La fabrique des monstres Les Etats-Unis et le freak
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La fabrique des monstres Les Etats-Unis et le freak
EXTRAITS DE PRESSE La fabrique des monstres Les Etats-Unis et le freak show 1840-1940 Presse écrite Le Point références, janvier février 2014 Géants, hommes troncs, siamois ils font les belles heures des freakshows, ces exhibitions d'individus hors normes qui se développent dans la seconde moitié du XIXe siècle, et ou de supposés sauvages, Peaux-Rouges aussi bien que « derniers Aztèques », côtoient des « erreurs de la nature » dans des zoos humains ou des musées des horreurs ! L'historien et sociologue américain Robert Bogdan revient ici sur cette passion typiquement américaine ou l'art de bien vendre est primordial. « Sur autorisation spéciale du tsar de toutes les Russies, nous présentons pour la première fois dans le Nouveau Monde le plus prodigieux parangon de tous les prodiges : l'homme-chien, énigme suprême des contradictions de la nature. Ce paradoxe incarné, qui plonge la science dans la plus grande perplexité, a été découvert il y a une dizaine d'années aux côtés de son père, lui aussi à tête de chien. Ils vivaient reclus dans une caverne au plus profond de la forêt de Kostroma, en Russie », assure ainsi un tract de Phineas Taylor Barnum (1810-1891), l'un des grands artisans de l'explosion du freakshow, premier symptôme de l'ère du divertissement, avant qu’Hollywood ne prenne le relais. Aujourd'hui devenu film culte, Freaks, de Ted Browning (1932), fut pourtant un échec commercial à sa sortie. Arrivé trop tard, peut-être le regard sur la différence était déjà en train de changer. Ceux qui étaient des monstres sont progressivement reconnus comme des malades ou des handicapés. Pourtant, souligne Robert Bogdan, il serait injuste de lire l'histoire des freaks comme celle d'une simple exploitation. Beaucoup firent le choix de ce statut « d'artiste » et connurent, via le monde forain, une authentique chance d'ascension sociale. Ainsi Tom Pouce, nain devenu une immense vedette, dont l'épouse, naine elle aussi, sut médiatiser son mariage aussi bien qu'une star du XXIe siècle. Et aujourd'hui ? Robert Bogdan a rencontre dans les années 1980 un « homme grenouille » aux membres atrophies, qui s'exposait encore dans des foires itinérantes. Et se montra fort irrite quand des bonnes âmes militant pour la dignité humaine menacèrent lui faire perdre son gagne-pain. Sophie Pujas Bifrost, 27 janvier 2014 Le second ouvrage, La Fabrique des monstres, les Etats-Unis et le Freak Show, 1840-1940, est un essai de Robert Bogdan sur le monde de la foire américaine et ses monstres. Le monstre est une anomalie, qui vient perturber l'ordre apparemment naturel des choses. Il rompt le cours ordinaire, fait exception, s'oppose à la normalité humaine, à condition toutefois d'accepter que l'on puisse définir une norme « Le freak ne se définit pas par une qualité intrinsèque, il renvoie plutôt à une représentions de soi, une manière de se mettre en scène, un point de vue », affirme Robert Bogdan, qui montre combien le phénomène du Freakshow est complexe il ne suffit pas d'être monstrueux, encore faut-il le devenir, vouloir s'exhiber dans la peau d'un personnage « Ça vous dirait d'être un géant ? » demande un imprésario à un type qui est seulement très grand. Véritable attraction populaire qu'orchestrent Barnum, cirques itinérants et Dîme Muséums, le monstre marque l'intrusion de l'imprévu dans le réel, nous renseigne sur notre propre nature Bogdan détaille la pseudo-vocation éducative de l'attraction de foire, avant que la science ne s en empare via la pathologie. Largement illustré, ce splendide volume évoque les singulières histoires des « ambassadeurs de la planète Mars », en réalité des frères microcéphales, rappelle l'origine foraine du Geek, et présente l'inattendue dimension érotique des Ballyhoo et autre Blow off. Arnaque, gogo, boniment, chacun y trouve son compte. Un livre indispensable pour les admirateurs du film Freaks de Browning, ou du Charlatan de William Lindsay Greshman (« Série noire »). Pour conclure, nous saluerons la cohésion éditoriale d'Alma, qui présente une problématique identique dans ses deux parutions : chosification du corps devenu objet (de désir et/ou de voyeurisme), qu'accompagne une vague caution scientifique et un balancement entre attirance malsaine et répugnance morale. Deux livres qui trouveront leur place dans votre bibliothèque interdite. Xavier Mauméjean L’Humanité, 17 janvier 2014 La monstrueuse parade L’origine du terme français « monstre » (en anglais freak) renvoie à celui ou celle qu’on montre, qui fascine et repousse à la fois. D’où le Freak Show américain, qu’analyse l’historien américain Robert Bogdan dans un ouvrage saisissant. De 1840 aux années 1980, géants, bicéphales, microcéphales, hommes troncs, siamois et autres anomalies humaines furent exhibés aux États-Unis comme phénomènes de foire. Le grand film de Tod Browning, Freaks, la monstrueuse parade, offrit en 1932 une puissante représentation de ce « spectacle ». Comment expliquer la disparition de ce Freak Show ? Si on peut se féliciter de cette disparition, l’ouvrage interroge la place contemporaine du handicap dans nos sociétés. Quelles différences sommes-nous prêts à supporter parmi nous ? Qu’est devenue l’anormalité ? Entre fausse pudeur et eugénisme, que devient ce qui n’est plus montré, mais caché ? Nicolas Mathey Obskure magazine, janvier 2014 Avec La Fabrique des Monstres, Robert Bogdan nous propose de pénétrer une institution purement américaine qui a connu son heure de gloire entre 1840 et 1940, avec un pic à la fin du XIXe siècle : le freak show. Initialement écrit en 1988, cet ouvrage, aujourd'hui traduit en français aux éditions Alma, est considéré comme une œuvre fondatrice des « disability studies », à présent enseignées dans de nombreuses universités américaines. Ici, le handicap est envisagé dans le contexte social qui le définit et il nous permet ainsi de mieux comprendre la construction du monstre en tant que mise en scène, à une époque où l'industrie du divertissement était en plein essor. Selon Bogdan, un freak « ne se définit pas par une qualité inhérente à la personne mais par un ensemble de pratiques, une façon d'envisager et de mettre en scène la différence physique mentale ou comportementale, qu’elle soit réelle ou simulée. » Il retrace ainsi l'histoire de nombreux gens du spectacle qui ont été conscients du potentiel lucratif de la difformité avant que ces exhibitions ne soient considérées comme dégradantes au début du XXe siècle, certains parlant de « pornographie du handicap ». 1840 marque la fondation de l'American Museum de PT Barnum (1810-1891), « le père de la publicité moderne ». Avec ses grands étendards et ses fanfares de rue, il fera de son musée newyorkais un endroit ou les foules affluent. La frontière entre ethnologie et spectacle est alors floue. On reconstitue des villages ethniques et on fabrique les freaks sur mesure. Leurs portraits sont vendus par milliers pour approvisionner les collections des familles bourgeoises notamment les cliches célèbres de Charles Eisenmann dans les années 1880-90, parfois agrémentés de livrets autobiographiques, et retouchés au besoin. L’exagération est de bon ton. Dans les années vingt et trente, les frères albinos Eko et Iko sont présentés comme des extraterrestres de Mars. Et quand on ne se contente pas d'un registre emphatique ou exotique, on va avancer des théories sur l’hybridation animale ou la dégénérescence. Des « experts » témoignent La théorie de l’imagination maternelle n'est pas écartée. La pilosité de Lionel, le garçon à tête de lion, serait la conséquence du traumatisme ressenti par sa mère alors que son père se faisait dévorer par un lion. Les performances sont diverses et inhabituelles. Un homme sans jambes marche, un autre peut faire entrer son poing dans sa bouche. L’inventivité est le mot d’ordre et celle-ci atteindra la surenchère au fil des décennies. Au début du XXe siècle, face au nombre sans cesse grandissant d'hommes et de femmes tatoués on finira par exposer des bébés, chiens ou vaches tatoués. Au bas de l’échelle, des « sauvages » arracheront les têtes des rats et des poulets avec leurs dents, d'autres avaleront des grenouilles vivantes. Car il y a bien une hiérarchie dans le milieu du sideshow, et d'autres seront de véritables célébrités, comme Tom Pouce et sa folie des grandeurs ou les siamoises Daisy et Violet Hilton, stars du music-hall que l’on retrouve dans le film Freaks de Tod Browning. La Fabrique des Monstres explore toute cette microsociété et confronte aussi la diversité des points de vue, comme entre Otis Jordan, homme-grenouille qui se voyait comme un showman fier de son indépendance, et Robert Wadlow, un géant de 2 m 72 qui refusait l’idée de mise en scène de soi. Une étude passionnante qui décortique tout cet art du bluff, de l’imposture et du sensationnel. Maxime Lachaud Obskure Magazine, janvier 2014 ROBERT BOGDAN La Fabrique des Monstres : Les États-Unis et le Freak Show 1840-1940 (Alma) Voici un livre à ranger aux côtés d'ouvrages comme Freaks : We who are not as Others (1976) de Daniel P. Mannix, Freaks : Myths and Images of the secret Self (1978) de Leslie Fiedler, Sideshow USA : Freaks and the American culturales Imagination (2001) de Rachel Adams ou Les Monstres : Histoire encyclopédique des Phénomènes humains (2007) de Martin Monestier En effet, La Fabrique des Monstres s'impose comme un véritable objet de référence pour mieux comprendre le fonctionnement et les conventions scéniques de la représentation de ceux que l'on a appelés les « phénomènes de foire ». On peut d'ailleurs déjà trouver des traces de cette mise en scène du monstrueux dans les grandes foires anglaises comme la Bartholomew Pair, avec leurs animaux bizarres. La tératologie, classification « scientifique » des anomalies corporelles, s'est, quant à elle, développée dès le XVIe siècle, avec un texte comme Des Monstres et Prodiges d’Ambroise Paré. Puis les bêtes étranges seront remplacées par des « curiosités humaines » dans des musées, alors lieux de divertissement scientifique, comme celui fondé à Philadelphie par Charles William Peale en 1786. Mais c'est avec la création de l'American Museum par Barnum que cette industrie va prendre un essor important. Des dime museums apparaissent dans les années 1870, et les freak shows vont atteindre leur zénith à la toute fin du XIXe siècle. Dans les campagnes, ce sont les fêtes foraines qui remplacent les musées urbains. Les cirques présentent tous leur sideshow, souvent constitué d'un tenin-one (dix attractions pour un seul tarif) ou de pit shows (les freaks y sont présentés dans une fosse, comme dans la scène finale du film de Tod Browning). On part alors dans les coins reculés des États-Unis pour faire la chasse aux freaks (ce que retranscrit très bien la série télé La Caravane de l'Etrange). Des expositions universelles et foires mondiales sont organisées dès 1876, avec des reconstitutions de villages de « sauvages ». Coney Island devient un haut lieu pour ce genre de divertissements, avant que ceux-ci soient jugés dégradants. Ces gens du spectacle sont alors considérés comme des infirmes - on parle de « médicalisation du handicap » - et le public se détourne de ces institutions pour aller remplir les salles de cinéma ou les théâtres. Ce que Bogdan met en avant c'est que les freaks participaient à leur propre représentation, gagnant de très bons salaires. Il analyse donc cette microsociété qui ne se limitait pas qu'à l'exhibition d'anomalies physiques. On pouvait aussi s'y procurer de l'alcool illégal, voir des spectacles pornographiques ou se faire lire l'avenir par une cartomancienne. Les pages ou il analyse la hiérarchie du freakshow sont également passionnantes. Au final, l'ouvrage rend hommage à des personnes qui ont su tirer le meilleur profit de leur différence avant que la médecine du XXe siècle n'en fasse des « cas pathologiques ». Max Lachaud 88% 24 heures, 15 décembre 2013 Des stars monstres Un livre revient sur ces phénomènes de foire qui fascinaient les États-Unis Une des grandes vedettes américaines du XIXe siècle se faisait appeler Général Tom Pouce. Avec sa taille de 88 cm, il se vantait d’être « le plus petit homme du monde », s’habillait d’un uniforme de pacotille et s’est même fait inviter par la reine Victoria en GrandeBretagne. C’était l’âge d’or des phénomènes de foire, des freaks, que les cirques comme Barnum transformaient en attractions, voire en people. Le sociologue Robert Bogdan s’est plongé dans l’âge d’or de cet univers (1840-1940) pour en tirer un livre enfin traduit en français. La fascination qu’exercent ces « monstres » a commencé bien plus tôt dans les plaines américaines. Ceux qu’on brûlait encore pour sorcellerie il y a quelques siècles sont devenus des attractions de foires agricoles. Alors qu’on n’avait guère le droit aux distractions, religion oblige, on pouvait admirer ces créatures sous le prétexte d’une étude scientifique. En 1841, Phineas T. Barnumrachète l’American Museum, en plein cœur de Manhattan (New York), et il a l’idée de génie d’y réunir des bizarreries de la nature, des albinos, des obèses, des géants et des nains. Il imagine une publicité tapageuse, invente des histoires invraisemblables sur ses pensionnaires. Surtout, il fait de son « musée » la principale attraction de New York, que visiteront 40 millions de personnes avant son incendie, en 1868. Après la guerre de Sécession, les immigrants européens débarquent en nombre. De nombreux dime museums naissent à travers les villes pour les distraire, tirant leur nom du prix de l’entrée : dix cents. Là aussi, les freaks tiennent la vedette. La « femme à barbe suisse », Jo-Jo le « garçon à tête de chien », les patrons rivalisent d’imagination pour attirer le chaland. Au point, parfois, d’inventer de faux phénomènes. Parallèlement, les premières expositions universelles, à Philadelphie (1876) ou à Chicago (1893), attisent l’intérêt de ces organisateurs de spectacles, qui vont s’y greffer, à la périphérie, présentant des « sauvages » exotiques, des représentants de Bornéo ou d’Australie, des anthropophages des îles Fidji ou un village entier de guerriers du Dahomey qui avaient affronté les colonisateurs français. Un phénomène qu’on a d’ailleurs retrouvé dans les expositions universelles, avec ces « zoos humains » présentant des Africains, en France, en Grande-Bretagne, en Espagne ou au Portugal. L’intérêt faiblit au lendemain de la Première Guerre mondiale, même si les monstres gardent encore leur place à la périphérie des grands cirques américains en tournée, dans des sideshows qui effraient les enfants et font rire les parents. Ils disparaîtront au tournant de la Seconde Guerre mondiale. Le dernier d’entre eux, Otis Jordan, connu sous le nom d’« homme grenouille » en raison de ses membres atrophiés, se verra interdit de se présenter à une foire de l’Etat de New York en 1984. Le politiquement correct est arrivé. David Moginier Libération, 5 décembre 2013 Les freaks fantômes Robert Bogdan analyse le goût des monstres de foire aux Etats Unis, jusqu'à leur disparition après-guerre. L’exhibition dans des cirques de personnes présentant des anomalies physiques ou mentales, réelles ou simulées, ferait aujourd'hui scandale. Les freak shows, dont l'origine remonte aux foires anglaises de la Renaissance, font pourtant partie intégrante de la culture américaine entre 1840 et 1940 et sont alors considérés comme tout à fait fréquentables, même par les classes supérieures. Si New York s'impose après la guerre de Sécession comme la capitale de ce genre de divertissements, ces derniers se diffusent à travers tout le pays avec les dimes museums, les cirques – principal divertissement de l'Amérique populaire jusqu'en 1920 – ou ces précurseurs de Disneyland que sont les parcs d'attraction comme celui de Coney Island. Homme-otarie. Le goût du public pour ces spécimens s'explique d'abord, bien sûr, par l'attirance pour la bizarrerie et la différence, comme celle des deux sœurs siamoises Daisy et Violet Hilton, de l'homme tronc Johnny Eck ou du nain Tom Pouce, dont le mariage avec la naine Lavinia Warren est spectaculairement mis en scène a des fins publicitaires. II y a aussi un engouement pour des questions scientifiques alors dans l'air du temps, ce qui donne aux freak shows un air plus crédible et respectable. Les débats sur la race et l'hybridation attribuent ainsi certaines malformations à un croisement entre l'homme et l'animal, justifiant les appellations d'homme-grenouille ou d'homme-otarie. Les Américains s'interrogent également sur la place des Noirs dans la grande chaîne du vivant, certains considérant qu'ils sont plus proches du singe que de l'homme blanc, d'autres qu'ils sont inférieurs du fait d'une dégénérescence sous l’influence du climat. L'Afro-Américain Henry Johnson, souffrant de microcéphalie, fait ainsi carrière dans le freak show entre 1860 et 1926 car il apparaît comme le chaînon manquant entre le singe et l'homme. Des centaines d'Africains - des Pygmées d’Afrique centrale aux cannibales des îles Fidji sont également donnes en spectacle a des Américains désireux de contempler des êtres primitifs dans ce que Robert Bogdan appelle une « farce anthropologique ». Les choses commencent à changer au début du XXe siècle quand l'exploitation du handicap, qu'il soit physique ou mental, est remise en cause, dans le monde du spectacle et bien au-delà. D'abord, sous l’influence de l’eugénisme, si puissant aux Etats Unis, un certain nombre d'handicapés sont mis à l’écart dans des asiles publics afin qu'ils ne risquent pas de transmettre leurs tares aux générations suivantes. Ensuite, et surtout, « sous l'œil du médecin, les différences, humaines deviennent des pathologies ». Ce sont des infirmes qui doivent être placés sous le contrôle de l'autorité médicale. Ils méritent désormais la compassion, pas la curiosité amusée. Refus. C'est en somme parce qu'ils ne font plus rire mais pitié que les freaks show vont disparaître à la fin des années 30. Cette rupture est importante pour l'auteur qui y voit en fait le signe d'une mise à l'écart des handicapés, une forme de refus d accepter la différence peut être plus radicale et discriminante que celle ayant cours au XIXe siècle. La biographie d'un certain nombre de freaks démontre ainsi que si certains ont subi une honteuse exploitation dans les cirques et parcs d'attraction, ce n'est pas le cas de la majorité d'entre eux, qui étaient reconnus comme des gens du spectacle et avaient le sentiment d'appartenir au monde du show-business. « Pour comprendre le processus par lequel la différence physique ou mentale se normalise, conclut Robert Bogdan avec un certain goût du paradoxe, l'étude des freaks en tant que personnes est un bon point de départ ». Jean-Yves Grenier Le Monde, 27 novembre 2013 Le Goût des monstres Dans le studio de photographie de Mathew Brady, célèbre pour ses portraits d'Abraham Lincoln, défilent d'étranges clients. L'atelier de Broadway est, en ces années 1870, le rendezvous des grands écrivains, des personnalités politiques, des vedettes de tout poil. Certaines l'ont très particulier, telle Annie Jones, femme à barbe. Elle vient accompagnée d'autres clients, comme Henry « Tête d'épingle » Johnson, microcéphale, Charles Tripp, l'homme sans bras, Tom Pouce et sa femme, les frères siamois Chang et Eng ou les « cannibales » des îles Fidji. Ce sont les freaks (« monstres ») de Barnum et ils sont célèbres. Leurs photographies se diffusent à des dizaines de milliers d'exemplaires. Les êtres difformes fascinent ; ils sont admis dans la culture du temps, du moins s'ils restent confinés aux albums d'images ou aux entre-sorts de la foire. En dévoilant, dans un livre pionnier écrit il y a vingt-cinq ans, ce goût des freaks dans l'Amérique de la Belle Époque, grâce à une faramineuse plongée dans les archives de Barnum, l'historien Robert Bogdan choqua : l'exhibition des difformités paraissait relever d'un voyeurisme obscène. Et pourtant son ouvrage, La Fabrique des monstres, traduit aujourd'hui en français, a engendré un nouveau courant de recherches, les « disability studies », l'histoire du handicap, si typique du renouvellement par « identité minoritaire » de l'historiographie outre-Atlantique, dont les premiers effets touchent désormais les historiens français. Phineas Taylor Barnum inaugure en 1841 son American Museum en plein cœur de New York, qui devient l'attraction la plus fréquentée du pays : en trente ans, plus de 40 millions de visiteurs s'y succèdent. L'immense immeuble de la maison-mère, sur Broadway, est prolongé par des succursales et des tournées qui promènent cette « galerie des horreurs vivantes » à travers tout le pays. DIVERTISSEMENT DE MASSE Barnum a l'idée de proposer une forme de synthèse des monstres, réunissant les trois types existants. D'une part, les « curiosités scientifiques » des collections d'histoire naturelle, exposées depuis le début du XIXe siècle dans un but d'éducation populaire. Il s'agit d'apprendre le corps humain par la vision de ses difformités. D'autre part, les numéros des forains et des Circassiens, où les anomalies du corps métamorphosent la vie banale en un spectacle exceptionnel : une manchotte prenant le thé en se servant avec les pieds, des géants ou des nains multipliant les tours d'adresse, une femme à barbe dansant une valse au bras de son compagnon, lui-même hyperpileux… Il existe enfin les monstres « exotiques » ou « sauvages », représentants des peuples primitifs. Ils fascinent par leurs mœurs barbares (les cannibales, les coupeurs de têtes…), par leur primitivisme (les enfants sauvages, les femmes callipyges, les hommes-singes…), ou parce que leur corps et leurs coutumes disent de la prétendue supériorité occidentale et coloniale (les Indiens, les zoos nègres…). Tous confortent la bonne conscience d'une Amérique sûre de sa civilisation. Barnum invente le divertissement de masse, organisé, promu, diffusé comme une industrie du spectacle. Non pas louche ou dévergondé : on visite en s'amusant et en famille, les monstres apprennent à tous que le corps relève d'un ordre certes immuable, mais pouvant être perturbé et que la vie, même mal engagée, vaut d'être vécue pourvu qu'on respecte les valeurs de l'Amérique. Barnum est une sorte de Disney tératologue. Au lendemain de la Grande Guerre, on assiste à un bouleversement de la culture du divertissement. Les campagnes contre l'exhibition des corps difformes, jusqu'alors rares mais surtout inefficaces, soudain touchent juste. La fête foraine change et ses frissons sont moins voyeuristes que mécaniques : grand-huit et autos tamponneuses remplacent les baraques de monstres. Pour la bonne conscience américaine, regarder la misère humaine devient obscène. Surtout, le public retrouve l'horreur ailleurs, moins proche de lui, moins gênante, plus fantastique, mise à distance provoquant la peur et le rire. Car les films hollywoodiens inventent des monstres autrement fascinants, King Kong, Frankenstein, Dracula, créatures les plus diverses. C'est ainsi que le cinéma représente tout à la fois le prolongement des freak shows et leur chant du cygne, une nouvelle séance et leur dernière. Freaks, de Tod Browning, en 1932, est un chef-d’œuvre du cinéma mais un très sévère échec public : les monstres de Barnum ne font plus recette Antoine de Baecque La Marseillaise, 10 novembre 2013 Toutes les bizarreries humaines y sont exhibées pour satisfaire notre voyeurisme : l'incontournable femme à barbe, le mariage de l'homme squelette et de la femme obèse, et tous les autres phénomènes de foire tournés en dérision pour la plus grande joie des portefeuilles, boulimiques et jamais rassasiés, des organisateurs. Deux livres pour lesquels les lecteurs se passionneront. Anne-Marie Mitchell L’Express, 11 octobre 2013 Bêtes humaines La Fabrique des monstres, par Robert Bogdan ou quand l'Amérique exhibait la femme éléphant, l'homme grenouille... Un classique des sciences du handicap. Il se présentait comme l'homme le plus petit du monde et rivalisait avec les plus grandes stars du XIXe siècle. Fils d'un charpentier du Connecticut, "Général Tom Pouce" mesurait 88 centimètres, paradait en costume militaire dans les fêtes foraines et se vantait d'appartenir à la franc-maçonnerie. Freak, monstre, erreur de la nature, le plus célèbre des lilliputiens n'en fut pas moins l'invité de la reine Victoria à Westminster. Le roman glamour d'une bête de scène devenue businessman, très loin de la créature mise en scène par David Lynch dans Elephant Man. Comme d'autres freaks de son temps, Tom Pouce incarnait une version baroque de l'American dream. Snob, polyglotte, le showman était admiré pour avoir su tirer profit de son handicap. À l'aube de la culture de masse, la difformité physique n'inspirait pas la même compassion qu'aujourd'hui. La médecine n'avait pas encore décrété la mise hors espace public des curiosités anatomiques. Il y avait des monstres heureux et fiers de leur différence, affirme le sociologue américain Robert Bogdan dans cette étude pionnière sur la grande époque du freak show (1840-1940). Imposture et mise en scène Aux côtés de Jack le géant, de la femme éléphant ou de l'homme grenouille, les bonimenteurs de fête foraine exploitent aussi la fascination du public pour l'exotisme. À l'heure du triomphe de la pensée raciale, c'est le début des "zoos humains", qui inaugurent la présentation d'indigènes comme phénomènes de foire. Mais toute exhibition est, par définition, une imposture. La mise en scène des freaks est presque toujours trompeuse. Sous ses fanfreluches et son ombrelle, "Mlle Fany", présentée comme le "chaînon manquant" entre l'homme et l'animal, n'était qu'une guenon costumée... Traduite en français vingtcinq ans après sa parution aux États-Unis, La Fabrique des monstres est aujourd'hui considérée comme un classique des disability studies ("sciences du handicap").Un regard dérangeant sur la différence physique, qui redonne au freak son humanité, loin de toute commisération. Grégoire Kauffmann Books, octobre 2013 LES ANNEES FREAK Dans l’Amérique de la fin du XIXème siècle, il est de bon ton d'aller observer la famille d'albinos, l’« homme-squelette » ou la « femme à barbe suisse », toutes ces « curiosités humaines » que la science ne s'explique pas, et de s'instruire ainsi en s'amusant, puisque le théâtre est réprouvé. Le freak show posera les bases de la civilisation du spectacle. Bonnes feuilles Livres Hebdo, 11 octobre 2013 Le showbiz de la différence Le sociologue américain Robert Bogdan présente une histoire sociale des « freak shows » aux États-Unis. Sociologue de l'éducation et de la pédagogie, professeur émérite à l'université de Syracuse (État de New York), l'Américain Robert Bogdan est le principal représentant des « disability statues », une discipline consacrée à l'histoire du handicap et de ses représentations dont La fabrique des monstres, paru aux États-Unis à la fin des années 1980, est l'un des ouvrages fondateurs, ici traduit accompagné d'une bibliographie actualisée. Exhumant les archives peu fréquentées des cirques, des « muséums », des parcs d'attraction et des fêtes foraines aux États-Unis entre 1840 et 1940, il s’est intéressé au « freak show », l'exhibition publique de « monstres », une véritable institution dans la culture populaire américaine. « Il me semble que le freak show nous permet de mieux comprendre certaines pratiques sociales, de retracer l'évolution du concept d'anormalité et de théoriser le regard que nous portons sur la différence », avance Bodgan en introduction. Et si le livre revient sur des cas de freaks célèbres, son propos n'est pas d'établir un catalogue mais bien d'étudier le « processus de fabrication sociale des freaks », terme qui désignait aussi bien des personnes affligées de malformations physiques, de curiosités anatomiques (« freaks naturels »), des indigènes exposés dans des ménagères humaines (« sideshow ») que les saltimbanques aux corps tatoués, avaleurs de sabre et autres charmeuses de serpents (« freaks artificiels »). Produisant des documents photographiques issus du matériel promotionnel des freaks shows, comme ces portraits au format de carte de visite vendus à plusieurs millions d'exemplaires dans les années 1860, Bogdan montre une emblématique entreprise de divertissement à but lucratif dont l'histoire révèle des enseignements pleins de paradoxes quand la pensée sociologique actuelle insiste sur la stigmatisation et l'exclusion, « à son apogée, le freak show était un lieu ou la différence était monnayable et donc valorisée ». Constatation qui incite, selon lui, à « orienter la sociologie de la différence vers une sociologie de l’acceptation ». Véronique Rossignol Page des libraires, octobre 2013 Les éditions Alma publient l’ouvrage d'un sociologue qui a modifié le regard sur le handicap et les marginaux en racontant l’histoire de leur exhibition dans les foires américaines pendant un siècle. Un monde sans pitié. Par BERTRAND MORIZUR - Librairie L’Arbre du voyageur (Paris 5e) DANS CETTE HISTOIRE du freak show publiée aux États-Unis à la fin des années 1980, Robert Bogdan sociologue de l’éducation et de la pédagogie s’intéresse à un sujet jusqu’ici peu étudié parce que sans doute tabou, l’exhibition des « phénomènes de foires ». En effet, de 1840 à 1940, les freaks ont occupé une place de choix dans l'industrie du divertissement outre-Atlantique et ont contribué au succès des musées, des cirques ou encore des fêtes foraines qui se sont développés dans l’ensemble du pays. Robert Bogdan raconte également dans cet ouvrage très illustre la vie de quelques freaks : géants ou nains femmes à barbe ou encore pseudo représentants d'un peuple sauvage, voire cannibale ou d’une civilisation disparue. À travers des mises en scène outrancières reposant sur une emphase mensongère, des handicapés physiques ou mentaux, des marginaux, des individus hors normes ont ainsi fait prospérer pendant un siècle une industrie qui nous paraît aujourd’hui révoltante. Bogdan insiste sur le fait que les freaks ne devinrent des monstres que par le regard qui était porté sur leur différence. Certes, ils furent souvent exploités par des impresarios sans scrupule, mais nombre d'entre eux revendiquèrent aussi un statut d’artiste a part entière, c’est-à-dire une véritable fonction sociale. Cet essai original qui ne manque pas d'humour malgré son sujet difficile est un excellent travail de documentation sur la part obscure des États-Unis, il se présente également comme une étude passionnante sur les paradoxes de l’évolution des mentalités. Les progrès de la science ont participé au déclin des freaks shows. Un sentiment de pitié jusqu’alors inconnu a gagné la population qui a préféré médicaliser, isoler physiquement cette partie d’elle-même qu'elle ne voulait pas voir. Internet La cause littéraire, 13 janvier 2014 Les monstres humains ont toujours été un objet de fascination. Dès l’Antiquité, Pline l’Ancien, dans son livre VII des Histoires naturelles, consacrait à la tératologie (étude scientifique des malformations congénitales) une partie importante, en répertoriant tous les cas recensés dans les écrits grecs et latins. Robert Bogdan n’est pas un amateur. Sociologue de formation, il s’est imposé comme l’un des pionniers des « disability studies » c’est-à-dire les sciences du handicap. Son ouvrage ici présenté ne se veut pas être un catalogue des difformités humaines existantes ou ayant existé, mais plutôt une analyse sociale complète du phénomène appelé Freak Show aux Etats-Unis. Pour certains, le Freak Show s’assimile à une « pornographie du handicap », un spectacle dégradant, mais qui a permis de « comprendre certaines pratiques sociales, de retracer l’évolution du concept d’anormalité et de théoriser le regard que nous portons sur la différence ». Pour les autres, le phénomène ne renvoie pas à un individu mais à une fonction qui lui est assignée dans le contexte de sa monstration. En bref, le Freak est un individu portant une anormalité physique et qui s’en sert pour vivre en l’exhibant publiquement. Avec la fondation de l’American Museum en 1840, le Freak Show va devenir petit à petit une véritable institution. Il a même droit à une définition : « Mise en scène d’individus présentant des anomalies physiques, mentales ou comportementales, qu’elles soient réelles ou simulées, en vue du divertissement ou du profit ». Désigné d’abord comme un spectacle de raretés, ou un cabinet de curiosités, il exhibe trois types de monstres : le monstre dit naturel, le monstre artificiel, et enfin le monstre factice. Parfois, la mise en place d’un artifice est nécessaire pour rendre crédible la monstruosité. Ce genre de spectacles doit aussi son succès à l’essor de la photographie. En effet, les Freaks étaient représentés sur cartes postales. Les prises de vue étaient réalisées par un photographe officiel, Charles Eisenman, qui recourait très souvent à la mise en scène pour donner de la dimension au Freak qu’il photographiait… Au 19ème siècle, le Freak Show était un spectacle tout à fait fréquentable. Bon marché, il permettait aux gens de classe moyenne de se divertir et de découvrir des curiosités, mais au début du 20ème siècle, l’exploitation du handicap physique ou mental est remis en cause. En effet, les individus exhibés ne sont-ils pas exploités finalement à leur insu ? Sont-ils vraiment d’accord de la mise en scène qui se joue autour d’eux ? Robert Bogdan reprend une expression usitée par les spectateurs, à cette époque, sur ce divertissement : « La promesse du dehors surpasse la performance du dedans ». Car force est de constater que le bluff est devenu une culture : on invente de fausses biographies, de fausses identités. On ajoute de l’exotisme à l’ensemble pour attirer le client, on invente même des causes à la monstruosité : un choc traumatique durant la grossesse par exemple. Ainsi, les idiots microcéphales deviennent des sauvages de Bornéo, les hommes atteints d’hypertrichose sont qualifiés d’homme à tête de chien, ou les individus souffrant d’acromégalie deviennent des géants. Robert Bogdan ponctue son analyse d’exemples célèbres et de photographies, permettant ainsi au lecteur de se faire une idée de la dimension pathologique et sociale du phénomène. Acquérant une réputation de plus en plus sordide, le Freak Show « contre-attaqua » en donnant une respectabilité à leurs salariés. Il fallait à tout prix chasser l’idée selon laquelle le Freak était une victime potentielle, une personne exploitée dans l’intérêt de banquistes peu scrupuleux. Dès lors, certains monstres célèbres firent parti du bottin mondain. Ce fut le cas du général Tom Pouce, ou des soeurs siamoises Daisy et Violet, stars du Music Hall. Parfois, même, ils gagnaient en respectabilité, tels les siamois Chang et Eng, véritables bourgeois, ou bien ils étaient photographiés en costume d’apparat dans un véritable décor victorien, avec leur famille. Seulement, cette riposte n’eut pas complètement l’effet escompté. Les progrès de la médecine, l’évolution des mœurs, mais aussi, les nouvelles revendications des Freaks demandant légitimement à être reconnus comme artistes, accélérèrent le déclin du Freak show. Les Freaks factices comme les hommes tatoués, les charmeuses de serpents ou les faux-sauvageons ne réussirent guère à inverser la tendance. La fabrique des monstres est un livre passionnant à plus d’un titre, car il pointe du doigt l’hypocrisie généralisée de l’époque concernant l’opinion à porter sur ce phénomène. Même la médecine ne savait pas trop quelle attitude adopter. Surtout, et Robert Bogdan insiste plusieurs fois sur ce point, il ne faut pas considérer le Freak en tant qu’individu mais en tant qu’institutionnalisation mise en scène dans les Freak Show. En effet, il ne faut pas oublier que quantités de personnes atteintes de malformation ou autre difformité ont mené une vie normale et ont fondé une famille. Enfin, la lecture de cet essai permet de mieux saisir le contexte social de l’époque. Le Freak Show renvoyait à une « représentation de soi, une manière de se mettre en scène, un point de vue » face à ce qui n’est pas normal et qui se voit. L’hypocrisie était peut-être moins présente. Pour conclure, une anecdote : Otis Jordan surnommé « l’homme grenouille » par le Sutton Sideshow qui l’emploie en 1984, est interdit de spectacle suite à la plainte déposée par une militante qui a dénoncé son exploitation, sans pour autant avoir pris la peine d’en discuter avec lui. A cela, il explique à l’auteur : « Ça me sidère. Comment peut-elle dire que je suis exploité ? Bon sang ! Elle préférait peut-être que je vive des allocations ? » Alors, le Freak est-il un métier finalement ? Virginie Neufville Salon Littéraire, 31 décembre 2013 La fabrique des monstres : Robert Bogdan nous plonge au cœur du freak show américain Pourquoi cela ne m’étonne qu’à moitié que le cirque Barnum vit le jour aux États-Unis ? S’il y eut bien une exposition coloniale à Paris, en 1931, qui témoigne de la piètre opinion que l’on avait à l’époque vis-à-vis du sauvage, cet Autre forcément mauvais car différent, donc à coloniser, éduquer, former… il n’en demeure pas moins que les difformités et autres maladies mentales n’étaient pas exposées à la vue de tous, dans le seul but de s’enrichir sur le malheur d’autrui. Cette idée nauséabonde est apparue dans cette société dégénérée, vouée à tous les vices et toutes les violences, dans cette conquête génocidaire de l’Ouest américain de la fin du XIXe siècle, période sombre de la toute petite histoire moderne des États-Unis d’Amérique. Et comme l’être humain demeurera toujours égal à lui-même, on rappellera, dans un souci d’honnêteté, les fameux lancés de nains qui se déroulaient dans les années 1980 dans certaines boîtes de nuit françaises, avant que le législateur n’y mette fin. Oui, l’Homme n’a que peu de considération pour ses semblables, surtout lorsqu’ils n’entrent pas dans la norme. D’ailleurs, en 1984, il fallut l’intervention d’une militante pour qu’une exhibition d’un homme grenouille soit annulée dans une foire subventionnée par l’État de New York. Il faudra attendre 1986 pour que ce type de spectacle soit définitivement supprimé. Non par une loi, mais tout simplement car… cela n’est plus rentable (sic). Quel que soit le nom et la pirouette linguistique – bizarrerie, étrangeté, rareté, prodige – le commerce de l’exhibition de ces êtres humains considérés comme de simples animaux, différents donc impropres à la vie quotidienne, est tout bonnement insupportable. Autant le dire : les quatre-vingts photographies, stupéfiantes, à plus d’un titre, participent au malaise que laisse la lecture de cet ouvrage. Dès le XVIIIe siècle, les forains firent commerce de ces êtres arrachés à leur pays, arguant de la différence des races, évoquant les caprices de la nature. Ainsi transplantés aux USA, les indigènes arboraient tout l’accoutrement propre à leur culture, confortant les croyances populaires en des races de lilliputiens, de colosses ou d’hommes bicéphales ; le candide spectateur pouvait ainsi se complaire dans des parallèles douteux avec les monstres de la mythologie. Impostures que ces exhibitions qui s’habillaient d’une aura pédagogique pour cacher l’énorme machine à profits qu’elles généraient. Alors si le sujet ne vous chamboule pas trop l’estomac, vous plongerez dans cette étude érudite composée de deux grandes parties. Une première approche de l’histoire institutionnelle du freak show et sa mise en scène, des premiers cirques itinérants aux présentations en grande pompe dans les museums ; d’où découlera la constitution du monde du divertissement tel qu’on le subit encore aujourd’hui. La seconde partie complète le panorama général avec les registres exotique et emphatique qui modulèrent la présentation des freaks. Déroutant. François Xavier Mollat.com, 3 décembre 2013 De 1840 à 1940, le spectacle des freaks, personnes difformes considérées comme des erreurs de la nature, connut une vogue particulière aux Etats-Unis. Outre les nains, les siamois, les femmes à barbe et autres curiosités, des représentants de peuples "exotiques" étaient présentés. L'ouvrage se plonge dans les archives du cirque américain pour décrire son économie et son imaginaire.