signes tendent à démontrer que les habitants cherchent à se réadapter à leur cadre de vie, tout en structurant les lieux qu’ils habitent en fonction des pratiques traditionnelles. Nous nous poserons ainsi la question de savoir si le territoire « voulu » ne doit pas être préalablement lu, décrypté et compris par le biais de la culture locale? Par ailleurs, la notion du patrimoine, aujourd’hui en pleine évolution, est polymorphe. Ainsi, si en Europe le patrimoine est caractérisé dans la plupart des cas par le « culte d’objets matériels, où l’état et l’esthétique signalent la valeur, éventuellement marchande »57, en Afrique en revanche, dans les sociétés traditionnelles, c’est le patrimoine « vivant » qui prédomine. Ce côté immatériel se distingue par « le patrimoine spirituel et familial rappelé non par des objets mais des pratiques religieuses »58. A ce titre, l’exemple de la ville de Ouidah au Bénin est significatif, à travers l’analyse la religion Vodoun59 pratiquée par la quasi‐totalité de ses habitants. Dans ce cas, le territoire est organisé en fonction de ses cultes traditionnels, caractérisé par des espaces privatifs dédiés aux différentes divinités que compose le panthéon Vodoun. Les différentes formes d’expression de ces divinités, fortement spatialisées, obligent les croyants à agir et vivre selon ces normes. Dès lors, il apparaît indispensable pour nous de mener une analyse 56 DI MEO Guy ET BULEON Pascal : L’espace social. Lecture géographique des sociétés. Armand colin, paris 2005 ; 297 P. 57 SINOU Alain: Valorisation (la) du patrimoine architectural et urbain; l'exemple de la ville de Ouidah au Bénin. - Cahiers des sciences humaines. (FRA); vol. 29, no 1, 1993.- pp. 33-51. 58 SINOU Alain : op-cit, pp. 33-51 59 « Le vodoun philosophiquement, en reprenant l’expression de Lilas Desquiron 2003, est conçu comme une force immatérielle existant partout dans l’espace, mais à qui on peut assigner un point matériel ou les initiés peuvent l’invoquer par des formules connues d’eux seuls. La jarre encastrée dans les sanctuaires des grands dieux, certains rochers, certains arbres, certaines rivières ne sont pas le séjour permanent du Vodoun, mais en quelque sorte un lieu de rendez vous convenu entre la divinité et ses fidèles, lieu qui se trouve sacralisé de par son contact privilégié avec la divinité ». approfondie liée à ces pratiques spatialisées d’un culte relevant quant à lui de l’immatériel. Nous tenterons dès lors de développer concrètement la matérialité d’une telle pratique dans l’espace et de comprendre si l’immatériel peut il être territorialisé, cartographié et comment le prendre en compte dans des politiques d’aménagement de nos jours. Et enfin, si la nature, à l’exemple de la forêt sacrée de Kpassè représente l’une des divinités vénérées par ses habitants, nous analyserons les enjeux de sa durabilité pour les générations présentes et futures. Longtemps les acteurs du patrimoine sont restés divisés sur la vision du patrimoine mondial. Les débats engendrés au niveau international confirmaient l’existence de deux « forces contraires : l’une reconnue et légitimée », c'est‐à‐dire le patrimoine matériel, tangible, et l’autre immatériel, intangible, forme « lésée et dévalorisée par les conséquences de l’application d’une construction intellectuelle qui ne reconnaît pas la diversité culturelle du fait patrimonial, pourtant bien réelle »60. Replacer le patrimoine immatériel au centre des préoccupations géographiques et aménagistes apparaît dès lors une nécessité, afin de bien saisir le sens du territoire pour ses habitants et réconcilier ainsi politique publique et pratiques habitantes. Cette mise en cohérence ne peut selon nous être effective que dans l’association du « matériel et de l’idéel » dans la prise en considération des territoires de l’action d’aménagement. 60 JADE Mariannick, « patrimoine immatériel ». Perspectives d’interprétation du concept de patrimoine. Paris, L’harmattan 2006. p.83-84. Olivier MARCEL ([email protected]) Doctorant en Géographie, Université Bordeaux 3 UMR 5185 – ADES Boursier de l’Institut Français de Recherche en Afrique de Nairobi Programme CORUS n°6178 – Gouverner les villes africaines Patrimoines et identité de la ville en Afrique de l’Est : cosmogonies des pouvoirs centraux et émergence de contre‐pouvoirs communautaires. Mots clés : identité, lieu, pouvoirs, gouvernance, récits patrimoniaux La présente proposition reprend certaines avancées d’un programme de recherche qui vise à comparer les développements de Nairobi (Kenya) et de Dar es Salaam (Tanzanie). La recherche au Kenya est en cours et celle en Tanzanie est prévue pour juin 2009. En Afrique de l’Est, le patrimoine de la ville apparaît comme une opportunité pour différentes échelles de pouvoir d’affirmer spatialement une légitimité, une identité ou des valeurs. Alors que le tourisme occupe une place grandissante dans les PIB (environ 20% pour les deux pays), que la métropolisation invite les bailleurs privés à un marketing urbain de plus en plus sauvage, une multitude d’acteurs semble clamer une compétence patrimoniale. La discussion portera sur les liens entre la gouvernance de la ville et la fabrique d’une identité urbaine à travers la formation du patrimoine. De quels projets de société le patrimoine peut‐il être le support ? Et quelles sont les conceptions et les rapports de pouvoir qu’il cristallise ? Le patrimoine est ici vu comme la projection par une autorité d’une sélection d’héritages dans le prisme du territoire. Il sera abordé par les stratégies des acteurs institutionnels : Etat, ONG, CBO (Community based Organisations), etc. Il s’agit de déconstruire ce qui relève d’une patrimonialisation d’une part – soit le processus d’inventaire, de désignation et de réification d’héritages ; et d’une mémorialisation d’autre part – soit un habillage sémantique des lieux patrimoniaux par le biais de mises en scène, de verbalisations et d’artialisations. La combinaison de ces processus permettra de figurer des récits patrimoniaux qui s’inscrivent dans des jeux d’acteurs et éventuellement appuient des processus de territorialisation. Avec des lois draconiennes héritées de la colonisation, l’Etat a longtemps été l’acteur hégémonique du patrimoine en Afrique de l’Est. C’est le cas au Kenya où la préservation des héritages à travers la procédure hyper‐centralisée du « gazettement » (version autoritaire du classement aux Monuments Historiques) est un miroir fidèle du vouloir de l’Etat en matière mémorielle. La chronologie de la patrimonialisation révèle l’usage politique d’un patrimoine prétexte de légitimation du pouvoir. De même, la cartographie des lieux du patrimoine officiel révèle un projet urbain qui tend vers une glorification des régimes. A travers les musées nationaux par exemple, le patrimoine est revêtu du costume accomodant de la « naturalité » et mis en scène dans les « cycles de la vie ». Aujourd’hui toutefois, à côté de leur vitrine politisée et de leur touristification, les métropoles développent différents récits patrimoniaux qui rivalisent en performativité. En contre‐point, le récit patrimonial d’Etat sera confronté à un pouvoir décentralisé émergeant : les associations de résidents. Promues par des ONG internationales et prétextant un meilleure gouvernance, elles jouent un rôle grandissant dans les politiques urbaines. Localement, elles développent des revendications patrimoniales avec des méthodes parfois opposées au patrimoine officiel. En effet, alors que l’Etat semble viser une immatérialité dans certains hauts‐lieux pour attribuer une dimension culturelle à son patrimoine, les associations recherchent plutôt une matérialité dans la réification de cultures‐étendards : pratiques, mythes, ou héros locaux. Socialement, parfois ethniquement mais d’abord spatialement marqués, ces contre‐pouvoirs posent le risque d’un communautarisme patrimonial dans un pays qui connait déjà une forte culture de violence politique. Ils seront l’occasion de dresser l’esquisse d’une géographie des pouvoirs patrimoniaux qui interagissent dans la ville. Références théoriques : ERDOULAY V., ENTRIKIN N., 1998, « Lieu et sujet. Perspectives théoriques », L’Espace géographique, vol. 27, n°2, p. 111‐121. BONERANDI E., 2005, « Le recours au patrimoine, modèle culturel pour le territoire ? », Géocarrefour, vol. 80/2. DEBARBIEUX B., 1995, « Le lieu, le territoire et trois figures de rhétorique » L’Espace géographique, n° 2, p. 97‐113. DI MEO G., 2007, « Identités et territoires : des rapports accentués en milieu urbain ? », Métropoles, n°1,Varia. POUSIN F. (dir), 2005, Figures de la villes et construction des savoirs, CNRS. RAUTENBERG M., 2003, La rupture patrimoniale. Bernin, À la croisée , Bernin. WARNIER J‐P., 2008, « Invention des traditions et esprit d’entreprise : une perspective critique. » Afrique contemporaine, n° 226, p. 243‐268. MIRZELER, Mustafa Kemal Cultural Geography and the Memory of a Journey Story, politic, performance, geography and memory, The Jie people, who live in Najie in central Karamoja Plateau on the banks of Longiro River in northern Uganda, and their pastoralist neighbors the Turkana people, who live around the upper Tarash River in the plains of northwestern Kenya, talk about a legendary ancestor who is well remembered to this day. This is Nayeche, a young Jie woman who, in pursuit of a gray bull named Engiro, the father of all the Jie cattle, descended from Karamoja Plateau to the plains of Turkana, settling around the upper Tarash River region and giving birth to the Turkana society. The image of the Nayeche oral tradition is very widespread among both the Jie and the Turkana people, and it is presumed to be as old as the Jie polity, perhaps dating from the early eighteenth century. This paper examines the memory of Nayeche’s and the gray bull Engiro’s journey from the Karamoja Plateau to the plains of the Turkana as a cultural heritage embedded in the cultural geography and invoked by skilful storytellers during performances. The memory of this journey, as it is imagined, and drawn from memory, involves images and descriptions of specific places. Such interconnection between memory and place characterizes the performances of the Jie historical tradition. The Jie storytellers are fascinated by the ways Orwakol, their original ancestor, captured the gray bull Engiro on the banks of the Longiro River. The Jie geography preserves the collective memory images of the Jie ancestors since Orwakol’s capturing of the gray bull Engiro, and the journey of Nayeche during that long dry summer, to the headwaters of the Tarash River in plains. The story of Nayeche’s journey, as it is narrated during performances, involves images and descriptions of geographical spaces. In performances, skillful storytellers transport the members of the audience away from the present day to the realm of the ancestral world, which still exists in Jie geographical space. Najie, with its rivers, wells, and sacred spaces is a splendid place which oral tradition captures fabulously. Ancient Najie with its geography reveal itself to us through the memory Nayeche’s and the gray bull Engiro’s journey. The paths that Nayeche and the gray bull passed are preserved and marked out by the present inhabitants of these places. Memories that record past conflicts in these places are transformed and embedded into public history during performances. These memory records hold integrity important for future generations, and are part of the diversity and mystery of the Jie historical tradition that storytellers reflect upon. The storytellers trace the patterns of the past in landscapes and place in relation to geographical spaces. The art of creating the past in these geographical spaces is found in narrative performances. In each performance the storytellers create and recreate powerful memories linking the history of Jie ancestors to sanctified places. When storytellers evoke the images of certain places in their narratives, they immediately indicate not only what collective memory is inscribed in that space, but also the politico‐religious implications of the economic resources therein, thus conflating the memory and resources at the cosmological level. Resources within the physical space seemed to have no meaningful existence without the memory of events embedded within the space. In a sense, the Jie storytellers mediate the relationship between the memories and the resources of the physical spaces, referring to the memories of past famines and struggle over food in an infinite number of geographical points in Karamoja Plateau and beyond. How do the Jie storytellers draw upon certain geographical space in order to claim certain economic and territorial rights to resources? To what extent do the Jie storytellers contribute to the formation of their collective territorial identities in relation to their neighbors, the Turkana? KALPAGAM Umamaheswaran Anthropology Professor G. B. Pant Social Science Institute, University of Allahabad, Allahabad‐211019, India [email protected] New Heritage Sites, Urban Culture and Social Opportunity: Roadside Temples in India India’s heritage politics received worldwide attention in the destruction by Hindu fundamentalists of the 16th century mosque “Babri Masjid” believed to have been built by Muslim rulers on the holy site of Ayodhya, the site that Hindus believe to be the birth place of the mythological King Rama around whom the Hindu epic Ramayana is constructed. The Ram Janmabhoomi movement, as it came to be known, provided the opportunity for Hindu fundamentalists to come together and the political mobilization propelled the right‐wing Bharatiya Janata Party (BJP) to centre‐stage in national politics. Religious places of worship such as the numerous temples built in historical times by various rulers are considered as cultural heritage, and their preservation as heritage sites are in most cases the responsibility of the state. Little notice is taken of the activity of the constant production of heritage sites all over the country by way of roadside temples mostly by the poorer classes of the population as an expression of popular culture. There are also regional variations in the culture and social life of roadside temples and differences in the degree of collective participation of the local society. There may be various motives for this activity on the part of those engaged in such temple construction and various motives are also attributed to them by others. A common charge is that these are often land‐grab motives, wherein public space like side walks are appropriated by some members of subaltern classes, mostly with some kind of political support. This paper will interrogate and engage with the claims of roadside temples to be considered as heritage sites. Taking the case of Chennai city in south India where I have done the fieldwork on this research topic 61 I will show how roadside temples have become a new social space to overcome alienation in a changed urban environment and to build social networks across social classes. The paper will also explore how actors engaged in this activity from the mostly subaltern classes use this as an expression of popular culture and as cultural heritage especially highlighting the claims of heritage of both Sanskritic Hinduism and Dravidian/Dalit forms of Hinduism. An interesting dynamic that will explored is how the state lays its claim over roadside temples as cultural heritage by bringing it within its administrative ambit in its attempt to confine it as only an expression of popular culture and not allow it to expand itself into an economic activity. This leads to another interesting question‐how do we account for the tremendous growth and popularity of roadside temples in Chennai city, even as the city aspires to a status of a global city with its Information Technology hub and shopping malls. Does the urban collective mentality consider heritage as the doublet of modern society? This paper will explore this last question by considering roadside temple debates as one in the spectrum that includes the Ram Janmabhoomi issue and the recent Ram Setu (the mythological underwater bridge‐ 61 See U. Kalpagam (2006) Secularism, Religiosity and Popular Culture: Chennai’s Roadside Temples, Economic and Political Weekly, November. like formation claimed to have been built by Lord Rama to connect the Indian peninsula with Sri Lanka) issue in which political parties were divided over constructing a barrage in the sea for quicker movement of ships in the Palk Bay and show how heritage debates feature in debates of modernity in India, especially the debates on secularism and development. The paper will conclude by drawing critical inferences on the theoretical issues of cultural heritage through this empirical study. Key Words‐ Roadside Temples, India, Heritage, Urban Culture, Development BESSIERE Jacinthe Sociologie Maître de Conférences Laboratoire CERTOP –TAS, UMR CNRS 5044. Département CETIA (Tourisme –Alimentation). Université de Toulouse 2 bessiere@univ‐tlse2.fr Patrimoine alimentaire – patrimonialisation ‐ valorisation – développement – territoires ruraux COMPRENDRE LE PROCESSUS DE PATRIMONIALISATION. La construction d’indicateurs de valorisation autour de la question de l’appropriation des patrimoines alimentaires Marqueur d’identité territoriale, le patrimoine demeure un champ d’investigation complexe ; il est ce qui fait « spécificité », ce qui rend à la fois similaire et différent. La communication ici proposée souhaite, à partir de la composante gastronomique ou alimentaire questionner le processus de construction patrimoniale ou « patrimonialisation », comme enjeu de développement pour les territoires ruraux. S’il demeure aujourd’hui un lieu d’échange interculturel, participant à la construction des identités sociales, l’espace alimentaire s’avère également porteur de ressource pour l’action et le projet de territoires. Aussi, étroitement associé aux dynamiques touristiques, le patrimoine alimentaire interroge, dans ses formes de construction et de mobilisation, la dynamique sociale et culturelle des espaces. Cette proposition de communication se donne donc comme double objectif de questionner le patrimoine comme construit social et ressource pour l’action mais aussi de mettre en avant à partir d’une analyse déjà élaborée de différents systèmes de valorisation gastronomique ou alimentaire, des indicateurs méthodologiques de compréhension et d’évaluation du phénomène de patrimonialisation. Nous tenterons ainsi de répondre à la question : Comment le patrimoine devient‐il ressource et constitutif de projet ? En quoi s’avère‐t‐il indéniablement subordonné au processus d’appropriation locale ? Une première partie de la communication s’attachera à définir le patrimoine alimentaire comme code de reconnaissance et de résistance tant économique, sociale et culturelle. Une seconde partie de l’exposé sera consacrée à la présentation des indicateurs ou référentiels déclinant les principaux fondements du patrimoine et de la patrimonialisation. Autant de pistes d’entrées qui apparaissent, après étude préalable, comme des conditions nécessaires à l’action de valorisation patrimoniale. Enfin, une dernière séquence interrogera la question de l’appropriation locale comme inhérente au processus de valorisation. Note méthodologique : soulignons enfin, que cette réflexion issue d’une étude réalisée sur 3 territoires ruraux français (le Haut Plateau de l’Aubrac, le Sud Aveyron et le Périgord Noir) s’attache à mettre en avant de façon distanciée et modélisée des éclairages ou des pistes de réponses qui participent de la compréhension approfondie des processus de patrimonialisation. Cette recherche s’appuie sur une étude qualitative basée sur une trentaine entretiens semi directifs sur chacun des territoires. Cristina GRASSENI [email protected] Università degli Studi di Bergamo Re‐inventing food: beyond the local ? "Typical products" are an oxymoron (Cristina Papa), confirmed by the extraordinary market success of “niche” food. The market currently values organic and traditional foods, or even better, both together, including the attention for raw materials of certified origin, natural and traditional treatments and zero‐mileage distribution. This phenomenon testifies the widespread search for uniqueness, for the peculiarities of local contexts against mass consumption and the standardisation of taste ‐ not only in economic but also in symbolic and cultural terms. The diffusion of this tendency, nevertheless, makes it a "global" phenomenon itself. This deep‐reaching need for "glocal" skills (Hampton, Keith e Wellman; Bauman) hence influences the "reinvention of food" (Grasseni), that is strategies of food‐rediscovery, which imply a novel reading of local histories and landscapes and the re‐evaluation of their intangible patrimony. Whilst globalisation would mark a passage from variety to standardisation, one can currently witness several "glocal" strategies to regain a margin of local diversity that can also be appreciated in market terms. Boundary construction and the defence of identity is a key element in understanding the processes of construction of food heritage. The dynamics of appropriation entail strategies for re‐valuing food as intangible patrimony, cultural heritage and a catalyst of relationships and lifestyles. Rediscovering food, from agri‐business and mass consumption towards socially and ecologically sustainable food cultures (meant in social, techno‐scientific and economic terms) is part of the vast phenomenon of food heritage. This entails significant transformations of the production, perception, representation and consumption of food. Some of the innovation processes at work in the construction of food heritage is the one I called "calibration" (Grasseni, La reinvenzione del Cibo. Culture del gusto fra tradizione e globalizzazione ai piedi delle Alpi, 2007), namely the fine‐grained, critical passages of "technologies of localization" (how gestures, routines, working environments and protocols of production change in the standardisation of the contexts of production, and how these changes are incorporated in practice and discourse). In fact, the "reinvention" of food as a "typical" product includes several fundamental transformations of the contexts of production, for instance: ‐ the regimentation of protocols of production ‐ especially in view of obtaining EU acknowledged DOP or IGP labels ‐ an innovative input which often comes from outside of the traditional contexts of production, such as "technical" expertise in chemistry or logistics, which is needed to standardise the routines of production (from guaranteeing hygiene in the working environments to adopting self‐monitoring auditing techniques such as HACCP flowcharts) ‐ a certain measure of technological impact ‐ a selection of the raw materials (which can be "stabilised" in order to calibrate the final product on the average consumer's taste, or vice versa singled out according to their traditional or geographical origin, etc. The complexity of the agrifood system therefore requires understanding it under its many facets: the economical and juridical aspects and the technicalities of production, together with the long‐term, cultural‐historical, socio‐anthropological and political trends. For instance, in the case of mountain cheese, the historian Stuart Woolf has convincingly argued that “an economy based entirely on self‐consumption has never existed in Europe, at least after pre‐historical times”, and so it would not make sense to talk about a transition from subsistence economy to market economy as if they were separate or antithetical (Formaggi e mercati. Economie d’alpeggio in Valle d’Aosta e Haute‐Savoie). Nevertheless, it does make sense to investigate, in this case as in other comparable ones, the effects of the passage “from a production based on a moderate variety for local consumption, to the production according to 'quality criteria' that are established nationally or internationally” (Woolf and Viazzo). Local policy‐makers in Italy and Europe, entrepreneurs, regulators and producers are the agents of this latter kind of innovation on the agrifood system, with effects on the micro scale (through the re‐organisation of the agricultural and artisanal production, and the consequent changing social roles and competences of the producers) as well as on the global one (distribution channels and offer‐and‐demand dynamics). The effects are often hard to foresee and the risks include an increased degree of micro‐conflicts due to heightened competition at the local level, the standardisation of production, a loss of local knowledge and skills, the increasing dependence of regional economies on world market dynamics, an increasing mistrust by default of the quality of food production. The cases of "alpage" cheese in the Italian mountains will be discussed, taking and comparing two examples of "typical" Alpine cheese produced initially only in the summer on high‐mountain grazing pastures and now market as "typical" Lombard products. In particular, the analysis of the "heritag‐isation" of alpine cheese will focus on the impact of this process on the (current, future and hoped‐for) development of the relevant territories (terroir) in the light of the non‐uniform adherence to the criteria of food production protocols of heightened competitivity between mountain communities, and of relevant political and ideological conflicts. Quand un patrimoine naturel menacé devient un patrimoine culturel : une opportunité pour la trufficulture et les territoires associés Par Corinne PARDO Géographe Post‐doctorante CEMAGREF, UR ADBX, 50 avenue de Verdun, F‐ 33612 Cestas Cedex, France [email protected] Mots‐clés : trufficulture, patrimoine naturel, patrimoine culturel, développement territorial, ancrage identitaire. Le volet « truffe » du programme de recherche PSDR (Pour et sur le développement régional) INGEDICO (Instruments de gestion et dispositifs collectifs de conservation et de valorisation des ressources naturelles renouvelables) interroge la mise en place et la pérennisation d’une gestion concertée des coteaux calcaires, associée à la valorisation environnementale et paysagère des pratiques et des écosystèmes truffiers lotois et périgourdins. Cette intervention se propose d’exposer les résultats obtenus par une analyse comparée des pratiques et des réseaux d’acteurs et d’actions en place sur le PNR Causses du Quercy (Lot, France) et la communauté des communes Causses et Rivières en Périgord (Dordogne, France) ; l’engagement d’une filière fragile autour d’un terroir et d’une ressource naturelle spécifique par la mise en œuvre d’actions adaptées visant la promotion patrimoniale de la truffe et de certains modèles productifs comme leviers de développement territorial raisonné et durable. L’établissement d’un état des lieux des pratiques truffières en termes de modèles culturaux proprement dits a été l’occasion de recueillir le discours de cinquante trufficulteurs et acteurs de la filière sur les enjeux actuels du développement de la trufficulture. L’augmentation de la production est, semble‐t‐il, incontournable en raison d’une demande accrue et des importations croissantes d’espèces de moindre qualité risquant, à court terme, de dévaluer les productions locales qui demeurent aléatoires malgré l’optimisation des plants mycorhizés et des techniques culturales. La filière truffe est donc confrontée à l’heure actuelle à une double problématique : améliorer les connaissances et les pratiques culturales afin de relancer la production d’une ressource naturelle, tout en préservant la qualité des habitats spécifiques, argument de vente désormais incontournable. Pour tenter d’y répondre, les acteurs s’appuient sur les nouvelles attentes de la société en termes de qualité environnementale, d’ancrage historique et identitaire et des nouveaux attraits marchands62 ou non marchands63. L’intérêt croissant vis‐à‐vis des aménités relevant des pratiques truffières réoriente les efforts de valorisation du produit et des territoires associés et contribue à l’émergence d’un patrimoine culturel construit autour de ce patrimoine naturel menacé. 62 Comme les marchés de terroir, la gastronomie, l’agritourisme (accueil à la ferme, création de SARL, de GAEC…), le développement des produits associés (vente d’ouvrages, de plants…) 63 Les manifestations et productions culturelles telles que les fêtes (du local à l’international), les paysages… La discussion abordera différents questionnements sur la construction, les « usages » et l’adéquation entre patrimoine naturel / patrimoine culturel consacrés à une même ressource sur deux territoires distincts (Lot et Dordogne) : - Questionnement sur les instruments mobilisés et mobilisables de conservation et de valorisation de ce patrimoine sur le plan culturel et environnemental ; - Questionnement autour des stratégies de concertation mises en place intra et interterritoriales, autour de ce patrimoine, susceptibles d’enclencher des dynamiques de développement pérennes ; - Questionnement sur l’opportunité identitaire pour les territoires de combiner patrimoine naturel et culturel ; la Tuber melanosporum, dite « truffe du Périgord », est de par son nom botanique, spécifiquement liée à un territoire. Sa patrimonialisation culturelle facilite‐t‐elle une appropriation et/ou une construction identitaire dans les autres zones de production telles que le Lot ou la Méditerranée ? Quel est le rôle de cette activation patrimoniale dans la construction symbolique des territoires truffiers ? - Enfin, cette patrimonialisation croisée, naturelle et culturelle, contribue‐t‐elle à l’émergence de nouvelles ruralités ou participe‐t‐elle au contraire à une sur‐médiatisation et un excès de traditions, de folklorisation ? Sandrine SINTAS Sociolinguiste MCF Université de Nantes Département d’Études Hispaniques CRINI (Centre de Recherche sur les Identités nationales et l’Interculturalité) De la patrimonialisation des productions agroalimentaires à la création de la marque‐pays « Catalunyam ! » : une approche juridico‐économique du nationalisme catalan L’évolution de nos sociétés contemporaines, la mondialisation de l’économie, l’explosion des communications semblent aujourd’hui modifier les relations que l’homme entretient avec l’espace et le temps. Le philosophe et sociologue canadien Herbert Marshall McLuhan dans un ouvrage, aujourd’hui célèbre, The Medium is the Massage envisage le monde comme un village planétaire pour expliquer les effets de la globalisation et des nouvelles technologies de l’information. Selon lui, grâce entre autres aux médias et à Internet, le monde pourrait devenir un immense village où tous les habitants vivraient dans un même temps, au même rythme et dans un même espace. Or, face à cette perte de repères spatio‐temporels, on observe une recrudescence des particularismes de toute nature comme s’il s’agissait d’un phénomène de compensation qui s’exprime au travers d’une patrimonialisation64. En Catalogne, cette patrimonialisation touche actuellement les productions agricoles et alimentaires65. Pourquoi ? Deux éléments de réponses se font jour. Le premier correspond aux théories développées par Claude Fischler qui considère que de plus en plus les aliments que les consommateurs sont amenés à ingérer sont des OCNI, « des Objets comestibles non identifiés » c’est‐à‐dire des aliments dont tout, des origines à la fabrication, est ignoré. Or, comme il le souligne : « incorporer un aliment c’est sur le plan réel comme sur un plan imaginaire incorporer tout ou partie de ses propriétés : nous devenons ce que nous mangeons. De ce principe de la construction du mangeur par l’aliment se déduit la nécessité vitale d’identifier les aliments. Or, si nous ne savons pas ce que nous mangeons, ne devient‐il pas difficile de savoir, non seulement ce que nous allons devenir, mais aussi ce que nous sommes ? »66 64 D’après Marc GUILLAUME dans La politique du patrimoine, Paris, Galilée, 1980, 196p. et « La politique du patrimoine… vingt ans après » Labyrinthe, n°7 , automne 2000, pp.11‐20, mis en ligne le 27 mars 2005. URL : http://revuelabyrinthe.org/document496.html. Consulté le 26 août 2 008, la patrimonialisation consiste en une construction du patrimoine par la société laquelle se « nourrit de toutes les nostalgies qu’engendre un monde qui disparaît et n’assure plus un minimum vital de symbolicité » (La politique du patrimoine, p.16) 65 Nous omettrons sciemment dans cet article l’identification et la protection des productions vitivinicoles qui, en Catalogne, sont régies par d’autres lois que celles que nous présenterons (Llei 15/2002 del 27 de juny). 66 Claude Fischler, L’Homnivore, Paris, Odile Jacob, 1990, p.72. En somme, les produits alimentaires, leur « élaboration » et leur consommation participent de la constitution d’une identité individuelle et collective. Par conséquent, il n’est pas anodin que la Generalitat de Catalogne s’intéresse aux productions agricoles et alimentaires locales, contribuant à découvrir, redécouvrir des produits locaux pour ensuite les ériger en nouveaux symboles de reconnaissance de l’identité catalane. Pour cela, le gouvernement catalan bénéficie de tout un arsenal juridique relevant de la législation européenne et catalane permettant de protéger les produits bénéficiant de caractéristiques d’origine ou de qualités distinctives67. Ces produits, qui sont tous des produits traditionnels, devront répondre à des normes phytosanitaires et de qualités draconiennes, à un cahier des charges exigent, qui en feront des produits « d’excellence ». En outre, tous ces produits devront obligatoirement recourir à la langue catalane (étiquetage, publicité…) qui constitue dans ce contexte une valeur ajoutée. Le second élément de réponse correspond à la suite du processus engagé. Ainsi, une fois, sélectionnés, « labélisés », « protégés », en somme, patrimonialisés, ces nouveaux produits « (micro‐)nationaux » feront l’objet de campagnes de promotion/propagande tant sur le marché régional/national que sur les marchés internationaux car ils peuvent constituer de remarquables ambassadeurs du savoir‐faire, de la tradition et de la culture catalanes en offrant, sans doute, l’image la plus appréciée de la diffusion de l’identité de cette autonomie. Aussi, pour que cette promotion soit un succès, l’«Association Catalane des Producteurs agraires et des Commerçant de la Terre (ACPACT : Associaciòٕ Catalana de Productors Agraris i Comerciants de la Terra) » ont‐ils inauguré officiellement le 22 avril 2008, avec le soutient de la Generalitat, une « marque‐pays » : Catalunyam ! Ainsi, ce « label catalan » permet‐il, au travers d’une expansion économique, de faire connaître et de diffuser de manière non‐violente les revendications identitaires de la nation catalane, inscrivant ainsi les enjeux politiques dans le marché lui‐même. Mots clés : Patrimonialisation, Catalogne, revendication identitaire, nationalisme, législation. 67 67 Il existe 7 catégories reconnues. Cinq catégories sont susceptibles d’être applicables à l’ensemble des productions agroalimentaires: la DG (denominació geogràfica), , la DOP (‐Denominació d'Origen Protegida), la ETG (Especialitat Tradicional Garantida) , la IGP ( Indicació Geogràfica Protegida), la Marca Q, et deux sont réservés aux vins: la DO (Denominació d’origen) et la DOQ (Denominació d'Origen Qualificada). A ces catégories, nous pourrions ajouter le « label » slowfood qui est à l’origine un mouvement internationnal éco‐gastronomique fondé à Paris en 1989. Nom : D’AURIA Prénom : Ilaria Discipline d’origine : Anthropologie Statut : Mandat d’Aspirant F.N.R.S. Rattachement institutionnel : Laboratoire d’Anthropologie des Mondes Contemporains (L.A.M.C.), Université Libre de Bruxelles Adresse électronique : [email protected] Mots clés : Italie méridionale, action publique, expertise, clientélisme, personnes‐ ressource. « AU PAYS DES BORGNES, LES AVEUGLES SONT ROIS » ou l’intérêt de se placer à l’intersection du fait associatif et du fait patrimonial lorsque l’Etat semble absent Les 32 hectares d’habitations troglodytes des Sassi de Matera (Basilicate, Italie) sont devenus un cas d’étude urbanistique national et international depuis les années ’50 : les re‐ définitions multiples dont ils ont fait l’objet ont qualifié ce lieu de « honte nationale » d’abord, de « zone d’intérêt historique, artistique et paysagiste » ensuite, jusqu’à leur inscription sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO (1993). Ces diverses étiquettes ont eu comme conséquences l’évacuation totale de ces habitations troglodytes (à partir de 1952), leur abandon pendant plusieurs décennies, jusqu’à leur réhabilitation résidentielle (1986) : les Sassi ont donc été investis d’une inversion de valence des représentations symboliques, passant de marqueur identitaire honteux à ressource à valoriser pour l’image de la ville. « Patrimoine » n’est donc qu’un des « signifiants disponibles » que les Sassi ont recouvert à travers un glissement progressif de significations, de pair avec un déplacement des compétences entre organes étatiques en matière de gestion, sauvegarde et valorisation (domaine de l’Etat cédé à la mairie pour 99 ans). L’« exemple français » illustre la prise en main institutionnelle de la définition du patrimoine à travers le rôle prépondérant des organes étatiques fortement centralisés, dans une optique qui, depuis la Révolution française, participe à la construction d’un sentiment d’appartenance nationale (Nora). En anthropologie, les approches pragmatiques récentes de l’analyse des formes d’engagement dans l’activité patrimoniale française ont par ailleurs mis en avant un « engagement primordial » de la sphère politico‐scientifique qui se voit confronté, à partir des années ’90, à la prolifération d’associations patrimoniales locales dont l’engagement est « repéré par contraste » (Tornatore, 2007) : la localisation et la pluralisation de la parole patrimoniale s’appuie sur « la critique de la mainmise de l’Etat centralisateur » en mettant en avant le fait que la mise en patrimoine ne se déploie plus dans la seule sphère politico‐scientifique telle qu’elle l’a été jusque là. Les caractéristiques de la construction nationale de l’Italie mettent en avant quelques traits de la culture politique italienne qui non seulement ne se décline pas – pour le dire vite – sur un sentiment d’appartenance à une même nation fortement centralisée comme dans le cas de la France, mais qui semble aussi privilégier dans les régions méridionales le lien interpersonnel sur le lien institutionnel, au sein d’un système d’échanges entre faveurs et votes – mécanisme fondateur de la logique clientéliste. Certains chercheurs, privilégiant l’entrée par l’objet associatif (Glévarec & Saez, 2002), ont ouvert la voie à une interprétation de la machinerie patrimoniale (Jeudy, 2001) qui se situerait à l’intersection entre action publique, expertise et approche socio‐historique (Cantelli & Genard, 2007 ; Jacob & Genard, 2004). Ainsi, si l’on se place dans le champ de la production d’une sensibilité patrimoniale, que se passe‐t‐il lorsque ce sont les associations culturelles qui, à travers leur fonction de substitution aux dispositifs étatiques, s’occupent de la définition, conservation et transmission du patrimoine ? En partant des quelques idées qui semblent avoir caractérisé l’analyse de la patrimonialisation en ce qui concerne le « cas français » il s’agira de montrer à travers l’exemple de la première association culturelle oeuvrant dans le champ du patrimoine à Matera (La Scaletta, fondée en 1959), les enjeux du « vide d’Etat » dans l’apparition d’agents locaux associatifs de valorisation du patrimoine des Sassi (primogéniture – monopole de la gestion et de l’allocation de financements publics), les conséquences sur le contenu même de leurs modalités d’élaboration patrimoniale (expertise et expérience, compétences autodidactes), les retours d’opinion de part des nouvelles générations d’associations culturelles (diffamation, hostilité, isolement). Approcher la réhabilitation patrimoniale des Sassi à travers le prisme de « l’action publique en train de se faire » dans une ville où l’absence, l’inertie ou la favorisation de l’illégalité sont des caractéristiques objectives des politiques administratives locales (illustrées à travers un aperçu du Bureau des Sassi de la mairie), permettra de questionner les lieux et les modalités institutionnels de construction du patrimoine, aussi bien que le processus de légitimation culturelle d’une ville qui après la seconde guerre mondiale avait été érigée en « emblème de la misère du Mezzogiorno ». Gilles RAVENEAU Ethnologie Maître de conférences, Université de Paris Ouest Nanterre La Défense Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative (LESC), UMR 7186 du CNRS ; et Centre de Recherche sur le Sport et le Mouvement (CeRSM), EA 2931. Adresse professionnelle : Maison de l'archéologie et de l'ethnologie, LESC, UMR 7186, 21 allée de l'Université, 92023 Nanterre Cedex. Téléphone: 01 46 69 26 07 ; Téléphone portable : 06.86.70.34.41 Courriel : [email protected]‐paris10.fr Ce que les troglodytes font au patrimoine culturel Après une période d’oubli, les caves d’habitation des Pays de la Loire sont redécouvertes avec passion à la fin des années 1960 par des néo‐ruraux qui rêvent d’un monde en marge du monde. Attirés par l’originalité de l’architecture, les prix d’achat dérisoires et sensibles à l’aménagement communautaire des cours d’habitation en plaine comme à celui des coteaux, ils investissent cette forme d’habitat et lui redonnent progressivement ses lettres de noblesse. Dans le même temps, la passion pour le patrimoine et l’intense vague de patrimonialisation qui tendent à concerner des aspects toujours plus larges de la réalité (de l’architecture en passant par les paysages jusqu’aux objets et pratiques de la vie quotidienne passée) ajoutées à la fièvre d’histoire et à l’intérêt accru pour le passé local à partir des années 1990 avec la logique croissante de décentralisation, ont conduit à la fois les pouvoirs publics, des acteurs locaux, des institutions culturelles, des agences de développement économiques et touristiques à se saisir de l’architecture troglodytique de l’Anjou et de la Touraine en particulier. La terminologie change alors progressivement. On ne parle plus de caves mais de troglodytes, d’habitat troglodytique, puis de patrimoine. On n’invoque plus seulement la réhabilitation ou la modernisation, mais la sauvegarde patrimoniale. On passe ainsi d’une logique sociale et d’une composition architecturale dévalorisées à la redécouverte et à la valorisation d’un patrimoine, d’un mode de vie écologique et d’une esthétique qui entrent en écho avec les préoccupations de la société pour le passé, l’environnement et la nouvelle production de territoires qui, tout en reprenant des catégorisations préexistantes, les retravaillent en fonction des enjeux du présent. Cette sauvegarde du patrimoine troglodytique et son redéploiement sont une manière de restituer la mémoire tout en ménageant un passage vers le changement. Or, l’articulation de ces deux niveaux ne va pas de soi et les différents acteurs du renouveau des troglodytes et de valorisation de ce patrimoine se trouvent pris dans un conflit de représentation et d’usage parce que, s’ils sont bien en rapport sur un même objet (pratique concrète), ils n’en font pas le même usage (raison d’être et valeur de cette pratique). Le renouveau et la valorisation du patrimoine troglodytique, où l’on voit le souci patrimonial augmenté d’une ambition touristique, sont destinés à réinventer un patrimoine culturel capable de favoriser le développement local. Cette communication envisage le patrimoine culturel non pas comme une réalité objective déjà constituée, mais au contraire comme une construction établie par un ensemble de pratiques et de représentations locales redéfinissant et revalorisant des espaces tout en reconstituant en même temps une temporalité vécue comme une quête des origines. L’élection de certains lieux, la mise en « sites remarquables » produisent un nouveau lien au territoire, indissociable d’un temps reconstitué et réapproprié par le travail qui construit et entretient leur authenticité. Il s’agit tout à la fois de distinguer et d’exposer ce qui fait légitimement patrimoine culturel et de réaménager, voire d’inventer, un territoire porteur de sens et de valeur. En ce sens, le patrimoine culturel vient combler l’écart entre perte, oubli et retrouvaille comme volonté de se souvenir dans la volonté d’instituer pour les membres de la communauté locale une durée commune dans un espace valorisé, témoin de la singularité locale. Partant, d’une recherche ethnographique commencée en 1998 dans les départements de Maine et Loire et d’Indre et Loire, et de manière plus approfondie dans du sud saumurois, cette intervention se propose de traiter d’un exemple concret de patrimoine culturel et d’en tirer certaines conséquences quant à la construction d’identités collectives territorialisées. Or, l’ethnologie comme l’histoire se trouvent impliquées dans ce processus. C’est en effet souvent à l’ethnologie que l’on doit en partie les nouvelles définitions du « patrimoine » susceptibles de tracer le chemin de son extension toujours plus grande. C’est aussi vers elle que l’on se tourne pour découvrir les groupes sociaux supposés porteurs des singularités culturelles. Dans cette perspective, l’ethnologue lui‐même est encouragé localement à « travailler » sur la question pour consolider l’identité et l’unité du patrimoine troglodytique étudié. Intégré et financé parfois par des programmes de valorisation culturelle, il collabore avec des acteurs locaux intéressés à ces questions qui prévoient que ses résultats servent les projets locaux de réhabilitation d’emblèmes identitaires, de mise en valeur du patrimoine local et de développement économique et touristique. C’est la fabrique au présent d’un patrimoine culturel, à partir de l’exemple des troglodytes, que l’on voudrait ici éclairer à partir du point de vue ethnologique, capable de scruter et de rendre compte des ensembles de pratiques et de représentations qui inspirent ce patrimoine. Mots clés : Troglodyte, habitat, patrimonialisation, identité locale, tourisme Antoine LE BLANC Maître de Conférences en Géographie Université du Littoral Côte d’Opale alb@univ‐littoral.fr Les ruines urbaines : identité et politique Objet bâti non fonctionnel, la ruine n’est pas bienvenue dans la plupart des villes d’aujourd’hui, où semblent primer la densité et l’efficacité des circulations et des productions. Pourtant, les ruines possèdent des fonctions bien réelles, en particulier identitaires ; ce sont des marqueurs de la mémoire urbaine, qui ont un sens politique et social, voire une finalité préventive (la ruine comme mémorial, comme vecteur d’un « plus jamais ça »), et qui posent des questions délicates en termes d’aménagement. Il sera question ici uniquement des ruines monumentales issues d’événements destructeurs ponctuels (guerres, séismes, incendies, explosions…), par opposition aux ruines lentes, objets dégradés par le temps et l’incurie. On peut appeler ruines violentes, ou traumatiques, ces objets spatiaux issus de fortes discontinuités dans le temps urbain, qui constituent des cicatrices urbaines et font subir à l’identité symbolique et spatiale de la population une distorsion importante. La gestion de la ruine traumatique urbaine pose de redoutables questions d’aménagement urbain : faut‐il conserver la ruine comme souvenir d’un événement majeur et comme outil mémoriel et préventif, ou bien faut‐il effacer le traumatisme, privilégier la fonctionnalité urbaine, et se tourner vers l’avenir ? En pratique, comment intégrer dans l’espace urbain un élément monumental ruiné, c'est‐à‐dire un bâti important, détruit et non fonctionnel ? La gamme de nouvelles fonctionnalités est, en réalité, assez variée : petit jardin urbain, concerts en plein air, musée… Certaines villes ont réorganisé les circulations autour de ces ruines : elles ont modifié la structure urbaine en fonction d’un élément qu’elles ont envisagé comme un potentiel plutôt que comme une donnée issue du passé agissant comme contrainte. La conservation de la ruine traumatique en milieu urbain pose également une question d’ordre culturel et politique. L’événement catastrophique, puis les choix de conservation des ruines, modifient substantiellement l’identité urbaine ; pourquoi conserver tel bâtiment ruiné, et non tel autre ? Si l’aspect politique sensible des décisions d’aménagement et de leurs conséquences sur l’identité urbaine n’est plus à démontrer, les ruines constituent un cas particulier, car elles véhiculent des messages ambigus, et de manière beaucoup plus efficace que des édifices sur pied (y compris des mémoriaux). D’un côté, la douleur et la volonté de reconstruction poussent à l’effacement de la ruine ; d’un autre côté, la mise en scène de la catastrophe peut s’avérer porteuse d’un grand bénéfice politique. Cependant, on constate une tendance à la standardisation des politiques de gestion des ruines urbaines. Diverses municipalités dans des pays très différents, confrontées à une crise, mettent en place les mêmes solutions de conservation des ruines, avec le même type de normes de restauration et de mise en valeur, de choix esthétiques et techniques, de critères d’accès, d’accueil et de présentation. Les ruines, dès lors, semblent normalisées, standardisées, ce qui atténue leur côté exceptionnel, l’unicité de leur message, et peut‐être la puissance politique du geste conservatoire. En réalité, on constate deux dynamiques : d’une part, les choix de conservation immédiats, éventuellement audacieux, mais qui portent sur des monuments au fort symbolisme, comme dans le cas des principaux monuments ruinés issus de la Seconde Guerre mondiale (église du Souvenir de Berlin, église des femmes de Dresde, cathédrale de Coventry, ruines d’Oradour‐sur‐Glane…) ; d’autre part, les choix tardifs, effectués après un temps d’attente, de « digestion » de la catastrophe, comme dans le cas de l’église Sainte‐ Marie des Anges de Gémone (Italie), du Saint‐Esprit à Palerme, du Christ Greyfriars à Londres. Ce temps nécessaire permet d’atténuer la violence du ressenti douloureux, au bénéfice d’un regard plus esthétisant, plus rationnel et historique. Mots‐clés : ruines – identité – conservation – ville – patrimoine. Florence Graezer BIDEAU et Mondher KILANI De la marge au centre. La promotion des Chinese Clan jetties de Penang (Malaisie) au titre de patrimoine universel Mots clés : Patrimoine, UNESCO, communauté chinoise, Malaisie, multiculturalisme Discipline d’origine : anthropologie Statut : Maître‐assistante en anthropologie et Professeur ordinaire en anthropologie Rattachement : Institut d’anthropologie et de sociologie, Université de Lausanne Adresses électroniques : [email protected] et [email protected] Très récemment, en juillet 2008, les villes de Georgetown et de Melaka, situées dans le Détroit de Malacca, et appartenant à la fédération de Malaisie, ont été inscrites simultanément sur la liste du patrimoine universel de l’UNESCO. Notre observation porte principalement sur la ville de Georgetown, capitale de l’Etat de Penang, le plus multiculturel de tous les Etats composant la Fédération avec une forte majorité de citoyens d’origine chinoise face aux citoyens d’origine malaise, par ailleurs majoritaires à l’échelle de tout le pays. Dans le cadre de notre communication, nous analyserons le processus par lequel s’est construit le dossier de candidature de la ville de Georgetown, les enjeux qu’un tel événement a mobilisés, les acteurs qu’il a opposés. Nous nous concentrerons particulièrement sur un espace jusqu’ici marginal, les Clan jetties. Cet espace, construit sur pilotis au sud du port et regroupant les descendants des coolies chinois ayant été attirés, à partir du milieu du XIXe siècle, par le développement des activités portuaires sous la houlette de l’empire britannique, s’est soudain trouvé projeté au cœur de la zone à protéger dans le cadre de l’inscription sur la liste de l’UNESCO. Nous examinerons comment la «réhabilitation» de cet espace produit déjà une forme de standardisation des communautés qui y vivent et les soumet à l’injonction d’un développement touristique accompagné d’un risque de gentrification. Nous nous interrogerons plus spécifiquement sur la capacité d’action des populations concernées, sommées de façon contradictoire à se préserver en tant que telle et à s’intégrer dans une politique économique et culturelle dont ils ne maîtrisent pas toujours les ressorts. Françoise PERON, Guillaume MARIE, Johan VINCENT Les logiques de construction du patrimoine maritime culturel : de l’émergence du concept à sa prise en compte dans les politiques territoriales Observatoire du Patrimoine Maritime Culturel, Laboratoire Géomer, UMR LETG 6554 CNRS, Institut Universitaire Européen de la Mer, Université de Bretagne Occidentale 1 Géographe, professeur des universités émérite, francoise.peron@univ‐brest.fr Géographe, chargé de recherche, guillaume.marie@univ‐brest.fr 3 Historien, chargé de recherche, johan.vincent@univ‐brest.fr Mots‐clés : patrimoine maritime culturel ; patrimonialisation ; territoires ; littoral ; Gestion Intégrée des Zones Côtières Le présent colloque donne l’occasion de montrer de quelle manière la problématique générale, portant sur les relations complexes et évolutives qui se nouent depuis plusieurs décennies entre constructions patrimoniales et constructions territoriales se décline au niveau du patrimoine maritime culturel. C’est donc à partir d’une catégorie de patrimoine bien particulière, car à la fois récente (le concept n’émerge qu’à la fin des années 1970), longtemps mal définie (le bateau ancien de travail en fut au départ l’emblème quasi unique) et aujourd’hui très sollicitée (la figuration d’un bateau, d’un phare, d’un quai portuaire ou d’une maison de pêcheur est devenue incontournable dans toute plaquette publicitaire concernant le littoral), que nous allons tenter de répondre aux interrogations centrales de ce colloque. L’émergence de la notion de patrimoine maritime culturel et les choix évolutifs de mise en valeur d’éléments hérités, revisités ou inventés qui vont peu à peu donner un contenu concret à cette notion, s’étalent sur une vingtaine d’années (1980‐2000). La dynamique patrimoniale, centrée sur les héritages maritimes culturels, est née en Bretagne à un moment de rupture historique dans les activités littorales et maritimes, telles qu’elles se sont stratifiées depuis au moins cinq siècles, en réaction à la disparition brutale des activités de pêche, de cabotage, de construction navale artisanale qui caractérisaient jusqu’alors assez largement les économies et les sociétés littorales. Une première forme de construction patrimoniale, largement spontanée, émotive et mémorielle, associative et festive, et néanmoins soutenues au plan national (inscription possible de bateaux à l’inventaire des monuments historiques, création de chargés de mission du patrimoine maritime…), culmine dans les années 1990‐2000. Cependant, très vite, sous l’effet de leur succès, ces constructions patrimoniales largement inédites (fêtes, répliques de vieux gréements, petits musées associatifs, réaménagement des zones internes portuaires délaissées et appropriation par de nouvelles populations…), à valeur de resignification identitaire et territoriales, s’institutionnalisent tandis que d’autres logiques de mise en patrimoine s’imposent. La situation actuelle est caractérisée par une pluralité de logiques d’utilisation ou d’exploitation des héritages maritimes dans lesquelles le couple patrimoine/territoire semble se dissoudre peu à peu. Nous n’évoquerons que les plus prégnantes : logique de rentabilisation économique par le tourisme pouvant aller jusqu’au choix d’affectation 2 monofonctionnelle de certains sites, logique de gestion dans l’urgence des héritages dont la fonction de signalisation maritime et de défense des côtes (phares, forts…) est tombée en désuétude, logique de l’image fondée sur le maritime. Enfin, une logique de réflexion scientifique, d’identification et de recensement des héritages maritimes, se développe actuellement dans un contexte de renouvellement complet des méthodes, des outils et des objectifs de gestion des espaces côtiers (SIG et GIZC), dans une démarche, partant cette fois directement des territoires littoraux. Compte tenu de ce foisonnement et de cet enchevêtrement de dynamiques et d’initiatives, le bilan proposé portera sur les ambiguïtés actuelles. Plusieurs perspectives semblent se dessiner dans lesquelles les héritages maritimes culturels ont à la fois à perdre et à gagner selon que les choix pour l’espace littoral seront à tendance majoritairement fonctionnelle, spéculative ou sociale et culturelle. Rien n’est joué quant à la nature et à la place qui sera accordée aux héritages maritimes culturels dans les réaménagements des espaces littoraux soumis à des pressions démographiques, foncières, symboliques, totalement inédites. Le futur se construit au présent. CHRISTOFLE Sylvie, Maître de conférences MASSIERA Bernard, Maître de conférences ( Nice Côte d’Azur entre patrimoine culturel et marketing des lieux : représentations et pratiques de l’espace touristique UMR 6012 Espace, Université de Nice Sophia‐Antipolis. Nice et la Côte d’Azur forment un territoire profondément marqué à la fois par son patrimoine culturel et son omniprésente image touristique. Parallèlement, bien que Nice Côte d’Azur soit un espace de réalité culturelle forte (patrimoine matériel et immatériel, hérité et contemporain), cette dimension est généralement occultée. En effet, en termes de représentations comme de pratiques, et ce, autant à l’échelle micro régionale que nationale et internationale, la culture azuréenne est mésestimée. Ce phénomène de concurrence dans le fonctionnement, dans les jeux d’acteurs entre culture et tourisme, classiquement observé dans de multiples espaces, s’accentue à Nice Côte d’Azur. Cette occultation d’image est également liée au tourisme bi‐séculaire qui participe en soi à la mémoire des lieux. Il en est un des marqueurs identitaires en termes d’urbanisation, d’architecture, d’impact socio‐économique et de représentation sociale. De façon concomitante, Nice Côte d’Azur est un espace en mutation, de forte dynamique territoriale. En effet, il est méconnu qu’une conurbation d’environ 1 million d’habitants s’étale actuellement de Mandelieu La Napoule‐Cannes à Menton. Cet espace porte actuellement une stratégie de métropolisation volontariste et ambitieuse qui tente d’imposer une image moins fondée sur le tourisme balnéaire et d’apparaître comme une véritable métropole culturelle européenne. A ce propos, nous posons la question des connections entre patrimoine culturel azuréen et gestion de l’espace. Plus précisément, l’investigation s’intéressera aux liens entre le marketing des lieux et la construction d’un nouvel espace attractif : la Route des Peintres de la Côte d’Azur. COCHET Laetitia, valorisation touristique des sites culturels, chargée de mission, Bergerie nationale de Rambouillet, département recherche et développement, laetitia@dantant‐cochet.net De la valorisation du patrimoine culturel à la reconnaissance du territoire La valorisation du patrimoine culturel, par sa capacité à créer de la richesse et d’être un outil de développement local, est devenue l’alpha et l’oméga de projets toujours plus nombreux. Cette banalisation est d’autant plus problématique que le concept est souvent relayé par des discours convenus et superficiels qui, en le présentant comme la seule panacée face à l’essoufflement des territoires, suscitent finalement souvent échecs et désillusions. Pour dépasser cette spirale négative, il nous semble nécessaire de revenir aux fondements qui légitiment un projet de valorisation et d’en identifier les articulations. Il sera alors possible de définir les caractéristiques d’une « mise en économie » réussie du patrimoine culturel. C’est en 1992, lorsque le schéma du développement durable est défini, que s’affirment les liens entre valorisation du patrimoine culturel et bienfait pour les populations locales (Valéry Patin). Ils sont précisés dans un rapport du Conseil de l’Europe publié en 1997, qui valide les capacités de la culture à contribuer au développement durable, et normalisés 8 ans plus tard avec la Convention de Faro. L’approche locale succède à l’approche européenne. Notre étude en approfondira trois aspects : - théorie de la construction du patrimoine culturel (Aloïs Riegl, Françoise Choay, Pierre Nora) en insistant sur le rôle du regard dans le processus ; - prise en compte du patrimoine culturel bâti au niveau des communes dans des documents tels que le Plan local d’urbanisme et le Projet d’aménagement et de développement durable à travers quelques exemples concrets ; - examen de quelques labels connus du grand public (Petites cités de caractères, Plus beaux villages de France, Ville et pays d’art et d’histoire) et des critères qu’ils utilisent. Un tel cheminement permet de montrer comment ces labels sont l’expression d’une réaction au regard de l’expert en monument historique. La mise en économie du patrimoine culturel serait bien un processus visant la reconnaissance. Nous examinerons la création des Pôles d’économie du patrimoine et des Pôles d’excellence rurale, en soulignant les récentes interrogations soulevées concernant l’articulation entre patrimoines et territoires (plate‐forme animée par l’association Source). Les travaux de Claude Origet du Cluzeau et de Valéry Patin serviront ensuite de base pour comprendre en quoi la valorisation du patrimoine culturel est à la base d’un processus de construction et d’identification territoriale : la création récente du Label du patrimoine européen en est une illustration. Enfin, sera développée l’idée selon laquelle le respect de l’esprit des lieux est la clé de voûte d’une valorisation patrimoniale réussie. L’étude des critères mis en place pour l’attribution du label Grand site de France permettra d’esquisser une méthode marketing adaptée au patrimoine culturel, « entre transmission des savoirs et séduction des images » (Olivier Lazzarotti et Philippe Violier). En valorisant son identité par le biais de son patrimoine culturel, un territoire s’affirme de manière « sensée » et se dynamise avec une certaine économie d’efforts et de moyens (car il est plus aisé de construire à partir de quelque chose plutôt qu’à partir de rien). Dans l’idéal, en retour, le visiteur, par sa venue sur le territoire, lui offre la reconnaissance attendue. Cette communication souhaite montrer qu’au‐delà d’une « exception culturelle », il existe une exception patrimoniale dans le processus de valorisation et de dynamisation d’un territoire. Mots clés : Projet d’aménagement et de développement durable (PADD), labels patrimoniaux, pôles, esprit des lieux, marketing culturel. Maximiliano SOTO. Les processus de mise en valeur territoriale entre valorisation endogène et valorisation exogène, deux études de cas, Strasbourg et Valparaiso Mots clés : Patrimoine – patrimonialisation – valorisation ‐ reconnaissance‐ quartier historique Anthropologie et sociologie urbaine. Doctorant en sociologie, Centre de Recherches et des études en Sciences Sociales CRESS EA 1334 et membre du Collège Doctoral Européen. [email protected]‐strasbg.fr Cette communication constitue la synthèse d’un chapitre de notre recherche doctorale, laquelle se concentre sur les politiques d’amélioration de l’habitat dans des villes patrimonialisées (Bâle, Strasbourg et Valparaiso), qui affectent les processus de valorisation et de reconnaissance en produisant différentes compositions sociospatiales entre des territoires valorisés et des territoires dévalorisés. Dans cette communication nous ne pouvons présenter la démarche à Bâle parce qu’il manque des données pour cette étude de cas. Le patrimoine est un concept polysémique, mais à partir de cette communication nous voudrions introduire le processus de patrimonialisation comme un élément qui produit un lien entre la structure sociale et la structure spatiale, notamment dans la muséification dans les quartiers historiques. Le patrimoine architectural est un élément important dans la structuration de l’espace et la production du territoire. Cette production se développe à partir de processus qui se fondent sur la présence de produits historiques, mais aussi à partir des nouvelles pratiques d’appropriation de l’espace. Le patrimoine architectural et historique se développe grâce à des processus endogènes et exogènes de mise en valeur. D’un côté, la valorisation faite par les acteurs locaux et les habitants eux‐mêmes ; de l’autre, une valorisation émanant d’agents externes, par exemple l’UNESCO, le Conseil de l’Europe, la Banque Interaméricaine de Développement ou les opérateurs touristiques. Pour dérouler cette communication nous proposons une question de départ : la communauté qui habite les quartiers historiques produit‐elle une valorisation patrimoniale endogène ? Dans ce contexte il y aurait certaines différences entre une mise en valeur plus valorisée associée à une mise en valeur exogène du regard extérieur, et, par contre, une valorisation patrimoniale plus faible pour la communauté qui habite le quartier historique, par exemple les porteños de la ville de Valparaiso. La permanence du quartier ou du bâtiment dans lequel les individus d’une même catégorie vivent constitue une unité, mais dans les politiques d’aménagement urbain nous pouvons constater que l’unité spatiale ne garantit pas l’unité sociale. Donc, nous pouvons ajouter que toute intervention architecturale dans le cadre d’une réhabilitation et, surtout, dans le cadre d’une rénovation modifie les sites ou les quartiers historiques. Mais la question est de savoir si toute opération de rénovation ou de réhabilitation de l’habitat signifie une restructuration de la population ou un déplacement pour les habitants qui résidaient dans le quartier historique patrimonialisé. Le quartier historique proche du centre ville est un espace qui oscille entre les valorisations et les dévalorisations du cadre bâti. Dans cette problématique, ces quartiers constituent un espace social qui a deux pôles de coexistence et d’analyse : le « quartier institué » et le « quartier vécu », lesquels ont, à la fois, deux formes de savoirs : l’expertise associée à l’institution professionnelle et la connaissance associée à la vie quotidienne des habitants du quartier. À Valparaiso, le rapport entre l’Etat et la société civile est marqué par une faible participation citoyenne dans les projets de rénovation de l’habitat, c’est‐à‐dire dans l’inclusion des habitants dans les projets d’amélioration ou de l’habitat. La ville de Strasbourg encourage une démocratie participative à laquelle elle ne croit pas, dans le cadre de la « politique de la ville ». Elle a développé un lien paternaliste et fonctionnel avec la population et elle a mis en œuvre une présence citoyenne à la baisse. Si les habitants du quartier historique arrivent à une mise en valeur de leur patrimoine à travers la reconnaissance de son histoire quotidienne, on commence un processus d’appropriation et de participation. À savoir une participation plus active dans les quartiers historiques peut agir sur une action publique plus démocratique autour des intérêts des habitants de même que sur leurs savoirs, et à la fois activer les rapports avec les autres savoirs des élus et des techniciens. Patrimoine ethnique et marketing des lieux : Vancouver entre culture et nature Professeur Jean‐Pierre AUGUSTIN Université de Bordeaux ADES, UMR 5185 du CNRS Domaine universitaire, 33607 PESSAC Cedex Jean‐Pierre. [email protected] Troisième agglomération canadienne, après Toronto et Montréal, Vancouver occupe un site exceptionnel autour du fjord Burrard et du delta de la Fraser. Dans ce cadre, la ville est attractive et présente des caractéristiques particulières en mêlant des éléments du patrimoine culturel et naturel et en valorisant un urbanisme de préservation par un marketing des lieux. Que ce soit dans le péri‐centre avec le parc Stanley et les zones vertes préservées, dans les communes de première couronne ou dans leurs prolongements, l’agglomération de Vancouver valorise et préserve son patrimoine de culture et de nature. Cet état des lieux ne résulte pas seulement de situations acquises, mais de conflits et de volonté d’organisation. Dès les années 1920, la ville s’est dotée d’un règlement de zonage détaillé et a proposé plusieurs plans d’aménagement visant à préserver les sites. Plus récemment, ces orientations ont été étendues à l’ensemble de l’agglomération autour du concept de Livable City, concept proposé dans la “ Charte de Vancouver ” concluant la première conférence des Nations‐Unies sur les établissements urbains en 1976. Cette revendication “ traduit l’importance qu’attache une nouvelle classe de professionnels urbains à l’esthétique des lieux et à la qualité de la vie ». Au‐delà des conflits de localisation, les groupes de consommateurs et de résidents cherchent à influencer l’affectation des sols et l’évolution du cadre bâti. Les conflits les plus durs ont lieu au sud et à l’ouest de la ville pour défendre les zones ouvrant sur les parcs et les plans d’eau qui sont convoitées par des groupes d’intérêt. Comme beaucoup de métropoles nord‐américaines, la diversité ethnique est forte à Vancouver, mais la ville se caractérise par un fond plus britannique et une place plus importante attribuée aux Asiatiques et aux cultures amérindiennes. Les totems du parc Stanley, des universités de Colombie‐ Britannique et Simon Fraser ou encore les poteaux de cèdre rouge du centre‐ville rappellent l’interface de la nature et de la culture. Après une période de déclin, les groupes amérindiens ont réclamé leurs droits que la constitution canadienne de 1981 leur a en partie accordés. Ils sont mieux représentés ici que dans d’autres banlieues canadiennes. Les Asiatiques et spécialement les Chinois ont également mieux résisté au processus de rénovation de leurs quartiers péricentraux et ont réussi à s’établir et à dynamiser certains secteurs périphériques. Ces éléments, parmi d’autres, favorisent l’émergence d’une société de conservation qui est compatible avec une politique de spectacle aux expressions multiples : réhabilitation, architecture postmoderne, environnement naturel, aménagement d’espaces ludiques et conviviaux. Ayant fait l’économie d’une industrialisation ancienne, la ville offre des expériences innovantes sans ignorer les débats politiques et les polarisations sociales. C’est cet ensemble de volonté aménagiste et d’urbanisme de préservation associée à un cadre naturel exceptionnel qui reste un atout de la ville et fait de Vancouver la métropole la plus enviée des Canadiens. Souvent comparé à San Francisco, l’agglomération dispose d’atouts naturels et culturels plus diversifiés que sa rivale du sud. De grands événements comme l’Exposition Universelle de 1986 marquant le centenaire de la création de la ville et surtout la désignation de Vancouver pour accueillir les Jeux Olympiques et para‐olympiques d’hiver de 2010 sont l’occasion de renforcer la valorisation patrimoniale et de négocier avec les groupes ethniques un marketing des lieux. Le débat opposant les tenants d’une spécificité des villes canadiennes à ceux qui la nient peut alors être dépassé. Les caractères originaux du site patrimonial de Vancouver, de son organisation socio‐ spatiale et de son peuplement en font une ville culture particulière où l’urbanisation se mêle plus qu’ailleurs aux représentations d’un Canada des grands espaces. Mais la ville est aussi le réceptacle d’influences globalisantes, elle s’inscrit dans la construction d’une mégapole tissant des liens forts avec sa voisine Seattle, avec le reste du monde et en particulier l’Asie. Mots clés : patrimoine, culture, nature, sport, Vancouver Julien BONDAZ Patrimonialisation des identités et ethnicisation des objets Musées nationaux et diversité culturelle en Afrique de l’Ouest (Niger, Mali, Burkina Faso) anthropologie doctorant allocataire de recherche, chargé d’enseignement Université Lumière Lyon 2 – Centre de Recherches et d’Etudes en Anthropologie julien.bondaz@univ‐lyon2.fr Depuis l’émergence, dans les années 1960, de nouvelles approches muséologiques proposant de penser le musée en terme de territoire, les collections en terme de patrimoine et le public en terme de population (Hugues de Varine), ce qui fut appelé par la suite la « nouvelle muséologie » a mis à l’honneur des formes innovantes de mise en exposition, et a accompagné le mouvement de « décolonisation » des musées, particulièrement en Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, depuis les travaux d’Anne Gaugue sur la mise en scène de la Nation dans les musées d’Afrique tropicale, la question de la relation entre patrimoine culturel et territoire national est devenue centrale dans les approches historiques et géographiques des formes muséales africaines. Cependant, une enquête socio‐anthropologique sur les usages de ces formes muséales permet de montrer que la construction patrimoniale de la Nation est loin d’être univoque et peut générer des conflits et des frictions. En prenant comme exemple le Musée National Boubou Hama du Niger, le Musée National du Mali et le Musée National du Burkina Faso, à partir de données historiques et ethnographiques, il s’agira en effet de mettre en évidence la manière dont les musées en Afrique de l’Ouest fonctionnent certes comme un lieu de fabrique de la Nation, mais favorisent cependant la construction d’identités multiples, parfois contradictoires, souvent bricolées. En interrogeant le principe métonymique à l’oeuvre dans ces musées, on pourra ainsi constater que, entre le territoire national et sa miniaturisation en territoire muséal (habitats traditionnels reconstitués ou maquettes, style architectural...), des écarts existent et paraissent révélateurs. Et surtout, en montrant comment les objets collectés et/ou exposés matérialisent des relations sociales, il s’agira de décrire les phénomènes d’ethnicisation à l’oeuvre dans leur transformation en objets muséaux. Entre labellisation de l’objet, revendications identitaires et relations sociales (les relations à plaisanterie en particulier, fréquentes en Afrique de l’Ouest) mettant en jeu des identités ethniques, on se demandera si ce que Philip Ravenhill appelait le « paradigme tribal », au fondement des musées coloniaux en Afrique de l’Ouest, ne continue pas de structurer les mises en exposition contemporaines. En effet, ce n’est pas tant l’unité nationale qui est donnée à voir dans les musées nationaux d’Afrique de l’Ouest, que les relations interethniques. Les liens entre territoire, population et musées, alors que l’Ecole du Patrimoine Africain (EPA) développe un programme intitulé « Musées au service du développement » (MSD), paraissent ainsi sympomatiques des rapports entre citoyens et Etats africains. En Afrique de l’Ouest, le musée semble en fin de compte moins mettre en scène la Nation que la mettre en débat, entre désintérêts populaires et intérêts politiques, entre revendications ethniques ou religieuses et construction d’un imaginaire pour touristes. Mots clés : musée – Afrique de l’Ouest – Nation – ethnie – objet Jean‐François CHARNIER Le Louvre Abou Dabi, un nouveau musée pour un territoire en mutation Prévu à l’horizon fin 2013, le Louvre Abou Dabi est un projet muséal ambitieux souhaité par les Emirats Arabes Unis pour confirmer le développement d’un nouveau pôle d’importance géopolitique entre Asie et Occident. Cette ambition investie dans l’institution muséale peut être considérée comme un produit de « l’effet Bilbao », du constat qu’un musée, le Guggenheim en l’occurrence, pouvait transformer l’image d’une région industrielle européenne. Elle est issue surtout de l’idée que le patrimoine peut aider un territoire et une société en mutation à s’inventer, après 30 ans d’existence seulement, dans une région du monde instable. Les réflexions initiées pour la conception du projet, dans le cadre d’une étude préliminaire des publics et d’un récent séminaire international, ont ouverts la réflexion sur les rapports complexes entre l’institution à concevoir et son territoire d’accueil. Pour l’équipe de conservation, l’enjeu est notamment d’adapter l’institution à son contexte dans un but d’appropriation. Mais si cet enjeu invite à penser le partage de représentations autour des notions de patrimoine, d’histoire et de musée, il fait surtout sentir la responsabilité qu’implique l’impact de ces réflexions sur la société émirienne elle même. Comment le musée peut‐il ainsi penser la question de l’identité pour une société constituée avec 85 % d’immigration récente ? Comment peut‐il lui faire admettre et prendre en compte son caractère inéluctablement transnational ? Si ces questions éprouvent la notion floue de dialogue des cultures et ambigüe d’universalisme, c’est le rôle du musée dans la société, son statut, ses messages, les réseaux d’acteurs, la formation, etc., qui sont ainsi questionnés. Conservateur pour l’archéologie Agence France Muséums ‐ Projet du Louvre Abou Dabi Sylvie GRENET LES INVENTAIRES DU PATRIMOINE CULTUREL IMMATERIEL EN FRANCE Chargée de mission Ministère de la culture/mission ethnologie [email protected] Mots‐clés : patrimoine culturel immatériel/ inventaire/ Ministère de la culture/ UNESCO/ politique culturelle Le but de cette communication est de présenter la politique, le principes et les méthodes qui ont présidé à l'élaboration des inventaires du patrimoine culturel immatériel en France. Point central de la convention de 2003 de l'UNESCO sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, les inventaires français du patrimoine culturel immatériel s'inscrivent dans un dispositif législatif précis : ils sont établis en application d'une loi française, datant de juin 2006, qui ratifie une convention internationale. Ils ont donc un caractère réglementaire fort, et sont l’étape obligée avant toute inscription sur les listes du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Cependant, ces inventaires posent problème. En effet, étant donné la nature dynamique des éléments dont la convention demande d’assurer la sauvegarde (pratiques culturelles ou cultuelles transmises de génération en génération et constamment renouvelées, savoir‐faire vivants etc), les inventaires doivent répertorier des pratiques vivantes présentes sur un ou plusieurs Etats, ce qui questionne les pratiques habituelles des inventaires patrimoniaux français, qui traitent surtout du monumental. La mission ethnologie du ministère de la culture a la charge de mettre ces inventaires en place. Le travail a commencé en mars 2008. Cette communication se propose de porter l'attention sur quelques questions qui ont surgi au cours de ces deux dernières années, en mettant en particulier l’accent sur celles qui sont liées à la question de l’équilibre à trouver entre l’importance de l’expertise, et le rôle laissé aux communautés, groupes ou individus, qui sont au coeur du dispositif de la convention de l'UNESCO. En effet, tel qu’il est conçu actuellement, et même tel qu’il semble évoluer, l’inventaire passe par l’intermédiaire de structures institutionnelles, qui effectuent un travail préalable d’expertise et de validation, notamment pour discerner, au sein des pratiques vivantes, celles qui relèvent d’une revitalisation artificielle, et celles qui, sous des dehors parfois commerciaux, ou folklorisants, sont révélateurs de réels espaces d’expression et de production de pratiques anciennes renouvelées. KAPCHAN, Deborah (New York University). Anthropology. Associate Professor of Performance Studies. New York University. [email protected] Intangible Rights: Cultural Heritage in Transit (art, discourse, human rights, intangible culture, performance) Human Rights discourse is usually a juridical one ‐‐ changing or creating the law so that changes in circumstance (oppression, exploitation, suffering) may follow. Because legal language is necessary for the public recognition and institution of human rights, analysts of human rights discourses are obliged to understand the language of law and to address themselves to policy‐makers in a similar language. Law‐makers strive for the ‘purity’ of abstraction even as they must admit to the inexactness of language at such points. In written form, legal language is a language of disambiguation, of categories, of distinct boundaries and meanings. The language of art and sometimes of religion, on the other hand, relies on ambiguity. How do the rights of nations interact with the rights of individuals and communities when legal designations such as World Heritage Site or Masterpiece of World Intangible Heritage come to constitute the public value of artistic creations, as well as artists themselves? Certainly there is no extricating culture and cultural aesthetics from issues of human rights. Indeed separating the categories of “political” and “cultural” rights is an impossibility (Merali and Oosterveld 2001). My intention in this presentation is not simply to exemplify, through detailed ethnographic examples, the deep inter‐relation and mutual dependence of cultural, social and human rights, but to advocate for the importance of aesthetics and performance in human rights discourse. Human rights are and must be performed ‐‐ that is, they are created in the bodies and voices of those effected by their absence (Slyomovics 2005). Because culture and politics are intertwined, it is important to read the aesthetic as well as the political signs of human rights violations. In this paper I attend to the necessity of defining intangible rights. Intangible rights are those human rights that remain under the radar often because they are inked into the fabric of aesthetic life and feeling. I define these rights as 1) the right to sense and feel; 2) the right to imagine; and 3) the right to identify. When any of these intangible rights are eclipsed, the more tangible consequences of human rights violations are not long to follow. The Right to Feel. Sensory worlds are changing drastically (Serematakis 1994). Not only because pollution is causing climate change, or because Monsanto is patenting most varieties of seeds and taking them off the market, making the consumption of genetically‐modified foods unavoidable, but also because what seems like more ‐‐ in terms of consumption and promises ‐‐ is often less: less choice, less variety, less synaesthesia, less human contact. While “globalization,” urbanization, pollution and general consumption practices are usually blamed for these changes, there are also legislative acts that, often with the best intentions at cultural preservation, transform the sensorium of communities permanently. When does a change in the sensorium constitute a breach of human rights and how is this effected? How might a reconfiguration of the senses be conceived as a human rights issue? The Right to Imagine. The imagination is one of the most fructuous of human faculties, creating art as well as nations (Anderson 1983). Modernity has been equated with an excess of imagination in the social world, but excess does not negate a possible impoverishment of imagination. When does a surge in individual and social imagination signify liberty, and when might it indicate a more totalitarian expansion and curtailment of intangible rights? The Right to Identify. Who owns the symbols? As recent events in the media have made clear, those who “own” the symbols are often those who define the public imagination, and by extension, those who control it (Appadurai 2006). The battle between regimes of signs is evident in the debates about secularism and religion and the freedom to use or not use symbols in the public sphere (Asad 2006; Balibar 2004; Bowen 2007). The vehement protection of secularism has given rise to equally impassioned discourses about the rights of religious minorities to comport themselves in accordance with their beliefs ‐‐ not only by Muslims, but by international organizations like the Human Right’s watch. In short, the right to feel, the right to imagine and the right to identify are touchstones for intangible rights, sticky points of contact between the artificial separation of political, economic, cultural and social rights. Laurent SEMPE MCF Sciences de Gestion (spécialité marketing), IUT Bordeaux 4, Centre de recherche de Gestion à Bordeaux (IRGO), Mail : sempe@u‐bordeaux4.fr Mesure de la qualité perçue d’un patrimoine culturel Le management du patrimoine culturel revêt aujourd’hui une importance majeure dans la gestion des territoires. Les touristes, les résidents en jugent constamment les niveaux de qualité et l’on sait l’impact direct de ce niveau de qualité sur l’image d’un territoire, sur sa valeur perçue… Les « consommateurs » de ces patrimoines sont de plus en plus nombreux et segmentés de manière complexe (Bourgeon‐Renault, 2009), tant sociologiquement (Lahire, 2004), que du point de vue de leurs besoins et motivations. Le système d’offre culturel et territorial doit s’adapter à ces évolutions. Aujourd’hui le territoire et le patrimoine culturel doivent : « s’habiller » (Guggenheim,…), former et animer, intégrer des services annexes (la bibliothèque, le restaurant, la cafétéria,…), communiquer en travaillant sur l’imaginaire, intégrer les nouvelles contraintes financières à l’échelle nationale ou européenne, s’auto évaluer et se réformer par le biais d’une évaluation longitudinale de leurs qualités réciproques. Ce travail portera précisément sur ce dernier point : quel outil de mesure est‐il le plus pertinent aujourd’hui pour un professionnel du territoire afin d’évaluer la qualité de ses patrimoines culturels ? Car évaluer c’est établir un score, mais peut‐être plus encore connaître les variables sur lesquelles l’on sera jugé par tous les « consommateurs » du territoire… 1. Historique de la mesure de la qualité d’un service Les travaux fondateurs furent ceux de Parasuraman, Zeithaml et Berry (1986). Cette première échelle distinguait attentes et perceptions sur les cinq dimensions suivantes : éléments tangibles du service, fiabilité du service, serviabilité des personnels front‐office, compétence du personnel, empathie du personnel. La nature complexe de la notion de service amène postuler le caractère multidimensionnel du concept de qualité d’un service : tangibilité / intangibilités, qualité du service (norme) / qualité de service, qualité objective / subjective. 2. Posture paradigmatique A la suite des travaux d’Holbrook (1982), le paradigme « cognitif » traditionnel se voit opposer une posture théorique nouvelle fondée sur « l’affect ». Le concept « d’expérience » (pour le consommateur) prend alors un relief central dans beaucoup de travaux de recherche. Cette dichotomie est toujours sensible dans la mesure de la qualité d’un service. Les échelles de type SERVQUAL sont fortement orientées vers le paradigme cognitif. Les différentes dimensions évaluent strictement les éléments tangibles et intangibles du service. Les échelles fondées sur le travail d’Otto & Ritchie (1996) s’orientent clairement vers la dimension « expérientielle » du service. Elles adoptent de ce fait clairement la posture du paradigme de l’affect. Cet article va donc tenter d’associer ces deux dimensions « cognitive » et « expérientielle » dans une proposition d’échelle réunifiée pour la mesure de la qualité du patrimoine culturel. Complexité de la mesure de la qualité d’un site Ce travail d’évaluation de la qualité se heurte au caractère contingent inhérent au marketing des services. Il y est toujours difficile d’appliquer un pattern universel pour procéder à un travail de mesure, donc empirique. Evaluer la qualité d’un patrimoine culturel ne peut donc s’affranchir d’une adaptation nécessaire au contexte de l’analyse du territoire, du patrimoine et de la culture. Bons nombres d’échelles ont ainsi du être adaptées à des contextes d’études précis : HISTOQUAL site historique (Grochot, 2000), Accueil (Saleh, Ryan 1991), DINSERV restoration (Kim, Nee, Kim, 2009), CLI pour l’expérience culturelle (Funk, Bruun, 2006), Pèlerins (Shuo, 2009), Agence de voyages (Caro, Garcia, 2007), Université (Boulding, Kalra, Staelin, Zeithaml, 1993), Qualité de l’expérience, Otto et Ritchie 1996. 3. Travail pour cet article Cet article va tenter donc de proposer et de tester une échelle unifiée de mesure de la qualité en y associant les éléments « cognitifs » avec ceux « expérientiels ». L’instrument de mesure d’un patrimoine culturel est un outil important pour les professionnels du territoire et de la culture. La relation étroite entre le jugement de qualité du patrimoine et l’image du territoire oblige à réactualiser sans cesse les connaissances dans le domaine de l’évaluation de la qualité pour les territoires. Mots clés : qualité, expérience, patrimoine, service, territoire Romeo CARABELLI, géographe, ingénieur de recherche, université de Tours, UMR CITERES, carabelli@univ‐tours.fr VERDELLI Laura, aménageur, ATER, université de Tours, UMR CITERES, laura.verdelli@univ‐tours.fr Investissements culturels patrimoniaux et pratiques territoriales Cette proposition analyse les rapports entre les activités liées aux patrimoines architectural et paysager, les processus de transformation territoriale et les procédures d’investissement de type « culturel ». Il est désormais licite le fait d’intégrer, même formellement, des paramètres économiques dans les activités culturelles et patrimoniales, qui peuvent, de ce fait, recourir à des instruments d’analyse conçus pour des activités considérées comme directement lucratives. Une fois démontré, aussi bien d’un point de vue théorique que pratique, la pertinence de ce regard, considéré pendant longtemps comme discréditant la valeur « noble » des activités culturelles, par rapport à la valeur « matérialiste » des activités économiques et productives, on essayera d’en évaluer les retombées directes en termes de possible valorisation du patrimoine à travers l’analyse de deux cas d’étude : le Val de Loire (France) et le Alto Douro Vinhateiro (Portugal), tout les deux inscrits sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO dans la catégorie des paysages culturels vivants évolutifs. La question de la rentabilité des investissements dans le secteur culturel patrimonial se fait de plus en plus d’actualité, cependant il n’est aujourd’hui pas possible d’expliciter le taux de rentabilité de ces activités. A la difficulté d’une évaluation correcte des retours sur investissement dans le secteur patrimonial, s’ajoute la question temporelle : la modification des habitudes culturelles demande des longs périodes d’activation, difficiles à gérer et qui sont complètement externes aux dynamiques habituelles de l’entreprenariat privé. Assumer les risques liés au patrimoine dans l’action territoriale est très difficile pour les acteurs privés. Dans les deux cas d’étude analysés le comportement des acteurs locaux, par rapport aux retombées espérées et attendues de l’inscription UNESCO, a été extrêmement significatif. L’appropriation des valeurs et du périmètre de l’inscription à des fins de développement territorial de la part des operateurs locaux se fait avec difficultés. Pour la plupart des actions, qui s’adressent massivement au marché touristique, les retours commerciaux des investissements semblent quasi inexistants. Cependant, on observe l’émergence d’une « nouveauté », constituée par les producteurs vitivinicoles qui, à côté d’un développement adressé principalement à l’augmentation de la quantité de touristes, qui tend à une consommation dit de masse concentré sur les réseaux touristiques « traditionnels », proposent un développement de type qualitatif, attentionné aux conditions locales et aux productions culturelles spécifiques. La possibilité d’analyser cette approche permet de comprendre les raisons de quelques unes des dynamiques en cours, liées aux différentes interprétations de l’investissement culturel et patrimonial. L’intégration des investissements culturels patrimoniaux dans le monde du développement économique nécessite de quelques attentions particulières et possède des caractéristiques propres, liées aux configurations spatio‐temporelles spécifiques des patrimoines. A partir de l’analyse on essayera de démontrer que ces caractéristiques finissent par favoriser une configuration des investissements culturels dominée par une figure indispensable qu’on définira d’« activateur » (individuel ou collectif). L’activateur est entité qui, dotée d’une ample capacité de compréhension de la complexité des phénomènes et d’une vision intuitive et stratégique, arrive à anticiper et préfigurer des possibles modifications et à induire une convergence capable de reconduire volontés et capacités dispersées à un système de développement cohérent. Mots clés : valorisation patrimoniale, investissement culturel, développement territorial, tourisme, activateur Sophie DUPRE, Géographe Post‐doctorante, Chaire de recherche en transport maritime, Université du Québec à Rimouski et Laboratoire Métis, école de Management de Normandie Adresse courriel : [email protected] Tourisme de croisière dans l’Arctique canadien et valorisation du patrimoine culturel Mots clés : Arctique canadien, tourisme de croisière, valorisation, territoire, patrimoine Ma recherche doctorale qui traite des risques et enjeux liés à la navigation dans les eaux arctiques canadiennes, a montré que le tourisme de croisière dans ces eaux constitue une nouvelle forme d’appropriation territoriale. Ce tourisme s’approprie, d’une part des lieux exogènes aux communautés : des espaces de la mémoire occidentale, d’autre part, des lieux endogènes de la culture Inuit et ‐ dans une moindre mesure‐ les communautés elles‐mêmes (de manière assez limitée pour l’instant). En effet, la classification des lieux touristiques, proposée par l’équipe MIT (2002), appliquée à l’Arctique canadien au sujet de l’activité croisiériste montre que cette mise en tourisme n’est pas centrée sur la création de lieux, elle se concentre sur des lieux et des sites existants auxquels elle insuffle de nouvelles fonctions qui sont très limitées dans le temps et l’espace (Dupré, 2009). On remarque pourtant une dissension entre des lieux de mémoire Inuit et des lieux de mémoire occidentale : l’occident semble s’être approprié une partie de l’imaginaire de ce territoire. Qu’en est‐il ? Ma contribution sur le patrimoine culturel dans l’Arctique canadien a pour point de départ ce constat. Cette distinction quant aux types de lieux mis en valeur dans l’Arctique canadien se retrouve, par exemple, dans les lieux historiques nationaux. Ainsi, dans la province autonome du Nunavut (dans le nord canadien), 11 lieux historiques nationaux sont recensés et gérés par Parcs Canada. Parmi eux, deux concernent l’histoire des autochtones ; les neuf autres se rapportent à l’histoire nationale de manière générale (Parcs Canada, site Internet). Certes, a priori, ses distinctions paraissent banales. Pourtant, l’Arctique canadien a toujours été peuplé principalement par les Inuit, autochtones, on peut alors s‘interroger sur les lieux de mémoire national : que représentent‐ils ? A quelle histoire du territoire font‐ils référence ? En outre, quels sont les liens entre la définition des ces types de lieux historiques, pour reprendre le même exemple, et la mise en valeur contemporaine de lieux et de sites pour le tourisme de croisière ? Plus généralement, dans l’Arctique canadien, quels acteurs ont défini les différents lieux identifiés comme patrimoniaux et qu’en résulte‐t‐il aujourd’hui dans la mise en valeur touristique ? Cette problématique cherche donc à analyser de manière évolutive et multiscalaire – car des acteurs interviennent à diverses échelles – la construction de lieux et de sites comme des objets patrimoniaux dans l’Arctique canadien. D’après la définition du patrimoine d’Olivier Lazzarotti, on attache à un objet1 des attributs, des représentations et des pratiques patrimoniales quand celui‐ci est apparu important collectivement en raison de valeurs intrinsèques – comme son caractère représentatif d’une histoire ‐ et/ou extrinsèques, tels les sens d’une mémoire collective à laquelle il renvoie (dans Lévy et Lussault, 2003 : 692). Ainsi, cette recherche a pour ambition d’allier une approche concrète des sites de l’Arctique à une réflexion plus théorique sur la dimension idéologique des traces de l’histoire et de la mémoire dans cette partie du monde. Bibliographie 1 L’objet peut‐être une idée, une chose, une œuvre, un bâtiment, un paysage ou un site : je me focalise principalement sur les sites dans l’Arctique canadien. Dupré Sophie (2009) « Les croisières dans l’Arctique canadien : une réalité chiffrée à l’appropriation territoriale encore limitée », dans Téoros (UQAM), vol. 28, n°1, printemps 2009, p. 39‐51. Équipe MIT, 2002. Tourismes 1. Lieux communs. Collection Mappemonde, Belin, Paris, 320 p. Lazzarotti Olivier (2003) « Patrimoine », dans Jacques Lévy et Michel Lussault (dir.) Dictionnaire de géographie et de l'espace des sociétés, Paris, Belin, pp 692‐693. Parcs Canada, site Internet Lieux historiques nationaux : http://www.pc.gc.ca/progs/lhn‐nhs/index_f.asp; Lieux historiques nationaux du Nunavut : http://www.pc.gc.ca/docs/r/system‐reseau/sec6/sites‐ lieux74_f.asp Lieux historiques nationaux, l’histoire des autochtones : http://www.pc.gc.ca/docs/r/system‐ reseau/sec4/sites‐lieux53_f.asp Tourisme culturel et patrimoine durable en Tunisie : Prospective et jeux d’acteurs Raouf JAZIRI2,3,4 Ali Boussaffa 3,5 Résumé Ce travail de recherche se voulait une occasion pour faire le point sur les percées du projet de développement du tourisme culturel en élucidant, dans une optique prospective, le degré de la réussite de ce projet via l’analyse des jeux d’acteurs du système‐ touristique tunisien. La rencontre des acteurs en fonction de leurs finalités, de leurs projets et moyens d'actions, permet de révéler un certain nombre d'enjeux stratégiques sur lesquels les acteurs ont des objectifs convergents ou divergents. Nous pensons, en fait, que la méthode d’analyse des jeux d’acteurs par la méthode «Mactor» cherche à estimer les rapports de forces entre acteurs et à étudier leurs convergences et divergences vis‐à‐vis d’un certain nombre d’enjeux et d’objectifs associés au projet de développement de tourisme culturel en Tunisie. Notre souci, à travers ce travail de recherche étant de jalonner les prémisses pour la compréhension du comportement des acteurs, qui via leur positionnement par rapport aux objectifs stratégiques, notamment leurs convergences ou divergences, conditionnent le succès ou l’échec du projet de développement de tourisme culturel en Tunisie. Mots‐clés: Prospective, Tourisme culturel, Jeux d’acteurs, Mactor. Références bibliographiques : 1. Aktouf O. [1992] « Méthodologie des sciences sociales et approches qualitative des organisations », presse université, Québec, ISBN 2‐7605‐0457‐3, 213p. 2. Berger G., « L'attitude prospective » in Le Monde en Devenir. Encyclopédie Française. Ed. Société Nouvelle de l'Encyclopédie Française 1959. 3. Chapuy P, Godet M. (1999) « Sécurité alimentaire et environnement : Analyse du jeu d’acteurs par la méthode Mactor ». Cahier de LIPSOR n°11. 4. Colin C. et Coutton V. « Le nombre de personnes âgées dépendantes », DRESS Etudes et résultats, n°94, 2000. 5. Damak Ayadi S. « La théorie des parties prenantes : théorie empirique ou théorie normative ». cité dans Pesqueux Y., Bienfnot Y. « L’éthique des affaires : management par les valeurs et responsabilité sociale », Editions d’Organisations (2002), pp. 179‐192. 6. Duperrin J.C., GODET M., Prospective des systèmes : Une nouvelle méthode d'impacts croisés: S.M.I.C.74. Thèse de 3ème cycle, Université de Paris VI, 1974. 2 Institut Supérieur des Etudes Technologiques de Sousse. 3Unité de recherche : « Entrepreneuriat et développement international ». 4Membre de l’association internationale APREIS : www.apreis.org 5Institut Supérieur de Gestion de Sousse. [email protected] 7. Duperrin J.C., GODET M., « SMIC‐74, A method for constructing and ranking scenarios », Futures, august 1975, 7(4), pp.302‐312. 8. Forse M., L’analyse structurelle du changement social. Le modèle de Louis Dirn, PUF, 1991 9. Fortin A, Deslauriers JP. [1988] « Les méthodes de la recherche qualitatives». Presses de l’Université du Québec. « L’observation participante : au coeur de l’altérité». 10. Freemman R.E. (1999) « Divergent stakeholder theory », Journal of Management Study, vol. 39, n°1, pp233‐236. 11. Godet M., Manuel de prospective stratégique. Tome 1 : Une indiscipline intellectuelle. ème Tome 2 : L’art et la méthode, 2 Ed. Dunod, 2004. 12. Godet M., Prospective et planification stratégique, Ed. Economica, 1985. 13. Godet M., De l'anticipation à l'action, ed. Dunod, 1992, p. 14. Godet M., Meunier F., « Analyser les stratégies d'acteurs : la méthode Mactor », Cahiers du LIPS, cahier n° 3, mai 1996. 15. Gonod P.F., Dynamique de la prospective. Etude CPE n°134, édition Aditech, 1990. 16. Gonod P.F., « Matrices structurelles et mappings », Cahiers de Recherche en Prospective, n°0, p.111‐132, janvier 1995. 17. Gordon T.J., Hayward H., « Initial experiments with the cross‐impact matrix method of forecasting », Futures, December 1968, 1(2), pp.100‐116. 18. Hamel G., Prahalad C.K., "La stratégie à effet de levier", Harvard‐L'Expansion, 69, été 1993, p.43‐54. 19. Jacob R. « La transformation d’une grande organisation de services publics selon la prospective de la gestion des connaissance ». Gestion, volume 26, n°1, printemps 2001, pp 61‐71. 20. Jouvenel (de) B., « Prévision et action », Analyse et Prévision, 1970, n°9, p.178‐184. 21. Le Moigne, J.L. (1990): La modélisation des systèmes complexes, Dunod. 22. March J., Décisions et organisations, Editions d'Organisation, 1988. Alain GIRARD, sociologue, Maître de conférences, Université de Perpignan, Equipe d’Accueil V.E.C.T. (Voyages Echanges Confrontations Transformations), girard@univ‐perp.fr Logique du tourisme durable et logiques des acteurs du patrimoine culturel mis en tourisme dans un territoire en constitution, le pays d’Agly Tourisme durable, patrimoine culturel, territoire, logiques d’action patrimoniale, expérience esthétique A partir de l’analyse d’une enquête par entretiens auprès de responsables et employés des sites d’un Réseau Culturel engagé dans une expérimentation de tourisme durable, nous proposerons de faire ressortir les logiques d’actions spécifiques de ces acteurs patrimoniaux que tend à effacer l’application experte d’une méthodologie de tourisme durable. Dans le cadre d’un rapport d’enquête faisant partie de l’expérimentation, nous avions fait apparaître et tenté d’expliquer les décalages entre d’un côté le langage du tourisme durable et les finalités du dispositif d’expérimentation et de l’autre les traductions que les acteurs patrimoniaux membres du Réseau Culturel pouvaient en faire. Ici, nous tâcherons de rendre compte sur les quatre sites culturels étudiés (Forteresse de Salses, Musée de Tautavel, Prieuré de Marcevol, Musée de Bélesta) et les deux pays d’accueil touristique inclus dans le « Pays » (Loi Voynet), non seulement les traductions et usages différents du dispositif d’expérimentation de tourisme durable, mais aussi les différentes logiques patrimoniales effectives (en constatant les tensions entre logique culturelle et logique touristique par exemple) portées par les acteurs et leurs raccords spécifiques à leur territoire local. Nous ferons ressortir la complexité des territoires de référence par rapport à une action de développement, aux supports identitaires et aux marqueurs touristiques. Nous nous intéresserons enfin aux modèles de publics visés et décrits par ces acteurs et aborderons la question des conditions d’une reconstruction fine des expériences effectives du patrimoine visité qui implique de se détacher à la fois d’une approche normative de l’expérience culturelle légitime et d’une approche censée être neutre des besoins et satisfactions des « clients » du patrimoine culturel. Nous nous situerons ici dans la perspective d’une sociologie de la réception ou de l’expérience esthétique tout en sachant que dans le cas de la visite de sites patrimoniaux c’est aussi une expérience de l’histoire qui se constitue. Il s’agira aussi de discuter à cette occasion la littérature anglo‐saxonne sur le brouillage des frontières dans le champ culturel et sur les entrecroisements du touristique et du culturel dans la mise en valeur et dans la perception du patrimoine (B. Kirshenblatt‐Gimblett). Les paysages de la vigne et de l’olivier : un patrimoine à développer ? Les exemples provençaux et andalous Mots clés : patrimoine, terroir, olivier, vigne, paysage. Stéphane ANGLES Géographe, maître de conférences à l’Université Paris‐Diderot Paris 7, laboratoire LADYSS (UMR 7533). Email : [email protected] Paul MINVIELLE Géographe, maître de conférences en géographie à l’Université de Provence, laboratoire TELEMME (UMR 6570). Email : [email protected]‐mrs.fr La Convention européenne du paysage affirme clairement que le paysage « représente une composante fondamentale du patrimoine culturel et naturel de l’Europe, contribuant à l’épanouissement des êtres humains et à la consolidation de l’identité européenne ». Partant de cette déclaration explicite, notre communication entend analyser le phénomène de la patrimonialisation croissante des paysages de la vigne et de l’olivier qui s’opère en Provence‐Alpes‐Côte d’Azur et en Andalousie. Ce processus s’intègre généralement dans des démarches de valorisation suscitées par les secteurs viticoles et oléicoles mais, également, par les territoires en quête de développement local, de marketing territorial et d’identification. Toutefois, cette volonté de mise en valeur du patrimoine paysager n’en est encore qu’à ses débuts et les paysages de la vigne et de l’olivier constituent aujourd’hui un enjeu majeur pour l’avenir des territoires. Dans un premier temps, notre communication s’attachera à appréhender le processus de patrimonialisation qui tend à transformer les paysages de la vigne et de l’olivier en éléments emblématiques et valorisés dans les régions méditerranéennes. Ce phénomène se fonde sur un jeu subtil de représentations et perceptions auprès des acteurs et des usagers de ces paysages au gré de référents historiques, religieux, gustatifs, sanitaires, identitaires et esthétiques. La diversité culturelle, environnementale et spatiale des paysages viticoles et oléicoles accroît encore leur valorisation. Cet ensemble constitue ainsi un système dans lequel les composants paysagers et territoriaux s’articulent et génèrent une synergie entre les paysages et les terroirs. En second lieu, nous aborderons la mobilisation du patrimoine paysager des vignobles et des oliveraies par les territoires à des fins de promotion et de développement. Cela est particulièrement visible dans les aires d’appellation d’origine contrôlée dans lesquelles la qualité des produits et des zones d’élaboration est mise en exergue et les paysages y représentent un précieux atout pour la singularisation et la valorisation des productions dans le cadre de la typicité des terroirs. L’originalité des paysages se fonde sur des pratiques locales protégées par les réglementations des appellations d’origine et cela octroie aux paysages créés une identification vis‐à‐vis d’un territoire et des sociétés locales. C’est pourquoi les paysages de la vigne et de l’olivier occupent une place croissante dans le marketing territorial des régions méditerranéennes dans lequel leur valeur patrimoniale est largement mobilisée. Toutefois, de nouvelles pratiques viticoles et oléicoles rendent difficilement compatibles les paysages créés avec la perception attendue du patrimoine paysager des vignobles et des oliveraies. De plus, d’importantes zones de production viticole et oléicole de masse échappent à ce processus de patrimonialisation paysager et à la valorisation qu’il induit. Dans un troisième temps, la communication mettra l’accent sur les enjeux pour les territoires que peuvent constituer les paysages de la vigne et de l’olivier. Les enjeux se placent dans le cadre de la mondialisation car la mise en patrimoine garantit une typicité et une identité locales et favorise le développement mutuel des terroirs et de ces activités agricoles grâce à la qualité paysagère et à la transformation du territoire‐support en territoire‐ressource. Les enjeux se situent également face à l’extension croissante des aires et infrastructures construites qui réduisent les espaces agraires et perturbent le marché foncier. Des mutations spatiales majeures s’opèrent dans les zones viticoles et oléicoles et de nouveaux paysages se créent : vignobles ou oliveries mités par l’extension urbaine, multiplication des friches péri‐urbaines, transfert des zones agricoles, réhabilitation périurbaine d’anciennes oliveraies abandonnées. L’apport de nouvelles populations, sensibles au patrimoine des paysages de la vigne et de l’olivier, contribue également à modifier les pratiques spatiales. Les enjeux sont aussi territoriaux car les paysages et le patrimoine qu’ils représentent deviennent des éléments essentiels pour le développement des territoires car ils constituent des objets de valorisation économique et d’animation sociale très appréciés. Ainsi les paysages de la vigne et de l’olivier sont perçus comme un véritable patrimoine que les sociétés entendent réhabiliter et préserver comme surcroît de valorisation et moteur de développement local en favorisant une synergie croissante entre paysages et territoires. Pour étayer nos propos, notre communication s’appuiera sur de multiples exemples pris en Provence‐Alpes‐Côte d’Azur et en Andalousie qui ont une valeur représentative significative. Eva BIGANDO Habiter un « paysage culturel » inscrit au patrimoine mondial de l’Humanité : regards d’habitants sur l’expérience ordinaire et quotidienne d’un paysage exceptionnel (Saint‐Émilion Géographe Post‐Doctorante CEPAGE / ENSAP Bordeaux [email protected] [email protected] Cette communication est l’occasion de proposer les premières conclusions issues d’un programme de recherche conduit sur trois sites viticoles européens inscrits au Patrimoine mondial de l’Humanité au titre des « paysages culturels » (Saint‐Émilion en France, Tokaj en Hongrie, Cinque Terre en Italie)6. Sur la base de la comparaison de ces trois sites, cette recherche vise à interroger la manière dont se résout la confrontation du remarquable et de l’ordinaire, de la préservation d’un patrimoine exceptionnel et de la nécessaire adaptation des territoires au déploiement des activités quotidiennes de la population. C’est plus précisément sur le vécu de l’expérience quotidienne de lieux ainsi « patrimonialisés » que nous proposons de centrer notre propos. Il s’agit en effet de rendre compte de la manière dont, au‐delà de la fabrication et de la protection de l’exceptionnel, un « paysage patrimoine » est vécu au quotidien par les habitants et de l’incidence que peut avoir son inscription au patrimoine mondial de l’Humanité dans la pratique quotidienne des lieux. Pour ce faire, nous nous intéresserons plus spécifiquement au cas de Saint‐Émilion où une démarche d’enquête a été menée directement auprès de la population locale. En l’état actuel de l’avancée de nos travaux de recherche, deux points essentiels nous semblent pouvoir et devoir être abordés. Dans un premier temps, il sera intéressant de signifier en quoi l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO constitue ou non un événement susceptible de faire émerger leur paysage quotidien en tant que réalité vécue pour les habitants. Dans un second temps, il conviendra de témoigner de l’émergence, dans les pratiques socio‐spatiales et les représentations habitantes, d’une distinction entre un paysage d’exception et un paysage du quotidien. Les discours d’habitants témoignent en effet d’une volonté, consciente ou non de la part de leurs auteurs, de distinguer deux types de référents paysagers inhérents à la pratique qu’ils ont des lieux : d’une part des référents paysagers mis en vitrine et « touristifiés », reconnus pour leur caractère d’exceptionnalité et l’acceptation de leur « versement » en tant que « bien désormais commun » à l’Humanité, et d’autre part des référents paysagers plus personnels, porteurs pour l’être‐habitant de la singularité de sa relation intime à son paysage quotidien et de l’expérience 6 « Paysages d’exception, paysages au quotidien : une analyse comparative de sites viticoles européens du patrimoine mondial ». Ce programme de recherche est piloté par deux équipes de recherche françaises, CEPAGE (ENSAP Bordeaux) et LADYSS (UMR CNRS-Université Paris 1), auxquelles sont associées d’autres équipes européennes comme le CEMAGREF (Unité de Bordeaux), l’Institut de Gestion de l’Environnement et du Paysage de l’Université d’agriculture St Etienne de Gödöllö (Hongrie), Leonardo-IRTA (Institut de - Université de Pise - Italie). personnelle qu’il en fait, référents paysagers le plus souvent situés à l’écart des précédents et qu’il souhaite voir conservés dans une forme d’« en soi ». Mots‐clés : patrimoine, paysage culturel, pratiques socio‐spatiales, représentations, habiter. Hélène DOUENCE Maître de conférence en géographie Université de Pau et des Pays de l’Adour Laboratoire SET (UMR 5603) IRSAM Domaine universitaire 64 000 PAU helene.douence@univ‐pau.fr Mots Clefs : 1. Paysages viticoles 2. Vignobles du Sud‐Ouest de la France 3. Ressources territoriales 4. Relation ville/campagne 5. Patrimoine culturel rural La culture DE la vigne ou la culture DANS les vignes ? Le rôle des vignerons du Sud‐Ouest dans la mise en patrimoine de leur vignoble Les vignobles du Sud‐Ouest de la France connaissent, depuis le milieu du 20eme siècle, une véritable renaissance, impulsée dans le cadre d’une réelle dynamique collective locale. Et leur reconstruction s’inscrit dans une logique résolument territoriale lorsque ces vignerons orchestrent une mise en scène de leur vignoble sur la base d’une programmation événementielle de type culturel et festif. Conçue comme un événement, c’est‐à‐dire un moment inscrit dans un temps exceptionnel, hors du quotidien, et dans un espace localisé, la fête semble être un bon révélateur des relations que les sociétés tissent avec leur territoire. Or, le succès croissant de ces manifestations événementielles semble témoigner de l’intensité de la demande de citadins en quête de nature et de valeurs rurales. Et, le vin, vecteur de ce désir, produit de terroir et de prestige, de convivialité par excellence, devient alors un objet support de cette valorisation dans un processus de construction d’une identité régionale et dans une démarche de patrimonialisation du vivant. En effet, dans cette dynamique de valorisation commerciale, les vignobles s’inscrivent clairement dans une logique patrimoniale en lien avec cette nouvelle demande sociale. Les attributs patrimoniaux des vignobles illustrent bien tous les thèmes caractéristiques d’un patrimoine culturel rural, à savoir des ensembles architecturaux (châteaux, demeures, bâtiments de production,…), des paysages viticoles qui structurent fortement un territoire, un savoir‐faire et des techniques qui enracinent le rôle mythique du vigneron comme détenteur d’un savoir ancestral et authentique, et en dernier lieu, le vin, produit de terroir par excellence, objet de plaisir et de convivialité. Ainsi, dans notre culture occidentale, les vignobles détiennent une position privilégiée d’un imaginaire collectif. Cependant, au‐delà de cet indéniable lien avec une dimension patrimoniale, c’est sur la question de la gestion de territoires vivants et des enjeux de développement local que nous souhaitons nous interroger ici. Notre réflexion s’assoie sur le constat suivant : dans de nombreux cas, les vignobles émergent comme de nouveaux espaces sociaux appropriés par des citadins en désir de campagne. Inscrits dans une complémentarité entre ville et campagne, ils sont alors vécus comme de nouveaux lieux de sociabilité et de « vivre ensemble ». Ce patrimoine culturel viticole est alors investi par les vignerons comme une ressource territoriale. Cette valorisation s’inscrit dans un processus complexe de « marketing des lieux » à la croisée de préoccupations identitaires, patrimoniales, touristiques, économiques et territoriales. Dans notre communication, il s’agira d’analyser la valorisation de ce patrimoine viticole par le prisme du rôle des vignerons : - analyse des représentations de la question patrimoniale par les vignerons - traduction de ces représentations dans les pratiques : présentation et typologie des actions de mise en scène - analyse des conséquences en terme d’animation territoriale et de construction de territoires cohérents - analyse des interactions avec les acteurs du territoire (politiques publiques) Les vignobles du Sud‐Ouest se présentent donc comme un laboratoire d’expérimentation intéressant pour décrypter ce processus de construction territoriale liant la filière vitivinicole à un territoire. La comparaison de plusieurs appellations, essentiellement dans la partie sud‐aquitaine, permet de s’interroger sur les spécificités spatiales (situation géographique et réceptivité du projet) et temporelles (inscription et durabilité de projet). Dominique CHEVALIER Patrimoines culturels et territoires mémoriels de la Shoah : comparaison de trois lieux (Beit Lohamei Haghetaot, Yad Vashem et United States Holocaust Memorial) Maître de conférences en géographie, Université de Lyon, Lyon 1, IUFM, 5 rue Anselme 69317 Lyon cédex 04 LISST‐Cieu Toulouse (UMR 5193) [email protected] Cette communication repose sur une comparaison de trois haut‐lieux mémoriels de la Shoah, afin de mettre en parallèle la manière dont ces trois mémoriaux, bâtis à des périodes différentes, valorisent leurs patrimoines, plus de 60 ans après la folie nazie. Comment ces mémoriaux tentent‐ils d’expliquer, raconter, transmettre la Shoah, avant que ne disparaisse la poignée de rescapés qui peuvent encore témoigner ? Deux d’entre eux sont situés en Israël : Beit Lohamei Haghetaot et Yad Vashem et le troisième est localisé à Washington. A quelques kilomètres de Saint‐Jean d’Acre, en Galilée occidentale, le musée de Beit Lohamei Haghetaot est la plus ancienne institution commémorative d’Israël consacrée à la Shoah. Celui‐ci voit le jour en 1949. Organisé en kibboutz, elle est l’œuvre d’un couple et de 196 combattants, essentiellement survivants de l’insurrection du ghetto de Varsovie, mais aussi partisans, résistants et rescapés des camps de concentration. Rapidement, pour quelques uns, s’impose une évidence : après un lieu de vie, il faut créer un lieu de mémoire à travers une triple mission, préserver la mémoire vivante des événements vécus par les membres fondateurs, la transmettre aux générations futures, en approfondir l’étude et en dégager la portée. Créé en souvenir des camarades de combat assassinés, les fondateurs du musée ont dès le départ choisi de mettre l’accent sur la Résistance, une réponse appropriée à la doxa populaire qui devait perdurer pendant les années d’après‐guerre, selon laquelle les Juifs « se seraient laisser mener comme des moutons à l’abattoir ». C’est autour des objets personnels des fondateurs que s’est construit le musée. Aux films d’époque et aux images vieillies se mêlent fusils des partisans ou gamelles des survivants des ghettos. Un projet de rénovation du musée est actuellement en œuvre. Pourtant, c’est bien le Mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, qui apparaît comme l’élément central du dispositif mémoriel et identitaire israélien. Il représente à la fois la cause et la conséquence de la prégnance de la Shoah dans la société israélienne. En effet, chaque élève visite au moins une fois au cours de sa scolarité le musée de Yad Vashem et l’endroit illustre, de ce point de vue, la quintessence du territoire officiel mémoriel. Enfin, le Mémorial de Washington s’inscrit dans une démarche quelque peu différente. Il peut paraître surprenant de voir combien ce musée, qui raconte une tragédie qui s’est déroulée sur le sol européen, est devenu central dans l’image que la démocratie américaine a d’elle‐même. Quels sont les points communs et les divergences de ces trois espaces muséographiques, à la fois en terme culturels, patrimoniaux, architecturaux, sociaux et sociétaux ? Les références qu’ils mobilisent ne restent pas sans influence sur l’espace et les territoires qui les accueillent, car les enjeux de mémoire sont également politiques et civilisationnels. Anne HERTZOG Maitre de conférences en géographie Université de Cergy‐Pontoise, MRTE Adresse : 3, rue Montguichet 78890 GARANCIERES (adresse personnelle) Tél. 01 34 86 54 51 e‐mail : hertzog.anne[at]wanadoo.fr « Que faire de Verdun au XXI ème siècle ? » : question d’historien, regard de géographe Contribution à la réflexion sur la dimension spatiale d’un processus de patrimonialisation contemporain En 2008 pas moins de 4 colloques7 interrogeaient les usages du patrimoine de la Grande guerre en France, sans compter les ouvrages questionnant les prolongements contemporains d’une guerre considérée à plus d’un titre comme « inachevée » (Audoin‐Rouzeau, Prochasson, 2008). Le 90ème anniversaire de la fin du conflit, occasion d’un retour sur l’événement historique, s’est donc révélé un moment fort du débat portant sur la définition même du patrimoine de la guerre et sa place dans les sociétés contemporaines et leurs territoires. « Que faire de Verdun au XXIème siècle ? »8. A cette question posée lors du colloque de Paris La Grande Guerre aujourd’hui, cette contribution n’entend certes pas répondre. Elle tentera en revanche de comprendre pourquoi et dans quel contexte une telle question s’impose aujourd’hui, soulevée par un acteur historien et chargé de mission auprès du Conseil général de la Meuse. Il n’est pas anodin qu’en 2008, parmi les quatre colloques cités, trois aient été organisés sous l’égide d’acteurs institutionnels locaux, notamment en Picardie. Depuis la fin des années 1990, le patrimoine de la guerre y est mobilisé par les acteurs publics au service du développement territorial. Cette manière nouvelle de référer au passé et au territoire pour susciter un « développement culturel », une « nouvelle image », la « croissance économique » ou la « montée du tourisme » illustre parfaitement l’idée selon laquelle la construction patrimoniale cristallise désormais des désirs de changement. De nouvelles pratiques socio‐spatiales, de nouveaux « modes d’habiter » le patrimoine sont censé produire de la désirabilité là où a priori elle faisait défaut. Le rôle joué par les acteurs locaux montre que les débats suscités par le patrimoine de la guerre se déploient désormais dans l’ensemble de l’espace public à différents niveaux d’échelle faisant intervenir des acteurs ayant des manières propres de référer au passé et des modalités spécifiques d’appropriation des territoires. Le processus de patrimonialisation se construit entre consensus et confrontations. Alors que le conseil général de la Somme fait son possible pour développer le tourisme dans un territoire marginalisé, le secrétaire australien aux anciens combattants ne s’insurge‐t‐il pas contre l’idée de faire des lieux de combats et de sépulture des 7 « Tourisme des mémoires au service du développement économique et culturel de la Picardie », Amiens, janvier 2008 ; « La Grande guerre dans les Vosges », Epinal, septembre 2008 ; « La Grande Guerre aujourd’hui. 14/18 dans le monde social », Paris, novembre 2008 ; « L’Oise dans la Grande Guerre », Noyon, novembre 2008. 8 Titre d’une des communications au colloque de Paris « La Grande Guerre aujourd’hui », Paris, novembre 2008. « attractions touristiques » (Billson B., 2007) ? Les actes répétés de vandalisme contre une sculpture contemporaine financée par l’Etat sur le Chemin des Dames en 1998 ont‐ils un sens politique ? L’association Patrimoine de la Grande Guerre dans le Noyonnais recueille‐t‐elle le soutien unanime des habitants‐riverains dans son combat contre l’implantation d’une usine dans le Bois des Loges, lieu de combat de l’armée française aujourd’hui oublié ? Le maire de Craonne suscite‐t‐il un intérêt de la part des historiens de l’Ecole de Péronne autant que de ceux du Crid lorsqu’il érige sa commune en lieu de mémoire des « fusillés pour l’exemple », relayé par les acteurs du Conseil général de l’Aisne, lesquels portent l’exigence de leur reconnaissance sur le devant de la scène nationale depuis quelques mois ? Cette contribution s’intéressera donc à la pluralité des manières de « vivre » ou d’« habiter » les sites historiques à partir de l’étude des représentations et des pratiques des acteurs. Historiens, experts, habitants, touristes, collectionneurs ou acteurs institutionnels portent un regard spécifique sur ce patrimoine qu’ils investissent de valeurs et de significations différentes ‐ mais toutes légitimes selon leur point de vue – en fonction de leur position dans la société. C’est en effet à l’articulation des pratiques individuelles et collectives, publiques et privées, au croisement de représentations diverses, que se construit le processus de patrimonialisation que l’on peut définir comme un ensemble de manières de référer au temps et au territoire, historiquement datables et spatialement situées. Ainsi, des pratiques touristiques d’un genre nouveau viennent se surimposer à des pratiques héritées qui ne disparaissent pas pour autant ; les formes de commémoration elles mêmes évoluent, tout comme les significations et les usages assignés aux lieux. Le patrimoine de la guerre est donc redéfini de manière permanente dans ses dimensions sociale, politique et spatiale, laquelle est particulièrement captée par le regard du géographe, ses méthodes et ses concepts. Aussi, cette contribution s’efforcera‐t‐elle de définir l’espace du patrimoine de la Grande guerre, ainsi que les dynamiques spatiales et les différents niveaux d’échelle du processus de patrimonialisation actuel. Ainsi, nous proposerons des éléments d’explication à la dilatation contemporaine, à tous les niveaux d’échelle, de l’espace patrimonialisé de la Grande guerre. Directement en lien avec les enjeux de développement territorial déjà mentionnés elle est aussi liée à l’hybridation des pratiques touristiques, conduisant d’une part à la réactivation de destinations anciennes, et d’autre part à la fréquentation de lieux dispersés peu connus voire confidentiels. D’autres facteurs d’explication résident dans l’intérêt croissant suscité par ce conflit dans l’ensemble de la société (Offenstadt N.), et particulièrement auprès des historiens universitaires ou amateurs, encourageant notamment les pratiques d’archivage, de collections et de publications à tous les niveaux d’échelle et par divers acteurs (associations, collectionneurs, experts ou muséographes), pratiques essentielles dans le processus de patrimonialisation et sa territorialisation. Nous tenterons par ailleurs de montrer que l’organisation de l’espace patrimonialisé n’en demeure pas moins discontinue, rendant délicat l’usage du concept d’ « aire » (utilisé par certains historiens comme S. Barcellini, 2008) pour le caractériser. Diverses logiques (politique d’aménagement et répartition inégale des moyens financiers, implantation des équipements les plus novateurs dans des lieux déjà fréquentés, poids du politique dans le choix des hauts lieux historiques ou censés incarner la mémoire collective, refus de convoquer ce passé par certains acteurs…) conduisent en effet à des dynamiques de concentration, de hiérarchisation et de mises en réseau sélective dans le processus de territorialisation de ce patrimoine. Avec ses concepts et ses méthodes, la géographie apporte une réflexion sur la dimension spatiale du processus de patrimonialisation. Ainsi, cette contribution montrera dans quelle mesure le regard géographique sur le patrimoine s’inscrit dans le champ foisonnant des recherches en sciences sociales sur cet objet partagé. Sigrid VAN DER AUWERA Armed conflict, cultural heritage and the (re)construction of history and memory for political mobilization University of Antwerp More then ever different groups in society claim their own collective identity and history. It is ever more recognized that certain parts of history are (un)consciously forgotten and others are embellished and blown‐up. The irony of history is however that this process of (re)construction of history seems to be used in nation‐building efforts as well as in nation deconstructing efforts like internal armed conflicts. In this process cultural property symbolizes specific identities and, in that vain, it could be created, restyled, reconstructed or even demolished in order to play a role in the nation and/or identity building efforts. The paper will therefore examine how the (re)construction of the past is used in the process of political mobilization, the construction of identity and (sub)nationalism, through comparing the way in which and to what extent the First World War is commemorated in former colonies that transmitted troops to Europe and the way in which and to what extent heritage destruction is used as a weapon of psychological warfare in actual armed conflict. Current theories on history and identity will be taken as our point of departure. The data for this paper stem from two separate researches. The first was carried out in 2008. The research aimed at analyzing how and to what extent the First World War is commemorated in 25 current countries of which representatives fought in Flanders during the war. The second research is part of an ongoing research that is wider in scope and that focuses on the protection of cultural property during armed conflict. In this research we analyze inter alia how identity is used as a tool in the process of political mobilization and how cultural property is used as a weapon of psychological warfare. The extent to which the First World War contributed to national awareness, seems to be a decisive factor in the way in which and the scope to what the war is currently commemorated and the amount of World War I heritage that is still present. The remembrance of the war primarily applauds the victory. Hence, it is not to be wondered that winner states, rather than losers, commemorate the war. Moreover we ascertained a difference between states for which the First World War was the beginning of their independence and the subsequent nation‐building process and states for which the First World War still symbolizes the suppression of the colonizer. States for which the First World War was a decisive step in the nation‐building process (e.g. New Zealand and Australia) greedy recuperate the history of the war and still attach great value to the commemoration of it. This is still manifested in the amount of World War I‐heritage (tangible as well as intangible) in these countries. Historians like Eric Hobsbawn have argued that history is the material with which identity is created and with which this identity is legitimated. This material is rather a selective reconstruction (or even a construction) of the past than an objective history. The elements that legitimate and enhance national identity are singled out and will take an important place in the collective memory. Ceremonies and traditions are therefore based on these elements. A national paradigm for historic representation is never far away. This seems not only to be the case when it concerns the (re)construction of the past and heritage, but also when it concerns the deconstruction of the past. During current armed conflicts, like in e.g. the Former Yugoslavia or in Israel/Palestine, the intentional destruction of cultural property tends to play a role in de modes of warfare. This seems to coincide with the occurrence of a new type of warfare, the so‐called ‘new wars’, ‘low intensity conflicts’, ‘small wars’, etc. From the establishment of sovereign states until the Second World War, most wars were intrastate. Since then, the amount of interstate conflicts decreased and intrastate conflicts arose more often. These conflicts are often based on the politics of identity and result more often in ethnic cleansing. Political mobilization is based on exclusive identities that tend to be nostalgic, based on the (re)construction of a common past. It is no surprise that the destruction of cultural property symbolizing the identity of an opposing ethnic group, is used in the process of psychological warfare. Moreover, this can be a part of the ethnic cleansing process itself. One group wants to render the territory ethnically homogeneous. Therefore the opposing group gets ousted. To enforce this action the historic landmarks of that group have to be erased. Hence, with the paper we will illuminate the way in which the construction as well as the destruction of cultural heritage can play a role in the construction of respectively national and sub‐national identities and in the nation building process. Franca MALSERVISI Architecte, docteur en histoire de l’architecture Chercheur au Laboratoire de Recherche Histoire Architecturale et Urbaine ‐ Société (LADRHAUS), Ecole d’Architecture de Versailles 8, bis rue de Chaumont, 75019 PARIS 01 42 02 90 20 [email protected] Maria Rosaria VITALE Architecte, docteur en conservation du patrimoine architectural Chercheur au Département «Architettura, Storia, Strutture, Territorio, Rappresentazione, Restauro et Ambiente (ASTRA)», Faculté d’architecture, Université de Catania [email protected] La construction du patrimoine architectural en France et en Italie: entre traditions culturelles et pratiques actuelles L’analyse de l’évolution des pratiques et du rôle des acteurs dans le domaine du patrimoine architectural peut nourrir une réflexion interdisciplinaire sur les mutations en cours. En effet, le phénomène de patrimonialisation du bâti profite d’une histoire longue: deux siècles d’actions pour préserver et mettre en valeur les «monuments». Cette histoire a été encore peu étudiée en France, ce qui explique pourquoi l’histoire de l’architecture ne figure pas parmi les disciplines citées dans la présentation du colloque. En Italie, au contraire, une bibliographie relativement importante concerne l’évolution des pratiques et des réflexions théoriques concernant le patrimoine architectural. Les contextes des deux pays sont comparables: deux pays a fort potentiel touristique et qui profitent d’une reconnaissance internationale des valeurs historiques et artistiques de leur patrimoine architectural. Cependant, les processus de protection, de préservation et de mise en valeur de ce patrimoine ont toujours été différents et continuent à l’être malgré les chartes internationales et les déclarations officielles. Et c’est justement la mise en parallèle des documents internationaux qui démontre le plus efficacement le glissement de sens entre les différentes traductions, inévitablement rattachées aux cultures nationales de référence. L’Italie se caractérise par une forte tradition de réflexion théorique sur les thématiques patrimoniales (au niveau des aspects juridiques comme des aspects plus étroitement liés aux domaines historique et artistique). La France a toujours privilégié une approche plus pragmatique et empirique, même si les questions doctrinales ont toujours animé le débat. La terminologie utilisée («théorie» en Italie et «doctrine» en France) révèle, d’une certaine façon, deux approches culturelles différentes des mêmes questionnements. À travers la présentation de quelques chantiers historiques et de quelques chantiers récents en France et en Italie, cette communication propose un aperçu de la richesse des observations qui peuvent surgir d’une discipline encore à définir: l’histoire comparée de la construction du patrimoine architectural. La mise en parallèle des situations française et italienne permet de mettre en évidence les ambiguïtés liées à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine bâti. Dans ce domaine, la patrimonialisation implique des métamorphoses importantes et les justifications déclarées de ces métamorphoses sont souvent relativement éloignées de raisons plus profondes mais non dites. Les modifications des témoins de l’architecture historique sont liées à différents facteurs: l’alternance de périodes d’abandon et de travaux intensifs, la reconnaissance fragile et ambiguë des valeurs esthétiques du patrimoine architectural, la superposition des restaurations successives, la relation entre praticiens, administration centrale et élus... La présentation de quelques cas exemplaires permettra d’illustrer le rôle des décideurs et des praticiens dans les processus d’appropriation du patrimoine architectural. Le caractère complexe et conflictuel de sa construction sera éclairé par une mise en parallèle de cas similaires dans les deux pays qui permettra de faire ressortir les caractéristiques communes et les spécificités de chaque contexte culturel. Entre restaurations et dérestaurations, la question de la durabilité du patrimoine bâti sera affrontée en proposant l’analyse des chantiers datant d’il y a plusieurs dizaines d’années; ils constituent une source d’information précieuse pour l’évaluation des pertes irréversibles. Il est possible de définir une approche durable du patrimoine architectural en analysant par défaut les pertes engendrées par une approche qui répond uniquement aux attentes d’une exploitation à court terme du bâti. Mots clés: patrimoine architectural, doctrine, restauration, Italie, France Cyril ISNART Docteur en Anthropologie Chercheur associé à l’IDEMEC UMR 6591 CNRS ‐ Université de Provence [email protected]‐aix.fr Patrimonialisation « hors sol », patrimonialisation « pleine terre » Mise en patrimoine de la musique et rapport à la localité en Europe méridionaleErreur ! Signet non défini. Mots‐clés : Musique, localité, mobilité, Portugal, France Dans l’histoire du patrimoine européen, les artefacts artistiques, architecturaux, technologiques ou domestiques sont considérés comme les signes et les symboles d’une identité et d’une mémoire fortement liées à un état, une région ou une commune. Le lieu, donnant son nom à la culture locale, joue alors le rôle d’une métonymie sociale, ou plus précisément d’une éponymie collective. On connaît bien ce processus qui a servi la construction des états nations du XIXe siècle, en réifiant une entité topographique sensée être homogène par sa littérature, son folklore, sa langue, voir son sang. A une échelle plus microscopique, les mouvements régionalistes ou l’érudition locale du XXe siècle sont depuis peu l’objet d’une interrogation du même type qui questionne la construction des identités de petits territoires à travers des dispositifs collectifs comme la mise en récit généalogique (Sagnes), le collectage des vestiges archéologiques (Voisenat) ou la mise en patrimoine (Fabre et Bensa). Il s’agit le plus souvent de comprendre comment un lieu, « traversé » par ses acteurs et leurs pratiques, selon l’expression de Michel de Certeau, sont construits voir inventés ou au moins définis par des individus et des groupes qui en écrivent et en racontent l’histoire. Nous sommes dès lors conviés à une vaste « anthropologie de la localité » (Appaduraï) qui s’attache à déconstruire les discours et les pratiques qui fabriquent et entretiennent les représentations du lieu. La patrimonialisation peut donc être considérée comme une fabrique de la localité, qui n’est pas seulement le territoire physique, mais aussi les représentations mentales de la localité, le sentiment du lien au lieu, les pratiques qui permettent l’existence de ces affects et artefacts locaux et la construction des autochtonies communautaires et collectives (Détienne). L’analyse en terme de construction de la localité permet également de poser l’hypothèse des patrimonialisations « hors sol », dont les acteurs, les enjeux et les objets ne se situent pas physiquement sur le lieu patrimonialisé. Plusieurs échelles existent d’ailleurs entre les procédures de patrimonialisation et le lieu d’origine et l’un de ces niveaux concerne les patrimonialisations issues de la mobilité migratoire, qui offrent un champ d’exploration de la fabrication patrimoniale de la localité révélateur des processus de localisation sans lieu physique, ou presque, et qui remettent sur le métier une définition classique de l’autochtonie. Cette communication se propose de mener une comparaison entre deux exemples européens pour tenter de décrire et d’analyser deux modalités paradigmatiques des liens entre la patrimonialisation et la localité. Il s’agit d’une part de la mise en patrimoine des pratiques polyphoniques du village de Tende, au sud est de la France et d’autre part de la patrimonialisation de la forme du chant de l’Alentejo, dans le sud du Portugal. Ces deux terrains, qui suivent deux modes opérationnels différents (une patrimonialisation sauvage d’une pratique musicale informelle et festive issue d’une migration vs. une demande d’inscription comme Patrimoine culturel immatériel à l’Unesco d’une pratique fortement institutionnalisée et folklorisée), nous permettront de montrer que si le lieu reste une référence, c’est en reliant son image à la communauté et aux contenus mêmes des pratiques musicales. Ainsi, les patrimonialisations « hors sol » ou « pleine terre » ne sont jamais réductibles au seul lien avec le lieu. Et dans un mouvement réciproque, les acteurs fabriquent et utilisent la localité, le patrimoine et le sentiment d’appartenance, quelque soit le degré d’implication ou de présence du lieu. Cette communication voudrait apporter quelques éléments de réflexion sur la nature hybride des processus de patrimonialisation et des objets qui en sont les produits et les matières premières, sans stigmatiser les bricolages flagrants des autochtonies patrimoniales, mais en faire les clés de compréhension de ces modalités du rapport aux lieux. Giovanna IACOVAZZI Université de Paris IV, Sorbonne Les bandas, entre désir de territoires et patrimoine immatériel de l’île de Malte Chaque année à Malte, les bandas, les fanfares locales, jouent un rôle crucial lors des célébrations dédiées au saint patron. Appelées à jouer pour accompagner la procession et animer la fête pendant toute sa durée, elles jouent et parcourent les rues du village, des heures et des jours de suite. Elles deviennent l’occasion de nouveaux défis et de nouveaux enjeux, notamment, spatiales. En effet, par le biais de leur musique, les bandas redessinent l’espace, physique et social de l’île, et participent de la construction de nouveaux territoires. Comment ce « patrimoine immatériel » de l’univers culturel maltais crée de nouveaux territoires ? Quelle est la relation entre la production d’espaces – musicaux et sociaux – et la patrimonialisation de ces musiques, un patrimoine dont la valeur, le plus souvent implicite, ne serait pas la valeur marchande mais plutôt, « affective » et symbolique ? Mon intervention s’appuie sur mon travail de thèse (Un bruit pieux. La musique des bandas à la fête de Santa Maria Mater Gratiae à Zabbar – Malte –) David KHATILE La Haute‐Taille : enjeux identitaires et patrimonialisation d’une danse dans la Martinique post‐coloniale Dans une société martiniquaise structurée autour d’une situation de domination politique et économique, la patrimonialisation culturelle et la représentation identitaire se posent avec violence et acuité tant chez le dominé que chez le dominant. Ces deux champs font l’objet d’un investissement extrême où les systèmes culturels sont fortement instrumentalisés, ce qui donne lieu à un jeu social dynamique et complexe qui se mesure à l’aune de nombreux enjeux et luttes qui se fomentent en toile de fond chez les divers acteurs du champ social dans un contexte post‐colonial. Ils se posent dans bien des cas comme des moyens d’absorption d’un discours anticolonialiste faute d’acquisition d’une souveraineté martiniquaise chez le dominé et comme moyen de maintien des schèmes de la représentation identitaire et de l’ordre social chez le dominant. L’équation est d’autant plus complexe qu’elle cristallise d’une part des enjeux qui se conjuguent à des niveaux et registres différents et d’autre part une problématique larvée de conflit racial. Cette équation ne se confine pas dans la seule dichotomie manichéenne dominant versus dominé, même si cette situation de domination post‐coloniale française représente la toile de fond sociohistorique du réel martiniquais. Le champ patrimonial concentre des actions locales, des politiques d’état et de plus vastes programmes patronnés par l’UNESCO. Les négociations ne s’avèrent possibles — au‐delà de cette lutte sociale et symbolique — que sur la base de certains consensus entre les diverses parties. Ces acteurs — qu’ils soient les représentants d’un pouvoir étatique dominant, membres d’institutions ou collectivités relais française et/ou martiniquaise, acteurs culturels et/ou de la tradition ou encore chercheurs — se retrouvent impliqués dans ces processus en tant que partenaires. La dernière convention de l’UNESCO9 solennisant avec grandiloquence la protection du patrimoine culturel mondial impose depuis peu un nouveau cadre opératoire qui génère une surenchère chez certains acteurs en même temps qu’elle déplace le jeu social existant entre le pouvoir étatique dominant et le pays dominé en y intégrant une gestion supramétropolitaine. C’est là une aubaine pour la France qui sous couvert de « l’immaculée » UNESCO peut mener en toute impunité et sans dédouanement la politique culturelle qu’il souhaite pour la Martinique. Les effets pervers de cette surenchère autour d’une labellisation UNESCO sont tels, que la présence de chercheurs est sollicitée. L’expertise scientifique avec son regard décentré est censée répondre à des demandes qui ne sont pas toujours clairement définies. Le chercheur se trouve de facto acteur du jeu social en y apportant un éclairage qui sera peu ou prou pris en considération et utilisé à des fins diverses10. Nous proposons ici une plongée à l’intérieur de l’expérience d’un vaste processus de patrimonialisation et de construction identitaire enclenchée à la charnière des XXème et XXIème siècles où la Haute‐Taille ― une contredanse martiniquaise ― se trouve instrumentalisée comme trait définitoire de l’identité d’une ville (Le François). Nous appréhendons cette action sociale à travers toute la dynamique des stratégies et positionnements des divers acteurs qui agissent et interagissent tout au long du processus. L’apport de l’anthropologue fait partie intégrante du processus puisque son éclairage vient nourrir le discours identitaire et la fabrication d’un objet culturel de valorisation patrimoniale. L’épaisseur du jeu social renferme d’autres types d’enjeux comme celui de la représentativité culturelle des genres de danse qui cristallise bien plus qu’une simple reconnaissance institutionnelle et médiatique. Outre la valorisation sociale des acteurs de la tradition, elle induit une lutte pour la représentativité des espaces régionaux auxquels sont rattachés les faits culturels emblématisés dans une échelle plus globale. On ne peut passer sous silence la prise en compte des retombées en terme de prestige symbolique et d’activité économique. Comment ne pas souligner le fait que l’industrie touristique ne soit pas convoquée sur les seules bases de l’action folklorisante puisqu’il arrive que des acteurs locaux s’en servent comme instrument de valorisation culturelle dans le cadre d’une action donnée dont l’impact réel sert à renforcer leur discours symbolique sur l’identité et sur la représentativité culturelle. L’inscription de la Haute‐Taille dans ces deux champs vient à contre courant des choix idéologiques dominants du moment qui tendent à emblématiser des systèmes culturels considérés à tort ou à raison comme porteurs de valeurs « nègres ». Faut‐il souligner que le choix des systèmes culturels emblématisés n’est pas jamais neutre et reflète peu ou prou des positions et idéologies dominantes. Au‐delà de la volonté de réhabiliter des acteurs porteurs d’une tradition de danse se manifeste l’aspiration profonde à un nouveau positionnement dans le champ de la représentation identitaire. Voilà qui vise à modifier les schèmes de perception idéologique puisqu’il est question d’une danse dont la filiation française est attestée qui se trouve rejetée à la lisière de l’actualité patrimoniale et identitaire car stigmatisée « d’insuffisance nègre ». Le paradoxe est que si le processus de créolisation est ici revendiqué, ce n’est pas tant pour le sublimer et intégrer le fait que l’assimilation en soit une des chevilles ouvrières, mais bien pour construire un discours symbolique où la Haute‐Taille s’inscrit dans une identité positive par la magie d’une rupture dialectique visant à l’ancrer dans un cadre symbolique et temporel valorisant, celui de la paysannerie des mornes post‐1848 où les nouveaux libres se construisent autour d’une socialité en partie autonomisée par rapport au système de plantation. Mots clefs : Identité / Patrimoine / Créolisation / Martinique / Haute‐Taille Khatile David, docteur en ethnologie de la danse, anthropologue, musicien, membre fondateur et actif du CIRIEF (Centre International de Recherches Interdisciplinaire en Ethnomusicologie de la France → cf. Revue l’ethnomusicologie de la France aux éditions l’harmattan), membre du bureau de l’AFEA (Association Française d’Ethnologie et d’Anthropologie). Adresse électronique : [email protected] Laurent Sébastien FOURNIER Université de Nantes EA 3260 – Centre nantais de sociologie Diversité des territoires et modalités d’appropriation sociale des labels patrimoniauxErreur ! Signet non défini. Cette communication consistera à mettre en comparaison et à proposer une typologie des différents modes de réception et d’appropriation possibles des labels patrimoniaux sur différents territoires. Elle montrera qu’en fonction des territoires considérés (dans des régions plus ou moins touristiques, plus ou moins développées, dans les pays du nord ou dans ceux du sud), les dispositifs de labellisation patrimoniaux imaginés à une échelle globale rencontrent des réactions différentes chez les populations concernées localement par leur application. Le cas du label « patrimoine culturel immatériel » mis en œuvre par l’UNESCO sera plus particulièrement étudié, afin de montrer comment il met en présence un désir institutionnel de patrimonialisation et des modalités d’appropriation diversifiées chez les acteurs locaux. Dans le domaine du patrimoine immatériel, la comparaison de différents matériaux issus d’enquêtes menées à l’aide de la méthode ethnographique conduira à identifier le processus de patrimonialisation comme le résultat d’une négociation permanente entre les discours portés par les institutions patrimoniales et la réalité des actions qui font patrimoine sur le terrain. La diversité des territoires et les volontés de les développer seront utilisées comme des indicateurs privilégiés qui permettent de pondérer et de régler la mise en œuvre du processus de négociation ainsi repéré. Vincent VESCHAMBRE Professeur de géographie Université de Clermont 2 Florence DENIER‐PASQUIERERREUR ! SIGNET NON DEFINI. Juriste Vice‐présidente de l’association Sauvegarde de l’Anjou La fabrique du patrimoine d’intérêt local à travers l’élaboration des plans locaux d’urbanisme (PLU) : comparaison des principales agglomérations françaisesErreur ! Signet non défini. Suite à son audience du 10 mars 2009, le Tribunal administratif de Nantes a décidé l’annulation du plan local d’urbanisme centre de la communauté d’agglomération Angers‐Loire‐ Métropole, qui avait été adopté le 11 mai 2006. Saisi par un collectif d’associations, le tribunal a considéré qu’il y avait eu « erreur d’appréciation manifeste » concernant la « protection hiérarchisée et adaptée » du patrimoine paysager et architectural telle qu’affichée dans le Plan d’aménagement et de développement durable (PADD). L’argumentaire du tribunal administratif repose notamment sur l’article L 123‐1 7ème du Code de l’urbanisme qui permet depuis quelques années, dans le cadre du PLU « d’identifier et localiser les éléments de paysage et délimiter les quartiers, îlots, immeubles, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d’ordre culturel, historique ou écologique et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur protection ». Les quatre communes concernées n’ont pas souhaité identifier de manière significative et rigoureuse de tels éléments de patrimoine paysager et architectural et ont au contraire fortement réduit les espaces boisés classés. C’est à notre connaissance la première fois qu’un PLU est ainsi totalement annulé, sur des motifs explicitement patrimoniaux. La jurisprudence de ce jugement du PLU angevin, autour de l’article 123‐1 7ème du Code de l’urbanisme, sera l’occasion de faire une mise au point dans un domaine encore peu développé. Nous envisagerons plus largement la manière dont les principales agglomérations françaises se sont saisies ou non de cette possibilité nouvelle de « dire le patrimoine », qui était jusqu’à présent du ressort exclusif de l’Etat central, dans un contexte de diversification et de diffusion des revendications patrimoniales : « le patrimoine n’est plus représentatif d’une identité collective d’ensemble, du corps social dans son entier » (Nora, 1992, p. 4709). L’élaboration des PLU et leur réception constituent un angle d’approche privilégié pour analyser la forme et la teneur des débat, des collaborations mais aussi des relations conflictuelles entre la sphère du pouvoir local et celle des habitants, notamment ceux qui sont impliqués dans le tissu associatif. Sources et méthodes : Cette mise au point comparative portera sur les agglomérations françaises de plus de 200000 habitants (hors Paris). Nous analyserons la place du patrimoine « d’intérêt local » dans les PLU élaborés, au regard de l’article L 123‐1 7ème du Code de l’urbanisme (quartiers, éléments patrimoniaux identifiés, voire protégés). Il s’agira dans le même temps de confronter cette place du patrimoine culturel avec l’exposé du PADD. Nous analyserons également les rapports des commissaires enquêteurs, pour cerner l’importance et la teneur des dépositions relatives au patrimoine culturel. Cette réflexion interdisciplinaire centrée sur la réception d’un article du code de l’urbanisme, nous permettra d’entrer à la fois dans l’analyse des débats patrimoniaux au plan local et dans la fabrique de la ville, à travers le statut qui est accordée au patrimoine non protégé dans les PLU. L’exemple d’Angers d’où partira notre réflexion permettra également d’ouvrir la réflexion sur l’articulation entre préservation d’un patrimoine local et développement durable : c’est le décalage flagrant entre les discours de « la capitale du développement durable » et l’absence d’intégration des différentes formes de patrimoine dans ses projets de développement urbain qui a été sanctionné. Built heritage, local communities and the production of territory. Interpretation of territorial heritage in planning process in Tuscany Iacopo ZETTI Architect, researcher at the Regional Institute of Economic Planning of Tuscany [email protected] keywords: territorial heritage, planning, mapping, participation The proposed paper analyses the relationship between heritage and territorial planning in the context of Tuscany. The goal is to deal with some general and theoretical points, starting from a concrete experience of planning and research. The land use planning in Italy is largely dependent on regional laws. Tuscany promulgated a new territorial management act in 2005, following a law of 1995, both innovative. The regional planning system has one of its most relevant points exactly in the idea of heritage, and particularly in what can be defined “territorial heritage”. The paper, after giving a brief description of the Tuscan planning system, discusses some specific concepts as the relationship between territorial heritage and planning and some of the instruments in use to study and define the heritage. I try to explain how the concept is used in practice and to pick up and summarize some reflections from some best practices. Specific attention is given to the problem of mapping and representing heritage, considering the activity of mapping not as a simple technical process, but as one of the main tools for transforming space into territory. In the ordinary experience of European citizens territorial heritage is something that is part of the stage of everyday life. The entire territory is completely shaped by human action since at least two thousand years and material traces of this long‐lasting work are everywhere. To assert that heritage is the centre of planning means that planners have the tricky duty of helping local community in maintaining, or rebuilding, their relationship with the territory through that heritage. In this perspective planning is not simply a technical problem and territorial heritage is not merely a list of objects. So who define territorial heritage and according to what kind of criteria? And more important, what kind of role territorial heritage have to play in the domain of a project for the territory and what does it means enhancement in this framework? The paper asserts that people participation in planning practice is essential in defining what must be consider heritage and in transforming it in an asset for local self‐sustainable development. People participation is a central element of Tuscan planning system, but its role in connection with heritage preservation and enhancement is under discussion. I try to give some suggestion, starting from case studies, regarding how citizens participation should be linked with territorial planning practice in order to be useful in the process of heritage improvement. Part of the proposed contents comes out from a research carried out by the Department of Urban and Territorial Planning of Florence University from June 2005 to June 2007 and requested by the Regional Administration of Tuscany. A second part from a research activity developed in the frame of an international research network that is now preparing a proposal for a COST research “Economics and Built Heritage” and for the EU 7th framework program (see http://www.ebheritage.fi). La « renaissance urbaine » des villes anglaises L’instrumentalisation du patrimoine dans les politiques publiques d’aménagement. Pierre‐Jacques OLAGNIER Maître de conférences en Géographie pierre‐jacques.olagnier@u‐picardie.fr Mots clés : patrimoine urbain « vernaculaire », politique publique, territoire, villes, pratiques d’aménagement Depuis la fin des années 1990, les politiques d’aménagement qui sont mises en œuvre dans les villes anglaises sont censées s’inscrire dans le cadre général de la « renaissance urbaine » définies par deux rapports de l’Urban Task Force en 1999 puis en 2005. Dans ses recommandations, celle‐ci a fait la part belle au patrimoine culturel sous toutes ses formes (bâti et non bâti, matériel et immatériel), mais ce patrimoine est instrumentalisé pour justifier la mise en œuvre de nouvelles pratiques d’aménagement et de nouvelles politiques urbaines. L’objectif des promoteurs de cette conception est de reconquérir une tradition urbaine oubliée qui serait fondée sur quelques « grandes » références urbanistiques préindustrielles anglaises, utilisées et considérées par l’Urban Task Force comme des archétypes d’espaces urbains d’une « grande et durable beauté ». Bath, Edimbourg, Harrogate et Oxford, les cités jardins pionnières de Letchworth ou de Bedford Park sont tout à tour convoquées comme autant de modèles dont les nouvelles politiques urbaines et les nouvelles pratiques d’aménagement doivent s’inspirer. Les principes ainsi déployés peuvent être résumés par la formule avancée par la Commission for Architecture and the Built Environment, organisme de conseil du gouvernement britannique sur ces questions : “Good urban design learns from the past and respects it in developing policies and proposals for new building and refurbishment and for the enhancement of the public”. A ces « principes » qu’il conviendra de questionner à l’aune des problématiques du patrimoine, l’Urban Task Force assigne également aux conservation bodies un rôle nouveau en matière d’urbanisme opérationnel. Ceux‐ci sont en effet envisagés comme de véritables catalyseurs de la régénération urbaine à l’instar d’autres agences. Les interventions contemporaines de l’English Heritage, en particulier les programmes régionaux Streets For All : Save Our Street menés depuis le début des années 2000, s’inscrivent dans une telle dynamique. D’une certaine manière, l’English Heritage est devenu un acteur de ces nouvelles politiques d’aménagement, en étant l’un des émetteurs de ces nouvelles « bonnes pratiques d’aménagement ». Volonté d’affirmation d’identités territoriales régionales, même récentes – puisque les neuf régions anglaises ont été délimitées dans la seconde moitié des années 1990 – et volonté d’opérer par la mise en valeur (sous différentes formes) le renouvellement urbain ou le développement économique de certains espaces en déclin sous‐tendent l’instrumentalisation d’un patrimoine particulier : le patrimoine urbain vernaculaire des rues anglaises, composé par l’ensemble des dispositifs matériels et immatériels constitutifs de la forme urbaine de la « rue traditionnelle ». Régénération urbaine et politique de patrimonialisation sont ainsi conçues comme complémentaires, ce que souligne bon nombre de politiques et de projets locaux d’aménagement qui déclinent ces principes d’un « nouvel » urbanisme en Angleterre. De quelles manières et sous quelles formes le patrimoine urbain vernaculaire peut‐il être perçu comme un véritable agent de la mutation des territoiresi ? Dans quelle mesure ces pratiques d’aménagement et cette instrumentalisation du patrimoine dans les politiques d’aménagement pourraient‐elles être analysées comme des indicateurs de « la perte de la compétence d'édifier » identifiée par F. Choayii ? Il s’agira, dans cette communication d’analyser et d’évaluer le double processus de patrimonialisation et d’instrumentalisation d’un patrimoine urbain particulier dans les politiques urbaines et les pratiques d’aménagement des villes anglaises aujourd’hui. Compte tenu des spécificités de ce patrimoine, la réflexion conduira à la fois à interroger cette catégorie patrimoniale qui souligne l’extension actuelle du phénomène patrimonial et à questionner l’usage ambigu et non dénué d’arrière‐pensées de la notion de patrimoine. Membre de l’EA 4287 « Habiter : Processus Université de Picardie Jules Verne Identitaires, Processus Sociaux », Université de Faculté d’Histoire et de Géographie Chemin du Thil Picardie Jules Verne 80025 AMIENS CEDEX 1 TOUZEAU LINE Droit ‐ Doctorante ‐ Université Paris Sud / Centre de recherche sur le droit du patrimoine culturel et CECOJI ‐ [email protected] La décentralisation, outil juridique de territorialisation du patrimoine Le droit est un prisme essentiel d’observation des liens entre développement territorial et patrimoine. La protection du patrimoine reposait initialement sur la création de mécanismes juridiques, seules armes alors efficaces pour défendre des monuments menacés. Si aujourd’hui le patrimoine s’affirme comme un atout de développement et ne symbolise plus un ensemble de contraintes juridiques imposées aux propriétaires, le droit conserve une influence non négligeable en ce domaine. Etudier comment le droit accompagne la territorialisation du patrimoine peut revenir à examiner le phénomène de la décentralisation. Comment l’Etat, au départ seule autorité en charge du patrimoine, cède‐t‐il progressivement une partie de ses prérogatives aux collectivités locales, voire à d’autres personnes de droit public ou privé ? Il y a là un changement d’échelle territoriale, qui doit être analysé en lien avec un changement de perspective quant aux objectifs de protection. La valorisation prend une place plus importante aux côtés de la conservation, mission complexe pour laquelle l’efficacité des structures étatiques est à discuter. L’observation du désengagement – certes contrôlé – de l’Etat au profit d’autres acteurs sera axée sur trois points : 1. les mécanismes de protection du patrimoine : deux réformes récentes sont symptomatiques, celle de l’inventaire général du patrimoine culturel confié aux régions et celle de la législation sur les secteurs sauvegardés qui rend aux communes un certain pouvoir de décision. 2. les structures juridiques : deux nouvelles personnalités ont été créées par la loi, la Fondation du patrimoine et les établissements publics de coopération culturelle, qui ont fait l’objet d’ajustements récents. En parallèle, les efforts du législateur se poursuivent envers le système du mécénat et des fondations, pour aider les personnes privées à prendre en charge un patrimoine que l’Etat ne peut assumer. 3. le régime de la propriété : le nouveau Code général de la propriété des personnes publiques rend possibles les aliénations entre les personnes publiques. L’opération de transfert de monuments historiques appartenant à l’Etat à des collectivités territoriales s’inscrit dans ce cadre. La question de la propriété des biens culturels joue un rôle essentiel sur le potentiel des collectivités territoriales. Le fil conducteur de cette communication consistera en l’examen de l’impact de la décentralisation sur la notion de patrimoine. Une appréhension nouvelle pourrait être envisagée, au vu de l’éventuelle distinction entre intérêt national et intérêt local que suggèrent le transfert de compétences aux régions et le maintien de certains pouvoirs à l’Etat. C’est ainsi la question de l’identité qui est posée à travers la modification de l’échelle territoriale. Anna MADOEUF Maître de conférences, Géographie Université F.‐Rabelais de Tours UMR CITERES, équipe EMAM [email protected] Mots clés (Le Caire. Parc. Jardin. Patrimoine. Héritage) Le parc al‐Azhar du Caire : le jardin qui manquait à la ville Opération d’envergure au Caire, l’aménagement du Parc al‐Azhar est une réalisation singulière et inédite puisqu’il s’agit de la création ex‐nihilo d’un jardin, lequel borde la rive orientale de la vieille ville, sur presque toute son étendue. Inauguré officiellement par Madame Moubarak en 2005 en présence de l’Aga Khan11, initiateur et commanditaire du projet, le parc, réalisé et financé par l’Aga Khan Trust for Culture, couvre une superficie de trente hectares, en faisant le plus grand parc de la capitale, par ailleurs fort démunie d’espaces verts. Le discours inaugural prononcé par l’Aga Khan évoque cette réalisation comme un nouvel acte à inscrire dans la lignée de la fondation du Caire par le calife al‐Mu’izz, en 969. Plus de mille ans après, ou, selon ses propres termes, “ trente‐ cinq générations ” plus tard, il s’agit de la perpétuation de la geste fatimide fondatrice. Le parc al‐Azhar est un ajout original à l’espace originel, pourtant il n’est pas tant énoncé comme création additionnelle que formulé comme inspiré de la structure de la ville fatimide “ dont un cinquième de la superficie n’était pas construit ”. Le projet, de ce fait, se présente comme une remise en conformité avec un modèle de cité initiale mythifié. Situé aux limbes de la cité, entre la muraille ayyoubide orientale (restaurée par la même occasion) de la ville ancienne et la nécropole des Mamelouks, le jardin s’est immiscé dans une sorte d’interstice historique vacant, le site inoccupé des collines de décombres de Darâsa. Espaces mitoyens, le jardin et la vieille ville, bien que de natures contrastées, semblent toutefois s’inscrire dans un jeu de réciprocité de leurs qualités. Le beau jardin fait la vieille ville belle et la ville ancienne fait du parc un lieu à part entière de l’espace historique et patrimonialisé. Le jardin belvédère et la ville panoramique se pensent dans une relation systémique. La création du parc a offert la ville ancienne à ceux qui la désiraient ou l’imaginaient comme paysage ou symbole, sans pouvoir/vouloir la fréquenter. Elle peut désormais être parcourue sur l’essentiel de son étendue, le long d’un itinéraire contemplatif. Depuis les hauteurs du jardin, véritable faire‐valoir de son environnement (“ plate‐forme panoramique ”), la vieille ville est déployée en un panorama. Aujourd’hui, nombre de Cairotes aisés, non coutumiers des quartiers populaires, fréquentent le parc et ses cafés et restaurants. Lové sur son flanc oriental, le parc n’a rien changé à la ville ancienne, mais il est le miroir qui l’a faite paysage. Le parc belvédère a généré de nouvelles perspectives, créant des points de vue harmonieux, un “ skyline historique ”, le surplomb, la distanciation et le premier plan verdoyant façonnant un paysage synthétique idéal. Un peu de recul suffit à atténuer l’hétérogénéité de la ville ancienne désormais globalisée : monuments épars enfin rassemblés sur un même horizon, bâti ordinaire devenu texture du panorama, silhouettes de palmiers au premier plan rythmant les séquences minérales de l’arrière‐plan. Ce panorama, image un peu floutée, défocalisée, confirme Le Caire dans un état intemporel de ville orientale arabo‐ musulmane, depuis un jardin lui‐même conçu “ dans le respect de la tradition islamique ” et dont l’aménagement s’inspire des jardins andalou et persan. 11 L’Aga Khan est le chef spirituel de la communauté des Ismaïliens, l’ismaïlisme est une des branches du chiisme, laquelle considère Ismâ’îl (mort au VIIIe siècle), comme le septième imam. Dans leur lignée, les Fatimides tiennent leur nom de Fâtima, fille du Prophète. Le jardin est ainsi pensé simultanément comme objet propre et comme nouvel instrument de mise en valeur et de réénonciation d’un contexte architectural, historique, patrimonial et culturel. Le concept de jardin s’inscrit dans un large spectre de temps mythiques, sa gamme s’étend de l’imaginaire des origines, depuis le paradis de l’Islam, à l’avenir tel que rêvé aujourd’hui, un futur durable et vert. Depuis le parc, la vieille ville se donne en spectacle, et depuis Le Caire, le parc se donne en modèle à une aire culturelle de référence : “ modèle de développement pouvant être repris dans de nombreux autres sites dans les villes historiques du monde islamique ”. Aussi, l’objet de ma communication serait d’analyser la fabrique d’un paysage, envisagé, selon la suggestion de Pierre Nora (1984) comme “ la plus immédiate de toutes les données de la conscience nationale ”. À partir de cette réalisation contemporaine, il s’agirait de comprendre comment, dans un contexte de patrimonialisation et de “ patrimondialisation ”, sont mobilisées et mises en scène des références culturelles diverses combinant des emprunts aux registres égyptien, arabe et islamique, ainsi qu’au vocabulaire architectural et urbanistique mondial. Site culturel ou patrimoine naturel : quels enjeux pour quels développements ? Le Grand Canyon, Arizona, Etats Unis. Annick HOLLE Géographie, Maître de Conférences au Département de Géographie de l'université Paris VIII, LADYSS UMR CNRS 7533, [email protected] Le Grand Canyon, situé en Arizona, est devenu un parc national le 26 février 1919. 60 ans plus tard, en 1979, il a été classé « patrimoine mondial » par le Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO, en qualité de site naturel. Or il est connu, pratiqué et habité et exploité par les améridiens de la région depuis bien avant sa re‐découverte par les Occidentaux (Espagnols puis Anglo‐Saxons) au XVIe puis XIXe siècles. Aujourd'hui encore le « National Park Service » des Etats‐Unis « négocie » nombre de ses décisions avec 7 groupes améridiens environnants pour lesquels le lieu est reconnu comme « faisant partie de leur culture ». Dans les textes de la constitution fédérale du « National Park Service » (1916), ainsi que dans la dernière version du « General Management Plan » du parc national du Grand Canyon (1995), il est dit que les objectifs des parcs sont « de préserver et protéger les ressources naturelles et culturelles, ainsi que les processus écologiques... », ce qui, malgré une forte pression touristique, est largement honoré. Nombreux sont les parcs nationaux aux Etats‐Unis, qui mêlent et gèrent à la fois patrimoine naturel et culturel. Le comité du patrimoine mondial répartit les sites retenus en trois catégories : − patrimoine naturel − patrimoine culturel − patrimoine mixte Or, s'il est vrai que le Grand Canyon est avant tout un site naturel exceptionnel, de par ses dimensions et le travail d'érosion qu'il a connu et subi encore (c'est d'ailleurs entre autres pour ces mêmes caractéristiques qu'il est un site très important pour les Améridiens vivant à proximité) ; s'il est vrai également que la présence d'artefacts est minime en son sein, il est tout de même légitime de s'interroger sur la signification de son classement en patrimoine uniquement « naturel »,lorsqu'on connaît son importance pour les Améridiens et lorsqu'on sait qu'une catégorie « patrimoine mixte » existe. Ce classement résulte bien entendu d'une reconnaissance de ses caractères physique et biologique singuliers. Mais on peut se demander s'il ne s'agit pas également d'une stratégie de dépossession du site vis à vis des Améridiens : en évacuant sa dimension culturelle, historique pré‐hispanique voire mythologique, il devient plus facile pour les derniers arrivants (en l'occurrence les Anglo‐Saxons) de se le rapproprier. Il est moins répréhensible d'accaparer un site naturel (symboliquement, qui n'appartient à personne ou à tout le monde), qu'un site déjà culturellement investit par d'autres... La proposition d'intervention que je soumets pour le colloque est donc une réflexion sur les enjeux tournant autour de la notion de patrimoine culturel. Cette réflexion s'inscrit dans une logique pluridisciplinaire puisqu'on y trouve à la fois : − une dimension historique : fréquentation d'un même site par différentes cultures, à la fois successive, puis simultanée. − une dimension politico‐juridique, très sensible aux Etats‐Unis depuis la loi sur les rétrocessions (NAGPRA, 1990). − une dimension anthropologique, en interrogeant la notion de patrimoine dans différentes cultures et son lien avec l'appropriation, ainsi que les catégories de nature et culture. − une dimension géographique, lorsque l'on constate qu'un même lieu est choisi par différentes cultures comme site remarquable; par le regard également que chacune de ces cultures posent sur ce même site et les usages qu'elles lui assignent. VERONICA MITROI‐TISSEYRE Doctorante en Sociologie Université Paris Ouest Nanterre la Défense Laboratoire Dynamique Sociale et Recomposition des Espaces Email : [email protected] L’environnement comme élément du patrimoine culturel dans une réserve de la biosphère Mot clés : environnement, patrimonialisation, patrimoine culturel, relation Nature – Culture, identité Cette communication pose la question des mécanismes à travers lesquels des processus de patrimonialisation de la Nature (de type : création des espaces protégés) agissent sur les sociétés locales et entraînent également une forme de patrimonialisation culturelle. Nous allons suivre cette relation dans le contexte d’un espace reconnu pour la richesse et l’importance écologique de ses écosystèmes naturels – la Réserve du Delta du Danube en Roumanie. Nous voulons montrer comment par une gestion soit disant patrimoniale de la nature, la société locale s’approprie cette nature tout en la transformant et en se transformant elle‐même ? Il s’agit d’une patrimonialisation de la nature qui débute timidement dans les années ‘30, pour s'achever en 1991 avec la création, sous la tutelle d’Unesco, d’une Réserve de la Biosphère qui inclue quasiment toute la région du Delta du Danube avec une surface de 580 milles ha. Dans le périmètre de la réserve sont présentes 15 communautés avec une population de approximatif 15 milles habitants. La réserve et son administration ont été mises un place par un décret d’Etat, sans prendre en compte la participation locale. Elles ont joué un rôle important, à travers des rhétoriques particulières de l’espace, des ressources et de la nature, dans la redéfinition des connaissances et des « actions légitimes » en rapport avec l’environnement. Mais, si le statut de Parc est fixé par la loi, le contenu du décret de protection et ces conséquences restent à définir par les nombreux acteurs concernés. Avec la création de la Réserve, il s’agit de l’émergence d’une « nouvelle » nature, qui implique le changement de la grille d’interprétation d’un espace territoire, à la rencontre des enjeux politiques, économiques et sociaux. Cette nature « à préserver » est loin d’être un espace vierge, se trouvant, au contraire imbriquée dans des pratiques sociales des plus diverses : agricoles, de pêche, touristique, domestiques, scientifiques, de loisir. Les conflits d’appropriation qui en résultent entre différents acteurs montrent comment le patrimoine naturel et culturel sont des objets en train de se construire d’une manière inséparables. Cela se passe à différents échelles qui se chevauchent. D’un côté, l’État essaie d’imposer une identité « officielle » qui correspond à la fois à des soucis de protection de la biodiversité et qui veut dans le même temps encourager la fréquentation touristique dans la région. Grâce à son environnement exceptionnel, mais aussi au développement des infrastructures touristiques, le Delta est devenue un élément fondateur du « marketing du pays», pour la promotion du tourisme en Roumanie. D’autre côté, nous assistons au développement d’un tourisme élitiste qui joue à la fois sur la nature, sur la tranquillité mais aussi sur la qualité des conditions offertes. En regardant les brochures touristiques, nous pouvons dire que le lux devient lui‐même une « ressource » du patrimoine en étant intégré à l’image « touristique » du delta. À cette offre touristique, sont systématiquement ajoutés des éléments « culturelles », tels l’organisation des festivals de film ou de musique. Systématiquement ignorés, les résidents développent à leur tour des stratégies discursives en invoquant et renforçant leur identité pour maintenir leurs droits coutumiers dans la région. Dans ce but, les habitants vont jusqu’à instrumentaliser leur identité qui devient elle‐même une ressource à mobiliser. Le « style de vie », la culture locale et l’identité du lieu sont mis en scène : « nous sommes les colonisateurs du delta », « nous sommes des pêcheurs », « nous connaissons la région », « nous savons vivre dans cette région sauvage ». Dans cet espace multi‐patrimonial, la valorisation des différents éléments naturels ou culturels varie selon les acteurs concernées, les acteurs se disputent les éléments du « patrimoine » qui justifient leur présence dans la région et leur rôle dans le développement local durable. Comme les ressources mobilisé et les enjeux pour les acteurs sont très différents, il résulte des stratégies différentes que les acteurs emploient en détournant les bons mots (« tourisme écologique », « développement durable ») à leur propre fins. Si les enjeux identitaires sont largement reconnus comme éléments constitutives de la patrimonialisation culturelle (A.Micoud), ils peuvent être moins évidentes quand il s’agit de patrimonialisation des milieux naturelles. L’aspect social ou culturel d’une gestion patrimoniale de la Nature est donné par plusieurs éléments qui se conditionnent réciproquement et que nous allons développer au cours de la communication: dimension territoriale, dimension politique et dimension identitaire. Frédéric FESQUET Professeur histoire‐géographie Lycée A. Chamson 30120 Le Vigan Mel : [email protected] La forêt domaniale de l'Aigoual, de l'objet biologique à l'objet patrimonial : construction d'une identité En 1987, dans le cadre de la formation des élèves‐maîtres, l'école normale de Nîmes faisait rédiger aux futurs enseignants un dossier sur un monument du patrimoine historique gardois. Naïvement je proposais de prendre comme sujet la forêt domaniale de l'Aigoual. J'écris naïvement car ce qui me semblait à moi une évidence, la forêt est une partie de notre patrimoine, fit lever les bras au ciel de la personne chargée de la validation des sujets. Selon elle, la forêt c'était de la botanique, de la biologie, peut‐être de la physique, à la rigueur de la géographie mais certainement pas un des trésors du patrimoine gardois et donc pas de l'histoire. Je lui fit alors un bref historique de la re‐création par les hommes de cette forêt et de l'importance qu'elle a à tous les points de vue, économique, écologique et social. La forêt de l'Aigoual fût alors reconnue comme objet patrimonial. Cette anecdote illustrait deux faits. Les Français connaissaient mal leurs forêts et les Français connaissaient mal leur patrimoine. La forêt de l'Aigoual était donc doublement méconnue. Elle est pourtant une construction humaine exemplaire dans laquelle le génie humain s'est exprimé au moins autant que pour la construction du Pont du Gard. 1987 fut aussi l'année de publication du rapport Brundtland qui définit la notion de développement durable. Depuis, crise écologique aidant, le fait que les espaces forestiers sont une partie de notre patrimoine semble une évidence partagée. L'Aigoual a acquis une situation de massif forestier modèle. Initialement appréhendée dans sa dimension physique et biologique, l'arbre est un rempart contre l'érosion des sols et les inondations, la forêt est, dès le XIX ème siècle, présentée et mise en valeur pour ses potentialités sociales. Dans la société industrielle en cours de formation, elle devient un espace structurant qui, au‐delà de sa fonction première de production, devra répondre à des besoins nouveaux. Besoin de nature né de l'urbanisation mais d'une nature qui dépasse la simple réalité biologique et représente l'espace initial des sociétés humaines. Nostalgie du cadre de vie d'antan qui devient paysage idéalisé pour les citadins. Démarche qui veut que plus on s'éloigne d'une réalité plus on en revendique la mémoire et la conservation. Une sorte d'appropriation patrimoniale collective. L'étude du reboisement du massif de l'Aigoual montre que l'administration des forêts dans sa démarche d'appropriation de l'espace rural, débutée avec la mise en oeuvre du code forestier de 1827 et la soumission des communaux au régime forestier, prend très vite conscience de cette dimension nouvelle des espaces dont elle assure la conservation et, afin de légitimer son rôle, sa place et ses prétentions dans la gestion et l'aménagement des espaces ruraux, notamment en montagne, construit un discours qui fait référence et impose la dimension patrimoniale des espaces forestiers. L'objet de cette communication est de comprendre comment, dès la fin du XIX ème siècle, d'abord dans les interventions des forestiers puis dans celles des acteurs économiques, politiques et sociaux gardois et lozériens, se fait le changement de regard sur la forêt domaniale de l'Aigoual et comment de l'objet biologique, instrument du génie végétal mis en oeuvre pour restaurer les sols en montagne, elle devient un objet patrimonial porteur d'images et de valeurs nouvelles. BIANQUIS ISABELLE Métamorphoses de la mémoire et localité Mécanismes de décision et de réception des formes d’inscription identitaire. Une étude de cas en Asie Intérieure : La République de Mongolie Je propose une intervention sur mes recherches actuelles qui portent sur les façons de « dire » le passé pour mieux « agir » sur le présent et l’avenir. Un terrain : la Mongolie La Mongolie, à l’instar de nombreux pays qui ont vécu l’effondrement du communisme et, dans la foulée, l’apparition d’une économie de marché, représente pour l’ethnologue de terrain un laboratoire particulièrement saisissant. Comment arriver à rendre compte de ces mutations vertigineuses qui ont, par exemple, fait passer ce pays d’une économie dominée par le pastoralisme nomade à la collectivisation durant le régime communiste et, à partir des années 1990, à une économie de marché entraînant dans son sillage des mouvements de retour à la tradition, de revendication d’une autochtonie, d’un ancrage historique remontant à Gengis Khan, d’un retour spectaculaire du religieux, tout cela fortement instrumentalisé par les autorités politiques en place. Il me semble utile d’aborder ces différents points, non pas dans une perspective chronologique, mais au contraire en les saisissant de manière synchronique. De quelle manière ont été ressentis ces processus de transitions, ces mutations, comment se sont articulées ces négociations entre ce qui est perçu comme faisant partie de la « tradition » et la « modernité ». La tradition doit se lire ici selon une triple perspective : elle est à la fois matérialisation d’un héritage transmis soigneusement génération après génération, elle est en même temps objet de revendication, enfin elle est investie d’un pouvoir sur l’orientation du présent et de l’avenir. Aborder les contenus successifs et parfois simultanés de ce qui est érigé en tradition nous informe sur le rapport au territoire local et national. Par ailleurs, réfléchir au pouvoir intrinsèque de la tradition nous conduit sur les chemins du religieux et de la question de l’efficacité symbolique des pratiques. Ce contexte fait émerger différentes problématiques qui seront abordées : 1‐ Quel rôle les intellectuels ont‐ils à jouer dans la réactivation de la mémoire et les formes d’agencement de la tradition ? On pourrait presque évoquer, dans le cas de la Mongolie, un « effet boomerang » de l’ethnologue dans le sens où ce qui est perçu comme symbole de la tradition semble véritablement procéder d’une construction que l’on doit aux ethnologues et folkloristes locaux. Or certains de ces intellectuels sont depuis 2006 réunis dans un Comité d’organisation des célébrations placé sous la tutelle du Premier Ministre. Deux axes de réflexion se profilent d’ores et déjà : - Qu’en‐est‐il des stratégies de sélection des traditions et de leur mise en scène? Comment juge t‐ on de l’importance d’un événement ou d’une valeur ou d’un rituel pour procéder à sa sélection ? - Quel signifiant accorde‐t‐on à ces morceaux d’histoire ? En quoi le choix d’un événement à commémorer est il intimement lié aux symboles qui légitiment le pouvoir garantissant stabilité, authenticité, intégrité du territoire, longévité, prospérité. 2‐ De la ruse à la foi ‐ Au‐delà des formes d’instrumentalisation politique de la culture, comment la croyance fonde‐t‐elle l’efficacité des pratiques ? Les intellectuels et les représentants politiques qui « tricotent » les fils des symboles et ceux des temporalités revendiquent un héritage tout en s’inscrivant dans la modernité, cherchent à rendre lisible la spécificité de leur culture dans un contexte de globalisation, à donner du sens à l’action politique mais également à se mettre sous la protection d’ « une surnature », indispensable alliée de toute réussite. Or il y a bien aujourd’hui, en particulier dans l’organisation de rituels liés à un culte de l’Etat, une volonté conjuguée des politiques et des intellectuels de sacraliser le pouvoir en cherchant l’appui des esprits, qui eux même sont les émanations de ce qui fonde le rapport au territoire. Isabelle Bianquis, Professeur d’Anthropologie Université François Rabelais UMR CITERES 3 rue des Tanneurs 37000 Tours [email protected] MOTS clés : autochtonie ‐ politique‐ territoire‐ religieux‐ Mongolie déjà publié sur ces thèmes : Bianquis I, 2007 « La mise en scène de rituels politiques en Mongolie : Stratégies à l'œuvre et significations spatio‐temporelles » en ligne http://www.reseau‐asie.com, Bianquis I. et S. Dulam, 2008, « Les grands rituels d’État et la réinvention de la tradition en Mongolie », Representing power in Inner Asia, Bellingham : Western Washington University Press). Bianquis I, « L’émotion en politique », à paraître dans Monumenta Serieca, 2009 Laâla BOULBIR Enseignant chercheur Université Larbi Ben M’hidi – Oum El Bouaghi Email : [email protected] Patrimonialisation culturellement dangereuse « Les enjeux d’un tourisme de mémoire » Résumé : Les académiques accoutumés à défendre uniquement les casbahs et les vieilles villes comme patrimoine et identité étendent ces quelques dernières années en Algérie leur champ d’intérêt aux vestiges romaines de Timgad, Djemila (Sétif) et de Tebessa, mais aussi et surtout au patrimoine colonial récent des grandes villes comme Alger, Annaba, Constantine et Oran, ils y trouvent en cet urbanisme et cette architecture des référentiels patrimoniaux. Pourquoi cette évolution de la patrimonialisation d’objets, d’immeubles et d’espaces qui appartiennent à l’autre, à celui qui est encore présent dans la mémoire collective comme étant l’agresseur et le colonisateur. Est‐ce le simple fait de la présence de ce patrimoine sur un territoire reconquis ? Est‐ce une largesse d’esprit de la part des académiques, une influence de la littérature universitaire ou au rapport particulier de l’Algérie à la France, à la culture, à l’école (on dit je suis issu de l’école française),.. Cette évolution se constate aussi dans le discours officiel qui a évolué ces derniers temps vers plus de souplesse à l’égard de la France, à titre d’exemple, les institutionnels comptent miser sur le marché européen pour vendre touristiquement le territoire saharien qui brule par la chaleur de son soleil et dépayse par sa nature sableuse, mais aussi par ses pratiques et ses traces. Le ministère du tourisme n’hésite pas à utiliser cette nostalgie des touristes « pieds noirs », goumis et juifs envers leurs lieux de natalité pour vendre un territoire et promouvoir un tourisme culturel. Il n’hésite pas lors des assises de 1007 relatives à la préparation de l’élaboration du SDAT à pousser le parterre lors d’un discours officiel à affronter des sujets tabous comme ceux liés au colonialisme, à la nostalgie, pour faire du marketing territorial. Auparavant, et en plaine crise intégriste, les pouvoirs publics n’hésitent pas à organiser un séminaire international consacré au mythique Saint Augustin qui refait surface en tant que figure emblématique pour les gens de Souk Ahras et de Annaba. De l’autre rive de la méditerranée, les pieds noirs brulent de désir pour visiter et retrouver leur patrimoine, prendre un café au Cours Bertagna de l’ex ville de Bône (actuelle Annaba), visiter la maison natale située le long du Boulevard Narbonne,… Des sites Web sont dédiés à ces mémoires et désirs, mais vite des dérives surgissent lorsque la subjectivité, l’émotion prend le dessus de la raison, les pieds noirs revendiquent la reconquête de leurs biens, les juifs dressent une liste aussi et tous ne cessent d’exercer des pressions sur les politiques qui ne trouvent pas de réponses à ce passif de l’histoire et cette réalité géographique. Cette tendance des uns et des autres nous pousse à réfléchir et à poser la question du bien fondé de l’action des promoteurs des territoires et des demandeurs nostalgiques. Ces manipulations culturelles ne sont‐elles pas finalement dangereuse ? Ce tourisme de la mémoire ne risquerait‐il pas de nourrir des haines ? Les académiques algériens ont tendance à considérer comme patrimoine tout ce qui s’y trouve dans le territoire algérien ; pierres et cultures, sans nuancer les situations et dévoiler les enjeux. Les intentionnels adoptent des attitudes extrémistes et donc confuses, hier on n’hésite pas à détruire les plus somptueuses églises léguées par le colonisateur, à arabiser l’enseignement, aujourd’hui ces mêmes politiques et sous la pression d’un nouveau ordre mondial adoucissent leur discours et n’hésitent pas à faire du tourisme en éveillant des nostalgies et des mémoires au profit des pieds noirs en encourant le risque de renouer des nostalgies qui pourraient évoluer vers d’autres revendications. Cette question du patrimoine culturel et en dépit de son importance pour l’ancrage identitaire des citoyens qui ont tendance à voltiger culturellement sous l’effet d’une mondialisation technologiquement prononcée jusqu’à s’acculturer ou se déculturer ne risque‐t‐elle pas d’être reprise par la machine industrielle touristique pour vendre des territoires qui incarnent des souvenirs de terreur et d’esclavagisme pour les uns et des nostalgies de bourgeoisie et de suprématie pour les autres. Ne risque‐on pas de renouer ces désirs de reconquête ! Comme c’est le cas des israéliens à Palestine ? La question du multiculturalisme chère aux américains, à la société du risque et de l’incertitude n’est‐elle pas en passe de traverser les anciennes civilisations Europe et Maghreb comme une contagion pour fragiliser des consensus et des identités réciproquement territorialisés. En Espagne on interdit aux visiteurs musulmans de faire de la prière dans les anciens lieux de culte islamique, c’est interdit dit le gardien. En Algérie l’on refuse que les berbères de Tizi ouvrent des églises dans l’illégalité. Bâtir un tourisme sur le patrimoine culturel c’est fragiliser davantage l’Etat en tant que contrat social. En France, Belgique et l’Algérie .. tous ces pays ont des territoires culturels chevauchés, ségrégués et découpés que les uns tendent de maintenir par le jeu de langues, de voyages, et d’alliances. Alors que l’Europe s’oriente vers un tourisme culturel et identitaire du fait de son parcours historique, l’Amérique consciente du danger d’un multiculturalisme adopte un tourisme orienté vers la nature et le sport, voilà des thématiques et des pratiques qui ne connaissent pas de problèmes de souveraineté et de débordement de frontières et d’agressions de pratiques, le rapport ders hommes est pacifique, il n’est ni nostalgique, ni dominateur, il est récréatif, il est moderne, tempi s’il n’est pas postmoderne ! L’objet de cette communication est d’attirer l’attention sur les enjeux liés à un tourisme de mémoire, certaines manipulations du patrimoine sont culturellement dangereusement notamment entre pays historiquement marqués les uns par les autres. Mots clés : territoire, tourisme, nostalgie, pieds noirs, reconquête, marketing. i Poulot D., 2003, « La naissance d’une tradition européenne du patrimoine », in : Gravari-Barbas M., GuichardAnguis S. (dir.), Regards croisés sur le patrimoine dans le monde à l’aube du XXIe siècle, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, pp23-43. ii Choay, F., 1992, L’allégorie du patrimoine, Paris, Le Seuil L’inscription du temple de Preah Vihear (Cambodge) comme patrimoine mondial par l’UNESCO et ses effets sur le conflit territorial entre le Cambodge et la Thaïlande par Mme le Professeur Brigitta HAUSER‐SCHÄUBLIN (Ethnologue), Professeur d’Université à la Georgia Augusta Göttingen, Directrice de l’Institut d’Ethnologie de l’Université de Göttingen, [email protected] et M. Sven MISSLING (Juriste), Assistent scientifique à l’Institut du Droit International Public et du Droit Communautaire à l’Université de Göttingen, [email protected] En 2008, l’UNESCO a inscrit le temple de Preah Vihear en Cambodge dans la liste du patrimoine mondial. Le temple se trouve au bord d’un plateau qui domine la plaine du Cambodge. Composé d'une série de sanctuaires reliés par un système de chaussées et d'escaliers, le temple date de la première moitié du XIe siècle. Ce site est particulièrement bien préservé, essentiellement en raison de sa situation reculée. L'ensemble est exceptionnel pour son architecture, adaptée à la fois aux contraintes naturelles du site et aux fonctions religieuses du temple, ainsi que pour la qualité des ornementations de pierre sculptée. Selon l’avis rendu par le Comité du patrimoine mondial, Preah Vihear est un chef‐d’œuvre remarquable de l’architecture khmère et remplit donc le critère (i) d’inscription dans la liste du patrimoine mondial. Mais l’inscription du temple dans la liste du patrimoine mondial a aussi attisé le conflit territorial concernant ce site, couvant entre le Cambodge et la Thaïlande depuis le début du XXe siècle. Après avoir soutenu la candidature du Cambodge pour l’inscription dans la liste du patrimoine mondial au début, la Thaïlande s’est finalement opposé à l’inscription du temple dans la liste, invoquant la violation de la constitution thaïlandaise. En automne 2008, le conflit de frontière entre les deux États a même dégénéré en conflit armé pendant lequel quelques bâtiments du temple ont été endommagés et même une vingtaine des personnes a été tué. Le conflit n’est pas encore résolu jusqu’au présent. On peut même pronostiquer qu’aujourd’hui, le conflit territorial sur Preah Vihear est beaucoup plus loin d’une solution paisible que jamais. La communication proposée par les auteurs a pour fin de démontrer que toutes les décisions historiques et présentes prises par les autorités internationales dans cette affaire depuis longtemps, y compris l’inscription du temple dans la liste du patrimoine mondial par l’UNESCO, ont eu des effets forts attisants sur le conflit territorial entre le Cambodge et la Thaïlande, qu’elles créent, même dans nos jours, des effets directs sur les conditions de vie de la population locale et qu’elles sont très critiquables. Une analyse historique et culturelle démontrera que le tracé des frontières au site de Preah Vihear résulte d’une décision arbitraire, délibérée entre les autorités de l’ancienne puissance coloniale française et la Thaïlande en 1937 et qui ne respectait pas les propriétés géologiques ni la topographie religieuse, ethnique ou socio‐culturelle du site. Il est remarquable que ce tracé des frontières a complètement ignoré le fait qu’une grande partie de l’infrastructure historique et des alentours socialement et culturellement attachés au temple ainsi que la plupart des lotissements des « usagers » locaux du site sont, aujourd’hui, situé en Thaïlande et qu’il a divisé arbitrairement la population locale (khmer) autour du site. Aujourd’hui, une grande partie de la population locale est privé d’accès au site. On peut donc à juste titre dire que l’inscription du temple de Preah Vihear dans la liste du patrimoine mondial par l’UNESCO n’a pas seulement perpétué mais aussi approfondi le conflit territorial entre le Cambodge et la Thaïlande et aggravé les conditions de vie de la population locale. L’affaire du temple de Preah Vihear a aussi eu des implications juridiques au niveau international : Pendant les années 1960, la Cour de Justice Internationale a, dans deux arrêts, jugé sur la légitimité du tracé des frontières et donc approuvé la légalité des décisions conclus dans le traité d’amitié franco‐siamois de 1937. Bien que l’inscription du temple de Preah Vihear au nom du Cambodge en 2008 corresponde formellement aux règles du droit international et aux conditions de la Convention UNESCO du patrimoine mondial de 1972, on devrait quand même soumettre le processus décisionnel et juridique à une analyse critique, surtout sous l’aspect de ces effets sur la garantie de la paix dans la région ainsi que sous l’observation des fins de la charte ONU et des statuts UNESCO. Ceci sera l’objet de la deuxième partie de la communication proposée. Patrimoine culturel et migrations : quelles articulations ? Antoine DUMONT, docteur en géographie, et Julie GARNIER, docteur en sociologie, membres associés de Migrinter (UMR 6588) et ingénieurs de recherche contractuels à l’Université de Tours, Citeres (UMR 6173). adumont@univ‐poitiers.fr et [email protected] La question d’un « patrimoine migratoire », jusqu’alors peu abordée dans la littérature scientifique, connaît un regain d’intérêt. Comment l’expliquer ? Et quelle est la pertinence de cette notion, au regard des pratiques observées ? Notre réponse s’appuiera sur nos recherches en région Centre et sur les travaux en anthropologie, géographie et sociologie portant sur le patrimoine ou les migrations internationales. Quatre temps ponctueront notre réflexion, qui s’inscrit au croisement des axes 2 et 3. Tout d’abord, l’anthropologie du patrimoine culturel s’est d’emblée placée sous le signe de la diversité (Rautenberg, 2003 : 112), du mouvement et du mélange (Turgeon, 2003), tandis que la géographie commence à questionner la reconnaissance patrimoniale de l’immigration (Gravari‐ Barbas, 2005 : 17). Pour autant, en sciences sociales, cette question a longtemps été concurrencée par celle de la « mémoire de l’immigration ». Pourquoi ? En outre, le passage toujours compliqué de la mémoire collective au patrimoine se heurte chez les immigrés au fait que leur mémoire se rapporte à la fois à l’espace d’origine et à la migration elle‐même (Rautenberg, 2003). Cette contradiction de la mémoire de l’immigration appelle à envisager sa patrimonialisation différemment selon qu’elle renvoie aux « spécificités ethniques et culturelles du groupe » ou aux « modes d’inscription des trajectoires migratoires dans l’espace national » (Rautenberg, 2007). Il nous faut aussi comprendre comment ces modes d’inscription peuvent faire territoire, donc patrimoine, tant les deux notions sont liées. Une troisième difficulté demeure. Outre une reconnaissance publique d’éléments hérités, la patrimonialisation implique que ceux‐ci soient réappropriés par les groupes immigrés. Or, la géographie sociale démontre le difficile accès à la patrimonialisation des groupes dominés. Cela se traduit par un déficit de reconnaissance patrimoniale des lieux emblématiques de la présence immigrée, voire par la démolition de certains d’entre eux. Enfin, une dernière difficulté réside dans l’articulation du patrimoine culturel migratoire au patrimoine national français. Certains travaux relèvent ainsi l’absence des immigrés des associations patrimoniales (Veschambre, 2008) ou lors des commémorations (Candau, 1998 : 145). Face à cette exclusion du « consensus patrimonial », quelle est la pertinence de la notion de patrimoine culturel migratoire ? Doit‐elle être recherchée à des échelles sociales et spatiales plus réduites : régions, villes, espaces périurbains, collectifs, familles ? C’est dans cette optique que nous proposerons pour finir quelques orientations méthodologiques. Mots‐clefs : patrimoine culturel, mémoire, migration, mobilité, territoire. Références citées : Candau, Joël. 1998. Mémoire et identité. Paris : PUF. 225 p. Gravari‐Barbas, Maria (dir.). 2005. Habiter le patrimoine. Enjeux, approches, vécu. Rennes : PUR. 618 p. Rautenberg, Michel. 2003. La rupture patrimoniale. Bernin : A la croisée. 173 p. Rautenberg, Michel. 2007. « Les « communautés » imaginées de l’immigration dans la construction patrimoniale », Cahiers de Framespa, n°2, 8 p. [http://www.univ‐ tlse2.f/framespa/articles/présentation.php] Turgeon, Laurier. 2003. Patrimoines métissés. Contextes coloniaux et postcoloniaux. Paris ‐ Québec : Editions de la Maison des sciences de l’homme ‐ Presses Universitaires de Laval. 234 p. Veschambre, Vincent. 2008. Traces et mémoires urbaines. Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition. Rennes : PUR. 315 p. The investigation of migrant theatre under a heritage‐perspective Key Words: Switzerland, theatre, locality, migration, identity Name: Miriam COHN Field: Cultural Anthropology Status: PhD‐student Affiliation: Seminar für Kulturwissenschaft und europäische Ethnologie, University of Basel Electronic address: [email protected] This ethnographic study is part of a research project addressing the implementation of the UNESCO Convention for the Safeguarding of Intangible Heritage in Switzerland, which Switzerland ratified on July 18th 2008. Under its terms, the government is obliged to create an inventory of Swiss Intangible Cultural Heritage. The study addresses one specific area of intangible culture: Theatre performed by migrants. Theatre clearly is included by the categories mentioned by the UNESCO Convention as belonging to intangible heritage: It belongs to the performing arts, includes oral traditions, knowledge of the universe and of social practices (UNESCO 2003, Art.2). Theatre deals with questions of society as well as of selves and others, the known and the unknown. Therefore, theatre by migrants might serve as a means to reflect issues of traditions, belonging and identity which are also mentioned by the UNESCO convention. The example of the play “Happy Birthday TELL” which was performed 2005 as a Tamil‐Swiss theatre cooperation illustrates this point: The play featured Swiss “national hero” William Tell in present times and becoming ninety. He is lonely and agonized by feelings of remorse because of his murder of the Habsburg Gessler. The play also features Rajah, a Tamil asylum‐seeker who wishes Tamil independence in Sri Lanka and Tells older son Walter, who has become a politician in a conservative party and draws on his fathers past to legitimate his political views. At the end of the play, the William Tell story is performed in the Tamil “Kuttu” theatre tradition by Tamils and Swiss actors. The example opens up several fields concerning heritage, locality, power and identity: Concerning locality, the play deals with a Swiss mythical national hero who has become famous by the play written by a German, Friedrich Schiller and that is performed world‐wide. The adaptation of this play to present times gives room to a number of Tamil and Swiss issues and realities, both in Switzerland and Sri Lanka. There is also an overlap of the stage as a locality and the constructions of geographical and cultural settings on this stage. Concerning identities, Tell himself is portrayed as a normal, elderly person. Yet Walter and Rajah both identify with his “hero‐aspect” while drawing on different experiences and realities: For Rajah Tell represents a freedom fighter in a current conflict. To him, the liberation of central Switzerland from the Habsburgs by Tells is a parallel to the struggle for independence by Tamils in Sri Lanka. Walter on the other hand sees in Tell a relic of the past and a heritage which legitimates power and a conservative political orientation. Several heritage factors were present in the play: Swiss and Tamil performing traditions, different languages and different views on the world. Also, Tell represents two kinds of heritage: a hero who needs to be deconstructed for the Swiss and a hero which serves as an idol in a current conflict for the Tamils. As shown by the example, there are several connections between migration and theatre. Theatre forms and play repertories have been furthered by migration and cultural flows. In most societies “minority theatre” has been and still is present. Also, guest performances in other countries serve as a way of cultural exchange. The investigation of theatre by migrants under a heritage‐perspective can therefore serve to highlight several issues, which concern migrant and Swiss identities, flows of cultural knowledge across borders, constructions of traditions as well as culturally political questions of defining what belongs to a country’s cultural heritage. Martin Eléonore Discipline d’origine : Etudes théâtrales ‐ Ethnoscénologie Statut : Doctorante 1ère année Université Paris VIII [email protected] Le Yuju à Taïvan Mots clés : Patrimoine immatériel – Yuju – Taiwan – Chine – Politiques culturelles Doctorante en première année à l’université Paris VIII, je fais partie de l’école doctorale Esthétique, Sciences et technologies des Arts. Mes travaux portent sur une forme spectaculaire codifiée chinoise dite « traditionnelle » en exil à Taiwan : le Yuju, généralement traduit par « Opéra du Henan » (province de Chine du Nord). La présence du Yuju à Taiwan est surprenante. En effet, On y retrouve cette forme spectaculaire à partir de 1949, année où le parti nationaliste chinois (Guomindang), dirigé alors par Chang Kaishek, bat en retraite face aux communistes et s’installe à Taiwan. Dans ce contexte de guerre, les formes spectaculaires ou Xiqu (catégorie dont fait partie le Yuju) ont été utilisées pour maintenir le moral des soldats et stimuler la reconquête du continent. Participant à la politique de « re‐sinisation » de l’île et entretenu par la Marine militaire, le Yuju a pu de développer. Il y a alors plusieurs troupes de Yuju. Or en 1987, la fin de la loi martiale annonce une politique « d’indigénisation (bentuhua) » le gouvernement s’intéresse désormais aux formes spectaculaires locales c'est‐à‐dire taïwanaises. Il ne reste plus qu’une seule troupe de Yuju à partir des années quatre‐vingt‐dix : la troupe nationale Guoguang Yuju. Jusqu’à aujourd’hui, elle reste une troupe « nationale » protégée par le gouvernement. Le terme « patrimoine culturel » en chinois se traduit par « Wenhua Yichan » ce qui renvoie à l’héritage culturel et de fait, au passé et à la transmission. Dans un premier temps, nous proposons de définir quels sont les enjeux du « patrimoine culturel » en Chine et à Taiwan, et plus précisément du « patrimoine immatériel » à Taiwan à partir des différentes traductions du terme. Dans un second temps, nous nous interrogerons à savoir dans quelles mesures et quelles conditions la notion de « patrimoine immatériel » s’applique‐t‐elle aux formes spectaculaires codifiées chinoises ? Peut‐on parler de « patrimoine immatériel » concernant le Yuju à Taiwan ? Ces problématiques nous renvoient aux différentes politiques culturelles et à l’instrumentalisation des formes spectaculaires. La perspective disciplinaire adoptée est l’ethnoscénologie qui nous permet de travailler sur les incarnations de l’imaginaire dans leurs contextes et d’utiliser la méthodologie d’anthropologie culturelle. Les caractères esthétiques du Yuju se modifient afin de revendiquer une spécificité taïwanaise tout en gardant un échange avec des formes spectaculaires codifiées originaires du Henan. Sabine TEULON‐LARDIC, musicologue, professeur au C.R.D. de Nîmes ‐ lardic.teulon@club‐ internet. Stratégies socio‐spatiales du patrimoine musical dit savant : cas de l’Orchestre National de Montpellier Languedoc‐Roussillon (1979‐2009 Patrimoine immatériel, la musique symphonique occidentale s’est institutionnalisée dans tout centre urbain, créant des sociabilités, goûts et distinctions constitutifs d’une culture identifiée comme savante et légitime (Poirrier et Dubois). Dans la temporalité singulière du concert, la diffusion de ce patrimoine invente des processus de transmission diversifiés selon les territoires. Au sein de l’espace européen, l’étude de cas de l’ONMLR révèle‐t‐elle des stratégies particulières en 30 ans d’existence ? Décrypter ici les variations de transmission et diffusion de ce patrimoine conduit à mettre en relation des réalités objectives, tant culturelles que sociales et politiques. Isoler le fait culturel de ses fibres socio‐spatiales tendrait à ignorer que tout espace social produit des valeurs et représentations qui en retour façonnent cet espace. Dans la filiation de la décentralisation musicale impulsée par Landowski, la fondation de l’ONMLR (1979) engendre des interactions complexes entre acteurs culturels et politiques. Elles se synthétisent dans les appellations successives traduisant l’origine des subventions et les missions ad hoc: Orchestre de Montpellier (régime municipal), Orchestre régional de Montpellier L‐R. (association collectant les subventions état/ville/région depuis 1986), l’accession au label de qualité « national ». L’instance géographique et économique (Di Méo et Buléon) qui le met en action admet en effet deux échelles. Accédant au statut de métropole régionale, Montpellier, foyer séculier de l’université, assied ses ambitions sur l’attractivité culturelle, d’où l’infrastructure du Corum, doublant l’Opéra‐Comédie pour la diffusion publique de l’ONMLR. N’omettons pas l’espace virtuel par sa récente retransmission audiovisuelle en milieu hospitalier, qui rend compte de la qualification médicale de Montpellier. Sa programmation institutionnelle n’exclut pas certaines prestations privées (les trois universités, l’E.A.I.). Seconde échelle, la région L.‐R accueille l’ONMLR qui maille les communes d’arrière‐ pays comme les cités d’art selon des modalités liées à chaque lieu. Du plein air (Palais des rois de Majorque ou théâtre de verdure de Montoulieu) à l’église (cathédrale de Mende), de la salle des fêtes (Tautavel) au gymnase (La Grand‐Combe), répertoires et configurations sont en corrélation du lieu (orchestre de chambre pour petite jauge, solistes internationaux pour les Arènes de Nîmes). Quant à ses coproductions avec les festivals en région, elles insufflent des orientations populaires : DJ Jeff Mills au Pont du Gard, Puppini Sisters à Perpignan (2009). L’instance socio‐culturelle qui porte les actions de l’ONMLR se déploie vers les publics ciblés en misant sur des politiques tarifaires et de médiation : conte musical en concert éducatif (écoles de l’Agglo), comédie musicale par et pour les étudiants d’Opéra Junior, œuvres « grand public » pour le Concert‐famille, Concert‐Associations de quartier ou le public carcéral (Villeneuve‐les‐ Maguelonne). Si le patrimoine transmis est largement international comme dans toute phalange européenne, son orientation vers la contemporanéité n’exclut pas la thématique occitane (Dafnis e Alcimadure) ou l’histoire locale (Marie de Montpellier). Communiquant sur « Montpellier la surdouée », l’instance politique qui sous‐tend ses trois décennies d’action tend à instrumentaliser ses missions, notamment lors de crises politiques régionales (plus de concert en Lozère lors du retrait des subventions du C.R.) ou en fonction d’antagonismes partisans. Cette instrumentalisation semble décuplée depuis la création du Festival Radio‐France et Montpellier (ONMLR partenaire, Koering surintendant), dont le patrimoine défriché et en création, retransmis sur les ondes, qualifie Montpellier à l’échelon européen, à l’instar du Festival Danse. Ce faisant, il devient une entreprise de légitimation entre la ville‐pôle aux prétentions européennes et le renouvellement du patrimoine occidental, dit savant. Outil de transmission patrimoniale et de création, l’ONMLR assume des missions publiques en déclinant des combinaisons programmation /configuration / cible qui prennent en compte les fibres socio‐spatiales de son aire. Par l’inféodation des instances à l’instance politique, ses actions et migrations inscrivent des empreintes durables lors de l’éphémère concert. Celles‐ci contribuent autant à la polarisation métropolitaine d’une ambition européenne qu’à la représentation d’une région en recomposition d’identité. Une légitimation réciproque ? Clothilde SABRE Doctorante en ethnologie Université Lille 1‐ Clersé [email protected] Vers une patrimonialisation du manga ? La pop culture japonaise entre engouement des Occidentaux et légitimation nationale Mots‐clés : Japon‐ culture populaire‐ Imaginaire‐ Tourisme‐ Patrimoine La réputation du Japon, concernant le tourisme, a longtemps porté sur l’importance de ce pays en tant qu’émetteur de touristes, tandis que son attractivité vis‐à‐vis des visiteurs étrangers restait confidentielle. Cependant, depuis 1997 et le lancement d’une campagne de promotion internationale en même temps qu’une restructuration des institutions liées, le nombre de visiteurs étrangers ne cesse de croître. La promotion des éléments culturels nationaux a ainsi, entre autres, portée sur le succès du manga et de la « pop culture » japonaise, phénomène qui nous amène ici à nous interroger sur la possible mise en patrimoine du manga, autrement dit la manière dont ce divertissement, produit des industries culturelles nipponnes, devient un support à l’imaginaire des touristes et un élément culturel mis en avant en tant que témoignage de la créativité nationale. En effet, depuis maintenant plus de trois décennies, les industries culturelles japonaises s’exportent en Occident, notamment avec le manga et l’animation (c'est‐à‐dire la bande dessinée et les dessins animés.) Le succès de ce type de divertissement a été exponentiel et la France arrive en tête des pays où cette « pop culture » suscite un engouement croissant. A titre d’exemple, on peut citer les chiffres de vente de mangas (1228 mangas publiés en français en 2008, soit plus de 40 % des éditions de bande dessinée1) ou les records d’entrées de la Japan Expo2 (135 000 visiteurs en 20083.) Tous ces éléments conduisent donc à affirmer l’existence d’un public de passionnés que la pratique de ces loisirs japonisants a amené à bâtir un imaginaire autour du Japon ; ainsi, un travail mené précédemment4 a conduit a énoncer le renouvellement du répertoire de représentations liées à l’imaginaire du Japon. Manga et animation peuvent donc être manipulés par les fans comme autant d’indices, de témoignages culturels. Par ailleurs, l’expression « cool Japan », forgée par un journaliste américain5 et visant à exprimer cette influence croissante du Japon grâce au succès mondial de sa culture populaire, est devenue l’emblème de ce phénomène. Ceci a un point tel qu’elle est à présent utilisée par les offices du tourisme japonais pour présenter les lieux et activités liés à cette « pop culture. » C’est dans ce contexte que se pose la question de la légitimation du manga en tant qu’objet culturel digne d’intérêt, témoin de la créativité japonaise et attraction touristique. Les autorités japonaises ont en effet officiellement reconnu le statut du manga en tant que « propriété intellectuelle nationale » en 2002, tandis que des voyages organisés au Japon et thématisés « culture manga » voient 1 Source : http://www.acbd.fr/bilan‐2008.html 2 La plus grande manifestation culturelle autour du manga et de la culture japonaise en France. Elle a lieu tous les ans en juillet. 3 Source : http://www.sefa‐event.com/ 4 Sabre Clothilde, Le néojaponisme en France : Passion des mangas et Images du Japon, Mémoire Master 2 Recherche Sociologie Anthropologie (Université de Lille 1), sous la direction de M. Paul Van der Grijp, 2006. 5 Mac Gray D., «Japan’s gross national cool», Washington, Foreign Policy, mai-juin 2002, pp.44-54. le jour en France et que les offices du tourisme nippons délivrent des informations sur les lieux liés à cette « pop culture.» Des observations ethnographiques menées parmi des touristes français au Japon ont ainsi permis de questionner les motivations et les perceptions des fans français de mangas en situation de confrontation de leur imaginaire pré‐établi du lieu avec une réalité matérialisée par le territoire japonais. L’étude précise du Musée International du Manga, ouvert en 2006 à Kyoto, permettra par ailleurs d’approfondir le questionnement, en mettant en perspective les questions de patrimonialisation d’un objet de culture populaire : assiste‐t‐on à un phénomène de patrimonialisation ? L’interaction entre reconnaissance par les fans occidentaux et la légitimation de l’objet par les institutions nationales est‐elle productrice d’un rapport patrimonial au manga ? La culture manga a‐t‐elle un sens en tant que « site » touristique ? Et quelles significations prend alors dans ce cadre le territoire japonais ? TER MINASSIAN Hovig Le patrimoine dans les politiques de réhabilitation du centre ancien de Barcelone. Discours et réalité (1980‐2008 Mots‐clés : Barcelone, politiques publiques, analyse de discours, protection du patrimoine, gentrification En Espagne, l’essor des politiques patrimoniales à la fin des années 1970 a coïncidé avec la fin de la période franquiste, l’adoption d’une nouvelle Constitution qui a redistribué les compétences urbanistiques à l’échelle locale et régionale, et des attentes sociales très fortes de la part des habitants qui, à Barcelone, ont porté une coalition de gauche à la tête de la Municipalité. Nous proposons d’examiner sous quelles formes, dès le début des années 1980, la question du patrimoine a été intégrée à une politique interventionniste de la part de la Municipalité, qui a voulu réhabiliter le centre ancien de Barcelone, juxtaposition de quartiers populaires dégradés et d’anciens quartiers « bourgeois », en cherchant à éviter à la fois leur « muséification » et leur « gentrification »6. Quelle place la Municipalité de Barcelone a‐t‐elle accordé aux politiques patrimoniales ? Quel a été la réalité de ces dernières et comment se sont‐elles inscrites dans le territoire du centre ancien ? Notre communication sera organisée en trois temps. D’abord, nous verrons que dès le début des années 1980, sous l’influence de l’architecte catalan Oriol Bohigas, principal théoricien et praticien de la « reconstruction de Barcelone », les réflexions sur le patrimoine ont occupé une place essentielle dans l’élaboration d’une nouvelle politique urbanistique qui se voulait en rupture avec celle de la période franquiste. En même temps, en quasiment trente années, elles ont fortement évolué malgré la stabilité affichée de l’équipe municipale, la coalition de gauche étant au pouvoir depuis 1979. Nous avons saisi cette évolution à travers une analyse de discours portant sur la revue municipale Barcelona Metrópolis Mediterránea, qui montre la simplification du discours sur le patrimoine du centre ancien de Barcelone au profit d’une relecture politique réductrice de l’histoire urbanistique de la ville, et d’un effacement progressif d’une réflexion sur la spécificité des quartiers anciens et de leur patrimoine au sein d’une agglomération mondialisée. Dans un second temps, nous examinerons rapidement les dispositifs de protection du patrimoine et de soutien à la réhabilitation. Une rapide analyse comparative entre Paris et Barcelone montre que dans le cas de l’agglomération catalane, la Municipalité reste le principal acteur de la protection du patrimoine. Cette relative liberté d’action s’est accompagnée d’une politique de soutien à la réhabilitation qui a surtout profité aux quartiers bourgeois et au développement touristique du centre ancien de Barcelone, sans forcément répondre aux attentes des habitants « traditionnels ». Dans un dernier temps, nous présenterons les effets de cette politique patrimoniale. Le patrimoine apparaît alors moins comme un facteur de construction territoriale, que comme un argument d’intervention, relevant du marketing urbain, qui se marginalise par ailleurs de plus en plus au sein du discours institutionnel sur le développement contemporain de l’agglomération barcelonaise. Nous prendrons deux exemples pour l’analyser. Le premier est celui de la réhabilitation du Marché du Born (depuis 2001), qui a réactivé les débats sur la dimension identitaire et idéologique du patrimoine. Le second est celui de la rénovation de la Rambla del Raval (achevée en 2000), qui, sous prétexte de faire baisser les densités et d’assainir par démolition/reconstruction un tissu urbain jugé trop dégradé, traduit une volonté de normalisation socio‐spatiale d’un quartier populaire du centre ancien, au 6 Cette étude s’inscrit dans un travail de thèse mené depuis 2005 sous la co‐direction de Martine BERGER (LADYSS, Université Paris 1) et Horacio CAPEL (Universitat de Barcelona) et qui cherche, dans une approche critique du « modèle barcelonais », à étudier les politiques d'urbanisme dans le centre ancien depuis la fin des années 1970, et leurs conséquences sur son paysage socio‐démographique. La soutenance est prévue pour septembre 2009. détriment du respect du patrimoine prétendument affiché au début de la période étudiée, et des attentes des habitants. La polémique qui a entouré cette opération révèle en partie les contradictions entre le patrimoine tel qu’il est envisagé par la Municipalité, et celui tel qu’il est défini par les riverains. BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE ALEXANDRE O., Catàleg de la destrucció del patrimoni arquitectònic històric‐artístic del centre històric de Barcelona, Barcelone : Veïns en Defensa de la Barcelona Vella, 2000, 69 p. BOURDIN A., Le patrimoine réinventé, Paris : PUF, 1984, 239 p. CANDAU J., Mémoire et identité, Paris : Presses Universitaires de France, 1998, 225 p. CHOAY F., L’allégorie du patrimoine, Paris : Le Seuil, 1996, 260 p. FERNÁNDEZ SALINAS V., « De la protección a la legitimación social del patrimonio urbano en España », Scripta Nova, 2005, vol. IX, n° 194 (41) [en ligne]. GANAU CASAS J., Els inicis del pensament conservacionista en l’urbanisme català (1844‐1931), Barcelone : Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 1997, 600 p. 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(coord.), Urbanismo e historia urbana en el mundo hispano : segundo simposio 1982, Madrid : Universidad Complutense de Madrid, 1985, pp. 1055‐1064. GRAVARI‐BARBAS M., GUICHARD‐ANGUIS S. (dir.), Regards croisés sur le patrimoine dans le monde à l’aube du XXIème siècle, Paris : Presses de l’Université Paris‐Sorbonne, 2003, 952 p. MICHONNEAU S., « Barcelone 1900‐1910 : la construction d’un espace symbolique », Rives nord‐ méditerranéennes. Patrimoine et politiques urbaines en Méditerranée, 2003 [en ligne]. VESCHAMBRE V., Traces et mémoires urbaines. Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008, 315 p. Jihane CHEDOUKI Doctorante en Droit public, 2ème année, Faculté de droit et de sciences sociales de Poitiers. UMR 6224 CECOJI (Centre d’Études sur la COpération Juridique Internationale). Protection juridique du patrimoine historique égyptien et politique patrimoniale: le cas de Louxor Mots‐clés: monument et site, patrimonialisation juridique, planification urbaine, aménagement des sites historiques, valorisation du patrimoine. Le droit s’est intéressé à la notion du patrimoine et il est présent dans de nombreuses branches du droit: en droit public, en droit privé, en droit de l’environnement, en droit de l’urbanisme, en droit international public et privé, etc. Dans la branche du droit qui nous intéresse ici, le droit public appliqué à la culture, il n’existe pas de patrimoine par nature. Il n’est de patrimoine que par décision de l’autorité administrative. Autrement dit, la patrimonialisation d’un bien exige une sélection par voie de décision unilatérale. En effet, la protection du patrimoine n’est qu’un des aspects de la politique culturelle. Les différences d’orientation sont perceptibles selon les besoins du moment, l’évolution des conceptions de la protection et la perception de ses enjeux par les décideurs. En Égypte, le bien meuble ou immeuble est considéré comme antiquité lorsqu’il présente pour l’État un intérêt national, sans qu‘il soit tenu compte des limites de temps (…) (article 2 de la loi 117 de 1983 relative à la protection des antiquités égyptiennes). Pour ce, l’État doit disposer des outils de protection et de mise en valeur efficaces pour bien protéger ses richesses patrimoniales. Outre la procédure de classement et ses effets juridiques directs sur les monuments, les documents d’urbanisme sont considérés comme des instruments de protection indirects et qui permettent à l’État de fixer les perspectives de développement, de préservation et de mise en valeur des sites historiques. Mon choix est porté sur les monuments historiques de la ville de Louxor et les politiques patrimoniales menées par le Conseil Suprême de Louxor en tant qu’autorité locale. Le nouveau « Master Plan Louqsor 2030 » vise un réaménagement total de la ville qui rassemble les deux tiers des Antiquités du pays, en vue d’une meilleur exploitation touristique. Des opérations d’expropriation des terrains (l’exemple du village Al Qurna) ainsi que des démolitions de quartiers historiques appartenant au patrimoine des 19e et 20e siècles au nom de la mise en valeur du patrimoine pharaonique (les temples de Thèbes) ont été menées ou en cours d’exécution. L’intérêt de ce cas d’étude est l’observation de la mise en œuvre des lois et règlements relatifs à la protection du patrimoine et leur articulation avec les projets d‘urbanisme et du développement touristique. En effet, il est intéressant d’examiner les documents de planification en tant qu’outil d’identification et de délimitation des sites à protéger. Cela me permettra d’évaluer concrètement la portée des instruments de protection et de mise en valeur des monuments historiques en réalité ainsi que d’identifier les acteurs publics et/ ou privés dans le processus de patrimonialisation. Claudine DEOM Professeur adjoint École d’architecture Chercheur associée à la Chaire de recherche du Canada en patrimoine bâti Université de Montréal, Canada [email protected] Et Nicole VALOIS Professeur agrégé et architecte de paysage École d’architecture de paysage Chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en patrimoine bâti Université de Montréal, Canada [email protected] La contribution des disciplines de l’aménagement à la définition du patrimoine : le cas de l’arrondissement historique et naturel du mont Royal à Montréal (Québec, Canada) Au Québec, la préoccupation pour le patrimoine remonte à la fin du 19e siècle. C’est alors que l’identification de lieux de mémoire a contribué à définir une identité québécoise nationaliste enracinée dans le fait français. Au cours du siècle suivant, l’état québécois s’est rapidement distingué comme un précurseur au sein de la confédération canadienne au chapitre des cadres de gestion du patrimoine, notamment par sa Loi relative à la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique sur les biens culturels, promulguée en 1922 et dont le contenu s’inspirait alors grandement de la Loi sur les monuments historique de 1913 de la France. Depuis ces débuts, le répertoire québécois des biens culturels n’a cessé de s’enrichir de lieux de toutes les époques et de toutes natures, de l’objet d’art aux arrondissements historiques et naturels et de lieux datant du Régime français à des édifices de l’après‐deuxième Guerre mondiale. En 2005, le ministère de la Culture, des communications et de la condition féminine du Québec créait par décret l’arrondissement historique et naturel du Mont‐Royal. Ce statut, une première pour le Québec et à ce jour encore inédit au Canada, reconnaît l’importance culturelle et naturelle de la montagne dans le paysage urbain de la ville de Montréal. Ce statut légal fait également en sorte de protéger ce patrimoine culturel et naturel par un contrôle du développement du territoire. Cette communication propose de s’inscrire dans la problématique générale du colloque en discutant d’abord des enjeux de l’identification et de la conservation résultant du caractère multi et interdisciplinaire du patrimoine au Québec. À ce titre, l’arrondissement historique et naturel du Mont‐ Royal constitue un cas de figures des plus pertinents. En effet, en vertu de sa riche histoire, de ses attributs naturels (topographie et biomasse, notamment) et de l’intérêt architectural du parc immobilier institutionnel qui s’y trouve, l’avenir de ce vaste et complexe patrimoine dépend de la collaboration d’intervenants issus de plusieurs disciplines. Les discussions ayant présentement cours quant à sa gestion sont susceptibles de baliser les pratiques de la conservation futures. Par ailleurs, le cas de l’arrondissement historique et naturel du Mont‐Royal se prête bien à la réflexion à propos des différentes disciplines contributives à la patrimonialisation au Québec. Au Québec, comme en France, la pensée patrimoniale continue d’être investie de nos jours de l’apport des différentes disciplines des sciences humaines, dont l’histoire, l’ethnologie et l’histoire de l’art pour ne nommer que celles‐là. Elle est cependant aussi grandement nourrie de celles identifiées couramment au domaine de l’aménagement, soit l’architecture, l’urbanisme et l’architecture de paysage. Ces disciplines des sciences appliquées, associées traditionnellement à des formations professionnelles, ont d’ailleurs joué un rôle de premier plan dans l’évolution de la notion de patrimoine culturel. Tel que l’ont démontré les discussions lors de la Table ronde de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine bâti de l’Université de Montréal les 17 et 18 mars 20097, ces disciplines sont en fait responsables de l’évolution de la définition du patrimoine et ce, par la réalisation de projets concrets de conservation, de restauration et de mise en valeur du patrimoine. Cette matérialisation de la pensée patrimoniale au quotidien par la conservation se nourrit maintenant de contributions théoriques issus des programmes de formations universitaires logés dans des écoles architecture, plaçant ainsi ces disciplines de l’aménagement au confluent des univers académiques et pratiques. Mots clés : Montréal, aménagement, pratique professionnelle, conservation. 7 Les actes de ces discussions seront disponibles sous peu sur le site internet de la Chaire : www.patrimoinebati.umontreal.ca. Time‐Referencing in Cultural World Heritage Sites: The Case of Historic Cairo Ehab KAMEL, Ain Shams University, Egypt [Assistant lecturer], University of Nottingham, UK [PhD researcher]‐ email: [email protected] Jonathan HALE, University of Nottingham, UK [Associate Professor] Laura HANKS, University of Nottingham [Associate Professor] Abstract: History would not exist without the definition of ‘time‐references’ ‐ places, events, objects and characters that have influenced the course of history and been commemorated in physical form. Worthy of preservation and presentation they have been passed down to the present day, to be continually re‐experienced and reinterpreted by the millions of visitors who travel to see them each year. Julius Caesar of Rome, Cleopatra of Egypt, Henry II of France, and Henry VIII of England are not just names, but they are time‐references of their countries at their times; Aristotle, Albert Einstein, Karl Marx, and Barak Obama refer to major changes in global ideologies of their worlds; Giza pyramids, Stonehenge, London bridge, and Eifel tower are not only landmarks of the countries where they exist, but they also, and most importantly, refer to civilizations, vanished or still existing, and their relation to land and identity. What is the power of time‐references? How is time referenced? Who references it? And can the time‐ references change, for the same place and time, from one person to another, or from time to time? And what does all this have to do with place experience? As a part of a PhD research project on World Heritage Sites commenced in February 2007 at the School of the Built Environment, University of Nottingham8. This paper questions the process of time‐referencing and its relation to cultural World Heritage Sites. In this process, the paper compares different views of time‐referencing emerging from a case study of Historic Cairo. In particular, the paper studies time‐referencing during the period from the Arab conquest of Egypt to the Ottoman period. These points of view include media, academics and historians, tourism, and conservation practice in Historic Cairo. Despite the debates on the harmful impact of the large numbers of visitors to World Heritage Sites9, the main cultural cities of Egypt: Cairo, Giza, and Luxor cities, received 13,574,376 visitors in 200610 according to the Egyptian Ministry of Tourism’s statistics ‐ an average of 37,190 visitors per day. Such a huge number of visitors represents a good indicator of the powerful force such places exert on the public imagination. Important questions to be raised in the paper include: To what extent can monuments in themselves be considered as time‐references, or are they dependent on the stories linked to them? Does every monument become a time‐reference just by being there, or do monuments rely on some process of contemporary interpretation in order to do so? Do people visit such places 8 The PhD research project focuses on the interpretation and communication of the ‘spirit of place’ and looks at the potential conflicts that can develop between the preservation and conservation of the physical fabric of World Heritage Sites and the desire to interpret and communicate their inherited cultural meanings to an ever‐expanding audience 9 Efforts are being done to control tourism to World Heritage Sites in balance with heritage conservation of monuments, and to achieve sustainable tourism at the same time. 10 The mentioned numbers of visitors only refer to the entrance‐controlled visits, where there are much more visitors to open‐air visits where numbers cannot be detected. because they already consider them as time‐references, or does this consideration evolve as a result of their visit? The paper depends on the results of analysis of site observations carried out, by the author, on August 2008, and a questionnaire that started at the same time, on‐site, and then on‐line thereafter. Key words: World Heritage Sites, Historic Cairo, Cultural Heritage, Interpretation, Time‐Referencing Patrimonialisation du vivant et désir de territoire : chassez le culturel Pierre COUTURIER Maître de conférences en géographie Département de géographie – CERAMAC Université Blaise Pascal, Clermont‐Ferrand pierre.couturier@univ‐bpclermont.fr Mots clés : patrimonialisation, variétés anciennement cultivées, semences paysannes, territoire, développement local. Cette proposition s’inscrit dans un champ de recherche diversifié prenant la patrimonialisation du vivant comme objet central. Il s’agit ici d’appréhender les processus de construction sociale d’un patrimoine culturel dans leur dimension territoriale en analysant l’articulation entre discours, savoirs et pratiques associés à des variétés de plantes anciennement cultivées d’une part, lieux et territoires de référence d’autre part. S’agissant de plantes cultivées, la recherche renvoie à des questionnements généraux concernant les semences. Longtemps l’intérêt porté aux variétés végétales alimentaires anciennes par quelques spécialistes scientifiques dans divers cadres institutionnels a répondu à des préoccupations de conservation et de préservation. Les « banques de semences » destinées à la conservation d’une diversité génétique non valorisée dans le présent ont constitué le pendant de l’uniformisation des pratiques culturales légitimée par des impératifs de productivité. Plus récemment, les mouvements de remise en cause des modes de production agricole « productivistes » ont conduit à la contestation du monopole commercial des grands groupes semenciers et à une volonté de plus en plus affirmée de réappropriation des semences de la part d’agriculteurs se qualifiant volontiers, au Nord comme au Sud, de « paysans ». Désormais en partie structurée à l’échelle mondiale, l’action militante en faveur des semences paysannes prend cependant tout son sens aux échelles locales. Non qu’il faille considérer a priori le « local » comme l’échelle privilégiée de structuration des acteurs dans ce domaine mais parce que la variété « traditionnelle » incorpore les spécificités naturelles (climat, sols…) et humaines (accumulation d’expérience, transmission de savoirs et savoir‐faire vernaculaires) du lieu d’où elle est supposée être issue et auquel elle est réputée adaptée, par opposition aux variétés modernes issues de sélections visant à obtenir des rendements élevés dans une large diversité de situations écologiques. Les variétés « traditionnelles » sont donc susceptibles d’être érigées en symboles d’un lieu par leurs composantes naturelles et d’une culture locale par leurs composantes idéelles. Elles peuvent participer d’une construction identitaire territoriale. L’article se propose d’examiner dans quelles conditions à partir d’enquêtes menées depuis 2008 dans les Alpes. Une première série d’interrogations portent sur les acteurs, sur la portée de leurs pratiques au sein des sociétés locales. Des recherches sur les semences paysannes menées notamment en France par des chercheurs de l’INRA, tendent à mettre en évidence des logiques militantes au principe de pratiques s’inscrivant dans des dynamiques sociétales plus globales (demande de « nature », angoisse de dépossession propre au mangeur moderne...). Ces pratiques souvent qualifiées d’alternatives en référence au mode de production dominant, semblent ponctuelles, associées à une dispersion aléatoire des acteurs, sans dimension territoriale apparente. Ainsi, les réseaux associatifs ou informels, sont à l’échelle nationale ou internationale. Des enquêtes que nous avons menées en 2008 dans le Queyras conduisent à insister sur d’autres aspects, en particulier la diversité des acteurs à l’échelle locale, l’effacement des distinctions habituelles entre agriculteurs professionnels (qui se revendiquent « paysans »), jardiniers amateurs, artisans, paysans‐boulangers…, le rôle des acteurs territoriaux institutionnels (Parc naturel régional du Queyras). L’article analyse comment les acteurs prennent part à des tentatives de réintroduction de variétés végétales traditionnelles adaptées au milieu montagnard, à des essais culturaux d’espèces menacées, à l’élaboration de projets associant des objectifs de biodiversité et de développement local. Contrairement au schéma dominant du système productiviste, l’expérimentation technique n’est pas impulsée et spécifiée par des scientifiques puis sous‐traitée à des agriculteurs instrumentalisés, mais se fonde sur la mobilisation de savoirs et de savoir‐faire vernaculaires en lien avec des acteurs institutionnels locaux et avec l’appui du réseau national « semences paysannes ». Dans le Queyras, les espèces végétales « traditionnelles » deviennent des ressources emblématiques d’un territoire où le sentiment identitaire est fort mais où l’agriculture est économiquement fragile. L’article interroge alors la notion d’ « agriculture paysanne durable » en tant qu’idéologie dotée d’une capacité à ériger des variétés et des pratiques culturales délaissées en biens culturels patrimoniaux, à orienter les choix des acteurs vers l’innovation, à générer ou à conforter des initiatives valorisant les productions agricoles et artisanales locales. Chasse traditionnelle à la palombe aux filets dans le Béarn : un patrimoine culturel original Julie BOUSTINGORRY (UPPA, E.A. ITEM, Docteur en Histoire) et François SALDAQUI (UPPA, Laboratoire SET, Doctorant en géographie) Courriels : [email protected] [email protected]‐pau.fr Mots‐clés : chasse traditionnelle – culture locale – tradition vivante – identité collective territorialisée – patrimonialisation La lente émergence du concept de Patrimoine en sciences sociales, et la difficile affirmation des « nouveaux patrimoines » ou « petits patrimoines » autorise un renouvellement de la prise en compte de cette notion plurielle au sein de nos disciplines. Si dans ce qu’il comporte de monumental, le patrimoine s’impose comme une évidence, il devient néanmoins plus difficile à saisir dès lors qu’il est pour partie ou totalement le fruit d’un imaginaire ou d’une pratique, un patrimoine immatériel, culturel. Les multiples processus de patrimonialisation mettent clairement en valeur la complexité de l’idée même de patrimoine. Parce que le patrimoine n’est pas figé, parce que le patrimoine vit, parce que le patrimoine est vécu, il nous faut réinterpréter les subjectivités pour rendre leurs sens aux patrimoines, en redonnant toute sa place à l’homme, qu’il soit créateur, acteur, ou spectateur. A ce titre, la chasse à la palombe aux filets constitue un objet d’étude singulier. Pratique ancestrale aux origines méconnues, elle questionne de façon originale les liens entre patrimoine culturel et construction d’une identité territoriale fortement spatialisée. Au‐delà, de cette dimension identitaire, ce patrimoine singulier devient le vecteur d’un marketing territorial jusqu’à lors informel, en cours d’institutionnalisation, favorisant un développement touristique spécifique. Dans le cadre de cette analyse, nous nous attacherons plus particulièrement au cas des palombières de la vallée béarnaise du Barétous dans les Pyrénées‐Atlantiques. La chasse de la palombe aux pantières constitue en effet une véritable culture vivante locale, qui lie les hommes à la terre et fait partie d’un héritage valorisé et valorisant. Si elle a toujours été présente dans la vie des valléens, elle est constitutive de nos jours d’une identité collective territorialisée, centrée sur le col de chasse. Elle est aussi de ce point de vue structurante des temporalités d’une partie de la vie de la vallée, bien au‐delà de la seule saison de chasse (mois d’octobre). Tout à la fois lieu, moments de vie et de commémoration sociale, la chasse dépasse le cadre de la palombière pour s’étendre à l’espace local et est considérée comme faisant partie d’un mode de vie spécifique (GUYON F., 2006). Il est intéressant de relever ici que si les seuls chasseurs pratiquent de façon effective la prise aux filets, l’identité générée par cette tradition est largement partagée par les locaux de façon plus générale. Enfin, cette pratique spécifique et rare11 participe à la création d’un imaginaire territorial fort. S’appuyant sur une hégémonie de réputation, elle fait désormais l’objet d’un marketing territorial, développant l’attractivité touristique du col de chasse. En concertation avec des acteurs institutionnels (Mairie, ONF,…), les chasseurs mettent en effet en place des actions de valorisation et de promotion de ce patrimoine culturel singulier. Chasse traditionnelle reconnue, elle témoigne de la vivacité des processus de patrimonialisation et de transmission d’une culture locale vivante. Ainsi, ce patrimoine culturel s’impose comme un projet de modernité, négociant bien entre la tradition et sa réappropriation effective dans un présent qu’il participe à construire. 11 De nos jours en France, seule une dizaine de ce type de palombières est encore en activité de nos jours. Jean‐Baptiste MAUDET Géographe (Doctorat en 2007) ATER à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour [email protected] Bétail et rodéo en Amérique ou la patrimonialisation de la conquête de l’Ouest Mots clés : rodéo, élevage bovin, Californie, conquête de l’Ouest, frontier. La trilogie cowboy, vache, cheval est au cœur d’une mythologie américaine constitutive de l’identité nationale. Dès la fin du XIXème siècle, les cowboys, issus de l’affrontement et du relais de deux expériences coloniales anglo‐saxone et ibérique, font l’objet d’une mise en scène idéologique qui révèle un processus de territorialisation en phase avec les objectifs de la conquête de l’Ouest : gagner des territoires, faire fortune et « blanchir » l’Amérique métissée. Les rodéos et les élevages bovins extensifs continuent aux Etats‐Unis de célébrer une certaine idée de la conquête de l’Ouest, où se mêlent intérêt économique, valorisation touristique du patrimoine et professionnalisation sportive. Je propose d’analyser l’imbrication de ces phénomènes à partir du travail de terrain mené en Californie dans le cadre du projet ANR Torobullmexamerica (programme Blanc 2008). Ce projet, mené en partenariat avec le professeur d’Anthropologie à l’Université d’Aix‐Marseille Frédéric Saumade, développe une étude ethno‐géographique du contact frontalier Etats‐Unis/Mexique à travers les relations hommes/bovins. Pour ce colloque, après un rapide rappel des enjeux problématiques à l’échelle du continent américain, puis des Etats‐Unis, le cadre géographique est réduit à la Californie où l’on observe une grande variété de rodéos et de systèmes d’élevage bovin. L’intérêt de la Californie repose en outre sur le fait que le rodéo, sa professionnalisation, sa patrimonialisation et l’idéologie territoriale qu’il véhicule, coexiste avec d’autres formes de jeux taurins liés à des communautés d’origine différentes : le jaripeo et la charreada liés aux communautés mexicaines, les corridas portugaises liées à l’immigration des Açores et les rodéos indiens pratiqués dans les réserves. Il en résulte un champ commun de différenciation territoriale où se répondent les patrimoines et les idéologies spatiales. Chacun des exemples utilisés renvoie à un terrain d’enquête précis : les rodéos de Springville et de Sonora, deux petites villes de piémont entre la vallée de San Joaquin et la Sierra Nevada, une corrida portugaise de la vallée de San Joaquin à Laton, un jaripeo mexicain inclus dans les festivités du rodéo de King City dans la vallée de Salinas et un rodéo indien de la Tule River Reservation. Nicolas DOUAY Urbaniste Chercheur post‐doctorant au Centre d'études français sur la Chine contemporaine (CEFC) de Hong Kong [email protected] L’irruption du patrimoine dans la stratégie de marketing urbain pékinoise Mots clés : Marketing urbain, olympisme, bobo, gentrification Dans un contexte de globalisation et de métropolisation, les villes développent des stratégies de marketing urbain en vue d’attirer investisseurs, touristes ou représentants de la « classe créative ». Toutefois, le mimétisme des pratiques conduit à une standardisation des projets urbains, des évènements ou encore des langages architecturaux. L’objectif de cette communication est de présenter l’évolution des stratégies de marketing urbain de la capitale chinoise afin de mettre en valeur l’irruption du patrimoine comme nouvel élément original de message. Durant la dernière décennie, Pékin a connu une politique de modernisation en vue de faire de la capitale chinoise une world city, notamment avec l’organisation des jeux olympiques de 2008. Par conséquent, le stade connu sous le nom de bird nest ou encore le centre aquatique désigné comme étant le water cube sont devenus les symboles de cet événement international. Avec la tour de CCTV développée par l’architecte Rem Koolhaas, ces trois bâtiments illustrent le renouveau pékinois et en constituent le nouveau branding. Toutefois, au‐delà de cette politique traditionnel de marketing urbain, la capitale chinoise voit émerger une alter‐stratégie qui est apparue de manière inattendue ou du moins en dehors des objectifs des responsables politiques chinois. La constitution du Dashanzi Art District 798 区 sur d’anciens espaces industriels a permis au milieu artistique de trouver de nouveaux espaces de création et surtout d’exposition. Les anciennes usines qui arborent encore les slogans maoïstes donnent une ambiance post‐industrial chic ou Mao kitsch qui donnent ainsi au milieu de l’art contemporain de nouveaux lieux d’émancipation. Par ailleurs, la gentrification de la hutong Nanluoguxiang constitue le second symbole de cette irruption du patrimoine dans les pratiques du marketing urbain pékinois. Vieille de près de sept siècles et située dans le centre‐ville, cette artère est devenue le repère d’une population que l’on pourrait qualifier de bobo (Bourgeois‐Bohème) voisinant avec les premiers habitants du quartier. Les bars, cafés, boutiques, écoles de danse,… deviennent le repère de ces bobos, expatriés ou non, et surtout des touristes à la recherche d’une autre vision du Pékin moderne qui sortent des sentiers, usés et attendus, de l’olympisme. Vincent‐Emmanuel MATHON ([email protected]) docteur en philosophie, Jorge DA FONSECA (jorge.da‐[email protected]) géographe, sociologue et conservateur des monuments historiques, Ville de Clichy (92) LE PATRIMOINE : UN MYTHE A travers un voyage illustré, un conservateur du patrimoine rencontre un docteur en philosophie. En partant pour ce voyage, le parcours pourrait ressembler à un cheminement plein de quiétude, reprenant les grands thèmes académiques de « l’exemple français », vecteur de la notion de patrimoine depuis l’Abbé Grégoire : (le beau, le grand, le monumental, comme disait le cardinal de Rohan à ses architectes devant le glacis du chantier de son château à Saverne : « Faites‐moi du grand, faites‐moi du beau…), mais au fil des images, la logique s’estompe pour faire place au questionnement du sens, rendant la promenade labyrinthique et initiatique. Le conservateur semble rester académique, légaliste et gérer le quotidien ‐ouvrir le monument à l’heure, s’assurer que la voûte ne s’effondre pas sur les fidèles‐ il est nécessairement amené à faire des choix : choisir de préserver l’esthétique d’un paysage soumis aux prédations diverses (carrières, lignes électriques, routes, chemins de fer ou mitage pavillonnaire…) : "sauvons ce qui peut l’être" criait le Conseil de l’Europe au moment du Baby‐boom alors qu'il fallait choisir entre la démolition des Halles de Paris et la conservation de la gare d’Orsay. Le conservateur n’est pas dupe de l’ambiguïté de ses choix vis‐à‐vis de l’objet protégé. Il a en outre conscience des difficultés de son action et du sens qu'il doit leur donner. Il doit tendre vers l’universel, vers la compréhension et l’acceptation par le plus grand nombre. Le conservateur et le philosophe s'interrogent alors sur le concept. Qu'est‐ce que le patrimoine ? Seraient‐ce ces traces génétiques du passé qui de génération en génération font ce que nous sommes, comme le définissait Max Querrien? Depuis deux siècles le nombre des acteurs patrimoniaux s'est amplifié de manière exponentielle, de même que leurs champs d’intervention ; des avant‐gardistes de l’administration des Beaux‐arts (Ludovic Vittet, Prospère Mérimée, Violet le Duc), chantres de la prise en compte de l’objet unique, nous sommes passés aux administrations qui n'hésitent plus à investir les "grands espaces". Parallèlement à ce patrimoine se constitue également un « non patrimoine », réceptacle des rejets d’une société (la banalité, le manque de soin, le manque de goût, le manque d’argent ou, au contraire, la spéculation, la standardisation, les normes). Pourquoi une entité est‐elle intégrée au patrimoine ou pourquoi en est‐elle rejetée ? Pourquoi peut‐ elle y être intégrée un jour et en être rejetée le lendemain (ou le contraire) ? En réalité, ce qui détermine si une entité est patrimoine ou non, c'est son usage à l'instant t, ou, plus exactement, son utilité au sens que lui donnent les philosophes Jeremy Bentham ou John Stuart Mill ; est utile ce qui contribue au plus grand bonheur pour le plus grand nombre. Le patrimoine ne serait donc pas la trace génétique du passé mais plutôt une représentation à l'instant t contribuant au plus grand bonheur du plus grand nombre. Le patrimoine n'est cependant pas seulement une collection d'entités. C'est une histoire. Mais ce n'est pas une histoire qui nous provient du passé, et qu'on porte de génération en génération ;c'est bien plutôt une histoire qu'on se raconte au moment présent et qui se construit chaque jour en fonction de l'utilité du moment. On peut donc considérer que le patrimoine est un mythe ; le mot mythe provient du grec Muthos et désigne une suite de paroles ayant un sens. Chacun se construit un différent mythe et un différent patrimoine selon l’utilité. On peut ainsi parler de "patrimoine mondial" car, dans notre société globalisée, on retrouve de plus en plus les mêmes codes et les mêmes symboles sur la terre entière. On peut aussi parler de "patrimoine universel", commun à l'humanité toute entière, comme l'a démontré Claude Lévi‐Strauss, toutes les cultures humaines sont à un égal stade de maturité et leurs relations intrinsèques ‐ telle que la relation avec la nature ‐ sont similaires. On peut également parler "patrimoine national", ce qui, consciemment ou inconsciemment, manifeste du contrat social liant chaque citoyen au corps social et liant également le corps social dans son ensemble à chacun de ses membres. Le patrimoine, plus qu'une trace du passé, est une projection à l'instant t de la notion de culture, que ce soit dans son universalité ou dans son particularisme. C'est un mythe qui nous permet de nous reconnaître à chaque échelle spatiale ou bien de nous reconnaître nous‐mêmes. Ce voyage se termine comme celui des héros de Jules Vernes voyageant au centre de la terre. La conservation du patrimoine est en réalité la quête d'un mythe : c'est un cheminement initiatique qui nous permet d'en savoir un peu plus sur nous‐mêmes. Bruno Fayolle LUSSAC L’histoire de l’architecture prise au piège : la mise en scène du néo‐tang dans le projet actuel d’aménagement de la ville ancienne de Xi’an (Shaanxi). Du fait de sa diffusion et de son appropriation par l’ensemble des cultures du monde, la notion de patrimoine est devenue une notion floue que l'on peut tenter de définir comme un ensemble de biens hérités matériels et immatériels qui constituent un stock potentiel d'objets aux valeurs mouvantes : un stock toujours en transformation en raison des réévaluations successives, voire contradictoires, proposées par les groupes d’acteurs qui en prennent la charge à des titres divers, l'évaluation du patrimoine s'effectuant selon des critères ou des systèmes de valeurs idéologiques, politiques, culturelles et économiques. Dès lors, dans le champ de la gestion de l’espace, le patrimoine peut devenir l'enjeu de projets urbains et architecturaux "touchant aux modes de gestion, aux pratiques et aux interprétations des traces matérielles du passé"12. Ces projets peuvent correspondre, dans certains cas, à de vastes opérations de détournement des données tirées de l’histoire et de l’histoire de l’art, comme c’est le cas, en Chine de villes à fort potentiel économique fondé sur le tourisme culturel de masse, depuis les années 1980. Le cas de la ville de Xi’an paraît emblématique, ici, de ces pratiques à grande échelle, en raison de l’enjeu touristique sur le plan économique (environ 1.500.000 touristes en 2007), en raiosn notamment de la présence à une trentaine de km. à l’est de la ville du site du patrimoine mondial de l’armée de terre de l’empereur des Qin Shi Huangdi. Le dernier schéma directeur de2004‐2020, vient de décider une grande opération de destruction –reconstruction de la ville ancienne à l’intérieur des remparts d’époque Ming en vue de recréer notamment des quartiers “néo‐Tang”, en raison et en mémoire de la capitale disparue de cette dynastie, présentée comme le plus grand site au monde de capitale ancienne. C’est officiellement au nom de la protection et de la mise en valeur du patrimoine que l’on ressuscite (réinvente) un style, pour l’essentiel disparu, considéré comme une “icône”, ici légitime (“Tang Chang’an site”), dont il suffirait de présenter des images écrans, parfois hors d’échelle, justifiant ainsi du statut de ville historique de niveau international. De même à l’extérieur de la ville un projet de nouveau quartier résidentiel, d’affaires et de tourisme culturel (Qijiang) se structure autour d’une autre icône (pagode Dayanta) et d’un parc immense (“Tang paradise”) censé reproduire la culture des parcs impériaux. Ce genre de pratique pose à l’évidence la question de la reconstruction, de l’invention et du détournement de sources historiques et archéologiques en vue de leur retranscription en termes contemporains (urbanisme et architecture), pour des enjeux de fait économiques, dont la durée où les données peuvent évoluer à court terme. Ce jeu de destruction‐reconstruction se fonde dès lors sur la production d’images approximatives d’un style pris comme référence, mais perçues comme vraisemblables, légitimantes, du point de vue de la communication notamment dans le cadre de l’économie du tourisme. On peut enfin se demander si une telle pratique ne pose pas la question de - POULOT, Dominique, Le sens du patrimoine : hier et aujourd'hui, Annales Economies, sSociétés, Civilisations, n° 6, 1993, p.1601-1613, (p. 1612). 12 l’impact de ce « marketing des lieux » sur les cadres d’une mémoire matérielle : la ville ancienne ici n’est‐elle qu’un palimpseste ? Bruno Fayolle Lussac Historien de l’architecture Chercheur Associé IPRAUS (Institut parisien de recherche en architecture, urbanisme et société), Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris‐Belleville. Adresse personnelle : 49, rue Ernest Renan 33000 Bordeaux Tél. : 05 56 81 63 54 – 06 88 40 69 95 @mail : [email protected] Un patrimoine culturel confronté à l’effondrement de ses fondements territoriaux. Enjeux et perspectives du classement de « l’espace culturel du Yaaral et du Degal » (Delta intérieur du Niger, Mali Florence BRONDEAU Maître de Conférences Institut de Géographie Université Paris 4 Sorbonne Laboratoire : UMR 8185 ENeC e mail : [email protected] Mots‐clés : patrimoine immatériel, culture peul, territoire pastoral, espace culturel, fondement territorial. L’ « Espace culturel du Yaaral et du Degal » a été officiellement proclamé chef d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’Humanité en octobre 2005. Yaaral et Dégal sont des termes peuls qui désignent des fêtes annuelles organisées à l’occasion de la grande transhumance des troupeaux vers les pâturages du delta intérieur du Niger. Ces cérémonies contribuent à l’expression de la culture peul sous ses formes les plus variées. Elles constituent deux repères essentiels dans un espace culturel beaucoup plus vaste qui repose sur des fondements territoriaux hérités de la Dina. Cette législation instaurée sous le régime théocratique peul de Cheik Amadou à partir de 1818, établit une réglementation très hiérarchisée du partage des ressources et de l’espace entre les différents peuples du delta intérieur de Niger. Ces fêtes restent donc un symbole très fort des héritages de l’Empire peul du Macina. Elles rappellent ainsi périodiquement à chacun sa place dans la société et dans l’espace du Delta. En ce sens, la participation des autres ethnies à ces cérémonies est significative du consensus encore observé autour de ces règles. La Direction Nationale du Patrimoine Culturel (DNPC) souhaite par ce classement, préserver cette région « […]des risques endogènes et exogènes affectant la viabilité de cet espace d’expression de la culture Peul : littérature orale (poésies, mythes, légendes), musique, et danses, techniques artisanales, originalités vestimentaires […] » L « Espace culturel du Yaaral et du Dégal » se fragilise en effet dans la mesure où le territoire pratiqué par les Peul leur échappe et tend à se réduire. Leur hégémonie politique et économique a été balayée par la colonisation, les sécheresses, l’évolution économique et démographique récente... L’élevage transhumant tend à se marginaliser : les territoires pastoraux se rétractent sous l’emprise spatiale exercée par les cultivateurs, les surfaces submergées par les crues du Niger se réduisent… Dans ce contexte, les conflits d’ordre foncier qui opposent les populations du delta se sont exacerbés et ont été souvent arbitrés en défaveur des Peul. La recherche de la prévention de ces conflits, dans le cadre de la décentralisation, a suscité la mise en place de conventions de gestion des ressources. Elles consistent à adapter les règles en vigueur aux nouvelles formes d’occupation de l’espace. On assiste donc à une redistribution des droits d’usage à l’échelle des Communes qui échappe en grande partie au contrôle des Peul. Par ailleurs, les règles d’accès aux ressources dans le Delta intérieur du Niger sont susceptibles d’être radicalement remises en question par les aménagements en cours dans le bassin du Niger (construction du barrage de Fomi en Guinée, extensions sans précédent des surfaces irriguées dans la zone Office du Niger et essor de l’agro‐business, aménagement des plaines du moyen Bani et de Djenné…). Des bouleversements hydrologiques et fonciers, bien que mal évalués, sont attendus : réduction des ressources disponibles pour les bergers peuls, désorganisation des itinéraires de transhumance et des aires de stationnement du bétail, aggravation des conflits pour l’accès aux ressources… A terme « l’Espace culturel du Yaaral et du Dégal » risque de se réduire plus encore et se fragmenter. Comment préserver un patrimoine culturel dont les fondements territoriaux sont à ce point menacés ? Le plan d’action de sauvegarde du Yaaral et du Degal formulés par la DNCP se concentre sur la préservation des sites historiques de l’Empire peul du Macina, la transmission de la culture peul par l’éducation et enfin la promotion d’un tourisme diversifié à l’échelle du Delta. Pour éviter une muséification de la culture peul, la sécurisation territoriale des pasteurs peuls, adaptée aux bouleversements en cours dans le delta intérieur du Niger, paraît nécessaire à la survie et à l’évolution du patrimoine culturel peul. Les enjeux territoriaux de la patrimonialisation du flamenco Nicolas CANOVA – Géographie ‐ Doctorant Institut de géographie alpine / CERMOSEM – Université de Grenoble I Departamento de historia y geografía – Universidad de Sevilla Association Imagéo ‐ [email protected] Souvent abordé comme une ressource patrimoniale, le flamenco fait l’objet malgré lui d’une double mutation : artistique et symbolique. D’abord, parce qu’il peut être considéré comme une simple activité culturelle et artistique qui rassemble musique, danse et chant, alors qu’il correspond également, pour toute une frange de la population, à un véritable mode de vie et de pensée. Ensuite, parce que ce mode de vie est aujourd’hui atteint dans ses fonctionnements, par les processus englobants de mondialisation et de métropolisation. Dans un contexte global d’incertitude, l’action culturelle menée par les politiques andalouses de la culture autour de sa patrimonialisation commence à prendre acte de ses erreurs. Là‐bas, le flamenco fut largement réapproprié à des fins politiques et économiques, voire mercantiles, par les pouvoirs locaux qui feintaient de l’ignorer il n’y a de ça que quelques dizaines d’années. Cela n’est donc pas sans créer des effets pervers : confrontations administration/administrés, gitans/non‐gitans (payos), andalous/espagnols, perte de la « diversité flamenca », création ex nihilo d’« authenticité » et de « pureté », projets urbains et touristiques démesurés,…La récente proposition de faire nommer le flamenco « patrimoine mondial immatériel » par l’UNESCO est un exemple cuisant illustrant les risques de cette patrimonialisation. Elle a en effet attisé les tensions locales et interrégionales en Espagne et ailleurs du fait de la forte mythologie territoriale que recèle le flamenco en opposition avec le caractère déterritorialisé de certains de ces acteurs. Mais il semble que l’entrée récente de la recherche universitaire dans le monde du flamenco ait des effets positifs. D’abord abordé par l’anthropologie, l’ethnologie et l’histoire (en plus, bien entendu, de la musicologie), il apparaît comme un objet intrinsèquement pluridisciplinaire avec la mobilisation de quasi l’ensemble des sciences humaines, sociales et même « dures » ces dernières années. Ainsi, par ces regards critiques et réflexifs qui permettent le croisement des différentes dimensions du flamenco, le politique acquiert un potentiel d’action durable. Ici, le territoire apparaît comme un cadre pertinent pour l’action collective entre le local (ré)approprié et un global non‐ identifié, au cœur de l’innovation et de la création d’objets hybrides entre flamenco et société ; où la question de la frontière, entre autres, est donc fortement mobilisée. C’est du moins ce qui ressort de nombre des travaux. Cette contribution entend donc faire l’état d’une recherche doctorale, menée en Andalousie sur la mobilisation des ressources culturelles dans le développement territorial. Des recherches bibliographiques et des enquêtes de terrain effectuées à Séville, Xeres et Cadix nous ont amené à rencontrer les mondes de l’université, du politique et du flamenco. Cette géographie socio‐territoriale contribue aux préoccupations européennes grandissantes d’une prise en compte des enjeux territoriaux des arts et de la culture dans les politiques globales de développement, parmi lesquelles patrimoine et identité jouent un rôle structurant. Finalement, l’exploration particulière du monde musical nous amène à penser que de nouvelles formes d’action collective sont à l’œuvre, entre volonté politique et exigence citoyenne ; cette mutation du monde actoriel nous apparaît fortement guidée par le paradigme de la durabilité, en ce qu’il correspond à une meilleur articulation des différentes dimensions des ressources mobilisées. Mots clé : flamenco, territoire, patrimonialisation, politiques publiques, durabilité. Jessica RODA Ethnomusicologie Doctorante Université de Montréal/Université Paris IV Sorbonne Auxiliaire de recherche CFMJ/LRMM [email protected] La patrimonialisation des musiques judéo‐espagnoles : entre standardisation et diversification des pratiques Les 17 et 18 juin 2002, un colloque consacré à la langue et la culture judéo‐espagnoles se tenait à l’Unesco (Paris). Ce colloque, organisé à l’initiative de onze délégations permanentes auprès de l’Unesco, s’inscrivait dans le cadre de l’année des Nations Unies pour le patrimoine culturel et a proclamé la langue judéo‐espagnole comme langue en danger. Cet événement marque l’avènement d’une reconnaissance internationale de l’identité et de la singularité culturelles judéo‐espagnoles. Cette reconnaissance est traversée par la quête d’identité des Judéo‐espagnols qui se concrétise notamment par la restitution d’un patrimoine culturel, où la musique en tant que « révélateur d’identité »13 et « fait social total »14 est souvent au cœur de la démarche. Partant de nos propres recherches doctorales sur cette communauté, notre intention est de montrer en quoi la patrimonialisation des musiques judéo‐espagnoles est une signature explicite du processus de construction identitaire des Judéo‐espagnols de France, et qu’elle contribue dans un premier temps à la standardisation des pratiques puis à leur diversité. Depuis plusieurs décennies, la patrimonialisation ainsi que nous tenterons de le démontrer, occupe le cœur de la construction identitaire des Judéo‐espagnols de France. Au début des années 1960, suite aux mouvements revivalistes qui ont sollicité une attention particulière pour les identités autres que nationales, on constate un regain d’intérêt pour le répertoire judéo‐espagnol qui contribue à la renaissance de ce répertoire par des interprètes professionnels. Ce revivalisme musical s’inscrit graduellement dans une démarche patrimoniale où, fait remarquable, c’est l’enregistrement sonore qui en est la référence ultime. Dans ce dernier cas de figure, la transmission du répertoire ne s’opère plus de « père en fils » ou de « maitre à élève » mais en puisant dans ce patrimoine matérialisé par l’enregistrement sonore. En s’appropriant ce patrimoine pour l’apprentissage et l’interprétation de ce répertoire, on voit apparaitre une forme de standardisation des pratiques. En effet, malgré la pluralité des interprètes, tous utilisent les mêmes enregistrements sonores comme cadre de référence. Cependant, nous verrons que c’est à partir de la patrimonialisation et de la standardisation des pratiques que les interprètes contemporains se singularisent, favorisant ainsi une importante diversité dans les pratiques musicales judéo‐espagnoles actuelles. Dans ce cas précis de communication, nous analyserons les fondements stylistiques, expressifs et performanciels de cette patrimonialisation en nous focalisant sur l’expérience de la chanteuse Hélène Obadia du groupe Presensya. Cet exposé mettra également en lumière la complexité et la pluralité des trajectoires empruntées pour la patrimonialisation musicale. 13 AUBERT, Laurent, La musique de l’autre, Ateliers d’ethnomusicologie, Georg, Genève, 2001, p. 5. 14 MOLINO, Jean, « Fait musical et sémiologie de la musique », Musique en Jeu, n° 17, 1975, p. 37‐61. Mots clés : musique, identité, judéo‐espagnol, standardisation, diversification Dr. SILKE Andris Cultural Anthropology and European Ethnology (University Basel) Research: Immaterial culture, heritage and popular culture Intangible Cultural Heritage: the Midas Touch? Staging Intangible Culture: Hip Hop in Basel Email: [email protected] Keywords: intangible heritage, UNESCO, transmission, media, Switzerland UNESCO heritage conventions had and continue to have an extensive and defining impact on the development of national and international cultural heritage policies and management practices. The latest convention, the 2003 UNESCO Convention for the Safeguarding of Intangible Cultural Heritage, is again a powerful call to action circulating the world. Since its ratification in Switzerland in 2008 it seems that the country is living in a moment of heightened self‐consciousness about the “Swissness” of Swiss culture, social institutions and practices, providing fresh insights into questions about protecting one’s local and national traditions and identities against processes of globalisation. Unsurprisingly, spatial encapsulation and grounding have been key to UNESCO nominations and the conventions implementation through different national governments. For UNESCO heritage examples – whether tangible or intangible – remain predominately bound to heritage sites, sites one can get to know and visit by covering them on foot and engaging with cultural practitioners face‐to‐face. ‘Bound’ to one place practitioners seem to pass on their knowledge directly/orally from generation to generation. This raises important question of cultural flow in modern societies as well as the ephemeral side of socio‐ cultural practices and their transmission, for example through communication and (re‐)production technologies. Understandable fears and wild assertions about the ways in which technologies of mechanical reproduction and representation remove objects from their embeddedness within ‘the fabric of tradition’ (Benjamin 1969: 223) are highly debated, since these technologies have the power to release cultural objects from their unique presence in place and make them uniformly available irrespective of spatial location. Today, the web and the digital technologies associated with it, represent the most radical instantiation of this capacity. Despite these trends, the media plays and always have played an important role in processes of transmission, be it by written materials and notes, be it – especially since the 20th century – by technical means starting from gramophone records to the use of the internet. Also today’s culture is lived through a play of social relationships that may extend across physical sites, comprehending embodied as well as visual, verbal and virtual interactions. Moreover, cultural practitioners use media documents (video clips, scripts, etc.) as a means of revitalisation, inspiration and in the act create new/different means of cultural practices and tradition‐making. Thus, a preoccupation with media is essential in order to understand a cultural phenomenon. Generally, such an understanding should include an assessment of all existing mechanism of transmission in order to support the continuity of a practice according to a communities own measures. Catherine BERNIE‐BOISSARD Maître de conférences Université de Nîmes ARTDev CNRS/Université Montpellier 3 Un patrimoine immatériel : les « territoires littéraires » dans le Gard Au cours de l’élaboration et de la rédaction d’un Petit dictionnaire des écrivains du Gard (2009, Alcide), s’est imposée l’idée d’un entrelacement entre réalité géographique, événements historiques, mythes et représentations littéraires. Un véritable patrimoine immatériel construit par la littérature se nourrit de la diversité des paysages de ce département qui en acquièrent une existence singulière. Observant que l’on peut entrer dans le Gard par la mer – la Méditerranée, par le fleuve – le Rhône, par la montagne – les Cévennes, ou par les garrigues, on a pu ainsi répertorier quatre « territoires », faisant référence à ces thématiques : • Un territoire du travail défini par l’exploitation du charbon et la présence des mineurs dans le bassin cévenol.. • Un territoire de la révolte marqué par la filiation entre la révolte camisarde du XVIIIè siècle et la résistance au nazisme (1940‐44). • Un territoire culturel, identifié à la romanité, au protestantisme et à la langue d’oc. • Un territoire de la fête, lié à la ruralité et à la présence des jeux taurins en Camargue. Symétriquement à la marchandisation du patrimoine monumental dont est riche ce département, on s’interrogera sur l’usage du patrimoine immatériel dans la valorisation du territoire. Patrimonialisation, mise en tourisme et système des inscriptions publiques du territoire corse de Ponte Novu Pierre BERTONCINI docteur en anthropologie de Université de Corse [email protected] Mots clés : Territorialisation, patrimonialisation, touristification, inscriptions publiques, Corse. Dans un contexte international où tourisme et patrimoine sont désormais pensés comme complémentaires15, depuis une dizaine d’année, les acteurs de l’aménagement du territoire en Corse réfléchissent aux conditions d’émergence d’un développement local sur la zone de Ponte Novu. Celle‐ci s’inscrit dans un intérieur marqué par la déprise agricole et l’exode rural. Ainsi, en 2000, le hameau‐rue a été présenté comme une pièce d’une intercommunalité en projet mettant en synergie les forces d’une vaste « vallée du Golo »16. L’unité de l’ensemble était permise par la mobilisation de ressources patrimoniales : la Vallée du Golo était présentée comme une « vallée patrimoine » au potentiel touristique inexploité. Plus récemment, un cabinet d’experts a montré comment Ponte Novu appartenait à une zone marquée par le fatalisme économique. Intégré dans la politique de territorialisation pilotée par les services de la Collectivité territoriale de Corse, Ponte Novu se situe à la marge du territoire de projet du Centre Corse17. Pour les promoteurs de la Vallée du Golo et pour ceux du Centre corse, le développement local de Ponte Novu, tout en tournant le dos au territoire de la Castagniccia18, ne peut se faire qu’en relation avec la mise en valeur du patrimoine historique qui témoigne de l’épisode paolien. En 1769 eu lieu en effet sur le site de Ponte Novu une bataille décisive. Elle marqua la fin de l’indépendance de l’île méditerranéenne gouvernée pendant quinze ans par Pascal Paoli. Dans cette logique est projeté l’aménagement d’un centre d’interprétation historique. Ceci est l’étape actuelle d’un processus que l’on a observé progressivement suivant une démarche socio‐anthropologique. En effet, on indiquera comment ce « non‐lieu » pour qui le traverse en voiture a été un site de commémorations, de restaurations, d’inauguration de travaux de réhabilitation de monument historique, d’inaugurations de plaques et d’érection d’un village miniature. Ponte Novu est devenu l’espace d’accueil d’une foire régionale à thème concernant la chasse et la pêche. Il a accueilli plusieurs spectacles historiques sons et lumières. L’ensemble de ces manifestations a été accompagné de travaux de voirie, d’élaboration de places publiques, de constructions de bâtiments et d’une école. Dans ce mouvement, des dizaines de maisons vont bientôt être construites sur plusieurs sites. La somme de ces faits sociaux, dont chacun est réalisé dans un contexte de patrimonialisation, a paradoxalement transformé sensiblement le paysage. On proposera dans une deuxième partie une analyse des textes et mises en scènes des plaques commémoratives ou informatives qui ont été posées depuis un siècle sur ce lieu de passage traversé par la RN 198. On établira d’abord, la liste de treize inscriptions distribuées dans l’espace public en en rappelant le contenu. La présentation suivra un ordre chronologique, de la plaque du monument aux morts posées après 1914‐1918, a une plaque relative à l’épisode paolien inaugurée en mai 2008. Puis, on interrogera ces pièces non comme des écriteaux donnant à voir un patrimoine mais comme un objet d’étude en soi dont la fonction déclarée est de donner du sens aux lieux. Les monuments aux 15 Viollier Philippe, Lazzarotti Olivier (sous la dir.), Tourisme et patrimoine, un moment du monde, Angers, Presses de l’Université d’Angers, 2007. 16 Haute-Corse développement, Diagnostic action territorial de la vallée du Golo, Récapitulatif territorial et prospectives de développement, septembre 2000. 17 Marc Simeoni consulting, Développement management international associates, Diagnostic du territoire Corte Centre Corse, Version du 21 mai 2007. 18 Bertoncini Pierre, «Patrimonialisation, déterritorialisation et conflits de mémoire, le cas de la Castagniccia», Colloque international Vivre du Patrimoine, UMR LISA, Université de Corse, Corte, janvier 2009. morts ainsi que les autres types de documents retenus motivent des études propres19sur le terrain corse. Pour cette investigation, inspirée par une étude québécoise20, le point commun qui relie les différentes inscriptions sélectionnées est spatial. On verra comment principalement en langue française et en langue corse a lieu une mise en mot du territoire de Ponte Novu. On questionnera les résonnances entre les plaques. Elles créent un intertexte où apparaît de manière omniprésente le conflit idéologique lié à la relation de l’identité collective corse aux patriotismes français et corse. On décriera comment le message exposé est souvent connoté21 par la pose des amendements que sont les graffitis bombés dont on a réuni une collection. On montrera ainsi dans quelle mesure le système composé par ces signes révèle un désir de territoire qui se décline parallèlement dans l’urbanisme et l’organisation de manifestations publiques. Il sera ainsi établi comment simultanément aux mutations de l’espace pour accueillir des touristes et de nouveaux habitants, des plaques et inscriptions publiques posées à Ponte Novu participent à la qualification du non lieu comme lieu de mémoire. Les plaques de Ponte Novu sont ainsi les témoins de l’articulation du processus de patrimonialisation et de l’aménagement du territoire à l’échelle micro‐ locale tel qu’il se décline en Corse depuis un siècle et s’est accéléré au cours de la décennie passée. 19 Par exemple : Ravis-Giordani Georges, « Les monuments aux morts de la guerre de 1914-1918 : le cas de la Corse », 134e congrès du CTHS, Bordeaux, avril 2009. 20 Dutour Juliette, « Les plaques commémoratives : entre appropriation de l’espace et histoire publique dans la ville », SocioAnthropologie, n°19, 2006, pp. 71-83. 21 Bonniol Jean-Luc, « La fabrique du passé », in Bensa Alban, Fabre Daniel, (dir.), Une Histoire à soi, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2001, pp. 169-193. Michel‐Jean LAVEAUD Politiques culturelles & dynamiques territoriales Sociologue, chercheur – praticien, chef de projet en Territoire Rhône Centre d’Intervention Culturelle Socio‐Technique Arcure Art. 17 – Les Ateliers d’Algebrista Délégation locale interrégionale des droits de l’enfant (www.dei‐france.org ) Courriel : algebrista@club‐internet.fr Un pays en Territoire Rhône : démocratie culturelle & interterritorialité Le développement des territoires, lié au développement des humains et singulièrement à celui des enfants dans leurs parcours de vie‐ « la reliance » chère à Edgar Morin – imposent l’interterritorialité. Un « Territoire de projet », le Pays Une Autre Provence (120 communes, 113000 habitants – Sud Drôme – Haut Vaucluse) se voit proposé devenir Pays d’Art et d’Histoire pour fédérer son patrimoine culturel au sein de l’espace interrégional « Territoire Rhône ». Cette intrusion novatrice illustre l’anthropologie du projet structurée par l’eau et explore la sociologie appliquée au développement local. Après le Colloque « l’intergénération en marche » à Angers en 2003, en répondant en 2004 à l’invitation de l’Institut de Recherche Fondamentale Appliquée (IRFA) de l’Université Catholique de l’Ouest d’Angers pour les Journées d’Etudes sur le thème : « Les jeunes face à la mobilité et à leur attachement territorial : apprentissage ou accompagnement ? », le Centre d’Intervention Culturelle Socio‐Technique Arcure affirmait sa posture et la mise en oeuvre de moyens (recherche‐action) « pour associer les sociétés éducatives et les communautés éducatives aux dynamiques territoriales » objet social statutaire de l’ASBL C.I.C.S.TE Arcure depuis 1989, basé en zone rurale dans le canton de Grignan dans la Drôme. Cette posture, le mixte des politiques publiques et des pratiques d’acteurs lient les savoirs formels et informels et les coopérations documentées qui irriguent les dynamiques territoriales. « Les territoires circulatoires » rythmés par la valse des obligations de résultat que les politiques publiques tentent d’imposer : l’aménagement du territoire et l’action régionale devenant l’aménagement et la compétitivité des territoires (DATAR – DIACT). Les obligations de résultat demandées passent sous silence les obligations de moyens, particulièrement des moyens humains et techniques (ingénierie culturelle, pédagogique et sociale) et singulièrement les moyens documentaires partagés au point que la question « Une cartographie participative est‐elle possible? » fait dossier en 2007 dans la Revue Territoires de l’ADELS. Ce questionnement du partage (de la publicité) des outils cartographiques, laisse dubitatif un résident permanent depuis 40 ans du Sud Drôme et du Haut‐Vaucluse, après les inondations de Vaison‐la‐Romaine et Bollène en 1992‐93 ! La géographie culturelle (Augustin Berque), la démocratie culturelle (du socialiste wallon ‐ Marcel Hicter ‐ Conseil de l’Europe, années 70) donnent quelques moyens de sortie « par le haut » des fiefs et baronnies qui occultent parfois l’horizon, en changeant d’aire. Cette posture aux prises avec les enjeux géo‐culturels (Paul Claval) permet une rechercheaction en sciences sociales et en sciences de l’éducation sur fond de politiques culturelles régionales, par notre Séminaire nomade interrégional des politiques locales de la jeunesse soutenu par le Conseil Régional Rhône‐Alpes au titre de « la formation à l’exercice de la citoyenneté ». Formation associée à la découverte économique et socioprofessionnelle, à la culture scientifique et technique alors questionnée. Avec le 2éme Séminaire national des politiques locales de la jeunesse (juin 2006‐janvier 2007), suivi des 2émes Assises nationales de la jeunesse (17 octobre 2008) au Conseil Economique et Social et Environnemental, puis des 5émes Assises nationales du Développement durable à Lyon (janvier 2009) avec l’Association des Régions de France, nous constatons que l’acteur‐réseau (cf.Bruno Latour) mérite une mise en culture pour coopérer avec « les jeunesses au travail ». Les jeunesses au travail s’entendent ici au sens où les jeunes sont au travail durant la scolarité obligatoire et durant leurs loisirs, hors emploi, ils (se) produisent, en « Reconsidérer la richesse » mettrait fin à cette fausse relégation d’inactifs. Quant aux adultes (A.J. anciens jeunes) ils portent la mémoire de leur propre jeunesse, le travail sur soi, les coopérations intergénérationnelles 2/2 constituent des ressources qui font synergie avec le tonus « jeunes » et guidance. Ces rencontres dans le processus des dynamiques territoriales requièrent l’attention du C.I.C.S.TE Arcure Art. 17 pour l’expertise d’usage des espaces transitionnels, leurs aménagements et l’élaboration d’objet‐outil‐transactionnels avec l’économie sociale et solidaire. La rechercheaction en cours s’inscrit avec les 20 ans de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, dans la Décennie de Culture de Non‐violence et de Paix de l’Unesco 2010‐2020, dans laquelle la Région Rhône‐Alpes s’est engagée. Mots‐clés : Interterritorialité, démocratie culturelle, territoires circulatoires, acteur‐réseau, Droits de l’Enfant. L’inscription d’une politique publique culturelle, entre nouvelles centralités et parcours patrimoniales : le cas de la ville de Saint‐Pierre dans une région ultrapériphérique française Olivier NARIA Docteur en géographie EA‐12 Centre de Recherches et d’Etudes en Géographie de l’Université de la Réunion (CREGUR) Université de La Réunion Ile de La Réunion (France) olivier.naria@univ‐reunion.fr Richevilles MARVILLIERS Elu délégué en charges des affaires culturelles de la ville de Saint‐Pierre [email protected]‐pierre.fr Fulbert MAILLOT Directeur de la Direction des Affaires Culturelles de la ville de Saint‐Pierre [email protected] Al RAMALINGOM Directeur du Service Ingénierie et de la prospective culturelle [email protected] Porte d’entrée et capitale administrative du Grand Sud, Saint‐Pierre est une ville balnéaire entièrement tournée vers la mer. Avec 80 000 habitants et une superficie de 10 000 ha, Saint‐Pierre jouit d’un positionnement qui lui confère de nombreux atouts et de réelles perspectives d’évolution. Ainsi, le secteur du patrimoine culturel fait l’objet depuis quelques années d’une recomposition de son offre au cœur de la cité sudiste. En effet, le renouvellement de la trame urbaine soutient la conception d’un projet culturel dont la finalité est de révéler et de valoriser les éléments de la culture et du patrimoine de la ville, de dessiner un parcours avec une offre diversifiée et cohérente pour permettre à tous d’avoir accès. Notre objectif dans cette communication est de montrer comment le patrimoine culturel se positionne au cœur du dynamisme urbain de la ville de Saint‐Pierre ? Quel a été le positionnement des acteurs locaux du secteur culturel dans le développement territorial de la ville sudiste? Dans cette perspective, nous souhaitons démontrer que l’axe culturel de la ville prend la forme d’un « parcours patrimonial » matérialisé par le jalonnement d’équipements majeurs et en réseau, situés dans un périmètre relativement réduit. Ce cheminement fait état également d’une centralité forte, à travers la constitution d’un « parc culturel » de 7000 mètres carrés dédiés aux arts et à la culture, entre le front de mer et l’hôtel de ville. Ce parc se prolonge vers l’ouest du Mail avec les Pays d’Art et d’Histoire et le pôle d’arts plastiques. L'analyse se situe également au niveau des retombées des politiques publiques culturelles et elle considère les pratiques patrimoniales comme le vecteur d'une identité à créer, contribuant à l'émergence d'un véritable projet territorial pour la ville de Saint‐Pierre. La démarche méthodologique s’appuie sur une approche qualitative. Nous avons privilégié un guide d’entretien de type semi‐directif, dont l’objectif était d’examiner les actions et les représentations des différents acteurs sur la construction culturelle des territoires patrimoniaux de la ville (décideurs des Pays d’Art et d’Histoire, du Programme de Renouvellement Urbain, du Contrat Urbain de Cohésion Sociale, de la ZAC…). Mots clés : Patrimoine, centralités, parcours, identité, Saint‐Pierre. PATRIMOINE TOURISTIQUE DE L’ADAMAOUA AU NORD‐CAMEROUN Un important levier de développement en friche Bienvenu Denis NIZÉSÉTÉ Doctorat en Préhistoire & Anthropologie de l’Université de Paris I (Panthéon‐Sorbonne) DHERS Tourisme/IREST‐ Université de Paris I Enseignant ‐ Chercheur au Département d’Histoire ‐ Université de Ngaoundéré/Cameroun Adresse mail : [email protected] & Joseph Pierre NDAMÉ Doctorat en Géographie de l’Université de Paris IV (Paris‐Sorbonne) Enseignant – Chercheur Département de Géographie /Université de Ngaoundéré‐Cameroun Adresse électronique : [email protected] Résumé – La région de l’Adamaoua au nord Cameroun dispose des ressources culturelles et naturelles d’une grande diversité, dont l’exploitation et la mise en valeur sont susceptibles de soutenir efficacement son développement à travers des activités touristiques, muséologique et scientifiques. Les villes et villages de l’Adamaoua sont typiques et témoignent d’un riche passé artistique et culturel meublé de palais des lamibé, des mosquées, des églises, des temples. L’année agricole est rythmée de fêtes et de danses invitant à la rencontre et à la découverte. Sites archéologiques et musées locaux sont connus. Aires protégées, ranches, monts et montagnes, rochers et pics, cavernes et abris sous roches, rivières, lacs et chutes, grandes plantations industrielles, modestes champs de cultures vivrières, flore et faune hétérogènes, sont disponibles et autoriseraient la pratique de différentes formes de tourisme : culturel, de nature, de montagne, rural, urbain, écotourisme. Malheureusement, cette richesse est méconnue, mal connue, sous estimée et sous‐exploitée. Un si important levier de développement reste « à la touche ». Ici se pratique encore un « tourisme de cueillette », sorte de tourisme primitif sans aucun impact sur le développement régional. Pourtant, l’activité touristique constitue un gisement d’emplois et un outil de lutte contre la pauvreté au regard des réalités observées dans certains pays africains à l’instar du Kenya, du Sénégal, de la Tunisie, du Maroc, de l’Égypte, où elle est devenue un secteur économique majeur, se plaçant même au cœur du processus de création des richesses, et partant des emplois. Dans l’Adamaoua, maints obstacles plombent encore la conversion des atouts naturels et culturels existant en patrimoine touristique : crise des infrastructures touristiques adaptées, absence d’une culture touristique locale et nationale, obsolescence des réceptifs dans des sites et campements en fonctionnement, manque de professionnalisme des employés des établissements du tourisme, non viabilisation de plusieurs sites touristiques et insécurité liée aux phénomènes de « coupeurs de route », ces bandits de grand chemin, déficit de l’image du Cameroun dans de grands bassins émetteurs. Cette situation n’est cependant pas une fatalité. L’Adamaoua bénéficie de la beauté de ses paysages, du pittoresque de son site, de son climat hospitalier, de l’originalité de sa culture enracinée dans une histoire séculaire, du sens aigu de l’accueil de sa population multiethnique. Ces quelques atouts, constituent manifestement une invitation au voyage. Il reste à les valoriser pour créer de la valeur, c’est‐à‐dire des richesses, à travers la confection des « bouquets culturels » greffés sur des circuits à caractère palatial, religieux, éducatif ou muséologique, lesquels traverseront des paysages sylvestres et domestiques. La présente communication se propose ainsi au regard des ressources naturelles et culturelles inventoriées dans l’Adamaoua, et de l’étude de marché effectuée en la matière, de présenter les atouts touristiques de la région, de relever les obstacles qui entravent la viabilisation de son secteur touristique, d’évaluer l’apport potentiel de ce secteur économique au développement, surtout en cas de valorisation du patrimoine culturel et naturel de ce territoire camerounais, étalé entre trois écosystèmes, et désireux d’un développement harmonieux et maîtrisé. Mots‐clés : Adamaoua – Patrimoine touristique – Obstacles – Valorisation – Développement. PAES Maria Tereza Duarte Géographie Professeur Docteur Stage Post‐Doctoral à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour IRSAM, 2007. Département de Géographie Universidade Estadual Paulista – UNICAMP Campinas, São Paulo, Brèsil. E‐mail: [email protected] La refonctionnalisation touristique des centres historiques au Brèsil – dimensions spatiales, épistémologiques et politiques MOTS CLÉS: centres historiques, patrimoine culturel, tourisme, identité territoriel, refonctionnalisation,. Le patrimoine culturel est résultat d’une décision politique de l’Etat, mais aussi résonance auprès d’une population, d’un public . Il rématérialise la notion de culture qui a été exprimée, au XXe siècle, par le biais de notions plus abstraites comme la structure sociale, le système symbolique ‐ les objets, les biens et leur spatialité sont la substance de notre univers social et symbolique, producteur de culture. Alors, le patrimoine culturel met en évidence les passages, les voies d’accès entre la raison pratique et la raison symbolique. Les lieux de mémoire – institutionnalisés par l’Etat, ou produits par l’action sociale d’appartenance de groupes culturels – sont distingués par leur dimensions spatiales, élaborées par des normes, images et trames narratives (iconographies); par une dimension épistémologique, le matériel et l’immatériel; et par une dimension politique – les identités choisies dans la planification de l’espace public.Alors que les biens patrimoniaux relèvent de la culture, l’usage du sol, le zonage, les conflits d’appropriation se font au moyen de la planification territoriale et des stratégies spatiales de marché. Ainsi, on doit comprendre le pouvoir symbolique de ces biens, et des stratégies politiques mises en oeuvre par le marché et la planification en prenant le patrimoine culturel comme une production idéologique de l’espace, dans le renforcement de l’image‐marchandise, stratégie courante dans les projets de refonctionnalisation de centres historiques. Dans le monde entier on observe un enthousiasme pour la récupération de centres historiques urbains, beaucoup d’entre eux abandonnés à leur propre sort pendant des décennies de décentralisation, et, actuellement, réincorporés à l’économie politique des villes et aux logiques de l’économie mondiale, leur singularités locales attirant l’attention en tant que nouvelle marchandise appelée patrimoine culturel. Ce processus avait déjà commencé dans les centres urbains américains et européens entre les années 1960 et 1970, et ils ont été bien étudiés par certains spécialistes de sciences sociales qui s’inquiétaient déjà de l’élitisation des ces endroits. Beaucoup de concepts ont été élaborés pour rendre compte de ce processus qui se présentait comme un changement formel, fonctionnel et symbolique dans la production de l’espace; parmi eux, les termes revitalisation, élitisation, gentrification, requalification et réhabilitation. Nous avons adopté la notion plus générale de refonctionnalisation, pour souligner que, tant d’un point de vue théorique, que d’un point de vue opérationnel, ce processus est présent dans toutes les formes d’interventions urbaines déjà mentionnées. Cette nouvelle logique socio‐spatiale de production de l’espace urbain est fétichisée par les esthétiques, les discours, les intérêts et les préférences de consommation. Comme l’affirmait Hamnett (1991) à propos de la gentrification, ce processus touche à de nombreuses questions polémiques et s’insère dans un champ de débats théoriques des plus fertiles en Géographie Humaine, car il met en évidence des « oppositions entre structure et action, production et consommation, capital et culture, offre et demande ». Mais la grande majorité des recherches fait référence à des pays du centre, où les problèmes de concentration de richesse et d’urbanité ne sont pas si graves comme dans les pays d’Amérique Latine, d’Asie ou d’Afrique, où des processus similaires sont devenus importants à partir des années 1990. Dans les pays de l’Amérique Latine, par exemple, ce processus se présente plus comme une récupération du centre pour des activités culturelles, de visite, de loisir et de tourisme, que comme un retour des classes moyennes et des élites à des fins résidentielles. Alors, comment distinguer de tels processus entre les pays anglo‐saxons et nord‐américains, déjà très étudiés, et les pays émergents et pauvres qui les ont adoptés plus récemment avec une vitesse d’implantation et une expansion qui échappe à notre compréhension? Au Brèsil ce processus arrive déjà établi comme un produit international, différent de la simple réhabilitation de logements comme cela a eu lieu dans les pays du centre. Même en acceptant qu’il ne s’agit pas d’analyser des processus identiques de gentrification, on trouve, dans de nombreuses interventions de réhabilitation de centres historiques brésiliens, les mêmes éléments qui identifient cette nouvelle forme d’urbanisation et ses conflits de pouvoir, d’intérêts et de disputes dans le domaine matériel et symbolique. Cette réflexion sur la refonctionalisation de centres historiques révèle des conflits qui intéressent la Géographie, tant du point de vue des ajustements qu’il impose dans la planification et dans la gestion du territoire, que de celui de son appropriation en tant que bien symbolique. HERITAGE INDUSTRIEL ET TERRITOIRE. Le cas de l’Ecomusée du Roannais Jacques POISAT, Maître de conférences en sciences économiques Institut des Etudes Régionales et des Patrimoines Université Jean Monnet, Saint‐Etienne (IUT, 20 avenue de Paris 42334 ROANNE) . Jacques.Poisat@univ‐ st‐etienne.fr. Situé à l'extrême Nord‐Ouest de la Région Rhône‐Alpes, au contact de l'Auvergne et de la Bourgogne, le Roannais constitue une zone d'industrialisation rurale située à l'écart des métropoles et des grands axes actuels de communication. Le patrimoine industriel textile apparaît en quelque sorte comme "l'inventeur" d'un territoire roannais pertinent, qui comprend l'arrondissement de Roanne et les cantons rhodaniens de Thizy et d'Amplepuis. Dans les faits, l’héritage industriel pèse sur la gestion contemporaine de ce territoire par les milieux politiques et économiques, y compris sur le plan symbolique, par l’utilisation du patrimoine industriel comme ressource, tant pour légitimer la définition‐délimitation d’un pays roannais pertinent que comme levier du développement économique. En particulier, le patrimoine industriel roannais a été fortement mobilisé par les élus et la société civile, par le biais notamment d’un artefact emblématique, l’Ecomusée, qui est aujourd’hui en phase de transformation radicale. Créé en 1981 par une douzaine de sociétés d’histoire locale, pour sauvegarder les traces matérielles regardées comme constitutives de l’identité roannaise, l’Ecomusée du Roannais se définit d’emblée comme un musée vivant de territoire. Mais cette structure patrimoniale s’est profondément transformée au cours du temps, a connu maintes vicissitudes …et sa survie est en jeu aujourd’hui. Heureusement une réflexion est en cours, au sein du Conseil local de développement du Roannais, dans le cadre de la préparation du futur contrat de développement durable avec la Région Rhône‐Alpes (ex contrat de Pays), pour intégrer l’Ecomusée dans un réseau des musées du Pays roannais. Historiquement, l’Ecomusée a été constamment tiraillé entre des logiques de recherche identitaire, de valorisation touristique et de développement local. Trois types d’évolutions, fortement enchevêtrées, apparaissent clairement : ‐d’abord, évolution des objectifs et des enjeux : enjeux identitaires, culturels (conservation, valorisation…), économiques ( tourisme, promotion commerciale, création, formation…), politiques, de communication… ‐ également, évolution des formes du projet : musée de territoire (de 1981 à 1994), musée de la filière textile‐habillement ( Espace Textile Roannais, de 1995 à 1999), espace de culture scientifique et technique ( projet Textilium, abandonné au lendemain des avant dernières élections municipales), section textile du musée plurithématique de la Ville de Roanne (projet abandonné au lendemain des élections municipales de 2008), puis élément structurant d’un réseau des musées Roannais (projet actuel) ; ‐ surtout, évolution des modes de gouvernance des projets successifs, de la coopération entre les acteurs associatifs, politiques, administratifs, économiques et culturels impliqués. La communication s’attachera surtout à analyser cette dernière évolution, en montrant : d’une part, comment les collectivités locales et les structures intercommunales du Roannais ont inscrit les formes successives du projet dans l’évolution de leurs politiques culturelles et économiques ; d’autre part, comment se sont nouées ( dénouées et renouées), au fil des ans, les relations entre les responsables associatifs, les élus, les représentants des milieux économiques ( entreprises, organisations consulaires et professionnelles, syndicats). MOTS‐CLES : Patrimoine‐ressource, gouvernance, développement territorial, écomusée, Roannais. Hervé TERRAL Sociologue, professeur (Toulouse II), Laboratoire LISST umr 51‐93 Utm/Cnrs/ehess Mots‐clés : cathare, cocagne, occitan, mythe, pays. Le Pays de Cocagne : entre mythe et histoire, un territoire ouvert sur le monde ? Parlant des mâts de cocagne, Dominique Fernandez écrit dans son Porporino ou les Mystères de Naples : « Les cocagnes représentent toujours un sujet historique ou mythologique » (p. 312) – selon le Dictionnaire culturel en langue française dirigé par Alain Rey (2005, p. 1617) qui ne manque pas de souligner l’origine obscure (latine ? germanique ?) d’un mot pourtant très usité, évoquant tour à tour le gâteau, la douceur, le pastel, la vie facile (« Cocagne ! »), le bonheur enfin... ou la « limite du bonheur » (comme disait Saint‐Just). Cette double inscription dans le mythe et dans l’histoire est particulièrement bienvenue pour une des acceptions contemporaines du terme, très administrative : le Pays de Cocagne, comprenant grosso modo sur l’ancien l’ancien territoire de diocèse de Lavaur (et l’arrondissement lui succédant un temps), un regroupement de six communautés de communes, axé sur l’Agoût (affluent du Tarn) et se déployant de l’orbe toulousain (la bastide de Saint Sulpice‐La Pointe, devenue cité‐dortoir, est à 17 km seulement de la métropole régionale) aux confins de l’austère Montagne Noire. Concluant un colloque tenu à Puylaurens (5‐6 mars 2005) sur ledit pays, le géographe Georges Bertrand (professeur émérite à l’université Toulouse‐Le Mirail) ne manquait pas de souligner que « ses contours doivent plus à la politique qu’à l’économie ou à la société » (dans un département où « Roses » et « Bleus » sont en tension permanente pour sa direction) et de pointer ses « handicaps » : enclavement routier, absence d’une ville moyenne tenant lieu de « pôle central fort », développement essentiellement agricole affecté par le réchauffement climatique et une faiblesse certaine en réserves d’eau… A contrario, on peut célébrer avec Jacques Esparbié, président du Pays, « sa joie de vivre, son efficacité (qui) s’arcboutent sur une longue et vieille patience (…), une modernité qui chez nous a commencé de bonne heure (cf. Paul Riquet), une modernité à mesure humaine qui n’excède pas les bornes de la bienséance » ‐ et permet d’affirmer : « La réalité a survécu au mythe. Le Pays de Cocagne existe. Nous l’avons rencontré.» (éditorial de la brochure ad hoc éditée par le Comité départemental du tourisme, 2009). Ainsi conçu, le Pays de Cocagne entend construire son existence – et vendre son image touristique à l’échelle européenne – en revisitant son passé historique et en magnifiant sa référence « archétypale » autour de la florissante culture du pastel (i. e. cocagne) au XVIème siècle. Dans cette perspective, plusieurs manifestations culturelles et patrimoniales, certaines déjà anciennes, peuvent être relevées, centrées sur : ‐ les « hérésies » religieuses (du « catharisme » des Bons Hommes au protestantisme calviniste) et l’esprit de rébellion (Puylaurens s’affiche avec force comme le « berceau de la Marianne républicaine » en 1792). Le terme « occitan » est alors fortement revendiqué – au point que le député‐maire de Lavaur (UMP) propose début 2009 de rebaptiser la région Midi‐Pyrénées toute entière : région Occitanie ! ‐ l’âge d’or du pastel, garant d’une richesse passée (à retrouver) et témoignage d’une harmonie encore présente dans les paysages et le patrimoine de l’architecture rurale (cf. les pigeonniers), voire la gastronomie (les produits d’un terroir authentique). ‐ le débat public, ancré dans le communalisme de la France méridionale et l’esprit de convivencia : on note ainsi la création, depuis quatre ans, de « pastorales » contemporaines, adaptation des traditionnelles pastorales béarnaises ou provençales au niveau d’une communauté de communes, censées faire émerger les joies et souffrances des habitants dans une sorte de catharsis. Le Pays de Cocagne essaie ainsi de s’inventer, entre mythe et histoire, entre traditions déchirées et données d’un présent hétérogène (ici aussi mondialisé, ne fut‐ce que dans ses populations !), une identité fragile – non sans concurrences au demeurant (il n’a ainsi le monopôle ni du catharisme ni du pastel, très largement européens). Pour ce faire, il fait appel aussi bien à des « savants » (universitaires, érudits locaux) et des politiques (député français ou européen, maires) qu’à des acteurs (aux divers sens du terme) tout à fait ordinaires et d’autant plus motivés. Koutammakou, entre enjeux identitaires et désirs de développement Komi N’kégbé F TUBLU. Gestion de Patrimoine Culturel (titulaire d’un DESS en Gestion de patrimoine culturel) Conservateur du Musée National du Togo [email protected] En 2004, le premier site togolais a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial, comme paysage culturel sous le nom « Koutammakou, le pays des Batammariba ». Composé d’éléments matériels et immatériels, ce paysage culturel de 500 km2 abritant 30 000 âmes est un exemple particulier de réunion d’environnement naturel et bâti où vivent des populations dont la survie tient en partie de la conservation. Aménagement qui obéit à des règles permettant à chacun de vivre en indépendance mais aussi en interdépendance avec les autres et la nature, le Koutammakou exprime le rapport que les Batammariba (populations habitant le site) entretiennent avec leur cadre de vie. Cette inscription constitue une occasion pour sa valorisation à travers une exploitation touristique mais aussi une opportunité pour les populations locales du site d’initier des activités génératrices de revenus pour elles afin de lutter contre la pauvreté. En effet, pour ces populations, la conservation de ce site répond d’abord à des impératifs identitaires car depuis cette inscription, le Batammariba manifeste une ambition à une certaine patrimonialité mondiale du fait de la reconnaissance mondiale de son terroir. Désormais, pour le Batammariba, son terroir est à la fois sien et mondial, traduisant la notion d’identité que les Batammariba établissent entre la reconnaissance du caractère universel de leur patrimoine et eux‐mêmes. Cette situation renforce le désir des populations locales à conserver ce patrimoine qui fait leur fierté et leur identité. Face à ce légitime désir de conservation identitaire se développe depuis quelques années une économie qui implique les opérateurs touristiques, les populations locales, les artisans du Togo et aussi du Bénin voisin étant donné que ce site est transfrontalier aux deux pays. Cette nouvelle économie traduit les désirs de développement local de ces populations. Quelles sont les spécificités de ce site qui donne cette fierté aux populations locales? Qu’est‐ce qui caractérise la mentalité qui s’y développe entre territoire, mémoire et identité? Quelles idées ces acteurs locaux du patrimoine ont‐ils du développement de leur terroir ? Telles sont les interrogations auxquelles nous essayerons de répondre dans cette communication Mots clé : patrimoine mondial, conservation, identité, valorisation économique, développement local L’imagerie de l’Architecture contemporaine, Un patrimoine globalisé ? Cécile RENARD Architecte D.P.L.G. Doctorante en Géographie – Université Paris1‐Sorbonne Sous la direction de Maria Gravari ‐ Barbas Membre du Laboratoire E.I.R.E.S.T. (Equipe Interdisciplinaire de REcherche Sur le Tourisme) [email protected] Mots clefs: Patrimoine architectural, Globalisation, Architecture Iconique, Identité, Standardisation Si la société de Guy Debord en 1967 était celle « du spectacle », notre société contemporaine depuis la prolifération d’outils numériques et la multiplication des supports visuels est sans conteste celle de l’image. A la fois grâce (a) aux progrès des techniques de représentation et de communication mais aussi par (b) une production de bâtiments dits «iconiques», fortement médiatisés, l’Architecture des vingt dernières années s’est inscrite dans cette dimension communicationnelle dominée par l’image. L’image est intrinsèque à la production architecturale, présente dans le processus de création, notamment chez Jean Nouvel, et dans les ouvrages théoriques, comme chez Rem Koolhaas. De l’image de synthèse hyperréaliste au photomontage diagrammatique, on ne diffuse plus seulement la représentation photographique d’une construction réalisée mais aussi des idées et des embryons de projets de ce que l’on nomme souvent des «concepts»22, parfois noyés par un graphisme aseptisé dont le caractère interchangeable embarrasse ou dérange. L’Architecture ainsi dématérialisée doit affronter de nombreuses critiques quant à sa supposée dégénérescence en « un jeu de formes exagérées d'images fictives générées par ordinateur, tandis que les concepteurs et leurs clients se font remarquer avec des bâtiments qu'ils déclarent "iconiques" »23. La relation entre iconicité et Architecture contemporaine a particulièrement évolué depuis la fin du XXème siècle. Permettant aux territoires en quête d’attractivité et d’identité de se singulariser24, l’Architecture s’est clairement inscrite ces vingt dernières années dans une tendance globalisante. L’Opéra de Sydney25 de 1973 marque sans doute l’entrée de l’Architecture dans une économie compétitive qui utilise les codes du capitalisme libéral : promotion, communication, maîtrise d’une image volontairement orientée et diffusée. A partir de là, il semble que l’Architecture contemporaine ait développé un vocabulaire visuel communicant. Les photographies de bâtiments iconiques (souvent détournées par les médias qui mettent en exergue les surnoms dont ces architectures sont parfois affublées), les reportages témoignant de la production architecturale spectaculaire et très rapide des Emirats Arabes Unis ou bien les images des projets de grands concours internationaux, largement 22 « Enfin le fond de la honte fut atteint quand l’informatique, le marketing, le design, la publicité, tous les disciplines de la communication, s’emparèrent du mot concept lui-même, et dirent : c’est notre affaire, c’est nous les créatifs, nous sommes les concepteurs ! » in DELEUZE, Gilles et Félix GUATTARI, (1991), Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit. 23 CURTIS, William, (2008), « Les excès du star system : le Projet Triangle de Herzog & de Meuron » in Le Moniteur-expert.com, (11 Décembre 2008), from http://www.lemoniteur.fr/depeches/print.asp?id=D90FDCF51 (consulté en Février 2009). 24 GRAVARI-BARBAS, Maria, (2007), «Mondialisation et politiques de singularisation urbaine : Instrumentalisation de l’architecture médiatique et positionnement touristique, Pré-actes du colloque, Acte à paraître en 2009 », Tourismes et territoires Mâcon, 6e Rencontres de. Mâcon: 13 et 14 septembre 2007. 25 Voir le projet de l’équipe de Roland Castro pour le Grand Pari(s) où l’image de l’Opéra de Sydney est « collée » sur le port de Gennevilliers pour exprimer le projet d’installation d’une salle de concert. diffusés dans la presse généraliste, sont autant d’interpellations qui fabriquent une imagerie de l’Architecture contemporaine, au sens d’un ensemble d’images la représentant. Cette communication prend donc comme postulat la fabrication d’une série de représentations de la production architecturale contemporaine qui imprègnent les inconscients et les imaginaires collectifs. A la fois la presse généraliste, Internet, mais aussi de grandes expositions spécialisées concourent à fabriquer la vision d’une architecture globalisée. Les bâtiments paraissent standardisés, les formes se ressemblent parfois26 exprimant la déterritorialisation de l’Architecture, ce qui nous pousse à nous interroger sur l’impact de cette « imagerie ». Construit‐elle une identité globalisée de lieux ? Peut‐on parler d’une migration du terme de « patrimoine » qui définirait alors un ensemble des références partagées, construites par la diffusion d’une production décontextualisée. L’Architecture contemporaine dite iconique pourrait‐elle « appartenir » à une entité mondiale, c'est‐à‐dire : que le monde entier pourrait légitimement revendiquer comme étant son patrimoine culturel? L’un des enjeux principal de ce travail résidera dans l’interrogation autour de l’appartenance de l’imagerie de l’Architecture contemporaine à un patrimoine globalisé. En premier lieu, la préparation de ce travail se concentrera sur le vocabulaire employé, analysant les champs lexicaux de « l’image » et l’ « icône » et le terme d’« imagerie » sera explicité. Dans un second temps, la relation entre «globalisation » et « patrimoine culturel» sera étudiée, au‐delà de son implication dans le champ architectural. Enfin, la problématique sera affinée. 26Une littérature scientifique fait état de cette Architecture globalisée. Plus vulgarisé, voir dernièrement l’interview de Saskia SASSEN in Le Monde du 21 avril 2009. Sandra GUINAND, assistante‐doctorante, Observatoire de la ville et du développement durable, Institut de géographie de l’Université de Lausanne Collaboratrice (urbaniste), ABA & Partenaires, Bureau d’architecture et d’urbanisme Lausanne [email protected] Mots clés : Régénération urbaine, Porto, patrimoine, projet, valeurs Inscrire de la valeur dans les formes : le patrimoine dans les projets de régénération urbaine L'internationalisation de l'économie et la concurrence toujours plus accrue entre territoires poussent les différents acteurs à trouver des stratégies innovantes de démarcage urbain. Beaucoup d’entre eux, notamment en Europe, recherchent, comme l’écrit Alain Bourdin à « créer de la valeur et à l’inscrire dans les formes » (Bourdin, 1984 :18) afin de composer avec le rythme effréné de la société de consommation. Dans le cadre des projets de régénération, certains s’orientent vers la référence patrimoniale jouant ainsi sur le registre marketing de l’image et de l’identité. Bien que ce phénomène soit plus largement diffusé à l’échelle des grandes métropoles, ce type de projets concernent également de plus en plus les territoires à échelle plus modeste. De même, si la « recette patrimoniale » semble évidente dans certains projets, car la référence historique, d’ancienneté ou esthétique (Aloïs Riegel, 1964) est clairement identifiable, elle peut recouvrir des objets moins évidents dans d'autres cas. C’est l'exemple, notamment, de certains projets de renouvellement de quartiers ouvriers en France (Roubaix, Bordeaux, etc.) (Marc Bonneville, 2004 :13). Enfin, l’interaction des différentes « valeurs » données au patrimoine, portées par les différents acteurs de la ville, peut non seulement être révélatrice de nouvelles façons de voir et de pratiquer la ville mais peut également engendrer des rejets se situant au niveau même du processus de patrimonialisation et des effets qu’il produit (tourisme de masse, gentrification, dénaturation, etc). Ces différents projets de régénération mettant l’accent sur la dimension patrimoniale amènent à nous poser la question de leur appropriation, celle de la dichotomie entre espace vécu et espace « projeté ». Quelles sont les raisons qui poussent à leur validation ou à leur rejet ? Quels sont les enjeux autour de cette validation ? Et qui en sont les acteurs ? En partant de l'exemple de la ville de Porto27, et plus précisément du projet de requalification du périmètre de Fronte Ribeirinha, nous proposons, à travers une série de questionnements sur les valeurs données au patrimoine sur ce site, d’analyser et de comprendre les modes d'articulation de cet espace aux différentes échelles du territoire. Il s’agit ainsi, à partir de ce cas d’étude, de poser un éclairage sur les raisons et mécanismes qui mènent à une articulation et une prise en compte réussie ou non des différentes échelles dans ce type de projets d’urbanisme. 27 Depuis maintenant vingt ans, l’intérêt pour la « chose » patrimoniale constitue un élément important des politiques d’aménagement et de régénération de cette ville. Le processus d’Artification dans le cas des peintures murales de la Sardaigne Francesca COZZOLINO Doctorante en sociologie de l’art de l’équipe Anthropologie de l’écriture IIAC‐EHESS ( École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris) Tel : 0033 6 33 83 56 91 Email : [email protected] Mots clefs : peinture murale, patrimonialisation, tourisme, identité culturelle, militantisme Cette communication se propose d’interroger la notion de patrimoine à partir d’un cas tout à fait exceptionnel de peinture murale. Il s’agit des « murales » de la Sardaigne, un phénomène qui s’est développé à partir des années soixante‐dix jusqu’à nos jours en Sardaigne (Italie). Cette pratique trouve un développement important à Orgosolo, un village de montagne dans le nord de l’île. Ici, ces peintures vivent de l’héritage d’un fort militantisme de contestation qui avait animé le village au cours des années 1968 et 1970, durant lesquelles l’activisme de certains habitants donne naissance au « Circolo Giovanile d’Orgosolo». C’est dans les locaux de son siège que seront produites toutes les affiches de contestation et de revendication qui décoreront les murs du village pendant des années et qui seront ensuite traduites en peintures murales. Il s’agissait aussi de reproduire des événements de la vie quotidienne locale, mais les thèmes vont ensuite bien au‐delà. Aujourd’hui le village compte près de 300 peintures murales qui s’inspirent presque toutes de thématiques politiques et qui sont devenues un important attrait pour le tourisme28 national et international. C’est sur ce terrain que se base notre analyse visant à questionner l’émergence et le développement du processus d’artification29 dans ce cas spécifique. Avec le terme “Artification”, nous parlons de ce processus qui intervient dans le passage du non art en art. Ce processus prend forme en passant tout d’abord par une institutionnalisation et une patrimonialisation de l’objet susceptible d’être ensuite désigné comme patrimoine artistique. Nous nous proposons d’explorer d’emblée les aspects dynamiques du passage à l’art, ou plutôt de son émergence et de sa construction. À travers cette communication, construite à partir des données recueillies au cours d’un travail ethnologique de terrain, nous analyserons les dynamiques de ce processus et les conséquences que l’entrée de ces fresques dans le domaine du « patrimoine culturel » apportent à la notion même de patrimoine artistique. Plus précisément, avec notre présentation, nous illustrerons les éléments qui ont menés à l’artification de ces peintures : les raisons pour lesquelles les peintures murales, au moment de leur réalisation, n’étaient pas considérées comme des œuvres d’art et quel statut leur était attribué 28 Cfr : Gino SATTA, Turisti a Orgosolo, Liguori, Napoli, 2001. 29 Cfr. Roberta SHAPIRO, « Qu´est-ce que l´artification ? », communication au XVII° congrès de l´Association internationale des sociologues de langue française, Tours, juillet, 2004 Roberta SHAPIRO, « Art et changement social, l'artification », in Pierre Le Quéau, Vingt ans de sociologie de l'art : Bilan et perspectives, t.II, Paris, L'Harmattan, 2007, pp. 129-136. Roberta SHAPIRO, « Que é artificação ? », Sociedade e Estado, Volume 22, avril, n° 1, 2007 - - au moment de leur naissance ; de quelle façon le processus d’artification est entré en jeu et a changé leur statut, de quelle façon l’artification de ces fresques est donné également par la construction d’un faux historique : la conviction de l’existence et l’individuation d’une pratique de la peinture murale « sarde » et spécifique d’une précise identité culturelle, au sein de quels acteurs ce processus se réalise‐t‐il ? A partir de là nous nous proposons de répondre aux interrogations suivantes : − d'où vient cette revendication patrimoniale ? − quels enjeux sociaux, économiques et artistiques cela engage‐t‐il ? − quelle définition de patrimoine est issue de ce phénomène ? − comment la patrimonialisation de ces fresques a contribué à transformer le village d’Orgosolo en nouvel espace attractif pour le tourisme aussi bien national qu’international. Françoise CLAVAIROLLE Anthropologie sociale et culturelle Maître de conférences en anthropologie Université François Rabelais ‐ Tours francoise.clavairolle@univ‐tours.fr La destruction d’un « haut lieu de mémoire » : enjeux territoriaux et stratégies identitaires Depuis près de 30 ans, l’ethnologie de la France s’emploie notamment à explorer la notion de patrimoine et à éclairer les processus de patrimonialisation. En les reliant aux questions de l’héritage et de la transmission, de l’intelligibilité du passé et de la mémoire, de la production des identités et de la construction des territoires, de la relation entre experts et usagers, en démêlant l’écheveau des enjeux symboliques, économiques et de pouvoir qui leur sont attachés, elle a mis en évidence la forêt de significations qui se cache derrière cette notion et a approfondi les ressorts complexes du processus de construction patrimoniale par lequel la société réinvestit un objet matériel ou immatériel et lui attribue un statut particulier qui lui confère une forme d’inviolabilité, apportant ainsi sa contribution à la constitution de ce que L. Vadelorge a appelé une « patrimoniologie », autrement dit un discours scientifique autonome sur l’objet « patrimoine » ( 2003). Une direction de recherche récemment ouverte consiste à interroger les « émotions patrimoniales », dans lesquelles D. Fabre voit des mouvements improvisés et aigus qui surviennent spontanément, dans des circonstances particulières comme la destruction brutale d’un bien culturel ou sa découverte inopinée. Si on admet que pour qu’un bien soit patrimonialisé, il faut généralement qu’un événement déclencheur vienne remettre en cause son usage antérieur et/ou sa conservation, on voit immédiatement l’intérêt qu’il y a à appréhender les rhétoriques de la patrimonialisation par le prisme de situations de crise, propices à la manifestation d’émotions collectives. Mon intervention s’inscrira par ailleurs dans une approche pragmatique attentive non pas au traitement des objets patrimoniaux « en soi », mais « en situation » (Tornatore 2004). Aussi s’adosse‐t‐elle à une étude de cas offrant à l’analyse les multiples facettes d’une construction patrimoniale. Un matin de juillet 2007, la Picharlerie, un mas isolé de la Vallée française (Lozère), est rasée sur ordre du préfet du département et à la demande de son propriétaire qui voulait en chasser un groupe de squatters occupant les lieux depuis cinq ans. Au‐delà des réactions suscitées par la radicalité de l’acte, la destruction de la Picharlerie déclenche en Cévennes un vif émoi et une profonde incompréhension : le lieu est en effet un symbole de la résistance au nazisme pendant la 2° guerre mondiale – il a abrité un maquis‐école ainsi qu’un important groupe de maquisards –, ce qui lui vaut d’être qualifié de « haut lieu de mémoire » et désigné comme un élément majeur du patrimoine non seulement local mais également national. L’unanimité de sa reconnaissance patrimoniale retient l’attention : elle est le fait non seulement de la population autochtone mais également des squatters eux‐mêmes, appartenant à la mouvance anarcho‐libertaire, et de leurs nombreux soutiens. Sur la base d’une enquête ethnologique menée « à chaud », au cours des semaines et des mois qui ont suivi l’événement, je questionnerai la manière dont s’est forgé ce discours patrimonial, ce qu’il dévoile des rapports sociaux à l’œuvre. Quelles représentations du lieu et de l’Histoire se font tous ceux qui ont donné de la voix dans le concert de protestations qui a suivi sa destruction ? De quelles significations le lestent‐ils ? Que dévoilent les controverses qui se font jour au fur et à mesure du « refroidissement » de l’émotion initiale ? Quels enjeux de légitimité et de reconnaissance se dissimulent derrière une mobilisation patrimoniale dans un premier temps très consensuelle mais qui s’est progressivement transformée en une arène au sein de laquelle se sont confrontées et affrontées des conceptions distinctes, si ce n’est divergentes, de l’Histoire, du territoire, de la transmission et de l’identité ? Mots clés : patrimonialisation, histoire, territoire, identité, reconnaissance La créativité comme jeu d’anticipations réciproques : les « Médiévales de Crèvecoeur ». Armelle PARIS, enquêtrice de terrain Emmanuel PARIS, Sciences de l’Information et de la Communication, maître de conférences, Université Paris 13, laboratoire LABSIC Mel : [email protected]‐paris13.fr Mots clé : patrimoine, théâtralisation, innovation, performance, ethnographie. L’économie des « industries créatives » marquerait une profonde évolution des rapports de force dans le processus de création culturelle : les usagers seraient reconnus comme inventifs, les laboratoires de R & D, débordés par ces innovateurs plus efficaces (Von Hippel, 2006) ; les équipements culturels, non plus jaugés en fonction de la qualité des œuvres publicisées mais de leur capacité à agréger des communautés dont l’expressivité génèrent des échanges commerciaux (Florida, 2002). Dans ce texte, nous voudrions montrer que l’efficacité créative, en tant que valeur cardinale du développement culturel des territoires, ne peut être analysée comme immanente, conquête de l’imaginaire collectif par quelques populations issues des classes sociales supérieures, remarquablement inspirées, détentrices d’un bon goût, d’une intelligence du long terme, qui s’imposent à tous grâce à des réseaux de sociabilité ad hoc. Elle continue, bien au contraire, à résulter d’un jeu incessant d’anticipations réciproques dès sa genèse, d’une négociation au long cours par un nombre indéfini de personnes aux référents esthétiques variés, occupant des positions sociales hétérogènes, agissant dans des filières de production différentes, ayant des visions distinctes de ce qui est utile et nécessaire, notamment à propos des attentes du public d’une animation de site patrimonial. Nous présentons dans cet esprit les résultats d’une ethnographie des relations entre des passionnés d’histoire vivante médiévale (hvm), un mécène : la « Fondation Schlumberger », et un territoire : le « Pays d’Auge », à l’occasion des « Médiévales de Crèvecoeur », animation annuelle du château de Crèvecoeur‐en‐Auge, dans le Calvados. Cette manifestation est conçue et présentée par ses protagonistes comme un laboratoire pour créer de nouvelles formes de médiations culturelles et artistiques. Reprenant les cadres théoriques initiés par l’historien de l’art Michael Baxandall (Baxandall, 1985), nous montrons que la conception et la réalisation de cette animation de site patrimonial par des acteurs amateurs en costumes d’époques ne peuvent être examinées séparément des politiques mises respectivement en œuvre par la Fondation et le Pays d’Auge pour garantir leur développement. Le dispositif mis en place pour préparer cette manifestation, misant sur les nouveaux contextes de coopération et d’échanges immatériels rendus possibles par les NTIC, n’est pas seulement pensé pour solutionner les problèmes rencontrés en interne (éloignement géographique des troupes ; volonté de produire « horizontalement » un événement, avec le maximum de contributeurs) : il correspond aussi à la programmation d’« innovations ascendantes » (Cardon, 2006) prônée par la collectivité territoriale pour fixer les populations jeunes migrant vers la métropole caennaise et ses infrastructures créatives (Pays d’Auge Expansion, 2005). La théâtralisation des relations sociales, de la psyché et des comportements des personnages lors de cette semaine de représentation ininterrompue et en public au château de Crèvecoeur, ne sont pas uniquement des registres expressifs choisis en rupture avec la pratique scénographique dominante dans l’hvm, fondée sur la valorisation de la culture matérielle et l’interactivité temporaire avec le public (Paris et Paris, 2009) : elle satisfait aussi les goûts, les compétences culturelles du commanditaire, en quête de nouvelles formes de performances publiques (Schechner, 2008) pour que les visiteurs du site et les membres de la fondation « suspendent momentanément leur incrédulité » (Winkin, 2001), découvrent de nouveaux potentiels pour comprendre le château, les personnes qui ont vécu là, et approuvent l’actualisation de sa scénographie. Références bibliographiques : BAXANDALL M. (1985), L’œil du quattrocento. L'usage de la peinture dans l'Italie de la Renaissance, Paris, Gallimard CARDON D. (2006), « La trajectoire des innovations ascendantes : inventivité, coproduction et collectifs sur Internet », colloque international Innovations, usages, réseaux, Montpellier, 17‐18 novembre 2006. FLORIDA, R. (2002), The Rise of the Creative Class, and how it's transforming work, leisure and everyday life, New York, Persus Group. PARIS A. et PARIS E. (2009), « Usages et enjeux du « comme si » dans les politiques de valorisation du patrimoine », colloque international Mutations contemporaines des musées : un espace public à revisiter ?, Toulouse, 4‐5 juin 2009. PAYS D’AUGE EXPANSION (2005), « Projet de territoire du Pays d’Auge », rapport téléchargeable en ligne : http://www.pays‐auge.fr/planAction.php?id=7 SCHECHNER R. (2008), Performance. Expérimentation et théorie du théâtre aux USA, Montreuil‐sous‐ bois, Editions THÉÂTRALES. Von HIPPEL E. (2006), Democratizing Innovation, Boston, MIT Press. WINKIN Y. (2001), « Propositions pour une anthropologie de l’enchantement », in Rasse, Midol, Triki (Eds.), Unité‐Diversité. Les identités culturelles dans le jeu de la mondialisation, Paris, L’Harmattan, pp. 169‐179. Cyril TREPIER Doctorant Allocataire de recherche à l’Institut Français de Géopolitique, Université Paris 8, et à la Faculté Economie et Entreprise, Université de Barcelone. [email protected] 06 77 66 14 10 « Catalonia is not Spain » : la reconstruction annoncée d’un monument catalaniste dans un centre touristique de Barcelone Ce mois de février 2010 débute à Barcelone (1,6 millions d’habitants en 2006) la construction d’un groupe de quatre colonnes identiques, de près de 19 mètres de haut, et symbolisant le drapeau catalan. Cette sculpture devrait être achevée à l’automne 2010. Située sur la colline de Montjuïc, dans le sud de Barcelone, cette sculpture visera à redonner vie aux quatre colonnes érigées en 1919 au même endroit par l’architecte catalan Puig i Cadafalch en vue de l’Exposition internationale qui eut lieu en 1929. Un an plus tôt, le général Primo de Rivera avait fait détruire la colonnade comme symbole catalaniste. L’initiative de la reconstruction est venue en 2006 d’un parti indépendantiste, Esquerra Republicana de Catalunya (Gauche Républicaine de Catalogne, ERC), alors membre de la majorité municipale menée par les socialistes. La construction de la colonnade a été décidée à l’unanimité par le conseil municipal en 2008. Les colonnes de 2010 se situeront un peu plus haut que les originales, entre le Musée National d’Art de Catalogne en haut, et la Foire de Barcelone, en contrebas, dont les bâtiments sont également hérités de l’Exposition internationale de 1929. Avant le vote définitif, les différents groupes politiques qui composent le conseil avaient discuté sur son emplacement, puis sur son orientation, perpendiculaire ou parallèle aux monuments situés en hauteur. Le degré de visibilité de ce symbole catalaniste a donc fait l’objet de discussion. C’est l’option la plus visible qui l’a emporté, conformément aux souhaits d’ERC, passée en 2007 dans l’opposition municipale. Fin 2003, ce parti explicitement indépendantiste est arrivé au pouvoir régional dans un gouvernement de coalition dirigé par les socialistes catalans. Jusqu’aux élections régionales de l’automne 2010 au moins, ERC est le seul parti indépendantiste membre d’un gouvernement autonome espagnol. En Catalogne, les socialistes sont habituellement en tête dans les grandes villes, notamment à Barcelone, et les partis nationalistes dominent l’intérieur du pays. A l’échelle de la Catalogne, ce n’est pas à Barcelone qu’ERC obtient généralement ses meilleurs scores. Mais à Barcelone, le district de Sants‐ Montjuïc, où la colonnade sera construite, donne habituellement des résultats notables à ERC. Dans l’optique nationaliste catalane, Barcelone joue un rôle ambivalent. Comparés à la population des régions intérieures où les nationalistes ont leurs bastions, les habitants de Barcelone et de sa périphérie parlent moins catalan dans la vie de tous les jours, sont moins souvent natifs de Catalogne, et se mobilisent moins lors des scrutins strictement catalans. Certains nationalistes s’inquiétèrent ainsi de voir les Jeux Olympiques de 1992 organisés dans ce qu’ils voyaient comme la moins catalane des villes de Catalogne. Toutefois, et l’ambivalence de la ville réside en ceci, Barcelone demeure une puissante vitrine internationale, autrement dit un outil grâce auquel la Catalogne peut figurer et se maintenir sur la carte du monde. Enfin, Barcelone constitue aussi un lieu de pouvoir et de production d’élites politiques, une raison supplémentaire pour y maintenir et y créer des symboles de l’identité catalane. Le concept des lieux de mémoire, inventé par l’historien français Pierre Nora grâce à son ouvrage éponyme, a trouvé un écho en Catalogne, comme en témoigne le livre Les lieux de mémoire des Catalans (Editions Proa) publié en 2008 par le célèbre historien catalan Albert Balcells. Comparé à d’autres lieux de mémoire catalanistes de Barcelone, les quatre colonnes présenteront la particularité d’être situées dans un endroit très touristique. Visible des barcelonais, la colonnade le sera aussi pour les exposants et visiteurs de salons commerciaux internationaux comme le Mobile World Congress, entre autres. Très loin de s’interroger sur l’identité catalane, ces touristes d’affaires ne séjournent le plus souvent à Barcelone que durant l’événement auquel ils participent et ne voient guère de la ville que le lieu de cet événement, ses environs immédiats et leur hôtel. Dans cette présentation, je montrerai donc en quoi ce nouvel élément de patrimoine, dont la mise en scène a fait l’objet d’affrontements politiques, résume la dualité des représentations internes et externes de Barcelone et, au‐delà, de la Catalogne. Les rapports de force politiques, à différentes échelles, seront également étudiés. Cette reconstruction répond aussi à l’interrogation suivante : comment un parti indépendantiste peut‐il exercer quotidiennement le pouvoir local quand aucune date n’est fixée pour l’indépendance ? D. CROZAT Université Paul Valéry Montpellier 3 Les écomusées, outil ambigu entre développement local, identité culturelle et hyper réalisation patrimoniale Dès leurs conceptions, les écomusées sont des institutions complexes face à la muséologie traditionnelle, une complication du système muséal pour repenser les musées, leurs organisations et remettre en cause cette muséologie : cette nouvelle catégorie élargit la pratique muséale, ne se limite plus aux objets et s'ouvre aux biens immobiliers, immatériels, à la population locale. Les écomusées se proposent de lier le patrimoine à la population et de concilier culture et tourisme (témoignage par l'objet, affirmation d'une identité et recours au patrimoine). Si certaines structures se sont fixées l’objectif d’une définition évolutive loin d'être toujours pleinement aboutie mais qui en fait cependant des réalisations fortes et originales, un demi‐siècle d’évolution a conduit les écomusées vers une normalisation et une standardisation proche de celle des musées traditionnels. L'un des changements majeurs est l’importance de la participation de la population. Pour Georges‐ Henri Rivière, l'écomusée doit en effet rendre compte de la richesse d’un patrimoine afin de l’utiliser pour développer le territoire que ses habitants ne savent pas exploiter économiquement et culturellement. Mais l’implication des populations s’est heurtée à la complexité de la réalité : en général, on se contente d’en faire des donateurs, informateurs, guides ou animateurs et les expériences les plus abouties reposent souvent sur une démarche économique forte. Quand le développement économique et touristique a plus importé aux professionnels que l'authenticité culturelle et patrimoniale du territoire, cela suscite des mutations dans le mode de gestion, le fonctionnement, les actions culturelles et les projets scientifiques. Les écomusées sont des institutions complexes par la relation qu'ils entretiennent avec la population et l'identité. D'un coté, ces musées d'identité transmettent une identité culturelle à la population. En réinventant comme héritage un passé et une culture (réhabilitation des fêtes et traditions populaires locales), ils jouent sur cette transmission d'identité et incitent une population en quête d'identité, de savoir, de connaissance, de partage à visiter un univers hors du temps et des contraintes contemporaines. D'un autre côté, en stimulant la mémoire de la population, les écomusées favorisent un ressourcement plus superficiel qui attire des visiteurs divers. Le jeu sur la mémoire réinterprète l'identité culturelle et le passé d'une société afin de les rendre plus attractifs pour des clients. Au final, les écomusées ne visent pas une transmission exhaustive de l'identité et la culture d'une société, mais construisent souvent une nouvelle identité culturelle superposée sur l'ancienne, plus intéressante, plus propre et plus attractive pour eux et le public. Ce « lifting patrimonial » (Cantau, 2003) amène donc les écomusées à renvoyer une identité culturelle hyper réelle ambigüe dans laquelle la population se reconnaît mal, à rebours du projet des professionnels. Mais le sentiment identitaire est devenu le pilier de la promotion et du développement touristique et le champ culturel une ressource abusivement exploitée. L’importance croissante du tourisme a ainsi bouleversé les conceptions initiales des écomusées. Christine BRICAULT Étudiante au doctorat en ethnologie Sous la direction de Madame Martine Roberge (U. Laval) Université Laval [email protected] Christine Bricault est étudiante au doctorat en ethnologie des francophones en Amérique du Nord à l’Université Laval. Dans le cadre de ses travaux de troisième cycle, elle étudie les réhabilitations de la ruralité à travers les représentations et les stratégies de mise en scène du village rural québécois. Son mémoire de maîtrise portait quant à lui, sur les problématiques liées à l’identité, à la régionalisation et au tourisme par le biais de la mise en place d’une Route des vins dans la région de Brome‐Missisquoi au Québec. Christine Bricault est présentement boursière du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. J’ai un beau village [...] Le nôtre est plus beau ! Étude des représentations et des stratégies de mise en scène du village rural québécois par le cas de l’Association des plus beaux villages du Québec Le village rural, qu’il soit lieu de résidence, projet de séjour touristique ou petite jarre d’une confiture‐ maison vendue aux marchés urbains, semble avoir la cote en ce moment. On le renouvelle, on le redynamise, on l’organise. Les milieux ruraux se sont investis d’un pouvoir d’attraction, voire de séduction. L’ensemble des valeurs qu’on leur attribue (rapport différent à l’espace et au temps, sociabilité, relation plus intime au territoire et au paysage, santé, simplicité, quiétude, etc.), contribue à la popularité des villages. De la même manière, le tourisme rural, la mise en valeur des produits du terroir et la protection des paysages agricoles favorisent cet engouement. Dans ce contexte, plusieurs villages tentent de se valoriser, de montrer leur existence. Au Québec certes, mais aussi ailleurs, les caractères de la campagne et de la vie de village s’affichent; que ce soit dans différents débats sur le développement des communautés ou sur la préservation de l’environnement par exemple. L’engouement pour la campagne gagne du terrain. Cette thématique est reprise dans plusieurs émissions télévisées30. Parallèlement au vif succès que connaissent certaines communautés rurales, une évolution paradoxale se met en place en ce sens où d’un côté, les communautés rurales projettent une image d’équilibre et de cohésion sociale et de l’autre, on les sait aux prises avec des problématiques d’exode, de perte de services de proximité et de vieillissement de leur population. Cette communication, sous forme d’étude de cas, propose de s’attarder particulièrement sur une stratégie de mise en scène de l’image villageoise. Fondée en 1997, L’Association des plus beaux villages du Québec31 est un organisme sans but lucratif ayant, à ce jour, attribué, à quelque 33 villages du Québec, un titre ou prestige particulier. Le regroupement a comme premier objectif de mettre en valeur le patrimoine architectural et la qualité des paysages de certaines communautés villageoises, mais vise également à promouvoir ces villages comme « monde à part, à l’échelle humaine, où le temps coule plus lentement. »32 En page d’accueil de son site Internet, l’association décrit d’emblée son regroupement comme Un réseau de communautés villageoises au patrimoine authentique, situées dans des paysages remarquables. L’APBVQ sera prétexte à voir et comprendre qui sont les acteurs 30 Au Québec : la Semaine verte30, Villages en vue (diffusée sur TV5 en 2006), la Petite Séduction, Cultivé et bien élevé, Par-dessus le marché, et plusieurs autres. 31 Ouvertement inspirée de l’Association des plus beaux villages de France. 32 http://www.beauxvillages.qc.ca/ locaux de cette mise en scène, comment l’image est produite, quelles sont les stratégies les plus efficaces et quels sont les indicateurs de succès de cette valorisation (axe patrimonial, authenticité, rusticité, aspect champêtre, etc.). Nous nous pencherons également sur les stratégies qui s’adressent plus particulièrement aux visiteurs ou aux résidants. Qui tente‐t‐on ainsi de fidéliser? Touriste ou résidant? Ce cas précis sera l’occasion d’évoquer plusieurs concepts et problématiques. Nous aborderons la question des nouveaux usages de l’espace rural, que ce soit par le truchement du tourisme rural ou celui de la patrimonialisation de certaines figures des communautés. Ces problématiques mèneront finalement au concept de marchandisation des traits locaux (commodification) dans les espaces ruraux. En ce sens, nous nous pencherons sur le village comme champ d’observation où l’ethnologue peut appréhender les différentes manières utilisées pour se présenter à l’Autre comme les stratégies de promotion et de développement. Comment le village se montre‐t‐il? Comment se dit‐il? Comment se met‐il en scène? Quel accueil propose‐t‐il aux visiteurs et aux résidants? Ainsi, nous verrons un exemple de l’articulation souvent fragile entre le patrimoine culturel et les désirs de territoire. Mots‐clés : Ruralité, identité, ressource patrimoniale, touristification, patrimonialisation. Célia Forget, PhD Anthropologie Coordonnatrice de l’Inventaire des ressources ethnologiques du patrimoine ethnologique (IREPI) Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique Université Laval Québec, Canada [email protected] En route : penser et (re)construire le patrimoine au sein d’une population nomade de l’Amérique du Nord. Mots clés : Mobilité, reconstruction, patrimoine, territoires, Floribec. Proposition : La mobilité remet le concept de patrimoine culturel en question. Si le patrimoine tend à marquer un lieu voire à en faire une forme de « marketing », qu’en est‐il dans le contexte de la mobilité? Je propose de m’intéresser à cette question à travers l’étude des manières de penser et de faire le patrimoine culturel d’une population nomade d’Amérique du Nord, celle des full‐time RVers. Cette population est composée de personnes ayant décidé de vendre toutes leurs possessions pour vivre à l’année dans un véhicule récréatif (VR), terme générique pour les caravanes et camping‐car. Ces personnes, que l’on estime à six millions en Amérique du Nord, se déplacent sur le continent au gré des saisons ; ils sont autant américains que canadiens anglophones ou francophones. De par leur mobilité, ces derniers développent une conception autre de leur territoire et de leur patrimoine. C’est tout un imaginaire qui se met alors en place chez cette population nomade et dessine les contours de leur territoire et de leur patrimoine. Le titre de ce colloque n’aurait pu éclairer de meilleure façon la problématique à laquelle fait face les full‐time RVers : comment allier patrimoine culturel et désirs de territoires? Qu’il s’agisse de leur patrimoine domestique ou de leur patrimoine culturel, les full‐time RVers font appel à maintes stratégies pour le reconstruire hors de ses frontières habituelles. En effet, si le patrimoine est tant circonscrit à un lieu, comment faire lorsque ce patrimoine est en déplacement constant? Comment marquer son patrimoine domestique dans un lieu en perpétuel renouvellement? Comment l’identifier à un lieu? De même, comment un patrimoine culturel peut‐il perdurer dans un contexte d’extraterritorialité? Ne se perpétue‐t‐il que dans l’imaginaire des full‐time RVers ou peut‐il être reconstruit dans un territoire totalement nouveau? Pour répondre à cette dernière question, je m’intéresserai à la problématique des full‐time RVers et autres campeurs québécois qui migrent vers la Floride en hiver et reconstruisent à leur manière un petit Québec en terres américaines, territoire aujourd’hui connu sous le nom de Floribec. Mais omment vivre le Québec et sa culture en dehors du Québec? Comment matérialiser ce patrimoine culturel en Floride? Toutes ces questions sur la mobilité et le patrimoine feront l’objet de ma réflexion dans le cadre de cette communication. Richard DESNOILLES Géographe Post‐doctorant Université du Québec à Montréal (CRISES) Université de Bordeaux III (ADES) [email protected] De la norme à l’émotion ou quand le patrimoine culturel construit la ville. Étude comparative de Bordeaux et de Québec Mots‐clés : Bordeaux, Québec, aménagement, législation, mise en scène urbaine. Bien qu’un océan les sépare, Bordeaux et Québec sont deux métropoles d’envergure régionale qui par leurs enjeux et les moyens qu’elles se donnent pour y répondre sont très comparables. L’un des ressorts qu’elles emploient toutes deux à cet effet est le patrimoine au point que Bordeaux et Québec, appartenant au cercle des villes mondiales de l’UNESCO, sont vues comme des villes patrimoniales. Cependant, les autorités se plaisent à adjoindre au terme « patrimoine » l’épithète « culturel ». Le but de cette communication est de revenir sur les modalités législatives qui sont en jeu dans la construction et le devenir de deux métropoles régionales. En préalable, nous tenterons de répondre à une question en apparence très simple : qu’ajoute le terme culturel à un patrimoine qui l’est de facto ? Ensuite, notre propos s’articulera de la façon suivante : il s’agira tout d’abord d’interroger la norme patrimoniale tant internationale (puisque ces deux villes sont soumises aux chartes de l’UNESCO) que nationale (la loi française, québécoise et canadienne) et même locale (dans leurs projets urbains). Nous pourrons ainsi comprendre comment le patrimoine culturel s’exerce pour mettre au jour un cadre de vie, vecteur d’images structurantes pour Bordeaux et Québec, aussi bien pour les habitants que pour ceux qui viennent profiter de ce patrimoine (touristes, congressistes, etc.). L’ensemble de ces textes, qu’ils soient légaux ou simplement incitatifs, intime l’ordre de « patrimonialiser » au point que tout est susceptible de devenir patrimonial. Il conviendra dans un second temps d’envisager la fonction de cette « patrimonialisation » : « le patrimoine pour quoi ? » et « le patrimoine pour qui ? » sont des questions qui guideront notre propos. Comprendre cette normalisation nous permettra ensuite de révéler les logiques en cours de ce patrimoine culturel à Bordeaux et à Québec. Derrière cet enjeu du patrimoine culturel en milieu urbain se cache une problématique beaucoup plus ambitieuse : quelle ville voulons‐nous ? Vecteur de bien‐être, de sens voire de sécurité, le patrimoine en ville est un enjeu central : en effet, les villes qui en ont le mettent en scène et l’ouvrent au monde du tourisme et celles qui n’en n’ont pas s’en construisent un pour légitimer leur identité. Après avoir exposé les ressorts de la patrimonialisation urbaine qui s’apparente parfois à un mode d’emploi à l’usage des autorités, nous verrons que faire du patrimoine culturel, c’est mettre en scène une mémoire. Dès lors, quelle mémoire doit être soutenue, promue, voire vendue et, au contraire, quelle est celle qui doit être mise de côté voire oubliée ? En d’autres termes, nous montrerons en quoi la règle peut être une entrave au développement des processus identitaires. L’acte de commémoration que nous prendrons pour exemple est en cela symptomatique. Enfin, s’il était auparavant d’usage d’opposer patrimoine et modernité, aujourd’hui l’un et l’autre se ré‐ enchantent et se recomposent à travers le concept de « ville durable ». Dans l’élaboration et la pratique du projet urbain, le patrimoine, qu’il soit culturel ou non, ne se suffit plus à lui‐même pour être pleinement opératoire. En effet, avec la notion de paysage qui apparaît dans la législation, dans les pratiques individuelles et dans les revendications sociales comme un enjeu fondamental, la ville durable tend à englober toutes les problématiques urbaines pour construire l’urbanité de demain et ce, au nom d’un « bien‐être ». In fine, cette communication a pour ambition d’illustrer qu’en terme de politiques urbaines, le flou du patrimoine culturel, mentionné dans l’appel à communication, sert un flou encore plus grand. Jocelyne MATHIEU Ethnologie Professeur titulaire au Département d’histoire de l’Université Laval [email protected] Territoire domestique, vie quotidienne, savoir‐être et savoir‐faire, culture matérielle, éducation et transmission. Le patrimoine se définit‐il seulement dans les politiques publiques ? Ne prend‐il pas ancrage dans la vie quotidienne et l’histoire familiale ? Même dans la sphère privée, il dépend néanmoins des contextes socio‐politico‐économiques changeants. Ces contextes favorisent ou non une prise de conscience d’un héritage porteur d’aspirations collectives et ces dernières déteignent sur les individus entraînés dans le mouvement engendré par ces politiques cycliques. Ces allers‐retours nourrissent l’ambiguïté sémantique de patrimoine, conditionnent les perceptions positives et négatives qui alternent et entretiennent le flou qui le caractérise. L’un des canaux de diffusion de ces courants d’idées propices à la reviviscence des patrimoines s’avère l’éducation tant par le système officiel et institutionnel que par les voies médiatiques qui contribuent à diffuser l’information et à sensibiliser la population aux idées, aux modes et aux tendances du moment. Les femmes sont particulièrement interpellées comme promotrices ou détractrices d’un héritage vu comme une richesse ou une entrave à la liberté et à la modernité. Patrimoine et modernité sont d’ailleurs conjugués ou opposés offrant des discours souvent ambigus. Ce sont ces discours qui nous intéressent par la voie de chroniques féminines, dans la presse magazine notamment. Comment le patrimoine est‐il abordé dans cette dialectique d’apprentissage de la modernité soutenue par un héritage de savoir‐être et de savoir‐faire. Compte tenu du thème central du colloque, nous comparerons deux périodes pendant lesquelles le patrimoine, au Québec particulièrement, est reconstruit : les années 1930 et les années 1970. Dans quels termes, selon quels modèles et quelles références ? La recherche que nous menons sur l’effet des chroniques féminines et l’apprentissage esthétique des femmes nous laisse percevoir que la notion de patrimoine est centrale dans les discours sans être nécessairement mentionnée explicitement. De quel patrimoine s’agit‐il alors ? De quoi est‐il constitué ? Comment se côtoient les désirs de changement, la durabilité des biens et des valeurs et leur transmission ? Comment se traduisent les impératifs économiques sous‐jacents à la consommation suscitée par les magazines, les catalogues commerciaux et les annonces publicitaires qui véhiculent des modèles identitaires? Peut‐on être passéiste et moderne en même temps? Le territoire domestique offre une expérience des lieux qui doit traduire une adaptation à son temps et le rapport au passé. L’ensemble de pratiques observables, incluant les objets et les attitudes, en somme divers aspects matériels et immatériels conjugués, constitue le tissu culturel à investiguer en considérant divers contextes de transmission. Le décor de la vie quotidienne représente un cadre fondamental où s’exprime le goût prescrit par l’éducation et les médias. Ainsi, nous émettons l’hypothèse que le patrimoine, à divers degrés, participe à la créativité des lieux privés, d’abord individuellement, puis familialement et culturellement. Nous voulons démontrer que la transformation de la vie quotidienne se fait au rythme des modes nationales et internationales, tant celles présentées comme avant‐gardistes que celles animées d’un souci de perpétuation, les deux pouvant alterner, se superposer, se combattre ou se concilier. Patricia Ramírez KURI (Phd in Sociology) Sociology, urban studies and geography. Researcher in urban studies and urban culture: public life, social practices and citizenship. Social Research Institute, Nacional Autonomous University of Mexico, (IIS‐UNAM) Cultural heritage and urban identity in Mexico city. Reflexions and images from the public spaces in historic places Patricia Ramírez Kuri (Phd in Sociology) Key words: Cultural Heritage, city, public space, identity, local‐global. My proposal aims to explore the concept of cultural heritage and identity in public spaces and places in contemporary Mexico city where diversity and inequality converge with traditions and modernities. The paper is based on a research work and case study of the social and cultural practices of the every day life particularly in places such as Coyoacán, which is the geographical center of the capital city, recognized as historic and cultural heritage, and one of the 16th geo‐political local areas that configurate the territorial division of the urban space in the Federal District. In this territory converge, historical processes and dramatic social changes together with discourses, symbols and metaphors that ascribe meaning to the urban experience of today. On one hand this processes and changes reveal in the built environment dispersed fragments of the prehispanic and colonial cities coexisting with the transformations of the city life, the arquitectural and spatial profile and the social representations of the modernity that distinguished mainly the end of the nineteenth‐century and the beginning of the twentieth century. On the other hand, these changes reveal the accelerated growth of the pos‐revolutionary industrial city of the twentieth century constantly changing and expanding its territory under the impulse of urban modernization processes. And later on, the change to a service producer urban society transforming not only the image of the city, human activities and social relations of its inhabitants but also, the meaning of places in the context of the contemporary global processes and the new economic order that have produced new urban realities emphasizing the forms of segregation and social exclusion, inequality and cultural and political conflicts. My interest is to discuss the development of the concept of cultural heritage in relation to territorial references and symbolic places in cities like México. In this discussion I will explore the idea of Mexico City as cultural heritage with multiple meanings and spatial representations that may be understood through the practices of the different social actors involved in the urban experience, considering the following points: to what extent does heritage contribute to the formation of collective territorial identities? Does the development of heritage policies enhance risk of co‐optation and globalization or is it a tool for the defense of cultural diversity? To what extent does the current predominance of heritage contribute to a new definition of mind frames and the experience of territoriality and place? What are the links between heritage, construction of time references, and everyday experience? Chiara BORTOLOTTO Anthropologue Post‐doctorante École des hautes études en sciences sociales (EHESS) Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (IIAC) Laboratoire d’anthropologie et d’histoire de l’institution de la culture (LAHIC) [email protected] Patrimoine culturel immatériel, Unesco, territoire, communautés, institutions L’Unesco et le patrimoine culturel immatériel : vers un paradigme patrimonial post‐territorial ? Selon un approche classique, le patrimoine est associé à un territoire. Cette association est particulièrement évidente dans le cas des sites ou des monuments (patrimoine matériel et immobile) qui sont nécessairement fixés à un territoire, mais aussi dans celui des objets muséaux, c’est‐à‐dire du patrimoine matériel, théoriquement mobile mais de facto lié au territoire national par des règles précises qui sont censées régler leurs déplacements à travers les frontières. En France, dans les années 1980, l’approche du patrimoine ethnologique a choisi le territoire, très souvent rural, comme support privilégié pour imaginer un patrimoine produit par des pratiques et des dynamiques sociales. Cette catégorie de patrimoine « ordinaire » tire en définitive sa légitimité de son lien avec un territoire et le discours ethnologique ainsi que le vocabulaire institutionnel associent volontiers l’adjectif « local » aux termes « tradition » ou « communauté ». Dans les trois dernières décennies, les sciences sociales ont pourtant eu de plus en plus tendance à considérer la culture, y compris celle qualifiée de « traditionnelle », non pas comme une substance localisée mais plutôt comme un ensemble de processus fondés sur des dynamiques translocales. Une catégorie patrimoniale créée au XXIe siècle ne pouvait pas ne pas prendre en considération cette réflexion. Le patrimoine culturel immatériel (PCI) tel qu’il est défini par l’Unesco rompt l’association fondatrice entre patrimoine et territoire cassant ainsi le paradigme classique du patrimoine : le patrimoine tire désormais sa légitimité par le fait d’être reconnu par une, ou plusieurs, communauté(s) plutôt que par le fait d’être enraciné dans un territoire. Bien que ces « communautés » puissent continuer à s’imaginer comme localisées et à souligner leur ancrage territorial, l’Unesco produit un discours qui propose potentiellement un modèle de patrimonialisation post‐territoriale, libérée des identifications basées sur une origine ou un enracinement territorial. D’un côté le discours informel de l’Unesco, véhiculé par ce que ses fonctionnaires définissent comme l’« esprit de la convention » et produit lors de ses réunions d’experts, met en avant les limites des stratégies de localisation dans les représentations patrimoniales de la culture et insiste sur la transversalité territoriale. De l’autre, plus concrètement, la convention de 2003 prévoit la sauvegarde d’éléments culturels dont on admet la dimension transfrontalière ou transcontinentale. Dans ce but, le discours du secrétariat de l’Unesco encourage alors les candidatures multinationales. À travers une ethnographie institutionnelle de l’Unesco, nous proposons d’analyser les questions concernant la « situation géographique » telles qu’elles sont concrètement soulevées par les experts, les fonctionnaires et délégués des États parties à la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Quel est le rôle du territoire dans la gestion concrète du patrimoine et dans son traitement institutionnel ? Quels sont, dans la pratique, les protocoles administratifs, les outils juridiques, les stratégies diplomatiques et les intérêts politiques qui permettent d’imaginer une continuité patrimoniale transnationale ? Si le PCI est déterritorialisé dans sa définition par l’« esprit de la convention », sa gestion administrative n’a‐t‐elle pas besoin de le considérer comme clairement situé ? La pratique institutionnelle du patrimoine telle qu’elle peut exister au sein d’une organisation gouvernementale peut‐elle réellement s’émanciper des découpages territoriaux qui fondent l’existence des espaces politiques fixes et délimités ? Autrement dit, les mécanismes de cette institutionnalisation sont‐ils concrètement susceptibles de faire abstraction des ancrages territoriaux du patrimoine pour s’adapter à l’idée dynamique de culture proposée par l’« esprit de la convention » ? Une rue‐faubourg réenchantée : Entre marketing des lieux et patrimonialisation des espaces publics Vincent BANOS, Docteur en géographie, ATER, Université Paris IV‐Sorbonne Claire GUIU, Docteure en géographie, ATER, Université Paris IV‐Sorbonne Village‐rue au Moyen‐âge, rue‐faubourg populaire au 18ème siècle, « Mouffetard » cristallise aujourd’hui une diversité de récits et de désirs autour des notions de marge, de résistance et de lien social. Différentes actions participent alors de la patrimonialisation de cet espace public, présenté tout à la fois comme une survivance architecturale, une rue commerçante spécialisée dans les produits de terroirs et un haut‐lieu de la vie populaire parisienne. En effet, à l’écart des axes haussmanniens, les façades préservées des édifices témoignent tout d’abord des mesures de protection prises depuis les années 1990, incluant non seulement les monuments historiques remarquables mais aussi des constructions plus ordinaires du 17ème siècle. Ensuite, les associations du quartier racontent aux visiteurs le passé obscur de ce lieu, qui doit son nom à la puanteur de ses activités (lavage de peaux et de tripes, équarrissage, teintures) et fut longtemps le Paris des bas‐fonds, avec ses repères de ferrailleurs, ses cours et ses passages sombres. Des peintures murales rappellent le bouillonnement culturel des années 60, l’essor des cabarets et la présence de nombreux artistes et écrivains dans le quartier. Enfin, l’association des commerçants organise diverses activités, qui culminent le dimanche à midi avec, à côté du marché et à la sortie de l’église Saint‐Médard, un bal accompagné d’accordéon et des chants du vieux Paris. Il semble donc que Mouffetard soit l’objet d’un système patrimonial, alimenté par différents acteurs, rejoué constamment par les pratiques. Vendeurs de journaux, musiciens, vendeurs à la criée, mendiants, commerçants en habits régionaux et clients endimanchés de paniers en osiers et de chapeaux, jouent ensemble une même scène : celle d’un espace public encodé et ré‐enchanté. Mais dans quelle mesure ce marketing du « lien social » et de la « résistance » culturelle et identitaire ne produit‐il pas un langage du « bon usage » des lieux et une mise en ordre de l’espace social ? Autrement dit, ne faut‐il pas voir dans le ré‐enchantement de cette rue‐faubourg l’émergence de lieux qui créent le public avant d’être de véritables espaces publics ? A partir d’entretiens auprès des différents acteurs et d’une approche par les pratiques, notre communication propose tout d’abord de décortiquer les synergies à l’œuvre dans la constitution d’un système patrimonial. Ce travail d’analyse nous permettra dans un second temps de mesurer les impacts performatifs de cette construction imaginaire sur les expériences personnelles d’acteurs qui coexistent sans nécessairement se rencontrer. Enfin, à partir de ce regard sur les pratiques, nous aborderons les ambigüités politiques et sociales de cette nouvelle forme d’espace public.