L`accompagnement
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RAPPORT Après l’école quand on n’a pas de diplôme Étude sur l’insertion professionnelle des jeunes de Limoges sortis du système scolaire sans diplôme Préfecture de la Haute-Vienne DIRECCTE du Limousin Mars 2012 SOMMAIRE Synthèse de l’étude …………………………………………………………………………………………………….……………………3 Rapport détaillé………………………………………………………………………………………………………..………………………15 Rappel des objectifs et de la méthode ............................................................................ 16 Panorama statistique ..................................................................................................... 21 1. Chiffres clé .............................................................................................................21 2. Le profil des jeunes de Limoges sans diplôme .............................................................26 3. L’accompagnement des jeunes sans diplôme ..............................................................36 Typologie et monographies ............................................................................................ 45 Une typologie des jeunes sans diplôme et de leurs parcours .................................................46 « Maman au foyer ».........................................................................................................47 « La vie avec les proches » ...............................................................................................61 « Les petits biz » .............................................................................................................67 « L’assistance revendiquée » ............................................................................................78 « Je cherche du travail » ..................................................................................................85 « La fragilité interiorisée » ................................................................................................90 « J’ai un travail, moi »......................................................................................................97 « C’est pour les soccas » ................................................................................................103 Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 SYNTHÈSE DE L’ÉTUDE Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 Après l’école quand on n’a pas de diplôme qualifiant1, soit 8% des jeunes limougeauds de cet âge. Il est difficile de savoir combien de jeunes Janvier 2011. Les services déconcentrés de l’Etat de la Haute-Vienne et du Limousin, côté Cohésion sociale, et côté Emploi, nous demandent de mener une enquête auprès des jeunes limougeauds sans emploi, sortis du système scolaire sans diplôme. Comment se construit leur parcours après l’école, quelles difficultés rencontrent-ils ? En quoi les dispositifs d’aide publique sont-ils efficaces décrochent de l’école chaque année sans avoir obtenu aucun diplôme (ils ne sont pas tous repérés). Le chiffre n’est pas exhaustif donc, mais la Mission Générale d’Insertion recense pour l’année scolaire 2009-2010 400 élèves décrocheurs en Haute-Vienne (soit peut-être environ 160 décrocheurs par an à Limoges). 40% d’entre eux ont quitté l’école avant la fin de la 3ième. pour les aider, en quoi sont-ils perfectibles ? Sont associés à la réflexion autour de l’étude le délégué du Préfet, la Ville de Limoges, l’Education Nationale (avec sa Mission Générale d’Insertion), la Mission Locale de Limoges, Pôle Emploi, et le Conseil Régional. Nous restituons dans cette synthèse les grands enseignements de l’étude. En France en 2009, le taux de chômage des jeunes non scolarisés et sans diplôme est de 37,6%2. En projetant ce taux de chômage national à Limoges, on estime la population concernée 750 Des entretiens sous forme de récit de vie Nous avons interviewé 30 jeunes, sollicités via par l’étude (des jeunes non scolarisés, sans diplôme, et sans emploi) à personnes. d’emploi est Ce chiffre cependant de demande sous-estimé, les jeunes en recherche d’emploi ne sont pas tous inscrits à Pôle Emploi. des structures d’aide à l’insertion professionnelle, mais aussi via des structures de la ville hors champ de l’emploi (un club de boxe, Les jeunes sans diplôme sont une réalité un centre de loisirs, …). statistique importante pour le service public Tout au long de l’année 2011 nous avons de l’emploi local. Sur le bassin d’emploi de rencontré chacun des 30 jeunes à deux ou trois reprises, reprenant avec eux le fil de leur récit auquel s’ajoutait ce qui s’était passé depuis le Limoges, les représentent jeunes plus de sans la diplôme moitié des dernier entretien. demandeurs d’emploi limougeauds de moins C’est à partir de ce matériau très qualitatif de 26 ans. Et ils représentent un peu plus touchant à tous les aspects de la vie de ces de jeunes interviewés que nous avons travaillé. limougeauds, 10% Plus tard dans l’année, nous avons rencontré en confondues. des demandeurs toutes d’emploi catégories d’âge entretien des professionnels qui ont accompagné ces 30 jeunes sur la question de l’emploi (conseillers Mission Locale, Pôle Emploi, Education Nationale, éducateurs spécialisés). La plupart de ces jeunes fréquentent la Mission Locale, même s’ils ne sont pas toujours assidus. Et parmi les jeunes que nous avons rencontrés, ceux qui ne vont pas à la Mission Locale la connaissent. Elle est Quelques repères chiffrés présente dans leur horizon (un jour ils iront … Dans ou un jour ils y reviendront …). La Mission le recensement de 2006, Limoges compte 2 000 jeunes âgés de 15 à 24 ans sortis du système scolaire sans Locale de Limoges fait état diplôme 1 Dans la définition de l’INSEE, ce sont les jeunes qui n’ont pas de diplôme supérieur au Certificat d’études primaires et/ou au BEPC. C’est cette définition que nous avons retenue également pour l’étude. 2 Au 4ème trimestre 2009, source Enquête Emploi INSEE de 1 600 jeunes sans diplôme avec qui Typologie des jeunes sans diplôme et de leurs parcours elle est « en contact » en 20093. Ce qui représenterait pas moins de 70% des jeunes limougeauds sans diplôme. A leur arrêt de Pour rendre compte de notre matériau, nous l’école, les jeunes sont orientés vers la Mission avons construit une typologie. Cette typologie Locale par la MGI et/ou le CIO. Le réseau est à la fois statique (elle décrit des profils- d’acteurs implantés dans les quartiers joue type à un temps t) et dynamique (nous nous également en sommes intéressés aux évolutions des jeunes encourageant les jeunes à s’inscrire ou se de la cohorte entre ces différents idéaux- réinscrire à la Mission Locale (les éducateurs types : qu’est-ce qui provoque le passage de spécialisés, les animateurs locaux, …). l’un à l’autre ? Qu’est-ce qui le facilite ou le un rôle de prescription freine ? Et quels rôles jouent les dispositifs Le PRIAQ, dispositif mis en place par la locaux d’aide à l’insertion professionnelle ?). Il Mission Générale Insertion, touche quant à lui s’agit bien là d’une modélisation, qui force les environ 30 jeunes chaque année. Il propose traits de certains jeunes et parcours pour en aux comprendre jeunes décrocheurs une année les mécanismes. Comme le d’alternance entre cours de remise à niveau et rappelle Dominique Schnapper4, la méthode périodes en entreprise pour préparer un projet typologique n’a pas pour objet de « classer les professionnel, et envisager un retour dans un personnes » mais bien « d'élaborer la logique cycle de formation initiale. des relations abstraites qui permet de mieux comprendre les comportements et les discours Une concentration géographique des observés ». jeunes sans diplôme dans les quartiers défavorisés. 41% des jeunes non diplômés accompagnés par la Mission Locale résident en La typologie quartier CUCS (Beaubreuil, Val-de-l’Aurence, La Bastide, Le Vigenal, Les Portes Ferrées). La recherche d’emploi différée Alors que les jeunes de 15 à 24 ans résidant « Maman au foyer » dans ces quartiers ne représentent que 16% des jeunes de 15 à 24 ans de la commune. La vie avec les proches Des indicateurs préoccupants du côté des filles. A Limoges, 49% des jeunes « Les petits biz » non « Je cherche du travail » « J’ai un travail moi » L’assistance revendiquée scolarisés et sans diplôme sont des filles (42% au niveau national). En outre, les jeunes Un statut par l’emploi ou par la recherche d’emploi Proximité à l’emploi limougeaudes de 15 à 24 ans sans diplôme qualifiant sont sorties plus souvent que les La fragilité intériorisée garçons au niveau collège et sans obtenir le « C’est pour les soccas » BEPC. L’Académie de Limoges est, en 2001, la seule Académie de France dans laquelle les La recherche d’emploi angoissée filles de la classe d’âge 16-19 ans sont moins scolarisées que les garçons (taux de Participation à un jeu social L’insertion dévalorisante scolarisation de 88% pour les filles, 90% pour les garçons). Nous accorderons une place particulière dans l’enquête à cette question des jeunes filles. 4 3 Un contact signifie un entretien au moins dans l’année. Schnapper, 1999, La compréhension sociologique (Démarche de l'analyse typologique), Paris, PUR, p. 113. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 2 Premier axe de la typologie, la proximité à l’emploi. Plus les jeunes sont à droite dans construisent, elle est illusio). « La vie avec les proches » le graphe, plus ils sont actifs dans leur recherche d’emploi et plus ils sont proches de Eléments du profil. L’idéal-type « la vie avec l’emploi (si l’on prend des indicateurs factuels, les proches » est à rapprocher de celui des ce de « petits biz ». Il s’agit dans les deux cas de recrutement, le nombre de petits contrats de jeunes qui ont moins de 18 ans. S’ils se travail réalisés, les formations suivies, …). La ressemblent pour se référer beaucoup à un catégorie graphique univers adolescent, et pour vivre encore correspond à des jeunes en emploi : il s’agit dans le giron familial, leurs activités et leurs dans notre cohorte de jeunes en missions enjeux diffèrent. « La vie avec les proches » d’intérim, ou en CDD/CDI à temps partiel. concerne plutôt des jeunes filles et « Les serait le tout nombre à d’entretiens droite du petits biz » des garçons. Pour cette tranche la d’âge des 16-18 ans les différences filles- participation à un jeu social. Participe à un garçons nous sont apparues très fortes dans jeu social celui qui parvient à intégrer les les entretiens. Deuxième axe de la typologie, codes d'un groupe social plus ou moins institutionnalisé. En somme, il se présente lui- Les jeunes même comme faisant partie d’un groupe problématiques auquel il tient à faire valoir son appartenance. définissent beaucoup par rapport à leur vie à En bas du graphique des personnes qui ne se la maison : qu’elles soient très aidantes dans sentent pas une place dans un espace social la cellule familiale (comme cette jeune fille qui de référence ; en haut du graphique des fait les courses et les repas pour sa mère qui personnes qui témoignent d’une valorisation ne peut pas se déplacer et son frère de 12 d’eux-mêmes par leur appartenance à un jeu ans), ou se présentent comme en rébellion social (même si l’appartenance c’est eux qui la par rapport à cette structure familiale (comme cette filles jeune font face particulières. fille qui à des Elles explique se qu’elle La difficulté d’étudier cet « objet » déménagera chez une amie à Bordeaux dès Il y a deux risques majeurs dans l’étude, côté qu’elle enquêteur, et côté lecteur : - aura 18 ans), elles y accordent beaucoup d’importance, c’est leur univers de Considérer ces jeunes comme mûs par une référence. forme d’irrationalité. On ne comprend pas leur stratégie, elle semble dénuée de sens Ces jeunes femmes sont très sensibles à cet (qui sont ces êtres bizarres ?). Il s’agirait là environnement familial. Cela peut prendre d’approche stigmatisante (ils sont différents, à part). - différentes formes et jouer un rôle plus ou moins explicite. Amina a commencé un Etre démunis devant des personnes qui n’ont apprentissage dans l’hôtellerie-restauration, et pas leurs démissionne de son contrat au bout d’une pas semaine, sur insistance de son père. Pour l’air d’avoir de moteurs actions, qui finalement ne dans semblent vraiment exister. On risquerait là le travers inverse, l’approche misérabiliste (des personnes qui n’ont rien, qui sont perdues). Face à ces difficultés, notre approche se Rachida, l’évènement l’abandon moins d’une marqué jouer : déclencheur formation mais elle le qualifiante contexte travaille en de est familial veut compréhensive : comprendre à quel espace semble horaires social ces jeunes participent, dans quel jeu elles décalées, rentre tard le soir et ne peut plus évoluent, pour comprendre les moteurs et les jouer le même rôle dans la cellule familiale ; dynamiques des parcours. elle est très affectée par un drame qui touche un ami de son frère. La vie de ses proches Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 3 structure et/ou bouleverse son quotidien, et cherche à combler. Les tensions internes, les provoque des ruptures brutales dans son enjeux parcours professionnel à elle. professionnelle (projetée) n’y joue pas une sont présents, mais la vie fonction explicitement identifiée. La tension Les parcours. Pour ces jeunes filles, la prend question des « amis », du « petit copain » est attentes familiales implicites (se concentrer la forme d’un dilemme entre les très présente. Elles aspirent à cela bien sûr, sur un rôle de femme au foyer) et la volonté mais de de s’en libérer. Cette volonté de liberté n’est Rachida) un tiraillement entre les gentilles pas associée spontanément pour ces jeunes pressions familiales pour « se poser » (trouver femmes un mari et avoir des enfants) et la volonté l’emploi. Est-ce qu’elles doutent de leurs revendiquée d’attendre encore (« je ne suis capacités à jouer dans ce monde-là ? Est-ce pas pressée »). Chez certaines jeunes filles que les tensions internes sont trop fortes pour cela s’ajoute à des questions touchant la que le choix puisse être réellement assumé ? religion (réflexions sur le port du voile, …). Le Le refuge dans l’univers adolescent repousse parcours de jeunes femmes que nous avons les rencontrées, tombées enceinte très jeunes, qu’adulte, ou les laisse s’imposer par la force vers 16- 19 ans montrent que le parcours de des choses. peuvent exprimer (c’est le cas au choix suivi que d’une l’on formation devra faire ou en à tant ces jeunes filles peut vite devenir celui d’une grossesse précoce qui n’a pas été planifiée. Elle se fait dans le cadre d’une relation « Les petits biz » amoureuse peu stabilisée ; la grossesse arrive un peu par hasard, sans qu’on ait fait le choix vraiment ni de l’éviter ni de la provoquer. Eléments du profil. Les garçons que l’on décrit dans ce profil type sont assez La recherche d’emploi. Le choix des métiers déroutants dans lesquels on se projette dépend beaucoup beaucoup de temps dans les entretiens à de la sphère familiale. On se lance dans le expliquer qu’ils « ne font rien », que leur métier de cuisine parce qu’on a aimé cuisiner problème est d’avoir « un énorme poil dans la avec sa mère. Les métiers de référence sont main », qu’ils « galèrent ». Ils décrivent un des métiers très genrés. univers morose d’attente devant la télévision dans l’interview. Ils passent à ne rien faire … Ces jeunes femmes pensent plus à faire une formation ou un apprentissage (et rester dans Plus tard dans les entretiens, en les relançant l’univers étudiant) qu’à commencer un contrat sur de travail. On abandonne un projet en cours, recherche d’emploi, leur visage s’anime, leur et ce n’est pas si grave, on laisse le temps parole s’accélère et nous touchons à ce qui les passer, on laisse les choses venir, même si le fait vibrer (métamorphose d’un air abattu temps devient long. On va à la Mission Locale en pour au passionné de moto, et passe beaucoup de conseiller (comme un réflexe scolaire), on s’en temps avec des amis à faire des courses de approprie motos et à réparer des deux-roues pour des faire plaisir à assez ses peu parents, et l’utilité. La d’autres un sujets « esprit que l’emploi festif »). Pierre est connaissances ses proches (avec sa famille et/ou avec rémunérés). Il se fait un peu d’argent aussi en ses achetant suffit aujourd’hui à la des valorisation de soi. L’identité professionnelle leboncoin.fr, ne manque pas, ce n’est pas un vide que l’on revendant services la reconnaissance trouvée dans la vie avec amis) (petits et deux-roues en plus les cher. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 souvent d’occasion retapant Chez les puis sur les garçons 4 rencontrés, cette économie parallèle touche un jour « la zonzon ». Ou bien Bojan, qui n’est souvent aux moteurs, aux téléphones, aux jamais petits commerces, et peut parfois inclure des fréquente pas les structures associatives du activités illégales. quartier, et qui prend part à temps plein à une allé à la Mission Locale, qui ne activité familiale « au noir ». Ces deux jeunes Leur emploi du temps est en fait loin de passent des « petits biz » adolescents à une refléter l’anomie décrite initialement par ces vie dans l’économie parallèle qui devient garçons, ils ont en réalité des activités bien structurée et rentable. Même si tous les deux définies, des emplois du temps et des pensent aujourd’hui que cette activité n’est réseaux assez structurés. Ces activités ont pas viable à long terme, ils espèrent bien presque les codes d’une vie professionnelle qu’elle ne devra pas s’arrêter. classique. Les mots utilisés y font en tous les cas explicitement référence (les « collègues », Autre scénario, Abdoullah, qui a l’habitude de des « petits contrats »). travailler au noir dans un garage, et qui essaie de convertir cette activité non déclarée en sujet contrat aidé. Il n’y arrivera pas. La volonté de d’inquiétude. Ils vivent encore chez leurs ces jeunes peut être de convertir ces « petits parents, et l’argent qu’ils gagnent avec ces biz » petites activités a vraiment le statut d’argent traditionnels et reconnus, mais le passage est de difficile, L’argent n’est poche. pas vraiment L’arrivée de la un majorité peut en modes tout de comme acquises vie le sur professionnelle transfert le tas, de changer la donne, et les relations au sein de la compétences sans famille se tendre. validation par une formation ou par des références d’un employeur traditionnel. Parmi ces jeunes, plusieurs d’entre eux rencontrent en réalité (nous le découvrons Dernier scénario. Nhan, s’il ne parle pas de avec « petits biz » dans lesquels il aurait été leurs conseillers) des difficultés niveau impliqué, raconte avec excitation le temps scolaire, une forte dyslexie, un bégaiement, … (passé) des courses poursuites avec la police Ils ont fait leur scolarité en SEGPA, voire en dans le quartier. Mais il est inquiet de son IME. La question du handicap n’est souvent avenir, et sa petite copine encore lycéenne le pas abordée de front dans les entretiens avec renvoie à ses échecs. A la fin de l’année, il a les conseillers. Ces garçons se débrouillent raccroché à la Mission Locale, parce qu’il a avec leur « handicap » grâce au système trouvé sa place dans une formation SAS du D, et à des compétences pratiques qu’ils Conseil Régional. Pariant sur le 100% réussite développent et qu’ils mettent à profit qu’on leur a promis (vous trouverez tous un cognitives : ils ont un très petit dans une économie parallèle. La Mission avec jeu de la formation et des stages, se donne à peuvent être fond, et croit à la signature bientôt d’un abandonnées en cours, les propositions ne contrat de professionnalisation pour un métier faisant pas qui ne lui déplaît pas. des est emploi à l’issue de la formation), Nhan joue le fréquentée irrégularité, Locale actions le poids avec la valorisation trouvée dans cette vie active-là. Parcours. Pour les jeunes que nous avons rencontrés, le parcours a pris différentes Maman au foyer voies. Premier scénario, Axel. Il a maintenant 21 ans, et à cause des trafics dans lesquels il Eléments du profil. Elles ont entre 17 et 25 est ponctuellement impliqué, il sait qu’il risque ans, un premier enfant plus ou moins planifié, Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 5 dans une vie conjugale pas toujours installée. identité professionnelle avant la vie de Elles « maman au foyer ». Est-ce que celle-ci est ont pour la plupart décohabité au moment où elles ont eu leur premier enfant venue ou peu après. professionnelle ou est-ce que celle-ci est interrompre une ambition venue créer finalement elle-même la première La maternité a signifié pour elle une entrée forme d’identité professionnelle ? subite dans la vie adulte. Le premier enfant arrive souvent tôt (17-18 ans pour certaines) Chenda est tombée enceinte juste avant la fin avant qu’elles aient acquis de une première sa formation qualifiante comme expérience professionnelle significative. Ces esthéticienne (elle avait 18 ans). Honteuse jeunes de d’être enceinte et d’avoir « tout gâché » (c’est reconnaissance sociale dans leur rôle de femmes ce qu’elle nous explique), elle abandonne la mère. La vie est rythmée par les enfants. La formation du jour au lendemain. La grossesse priorité (ce que l’on valorise) est de bien signifie pour elle un retour dans sa famille et s’occuper une entraîne une « galère » de plusieurs années se (quatre ans environ). Elle est au RSA et de compétence trouvent ses que un enfants, ces espace et jeunes c’est femmes reconnaissent. De ce point de vue-là, la parvient relation avec les travailleurs sociaux est assez financièrement. Elle arrive à obtenir quelques difficilement à s’en sortir apaisée. Ces derniers encouragent plutôt les missions d’intérim, arrête parce qu’elle les vit femmes dans cette voie (d’abord les enfants, mal, puis reprend finalement l’intérim à l’usine le travail après, quand l’enfant aura 3 ans). un peu plus tard. L’intérim la fait vivre, elle et sa fille, depuis maintenant quelques années Pendant le jeune âge de leurs enfants, la (elle a aujourd’hui 25 ans). recherche d’emploi est mise de côté ou plutôt années Najet se marie très tôt (à 16 ans) et a trois finalement sans avoir envoyé de candidature). enfants, elle divorce peu après la naissance du Le contact avec la Mission Locale ou Pôle troisième. Maintenant que le dernier a 1 an et Emploi, demi, elle veut trouver un emploi. évanescente (parfois s’il n’est plusieurs pas complètement Elle est abandonné, est mis entre parenthèses, et très orientée par Pôle Emploi sur une prestation désinvesti. « Je ne cherche pas parce que j’ai d’accompagnement qui la « booste » pendant ma fille, j’attends … Mais si on me trouvait 6 mois, et lui donne de nouvelles idées de quelque chose je le prendrais ! » (Jessica, 21 métier : ans, 1 enfant, enceinte du 2 ème ) elle pourrait être assistante maternelle, mais également auxiliaire de quelque vie. trouvait chose je le prend Najet veut un emploi. Cet emploi doit venir Le recours aux aides publiques fait partie de confirmer son rôle social de maman : il l’équilibre économique de la famille, souvent doit lui permettre à la fois de toujours être monoparentale. Il est relativement assumé, une « bonne maman » (présente pour ses car il correspond au besoin de faire vivre sa enfants, famille, ce que l’on ne pourrait pas à ce jour compétences dont elle fait preuve comme faire autrement. maman (qui sont les compétences qu’on lui disponible), et de valoriser les reconnaît selon elle socialement). Pour Najet, Parcours. La recherche d’emploi redémarre l’emploi est conçu comme un prolongement de pour la plupart de ces femmes quand le ce rôle de maman au foyer. Tout ce qui (dernier) enfant a 3 ans. Cette recherche s’oppose à cela (le refus de la société HLM d’emploi est plus ou moins chargée de pour sa demande d’appartement qui retarde sens, ou chargée d’un sens différent, son agrément d’assistante maternelle, le refus selon l’existence ou non d’une première de la crèche des arrangements qu’elle a Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 6 prévus avec d’autres mamans, …) est incompris et incompréhensible. Le marché de Parcours. Ce sont des jeunes très fragiles l’emploi fonctionne pour elle selon les mêmes face au marché de l’emploi. N’en ayant pas et règles que la vie de « maman au foyer ». n’en comprenant/acceptant pas les codes, ils C’est l’expérience fondatrice à laquelle elle se sont dans une forme de déni face à la réalité réfère. du travail. Cela les conduit à abandonner des petits contrats en cours de route, quand bien même ils ont un besoin financier important ; à dépenser L’assistance revendiquée profil. Nous rapidement l’argent qu’ils viennent d’acquérir, … Ils Eléments du très reprenons risquent de basculer du côté de la ici catégorie « la fragilité intériorisée », mais (comme plus loin pour la fragilité intériorisée) pour l’instant le voile n’est pas levé. Toute un concept de Serge Paugam dans « La l’attention est portée sur la tractation avec disqualification sociale »5. Il utilise ce terme l’aide publique, activité rempart pour eux face pour décrire un type d’expérience vécue de aux réalités d’un marché du travail qui les l’assistance. rejette(rait). Nous avons rencontré très peu de jeunes se rapprochant de ce profil type. Il est caractérisé par une demande appuyée vis-àvis de la Mission Locale et des travailleurs sociaux. C’est une approche légitimiste de « Je cherche du travail » l’aide publique (ce serait la seule forme d’aide légitime). Selon ces jeunes, l’aide doit venir Eléments du profil. Moussa a 19 ans. Il a de là parce qu’on n’imagine pas qu’elle puisse arrêté l’école il y a deux ans, parce qu’il être ailleurs. voulait tout de suite commencer à travailler (il se présente comme quelqu’un qui est le Ce sont des jeunes avec très peu de contraire ressources multiples récemment (qu’ils dans la soient ville arrivés avec peu très de de paresseux). stages : Il enchaîne boulangerie, de peinture, mécanicien dans un garage, … Il fait un personnes de connaissance, qu’ils parlent mal exposé le français, qu’ils maîtrisent mal les codes du l’interview, parle d’un emploi du temps très de toutes ces démarches dans marché du travail, …). Ils concentrent alors cadré : « tous les matins je me lève et je vais tous leurs efforts dans la négociation à l’agence d’intérim ». Peu importe si cela n’a avec jamais les travailleurs sociaux et les abouti et si d’intérim recherche d’emploi conseillers : obtenir un logement, un job s’impatiente, d’urgence, obtenir « un travail », une lettre de systématique et millimétrée lui confère motivation, ... Même si finalement ils sont très déjà un statut de travailleur : « je cherche à côté de ce que la Mission Locale leur du travail moi ! » (il le répètera à trois demande (« on ne fait pas à votre place, on reprises au cours du premier interview). Il n’a fait avec vous »), ces jeunes se valorisent de dans cet espace de jeu social-là (qui serait en détermination. Il parle avec précision de son définitive le jeu de l’assistance, si on reprenait projet de devenir peintre en bâtiment. Et le terme de Serge Paugam). prend plaisir à raconter tous ces gestes cesse cette l’agence de professionnels, montrer toutes ces sa volonté, tâches qu’il sa a 5 Serge Paugam, La disqualification sociale. Essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, Presses Universitaires de France, 1991 réalisés pendant ses stages. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 7 Plusieurs jeunes que nous avons rencontrés appartenir, on mettent appartenir, mais en rassure, place et une les routine protège qui les contre se sent déjà dont on (quasiment) n’arrive pas le finalement à faire partie. « En ce moment j’ai sentiment d’une dégradation (parce qu’on beaucoup de doutes. En deux ans personne ne a honte d’être chômeur). La difficulté de ces me prend. On lâche prise … » (Moussa). Cette jeunes (c’est leur différence par rapport à des recherche de travail surinvestie risque de chômeurs plus âgés) est de ne pas pouvoir se basculer du côté de la « fragilité intériorisée ». référer à une identité professionnelle qui les On n’arrive plus à repousser le stigmate du aurait par le passé valorisés et qu’ils auraient chômage. perdue. Moussa, lui, finira l’année 2011 avec une Ils d’expérience n’ont pas (ou professionnelle à très peu) laquelle se formation pré-qualifiante de peintre en rattacher. Le projet professionnel a ainsi bâtiment, suite à laquelle il est accepté pour pour eux une importance primordiale, il une formation qualifiante qui commencera leur dans permet d’attester déjà de leur trois mois. D’ici là il cherche des appartenance au monde du travail, et non missions d’intérim et autres petits contrats de au monde de ceux qui « galèrent » ou « ne travail. font rien » … Le projet professionnel fait déjà figure pour eux d’identité professionnelle. Moussa explique avec plaisir comment il en La fragilité intériorisée est venu à vouloir être peintre, comme s’il nous expliquait comment il est devenu Eléments de profil. Ce sont des jeunes qui peintre. Le projet d’être peintre est déjà un souffrent d’un fort isolement social, ou d’un « être peintre ». vécu douloureux (évènements familiaux, ...), d’une détresse psychologique et de difficultés L’importance de se distinguer des autres financières très prégnantes. chômeurs, et de donner cette image de « travailleur » passe aussi par la mise à Comme les jeunes de la catégorie « je cherche distance de la Mission Locale. On va à la du Mission à autour de leur recherche d’emploi. Mais cette est organisation est chargée moins positivement. diminuée dans le discours face à une Ils se sentent démunis, et peu aptes. Ils agence d’intérim ou face aux démarches se croient perdants d’avance ou bien se menées soi-même. Des démarches qui (on lancent, à corps perdu, dans une entreprise l’apprendra par le conseiller) ont été menées vouée à l’échec (un diplôme repassé maintes dans fois par exemple, dont le conseiller pense que Locale accomplir, comme mais le son cadre un devoir importance d’une prestation d’accompagnement spécifique, ou grâce à travail », ils rythment leurs journées le jeune n’a pas les moyens). l’aide de la Mission Locale, sont réappropriées comme des actions dont on est le seul Ils initiateur l’accompagnement, et responsable. On refuse le stigmate de l’assistance. sont très dépendants sur le plan de des démarches, des opportunités, comme sur le plan affectif, et cela les culpabilise. Parcours. Derrière ce discours de maîtrise la Certains mois, Douja va tous les jours à la détresse peut de Mission Locale parler à sa conseillère, lui solution (qui est demander de l’aide. être peut grande. durer L’absence longtemps) d’autant plus douloureuse que tous les efforts sont investis dans cet emploi (futur, Parcours. Devant la bonne volonté exprimée potentiel). C’est le jeu social auquel on veut par ces jeunes (ils jouent pleinement le jeu de Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 8 l’accompagnement), leurs échecs dans les CDI). Cela correspond bien à cet âge de la vie, formations ou leur recherche d’emploi, leurs tel qu’il est vécu chez les garçons notamment difficultés (cognitives, psychologiques, …) les (qui commencent à faire de l’intérim plus tôt conseillers sont parfois démunis. Le chantier que les filles), où on a besoin d’argent pour d’insertion est souvent mobilisé. les Il est vécu par les jeunes interviewés comme sociabilité, … Chez les filles, le recours à une période positive. On a obtenu un travail, l’intérim commence en dernier ressort, quand on a un salaire. Mais la fin du chantier signe on doit faire vivre la famille. loisirs, les sorties, les voyages, la (s’il n’est pas suivi d’un autre emploi) un parcours La pénibilité du travail, ou sa répétitivité particulièrement difficile à vivre (quand les est jugée supportable dans la mesure où opportunités qu’il semblait y avoir après le on ne restera pas éternellement à ce chantier de poste. C’est souvent le moment où l’on l’accompagnement de ces jeunes est alors à commence à faire le projet de se relancer nouveau entière pour le conseiller. dans une formation pour trouver un emploi temps d’arrêt dans le s’évanouissent). La question qui nous convient mieux (ou pour anticiper une éventuelle absence de missions). Mais cela peut aussi être à l’inverse le moment « J’ai un travail moi » pour certains de reculer une formation (un Eléments du profil. Bien entendu, pour eux projet) qui nous intéresse mais qui attendra. ce doit être une erreur si nous les avons pris Le « timing » pour le passage à un autre dans l’étude. Même s’ils n’ont pas de mission projet n’est pas facile à trouver pour ces d’intérim au moment où on les rencontre, une jeunes. nouvelle mission redémarrera rapidement. Ils font désormais bien partie du monde du Parcours. Dans leur volonté de construire un travail. projet pour l’après-intérim (ou pour conforter l’intérim), ces jeunes se tournent d’abord vers L’intérim est un mode de vie au travail. la Mission Locale ou Pôle Emploi. Ils viennent Les s’adaptent demander le financement d’une formation rapport qu’ils ont choisie. Cheik, 21 ans, enchaîne les stratégies (et/ou sont de ces jeunes adaptées) à ce rapport missions d’intérim depuis moins d’un an. A un distancié, pas de projection dans l’entreprise moment de creux (il n’est pas rappelé par sur le long terme (ce n’est pas du tout une l’agence d’intérim à la suite d’une mission), entreprise ni un poste dans lequel ils se voient inquiet de préparer l’avenir, il se présente à la travailler si Mission finalement ils acceptent de jouer le jeu des 6 CACES . contraintes de l’intérim (être disponible tout formation ne sera pas financée, et abandonne de suite, ne pas prendre de congé sous peine vite l’idée de s’adresser et d’être aidé par la de ne pas retrouver de mission, attendre la fin Mission Locale. Il se dit qu’il négociera en d’un enchaînement de missions pour penser temps venu cette formation avec l’agence formation, …), ils se sentent d’intérim (il y aura droit au bout d’un certain « intérimaire » dans un toute à l’entreprise : leur contrat de vie). Et un même plus libres que type CDI qu’ils n’accepteraient pas s’il était à l’usine. Locale Il pour faire comprend par une formation l’AFPA que la nombre d’heures). Pareil pour Chenda dont la formation ne sera pas prise en charge financièrement par Pôle Emploi. Elle a une fille L’intérim c’est « le bon plan ici », la « roue de secours ». On a le sentiment de bien gagner sa vie (mieux en tous cas qu’en en bas âge mais essaie néanmoins d’épargner 6 Formation à des permis qui permettent de conduire des chariots élévateurs dans les usines, et d’avoir un poste de manutentionnaire plus qualifié. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 9 pour financer elle-même sa formation (une pour eux l’importance de se projeter dans un formation qui l’emmènerait dans un tout autre projet alternatif (pour plus tard). secteur). Elle n’a pas de calendrier en tête, le projet est lointain. Sami a Le temps de l’intérim à l’usine s’allonge, et le amèrement de ne pas être allé jusqu’au bac. temps de l’autre projet recule. Ses frères et sœurs ont tous le bac, « ils ont réussi ». un BEP Prenant Vente, et exemple il sur regrette son père, ouvrier plaquiste (en pré-retraite), il décide d’en faire lui aussi son métier (même si son « C’est pour les soccas » père le lui déconseille). Il commence une formation dans le domaine. Intelligent, et Chez beaucoup des ayant plutôt des bonnes capacités à l’école, jeunes que nous avons rencontrés, on rejette Sami trouve que les personnes de la formation en Eléments du profil. d’esclave ». ont un petit niveau théorique, et il n’est pas à L’expression est la même dans la bouche des l’aise dans la partie pratique. Dans cette uns et des autres, elle est affirmée comme si formation, explique-t-il, « il n’y avait que des elle se suffisait à elle-même : cela veut tout soccas7 ». Le projet dans lequel il s’est engagé dire (pas la peine d’expliquer). On n’est pas ne lui semble plus vraiment adapté. prêt à tout accepter. Le travail saisonnier Chenda, plus âgée que Sami, a derrière elle agricole fait souvent figure de repoussoir, ou quelques années de missions d’intérim à encore le travail à l’usine. Cette expression l’usine. Elle nous explique elle aussi que (« travail d’esclave ») semble faire écho au l’usine « c’est pour les soccas ». Elle se ressenti de discrimination qui transparaît dans projette à terme propriétaire d’un cabinet les récits de vie de nos interviewés (sans d’onglerie en région parisienne. bloc le « travail qu’ils utilisent jamais eux-mêmes le terme de discrimination). Comme Chenda qui, racontant Parcours. La sa recherche d’un cabinet de coiffure pour un soccas » apprentissage, explique qu’elle comprend vite, proches. Souvent ces jeunes aspirent à un après quelques visites dans des salons de autre projet, plus ou moins formulé, plus ou coiffure du centre ville, que sa tête détone moins avoué, plus ou moins construit. Cette dans le paysage. La réponse négative des insatisfaction vis-à-vis du projet actuel ou de salons n’est pas pour la surprendre. l’emploi actuel est souvent tue, pour mettre et catégorie « j’ai un « c’est travail pour moi » les sont en avant la fierté d’être en emploi, ou d’avoir Pour biz » un projet d’emploi réaliste (Sami). Cet autre notamment) on se cache derrière sa jeunesse les plus projet n’est pas souvent abordé avec son pour éviter de jeunes devoir (« les se petits cette conseiller (ou bien on a abandonné l’idée d’en contrainte (du « travail d’esclave »). Un peu plier à parler avec lui). Cela pose la question de plus tard, plusieurs changeront d’avis, et l’accompagnement de ces jeunes pour des finiront par accepter la pénibilité d’un projets pas faciles à monter seul. poste, ou de revoir leurs ambitions à la baisse. Ce sont ces jeunes que nous décrivons dans cette catégorie-ci. Pour eux, l’acceptation d’un projet vécu comme dégradant est douloureuse. Cette perception de la situation peut aller jusqu’à remettre en cause le projet ou bien renforce 7 « soccas » : cas soc (cas sociaux) en verlan Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 10 familiales très fortes, et une volonté de suivre Pistes d’action publique son propre chemin (quelqu’il soit) sans être L’étude a montré la forte présence des acteurs pour autant bien armé pour le faire. de l’aide à l’insertion professionnelle sur le territoire de Limoges. Les quartiers de Limoges sont à taille humaine et les réseaux entre les différents professionnels sont la plupart du temps réels et bien implantés (coopération entre les travailleurs sociaux et la Mission Locale, spécialisés et la nombreuses entre Mission les éducateurs Locale, actions …). De expérimentales témoignent de l’investissement des uns et des autres sur ce thème et portent leurs fruits (le sas de la Région, les médiateurs Pôle Emploi dans les quartiers, les clubs de recherche d’un patron pour l’apprentissage, l’aide financière au permis, …). ces ressources en termes d’accompagnement de ces jeunes jeunes sans diplôme sont nombreuses, nous avons choisi d’en développer deux afin que ces recommandations soient opérationnelles pour femmes. Début 2011, l’antenne de planning familial de Limoges a fermé. Il reste à Limoges un seul centre de planning et d’éducation familiale agréé par l’Etat : le CHU. La DRDFE a peu de moyens. La Mission Locale a quant à elle peu de ressources en matière médicale et pas de référent identifié sur cette question de la planification familiale. Enfin, les questions qui se posent à ces jeunes femmes sont bien connues des éducateurs L’étude montre que les pistes d’action utiles pour Un territoire qui a perdu de nombreuses acteurs de spécialisés, terrain les (les travailleurs sociaux, les conseillers) sans qu’on en ait fait un projet concerté d’action publique sur le territoire, et sans collectivement, qu’on sache comment vraiment, répondre à ces problématiques. le comité de pilotage. Les pistes d’action. L’action sur ce sujet doit Premier axe d’action à renforcer à Limoges : l’accompagnement des jeunes femmes passer par une mobilisation concertée de tous les acteurs du territoire concernés. Il faudrait mettre en place un groupe de travail rapproché associant : Les constats. Le territoire de Limoges concentre deux difficultés : - l’Inspection Académique et/ou le Rectorat ; Des jeunes femmes avec de réels besoins d’accompagnement dans leurs premiers pas de femme. C’est particulièrement le cas pour les jeunes femmes sans diplôme qui, on le voit statistiquement, ont des enfants beaucoup plus jeunes, souvent avant d’avoir une formation ou expérience professionnelle significatives. A Limoges, les indicateurs statistiques alertent : le nombre de grossesses précoces, le nombre de familles monoparentales avec des mères très jeunes, le nombre de jeunes femmes sans diplôme, ni même le brevet des - la DDCS, la DIRECCTE et la DRDFE ; collèges. Plus qualitativement, on a vu les tensions internes que vivent ces jeunes filles entre des attentes - la Mission Locale ; - le Conseil Général. Les centres de planification et d’éducation familiale font aujourd’hui partie des compétences du Département, au même titre que les centres de Protection Maternelle et Infantile. - l’Agence Régionale de Santé, qui pilote le Contrat Local de Santé. Ce dernier, signé en 2011, comporte un axe « Eduquer à la sexualité et à la vie affective, prévenir les grossesses précoces et les Infections sexuellement transmissibles (IST) », avec une action d’information dans les classes de 4è et de 3è et une action portée par le CIDFF de développement d’un projet de Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 11 jeunes femmes « relais » auprès de leurs pairs. • des modalités d’information adaptées sur ces ressources présentes sur le territoire - la Ville de Limoges. Les Contrats Urbains de (campagnes de communication accessibles à Cohésion Sociale qu’elle co-pilote avec l’Etat toutes hors interaction avec un professionnel, peuvent pour communication « anonyme », présence sur le travailler cette question (avec l’Atelier Santé web, …). Les campagnes d’information et de Ville en particulier) ; communication locales pourront s’appuyer sur - le être CIDFF un qui outil porte pertinent à Limoges un des outils existant à un niveau national établissement d’information et de conseil (développés conjugal et familial. européens, …). dans le cadre de projets Dans un deuxième temps, le groupe de travail pourra associer à la réflexion un deuxième cercle d’acteurs (CHU, CPAM, ALSEA, …), Deuxième axe d’action prioritaire : S’adapter aux difficultés cognitives selon les pistes d’action qu’aura définies le premier groupe de travail. Le groupe de travail pourra travailler sur Les constats. Les jeunes sans diplôme ont différents axes : pour certains rencontré de vraies difficultés • des actions de prévention des grossesses scolaires précoces (auprès des élèves en 4ème et Souvent repérées dans le cadre de l’école, ces 3ème mais pas seulement, actions flash au difficultés ont conduit les élèves à suivre leur sein des quartiers, …) ; scolarité dans des SEGPA, voire parfois en des ateliers de réflexion pour les jeunes établissement spécialisé (IME, IMPro). On a femmes leurs dans notre cohorte des jeunes avec ce profil- leurs là, il ne fait pas figure d’exception. • qui font questionnements, • écho leurs à envies, à cause de troubles cognitifs. appréhensions, et qui les aident dans Ces troubles cognitifs sont parfois légers, ils leurs premiers pas de femmes (qu’est-ce ne sont pas tout de suite perceptibles (et les qui est important pour moi en tant que jeunes ont le réflexe de les masquer). Ils femme ? Comment je me projette dans peuvent entraîner de vraies difficultés des les prochaines années ? Est-ce que je personnes dans leur veux porter le voile et pourquoi ? A quoi d’apprentissage, ressemblera ma vie professionnelle de jugement, en situation de formation, mais femme ? Qu’est-ce qui est important pour aussi en situation professionnelle. moi dans le travail et dans la vie de Pour famille ? …) ; professionnels qui les accompagnent dans leur des échanges de pratiques des professionnels pour réfléchir aux postures les recherche de processus jeunes compréhension sans d’emploi, cela diplôme pose et et de les plusieurs questions : d’accompagnement vis-à-vis des jeunes • femmes (comment éviter les postures Ces « handicaps » cognitifs sont souvent moralisatrices ? Comment adopter une repérés par l’Ecole, mais pas toujours par posture d’écoute et non de jugement ? les professionnels de l’emploi. Les …) ; conseillers reprennent l’accompagnement d’un des d’accompagnement jeune après l’arrêt de l’école. Ils ne savent personnalisé pour les jeunes femmes qui souvent que par le jeune ce qui s’y est passé. le désirent (psychologues) sur ce sujet ; Le relais n’est pas systématique sur cette possibilités question des troubles Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 cognitifs déjà 12 diagnostiqués. Si les conseillers ont souvent Limoges, l’intuition territoires. Les Missions Locales peinent que le jeune rencontre des mais sur beaucoup d’autres à difficultés d’un point de vue cognitif, un bilan trouver des principes d’action et des solutions médical n’est pas posé. Les conseillers voient pour ces jeunes. Il est d’autant plus important en moins de se mobiliser entre partenaires. Limoges « motivé » dans sa recherche d’emploi. Les pourrait initier des réflexions et expérimenter difficultés liées à l’illettrisme par exemple, à de une forte dyslexie, … sont diagnostiquées plus d’intérêt national. tard, Les partenaires à mobiliser sur ce sujet sont face d’eux souvent un jeune après plus plusieurs ou tentatives nouvelles actions sur ces questions infructueuses de formation (quand il y en a), selon nous (a minima): … Les jeunes n’évoquent pas spontanément - la DDCS et la DIRECCTE ; leurs difficultés, ou ne les perçoivent pas. - la Ville de Limoges ; Leurs comportements sont adaptés à ces - le Conseil Régional ; difficultés, et potentiellement mal interprétés - l’Education Nationale ; par les conseillers. - le Centre d’Information et d’Orientation ; - la Délégation Régionale de l’AGEFIPH et le Quand les pressenties, difficultés la jeune sont reconnaissance du du PRITH (le handicap n’apparaît souvent pas comme - la CRAM ; la - des solution adaptée. Les conseillers ne Programme régional pour l’insertion des travailleurs handicapés) ; CFA et centres de formation du territoire. savent pas comment aborder avec le jeune cette question d’un potentiel handicap. Plus au fond, ils ne veulent pas le stigmatiser par une Le groupe de travail pourrait suivre plusieurs approche pistes de réflexion : médicale et administrative de reconnaissance d’un handicap. Le handicap est souvent ressenti par le conseiller mais tû • dans les entretiens. Dans le cas où un mettre en place des modes de repérage des difficultés cognitives. professionnel fait des démarches pour orienter le jeune vers des établissements spécialisés A (c’est le cas de la MGI pour un jeune de notre d’Orientation situé au Carré Jourdan joue un cohorte), la famille comme le jeune ne sont rôle important pour les jeunes sans diplôme. pas faciles à convaincre. Ils préfèrent tenter la Ils sont beaucoup (dans notre cohorte en tous voie « classique » d’accès à l’emploi, quitte à cas) à s’y être rendus peu de temps après ce que ce soit long. Ce sont des jeunes qui ne l’arrêt de l’école (orientés par la MGI, par la relèvent ni complètement de l’enseignement Mission Locale, par les éducateurs spécialisés, spécialisé, ni complètement de formations …). Cela pourrait être un moment clé où, si le avec des pédagogies traditionnelles. C’est cet jeune en est d’accord, le passage d’un test « entre-deux » qui est difficile à traiter pour psycho-technique les professionnels. Ces derniers font souvent premier diagnostic et un premier échange le choix d’accompagner ces jeunes « comme avec le jeune à ce sujet. Le CIO aurait alors les autres », et ce faisant risquent de laisser la pour rôle de prévoir un relais avec le futur personne seule face à des difficultés bien conseiller emploi du jeune. Et le cas échéant réelles. d’orienter Limoges, le vers Centre d’Information permettrait un bilan d’établir médical et un plus approfondi. Les pistes d’action. Ce thème du handicap Côté Mission Locale, le diagnostic concernant léger est un sujet d’une grande complexité. Ce les capacités cognitives du jeune pourrait être n’est pas seulement une problématique à considéré comme devant Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 être désormais 13 systématique pour les jeunes sans diplôme, d’inadaptation au formation formation professionnelle, et favorise ainsi commune et des échanges de pratiques entre leur insertion en milieu ordinaire de travail. Ce conseillers pourraient être mis en place. Ils dispositif de soutien s’inscrit dans une logique viseraient à mieux connaître les différentes d’intégration dans les centres de formation de natures de ces troubles cognitifs, comment ils droit commun que sont les CFA. Plusieurs se définissent, comment ils se manifestent et types les conséquences qu’ils peuvent avoir ; savoir oeuvre : comment aborder le sujet avec les jeunes, et soutien à la formation générale ; un suivi en bien entreprise ; un accompagnement éducatif et début du parcours. connaître l’offre Une développée sur le dans leur parcours d’accompagnement un sont renforcement de mis en pédagogique, social. territoire à ce sujet. En Bretagne, ce dispositif a concerné près de • développer l’accès à l’apprentissage pour 400 jeunes pour l’année scolaire 2009-2010. les jeunes en situation de handicap (qu’ils soient ou non reconnus travailleurs • handicapés). développer des pédagogies spécifiques. En 2010 en Haute-Vienne, 19 jeunes reconnus Les jeunes avec des difficultés cognitives sont travailleurs un souvent exclus des formations, parce qu’ils ne apprentissage. Ils représentent moins de 1% réussissent pas les tests d’entrée, ou bien ils de l’ensemble des apprentis du Département. échouent/abandonnent rapidement du fait de C’est peu comparé à d’autres départements leurs difficultés d’apprentissage. (plus de 2% en Auvergne par exemple). Les centres de formation pourraient se voir L’accès à l’apprentissage pour les jeunes TH fixer des objectifs par le Conseil Régional passe à Limoges aujourd’hui par l’accès à un d’accueillir dans leurs cohortes des jeunes CFA spécialisé, mais qui ne concerne que 30 repérés apprentis par an, formés au sein du CsFA, et cognitives. La Région pourrait demander à ces dont les filières de spécialité sont réduites. centres Un accompagnement est également prévu par spécifiques, potentiellement plus longs, avec la Région et l’Agefiph via l’APAJH 87 pour des accompagner renforcés. Cela permettrait d’éviter les échecs, handicapés les ont jeunes commencé ayant une comme de ayant développer des des accompagnements difficultés parcours individualisés reconnaissance TH au cours de leur contrat en et alternance (il concerne 22 jeunes par an). parcours, en lui apprenant à mieux connaître Le groupe de travail pourrait s’intéresser à des mesures mises en place dans d’autres régions. L’Auvergne par exemple a mis en place un CFA spécialisé (CFAS) il y a plus de 15 ans. C’est un CFA « hors les murs ». Il apporte un de faire avancer le jeune dans son et faire avec ses difficultés cognitives. Le cas échéant, un prestataire spécialisé pourrait venir en appui des centres de formation pour accompagner et suivre ces jeunes en formation. appui pédagogique aux 27 CFA que compte la région. Les apprentis sont inscrits pédagogiquement au CFAS mais en revanche ils bénéficient de cours au sein des 27 CFA. Ou bien la Bretagne qui mandate chaque année une association pour accompagner des jeunes en situation de handicap (déficience intellectuelle légère principalement) ou Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 14 RAPPORT DÉTAILLÉ Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 15 RAPPEL DES OBJECTIFS ET DE LA MÉTHODE L’étude a 4 objectifs : Apprécier et qualifier l’impact des dispositifs existants sur la trajectoire d’insertion professionnelle des jeunes sans diplôme. Comprendre ce qui attire ou à l’inverse repousse les jeunes sans diplôme dans les formes et actions d’accompagnement mises en place. Appréhender la manière dont les dispositifs s’articulent au sein des trajectoires individuelles Aider les signataires et partenaires du CUCS à concevoir les objectifs et programmes d’action du futur CUCS La méthode de l’étude est très qualitative : il s’agissait d’aller à la rencontre des jeunes sans diplôme pour comprendre en profondeur comment se construisent leurs parcours après l’arrêt de l’école, quelle est leur vision de l’accompagnement, des structures présentes sur le territoire, du monde du travail lui-même : qu’est-ce que le travail, qu’est-ce qu’est la formation pour eux, quels sont leurs repères dans ce monde, à qui ils s’adressent,… et de manière plus large, quel est leur quotidien et quelle est la place du travail et de la recherche d’emploi dans celui-ci, quel est le rôle de leur famille et de leurs amis dans les choix qu’ils font, qu’est-ce qu’ils aimeraient faire, qu’est-ce qu’ils se voient faire à l’avenir,… L’étude a trois modules : 1. Des entretiens de cadrage pour connaître l’offre existante sur le territoire La première étape de l’étude a été la rencontre des différents acteurs du territoire qui accompagnent les jeunes après le décrochage scolaire. L’objectif était de prendre connaissance des différents dispositifs existants et des publics ciblés par ces dispositifs. Dans cette première étape de l’étude, nous avons rencontré : Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 16 - Le responsable de la Mission Générale d’Insertion. Celle-ci dispose d’un dispositif de « raccrochage » des jeunes décrocheurs : le PRIAQ. Ces entretiens nous ont permis de bien comprendre le fonctionnement du dispositif, ses objectifs et ses publics ; - La directrice adjointe de la Mission Locale ; - La directrice adjointe de Pôle Emploi et une coordinatrice de quartier de Pôle Emploi ; - Le responsable de la MOUS à la Ville de Limoges ; - La Direction de l’apprentissage, de la formation professionnelle et de l’insertion, au sein du Conseil Régional du Limousin. 2. Un suivi de cohorte qualitatif Le cœur de la méthode était de rencontrer les jeunes sortis du système scolaire sans diplôme. Afin de mieux comprendre la construction des parcours, nous avons fait le choix d’un suivi de cohorte sur un an. Nous avons constitué une cohorte d’une trentaine de jeunes. Les structures d’accompagnement (Mission Locale et Pôle Emploi), mais aussi les structures de proximité (associations de loisirs, clubs de sport,…) et les éducateurs des quartiers nous ont aidé à identifier les jeunes en début d’année 2011. La cohorte devait permettre de représenter de la diversité des situations : En termes d’âge et de sexe : ½ de garçons et ½ de filles, des jeunes dans les différentes tranches d’âge entre 16 et 25 ans Par rapport au moment dans le parcours : des jeunes sortis récemment du système scolaire, des jeunes sortis depuis quelques années,… Les jeunes rencontrés n’étaient pas en emploi durable. Ils pouvaient se trouver dans des situations très diverses du point de vue de l’insertion professionnelle : des jeunes en recherche d’emploi, en fin de contrat ou en mission d’intérim, en contrat aidé, en formation,… Par rapport à la place de l’accompagnement dans le parcours : des jeunes accompagnés par Pôle Emploi, par la Mission Locale, par le PRIAQ de l’Éducation Nationale, et des jeunes non accompagnés Par rapport au territoire : des jeunes des différents quartiers de la ville, en particulier (mais pas exclusivement) des quartiers de la géographie prioritaire Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 17 La composition de la cohorte Sexe Nb Filles « Repérés » par : Nb Niveau d’études Mission Locale 10 17 Garçons Total cohorte 14 Pôle Emploi 5 La MGI 7 Des structures dans les quartiers 9 Total cohorte 31 31 Âge Nb 16 - 17 10 18 - 19 4 Non scolarisé France Nb en Niveau 3e 7 Niveau 2nde générale 1 Niveau CAP 9 Niveau BEP 5 Titulaire CAP/BEP d’un Total cohorte 20 - 21 9 22 - 25 11 Total cohorte 31 2 4 31 Trouver des jeunes non accompagnés n’a pas été facile : nous sommes passés par des relais de proximité des jeunes, des professionnels en qui les jeunes ont confiance. De fait, les jeunes qui n’étaient pas (ou peu) en contact avec ces professionnels étaient plus difficilement repérables. Mais l’objectif de l’étude était aussi d’arriver à rencontrer des jeunes non accompagnés, pour mieux comprendre ce qui les attire/les repousse dans l’accompagnement, ce qui peut provoquer une rupture, ce qui se passe dans la vie de ces jeunes dans les périodes où les professionnels les « perdent de vue »,… Nous avons donc été amenés à passer beaucoup de temps sur le terrain pour trouver ces jeunes : avec un éducateur ou un animateur, nous sommes allés dans des lieux fréquentés par les jeunes (l’Interval dans le Val de L’Aurence, les locaux de l’ALSEA à Beaubreuil,…), pour les repérer et les inviter à participer à l’étude. Cette étape en amont n’a pas été simple : approcher les jeunes dans leurs lieux de vie, arriver à entamer une conversation, à susciter leur confiance pour les mobiliser dans l’étude, alors qu’ils pouvaient être en situation de rupture ou de conflit par rapport aux structures d’insertion ellesmêmes. Cela a été un moment clé de l’étude. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 18 Nous avons rencontré ces jeunes à trois reprises, pour des entretiens individuels en faceà-face d’environ une heure et demie. L’objectif était de mieux comprendre les processus de construction des parcours : ce qui amène les jeunes vers l’accompagnement, les différents Les entretiens avec les jeunes de la cohorte dispositifs dont ils bénéficient, les moments de rupture,… 31 jeunes identifiés, 17 filles et 14 garçons Trois séries d’entretiens : une en mars-avril, une en juillet-septembre, une en décembre. Les entretiens avec les jeunes n’avaient pas vocation à avoir parcours et leur un impact dans leur accompagnement. Nous La méthode : des entretiens de type « récit de vie », prenant la forme d’un échange ouvert avec le jeune. avons donc veillé à expliquer au jeune que nous n’étions pas là pour les accompagner. Pour mieux séparer les deux démarches, nous Des entretiens « anonymisés » avons rencontré les jeunes dans des espaces extérieurs à tout accompagnement : la majorité des entretiens se sont déroulés dans un café, certains ont eu lieu au domicile du jeune. Chaque jeune a été toujours rencontré par le même chargé d’études d’ASDO. Le fait de faire plusieurs entretiens avec la même personne a permis de créer un lien de confiance et de mieux appréhender la situation du jeune dans sa globalité : sa conception du monde professionnel, de l’emploi, son contexte familial et social, son rapport à l’accompagnement, la place des différents dispositifs dans son parcours,… 3. La rencontre des professionnels qui accompagnent les jeunes Nous avons rencontré des professionnels ayant accompagné les jeunes de la cohorte à un moment de leur parcours. Il s’agissait de conseillers en insertion (Mission Locale et Pôle Emploi), de professionnels de la Mission Générale d’Insertion de l’Éducation Nationale, mais aussi d’intervenants du quartier ayant connu le jeune dans le cadre d’une activité « autre » : des animateurs d’associations de Les entretiens professionnels avec les 17 professionnels rencontrés, ayant accompagné la plupart des jeunes de la cohorte Un entretien en face-à-face (sauf pour les conseillers Pôle Emploi, dont les échanges se sont faits par téléphone) d’une durée d’une heure La méthode : des entretiens par « étude de cas » à partir des situations des jeunes de la cohorte loisirs, des éducateurs de rue,… Des entretiens « anonymisés » Les entretiens avec les professionnels sont intervenus, pour la plupart, entre le second et le troisième entretien avec les jeunes. L’objectif Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 19 était que le professionnel puisse nous parler de l’accompagnement des jeunes sans diplôme à partir du cas d’un jeune de la cohorte. Le fait d’aborder un cas permettait au professionnel de nous expliquer concrètement comment il met en place l’accompagnement, quels sont les freins qu’il repère, quels dispositifs il mobilise, quand interviennent les ruptures,… Parler d’un jeune de la cohorte, cela permettait aussi de croiser les regards du jeune et de l’accompagnateur. Puisque les entretiens avec les jeunes devaient rester extérieurs à tout accompagnement, et aussi pour des raisons de confidentialité, nous n’avons pas évoqué nos entretiens avec les jeunes lors des entretiens avec les professionnels. Cette démarche a été bien comprise et bien accueillie par les professionnels. Nombre de professionnel s rencontrés Nombre de jeunes concerné s Conseillers Mission Locale 6 14 Conseillers Pôle Emploi 3 3 Coordonnateurs MGI 2 6 Éducateurs ALSEA 3 2 Chantier d’insertion ASFEL 1 2 Animateurs ALJ 2 3 Structure spécialisés Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 20 PANORAMA STATISTIQUE 1. Chiffres clé Combien de jeunes sans diplôme résident sur Limoges et quel est leur profil ? Si la question semble simple, la réponse ne l’est pas : en l’absence de données détaillées et homogènes sur ce public, il est nécessaire de composer avec de multiples sources qui ne portent pas toujours sur un périmètre identique. ENCADRÉ MÉTHODOLOGIQUE : LES SOURCES UTILISÉES Les dates de mesure statistique ne sont pas les mêmes selon les sources utilisées. Les données du recensement datent toujours de 2006, mais d’autres données plus récentes et localisées ont pu être utilisées. Surtout, selon les sources statistiques utilisées, le périmètre varie : en termes de tranches d’âges retenues, en termes de définition des « sans diplôme qualifiant », en termes de périmètre géographique. Ci-dessous les principales sources statistiques utilisées pour cet état des lieux : Source Date Périmètre géographique Périmètre publics Recensement Population 2006 Commune de Limoges, et données infra communales par IRIS (« Îlots Regroupés pour des Indicateurs Statistiques » ) 15-24 ans selon le « diplôme le plus élevé obtenu » MGI Années scolaires 2008-2009/20092010 Académie de Limoges Département de la Haute-Vienne « Décrocheurs » de la classe de 4ième jusqu’à la 1ière année de Bac pro 3 ans Mission Locale 2009 & 2010 Agglomération de Limoges Avril 2011, dossiers actifs ou en veille Commune de Limoges Jeunes accueillis ou accompagnés par la Mission Locale, entre 16 et 25 ans Décembre 2010 Bassin d’Emploi de Limoges Pôle Emploi Jeunes de moins de 26 ans de niveau VI, V bis et V inscrits à Pôle Emploi a. En 2006, près de 2000 jeunes Limougeauds n’avaient pas de diplôme qualifiant. D’après les données issues du Recensement, Limoges comptait en 2006 1 938 jeunes âgés de 15 à 24 ans, sortis du système scolaire sans diplôme qualifiant8, soit 8% de l’ensemble des jeunes limougeauds de cet âge. Cette part est restée stable depuis 1999, et situe Limoges plutôt en deçà de la moyenne nationale (10%). 8 Dans la définition de l’INSEE, ce sont les jeunes qui n’ont pas de diplôme supérieur au Certificat d’études primaires et/ou au BEPC Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 21 Si l’on ne tient pas compte des jeunes scolarisés, ce sont plus d’un quart (27%) des jeunes qui ne détiennent pas de diplôme. Si cette part a légèrement baissé depuis 19999, elle témoigne de la part importante que représente les jeunes sans diplôme parmi les jeunes actifs. b. En 2009-2010, la Haute Vienne comptait plus de 400 élèves « décrocheurs ». En Haute Vienne, selon la MGI, durant l’année scolaire 2009-2010, 413 élèves ont décroché10. Ils représentent 57% des décrocheurs de l’Académie de Limoges. Les élèves décrocheurs dans le département seraient 2 fois plus nombreux que ceux de l’année précédente (215 élèves). Ce chiffre doit cependant être pris avec précaution dans la mesure où il est sous estimé : - Le mode de calcul retenu ne permet pas de comptabiliser certains décrocheurs : les élèves sortis avant les constats d’entrées (au 15 octobre) ou ceux sortis après les constats de sortis (fin mars). - L’ensemble des élèves décrocheurs ne sont pas signalés par les établissements. De plus, les motifs de sortie ne seraient pas nécessairement bien renseignés par les établissements. Année de sortie des élèves décrocheurs en Haute Vienne - année scolaire 2009-2010 (base : 413) 1iere année de bac pro - 3 ans 13% Dans le Vienne, département plus décrocheurs 4ième 16% d’un repérés de Haute- tiers des (36%) sur l’année 2009-2010 étaient inscrits en classe de seconde générale ou technologique. Ce taux de décrochage en seconde Seconde générale ou technologique 36% 3ième 26% générale ou technologique était 3 fois inférieur pendant l’année scolaire 2008-2009. Les décrocheurs sortaient 1ere année de CAP 9% alors plus fréquemment en classe de troisième (45% en 2008-2009 contre 26% en 2009-2010). Source : MGI Limoges, années scolaires 2008-2009 et 2009-2010 9 Ils étaient 29% en 1999 : on quitte le système scolaire un peu moins souvent sans diplôme qualifiant 10 La MGI définit les élèves décrocheurs de la façon suivante : « les élèves inscrits dans un établissement lors des constats d’entrée (autour du 15 octobre) et sortis au mois de mars de l’année suivante » Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 22 Sur l’année 2009-2010, on constate que le phénomène de décrochage scolaire est particulièrement important en 1ère année de CAP : 12% des élèves de Haute-Vienne qui y sont inscrits en début d’année arrêtent l’école à ce moment là. Cette proportion est moindre en ce qui concerne la classe de seconde, qui compte 7% de décrocheurs en moyenne. Nombre d’élèves décrocheurs par classe en 20092010 dans le département de la Haute Vienne Classe du décrochage 4ième 3ième 1e année CAP Seconde générale et technologique 1e année Bac pro 3 ans Nombre d'élèves décrocheurs 68 107 38 Nombre total d'élèves Pourcentage des décrocheurs 3497 3051 314 1,94% 3,51% 12,10% 146 1987 7,35% 54 672 8,04% Cette proportion de décrocheurs est relativement constante dans le temps pour les classes de 4ème et de 3ème. Elle est en revanche plus variable pour les autres niveaux comme l’indique le graphique ci-dessous. Ainsi, en 2009-2010, les classes de première année de CAP sont moins touchées par le décrochage qu’en 2008-2009. En revanche, la part des décrocheurs a augmenté dans les effectifs des classes de seconde générale et technologique, et de 1ère année Bac Pro 3 ans depuis 2008-2009. Evolution des parts de "décrocheurs" parmi les effectifs de chaque niveau scolaire dans le département de la Haute Vienne de l'année scolaire 2008-2009 à l'année scolaire 2009-2010 20% 18% 16% 14% 12% 10% 8% 6% 4% 2% 0% 2008/2009 2009/2010 4ième 3ième 1e année de CAP Seconde générale et technologique 1e année de Bac Pro 3 ans Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 23 Chaque année, une trentaine de jeunes bénéficient du PRIAQ, un dispositif visant à préparer le retour en formation qualifiante des jeunes « décrocheurs » ou sans solution d’orientation à l’issue de la scolarité obligatoire. Les jeunes concernés ont en majorité arrêté l’école à l’issue de la 3ème. Les résultats de ce dispositif, s’il reste d’une taille modeste, sont encourageants. En moyenne sur les 3 dernières années, les 2/3 des jeunes qui ont intégré le PRIAQ ont repris une formation (formation « scolaire » ou via l’apprentissage). Hors sorties positives liées à la sortie en emploi ou un retour en formation, les abandons concernent une minorité de jeunes. c. Sur le bassin d’emploi de Limoges, un demandeur d’emploi sur 10 est un jeune sans diplôme. Au niveau national, le taux de chômage des jeunes sans diplôme sortis depuis moins de 5 ans de formation initiale a plus que doublé en 30 ans : de 18% en 1978 il atteint 41% en 200511. L’étude du CEREQ12, réalisée elle aussi au niveau national montre bien que la population des jeunes sortis sans diplôme est très exposée au chômage, puisque 3 ans après leur sortie en 2006-2007, cette catégorie connaît un taux de chômage de 40%. Le bassin de Limoges ne fait pas exception à la règle. En décembre 2010, le bassin d’emploi de Limoges comptait 1 843 demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) de moins de 26 ans de niveau VI, V bis et V. Ces jeunes demandeurs d’emploi représentent 54,9% de l’ensemble de la DEFM de moins de 26 ans. Ces chiffres témoignent des difficultés rencontrées par cette partie de la population en ce qui concerne l’emploi : la population des sans diplôme y est près de 7 fois plus représentée que la part qu’ils représentent parmi les 15-24 ans (8%). 11 Source : Rapport n°9 du CERC « un devoir national, l’insertion des jeunes sans diplôme » 12 Le CEREQ réalise tous les 3 ans des suivis de cohorte des jeunes sortis de formation initiale. Tous les 3 ans, une nouvelle cohorte est sélectionnée, et un suivi effectué auprès des cohortes précédentes. Cela permet notamment de disposer d’information concernant l’insertion professionnelle des jeunes à 3 ans, selon leur niveau de diplôme. L’étude réalisée par le CEREQ sur la « génération 2007 » montre que 3 ans après la sortie, le taux de chômage constaté chez les jeunes sans diplôme atteignait 40%, contre 24% pour les titulaire d’un CAP/BEP. L’étude met également en avant que c’est pour les non diplômés que la courbe de l’évolution du taux d’emploi de la « génération 2007 » décroche le plus par rapport à celle de la « génération 2004 » au moment de la crise. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 24 Fin décembre 2010, ces jeunes sans diplôme comptaient pour 12% de l’ensemble de la DEFM au niveau du bassin d’emploi. Malgré la baisse (relative) de ce taux, il s’agit toujours d’une composante importante de l’ensemble de la demande d’emploi. Evolution de la part de DEFM de moins de 26 ans de niveau VI, V bis et V dans l'ensemble des DEFM de décembre 2008 à décembre 2009 20% 18% 16% 14% 12% 10% 8% 6% 4% 2% 0% 2008 2009 2010 CE QU’IL FAUT RETENIR : - En 2006, près de 2000 Limougeauds de 16 à 24 ans non scolarisés n’avaient pas de diplôme. Sur cette base, et compte tenu du taux de chômage des jeunes sans diplôme en décembre 2010, on peut estimer que Limoges compte 750 jeunes sans diplôme et à la recherche d’un emploi - Chaque année en Haute-Vienne, 400 jeunes sortiraient de l’école sans diplôme. Les « décrochages » concernent une part importante de jeunes inscrits en première année de CAP et de Bac Pro. - Le PRIAQ concerne chaque année une trentaine de jeunes environ. Il s’agit en majorité de jeunes qui décrochent ou se trouvent sans solution à l’issue de la troisième. - Les jeunes non diplômés représentent une part importante des demandeurs d’emploi, bien au-delà de leur part dans la population active : fin 2010, ils représentaient plus de la moitié de la DEFM des moins de 26 ans et 12% de l’ensemble de la DEFM du bassin d’emploi de Limoges Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 25 2. Le profil des jeunes de Limoges sans diplôme a. Des indicateurs préoccupants du côté des filles Une des spécificités de l’Académie de Limoges est la prédominance des filles parmi les jeunes non scolarisés. Ainsi, en 2001, l’Académie de Limoges est la seule en France dans laquelle les filles de la classe d’âge de 16 à 19 ans sont moins scolarisées que les garçons (taux de scolarisation de 87,9% contre 90,3% pour les garçons). Sur la tranche d’âge des 20-24 ans en revanche, les filles sont plus scolarisées que les garçons (36,7% pour les filles et 31,7% pour les garçons). Les filles sont relativement plus nombreuses à être sans diplôme à Limoges. En 2006, parmi les jeunes sans diplôme qualifiant à Limoges, on comptait 51% de garçons Le niveau d'études des jeunes sortis du système scolaire sans diplôme qualifiant à Limoges en 2006 et 49% de filles13 (contre 100% respectivement 58% et 42% 90% au 80% niveau de la France 70% métropolitaine). 60% Les jeunes filles de 15 à 24 ans sans diplôme qualifiant14 sont sorties plus souvent que les garçons au niveau collège et sans obtenir le BEPC : parmi les jeunes de 15 à 24 ans sans diplôme qualifiant, seule 1 fille sur 4 obtient le brevet des collèges à Limoges alors que c’est le 28% 25% 31% 3% 3% 2% 28% 28% 28% 50% 40% 30% 20% 38% 35% 33% 6% 5% 6% Ensemble (base 1938) Hommes (base 981) Femmes (base 957) 10% 0% BEPC, brevet Certificat d'études primaires Aucun diplôme scolarité au delà collège Aucun diplôme scolarité primaire collège pas de scolarité cas de près de 1 garçon sur 3 (31%). 13 * Source : Insee, RP 2006 Les niveaux d’études correspondent ici au niveau de diplôme le plus élevé que les personnes ont déclaré posséder. Ainsi certaines poursuivent une scolarité au-delà du collège mais n’ont pas le BEPC – les 28% des sans diplôme. Les personnes ayant le BEPC ont donc pu pour certaines continuer leurs études au-delà, sans obtenir de niveau de diplôme plus élevé que ce dernier. Source : INSEE, RP 2006 (comparaison Limoges et France métropolitaine) 14 Les niveaux d’études correspondent ici au niveau de diplôme le plus élevé que les personnes ont déclaré posséder. Ainsi certaines poursuivent une scolarité au-delà du collège mais n’ont pas le BEPC – les 28% des sans diplôme. Les personnes ayant le BEPC ont donc pu pour certaines continuer leurs études au-delà, sans obtenir de niveau de diplôme plus élevé que ce dernier Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 26 b. Une surreprésentation des jeunes issus des quartiers de la « Politique de la Ville » Les taux de déscolarisation des 15-24 ans sont particulièrement élevés dans les quartiers de la géographie prioritaire15. Ainsi 38% des jeunes de 15 à 24 ans sont déscolarisés dans les quartiers de la géographie prioritaire de Limoges alors qu’ils sont 30% sur l’ensemble de la commune de Limoges. Les taux de déscolarisation à Limoges et dans les quartiers CUCS de Limoges en 2007 Limoges 30% Beaubreuil 41% Le Vigenal 49% La Bastide 45% Val de l’Aurence 27% Les Portes Ferrées 37% Source : INSEE RP 2007, données à l’Iris 15 Concernant le Val de l’Aurence, le plus faible taux de déscolarisation pourrait tenir au nombre d’étudiants résidant à proximité du campus universitaire. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 27 Les jeunes non diplômés sont surreprésentés dans les quartiers CUCS de Limoges : 41% Part des résidents CUCS dans la population des jeunes de 15 à 24 ans et des jeunes sans diplôme qualifiant accompagnés par la Mission Locale à Limoges des jeunes non diplômés accompagnés par la Mission Locale résident en quartier CUCS. Pourtant, en moyenne, ce ne sont que Jeunes de 15 à 24 ans sans diplôme qualifiant 16% 41% 59% des résident 15-24 dans un ans qui de ces 16 quartiers . Jeunes de 15 à 24 ans 16% 0% 84% 20% CUCS 40% 60% 80% 100% Hors CUCS En 2009, 34% des jeunes reçus à la Mission Locale en premier accueil qui résident dans un quartier CUCS sont de niveau VI ou V bis (25% pour l’ensemble jeunes Mission Part des jeunes reçus à la Mission Locale en premier accueil de niveau V bis et VI selon le quartier de résidence Ensemble des jeunes reçus par la Mission Locale 25% des de la 17 Beaubreuil 33% Locale) . Selon Le Vigenal 30% les statistiques Mission de la Locale, La Bastide 46% c’est à la Bastide et aux Portes Ferrées que la part jeunes des non diplômés est la plus importante. 16 Val de l’Aurence 33% Les Portes Ferrées 43% Sources : Mission Locale Limoges, Parcours 3, dossiers actifs et en veille, avril 2011 et INSEE, RP 2006 17 Source : Mission Locale Limoges, Rapport d’activité 2009 - Attention, cela ne comprend pas les jeunes de niveau V, qui pour certains d’entre eux n’ont pas de diplôme qualifiant (quand ils n’ont pas validé leur année terminale BEP/CAP par le diplôme). Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 28 En volume, les jeunes non diplômés des quartiers CUCS proviennent pour plus d’un tiers d’entre eux du Val de l’Aurence. Un jeune non diplômé sur 5 issu des quartiers CUCS habite à Beaubreuil ou à la Bastide18. Répartition par quartier des jeunes non diplômés accompagnés par la ML et issus des quartiers CUCS (base 1004) CUCS VAL DE L'AURENCE CUCS BEAUBREUIL 38% CUCS BASTIDE CUCS PORTES FERREES 20% 19% 8% CUCS REVOLUTION CUCS VIGENAL CUCS BEAUBLANC CUCS PUY IMBERT 6% 4% 3% 3% Nombre de jeunes non diplômés accompagnés par la Mission Locale dans les quartiers CUCS CUCS Beaubreuil 198 Le Vigenal 38 CUCS Bastide 189 Val de l’Aurence 381 18 CUCS Portes Ferrées 79 Source : Mission Locale Limoges, Rapport d’activité 2009 Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 29 Parmi les jeunes non diplômés, ceux de niveau VI (n’ayant pas été scolarisés ou uniquement jusqu’en primaire) sont surreprésentés dans les quartiers CUCS : ainsi près d’un tiers des non diplômés résidant dans un quartier CUCS sont de niveau VI, contre 23% des jeunes non diplômés des quartiers hors CUCS19. Répartition par niveau des jeunes non diplômés des quartiers CUCS et des quartiers hors CUCS de la Mission Locale Hors CUCS (base : 1462) 23% CUCS (base : 1004) 38% 32% 0% 39% 35% 20% 40% Niveau VI 33% 60% 80% Niveau V bis 100% Niveau V c. 13% des jeunes sans diplôme accompagnés par la Mission Locale ont moins de 18 ans. En 2010, près de 2 jeunes sur 3 sans diplôme qualifiant*20 et suivis par la Répartition par âge de l'ensemble des jeunes de la Mission Locale et des jeunes sans diplôme accueillis par la Mission Locale de Limoges en 2010 Mission Locale ont 21 ans ou moins. Les jeunes sans diplôme qualifiant Ensemble des jeunes accueillis 7% à la ML en 2010 (base : 3595) 47% 45% 1% accueillis par la Mission Locale sont moins âgés que l’ensemble des jeunes avec lesquels elle a été en contact en 2010 (54% ont 21 21 ans ou moins) . 19 20 21 Jeunes sans diplôme qualifiant accueillis en 2010 à la ML (base : 1641) 13% 0% 16-17 ans 49% 20% 40% 18-21 ans 60% 22-25 ans 37% 1% 80% 100% 26 ans et plus Source : Mission Locale Limoges, Parcours 3, dossiers actifs et en veille, avril 2011 Les jeunes sans diplôme qualifiant sont ici les jeunes de niveaux VI, V bis, V non validé Source : Mission Locale Limoges, Rapport d’activité 2010 Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 30 d. Des jeunes non diplômés moins souvent en logement autonome quand ils résident dans les quartiers CUCS En moyenne, 39% des jeunes non diplômés accompagnés par la Mission Locale vivent en logement autonome. Cette moyenne masque des disparités importantes selon le lieu de résidence des jeunes : seul 1/3 des jeunes résidant en quartier CUCS dispose d’un logement autonome, contre 42% des jeunes hors CUCS. Les jeunes sans diplôme des quartiers prioritaires vivent plus souvent avec leur famille que l’ensemble des jeunes limougeauds sans diplôme : ils sont 58% à être hébergés par des membres de leur famille contre 41% pour les jeunes diplômés hors CUCS. Type d'hébergement des jeunes non diplômés de la Mission Locale résidant en CUCS et en quartiers non CUCS 50% 42% 40% 33% 43% 33% 30% 20% 15% 8% 10% 9% 5% 1% 0% 0% Logement Héberg. autonome parents Héberg. famille Héberg. Foyer FJT amis Jeunes non diplômés CUCS (base : 1005) 3% 1% Autres foyers 1% 0% 3% 1% CHRS Autres 0% 0% Héberg. nomade Jeunes non diplômés hors CUCS (base : 1840) Source : Mission Locale Limoges, Parcours 3, dossiers actifs et en veille, avril 2011 e. Des jeunes non diplômés des quartiers CUCS plus souvent mariés et parents Dans les données du Recensement, l’état matrimonial des jeunes limougeauds non diplômés ne se distingue pas particulièrement de celui de l’ensemble des 15-24 ans. Ainsi, on compte 95% de célibataires22 parmi les jeunes non diplômés suivis par la Mission Locale et 97% de célibataires parmi les 15-24 ans limougeauds (donnée INSEE, RP 2007). 22 Jeunes non mariés mais qui peuvent néanmoins pour certains vivre maritalement. Source : Mission Locale Limoges - Parcours 3, dossiers actifs et en veille, avril 2011 Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 31 Mais les jeunes non diplômés accompagnés par la Mission Locale sont plus nombreux à être mariés ou vivre Part des jeunes non diplômés résidant en quartiers CUCS et en quartiers non CUCS célibataires et mariés ou vivant maritalement maritalement lorsqu’ils résident en quartier CUCS : cela concerne 13% des non diplômés en quartier CUCS et 8% des non diplômés hors 100% CUCS. 80% Les jeunes non diplômés en CUCS 60% sont plus souvent mariés : c’est le 40% cas pour 8% d’entre eux, contre 3% 20% pour l’ensemble des 15-24 ans situation 92% 13% Célibataires matrimoniale 8% 0% limougeauds23. La 87% Mariés ou en vie maritale Jeunes non diplômés CUCS (base : 1005) Jeunes non diplômés hors CUCS (base : 1840) est également très liée au niveau de formation des jeunes : ainsi les jeunes de niveau VI accompagnés par la Mission Locale sont 15% à être mariés ou à vivre maritalement, contre 9% des niveaux V bis et 7% des niveaux V. Les jeunes non diplômés sont plus souvent parents : 17% des non diplômés suivis par la Mission Locale sont parents – soit 7 points de plus que pour l’ensemble des jeunes reçus en premier accueil en 201024. Pourcentage des parents parmi les jeunes de la Mission Locale reçus en premier accueil et parmi les jeunes non diplômés de la Mission Locale 100% 17% 10% 83% 90% 80% 60% 40% 20% 0% Jeunes non diplômés de Jeunes reçus en la Mission Locale premier accueil à la ML (base : 2845) en 2010 (base : 1431) Non parents 23 24 Parents Source : Mission Locale Limoges, Parcours 3, dossiers actifs et en veille, avril 2011 Source : Mission Locale Limoges, Parcours 3, dossiers actifs et en veille, avril 2011 / Rapport d’activité 2010 Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 32 C’est également plus souvent le cas des non diplômés suivis par la Mission Locale quand ils résident en quartier CUCS : parmi eux, 1 sur 4 est déjà parent25, ce qui Part des jeunes non diplômés parents selon le territoire de résidence représente près de deux fois plus que les non diplômés de la Mission Locale ne 30% résidant pas en quartier CUCS. 24% 20% 13% Les jeunes les moins diplômés sont 10% plus souvent parents : c’est le cas de 27% d’entre eux, soit 2 fois plus que pour 0% les jeunes de niveau V (13%). Jeunes non diplômés CUCS (base : 1005) Jeunes non diplômés hors CUCS (base : 1840) f. Moins d’un jeune sur 5 détient le permis de conduire. En 2011, 20% des jeunes sans diplôme qualifiant et accompagnés par la Mission Locale sont titulaires du permis B, ce qui est le cas d’un tiers de l’ensemble des jeunes accueillis à la Mission Locale en 201026. Cette part ne varie pas selon que les jeunes résidant dans les quartiers CUCS et dans les quartiers non CUCS. Le permis est fortement corrélé au niveau de diplôme : les non diplômés de niveau V sont près de 1 sur 4 à le détenir, ce qui n’est le cas que de 18% des niveaux V bis et 14% des niveaux VI27. g. Des jeunes souvent sans revenus Le revenu moyen des jeunes non diplômés de la Mission Locale est de 192 euros par mois. Près des 2/3 des jeunes non diplômés ne disposent d’aucune source de revenus. Pour ceux qui en disposent, il s’agit soit d’allocations chômage, soit de minimas sociaux (rSa/AAH), soit de revenus salariaux. 25 26 27 Source : Mission Locale Limoges, Parcours 3, dossiers actifs et en veille, avril 2011 Sources : Mission Locale de Limoges, rapport d’activité 2010 Source : Mission Locale Limoges, Parcours 3, dossiers actifs et en veille, avril 2011 Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 33 Types de ressources perçues par les jeunes non diplômés de la mission locale Part de jeunes bénéficiant de ce type de ressources 70% 64% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 7% 10% 0% Rien Alloc. chômage (Pôle Emploi...) 6% Salaire 4% RMI-RSA 2% API-RSA Allocation CIVIS 2% AAH 1% 2% 1% Alloc. Pension formationalimentaire (ASP, AREF...) Autre Si l’on ne retient que les jeunes bénéficiant de revenus, les revenus moyens les plus importants concernent les jeunes qui ont une activité salariée (704€ en moyenne). Viennent ensuite les revenus issus des minimas sociaux (640€ pour les ex-API, 530 € pour les bénéficiaires du RMI/rSa ou de l’AAH). Les allocations chômage quant à elles apportent en moyenne 545€/mois à ceux qui en bénéficient. Parmi les jeunes non diplômés accompagnés par la Mission Locale, les jeunes résidant dans des quartiers CUCS sont relativement plus nombreux à disposer de ressources : c’est le cas de 41% d’entre eux Types de ressources perçues par les jeunes non diplômés de la mission locale Part de jeunes bénéficiant de ce type de ressources 70% 60% contre 36% des jeunes hors CUCS. Cependant, la structure des 64% 64% 59% revenus diffère : les jeunes 50% issus des quartiers CUCS sont 40% relativement plus nombreux à 30% bénéficier de ressources liées 20% 12% 10%7% 7% 6% 7% 10% 0% Rien Alloc. chômage (Pôle Emploi...) Ensemble Salaire Jeunes CUCS aux minimas sociaux (lié 11% 6% 3% 4% 6% 4% notamment au fait qu’ils sont RMI-RSA API-RSA plus souvent parents). Ils sont en revanche moins nombreux à Jeunes Hors CUCS bénéficier d’allocations chômage. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 34 CE QU’IL FAUT RETENIR : - L’Académie de Limoges était en 2001 celle où la déscolarisation des filles était la plus importante. La situation concernant les jeunes filles est préoccupante : elles sont relativement plus nombreuses à ne pas avoir de diplôme, et quand c’est le cas, leur niveau de diplôme est inférieur à celui des garçons. - Les jeunes issus des quartiers de la géographie prioritaire sont surreprésentés parmi les jeunes sans diplôme. 16% des jeunes de 15 à 24 ans résident en CUCS, mais les jeunes sans diplôme sont près de 3 fois plus nombreux au sein de ces quartiers. - Les jeunes sans diplôme accompagnés par la Mission Locale sont en moyenne plus jeunes et plus souvent chargés de famille que l’ensemble des jeunes accueillis à la Mission Locale. Ils sont nettement moins nombreux à détenir le permis que les jeunes diplômés. - 2/3 des jeunes non diplômés accompagnés par la Mission Locale ne disposent d’aucune ressource. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 35 3. L’accompagnement des jeunes sans diplôme a. 70% des jeunes limougeauds sans diplôme auraient fréquenté la Mission Locale en 2010. En 2010, 1 641 jeunes sans diplôme qualifiant28 de 16-25 ans dans l’agglomération de Limoges ont été « en contact »29 avec la Mission locale : ce serait ainsi environ 70% des sans diplôme30 de la commune de Limoges qui seraient connus de la Mission Locale. Compte tenu des freins à l’insertion qu’ils rencontrent, les jeunes sans diplôme qualifiant représentent une part importante des jeunes avec lesquels la Mission Locale a été en « contact » : ainsi en 2010, sur l’agglomération de Limoges, les jeunes sans diplôme représentaient près de la moitié (46%) des jeunes accueillis par la Mission Locale, soit près de 6 fois plus que leur poids dans la population des 15-24 ans31. Parmi les jeunes sans diplôme accompagnés par la Mission Locale, les filles sont sousreprésentées. Elles représentent 42% des jeunes sans diplôme accompagnés alors qu’elles représentent 49% des sans diplôme de 15-24 ans de la ville. b. Les trois quarts des jeunes non diplômés accompagnés par la Mission Locale ont bénéficié d’un contrat CIVIS. Les jeunes de niveau VI et V signataires du CIVIS représentent 34% des signataires du CIVIS de la Mission Locale32. Parmi les jeunes suivis par la Mission Locale en 2011, 3 jeunes non diplômés sur 4 suivis par la Mission Locale avaient signé un CIVIS dans le cadre de leur parcours (soit 2131 jeunes sur les 2845 dossiers actifs ou veille en avril 2011). Pour les jeunes de niveau V bis et VI, relevant des CIVIS Renforcés, près de 80% d’entre eux en ont au moins bénéficié une fois et le quart d’entre eux comptabilise 3 contrats ou plus. 28 Ce chiffre est extrait en prenant en compte dans les « sans diplôme qualifiant » les niveaux VI, V bis et V non validés. C’est une donnée a minima car certains niveaux IV non validés (ceux qui n’ont pas de diplôme qualifiant et échouent avant le bac) seraient à inclure dans cet échantillon. 29 Les jeunes « en contact » sont ceux qui sont inscrits à la Mission Locale et qui, dans 95% des cas ont eu au moins un entretien 30 Ces données sont obtenues « par projection » : on sait que 84% des jeunes de la Mission Locale reçus en premier accueil résident dans la commune de Limoges. 31 Sources : Mission Locale de Limoges, rapport d’activité 2010 / INSEE – RP 2006 32 Sources : Mission Locale de Limoges, rapport d’activité 2010 Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 36 839 jeunes sans diplôme avaient un contrat CIVIS en cours en avril 201133 et pour les 2/3 d’entre eux, il s’agissait d’un CIVIS Renforcé. Il ne s’agit d’un 1er contrat que dans la moitié des cas. Et pour un jeune sur 6, il s’agit au moins du 3ème contrat34 . Le nombre de contrats CIVIS signés par les jeunes sans diplôme peut être important, ce qui témoigne du temps nécessaire à l’accompagnement et à la construction des parcours pour un nombre significatif de jeunes. Contrats CIVIS Ensemble Renforcés Nombre de jeunes concernés 731 1402 2131 % de l'ensemble des jeunes non diplômés 26% 49% 75% Ventilation des jeunes selon le nombre de contrats CIVIS ou CIVIS Renforcés signés depuis leur 1er accueil à la ML de Limoges 1 CIVIS 378 675 1049 En % des jeunes concernés 52% 48% 49% 2 CIVIS 353 383 738 En % des jeunes concernés 48% 27% 35% 3 CIVIS 0 203 203 En % des jeunes concernés 14% 10% 4 CIVIS ou plus 0 141 141 En % des jeunes concernés 10% 7% Contrats CIVIS Une analyse de cohorte sur une année pleine (2009) permet de qualifier la nature des sorties de contrats CIVIS. Près de 800 CIVIS ont été signés en 2009 par des jeunes limougeauds sans diplôme qualifiant. Pour les ¾, il s’agit de CIVIS renforcés. Situation 1 an après l'entrée en CIVIS base: Contrats CIVIS signés en 2009 - fin de CIVIS en 2010 100% 80% 29% 40% 11% 7% 6% 4% 7% 20% 37% 60% 18% 33% 12% 6% 9% 25% 10% 7% 5% 5% 40% 29% 0% Ensemble (781) Renouvellement Limite d'âge Déménagement Non renouvellement 33 CIVIS Commun (210) Civis renforcés (571) Fin de la durée du programme Abandons Emploi durable Source : Mission Locale Limoges, Parcours 3, dossiers actifs et en veille, avril 2011 34 Ce cas n’est possible que dans le cadre du CIVIS Renforcé, le CIVIS Commun ne permettant quant à lui qu’un seul renouvellement. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 37 Ces contrats CIVIS sont souvent renouvelés. C’est le cas de 40% des CIVIS renforcés signés en 2009. Les abandons en cours de contrat concernent une minorité de jeunes (6% en moyenne). La rubrique « non renouvellement » doit être interprétée prudemment : il peut s’agir de sorties positives comme la reprise d’une formation ou l’accès à un emploi non durable qui ne justifie pas aux yeux du jeune un renouvellement. Les sorties vers l’emploi durable à l’issue des contrats CIVIS signés en 2009 ne concernent que 11% des jeunes. La durée d’accompagnement dans le cadre du CIVIS pour accéder à l’emploi durable est souvent supérieure à un seul contrat : parmi les jeunes pour lesquels l’emploi durable justifie la sortie du CIVIS, la durée moyenne d’accompagnement est de 16,5 mois pour les CIVIS commun, et de 19 mois pour les CIVIS renforcés. c. L’accompagnement par la Mission Locale permet souvent aux jeunes d’acquérir leur première expérience professionnelle. Avant le 1er accueil à la Mission locale, une majorité de jeunes sans diplôme (71%) n’a bénéficié d’aucun dispositif de formation ou d’expérience professionnelle : seuls 29% des jeunes sans diplôme avait déjà bénéficié d’un dispositif (emploi, formation, contrat en alternance) avant d’arriver à la Mission locale. Ceci est plus particulièrement le cas des jeunes non diplômés résidant hors CUCS, qui sont plus nombreux à avoir déjà eu une expérience, notamment en ce qui concerne les contrats en alternance (cf. graphe ci-dessous). Concernant la durée de cette expérience en revanche, les différences s’estompent. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 38 Taux d'accès aux dispositifs des jeunes non diplômés avant leur 1er accueil à la mission locale (source : Parcours 3 - dossiers actifs et en veille - avril 2011) 40% 30% 29% 31% 27% 25% 21% 24% 20% 15% 16% 13% 15% 13% 9% 10% 4%3%5% 0% A bénéficié d'un A bénéficié A bénéficié d'un A bénéficié d'un A bénéficié d'un dispositif avant d'une formation contrat en contrat en emploi le 1er accueil alternance ou alternance d'un emploi % de l'ensemble jeunes ML (2845) % des jeunes CUCS (1005) % des jeunes Hors CUCS (1840) Cette absence d’expérience à l’entrée n’est pas pour autant liée à une inscription rapide après la déscolarisation. Les délais entre la déscolarisation et l’inscription à la Mission Locale restent encore longs : ainsi en 2010, 72% des jeunes non diplômés accueillis pour la première fois étaient déscolarisés depuis au moins 6 mois et 57% depuis plus d’un an35. C’est après leur inscription à la Mission Locale que de nombreux jeunes bénéficient de leurs premières expériences professionnelles, en emploi, en alternance mais également lors d’immersions en entreprise. C’est le cas respectivement de 56%, 10% et 17% des jeunes suivis par la Mission Locale. Le territoire de résidence (CUCS ou Hors CUCS) n’influe pas sur ces chiffres36. 35 36 Source : Mission Locale Limoges, rapport d’activité 2010 Source : Mission Locale Limoges, Parcours 3, dossiers actifs et en veille, avril 2011 Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 39 Taux d'accès aux dispositifs des jeunes non diplômés durant leur accompagnement par la mission locale (source : Parcours 3 - dossiers actifs et en veille - avril 2011) 80% 56% 60% 56% 56% 40% 17% 18% 16% 20% 10% 9% 11% 0% Emploi Contrat en Alternance % de l'ensemble jeunes ML (2845) Immersion en entreprise % des jeunes CUCS (1005) % des jeunes Hors CUCS (1840) Le nombre de contrats décrochés par les jeunes durant leur accompagnement est relativement en important : moyenne, les jeunes accompagnés ayant eu une expérience leur d’emploi durant accompagnement bénéficié de plus de ont 3 contrats. Les contrats en CDI restent l’exception et premières expériences riment souvent avec contrats précaires. Les contrats Types de contrats décrochés par les jeunes non diplômés de la Mission Locale depuis le 1er accueil (base 5431 c ontrats effectués par 1592 jeunes) CDI + CNE temps partiel 4% CDI + CNE 5% CUI CDD (CAE/CIE) 8% CDD temps partiel 5% CDD saisonnier 5% sont cependant souvent à temps plein (9% des contrats signés sont à temps partiel). Autres 3% Association Intermédiaire 4% CDD temps plein 46% CDD intérim 18% CDD insertion 2% Ces contrats ne relèvent de dispositifs de contrats aidés que dans 14% des cas. Si en moyenne le nombre de contrats est important, il faut également tenir compte de la durée – souvent importante - de l’accompagnement ayant permis le cumul de ces expériences. Lorsqu’on le calcule uniquement sur une année, le taux d’accès à l’emploi des jeunes non diplômés chute fortement : 36% pour l’année 201037. 37 Source : Mission Locale Limoges, rapport d’activité 2010 Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 40 On observe une concentration sur quelques secteurs des emplois occupés par les jeunes non diplômés de la Mission Locale. Plus de la moitié des emplois relèvent de 3 secteurs : Répartition par secteur d'activité des emplois exercés par les jeunes sans diplôme pendant leur accompagnement par la Mission Locale base : 5431 emplois exercés par 1592 jeunes Industrie 5% Agriculture et pêche 6% Non défini 7% Support à l'entreprise 2% Autre 4% emplois des occupés concernaient le transport et la logistique, 16 % des services à la personne ou aux collectivités et 12% du commerce et de la Transport et logistique 32% BTP 8% Hôtel Rest Tourisme Loisirs Commerce 8% Vente Gde distribution 12% 1/3 grande distribution. Pour les contrats en alternance, Services personnes et coll 16% constate une dans on également concentration 3 différents domaines, de ceux concernés par les emplois occupés. Un tiers des contrats en alternance concernent le domaine de la grande distribution ou du commerce. Viennent ensuite le secteur de l’hôtellerie/restauration/Tourisme (1 contrat sur 4) et le BTP (1 contrat sur 5). d. Près de la moitié des jeunes sans diplôme accompagnés par la Mission locale ont suivi une formation. Si le retour à la scolarité (formation initiale, dispositifs MGI) ne concerne que peu de jeunes après leur 1er accueil (3%), les formations tiennent une place importante dans le parcours des jeunes non diplômés : près de la moitié d’entre eux ont bénéficié d’au moins une formation dans le cadre de leur parcours à la mission locale (43%). Ceci est plus souvent le cas des jeunes issus des quartiers CUCS, eux même plus souvent représentés parmi les jeunes de niveau VI. En rythme annuel, ce sont 21% des jeunes non diplômés qui ont été concernés par une formation en 201038. 38 Source : Mission Locale Limoges, rapport d’activité 2010 Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 41 Taux d'accès aux dispositifs des jeunes non diplômés durant leur accompagnement par la mission locale 60% (source : Parcours 3 - dossiers ac tifs et en veille - avril 2011 ) 43% 49% 40% 40% 20% 3% 3% 3% 0% Formation Scolarité % de l'ensemble jeunes ML (2845) % des jeunes CUCS (1005) % des jeunes Hors CUCS (1840) Parmi les jeunes non diplômés, ceux-ci accèdent à des formations de type différent en fonction de leur niveau : les formations dites de mobilisation sont fréquemment utilisées pour les jeunes qui se sont arrêtés tôt dans leur parcours scolaire (Niveaux VI/V bis). Si ce public parvient à rentrer sur des formations préqualifiantes tout autant que les autres niveaux de formation, on constate cependant qu’ils sont moins nombreux à intégrer des formations qualifiantes : un jeune non diplômé de niveau V a 2 fois plus de chances d’intégrer une formation qualifiante qu’un jeune de niveau VI (23% d’accès aux formations qualifiante pour les niveau V contre 9% pour les niveau VI). Taux d'accès aux formation des jeunes non diplômés durant leur accompagnement par la ML - selon le type de formation et le niveau de formation des jeunes (source : Parcours 3 - dossiers actifs et en veille - avril 2011) 40% 34% 29% 30% 28% 26% 23% 20% 13% 12% 12% 11% 16% 10% 14% 9% 1% 1% 1% 1% 0% Adaptation % de l'ensemble jeunes ML (2845) Mobilisation % des jeunes Niv.VI (738) Pré-qualification % des jeunes Niv.V bis (1053) Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 Qualification % des jeunes Niv.V (1054) 42 e. Près de 2 000 jeunes sans diplôme inscrits à Pôle Emploi sur le bassin de Limoges fin 2010 En décembre 2010, 1 843 jeunes de moins de 26 ans de niveau VI, V bis et V, sans diplôme, étaient inscrits à Pôle Emploi sur le bassin de Limoges. Il s’agit pour les ¾ de jeunes de niveau V, les niveaux V bis et VI comptant respectivement pour 13% et 10% d’entre eux. Cette inscription est souvent récente : pour les ¾ des jeunes de niveau V ou moins, l’inscription date de moins d’un an. Elle n’est en revanche supérieure à 2 ans que pour 7% des inscrits. Si le profil des inscrits à Pôle Répartition par âge des jeunes non diplômés de la Mission Locale et des jeunes de moins de 26 ans, de niveau VI, V bis et V inscrits à Pôle Emploi Emploi en termes de genre est équivalent à celui des jeunes accompagnés par la Mission Locale (56% d’hommes), le 60% public inscrit à Pôle Emploi est relativement plus âgé que celui suivi par particulièrement à Pôle Emploi. 45% 30% 42% 20% En 2010, sur le bassin de 26% 50% 40% sous- représentés parmi les inscrits Limoges, 56% la Mission Locale. Les mineurs sont 50% des 10% jeunes inscrits à Pôle Emploi (tous niveaux confondus) faisaient l’objet d’un suivi par la Mission 0% 1% 5% 16-17 ans Pôle Emploi 18-21 ans 22-25 ans Mission Locale 39 Locale . Il s’agit en majorité des jeunes les moins diplômés : près des 2/3 des jeunes affectés par Pôle Emploi qui ont initié un accompagnement PPAE avec la Mission Locale en 2010 (64%) étaient de niveau V ou moins40. 39 40 Source : Données Pôle Emploi Source : Mission Locale Limoges, rapport d’activité 2010 Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 43 CE QU’IL FAUT RETENIR : - La Mission Locale est un acteur connu et fréquenté par les jeunes sans diplôme : 70% d’entre eux auraient ainsi été en contact avec elle au cours de l’année 2010. - Dans le cadre de leur accompagnement par la Mission Locale, les ¾ des jeunes sans diplôme ont été amenés à signer un CIVIS. Les parcours vers l’emploi durable sont cependant longs, ce que traduit le taux important de renouvellement de ces contrats. - Les jeunes sans diplôme bénéficient souvent de leurs premières expériences au cours de la période où ils sont suivis par la Mission Locale. Plus de la moitié des jeunes accompagnés ont ainsi pu bénéficier au moins d’un contrat de travail depuis le début de leur accompagnement. 43% des jeunes ont quant à eux suivi une formation dans le cadre de leur accompagnement. - Un quart des jeunes suivis par Pôle Emploi font l’objet d’une co-traitance avec la Mission Locale. Il s’agit dans 2/3 des cas des jeunes les moins diplômés (niveau V ou moins). Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 44 TYPOLOGIE ET MONOGRAPHIES Précautions méthodologiques Nous reprenons ici la typologie des jeunes et des parcours présentée dans la synthèse de l’étude. Les 15 monographies ci-dessous ont vocation à illustrer cette typologie en reprenant les profils et parcours de 15 jeunes de la cohorte. Avant d’en démarrer la lecture, quelques précautions méthodologiques : Comme le rappelle Dominique Schnapper, la typologie ne cherche pas à classer les individus, elle rend intelligible une réalité sociale : « La méthode typologique n'a pas pour objet de classer les personnes, mais d'élaborer la logique des relations abstraites qui permet de mieux comprendre les comportements et les discours observés et donne une nouvelle intelligibilité aux interactions sociales »41. Le parcours de chaque jeune est unique et complexe : la typologie propose un angle d’analyse pour modéliser cette réalité complexe. Les monographies mettent en perspective la situation des jeunes rencontrés, par rapport à la typologie élaborée. La monographie n’est pas un récit exhaustif de la vie d’un jeune : elle met en avant les moments du parcours et les situations qui permettent de comprendre où en est le jeune par rapport à son insertion professionnelle, sa perception de l’accompagnement,…. Elle accentue certains traits pour illustrer la typologie construite. Ces monographies se fondent sur des éléments de « discours » analysés, des jeunes de la cohorte et des professionnels qui les accompagnent. Les monographies ne doivent pas servir à « identifier » un jeune. Les entretiens avec les jeunes sont anonymes et cet anonymat doit être respecté. Ainsi, « toute ressemblance avec un jeune connu par l’un des membres du comité de pilotage est fortuite ». L’objectif est de proposer une analyse transversale pour la réflexion générale sur l’action publique. 41 Schnapper, 1999, La compréhension sociologique (Démarche de l'analyse typologique), Paris, PUR, p. 113 Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 45 Une typologie des jeunes sans diplôme et de leurs parcours La recherche d’emploi différée Participation à un jeu social Un statut par l’emploi ou la recherche d’emploi « J’ai un travail moi » « Maman au foyer » La vie avec les proches « Les petits biz » « Je cherche du travail » L’assistance revendiquée Proximité à l’emploi Proximité à l’emploi La « fragilité intériorisée » La recherche d’emploi angoissée « C’est pour les soccas » L’insertion dévalorisante Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 46 « MAMAN AU FOYER » Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 47 Jessica, 21 ans A arrêté l’école en 2006, en seconde générale Nous avons rencontré Jessica à trois reprises : Premier entretien le 22 mars 2011 Deuxième entretien le 5 juillet 2011 Troisième entretien le 16 décembre 2011 Entretien avec le conseiller Mission Locale le 7 septembre 2011 Le parcours de Jessica avant notre rencontre Les éléments clés du parcours Jessica est la deuxième fille de 4 enfants. A la fin de la 3e, elle veut faire un apprentissage en coiffure, mais elle ne parvient pas à trouver de patron. Elle s’inscrit en 2nde générale par défaut. Mais la 2nde ne se passe pas bien. Elle arrête l’école à la fin de l’année (juin 2006). « La 2nde s’était mal passée. Je m’étais pas investie. Je voulais pas y aller, pas à Gay Lussac, mais c’est juste parce que c’était obligatoire. J’aurais voulu faire un apprentissage dans la coiffure mais j’ai jamais trouvé. Les patrons à Limoges m’ont jamais prise. Ça a pas marché, donc j’ai pris en dernier recours le lycée Gay Lussac. Les cours ça m’intéressait pas, j’avais du mal ». (1er entretien) Après l’arrêt de l’école, Jessica veut devenir adulte. Elle s’installe avec son copain. Elle s’inscrit à la Mission Locale et signe un CIVIS. Mais l’accompagnement est frustrant parce qu’elle ne 2005 : Recherche d’apprentissage en coiffure, ne trouve pas de patron. Inscription en 2nde générale Juin 2006 : Arrêt de l’école 2006 : Inscription à la Mission Locale et signature de CIVIS 2007 : Emménagement chez les parents de son copain 2007 : Abandon de l’accompagnement ML Septembre 2008 : Rupture et retour chez la mère Octobre 2008 : Nouvelle relation de couple, avec Kevin Mars 2009 : Emménagement de Kevin chez la mère de Jessica Octobre 2009 : Changement de quartier Mars 2010 : Naissance de sa première fille Linda 2010 : Réinscription à la Mission Locale Septembre 2010 : Appartement autonome avec Kevin Avril 2011 : dernier entretien Mission Locale Mai 2011 : Nouvelle grossesse trouve pas d’emploi. Elle se démotive et arrête l’accompagnement après 1 an. A cette époque elle vit une expérience difficile avec son copain qui la bat et qui ne la laisse pas sortir. Elle revient chez sa mère mais commence à sortir avec son compagnon actuel tout de suite après. Son monde, son quotidien sont structurés autour de son copain et ses amis avec lesquels elle « traîne ». Ensuite elle tombe enceinte, à 20 ans. Le fait de devenir mère la « stabilise » dans une situation qui la rassure. Elle abandonne l’idée même de chercher du travail. Elle devient une mère au foyer. Jessica est à l’aise dans ce rôle. Elle est contente d’avoir sa fille et de s’en occuper. Elle se réinscrit à la Mission Locale après un déménagement, mais elle n’y va pas souvent. Dans l’entourage de Jessica, peu de Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 48 personnes travaillent. Sa mère est au foyer, son compagnon est au chômage, sa sœur de 15 ans a arrêté l’école et a aussi un enfant,… Rester au foyer n’est pas « hors norme ». Financièrement, elle se débrouille avec le RSA. En entretien, Jessica dit volontiers qu’elle ne « fait rien ». Elle sent qu’elle n’a rien à raconter puisqu’elle a abandonné toutes ses recherches d’emploi. Le travail ne fait pas partie de son quotidien et elle ne s’y projette pas. Elle nous reçoit toujours chez elle, avec son enfant. Elle ne sort pas souvent, et passe sa journée avec sa fille. L’accompagnement n’est pas structurant dans le quotidien de Jessica Jessica n’évoque pas en priorité son premier accompagnement par la Mission Locale. Bien qu’elle ait Les dates clés l’accompagnement de été en CIVIS pendant un an, elle a des souvenirs très vagues sur l’accompagnement. A l’époque, elle cherche un emploi dans la vente. Elle envoie des candidatures avec son conseiller lors des rendez-vous. Elle ne « sait plus » si son conseiller lui avait proposé des stages, une formation,… « (…) J’allais [à la Mission Locale] quand j’avais les rendez-vous, 2006 2007 : Accompagnement Mission Locale 2007 : Arrêt de l’accompagnement Eté 2010 : Réinscription à la Mission Locale, dans l’antenne de son nouveau quartier Avril 2011 : dernier rendezvous Mission Locale mais je me souviens plus c’était tous les combien. (…) Je ne me souviens plus si on m’a proposé des stages ou des formations,… J'ai fait le CV et la lettre de motivation avec la conseillère (…) Et après j’étais démotivée, j’ai arrêté ». (3e entretien) Jessica n’a pas une approche en termes de projet professionnel. Elle attend de la Mission Locale qu’elle lui trouve un emploi. Elle abandonne l’accompagnement parce qu’elle sent qu’elle n’avance pas. Elle se démotive parce qu’elle ne trouve pas de travail. Les formations, les remises à niveau, cela ne fait pas vraiment partie de l’accompagnement pour Jessica : elle a oublié tous ces éléments. Elle ne retient que la recherche d’emploi. Ainsi, Jessica qualifie de « trop nul » un conseiller qui propose une remise à niveau à son compagnon, alors qu’il a arrêté l’école en 6e. « Lui était inscrit à Beaubreuil, il a arrêté l’école très jeune, en 6e. Mais son conseiller était trop nul. (…) Il ne voulait que lui proposer une remise à niveau, il était trop nul, il ne voulait lui proposer ni un stage ni rien » (3e entretien). En même temps, dans cette première période d’accompagnement Jessica a des difficultés très importantes du côté de sa vie de couple : son copain est violent et on ne veut pas la laisser sortir de la maison. Ces difficultés périphériques lourdes ont aussi un impact sur la disponibilité de Jessica pour suivre un accompagnement de la Mission Locale. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 49 La reprise de l’accompagnement se fait dans le nouveau quartier. Son nouveau compagnon fait un transfert de dossier et elle voit que le nouveau conseiller « est bien ». Le conseiller est « bien » parce qu’il a orienté son compagnon vers une formation pré-qualifiante dans la maçonnerie. Le fait d’être en formation lui permet d’avoir une aide financière par l’assistant social pour le permis de conduire. « Lui il est sur le code, dès qu’il l’a il faut voir comment on fait pour financer. Là on a rien payé [aide de l’assistant social] parce qu’il est en préqualif’». (1er entretien) Alors elle décide de se réinscrire. Jessica parle toujours de travailler dans la vente. Sa conseillère lui propose de faire des stages, mais elle ne les fait pas. Elle a toujours autre chose de plus important à faire : les propositions de la Mission Locale ne sont pas prioritaires pour elle. « On m’a proposé des stages mais je ne pouvais pas avec ma fille. On m’en a proposé un en janvier mais il y a eu un décès dans la famille. Je voudrais qu’on me propose un deuxième mais il faut attendre que Linda aille à l’école, et avoir le permis » (1er entretien) Une proposition de formation AFPA dans la vente, faite par sa conseillère pour avancer dans le projet de travailler comme vendeuse, reste secondaire dans sa vie. Jessica l’évoque comme un projet qui n’est plus possible, parce qu’elle est à nouveau enceinte. Dans la vie de Jessica, les propositions de son conseiller ne sont pas structurantes : elles restent des idées, elle ne cherche pas à les concrétiser parce qu’elle trouve une certaine stabilité et un confort dans son rôle de mère au foyer. « [A la Mission Locale on m’avait parlé d’une] formation à 80km d’ici, ça commence en novembre mais bon, maintenant… [elle est enceinte] Mais la formation c’est loin, il faut prendre le train, et j’allais pas rester làbas sachant que j’ai Linda [sa fille]». (2e entretien) Jessica n’envisage pas de se former en étant enceinte. Elle veut rester chez elle, et après la naissance elle veut rester avec l’enfant, comme elle a fait avec Linda. Elle ne parle pas d’abandon de l’accompagnement, mais elle ne va plus aux rendez-vous. La dernière fois qu’elle est allée à la Mission Locale remonte au mois d’avril. « Des stages, on m'en a proposé, mais j'ai pas pu, parce que pour garder ma fille et tout ça, c'est pas évident. Ça fait un moment que j'ai pas eu de rendez-vous, et ça me dérange pas. Entre ma fille, ma grossesse et tout ça,... » (3e entretien) Finalement, toutes les pistes évoquées dans le cadre de l’accompagnement de la Mission Locale sont trop coûteuses (aller à une formation à 80km de Limoges, faire garder sa fille pendant les stages,…) par rapport à l’équilibre que Jessica trouve en étant mère au foyer. Son identité se définit par rapport à ce rôle et en sortir pour aller vers la vie professionnelle est beaucoup trop déstabilisant. Ce qui s’est passé pendant cette année Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 50 En 2011, Jessica s’est « installée » dans son rôle de mère au foyer. Elle tombe enceinte de son deuxième enfant. Elle arrête d’aller à la Mission Locale. Cette année pour Jessica, il n’y a pas eu de grand changement. Elle est toujours chez elle avec sa fille. Son compagnon y est souvent également, il n’a pas de travail non plus. Elle a arrêté d’envoyer des candidatures pour des emplois depuis longtemps : « La dernière offre à laquelle j’ai postulé c’était à King Jouet. J’ai postulé, mais on n’a pas retenu ma candidature, ça décourage. (et c’était quand ?) Ça fait des années ! ». (1er entretien) Au début de chaque entretien, Jessica a l’impression de ne pas avoir grande chose à dire, puisqu’elle « ne fait rien » par rapport à son insertion professionnelle (« aujourd’hui je fais rien du tout », 1er entretien). Elle dit souvent que « rien n’a changé ». Jessica sait que l’étude porte sur l’insertion professionnelle des jeunes. Elle paraît sentir qu’elle doit dire qu’elle cherche un emploi. Mais les mots qu’elle emploie expriment une posture en retrait : elle attend qu’on lui « trouve » un emploi, elle ne cherche pas. « Là si on me trouvait quelque chose je le prendrais (…) ». (1er entretien) Jessica n’a fait aucun stage, aucune formation cette année. Son quotidien, c’est sa fille. En entretien, elle parle facilement de ce qu’elle fait par rapport à sa fille. La Mission Locale, la formation, l’emploi, ne font pas partie de ce quotidien. « Je fais le ménage, aujourd’hui j’avais rendez-vous au médecin, demain j’en ai un autre au CHU donc ça dépend des fois. Avec ma fille en général je suis levée tôt, quand elle dort j’en profite, surtout qu’elle a fait une rhino, là ça va mieux, mais elle est encore enrhumée ». (3e entretien) Dans le dernier entretien, Jessica a arrêté de voir la Mission Locale depuis plus de 6 mois. La deuxième grossesse l’installe davantage dans son rôle de mère : après l’accouchement elle ne se projette qu’à la maison. « Après je veux rester avec Annick quand elle sera née. -Est-ce que tu as des idées de ce que tu veux faire plus tard ? Je sais pas du tout ce que je compte faire, je ne me pose même pas la question » (3e entretien). Jessica s’installe de plus en plus dans son rôle de mère. Après une période d’accompagnement qui l’a démotivée, elle trouve dans sa vie au foyer une occupation valorisante. Jessica n’a jamais travaillé : le monde du travail est un monde inconnu pour elle. L’idée qu’elle s’en fait est que tout est difficile : les patrons n’ont pas voulu la prendre pour un apprentissage dans la coiffure, elle a candidaté à des postes dans la vente mais on ne l’a jamais appelée. Un recours assumé aux aides financières publiques Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 51 Jessica et son compagnon perçoivent le RSA. Si Jessica ne va plus à la Mission Locale, elle reste en contact avec son assistant social. Elle va le voir quand elle a besoin d’une aide financière, même si cela est parfois difficile pour elle. Parfois elle sent que son assistant social lui fait des reproches, alors qu’elle se sent légitime pour demander ces aides. « L'AS je vais le voir quand j'ai besoin. C'est pour les aides financières, les papiers, les trucs comme ça (…). Des fois il est gentil, des fois il est pas terrible. Je vais lui demander de l'argent parce qu'il y a des mois c'est pas facile, et il trouve toujours quelque chose à redire… » (3e entretien) Le regard de l’accompagnateur Pour la conseillère Mission Locale, Jessica rencontre essentiellement des problèmes « périphériques à l’emploi ». Le plus important est la garde de sa fille. « Jessica a un enfant. Elle fait partie de ces jeunes femmes qui ont un enfant. La première difficulté c’est de le faire garder ». Au-delà de la question de la garde, la conseillère voit en Jessica une jeune femme qui a les potentialités pour se former et travailler dans la vente, mais qui a du mal à se motiver. Jessica a tellement d’autres problèmes dans sa vie quotidienne qu’elle a du mal à se concentrer dans la construction d’un projet professionnel. Dans ces cas-là, la conseillère attend que la jeune maman soit prête à aller vers l’emploi : cette « disponibilité » vient d’une réalité extérieure à l’accompagnement qui pousse la mère vers l’univers professionnel (des enfants qui rentrent à l’école, une séparation,…). « Elle a vraiment des possibilités mais elle est enlisée dans sa situation personnelle et c’est difficile pour elle de se projeter et de sortir du logement, du quartier, aller dans la vie active. Son conjoint a eu des soucis avec la justice… elle n’est pas disponible pour s’investir dans un projet professionnel ». Pour la conseillère, Jessica est un cas « typique » en ce qu’il est difficile de trouver de remobiliser la jeune mère dans un projet professionnel. Faire sortir la jeune femme de sa situation rassurante au foyer, la préparer à un « après » est un véritable enjeu dans l’accompagnement, mais les outils peuvent ne pas être suffisamment intéressants pour inciter la sortie. Dans le cas de Jessica, la conseillère l’a inscrite à une auto-école sociale mais Jessica ne compte pas y aller. Pour elle, la formation permis proposée est trop longue. Elle préfère attendre que son compagnon ait le permis. Se pose également la question de l’accompagnement pendant la grossesse : Jessica ne va plus à la Mission Locale depuis qu’elle est enceinte. Dans ce cas, le conseiller laisse la maman mettre l’accompagnement entre parenthèses, et attend qu’elle revienne quand elle se sent prête. Mais l’attente peut être longue (souvent jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge scolaire). Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 52 Les questions qui se posent en termes d’accompagnement La grossesse non prévue. Plusieurs filles de la cohorte sont mères sans l’avoir « planifié ». Quel rôle d’information en amont sur la planification familiale ? Quel est le rôle de l’accompagnateur dans la prévention des grossesses « non voulues » ? Quelle posture peut-il adopter ? A quels outils peut-il faire appel ? Quel accompagnement peut-il proposer pendant la grossesse ? Comment éviter que la maternité constitue une rupture brutale de l’accompagnement ? L’accompagnement des jeunes mères qui n’ont jamais travaillé. La grossesse intervient souvent dans une période d’incertitude sur l’avenir : dans le cas de Jessica, elle n’est pas accompagnée à l’époque. Elle a « laissé tomber » la recherche de travail et veut s’installer avec son copain. La grossesse stabilise la situation et peut être rassurante. Elle est la source d’un rôle social valorisant pour Jessica. Devenue mère au foyer, Jessica a du mal à se repositionner par rapport à l’emploi. Se remettre à la recherche d’un emploi, d’une formation est déstabilisant. Jessica fait le choix de rester chez elle. Se pose la question des modalités d’accompagnement des jeunes mères. Comment renouer avec l’accompagnement après une grossesse ? Comment faire en sorte que la jeune n’ait pas peur de revenir à une situation déstabilisante telle que la recherche d’emploi ? Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 53 Najet, 24 ans N’a jamais été scolarisée en France Nous avons rencontré Najet: Premier entretien le 1er avril 2011 2ème entretien le 7 septembre 2011 3ème entretien le 20 décembre 2011 Entretien conseillère Pôle Emploi le 14 décembre 2011 Le parcours de Najet avant notre rencontre Najet a 24 ans. Elle est née et a vécu en Tunisie jusqu’à ses 16 ans. C’est à cet âge qu’elle se marie et arrive en France dans le cadre du regroupement familial. Moins d’un an plus tard, Najet tombe enceinte. Ce bébé lui donne une nouvelle « identité », celle de maman, plus facile à porter que celle de jeune fille musulmane portant le voile, et n’ayant pas Les éléments clés du parcours Début 2003 : arrivée en France pour rejoindre son mari ; naissance de son 1er enfant à la fin de l’année 2005 : naissance de son 2ème enfant 2007 : déménagement dans un pavillon 2009 : séparation d’avec son mari ; naissance de son 3ème enfant ; retour à Limoges ; permis Septembre 2010 : changement de quartier lorsqu’elle emménage dans son nouveau logement. encore tous ses repères dans la ville. « Au début c’était pas évident, horrible même. […] » plus tard elle raconte comment l’arrivée de son 1er enfant a produit un bouleversement dans sa vie : « Le premier je l’ai eu à 17 ans, c’était un peu compliqué, trop juste, mais quand il est arrivé, ça a rompu ma solitude : c’est quelqu’un qui m’appartient, c’est ma famille. J’arrivais pas à ne pas rester avec lui, même à le confier à ma belle-mère… c’était difficile, j’étais très inquiète, il fallait tout le temps que je sois avec lui ! » 18 mois après naît son second enfant. Najet s’installe dans son rôle de maman et déménage dans un pavillon dans une commune limitrophe de Limoges. En 2009, elle se sépare de son mari, alors qu’elle est enceinte de son troisième enfant. Elle bénéficie alors du rSa, des allocations familiales (environ 1050€/mois), mais doit déménager et se voit proposer un appartement (F4) à Limoges. Elle s’inscrit à ce moment à Pôle Emploi, obligation par rapport au rSa mais également car elle souhaite pouvoir augmenter ses revenus en travaillant : « Après mon divorce je me suis dit, je peux pas rester comme ça, et en même temps je ne veux pas refaire ma vie tout de suite ! Je me suis dit il faut travailler, assurer la responsabilité, à 22 ans c’est maintenant ou jamais ! » (1er entretien) Toutefois, Najet n’est pas prête à accepter n’importe quel travail. Elle explique qu’elle a effectué des tests, par exemple comme télévendeuse, mais que cela ne lui convenait pas comme métier. Elle met en avant l’ensemble des difficultés qu’elle rencontrerait si elle devait travailler. Elle renonce ainsi à chercher activement parce qu’elle ne dispose pas de place en crèche pour sa fille et de véhicule pour lui permettre de réduire ses temps de trajets. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 54 « Pour moi, ça ne vaut pas le coup de chercher car j’ai personne pour garder ma fille tous les jours… la crèche, c’est la troisième fois que je fais un courrier, pour maintenir la demande pour ma fille… maintenant ça fait un mois et demi que je ne cherche plus [depuis qu’elle a déposé le dossier de demande d’agrément pour être assistante maternelle] […] si je pouvais régler le problème de la crèche pour ma fille, ça serait plus simple, et pour la voiture, avoir un prêt social, commencer par ça ». (1er entretien) Najet ne voit aucune autre solution que de travailler comme assistante maternelle. Najet considère qu’en étant maman de 3 enfants, n’ayant jamais eu d’expérience professionnelle auparavant, ses choix sont limités. Les démarches qu’elle entreprend vont dans ce sens : elle se rend régulièrement au Relais Assistante Maternelle, discute avec des nounous, prépare une demande d’agrément. Ses journées, ses discussions avec d’autres mamans du quartier la confortent dans ce rôle, pour lequel elle pense être faite depuis son plus jeune âge : « Depuis que j’ai l’âge de 7 ans je me suis occupée de ma nièce, je changeais les vraies couches, je donnais les biberons, les vrais pas les faux ! » Plus tard dans l’entretien, après avoir longuement évoqué les difficultés « administratives » rencontrées pour concrétiser son projet, Najet conclue ainsi : « Non vraiment, ass mat’, c’est le métier qui me convient, le métier que je veux faire : y’a pas mieux, on est chez soi, on continue à faire notre petite vie, on est là pour les enfants ». (3ème entretien) Peu d’autres secteurs trouvent un intérêt à ses yeux, et si tel est le cas, ce sont des domaines qui touchent à l’aide aux personnes et aux familles (auxiliaire de vie, aide à domicile pour les personnes âgées…). Dans tous les cas, ce sont des projets secondaires par rapport à celui d’assistante maternelle, qui ne peuvent qu’être temporaires, une forme de dépannage... Najet pense posséder des atouts dans la mesure où elle rend déjà de nombreux services à des personnes de son quartier de ce type, et est reconnue comme étant une personne de confiance. Elle n’envisage en aucune manière de quitter ce quartier pour un autre, celui-ci étant pour elle un espace de reconnaissance, d’entraide entre mamans, et de stabilité pour ses enfants : « Moi, je peux pas quitter le quartier. Le niveau [de l’école] c’est bien pour un quartier, y’a pas beaucoup de places ; les maîtresses, la directrice on les connaît, les enfants ont leurs copains, le sport… […] y’a une maman elle est arrivée dans le quartier elle a été choquée ! Elle voyait que là tout le monde se faisait la bise, se serrait la main… Donc rien que pour ça c’est vrai, je déménagerai pas du quartier ». (3ème entretien) Ce qui s’est passé pendant cette année Najet a effectué de nombreuses démarches pour trouver un emploi qui lui convienne, sans succès. Peu après la première rencontre que j’ai eue avec elle, sa conseillère Pôle Emploi l’oriente vers le CLAF. Cet accompagnement « renforcé » la pousse à prendre une assistante maternelle pour sa fille( 3 jours par semaine), et lui permet de reprendre des recherches qu’elle avait arrêtées, notamment durant la période d’été. Elle envoie ainsi une trentaine de candidatures sur des postes d’aide-ménagère, d’auxiliaire de vie pour les personnes âgées, dans des agences proposant de la garde d’enfant. Elle ne Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 55 décroche aucun contrat, selon elle du fait de son manque d’expérience reconnue, ou de l’absence de véhicule alors qu’elle a le permis. « Avec Sandrine [accompagnatrice du CLAF], on a trouvé une agence [de garde d’enfants]. […] j’ai envoyé le CV et la lettre de motivation, il m’a rappelé 3 heures après mais il n’avait pas mentionné dans l’offre la phrase magique ‘expérience exigée’ ! Il m’a demandé si j’avais déjà travaillé. Je lui ai dit que non mais j’ai trois enfants. Il m’a répondu oui, mais les parents demandent une expérience de 3 ans minimum ». (2ème entretien) Najet passe beaucoup de temps dans les démarches administratives, qui sont pour elles comme des démarches de recherche d’emploi. Reconnue et appréciée dans le quartier, Najet mise sur ses réseaux de proximité. Elle ne se voit pas proposer de solutions satisfaisantes pour débloquer sa situation (logement trop petit pour garder d’autres enfants, pas de place en crèche pour sa fille). Elle espère pouvoir procéder à des arrangements avec des personnes de son quartier, arrangements qu’elle met en avant comme autant de preuves de sa volonté de lever les freins qu’elle rencontre pour travailler. Elle a des difficultés à accepter qu’il y a des commissions et des critères d’attribution qui ne la placent pas en priorité et qu’elle ne puisse pas simplement échanger d’appartement avec une personne âgée disposant d’un logement qui lui conviendrait, ou prendre la place en crèche d’une maman prête à lui laisser la sienne… Najet évoque sa « recherche » d’appartement, restée infructueuse : « Dans ceux là (elle me montre un autre bâtiment du quartier, à une vingtaine de mètres) y’avait un F5 [en fait 1 F5 sans chaque bâtiment]… Ça m’allait très bien… On m’a dit qu’on allait passer mon dossier… Mais il a été recalé… Ils l’ont donné à 2 familles Yougoslave et Gitane qui sont partis à la Bastide quelques mois après… Parce que beaucoup se retrouvent entre eux. […] Là mon dossier est ‘en attente’, un autre mot magique… Maintenant je me dis, pitié, me dites pas en attente… La gardienne, je la vois, elle est sur mon cas, elle était dégoutée… elle me dit, le mois prochain, ils ont intérêt à te le donner ! » (2ème entretien). En dehors de son projet d’Assistante maternelle qui reste son objectif principal, Najet conditionne la reprise de sa recherche d’emploi à la possibilité d’être véhiculée. Elle a fait une demande d’aide auprès de Pôle Emploi pour acheter une voiture, mais sa demande a été rejetée. Elle ne comprend pas cette décision, dans la mesure où elle se considère bonne gestionnaire, légitime à demander ces aides, et qu’elle n’a pas l’impression d’avoir jusque-là profité du « système ». « Pour moi, je demande pas la lune, soit vous me donnez un logement, que je puisse faire Ass Mat’, ou alors que je puisse faire des demandes ailleurs, en ayant une voiture » (2ème entretien). « Donc on a fait une demande de financement, mais elle a pas été acceptée, car ils demandaient qu’on ait déjà un travail… Franchement, j’ai pas compris, à ce moment-là, si on a le travail autant aller à la banque et prendre un crédit de 11 000€ plutôt que d’avoir à demander ! » (2ème entretien). Si Najet consacre beaucoup de temps à ses démarches administratives, elle ne comprend pas toujours ce qui s’y joue. Ainsi, lors de notre dernière rencontre fin décembre, Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 56 Najet explique qu’elle s’est aperçue que sa demande d’agrément pour être assistante maternelle n’était plus valable : suite à la visite de l’inspectrice qui lui avait conseillé d’attendre d’avoir un logement plus spacieux et que ses enfants soient plus grands pour demander l’agrément, Najet a rédigé un courrier pour annuler sa demande. Najet n’a pas compris sur le moment la portée de son acte : elle pensait que son dossier serait conservé et qu’il lui suffirait de se manifester dès qu’elle aurait son nouveau logement. Ce n’est qu’après plusieurs mois qu’elle comprend qu’elle devra reconstituer intégralement un dossier, se réinscrire sur la journée d’information…et que ces démarches prendront encore plusieurs mois. Mais encouragée par des « échos » d’une nounou du quartier mettant en doute le professionnalisme de l’inspectrice, elle entend bien redéposer rapidement un dossier même si sa situation sur le plan du logement n’a pas avancé. « Cette inspectrice est partie… c’est un coup de chance, quand je vois ça je me dis je retente ma chance…. En plus en septembre prochain, la petite elle rentrera à l’école, là je refais un dossier […] Normalement, je devrais repasser l’agrément au mois d’avril… » (3ème entretien) 3 jours avant notre dernière rencontre au mois de décembre, Najet a pu s’acheter une voiture, grâce à une somme d’argent qui lui a été prêtée par une amie. Elle pense que cela va lui ouvrir de nouvelles possibilités, notamment celles qu’elle a pu entrevoir avec son stage comme agent spécialisé des écoles maternelles (ATSEM). C’est lors de ce stage effectué dans le cadre du CLAF qu’elle a découvert qu’en étant maman de 3 enfants, cela pouvait lui ouvrir les portes de ce type d’emploi, et la dispenser de CAP petite enfance. Disposant d’un véhicule, elle envisage de déposer un dossier à la mairie pour effectuer des remplacements, mais place toujours ces expériences comme un second choix. « Là je vais faire le tour des agences de garde d’enfants, regarder dans le journal, faire un ou 2 trucs à droite à gauche qui me permettront d’avoir 200 ou 300 € en plus par mois… je sais qu’il faut agir en attendant, et que le seul frein que j’avais c’était la voiture. J’espère que maintenant j’aurais des possibilités de travail » (3ème entretien). L’accompagnement, un passage « obligé » pour faire valoir ses droits et bénéficier d’aides financières pour concrétiser son projet Avant son divorce, Najet n’avait jamais cherché à travailler. Si elle s’inscrit assez rapidement à Pôle Emploi, Najet laisse passer du temps avant de s’investir réellement dans un accompagnement, préférant attendre que sa fille soit plus grande. Après s’être séparée, Najet se rend à Pôle Emploi. Elle raconte son 1er entretien avec un conseiller « la première fois que j’y suis allée, la petite n’avait pas un an, il a préféré attendre… enfin, j’ai préféré attendre » Les dates clés de l’accompagnement 2010 : Première inscription Pôle Emploi – pas d’accompagnement à l’issue du 1er entretien Janvier 2011 : Reprise de l’accompagnement Pôle Emploi inscription sur des cours de remise à niveau Avril 2011 – Octobre 2011: Orientation et accompagnement par le CLAF – stage de 2 semaines comme ATSEM dans une école (1er entretien) Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 57 Najet considère avant tout l’accompagnement par Pôle Emploi comme une forme de formalité obligée, liée au rSa, mais qui n’a pas vraiment de sens dans son cas : elle a un projet, connaît les étapes à suivre et les initie. Elle estime que Pôle Emploi ne propose qu’un « suivi » distant trop fréquent à son goût dans la mesure où elle le ressent comme une forme de contrôle. « Dans mon cas à moi non, y’a rien à faire pour moi, j’attends une réponse… franchement je me vois pas faire un autre travail, et c’est un travail que j’aimerais faire… j’ai expliqué que c’était peut-être plus simple qu’on fixe un rendez-vous après… […] mais elle tient à ce qu’on se revoit… _ Et pourquoi vous y allez ? _ Bah en quelque sorte, je suis obligée, si je suis radiée, j’ai plus de droits, plus de carte de bus » (1er entretien) Dans ce qui lui avait été proposé par son conseiller Pôle Emploi avant le premier entretien que j’ai eu avec elle, Najet n’a adhéré qu’aux cours de français. Elle s’est vue proposer cette action par Pôle Emploi, alors qu’elle demandait de l’aide pour rédiger une lettre de motivation. Pourtant, elle ne place pas ces cours sur le plan de l’insertion professionnelle, mais sur un double registre, à la fois occupationnel et identitaire… Parlant de la remise à niveau qu’elle suit depuis plusieurs mois, 2 fois par semaine « Oui, c’est pas mal, ça permet de faire quelque chose, d’occuper le temps, de me dire que je fais quelque chose. Et puis je vis ici, le minimum c’est de savoir écrire le français ». (3ème entretien) Au mois d’avril, Najet est orientée par sa conseillère Pôle Emploi vers le CLAF. Elle le suit jusqu’au bout, étant assidue à ses rendez-vous. C’est un accompagnement qui élargit son champs des possibles en matière de recherche d’emploi, la rebooste, sans pour autant que cela aboutisse à l’emploi. Elle apprécie surtout dans cet accompagnement, son côté plus personnalisé mais surtout plus humain, où elle se sent soutenue dans les différentes démarches qu’elle initie et les demandes d’aides qu’elle formalise. « Avec Sandrine, elle m’a dit que je pouvais voir d’autres choses, que ça pouvait me faire changer d’avis, que je pouvais travailler pour une personne âgée, et combiner avec assistante maternelle ou de la garde d’enfants, combiner entre les 2 pour avoir un temps plein » (2nd entretien). « Je vois une conseillère, Sandrine, elle est très sympa, c’est un accompagnement personnalisé, on regarde les offres d’emploi, si on répond aux offres. » Plus tard, évoquant une réponse négative qu’elle a eue à une offre à laquelle elle avait postulé « Sandrine, elle n’a pas compris… elle me comprend, elle sait que je préviens toujours quand je peux pas, que je suis toujours à l’heure, à côté des autres dossiers le mien il est comme ça [elle mime son dossier, visiblement épais]. » (2nd entretien) Si l’accompagnement par le CLAF constitue un temps fort du parcours de Najet, celuici ne l’a pas conduit à revoir son projet professionnel. Elle en sort même convaincue qu’Assistante maternelle est la seule chose à sa portée, car toutes les pistes explorées durant son accompagnement se sont révélées infructueuses ou comprenaient des contraintes trop fortes par rapport à sa vie de maman (horaires décalés non adaptés à sa vie de maman, emplois exigeant un véhicule…). Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 58 Cette période avec le CLAF n’a pas changé la perception que Najet a de son accompagnement : elle ne voit pas d’un regard très positif son retour à Pôle Emploi. Comme avant son accompagnement par le CLAF, elle en attend surtout des services (possibilité d’imprimer des CV) et aides financières et n’imagine pas que sa conseillère puisse lui proposer des offres d’emploi. « Là j’ai rendez-vous avec… [elle part chercher le courrier] Mme X [conseillère Pôle Emploi]. J’ai rendez-vous le 3 janvier… ça fait à peu près 8 mois qu’on s’est pas vues, mais c’est pas assez, c’est toujours la même chose, on ne m’appelle pas pour me dire j’ai ça ou ça à vous proposer… je sais même pas si je vais pouvoir avoir une aide pour la voiture ! Le problème c’est que pour faire une demande, il faut un devis pour une voiture dans un garage… j’ai l’intention d’en parler pour voir si ils peuvent pas me financer au moins une partie » (3ème entretien). Le regard de l’accompagnateur La conseillère Pôle Emploi de Najet considère ne la connaître que très peu, car elles ne se sont rencontrées que 3 fois. Reprenant le portefeuille d’un collègue, elle n’évoque jamais vraiment l’historique de la situation avant sa première rencontre avec elle. C’est parce qu’elle considère que Najet rencontre de nombreux freins du fait de son statut de maman isolée avec 3 enfants que la conseillère décide de l’orienter vers le CLAF : elle considère que les conditions proposées dans le cadre du suivi mensuel ne permettent pas d’accompagner des personnes, qui comme Najet, ne sont pas directement mobilisables vers l’emploi du fait des freins qu’elles rencontrent. De son point de vue, Najet a besoin d’un accompagnement socio professionnel renforcé (levée des freins comme la mobilité, la garde d’enfants, travail sur les techniques de recherche d’emploi…) pour pouvoir aller vers l’emploi. En effet, pour la conseillère le projet de Najet n’est pas directement réalisable et est avant tout une solution de facilité. « Quand je l’ai rencontrée, elle avait le projet d’être assistante maternelle, pour rester chez elle… mais seule avec 3 enfants… je lui ai dit un F4 si vous êtes seule, vous allez avoir du mal… Valait mieux qu’elle se reconvertisse… c’était ça à l’origine, je l’ai envoyée car c’était une jeune femme seule avec 3 enfants. » Pour la conseillère, l’objectif est de favoriser une reprise d’emploi rapide en attendant la concrétisation du projet d’assistante maternelle. Cependant, au-delà des freins qu’elle peut rencontrer (mobilité, garde d’enfants), la conseillère ne croit pas vraiment que Najet soit prête à faire autre chose en attendant : Najet dispose de revenus qui lui permettent de se « débrouiller », et qui la rendent « peu intéressée » pour travailler. « Assistante maternelle c’était son projet prioritaire […] Mais je suis convaincue que cette jeune femme, même avec le permis, une voiture… y’a des choses sur le papier et bon… elle n’a pas de système de garde… les quelques fois où je l’ai vue, c’était toujours avec la petite dans la poussette […] Quand elle a apporté son attestation rSa, j’ai vu qu’elle n’a pas d’intérêt financier… c’est pour ça que sa situation est un peu atypique par rapport aux autres jeunes. » Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 59 2 mois après la fin de l’accompagnement par le CLAF, la conseillère Pôle Emploi n’a pas encore revu Najet et ne sait pas que celle-ci a pu lever certains de ses freins : elle a pris une assistante maternelle 3 jours par semaine et s’est endettée auprès d’une amie pour s’acheter une voiture et pouvoir ainsi augmenter ses chances de trouver un emploi. Najet est désormais plus « disponible » pour envisager de manière concrète - mais toujours compatible avec son emploi du temps de ‘maman’ – un retour à l’emploi : lors du dernier entretien que j’ai avec elle, elle envisageait ainsi la possibilité de travailler comme ATSEM remplaçante, de faire des missions de service civique, de postuler de nouveau dans des agences, travailler comme aide à domicile chez des personnes âgées … Alors que la conseillère parle de « reprise d’emploi », ce qui semble inquiéter Najet, c’est plutôt l’entrée en emploi, et d’être encore confrontée à de nouveaux échecs : « Cette année, c’est beaucoup de déception au niveau du travail, de l’emploi… ils permettent pas à une personne débutante de travailler… faut travailler avant d’avoir de l’expérience, ou il faut avoir une voiture. Ils facilitent pas la tâche, c’est pas qu’il n’y a pas de travail, mais c’est pas facile de débuter, c’est lourd à la fin… » (3ème entretien) Les questions qui se posent en termes d’accompagnement Quel accompagnement pour les jeunes mamans ? Comment préparer l’après « vie au foyer » ? La situation de Najet montre bien qu’il peut y avoir un coût d’entrée sur le marché du travail. Il s’agit d’un coût financier, mais également affectif, dans la mesure où il est souvent difficile pour des jeunes mères sans expérience de se confronter à un monde qu’elles ne connaissent pas et de remettre en question la stabilité « trouvée » dans leur rôle de maman. Quelle articulation accompagnement renforcé vers l’emploi et levée des freins ? L’accompagnement par le CLAF est un temps fort auquel elle accroche bien mais la difficulté posée par l’absence de véhicule n’est pas levée durant cette période. Confrontée à des refus sur cette base et à l’absence de financements pour une voiture, Najet se décourage assez vite, ayant l’impression qu’elle ne pourra jamais dans ces conditions trouver du travail. Malgré la voiture dont elle dispose désormais elle ne semble pas encore confiante dans ses capacités pour pouvoir trouver de manière autonome un emploi. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 60 « LA VIE AVEC LES PROCHES » Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 61 Amina, 17 ans A arrêté l’école en septembre 2010, au début d’un CAP hôtellerie – restauration en apprentissage Nous avons rencontré Amina : Premier entretien le 18 mai 2011 2ème entretien le 8 septembre 2011 3ème entretien (téléphonique) le 11 janvier 2012 Entretien coordinateurs PRIAQ le 7 septembre Le parcours d’Amina avant notre rencontre Amina a 17 ans. Née au Maghreb, elle est arrivée en Les éléments clés du parcours France il y a une dizaine d’années pour y rejoindre son père qui a refait sa vie à Limoges. Elle vit aujourd’hui avec son père (concessionnaire auto), sa belle-mère (au foyer), et leurs 3 enfants. Après une scolarité qu’elle décrit comme « normale » jusqu’en 3ème, elle se met alors à la recherche d’un apprentissage en coiffure, mais ne trouve pas de patron. Elle a le sentiment de subir de plein fouet une discrimination : 2000 : arrivée en France Sept 2010 : entre en tant qu’apprentie en 2nde professionnelle mais abandonne au bout de quelques jours Sept 2010 : se rend à Pôle emploi – réorientée vers le CIO Octobre 2010 : Accord pour entrée sur le PRIAQ, qu’elle n’intègre pas Nov/Déc 2010 : se rend à la Mission Locale, arrête au premier rendez-vous avec la conseillère Octobre 2011 : inscription en 1ère année de CAP décoration en céramique sur Limoges « Le problème à Limoges, c’est que t’es une arabe, ils te prennent pas…. Ça se sent elle a peur… Directement dès que tu rentres, c’est pas bonjour, c’est vous voulez quoi ? Après ils voient l’enveloppe, ils comprennent pourquoi… Moi je repars gentiment, je vais pas leur casser leur commerce ou des choses comme ça. » Appuyée par un éducateur de l’ALSEA, Amina parvient à trouver un restaurant qui la prend en apprentissage. Elle s’inscrit alors dans un CAP hôtellerie-restauration à la rentrée de septembre 2010. Mais elle abandonne au bout d’une semaine, sous la pression de son père, qui juge que ce n’est pas une place pour elle. « Je travaillais en soirée, pour faire le service, ça a posé problème, j’ai arrêté… mon père il voulait pas… c’est obligé qu’on écoute les parents ! Nous chez nous, les filles, on ne sort pas le soir. En tant que musulmane c’est comme ça on ne sort pas le soir. ». Depuis, Amina passe beaucoup de temps à la maison. Ses amis sont scolarisés ou travaillent, et elle ne les voit que les mercredis et durant les week-ends. En dehors de ces moments de sociabilité, elle passe une majorité de son temps chez elle, sur Internet ou devant la télé, ou sortant de temps à autre dans le centre-ville. Rester à la maison est difficile pour elle, à la fois car elle s’ennuie, mais surtout parce qu’elle ressent la pression familiale. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 62 « Ma mère [sa belle-mère], elle me demande d’aller chercher du travail, mais elle n’arrive pas à comprendre que c’est pas possible ! » (1er entretien). « Quand je suis chez moi, je me sens enfermée, je suis devant Internet…ça va tant que y’a pas ma mère à côté de moi » (2ème entretien) En rébellion par rapport à sa famille, Amina se valorise beaucoup à travers son entourage amical. Jouant beaucoup sur le registre de la séduction, elle met en avant le fait que ce sont les autres qui viennent vers elle, la chercher, à tel point qu’ils ne pourraient envisager de se passer de la voir. Lors du second entretien, Amina évoque le fait de reprendre ses études à la rentrée, en internat. Quand je lui demande comment elle ferait pour voir ses amis : « Mes amis, ils viendraient me voir, c’est obligé ! Ils ne peuvent pas me dire non, j’ai jamais entendu un non ! » (2ème entretien) Amina parle comme une adolescente, se focalisant sur sa majorité qui lui permettrait de prendre de la distance avec sa famille, notamment avec son père qui représente dans son discours le principal obstacle à la vie qu’elle souhaite mener. Mineure, elle reste soumise aux choix qu’il fait, comme lorsqu’elle arrête son apprentissage. « J’ai envie de partir quelque part… Limoges ça ne m’a rien apporté, en plus là je vais avoir 18 ans. Je vais quitter la famille, Limoges, je serais libre ! 18 ans c’est être libre, si j’ai envie de partir quelque part » Plus tard dans l’entretien, elle revient sur son envie de partir, et la relie notamment à la relation à son père « Pour l’instant je sais que ça va, mais je sais qu’après tout va changer… Quand j’aurais 18 ans il sera plus sévère… Il le sait que je vais réussir dans la vie, et ça lui fait peur. J’ai l’impression que mon père il veut tout contrôler, moi je veux vivre à la française ! » (2ème entretien) Ce qui s’est passé pendant cette année Amina a été accompagnée par plusieurs structures suite à l’arrêt de son apprentissage, mais les a abandonnés à chaque fois (Pôle emploi, CIO, Mission Locale). Lors du 1er entretien que j’ai avec elle, Amina explique attendre la rentrée suivante (septembre 2011) pour reprendre l’école avec un Bac pro vente, ou un apprentissage dans la coiffure. Elle veut faire plaisir à sa mère, restée au pays. « Tout ça, si je l’ai fait, c’est pour elle… Tellement je l’aime je vais rentrer en bac pro en vente. Quand j’en parle avec ma mère, elle me dit qu’il faut que je passe mon bac… Ça va être dur, j’ai l’impression que c’est des années […] J’aurais un diplôme, au moins, si je ne vais pas dans la coiffure, je trouverais quelque chose grâce à ce diplôme » (1er entretien). A la rentrée quand je la rencontre pour la deuxième fois, Amina n’est toujours pas inscrite : elle est en liste d’attente pour intégrer un bac pro comptabilité ou secrétariat, dans un autre domaine donc que ceux qu’elle envisageait quelques mois plus tôt. Ce n’est pas elle qui s’est occupée des démarches, mais sa belle-mère, visiblement inquiète de la scolarité de la fratrie : en effet, les deux demi-frères d’Amina ont arrêté l’école au printemps, et sa belle-mère a décidé Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 63 de rédiger des demandes, avec l’appui de la secrétaire de son mari. C’est un projet qui reste donc très étranger à Amina et avec lequel elle prend de la distance. Lors du second entretien, Amina évoque des inscriptions dans 2 formations différentes, l’une en comptabilité, l’autre dans le secrétariat… quand on lui demande si elle espère que ça va marcher « Bah, c’est pour pas rester à la maison ! » (2nd entretien) Finalement, Amina s’inscrit en CAP de décoration en Céramique au mois d’octobre avec une amie, celle-là même qui lui a parlé de la formation. Elle s’enthousiasme en parlant de cette formation. Mais si elle apprécie l’alternance de jours en ateliers avec des jours de cours plus classiques, le côté « artistique », elle a encore du mal à s’y projeter totalement : les deux années d’études semblent lui faire peur, et elle hésite entre continuer dans cette voie passer 2 ans en CAP – et quitter Limoges pour reprendre une formation en apprentissage comme coiffeuse, auprès de membres de sa famille. Amina fait beaucoup de projets auxquels elle croit fortement, mais vite oubliés car ce n’est pas elle qui décide : elle n’a pas commencé le permis qu’elle pensait initier cet été avec l’aide financière de ses parents, n’a pas pu retourner au pays pour voir sa mère au mois d’octobre (ses parents n’ont pas voulu lui prendre de billet comme elle venait de reprendre l’école), elle n’a pas quitté Limoges fin décembre à ses 18 ans comme elle le mettait en avant au cours de ses 2 premiers entretiens… Amina est à un âge où la famille tient un rôle central. Elle a une relation idéalisée à sa mère qu’elle ne voit que très peu, car restée au pays. En revanche, elle se pose en rébellion avec la famille avec laquelle elle vit au quotidien, mais dont elle dépend encore très largement : elle ressent une forte pression, se sent dépossédée de ses choix ou contrainte de revoir ses orientations professionnelles pour satisfaire aux attentes de ses parents. Amina abandonne rapidement son accompagnement, malgré un passage de relais rapide entre les structures d’accompagnement Amina quitte son apprentissage (dans l’hôtellerierestauration) sans donner d’explication, ni à son patron, ni à son école. Elle est repérée très vite comme « décrocheuse », et va être en contact rapidement avec plusieurs structures. Après l’arrêt de son apprentissage elle se rend rapidement à Pôle Emploi, où elle rencontre une Les dates clés de l’accompagnement 2010 : suivi par un éducateur de l’ALSEA, qui l’aide dans sa recherche d’un patron pour un apprentissage Septembre 2010 : entretien Pôle emploi, orientation CIO Octobre 2010 : Acceptée pour intégrer le PRIAQ – ne s’y rend pas Nov-Déc 2010 : Inscription à la Mission Locale, abandon après le 1er rendez-vous avec la conseillère Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 64 conseillère qui la réoriente vers une autre personne, travaillant au PRIAQ. Elle y dépose un dossier, et est assez séduite par l’idée de pouvoir alterner stages et cours. Elle n’intégrera pourtant jamais le PRIAQ, arguant que ce n’était pas « sa place » : « J’avais de la chance, y’a beaucoup de gens qui demandent… Mais mon petit frère aussi il est dans ce lycée, aussi j’ai dû refuser l’offre. […] Déjà je m’entends pas très bien avec lui, et je le vois assez souvent à la maison… Si en plus je dois le croiser au lycée ! Et puis j’ai pas grandi avec eux, ça ne se fait pas ! » Cette décision semble encore une fois très extérieure à Amina, hors de son contrôle et justifié par des « conventions » auquel visiblement elle n’adhère pas. La dernière structure avec laquelle elle sera en contact est la Mission Locale. Elle y met beaucoup d’espoirs, étant un peu perdue à cette époque. « Moi je voulais un peu d’aide, qu’on m’oriente, j’étais un peu perdue… » (1er entretien) Amina positionne l’accompagnement sur un registre très affectif. Surtout, elle ne semble pas comprendre ce qui se joue lors de cet entretien, « mélange » les informations qu’elle a obtenu ce jour là et en conclut qu’il est « interdit » de l’aider : elle raconte de manière très confuse son premier entretien individuel avec sa conseillère, passant à côté de ce qui lui est dit. « J’ai eu mon 1er entretien, avec elle, c’est elle qui devait me conseiller, comme un éducateur… chaque personne a son éducateur… quand j’étais avec la dame, elle a appelé [la préfecture], demandé s’il y avait la possibilité de faire un apprentissage… on lui a dit que j’étais obligée d’avoir un patron et qu’ensuite il fallait que j’aille à la préfecture… elle avait un peu mal pour moi… au début j’étais très contente, je voyais les étoiles, après ça me faisait mal d’entendre, elle avait mis le haut-parleur, j’entendais ça, j’en avais les larmes aux yeux… Elle m’a dit elle a pas le droit, c’est pas une carte d’identité, juste une carte de circulation… la conseillère m’a dit que « c’était interdit », qu’elle avait pas le droit de m’aider […] Au début j’espérais quelque chose, mais ça se passait mal… A la fin on y croit plus… » ». (1er entretien) Le regard de l’accompagnateur Pour la coordinatrice du PRIAQ, Amina partait dans un très bon état d’esprit. Elle souligne le fait qu’elle s’était présentée seule à l’entretien, ce qui est assez rare, et preuve d’une réelle motivation personnelle. Elle est acceptée, mais Amina ne s’inscrit pas dans l’établissement. La coordinatrice est convaincue que c’est du fait du « papa » qu’elle n’a pas intégré le PRIAQ, balayant des « explications non satisfaisantes » ce qui constitue pour elle une déception : croyant à son potentiel de réussite, elle est déçue qu’Amina n’ait pas tenté, et reste assez impuissante vis-à-vis du rôle de la famille. « Elle s’est jamais inscrite… y’avait un éducateur aussi, un éducateur de quartier, Cédric… bien sûr on rappelle, mais j’ai jamais eu de réponse satisfaisante… des fois on a de sacrés revers, là c’en était un petit… j’ai même eu l’éducateur qui comprenait pas. Pour moi, ça devait être une histoire avec le papa qui ne voulait pas trop, qui est très attaché aux coutumes ». Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 65 Les questions qui se posent en termes d’accompagnement Comment appréhender le sentiment de discrimination dans la recherche d’emploi ? Amina, comme d’autres jeunes, raconte les difficultés qu’elle a ressenties en cherchant un travail. Elle a l’impression qu’on rejette tout de suite sa candidature parce qu’elle est « arabe ». Ce sentiment, couplé à la complexité de sa situation « administrative » impacte sa recherche d’apprentissage, elle baisse les bras très vite. Comment accompagner les projets des jeunes lorsqu’ils sont en opposition avec les projets portés par sa famille ? Amina met fortement en avant son souhait de prendre des distances avec une forme de contrôle paternel, témoigne de son souhait de « vivre à la française ». Le seul moyen qu’elle trouve en étant mineure est d’avoir le moins de contact possible avec son père ou ses demi-frères et de se focaliser sur ses amis. Elle rentre dans un jeu ambigu avec les garçons plus âgés qu’elle, jouant de la séduction comme d’une façon de mettre au défi ses proches, se mettant peut-être à terme en danger, ou dans des situations qu’elle n’a pas vraiment voulues ? Quelle adaptation des accompagnements en fonction de l’âge des jeunes et de leur degré d’autonomie ? Lorsqu’elle arrive à la Mission Locale, Amina ne comprend pas vraiment qu’elle ne puisse pas être aidée comme elle l’avait été par l’éducateur de l’ALSEA. Elle est dans un registre très affectif, appelle les conseillers de la Mission Locale des « éducateurs » et attend d’eux un appui très direct pour trouver un patron. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 66 « LES PETITS BIZ » Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 67 Abdoullah, 18 ans A arrêté l’école fin 2009, deux mois après le début d’un Bac Professionnel Systèmes de Production Automatisés Nous avons rencontré Abdoullah à trois reprises : Premier entretien le 6 mai 2011 Deuxième entretien le 7 septembre 2011 Troisième entretien le 12 janvier 2012 (téléphonique) Le parcours d’Abdoullah avant notre rencontre Abdoullah a du mal à parler de sa vie pendant l’entretien. Il n’est pas timide, mais il a du mal à raconter, il est méfiant (surtout au premier entretien). Il dit volontiers qu’il ne fait rien. Les éléments clés du parcours Fin 2009 : Arrêt de l’école en seconde professionnelle « Systèmes de production automatisés » 2010 : Recherche d’apprentissage. Accompagné par des animateurs du quartier Mars 2011 : Obtention du permis « Là je fais rien. (…) Je ferais n’importe quoi, tout ce qu’on me propose ». (1er entretien) Il a arrêté l’école il y a moins de deux ans. Il dit avoir été orienté vers une formation qu’il ne voulait pas faire. Après la troisième, il voulait faire une filière générale, mais il a été orienté vers un Bac professionnel « Systèmes de production automatisés ». Il n’a pas aimé et il a arrêté après deux mois. « Mes parents voulaient que j’aille à l’école. J’arrivais pas, j’avais la moyenne mais j’aimais pas ». (1er entretien) Après l’arrêt de l’école Abdoullah cherche un apprentissage mais il ne trouve pas de patron. Il fait les démarches avec l’aide d’un animateur du quartier. Les techniques de recherche d’Abdoullah ne sont pas ciblées : il « fait l’annuaire », il passe dans les magasins pour demander s’ils cherchent quelqu’un : « Après j’ai cherché un apprentissage : j’ai fait tout l’annuaire, tous les lycées, tous les magasins… après j’ai lâché l’affaire (…) J’avais un animateur de la ZUP, c’est lui qui m’aidait à faire les démarches » (1er entretien) La stratégie d’Abdoullah n’est pas construite en termes de projet professionnel. Il évoque plusieurs pistes simultanées: il a cherché un patron, il est allé voir les agences d’intérim, il pense faire les pommes, il parle du BAFA,… Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 68 Un lien très distendu avec l’accompagnement de la Mission Locale Abdoullah va à la Mission Locale parce que des amis lui en parlent. Il signe un CIVIS et il reçoit une aide Les dates clés de l’accompagnement financière pour le permis, qu’il obtient en mars 2011. Mais au-delà de cette aide, Abdoullah n’y croit pas vraiment. « Des amis m’ont parlé de la Mission Locale. Ils y sont tous de toute façon. (…) J’ai eu une conseillère, elle était gentille Fin 2010 : Inscription à la Mission Locale. Signature de CIVIS. Début 2011 : Obtention du permis de conduire (aides financières du Conseil Général et de la Mission Locale). Mars 2011 : Abandon de l’accompagnement Mission locale mais elle sert à rien ». (1er entretien) Moins d’un an après son inscription, il s’en est déjà lassé. Il à l’impression que l’accompagnement ne donne rien, que sa conseillère ne peut pas l’aider. Il tente quelques pistes avec sa conseillère mais ça ne marche pas : il ne trouve ni formation ni emploi. Il sent que sa conseillère l’évite parce qu’elle n’a rien à lui proposer. « Elle m’a proposé de faire des stages, on envoyait les CV mais ça marchait jamais. J’ai demandé une formation de peinture mais elle m’a dit qu’il y avait une attente de deux ans. Tous les jours elle repoussait le rendez-vous, elle m’esquivait… » (1er entretien) Depuis l’obtention de son permis, Abdoullah arrête d’aller aux rendez-vous. Il n’accroche pas de manière forte à cet accompagnement. Abdoullah reste très lié aux accompagnements qui ne sont pas directement liés à l’emploi : c’est-à-dire aux animateurs et aux encadreurs des activités de loisir. C’est d’ailleurs un animateur qui a « identifié » Abdoullah pour l’étude et tout au long de celle-ci il reste notre interlocuteur privilégié pour rencontrer Abdoullah. C’est lui qui le voit dans le quartier et qui organise les rendez-vous. Avec cet animateur Abdoullah a entamé des démarches parallèles dont il ne parle pas à la Mission Locale : il a démarré une formation BAFA, avec un financement partiel par l’association de loisirs. Il a fait un stage pratique avec l’un des animateurs et a été rémunéré. Ils organisent aussi des « projets vacances » où ils récoltent des fonds pour pouvoir partir en vacances l’été,… Finalement Abdoullah se débrouille en dehors des circuits « traditionnels » de la Mission Locale et il n’est pas motivé pour rentrer dans une recherche d’emploi plus classique. D’ailleurs Abdoullah fait rentrer l’étude dans ce cadre « classique » : ainsi, au début il n’évoque pas ces démarches parallèles : c’est l’animateur qui nous en parle. Ce qui s’est passé pendant cette année Depuis l’arrêt de l’école, Abdoullah développe des activités quasi-professionnelles qui ne sont pas encadrées par un contrat de travail : il aide son oncle qui vend du textile dans les Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 69 marchés, il achète et revend sur internet des voitures d’occasion,… Il travaille au noir dans un garage pendant deux mois, mais il arrête parce qu’il se considère mal payé. Abdoullah ne réfléchit pas en termes de construction de projet professionnel. Il s’en sort bien en faisant des jobs à gauche et à droite, et en montant des petits projets avec des animateurs de quartier. En été, Abdoullah part plusieurs fois en voyage avec ses économies : « Le départ en Espagne c’était avec [l’association du quartier], on est parti avec quatre copains à moi. Ensuite on est revenu à Limoges et on est reparti au Portugal. (…) Après les copains de mon frère m’ont proposé le Maroc. (…) L’argent c’était celui de la vente de ma voiture, c’était pas trop cher au Maroc (…). Au total l’été j’ai dépensé 2000 euros. Je l’ai payé avec l’achat-vente de voitures » (2e entretien) Aux mois d’août et septembre il travaille au noir dans un garage. La première chose qu’il dit de ce job c’est que ce n’est pas trop pénible. Le travail, pour Abdoullah, c’est clairement la débrouille sans tomber dans un « travail d’esclave » : « C’est pas aussi dur que ça, le travail au garage, c’est pas de la maçonnerie. J’ai déjà travaillé avec lui parfois, je veux pas dire au noir mais… » (2e entretien) L’approche qu’Abdoullah a du travail reste liée à un univers adolescent plutôt qu’adulte : ce qui l’intéresse c’est de pouvoir gagner de l’argent pour partir en vacances, pour sortir,… avec un travail qui ne soit pas trop pénible. Il habite chez ses parents et n’a pas des dépenses régulières importantes (ses parents payent le loyer, les courses,…). « Animateur c’est moins fatiguant, c’est plus tranquille. Mon oncle il me paie [pour faire les marchés] mais je trouve que c’est trop peu ». (1er entretien) A la fin de l’année, Abdoullah évoque la possibilité de transformer son travail au garage en un contrat (l’été il a travaillé au noir). Cette tentative de passage du travail non déclaré au travail reconnu se solde par un échec. Finalement, Abdoullah arrête de travailler au garage en se disant qu’il trouvera d’autres « petits biz » ailleurs. « J’ai travaillé en août septembre, un mois et 20 jours à temps complet et on m’a payé 300 euros ! Il m’a dit qu’il me faisait un contrat mais c’était trop peu… il s’est foutu de ma gueule » (3e entretien) Les questions qui se posent en termes d’accompagnement L’accompagnement des jeunes qui ne « sont pas prêts ». Abdoullah ne réfléchit pas en termes de parcours professionnel, ni en termes de métier. Il se débrouille avec des jobs et il n’accroche pas à l’accompagnement de la Mission Locale. Comment faire accrocher ces jeunes ? Comment travailler en lien avec les structures de loisir pour l’amener vers une recherche d’emploi plus structurée ? Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 70 Pierre, 17 ans A arrêté l’école en juin 2009, à l’issue de sa 3ème en SEGPA. Nous avons rencontré Pierre : Premier entretien le 8 avril 2011 2ème entretien le 7 septembre 2011 3ème entretien (téléphonique) le 8 janvier 2012 Entretien avec la conseillère Mission Locale le 6 juillet 2011 et avec les coordonateurs du PRIAQ le 7 septembre 2011 Le parcours de Pierre avant notre rencontre Pierre a 17 ans. Il vit avec ses parents, son petit frère et sa petite sœur dans un appartement dans un quartier ZUS de Limoges. Sa mère qui rencontre des difficultés de santé est au foyer, et son père magasinier dans une usine de pièces auto. A l’issue de sa scolarité en SEGPA, Pierre souhaite faire un apprentissage. Il se met alors à Les éléments clés du parcours Juin 2009 : fin de scolarité en 3ème SEGPA. Ne trouve pas d’entreprise prête à l’accueillir pour un apprentissage en peinture Juin 2009- Janvier 2010 : suivi par une association de solidarité de quartier Janvier 2010 – Juin 2010 : PRIAQ Janvier 2011 : début de l’accompagnement par la Mission Locale de Limoges la recherche d’un patron dans le secteur de la peinture en bâtiment, métier qu’il avait déjà pu découvrir durant le collège à travers un stage de 3 jours. Malgré l’appui de sa famille et d’une association de proximité, par qui il est suivi depuis qu’il a arrêté l’école en juin 2009, il ne trouve pas d’entreprise prête à le prendre comme apprenti. C’est la travailleuse sociale de l’association, qui contacte le PRIAQ à la fin de l’année 2009. « Ceux qui travaillent à l’association, ils font aussi de l’aide en fin de mois pour les colis et tout… ils sont venus, et après je suis monté voir… au début c’était pour voir. » (1er entretien) Pierre intègre le PRIAQ lors d’une des dernières vagues d’entrée, fin janvier 2010. Il n’est pas très assidu en cours, mais effectue des stages dans différents domaines : peinture en bâtiment, mécanique, manutention dans un atelier de pièces détachées. Il va jusqu’au bout du dispositif, en juin, mais sans le résultat escompté à la sortie (un apprentissage). Les coordinateurs avec l’équipe pédagogique préconisent une reconnaissance TH, pour une grave dyslexie suspectée dès les tests de niveaux. Une demande de reconnaissance est faite auprès de la MDPH, mais n’a pas le temps d’aboutir avant la fin de l’année. En juin, une orientation vers un établissement spécialisé sera préconisée par les conseillères d’orientation psychologue, mais refusée par Pierre et sa famille. Pierre est alors orienté vers la Mission Locale, mais ne s’y rend pas tout de suite. Alors qu’il arrête le PRIAQ en Juin 2010, il a rencontré quelques fois une conseillère à compter de Janvier 2011, mais cela n’est pas central pour lui : Pierre ne mentionne jamais le CIVIS qu’il a Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 71 signé mais évoque des demandes de sa conseillère auxquelles il n’a pas répondu, ou des rendezvous non honorés, sans que cela ne soit revendiqué comme un abandon de sa part. Il ne semble pas attacher une forte place à cet accompagnement. Pierre ne parle pas de la particularité de son parcours en SEGPA, des préconisations d’orientation qui lui ont été faite à l’issue du PRIAQ, de l’accompagnement initié pour la reconnaissance TH. Ses difficultés sont néanmoins visibles au cours des entretiens. Pierre a du mal à se concentrer, les entretiens peuvent difficilement excéder 30 à 45 minutes. Ses réponses sont souvent courtes, fermées, beaucoup de réponses se soldent par « je ne sais pas », « c’est bien », sans qu’il n’arrive à plus préciser sa pensée, son ressenti… Ce qui s’est passé pendant cette année À première vue, lorsque je le rencontre pour la première fois, Pierre semble un peu « perdu ». Au cours des entretiens suivants, il explique que sa situation n’a pas évoluée, donnant à penser que sa vie est assez monotone. « Là pour l’instant j’ai pas de piste » (1er entretien) Au début du second et du troisième entretien, lorsqu’on lui demande ce qui s’est pas passé depuis la dernière fois «- Bah rien… » (2nd et 3ème entretien) Pourtant Pierre ne passe pas son temps à « rien faire ». Passionné par la mécanique qu’il a apprise avec son père et son frère dès l’âge de 12 ans, Pierre améliore scooters ou motos qu’il revend, que ce soit pour lui ou ses amis. Il met en avant ses capacités reconnues dans le quartier, qu’il considère comme un travail à part entière : « Des fois je fais des petits travails, de la mécanique, de la peinture… ça c’est avec des potes, c’est des amis qui me demandent ! » (1er entretien) Lors du 2nd entretien que j’ai avec lui, Pierre explique qu’il se verrait plutôt faire de la mécanique auto, pratiquant déjà fortement sur son temps libre la mécanique moto « Déjà le scooter, ça me gonfle, j’en ai trop, je dépanne tout le monde… [….] J’ai 2 scooters, mais y’en a un, faut que je refasse tout le bloc moteur. D’ailleurs vendredi, je reviens avec mon scoot, je vais changer tout le bas moteur, le carbu, le cylindre, le piston, y’aura plus rien d’origine ! » (2nd entretien) La moto est une passion grâce à laquelle il s’occupe et se créé un réseau de sociabilité. Il est souvent absent de chez lui, partant « en vadrouille » parfois toute la journée. Il se rend également chaque vendredi soir à la périphérie de Limoges à des rassemblements de fans de mini-motos. Il raconte ces moments de manière beaucoup plus détaillée que le reste, aimant particulièrement mettre en avant le jeu du chat et de la souris que cette activité implique avec la police. Pierre raconte le déroulement des rassemblements auquel il participe les vendredis soirs : « Le run on arrive avec des voitures, des motos, des scoots. On n’a pas le droit de rouler avec, sinon on a une amende… On fait des arrêts, des stunts… Des fois c’est la BAC, ils passent ils s’arrêtent, et on repart… Oui ils s’arrêtent on discute puis dès qu’ils sont partis on repart.» (2nd entretien) Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 72 Pierre n’a eu aucun contrat ou stage durant cette année. Il ne cherche pas à s’inscrire en intérim ou à Pôle Emploi, estimant que tant qu’il n’a pas 18 ans, ils ne le prendront pas. Il semble avoir laissé de côté son accompagnement par la Mission Locale, qu’il suit en pointillé : il n’arrive pas à placer ses rendez-vous dans le temps, ni à se remémorer ce qui s’y est dit. Si Pierre déclare toujours rechercher un patron par ses propres moyens, il n’a pas adapté ses méthodes de prospection. Celles-ci restent identiques, et ne font pas l’objet d’un temps dédié : il prospecte un peu tous azimuts (mécanique, peinture, maçonnerie) lorsqu’il part se balader avec sa moto, demandant à des patrons, s’ils pourraient le prendre… Il réemploie toujours les mêmes mots comme si le film de sa recherche se jouait en boucle. S’il a conscience qu’il lui manque peut-être quelque chose pour que cela fonctionne, il ne cherche pas vraiment d’explication au refus des employeurs, et ces refus ne semblent pas le perturber plus que cela. Quand je fais remarquer à Pierre que ça n’a pas toujours été facile de le joindre chez lui, il explique qu’il est souvent à l’extérieur : « Ouais, des fois je suis chez moi, des fois en vadrouille… Et puis je cherche du travail… Je rentre dedans, je demande… - Et c’était quoi la dernière fois ? - Mécanique moto… - Alors raconte-moi ! - Bah il prend pas, ils sont déjà assez… je demande gentiment... - Et tu demandes quoi ? - Du travail, mais je suis timide ! » (2nd entretien) Au mois de septembre, la famille de Pierre déménage dans une maison non loin de là où il habitait avant, mais qui implique qu’il sera désormais suivi par un autre référent de la Mission Locale. Il évoque alors un projet de formation en peinture carrosserie sur lequel le conseiller Mission Locale a proposé de le positionner. Ce projet reste encore flou pour Pierre : il ne sait pas quelle sera la durée de la formation, comment elle va se dérouler, dans quelles conditions. Il semble néanmoins être désormais tout tourné vers cette nouvelle perspective professionnelle, n’évoquant plus la peinture ou la mécanique, domaines dont il pense avoir déjà « fait le tour ». Alors qu’il explique en début d’entretien qu’il n’y a rien eu de neuf dans sa situation, il raconte néanmoins que son nouveau conseiller l’a inscrit en formation à l’AFPA… - « Ouais, il m’a inscrit à l’AFPA, en peinture carrosserie… je suis inscrit, là j’attends… - Et qu’est ce qui te plaît là-dedans ? - Bah tout… j’ai déjà vu mais j’ai jamais fait… Enfin j’ai déjà repeint des motos, mais pour des amis » (3ème entretien) La situation dans laquelle il se trouve convient plutôt bien à Pierre et il ne ressent pas d’urgence à trouver du travail, vivant encore dans le giron familial. Il n’a pas Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 73 l’impression de s’ennuyer, est très entouré par sa famille, ses amis, voire des petites amies qui sont surtout des relations éphémères. L’accompagnement qui ne consiste pas en un appui direct n’est pas une priorité L’accompagnement par la Mission Locale ne constitue pas un temps fort, ni une priorité pour Pierre. Il ne va pas à tous ses rendez-vous, qu’il dit « oublier », ne donne pas un caractère prioritaire aux demandes formulées par sa conseillère dans le cadre de son accompagnement. « Une dame que je voyais régulièrement, elle m’aidait, elle m’a demandé mon CV et mes lettres de motivation, il faut que je les retrouve… J’ai fait le papier peint dans la chambre et là je sais plus où ils sont.» [Demande de la conseillère par mail en date du 15 mars, soit 3 semaines avant l’entretien]… (1er entretien) Lorsque je l’interroge la seconde fois que nous nous rencontrons (soit 4 mois plus tard), alors qu’il a Les dates clés de l’accompagnement septembre 2009 – décembre 2009: accompagnement ponctuel par la travailleuse sociale de l’Oasis janvier 2010 – Juin 2010 : Accompagnement dans le cadre du PRIAQ ; refus de l’orientation éréa qui lui a été préconisée janvier 2011 : inscription à la Mission Locale de Limoges ; 3 entretiens rapprochés, signature d’un CIVIS, mais Pierre ne se rend pas ensuite à ses RDV. été 2011 : Entretien avec sa conseillère pour l’informer de son changement de conseiller, suite à son déménagement. Automne 2011 : Rencontre du nouveau conseiller ; inscription sur une formation AFPA de peintre carrossier rencontré sa conseillère peu de temps auparavant, le CV ne lui est toujours pas remis… « Tu m’avais parlé de ton CV la dernière fois ? - Ouais mais ça c’est moi, je l’ai fait. - Et tu l’as apporté ? - J’ai pas pu c’était quand on a déménagé, c’est resté dans le carton… Je l’ai fait le jour du déménagement. Je l’avais posé puis ma mère elle a terminé les cartons… C’est resté dedans… Il faudrait que je retrouve le dossier… » (2nd entretien) Pierre n’a toutefois pas l’impression de délaisser son accompagnement. Il ne parle jamais d’abandon, ne formule pas de critique à l’encontre des conseillers, qu’il trouve « sympa »…, même s’il n’a pas l’impression que ce soit très efficace. « La dame de la Mission Locale, elle m’a aidé un petit peu mais pas beaucoup… » (1er entretien) Alors que son accompagnement a débuté il y a 3 ou 4 mois, il a l’impression que cela fait déjà « longtemps »…Il ne semble pas comprendre l’intérêt de ce qui lui est demandé avec le CV, l’accompagnement qui lui est proposé par la Mission Locale prend une forme qui est nouvelle par rapport à ce qu’il a connu jusqu’à présent. Il semble attendre une aide similaire – directe - à celle qu’il a pu recevoir des associations ou de sa famille. Pierre explique au cours du 2nd entretien qu’il va désormais être suivi par un nouveau conseiller… « - Et la Mission Locale alors comment tu crois que ça va se passer ? - Franchement ça me fait rien… - Et de quoi vous allez parler ? - De tout, Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 74 - De tout c’est quoi de tout ? - Voir s’ils me trouvent du boulot… » (2nd entretien) Cette attente est d’autant plus forte qu’il a dans son entourage un exemple positif. « La Mission Locale, j’y suis allé tout de suite… Je connaissais avant, c’est mon cousin qui m’a dit, il y était lui… Ils lui avaient trouvé un travail » (1er entretien) Pierre cherche à transformer en métier ce qu’il a déjà découvert à travers des stages, ou pratiqué dans un cadre informel (la mécanique, la peinture, la maçonnerie). Il n’évoque pas spontanément de projet de formation, mais dit chercher un travail, il ne se rend pas vraiment compte des différences entre une formation et un emploi. Lors du 2nd entretien je soumets à Pierre l’idée de suivre une formation, qu’il n’a jamais évoquée jusqu’alors… « - Et si on te propose une formation, par exemple je sais pas plombier ? - Si ça m’intéresse, s’ils me disent ‘y’a que ça’ c’est un premier boulot… » (2nd entretien) L’inscription en formation intervient alors qu’il vient de fêter ses 18 ans. Elle s’effectue lors du premier rendez-vous avec son nouveau conseiller. Si Pierre veut croire aux perspectives ouvertes par cette nouvelle voie, il ne semble pas encore s’y projeter. La formation lui est encore très étrangère, il ne sait pas trop à quoi s’attendre. « Et comment ça va se passer cette formation ? - Bah, je sais pas, j’avais un papier, mais là je l’ai pas… [Il est incapable de citer même approximativement la durée, la date de départ, le contenu de la formation, s’il y a des stages ou pas…]» - Et tu cherches du travail en attendant ? - Non là j’attends d’avoir la formation. » (3ème entretien) Un peu plus tard dans l’entretien, après avoir mentionné de nouveau ses recherches restés infructueuses dans les autres domaines il raconte comment lui est venue cette idée de formation : « - Ça m’a pris d’un coup, direct… - Et qu’est-ce que t’en attends ? - Bah je vais découvrir. Moi je veux travailler, je veux pas juste faire 15 jours ». (3ème entretien) … Il n’y a que peu d’évolution durant l’année, Pierre trouve un équilibre qui lui convient dans sa vie auprès de sa famille et de ses amis qui ne l’incite pas à s’impliquer activement dans sa recherche d’emploi. Sa majorité semble produire un changement de posture vis-à-vis de l’accompagnement et de la formation, bien qu’il ne mesure pas encore toutes les différences qui se posent entre formation et emploi. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 75 Le regard de l’accompagnateur Pour les accompagnateurs du PRIAQ, Pierre représente un cas limite par rapport à leur mission. Ils repèrent les difficultés cognitives de Pierre rapidement, mais considèrent que les méthodes qu’ils peuvent proposer ne sont pas aptes à apporter une réponse à sa situation. « Dès le test de positionnement, on s’est rendu compte qu’il avait de graves difficultés. C’est un jeune qui avait des problèmes d’illettrisme, enfin non, c’était une grave dyslexie […] Il n’adhérait pas, n’écoutait pas, ne participait pas… Puis très rapidement il y a eu une grosse baisse de motivation, des absences… On n’avait pas les moyens nécessaires pour lui donner plus (air un peu déçu)… C’est un jeune qui n’avait pas adhéré au dispositif, c’est surtout la maman qui était très demandeuse, et l’association qui le suivait… Lui il voulait faire de l’apprentissage, il était passionné de mécanique. […] Pour nous le but, c’est le projet réaliste et réalisable. […] Avec nos moyens, on ne pouvait pas faire plus pour lui. Il faut rester dans le cadre classique. …» (Coordonnateur PRIAQ) Pour les coordonnateurs, l’orientation dans une filière classique d’apprentissage n’était pas envisageable, d’autant plus que se posait de manière accrue la nécessité de trouver une entreprise prête à l’accepter… « En fin d’année, on a fait une proposition d’orientation vers un EREA. Pierre fait partie des 2% qui ne maîtrisent pas la lecture. On n’avait pas les moyens de lui donner plus […] L’entrée en CFA classique n’était pas envisageable à cause des problèmes de concentration, d’attention... » Une démarche de reconnaissance du handicap est initiée parallèlement à ce travail sur l’orientation. Des contacts sont également amorcés avec le CFA spécialisé de la région, pour voir s’ils disposent de contacts « qualifiés », qui auraient pu être mobilisés pour trouver une entreprise pour Pierre, sans succès. A l’issue de l’accompagnement, une orientation en EREA est préconisée, mais refusée par la famille : si cette dernière était plutôt très « demandeuse » de l’accompagnement, la question de l’éloignement s’est révélée être un frein important. « L’orientation en EREA impliquait un passage à l’internat. L’internat posait problème. De manière générale, la composante éloignement, c’est 80% des refus d’orientations qu’on a… Peu sont capables de se dire je vais à 50/60km. La famille était hésitante sur le coût, et je crois aussi qu’il y avait aussi déjà eu une expérience difficile en internat. » La conseillère de la Mission Locale qui « suit » Pierre de janvier à septembre 2011 ne semble pas avoir connaissance de cet historique ni avoir perçu les freins cognitifs de Pierre. Elle n’aura rencontré en tout Pierre que 3 fois : elle ne parle pas de son passage par le PRIAQ, ne parle jamais de handicap, de difficultés cognitives bien qu’elle évoque vaguement une question de problématique « santé », dont elle ne se souvient plus de la teneur. Ce qui la marque avant tout, et qui fait sens pour elle, c’est le fait qu’il ne vienne pas aux Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 76 rendez-vous, qu’elle considère comme un refus de s’inscrire dans une dynamique d’accompagnement. « Pierre, je l’ai vu 3 fois en janvier. Il avait un projet de peinture, c’est quelqu’un qui n’est pas venu à ses entretiens… […] Si peu que j’ai vu, c’est catastrophique… […] Il a raté 2 rendez-vous en février et mars, après j’ai dû faire 1 ou 2 relances par téléphone puis ça s’est arrêté là… » Les questions qui se posent en termes d’accompagnement Comment détecter les arrêts de parcours et réduire les délais de prise en charge par les acteurs spécialisés du territoire ? Pierre passe d’abord par un appui moins institutionnel une association de solidarité basée sur le quartier avec laquelle la famille est en contact… Cette association l’accompagne pendant plusieurs mois avant de se tourner vers la MGI. Comment détecter, des problématiques cognitives, aux frontières de la reconnaissance TH ? Pierre a effectué toute sa scolarité en SEGPA, a rencontré des difficultés importantes sur le plan du comportement, a eu une scolarité « chaotique » pour reprendre les termes du coordonnateur du PRIAQ. Ce n’est que lorsqu’il arrive sur le PRIAQ que ces difficultés sont soulevées, et évoquées avec la famille. Les acteurs de l’insertion sociale et professionnelle se sentent souvent démunis face à ces cas limites. Ils peuvent avoir le sentiment de ne pas être légitimes pour aborder cette question qu’ils sont alors tentés de « mettre de côté ». Quelles propositions pour des jeunes avec des problématiques cognitives, ou ayant un comportement ne permettant pas le suivi d’un cursus classique, même en apprentissage ? Comment parler du handicap avec les jeunes, les familles ? Quelle offre de solutions sur le bassin de Limoges ? Quel liens à créer avec le monde du handicap qui constitue un système très « intégré » ? Quelle communication des éléments sur les situations des jeunes entre structures pour adapter l’accompagnement ? Toute la situation décrite et repérée par les coordonnateurs du PRIAQ n’a pas été capitalisée à l’issue du PRIAQ… La conseillère de la Mission Locale qui suit Pierre n’y fait pas référence, et juge rapidement l’absentéisme de celui-ci comme un manque de motivation, qui ne justifie pas un surinvestissement de sa part. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 77 « L’ASSISTANCE REVENDIQUÉE » Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 78 Walid, 20 ans Non scolarisé en France, primo-arrivant Nous avons rencontré Walid : Premier entretien le 8 avril 2011 2ème entretien le 6 juillet 2011 3ème entretien le 19 décembre 2011 (à Guéret) Entretien avec la conseillère mission locale le 27 septembre 2011 Le parcours de Walid avant notre rencontre Walid a été élévé par sa sœur en Afrique jusqu’en novembre 2009 où il rejoint son père qui vit à Les éléments clés du parcours Limoges et s’est remarié « avec une femme du bled ». Même s’il a passé le DILF dans le cadre de son Contrat d’Accueil et d’Intégration, Walid a encore des difficultés à s’exprimer ce qui Novembre 2009 : Arrivée en France – signe un CAI Février 2010 : 1er rendez-vous à la mission Locale, il s’y rend avec son père ; complexifie beaucoup l’exercice de l’entretien : il peut être agacé de ne pas trouver ses mots, a du mal à préciser sa pensée malgré son envie de s’exprimer. Les relations avec sa belle-mère sont tendues. Walid aspire donc principalement à pouvoir prendre son autonomie, décohabiter, « être tranquille », ce qu’il évoque en premier lors de notre première rencontre. « Là je cherche un appartement… Je me suis dit un appartement, pour habiter tout seul… Y’a des foyers, mais quand j’ai dit j’habite avec ma famille… Ils ne voient pas que je suis très seul, que j’aime pas rester à la maison ! » Un peu plus tard dans l’entretien, il relie cette situation à sa belle-mère « Parfois ma mère [belle-mère] me fâche, comme si j’étais perdu ! D’un coup elle change. Si j’avais un appartement, je serais tranquille. » (1er entretien) Il se sent isolé, loin de ses amis restés au pays, ayant abandonné une vie qu’il raconte avec beaucoup de nostalgie et finalement ne se sent pas vraiment à sa place en France. « C’est pas facile, les gens de S. [pays d’Afrique], ils croient que t’habites tranquille… […] Moi ce que j’aimerais c’est retourner à Djibouti ». (1er entretien) Walid se sent donc pour le moment un peu « bloqué » en France, et essaie d’améliorer sa situation en allant frapper à différentes portes. S’il a bien conscience que l’amélioration de sa situation passe par un emploi, Walid n’est cependant pas prêt à accepter n’importe quoi. Depuis qu’il est arrivé, Walid n’a eu qu’une expérience rémunérée - « les pommes » - qu’il a arrêtée rapidement. « Avant, j’ai travaillé aux pommes… Il fallait remplir des caisses avec des petites pommes… J’ai travaillé 2 jours comme ça, un jour c’était 50 €. J’étais rhumé je suis parti… J’étais allé voir Pôle Emploi, est ce que je Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 79 peux faire les pommes ? J’avais beaucoup de gens qui me disaient c’est très bien, tu peux gagner 2000€, acheter un ordinateur portable…» Vers la fin de l’entretien, quand je lui demande s’il serait prêt à renouveler cette expérience : « Non, pas les pommes… C’était difficile, y’avait 5 bus, y’avait beaucoup d’étrangers… Ça commençait à 7h et ça terminait à 17h30…». (1er entretien) Dans l’idéal, Walid se verrait bien peintre en bâtiment, car c’est un domaine qu’il considère déjà connaître, comme il a aidé un ami à repeindre sa maison avant d’arriver en France. Cependant, il n’imagine pas avoir vraiment la main dessus, attendant que la Mission Locale lui propose quelque chose rapidement, compte tenu des difficultés qu’il rencontre avec la langue. « La Mission Locale, c’est eux qui choisissent le travail, mais jusqu’à présent, j’ai rien, et j’ai pas de nouvelles… […] À la Mission Locale, ils m’envoient pas un travail, c’est moi qui demande. Si je connaissais le français je me débrouillerais ! Je suis tout seul, c’est pour ça que je veux qu’on m’aide… Mais qu’est-ce qu’elle [sa conseillère] fait ? C’est bizarre ! » (1er entretien) Walid est persuadé que ce qui débloquera sa situation sera d’avoir un emploi ou un stage. Du fait peut-être de ses difficultés de français, il interprète parfois de manière très personnelle ce qu’il lui ait dit sur les dispositifs… Ayant compris qu’il pouvait être payé en entrant sur une plate-forme linguistique, il pense que les stages sont rémunérés et que le fait d’en avoir un grâce à la Mission Locale débloquerait sa situation concernant le logement. « Tu vas là-bas, c’est payant, et ils vont t’envoyer en stage, t’imagines en stage ! Le jour où j’étais là-bas j’étais comme ça (il fait signe avec ses mains qu’il tremble !)… » (2ème entretien) Un peu plus tard dans l’entretien, il évoque la possibilité d’avoir un logement en décrochant un stage : « L’AS pour l’appartement elle me dit, il faut travailler… Si tu m’envoies un travail, ça sera oui… Je croyais qu’elle allait m’aider. Elle m’a dit j’ai demandé pour toi à la mairie, pour trouver un appartement, après tu chercheras un travail…. Mais tant que j’ai pas trouvé de stage… elle imagine ‘quand t’as pas fait de stage et que tu dois faire un travail…’» (2ème entretien) Ce qui s’est passé pendant cette année Entre le premier et le second entretien que j’ai eus avec lui, Walid a tendance à être plus revendicatif vis-à-vis de l’accompagnement, considérant que cela ne l’aide pas vraiment. Il se rend compte que sa situation n’avance pas beaucoup. Son sentiment d’être bloqué en France se renforce : il pensait pouvoir retourner au pays durant l’été, mais il n’a pu le faire faute d’argent. A cette époque, Walid recherche un emploi. Si sa conseillère estime qu’il n’a pas encore un niveau suffisant pour travailler, elle pense néanmoins que c’est un moyen de le confronter à la réalité. Il se sent démuni dans son processus de recherche, mais considère que c’est bien une preuve que sa conseillère ne l’appuie pas suffisamment et ne comprend pas sa situation : « Moi je veux faire un stage… La Mission Locale elle te dit il faut que tu parles, moi je peux pas t’aider… après elle m’a écrit une lettre, m’a laissé le téléphone… Elle m’a donné les entreprises… Y’a des portables qui Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 80 répondent pas, après d’autres qui disent, on prend pas de stagiaires, y’a pas de place… » Puis plus tard dans l’entretien « Elle me dit les gens comme moi trouvent du travail, mais si je trouve pas il faut m’aider ! Même des stages… » « (2nd entretien) Pensant que sa conseillère n’est pas assez active, Walid envisage à ce moment d’en changer. Il tente de s’inscrire dans une autre antenne avec une fausse adresse sans succès. Mais en août, Walid est « mis à la porte » par sa belle-mère. C’est une tante du côté de son père qui l’héberge quelques temps, et l’aide à trouver une solution : Walid obtient au bout de 2 semaines une place en foyer, dans un autre département de la Région. Il quitte cependant le foyer rapidement, trouvant le cadre trop contraignant, et part habiter chez un ami qui dispose grâce à une association, d’un appartement et attend la régularisation de sa situation administrative. Dès son arrivée, il se rapproche vite de la Mission Locale, espérant que cela l’aidera à obtenir ce qu’il souhaite. « Je me suis dit comme j’étais suivi à Limoges… Ils m’ont posé les mêmes questions… Je me suis dit qu’il fallait que j’y aille, pour être suivi, pour qu’’il me trouve un appartement… Il m’a dit faut que tu restes au foyer… Moi j’ai dit ça m’intéresse pas là-bas ! » (3ème entretien) Début octobre, son conseiller le positionne sur des ateliers de remise à niveau avec des ateliers ciblés sur la recherche d’emploi et des stages à effectuer. Il suit les cours proposés en pointillés, ratant des cours, n’étant visiblement pas très intéressé… « Aujourd’hui on a travaillé le CV, pour quand on cherche un travail, qu’on doit aller dans une entreprise… - Qu’est-ce que t’a retenu de ça ? - Bah comme je suis fatigué… c’est le problème… réfléchir à tout ça avec ce froid, je préférerai y réfléchir dans un appartement, tranquille… » Il effectue un stage comme peintre, sa première expérience professionnelle. Alors qu’il était absolument sûr d’aimer ça, il est un peu déçu, n’ayant pas été payé, et ne comprenant pas que le métier de peintre en bâtiment ne se résume pas à peindre. « En fait, je venais pour faire les peintures… Mais y’avait des affaires, il fallait ranger, nettoyer… Moi j’étais un peu fâché même si le mec il était gentil avec moi… J’ai dit moi je veux découvrir la peinture… C’était lundi, et il m’a dit jeudi… Il m’a dit il faut savoir aussi régler, ranger les affaires… J’étais un peu choqué […] Un jour aussi on est allé travailler chez une vieille personne dans les toilettes… On devait enlever le truc en bas, d’un coup ça sentait mauvais… » (3ème entretien) A l’issue de cette année, le monde professionnel reste encore très étranger à Walid, à la différence des acteurs de l’aide sociale. À la fin du 3ème entretien que j’ai avec lui, il évoque ainsi une piste d’emploi qu’il juge sérieuse : un restaurant de Limoges dans lequel il avait déposé un CV durant l’été l’a contacté et souhaiterait l’embaucher. Il en parle comme d’une chose certaine alors qu’il s’agit d’un entretien, il ne se rappelle pas du nom de l’entreprise, de la personne, n’a plus les coordonnées, ne sait pas combien de temps durerait ce travail... Son rapport à l’argent issu du travail semble toujours aussi « déconnecté » de la réalité. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 81 Lors de notre 3ème rencontre, Walid explique avoir trouvé une piste d’emploi « Mon ami [celui qui a rappelé le restaurant], lui aussi il a parlé, il a demandé, y’a combien par mois, y’a 900€ enfin je sais plus ou c’était 4000€… - C’est 900 ou 4000 ? - Ouais je sais plus… après il m’a dit faut que tu partes à Pôle Emploi, pour que le jour où je travaille pas je touche de l’argent… Non pas avant après avec le contrat… Ça fait bientôt 3 ans que je suis ici et je suis bloqué… » (3ème entretien) L’accompagnement : un « jeu » complexe que Walid apprend peu à peu à tourner à son avantage L’accompagnement occupe une place prépondérante dans la vie de Walid : il est très suivi, à la fois par la Mission Locale dans le cadre d’un CIVIS et par une assistante sociale de secteur. Il bénéficie de très nombreux entretiens depuis qu’il est inscrit (parfois plusieurs en une même semaine), et n’a jamais réellement rompu avec cet accompagnement malgré des résultats inférieurs à ses attentes. Walid voit au début les dispositifs d’accompagnement comme une solution pour bien démarrer/s’intégrer sur le territoire. Alors qu’il pensait que prendre son autonomie serait simple, Walid va très vite « déchanter ». Dès lors qu’on lui explique que le logement est conditionné à un travail, il attend que la Mission Locale lui en fournisse un. Il conçoit ainsi sa démarche d’insertion professionnelle comme une démarche administrative : la lettre de motivation devient pour lui une sorte de formulaire que la conseillère Mission Locale doit rédiger et tenir à sa disposition à l’accueil. Walid pense néanmoins qu’il est désormais en mesure d’occuper un emploi, considérant avoir rempli sa part du contrat en allant à ses cours de français. Il ne comprend ainsi pas que quand il explique avoir besoin d’argent, sa conseillère l’envoie juste 2 jours (des « jobs d’urgence »), sans qu’il y ait de suite. Pour lui, ce ne sont pas des expériences significatives qui témoignent du manque d’appui qu’il reçoit. Walid raconte une expérience en job d’urgence, dans une entreprise qui récupère et répare de l’électroménager « Je me suis dit, peut-être que si je travaillais bien… Ils m’ont fait un papier, mis un coup de tampon puis m’ont donné l’argent. » (2nd entretien) « A chaque fois, c’est moi qui ai dit, j’ai besoin de sous pour m’acheter des vêtements. Je voulais travailler, 2 jours, c’est rien ! C’est pas un travail, c’est comme si je faisais un coup de main…» (3ème entretien) Walid va très vite solliciter sur l’ensemble des thèmes tous les professionnels qu’il peut rencontrer, et qui travaillent chacun sur une thématique spécifique (la langue pour les professeurs, l’appui social pour l’assistante sociale...). Il commence par exemple à demander de l’appui pour son CV et son argumentaire pour contacter des entreprises à son assistante sociale, pense qu’un professeur peut lui proposer un poste de peintre… Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 82 Sa stratégie évolue lorsqu’il quitte Limoges, après avoir constaté qu’il pouvait trouver de l’aide s’il se présentait comme étant dans une situation extrêmement précaire. Il commence alors à jouer de cela, et à adapter son discours pour obtenir de l’aide. Il reprend tout de suite contact avec la Mission Locale mais va contre les recommandations de son conseiller qui lui demande de rester dans le foyer, il s’arrange pour que sa formatrice lui trouve son stage de peintre en bâtiment, il va voir une association dont il a les coordonnées avec un ami pour demander un logement, en insistant sur la précarité de sa situation. Walid explique avoir demandé auprès d’une association qui logeait un de ses amis s’il pouvait lui aussi bénéficier d’un logement. Pour arriver à ses fins, il met en avant la « précarité » de sa situation… « Moi je vois… Le jour où tu vas dire j’ai quitté là-bas, c’est là-bas qu’on t’aide… J’ai dit que j’étais chez un ami, qu’il était fâché contre moi… J’ai pas envie de mentir mais si tu restes sympa je crois pas que tu vas trouver. » (3ème entretien) Il conserve précieusement les cartes de visites que lui remettent les professionnels qui l’entourent, et qui sont autant de personnes ressources qu’il peut mobiliser. Cela reflète son inscription dans une démarche d’accompagnement et lui confère une forme de statut de « démarcheur actif » qu’il assume, dans la mesure où il place cette aide comme un droit, ce qui n’est pas le cas de l’aide financière familiale. Après avoir évoqué les aides dont il dispose, ses revenus insuffisants à ses yeux : « C’est pas bien non plus de demander de l’argent à mon père… » (3ème entretien) Le regard de l’accompagnateur La conseillère de la Mission Locale de Limoges qui a suivi Walid jusqu’en août, estime qu’il n’est pas du tout autonome. Pour elle, la priorité était de lever le frein lié à la langue pour pouvoir effectuer les recherches d’emploi. De son point de vue, c’est bien plus la motivation de Walid qui fait défaut, que les solutions qu’elle pourrait lui proposer. En lien avec l’organisme proposant les cours de français et l’assistante sociale, elle n’est pas dupe du jeu de Walid. Elle interprète cela comme un réel manque de volonté de s’investir, qui se traduit aussi par des longueurs de parcours : c’est pour cette raison que Walid n’a pas été retenu pour la plate-forme linguistique qu’il souhaitait intégrer. La conseillère pense que Walid a bien compris la logique de l’accompagnement qu’il est en droit d’attendre, mais qu’il n’y adhère pas. Néanmoins, elle ne s’interroge pas sur la durée de cet accompagnement, nécessairement long compte tenu du temps nécessaire à l’apprentissage de la langue et source de découragement pour Walid qui ne croit plus en ses capacités pour trouver seul un emploi. Les questions qui se posent en termes d’accompagnement Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 83 Comment gérer l’accompagnement des primo-arrivants ? S’il existe une offre en matière de prestations linguistiques, celles-ci rallongent souvent le parcours et l’accès au premier emploi. Walid porte beaucoup d’espoirs pour sa vie en France, et également beaucoup de pression de la part de ses amis restés au pays. Il a de ce point de vue des exigences fortes visà-vis de l’accompagnement. Cette longueur dans l’accès à l’emploi le pousse alors à s’enfoncer encore plus dans une stratégie d’assistanat revendiqué. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 84 « JE CHERCHE DU TRAVAIL » Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 85 Habiba, 22 ans A arrêté l’école en juin 2006, à la fin de la première année de CAP Couture et Tapisserie d’Ameublement Nous avons rencontré Habiba à deux reprises : Premier entretien le 23 mars 2011 Deuxième entretien le 5 juillet 2011 Le parcours d’Habiba avant notre Les éléments clés du parcours rencontre Habiba est algérienne. Elle arrive en France à l’âge de 9 ans, accompagnée de sa sœur et sa mère. Son père était déjà à Limoges. Il travaille comme maçon. Sa mère est au foyer et ne parle pas très bien le français. Ses trois frères aînés sont restés au pays. Habiba parle le français à son arrivée. Elle est scolarisée tout de suite et poursuit ses études jusqu’en 3e. Elle a le CFG (mais pas le BEPC). Elle fait ensuite une première année de CAP Couture et Tapisserie d’ameublement mais elle dit ne pas aimer. 2007 : Inscription à la Mission Locale 2007 : Premier emploi (CDD 2 mois). Caissière. 2008 : CDD courts en caisse dans la grande distribution 2009 : CDD de 2 mois à temps partiel comme agent d’entretien Janvier – avril 2010 : CDD en caisse dans la grande distribution 2010 : Obtention du permis (inscrite depuis 2006) Janvier - Février 2011 : CDD auxiliaire de vie Février 2011 : Appartement autonome Mars : CDD de 2 semaines en caisse Elle arrête à la fin de l’année scolaire. «J’ai arrêté, c’était pas mon truc. J’aime pas les cours, j’ai horreur de ça » (1er entretien) Après l’arrêt de l’école, Habiba est accompagnée par la Mission Locale, puis par Pôle Emploi. C’est dans le cadre de l’accompagnement qu’elle a ses premières expériences professionnelles (stages dans la caisse). Au moment où nous la rencontrons, Habiba est déjà loin de la fin de l’école : elle parle très peu de sa scolarité et beaucoup de son travail, même si son insertion reste précaire (CDD courts, contrats à temps partiel et de nombreuses périodes de chômage). En entretien, Habiba se présente comme une adulte qui est déjà dans le monde du travail depuis longtemps. Elle parle volontiers de ses contrats en tant que caissière et présente son expérience comme étant très solide et construite (même si elle ne l’est pas forcément). Elle insiste sur le métier de la caisse comme étant « son » métier. Elle met en avant le fait que son conseiller Pôle Emploi « ne s’inquiète pas » pour elle : elle a tout ce qu’il faut pour trouver un travail. « Mon conseiller m’a dit qu’il s’inquiétait pas pour moi ». (1er entretien) Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 86 L’accompagnement après l’arrêt de l’école : l’apprentissage d’un métier Habiba s’inscrit à la Mission Locale après l’arrêt de l’école. Elle y est allée parce que « c’est le bruit qui court, Les dates l’accompagnement des copines qui m’en ont parlé, je suis allée m’inscrire, du coup ». Dans le cadre de cet accompagnement Habiba suit deux formations dans les métiers de la caisse et fait ses premiers stages (en 2007 et 2008). Elle ne parle pas beaucoup de l’accompagnement, qui est déjà loin pour elle. Mais elle valorise en revanche les formations et les stages, qui représentent pour elle son accès à un métier. clés de 2007 2009 : Accompagnement Mission Locale 2007 : Formation à Erfolim sur les métiers de la caisse. Premiers stages. 2008 : Préprofessionnalisation de 3 mois dans les métiers de la distribution Décembre – Février 2011 : Club de recherche d’emploi de Pôle Emploi Décembre : Contrat comme agent d’entretien Pour elle c’est très important de s’identifier à ce métier-là : avoir un métier, c’est démontrer qu’on est déjà bien ancré dans le monde professionnel. « Si je pouvais travailler dans la caisse ça serait génial. Auxiliaire de vie me plaît mais je préfère mon métier, depuis que je suis petite j’aimais être caissière ». (1er entretien) En 2007 elle a un premier contrat de deux mois dans la caisse, et un deuxième en 2008, toujours après les stages des formations. Son expérience la plus longue date de 2010, où elle a travaillé 4 mois en tant que caissière. Ces expériences sont centrales dans la vie d’Habiba : à ses yeux, elles sont la preuve qu’elle fait bien son travail, qu’elle est compétente. « Géant-Casino ils me rappellent souvent. Des fois je reste un an et demi sans travailler chez eux… Mais j’oublie pas, moi [le métier]. Je sais ce que j’ai à faire. J’apprends vite ». (1er entretien) Son expérience professionnelle s’est ainsi construite par « bouts ». Mais elle veut s’identifier pleinement au métier. L’accompagnement (les formations, les stages) joue un rôle central dans la construction de cette identité métier, même si dans son récit elle revendique une forte autonomie dans sa recherche d’emploi. Ce qui s’est passé pendant cette année Entre les mois de décembre 2010 et février 2011, Habiba bénéficie du Club de Recherche d’Emploi de Pôle Emploi. Elle dit y avoir beaucoup appris sur les techniques de recherche (CV adaptés au métier par exemple) et sur la posture à avoir vis-à-vis de l’employeur. Grâce à cet accompagnement, Habiba trouve un CDD à temps partiel en tant qu’auxiliaire de vie (janvier et février 2011), puis un contrat de 2 semaines en tant que caissière. Le Club est un véritable outil pour structurer sa recherche d’emploi, qui est centrale dans son quotidien. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 87 « J’ai appris beaucoup de choses [au Club Emploi]. J’ai pu avoir deux travails là. Je fais toujours ce qu’on me dit. (…). Toute seule j’arrivais pas, maintenant je sais [faire des candidatures spontanées sur internet] ». (1er entretien) La recherche d’emploi est la principale activité d’Habiba : elle ne parle pas de ses loisirs, de ses amis,… Lorsqu’elle parle d’une amie, c’est pour dire qu’elle va chez elle tous les jours pour envoyer des candidatures sur internet (elle n’a pas internet chez elle). « Ma copine je la vois tout le temps, tous les soirs je suis chez elle, parce qu’elle a internet. J’ai pas internet chez moi, donc je vais chez ma copine ou chez ma sœur pour envoyer les candidatures ». (1e entretien) Le Club lui a donné des outils pour systématiser et professionnaliser ses recherches : elle parle volontiers des envois de candidatures et des rappels réguliers aux employeurs. Elle est fière de dire qu’elle va régulièrement se renseigner dans les entreprises et qu’elle y dépose son CV. « Je suis partie moi-même dans les magasins, je les appelle moi pour voir s’il y a quelque chose, je les appelle une fois toutes les deux semaines ». (2e entretien) Malgré une identification en apparence forte avec le métier de la caisse, Habiba cherche aussi ailleurs : elle envoie des candidatures pour faire du ménage, pour être auxiliaire de vie. Le projet professionnel dans la caisse est finalement assez souple. Le métier est plutôt approché comme un facilitateur de l’emploi : Habiba valorise ce métier parce que c’est celui où elle a le plus d’expérience, et où elle pense avoir donc le plus de chances de trouver du travail. Mais l’essentiel au final n’est pas le métier : c’est le travail, le fait d’avoir un salaire pour payer son appartement, sa voiture,… « Pour les vacances, je postule dans tout, aide à domicile, caisse, employée de ménage dans les bureaux(…). La dernière fois, je cherchais en caisse, mais c’est pas évident. (…) La caisse je trouve pas beaucoup, c’est ce que je voulais faire mais je trouve pas » (2e entretien) Habiba met toujours en avant son autonomie dans ses recherches. Mais son conseiller Pôle Emploi reste un repère important pour elle, notamment quand la fin de ses allocations arrive et qu’elle ne parvient pas à trouver d’emploi. Quand Habiba se sent fragilisée, qu’elle a besoin de trouver quelque chose rapidement, son conseiller lui apporte des solutions : des pistes de formations rémunérées notamment. Ce qui intéresse Habiba dans la formation, c’est tout ce que celle-ci a en commun avec un emploi : le fait d’avoir un revenu (une allocation) et de pouvoir vendre cette expérience derrière comme une expérience professionnelle. « Là il [le conseiller PE] m’aide à trouver des formations : une pour la caisse qui est de 4 mois et une de 6 mois pour auxiliaire de vie(…).6 mois c’est bien, c’est découvrir le métier. Et en plus on peut toucher les Assédic aussi(…). 6 mois de formation ça fait une expérience de 6 mois, je peux le mettre sur mon CV et avoir quelque chose derrière ». (2e entretien) A la fin de l’année, Habiba trouve un emploi à temps partiel comme agent d’entretien. Elle se dit qu’elle n’est plus concernée par l’étude, donc. Elle ne veut plus nous rencontrer, elle dit ne plus avoir le temps, puisqu’elle a un travail. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 88 Les questions qui se posent en termes d’accompagnement La continuité de l’accompagnement des jeunes dont l’insertion reste précaire. Habiba a plusieurs expériences professionnelles, mais toujours très courtes ou à temps « très » partiel. Pendant ses périodes d’emploi, l’accompagnement s’arrête. Comment faire en sorte que les reprises d’accompagnement permettent au jeune d’avancer dans l’acquisition d’un métier ou dans l’accès à un emploi durable ? Quelles réponses en termes de formation à des jeunes dont l’insertion reste très précaire (pas plus de 4 mois d’emploi en une année) ? Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 89 « LA FRAGILITÉ INTERIORISÉE » Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 90 Douja, 22 ans A arrêté l’école en juin 2010, après avoir raté son diplôme de CAP Petite Enfance Nous avons rencontré Douja à trois reprises : Premier entretien le 23 mars 2011 Deuxième entretien le 5 juillet 2011 Troisième entretien le 6 janvier 2011 (téléphonique) Entretien téléphonique avec le conseiller Mission Locale le 22 décembre Le parcours de Douja avant notre rencontre Douja arrive en 2006 en France, seule. Elle vient d’un pays en guerre et ne veut pas parler de ce qu’elle a vécu avant la France. Dans les entretiens, elle est timide. Elle ne parle pas facilement de son vécu, de son quotidien. Elle dit souvent qu’elle ne « fait rien », parce qu’elle ne travaille pas. Douja est dans une situation extrêmement précaire et cela lui provoque beaucoup d’angoisse. Souvent, elle pleure pendant l’entretien. Lors de son arrivée en France, Douja est scolarisée en 3e, puis envoyée dans un internat dans une autre Les éléments clés du parcours 2006 : Arrivée en France 2006 - 2007 : Scolarisation en 3e et cours de français 2007 - 2010 : CAP petite enfance (dont une 1e année de remise à niveau). Elle rate le diplôme. Eté 2010 : Arrivée à Limoges et inscription à Pôle Emploi – Mission Locale Juin 2011 : Passage du CAP en candidate libre. Echec. Décembre 2011 : Job d’urgence Juin 2012 (projet) : 2e tentative CAP petite enfance en candidate libre région, où elle suit une formation de CAP Petite Enfance (2007 – 2010). Elle n’obtient pas le diplôme. Elle arrive à Limoges parce qu’elle a une amie limougeaude dans le CAP. Cette amie l’incite à s’installer à Limoges à la fin des études. Dès son arrivée, Douja s’inscrit à Pôle Emploi et à la Mission Locale. Elle signe un CIVIS et après quelques mois elle est orientée vers un chantier d’insertion (octobre 2010 - avril 2011). Son projet est d’obtenir le CAP Petite Enfance. Douja a très envie de réussir, d’obtenir son CAP et de trouver un travail. Mais elle n’y arrive pas et elle en souffre. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 91 L’accompagnement de la Mission locale est central dans la vie de Douja Les dates clés de l’accompagnement En 2011, Douja vit dans une fragilité extrême. Fragilité financière d’abord : Douja n’a aucun revenu fixe et elle n’a pas de travail. Elle est hébergée par un ami, mais elle n’est pas à l’aise avec cette ensuite : situation. Douja a Fragilité un vécu psychologique probablement traumatisant dans son pays d’origine. A Limoges, elle est seule, sans famille. Elle veut laisser son passé derrière elle mais n’arrive pas à s’installer comme elle voudrait en France. Juillet 2010 : Inscription à la Mission Locale Juillet 2010 : Job d’urgence Août 2010 : Job d’urgence Octobre 2010 – avril 2011 : Chantier d’insertion ASFEL Janvier-Juillet 2011 : remise à niveau GRETA Juin 2011 : Passage du CAP Petite Enfance en candidate libre. Echec. Eté 2011 : projet d’inscription à l’auto-école sociale mais abandon car besoins trop importants Juillet 2011 : projet de formation BAFA (abandonné) Décembre 2011 : Job d’urgence Tout au long de l’année, Douja répartit son temps entre la recherche de travail (tout type de contrat) et la préparation du CAP Petite Enfance, qu’elle passe en candidate libre en juin. Pour les deux démarches, Douja est très « dépendante » de l’accompagnement : elle dit souvent que la Mission Locale l’a « envoyée » quelque part, qu’elle lui a « trouvé », qu’on lui a dit de faire ou d’aller quelque part,… Entre octobre 2010 et avril 2011 la Mission Locale la place dans un chantier d’insertion « embellisseur de murs ». L’objectif est de lui assurer une source de revenus pendant quelques mois, tout en travaillant avec elle les repères du monde du travail. Douja n’a jamais travaillé avant. C’est par la Mission Locale aussi qu’elle s’inscrit au GRETA pour faire une remise à niveau et préparer le CAP. Elle fait aussi un job d’urgence en décembre. Selon sa conseillère, Douja accepte toujours ses orientations. Elle a des moments de découragement, mais elle s’accroche à la Mission Locale qui est pour elle un repère rassurant. Douja vit toutes ces activités avec beaucoup d’espoir et à la fois beaucoup d’angoisse. Elle y met beaucoup d’espoir parce qu’elle espère grâce à cela obtenir son CAP et trouver un emploi. Mais elle exprime une angoisse très forte, parce qu’elle n’arrive pas à sortir de la précarité. « La semaine dernière je suis allée là-bas [chez Pôle Emploi]. Parce que je suis dans la merde. Cette semaine j’ai demandé s’ils ont des contrats aidés. Il faut que j’aille chez ma conseillère et elle va m’inscrire ». (3e entretien) Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 92 Dans le cas de Douja, le chantier d’insertion et les jobs d’urgence soulagent ses difficultés financières de manière temporaire. Mais la fin du chantier est ressentie par Douja comme un « retour à la case de départ » : elle est à nouveau sans ressources, sans travail. Son seul point d’attache c’est l’accompagnement et elle reste très régulière (1 fois par mois). Il s’agit bien sûr d’une aide dans ses démarches d’insertion professionnelle, mais aussi d’une écoute et d’un soutien qu’elle ne trouve pas ailleurs. « Là je cherche avec ma conseillère. Si aujourd’hui j’ai un CAP, je l’appelle pour lui dire, si j’ai pas [le CAP] je l’appelle parce qu’il faut qu’on commence nos démarches. » (2e entretien) Douja rate son diplôme de CAP en juin 2011. Mais elle n’abandonne pas ce projet : elle compte le repasser en candidate libre en 2012. Plus qu’au diplôme, elle s’accroche au secteur de la petite enfance. Cela la rassure. Elle se dit qu’elle connaît le secteur, puisqu’elle a suivi deux ans de formation dessus. Le CAP représente la clé de l’accès à l’emploi qu’elle veut avoir. Plus qu’une approche métier, c’est une approche secteur (petite enfance) que Douja adopte. « Petite enfance c’est juste quelque chose dans quoi j’ai fait une formation donc je connais par cœur. (…)Parce que c’est un monde que déjà je connais, quoi. Je vais pas avoir des difficultés pour m’intégrer là-dedans. Parce que j’ai une formation, j’ai des compétences. C’est facile pour moi ». (3e entretien). Tout au long de l’année, Douja est à la fois très concentrée dans le passage du CAP, et très « éparpillée » dans une recherche d’emploi qui n’aboutit pas. Après l’échec au CAP, Douja élargit ses recherches : sa conseillère lui parle d’autres formations proches de la petite enfance, comme le BAFA. Elle lui propose également de passer le permis. La conseillère cherche ainsi à construire progressivement le parcours de Douja vers l’emploi. Douja la suit dans toutes ses propositions, mais parfois elle se heurte à des difficultés d’apprentissage. C’est le cas du permis. Douja a une place en auto-école sociale, mais les tests montrent qu’elle a des difficultés importantes de repérage dans l’espace. Les besoins sont évalués à plus de cent heures de formation. La conseillère opte pour un changement de cap vers une formation dans le deux-roues. Cette situation pose la question des limites de l’accompagnement Mission Locale sur les problématiques périphériques : les difficultés d’apprentissage, la fragilité psychologique,… Douja n’évoque pas ces difficultés en entretien, soit parce qu’elle ne veut pas en parler, soit parce qu’elle n’en est pas tout à fait consciente. Le travail est pour Douja le seul moyen de subsistance « légitime ». Les aides financières que Douja attend de la Mission Locale passent toujours par le travail : le job d’urgence, le chantier d’insertion. L’aide CIVIS fait pour elle partie de sa recherche d’emploi, elle est aussi liée au travail. Douja refuse d’aller demander des aides aux travailleurs Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 93 sociaux, ou à des associations « caritatives ». Pour elle c’est honteux de le faire, puisqu’elle serait en mesure d’aller travailler pour « gagner sa vie ». « Mon problème c’est que j’aime pas demander, j’aime bien travailler et me payer l’assiette de tous les jours, avec la sueur de mon front. Aller demander c’est un peu la honte, quoi (…). Des fois quand tu vas là-bas… Parfois c’est difficile, une fois je suis allée au secours catholique, et j’étais comment dire, j’étais mal à l’aise. Pour moi, c’est… C’est presque… pour les gens handicapés qui n’arrivent pas à marcher, moi je peux faire quelque chose ». (3e entretien). Le fait de ne pas avoir un travail est dévalorisant pour Douja. Elle a des moments de grande angoisse dans les entretiens où elle communique un sentiment de « ne servir à rien », de « ne rien faire ». « Y’a rien, je me réveille je dors, y’a rien qui s’est passé. Des fois quand les gens m’appellent je réponds pas parce que j’ai envie de parler à personne, je reste là et je m’enferme. Rien n’a changé, rien ne marche, rien, rien… (Elle pleure). (…) Je suis pas la seule, on est beaucoup dans la même situation. Parce que je vois aussi beaucoup de jeunes, on parle, c’est pas facile de vivre comme ça, on se demande quoi on va devenir ». (3e entretien) Le regard de l’accompagnateur Pour la conseillère Mission Locale, Douja a beaucoup avancé depuis le début de l’accompagnement. Elle s’est rapprochée des réalités du monde du travail, elle pense maintenant à des options alternatives au CAP petite enfance. La conseillère sent que l’accompagnement est vraiment efficace, parce que Douja est devenue plus autonome (« elle a eu l’autonomie de faire les démarches auprès du rectorat (…), cette année elle s’est approprié les démarches »). Douja avance aussi parce qu’elle élargit son projet, elle pense au BAFA, aux métiers d’aide à la personne,…. «On partait aussi de loin, elle était très loin des réalités du monde du travail, sa maturité par rapport à certains codes, travailler avec des consignes, les entretiens d’embauche,… Moi j’ai senti cette différence où là elle a un discours plus construit, elle accepte d’aller vers autre chose ». Si le cas de Douja n’est pas problématique dans le sens où elle se laisse guider, la conseillère se sent en revanche démunie par rapport à la détresse financière de Douja. Elle se sent outillée pour l’accompagner dans le rapprochement du monde du travail, l’apprentissage des codes, la remise à niveau,… Mais soulager la précarité financière de Douja est plus difficile : « Au niveau financier elle est très isolée, elle vit avec un ami. Bon elle est en CIVIS, mais les enveloppes sont de plus en plus réduites, donc on n’a pas beaucoup de marge de manœuvre… On a fait un job d’urgence, ça s’est bien passé, elle est très régulière dans ce genre de rendez-vous… (…) Pour le souci financier de Douja je me sentais vraiment démunie, (…) » Le chantier est venu apporter une aide financière à Douja, mais il n’a pas été structurant dans la construction de son parcours d’insertion : le travail n’est pas en Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 94 lien avec les métiers qu’elle envisage et à la sortie du chantier Douja n’a pas de solution en termes d’emploi. Aux yeux de la coordinatrice du chantier d’insertion, Douja reste très loin de l’emploi parce qu’elle a d’importantes difficultés périphériques, liées à son passé. Son vécu passé, que Douja refuse d’évoquer, reste un frein difficile à aborder dans l’accompagnement. « Le problème de ces publics d’origine africaine, c’est qu’ils ont connu la guerre, et des violences physiques et sexuelles. Douja on ne sait pas ce qui s’est passé, mais on sent qu’il y a eu une rupture et elle n’est pas encore remontée, elle est encore là-bas. (…)Douja elle n’avait pas de suivi psychologique, mais pour elle tout allait bien. (…) Elle a des problèmes cognitifs dus au vécu antérieur. Elle n’en parle pas. En général les jeunes filles n’en parlent pas ». (Coordinatrice du chantier). Pour la coordinatrice du chantier d’insertion, Douja n’a pas les capacités d’obtenir le CAP Petite Enfance : il s’agit d’un projet peu réaliste. La conseillère Mission Locale se pose la question différemment : il s’agit d’un projet très important pour Douja, qui lui tient à cœur, et elle la « suit » donc dans ce projet. La conseillère Mission Locale n’évoque pas la question du passé douloureux ou des difficultés psychologiques lorsqu’elle parle de Douja. Pour elle, si Douja ressent le besoin d’être aidée, elle peut consulter le psychologue de la Mission Locale. Dans l’accompagnement, elle se concentre sur les projets d’insertion de Douja, sans que sa fragilité psychologique ne soit réellement abordée. Cela pose la question du rôle de l’accompagnement sur les situations liées à un vécu douloureux : Douja n’en parle pas et elle refuse d’aller voir le psychologue de la Mission Locale. Mais ce vécu la fragilise : elle est très timide, elle a des difficultés à s’exprimer dans un entretien d’embauche. Elle ne s’intègre pas bien dans une équipe (selon la coordinatrice du chantier, « le groupe ne l’a pas acceptée »). Les questions qui se posent en termes d’accompagnement L’accompagnement « global ». Douja ne veut pas parler de ce qu’elle a vécu avant d’arriver en France. Elle veut passer à autre chose. Elle ne l’évoque pas avec sa conseillère Mission Locale et elle ne va pas voir la psychologue. Mais ce passé peut être « bloquant » : elle a du mal à s’insérer dans un groupe, elle n’a pas beaucoup d’amis. Elle s’exprime difficilement devant un employeur. Cela pose la question de l’accompagnement de traumatismes dont les jeunes ne veulent pas en parler. Qui en parle au jeune ? Quelle peut être la posture de son conseiller Mission Locale ? Comment l’orienter et faire en sorte qu’il accepte d’être aidé ? Des jeunes qui s’accrochent à un projet par peur d’aller vers « l’inconnu ». Douja a un seul projet : celui du CAP petite enfance. Mais elle a échoué à deux reprises. Elle espère quand même l’avoir. En même temps, elle a du mal à se mettre en situation de travail, à s’impliquer. Comment travailler avec ces jeunes la construction d’un projet professionnel plus souple ? Comment aller au-delà de l’échec et leur faire envisager d’autres possibilités ? Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 95 Une gestion de la précarité financière qui peut devenir difficile. Douja est arrivée toute seule en France. Elle n’a aucun soutien financier, à part cet ami qui l’héberge. La Mission Locale n’a pas les moyens de lui proposer une aide régulière. L’angoisse que cette situation implique pour le jeune est aussi un frein à son insertion. Chaque candidature, chaque entretien d’embauche devient un enjeu central dans le quotidien. Chaque refus renforce l’angoisse et l’insécurité du jeune. Il est de plus en plus inquiet et de moins en moins en mesure d’appréhender la recherche d’emploi avec sérénité. La place du chantier d’insertion et des jobs d’urgence dans le parcours. Le chantier et les jobs d’urgence permettent de « rapprocher » Douja des codes du monde du travail, tout en lui apportant des ressources financières. Mais après le chantier il n’y a pas de continuité : le chantier n’est pas en lien direct avec son projet, et elle ne trouve pas d’emploi à la sortie. Comment faire en sorte que ces dispositifs soient plus structurants dans les parcours ? Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 96 « J’AI UN TRAVAIL, MOI » Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 97 Cheik, 20 ans. A arrêté l’école en Juin 2010, à la fin de la 1e année de BEP Conduite et Services Nous avons rencontré Cheik à trois reprises : Premier entretien le 22 mars 2011 Deuxième entretien le 6 juillet 2011 Troisième entretien le 15 décembre 2011 Conseiller Mission Locale rencontré le 5 septembre 2011 Le parcours de Cheik avant notre rencontre Cheik est arrivé en 2000 à Limoges, il avait alors 8 ans. Arrivé d’Algérie avec ses deux frères (plus âgés que lui) et ses parents, la famille s’installe à Limoges. Les grands-parents y habitent déjà. Le grand-père de Cheik travaille comme maçon, et sa grand-mère comme femme de ménage. Les parents de Cheik repartent après deux ans, et laissent les enfants avec les grands-parents. Cheik habite aujourd’hui avec ses frères, chez sa grand-mère à la retraite. Lorsque Cheik arrive d’Algérie, il ne parle pas le Les éléments clés du parcours 2000 : Arrivée à Limoges d’Algérie Non francophone à l’arrivée : un an de retard scolaire Septembre 2009 : Début du BEP Conduite et Services Juin 2010 : Arrêt de l’école à la fin de la 1e année du BEP Depuis septembre 2010 : différentes missions d’intérim Novembre 2010 : Obtention du permis. Depuis début 2011 : mission d’intérim renouvelée systématiquement à l’usine Madrange français, et il prend un an de retard à l’école. A la fin de la 3e, Cheik s’oriente vers un BEP Conduite et Services, à la fois parce qu’il n’a pas de vœux d’orientation forts (« je savais pas quoi faire ») et parce qu’il veut surtout avoir le permis. Mais le cursus est « très sévère », ce n’est pas « le permis gratuit ». Il arrête en juin 2010, à la fin de la première année du BEP. Il se lance dans l’intérim, comme ses deux frères. Le rôle des frères aînés est structurant : il suit leur modèle parce qu’il voit qu’ils travaillent en intérim depuis quelques années et que ça se passe bien pour eux. Cheik dépose son CV dans plusieurs agences, et entre juin et septembre 2010 il adopte une stratégie très active : « T’y vas, tu te pointes et t’appelles tous les jours, c’est comme ça que je l’ai eu. J’ai commencé très jeune, à 18 ans. » (3e entretien) En même temps, il s’inscrit dans une auto-école pour passer son permis, qui était son premier objectif, (« sans permis… sans permis y’a pas de boulot »). Il l’obtient en quelques mois. Et son frère lui donne une voiture. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 98 Cheik se considère inséré professionnellement : il a des missions stables, un bon salaire, il profite de ses week-ends et de ses temps libres pour sortir avec ses amis, monter à Paris pour aller en boîte,… Tout se passe bien pour lui, il n’est pas en recherche d’emploi. Il ne comprend donc pas pourquoi nous voulons le rencontrer, mais il vient quand même aux trois rendez-vous. En entretien, il a du mal à comprendre ce qu’on attend de lui, il sent qu’il n’a rien à raconter, à part qu’il est en intérim. Cheik n’est pas accompagné par la Mission Locale : il s’y rend pour une aide ponctuelle Dans les 6 mois suivant l’arrêt de l’école en juin 2010, Cheik n’est pas accompagné par une structure d’insertion. Ce n’est qu’après l’obtention du permis que Cheik pense à une formation de cariste et prend contact avec la Mission Locale, en janvier 2011. Il a un rendez-vous puis est orienté vers des informations collectives sur les formations. Il sent que tout le processus est trop long, il faut attendre un mois Les dates l’accompagnement clés de Janvier 2011 : Cheik se rend à une présentation de la Mission Locale et de Pôle Emploi dans une association du quartier 1er et 7 février : Rencontres avec le conseiller Mission Locale 16 février : information collective à l’AFPA sur les métiers de la logistique 10 mars : Information collective à la ML du centre-ville sur les formations transport et logistique de l’AFT Iftim pour avoir un rendez-vous,… alors qu’il vient avec une demande très concrète : une aide financière pour une formation de cariste. « On va à la présentation [information collective] et je me présente comme tout le monde, et comme par hasard tout est financé sauf cariste ! Du coup, je suis revenu voir le conseiller, pour lui dire, et il m'a dit tu t'appelles comment déjà ? Il m'a dit, reviens pour qu'on parle de ça, moi je suis jamais revenu, ça sert à rien ». (3e entretien) Cheik comprend qu’il n’y a pas de financement possible de la formation et il abandonne la Mission Locale. Selon lui n’a pas répondu à sa demande, qu’on ne l’a peut-être même pas comprise. Il n’attendait pas un accompagnement long, puisqu’il n’en a pas besoin : il travaille. Il attendait une aide ponctuelle qui puisse sécuriser le parcours qu’il construit par ailleurs et de manière autonome. Ce qui s’est passé pendant cette année Dans cette année 2011, Cheik passe d’une situation peu sécurisée où il enchaîne des missions d’intérim « à droite et à gauche » à une situation stable d’intérim chez Madrange, qui le rassure et qui le confirme dans l’idée qu’il est inséré. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 99 Depuis le premier entretien, Cheik n’est pas en recherche d’emploi (« je ne comprends pas pourquoi vous venez me voir, j’ai un travail, moi »). Il est en intérim chez Madrange depuis janvier 2011 et il s’y attache malgré les contraintes. Sa demande de congés en décembre lui est refusée : pour lui, il faut accepter cette contrainte. Le plus important pour lui est de garder ce travail, et il ne veut pas se risquer à arrêter la mission par peur de ne plus être rappelé. Si sa situation vis-à-vis de l’emploi est stable, sa posture change entre le premier et le dernier entretien : lors de notre première rencontre, Cheik est plutôt ouvert sur les possibilités d’évoluer au sein de l’intérim, notamment par la formation. Parce qu’il dit être « content » avec son poste de manutentionnaire, mais en même temps il se dit qu’en ayant une formation de cariste, il pourra faire quelque chose de « plus tranquille » et aussi réduire ses risques de chômage. Quelque chose de « plus tranquille », ça veut dire pour lui un travail moins pénible : faire de la conduite c’est moins éprouvant qu’être manutentionnaire. Mais c’est aussi atteindre une situation plus « sûre » par rapport à l’emploi : avoir moins de risque de se retrouver au chômage. « Mon but c’est un peu cariste. La formation, ça dure une semaine, c’est plus tranquille, je conduis. C’est pas trop dur, j’ai des gens que je connais qui l’ont déjà. Parce que dans des boîtes d’intérim, on me demande si j’ai cette formation. Avec cette formation c’est plus tranquille ». (1er entretien) L’idée de suivre la formation de cariste intervient dans une stratégie très construite pour sécuriser son insertion : d’abord le permis, puis les missions d’intérim, et, afin de s’assurer des missions régulières, une formation de cariste. Il s’est renseigné sur les possibilités de formation qu’il peut avoir en tant qu’intérimaire : il sait qu’après 1600 heures d’intérim il a le droit à demander une formation. Il va voir la Mission Locale pour aller plus vite, puisqu’il n’a pas encore atteint les 1600 heures. Avec le temps, Cheik s’installe dans sa mission de manutentionnaire à Madrange et abandonne l’idée de la formation. Au fur et à mesure qu’il se sent assuré dans ce poste, il paraît laisser de côté l’idée d’avoir un diplôme et donc un métier. Ainsi, il considère ne pas avoir de métier, puisque pour être manutentionnaire, on n’a pas besoin de diplôme. Mais du moment où il a du travail, le fait de ne pas avoir de diplôme n’est plus sa préoccupation première. « Quand je suis allé voir la Mission Locale, j’étais pas stable à Madrange, je faisais de l’intérim à gauche et à droite. La formation c’est parce que je voulais un métier. (C’est quoi ton métier ?) Je sais pas, j’en ai pas. Le métier c’est pour avoir un travail, maintenant j’ai un travail. Du moment où j’ai du travail c’est pas grave. Quand je serai au chômage, je chercherai une formation ». (3e entretien). Cet abandon du projet de formation est conforté par la Mission Locale : il comprend, dans son accompagnement, que cette formation ne va pas l’aider à trouver du travail. Selon lui, la Mission Locale le dissuade de poursuivre cette formation. Et cette réponse l’arrange, puisqu’au Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 100 fur et à mesure que sa situation se stabilise dans l’intérim il a moins envie d’aller vers la formation. « C’était une formation de cariste. Et je ne pense plus à la faire. J’ai pas aimé. Si je l’avais passée c’est pas avec ça que j’aurais trouvé du boulot. A la Mission Locale on m’a dit que c’est pas avec ça que je vais trouver du travail. (…) Je vais pas prendre un truc qui sert à rien » (2e entretien). L’intérim : un « bon plan » Comme ses frères, pour Cheik l’intérim est une option relativement sûre et confortable. Sûre, parce que ses frères sont chez Madrange depuis plus de 2 ans, et on les rappelle toujours. Malgré le fait que les contrats d’intérim sont courts, il y a donc des chances de renouveler systématiquement les missions. L’intérim c’est aussi une option confortable. Financièrement, d’abord : il a un bon salaire qui lui permet de voyager, sortir, s’acheter des vêtements,… Au niveau de la contrainte ensuite : le travail à l’usine est dur et physique. Le fait de rester en intérim, de ne pas prendre un CDI lui permet de laisser la porte ouverte, de penser à faire autre chose plus tard. Et aussi d’avoir un meilleur salaire. « J’ai trouvé Madrange par Adecco, j’ai fait par internet. J’ai des frères qui travaillent à Madrange. Ils sont tous les deux à Madrange, mais pas dans le même secteur. Ça fait 2 – 3 ans qu’ils sont là-bas. Ils sont toujours en intérim, ils ne veulent pas être embauchés, parce que c’est moins bien payé. Après les 18 mois, ils arrêtent 6 mois, ils rentrent au pays, puis ils reviennent ». (1er entretien) Le parcours de Cheik est à la fois très « court » au niveau de l’accompagnement et très « long » dans son ressenti. L’accompagnement de la Mission Locale lui semble « lent » (alors qu’il n’a rencontré son conseiller que deux fois), à la fois parce qu’il attend une solution « concrète » de manière quasiment immédiate, et parce que, pendant cette période de deux mois, sa situation en intérim évolue rapidement : il passe d’une situation qu’il appelle « pas stable », où il a des missions « à droite et à gauche », à une situation de mission renouvelée à Madrange qui lui semble plus rassurante et qu’il n’a pas envie de quitter. Le regard de l’accompagnateur Pour le conseiller Mission Locale de Cheik, l’accompagnement n’a pas eu le temps de se mettre en place, alors que pour Cheik ces deux entretiens étaient presque « trop » et ont demandé beaucoup de temps (deux mois). Le conseiller, qui l’a vu deux fois en début d’année 2011, a du mal à identifier Cheik à qu’il n’a pas eu le temps de proposer un CIVIS. Ainsi, le conseiller ne parle pas de « réussite » ou d’ « échec » de l’accompagnement, puisque à ses yeux il n’y a pas vraiment eu d’accompagnement. Finalement, le problème est que Cheik travaille. Quelqu’un qui est en emploi n’est pas disponible pour être accompagné. « Je n’ai pas de retour de Monsieur [Cheik]. Mais je dois avoir un retour papier de l’organisme de formation. Il était bien présent le 10 mars. Ils indiquent : formation envisagée : CACES. Pas de financement. Pas de Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 101 solution. Je l’avais inscrit sur une formation de cariste d’entrepôt, à Guéret… ah, non, je lui ai juste proposé, je l’ai pas inscrit. Une formation AFPA. (…). -Et qu’est-ce qui s’est passé ? Ça l’intéressait mais il travaille. Je pense qu’on aurait continué l’accompagnement dans ce sens. » Le conseiller met en place un accompagnement par rapport à la recherche d’emploi ou de formation de quelqu’un qui construit un parcours d’insertion. Mais un jeune en intérim est déjà inséré. Les temporalités du travail et de l’accompagnement ne se rejoignent pas. Cela pose la question de l’accompagnement des jeunes qui sont en emploi, souvent en intérim, et qui ont des projets pour sécuriser leur emploi, ou pour aller vers autre chose. Les questions qui se posent en termes d’accompagnement L’accrochage à l’idée même d’un accompagnement. Cheik ne veut pas s’adresser à la Mission Locale pour demander un travail. En revanche, demander une aide financière pour une formation lui paraît plus « légitime ». Il est inséré et veut un appui concret pour avancer dans cette insertion : trouver un meilleur travail, avoir un métier. Le rythme de l’accompagnement. Cheik n’accroche pas à l’accompagnement, dont le rythme est trop lent pour lui. Il attend une rencontre et des propositions presqu’immédiates sur le financement de la formation. De son côté, le conseiller cherche d’abord à mieux comprendre sa demande, à la confirmer,… Mais Cheik sent que les rendez-vous ne donnent rien et décroche. Cela pose la question des rythmes de l’accompagnement, qui peuvent être difficiles à saisir pour un jeune : un rendez-vous par mois c’est trop lent, en même temps, le jeune attend des propositions concrètes à chaque rendez-vous. L’accompagnement des jeunes en intérim : quel rôle se donnent les institutions par rapport à ce public ? Comment les faire accrocher à l’accompagnement alors qu’ils sont déjà sur le monde du travail ? Comment garder le contact quand ils sont en mission, et notamment en mission longue ou dans des missions continues ? Comment les « faire revenir » dans les périodes d’arrêt ? En ce qui concerne le lien entre les différents dispositifs existants, la Mission Locale est en lien avec les agences d’intérim, mais elle est parfois insuffisamment outillée pour accompagner ces jeunes qui travaillent. Au niveau de la formation, le contact avec les agences d’intérim pourrait être mieux exploité pour prendre en compte les possibilités de formation existantes (CIF-intérimaire, DIFintérimaire,…), et pour capitaliser sur les périodes d’arrêt. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 102 « C’EST POUR LES SOCCAS » Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 103 Atal, 23 ans A arrêté l’école en juin 2006, après avoir raté son diplôme de BEP Maintenance Nous avons rencontré Atal à trois reprises : Premier entretien le 5 mai 2011 Deuxième entretien le 23 septembre 2011 Troisième entretien le 15 décembre 2011 Entretien téléphonique avec le conseiller Pôle Emploi le 6 février 2012 Le parcours d’Atal avant notre rencontre Lorsqu’on rencontre Atal en entretien, on est face à un jeune à l’esprit vif, intelligent et plein d’assurance. Il parle facilement de sa vie et de ses activités. Il a un agenda bien rempli : il fait régulièrement du sport en salle et il fait du dessin manga,… Dans son récit, il est toujours en train de faire quelque chose : il explique que lui ne « tient pas la Les éléments clés du parcours 2004 - 2006 : BEP Maintenance. Il rate le diplôme Septembre 2006 : Obtention du permis Décembre 2006 à septembre 2007 : intérim en manutention 2008 à 2010 : Missions d’intérim diverses avec des périodes de chômage Octobre 2010 à juillet 2011 : Intérim à l’entrepôt de Casino Depuis juillet 2011 : chômage tour », qu’il ne « traîne » pas. Il ne dit jamais qu’il « ne fait rien ». Atal se présente comme quelqu’un plein de ressources : depuis tout petit il adore dessiner, et à l’école il personnalise les vêtements de ses camarades de classe. A une époque il fait aussi du hip hop avec ses frères. Il met en avant son talent dans ces différentes activités. « Je suis quelqu’un qui aime beaucoup apprendre de nouvelles choses. Par exemple mon frère me montre un peu le piano maintenant. J’aime bien toucher à un peu de tout ». (3e entretien) Arrivé en 3e, quelques enseignants le soutiennent pour qu’il fasse du dessin ou un métier proche. Il demande un BEP Métiers de la Mode, mais il n’a pas de réponse et s’inscrit « en catastrophe » dans un BEP Maintenance. Ce parcours ne lui plaît pas. A côté il continue à dessiner. Il reste dans le BEP jusqu’à la fin, mais rate le diplôme. Ce BEP ne correspond pas à ce qu’il veut pour lui. Il aspire à « mieux ». « Mieux », c’est un métier en lien avec ses talents dans le dessin. « Moi j’ai toujours voulu faire de la BD (…). J’ai déjà fait des petites BD et je l’ai montré à des gens, ils trouvaient ça bien » (2e entretien) L’un de ses frères est son modèle. Sorti de l’école sans diplôme, il réussit toujours à gagner sa vie avec des projets indépendants : il monte une boutique de produits sportifs pendant quelques années, puis il la ferme pour « faire autre chose » (du « marketing réseau »). Ces projets, il les met en place de manière autonome, sans un accompagnement fort de la Mission Locale. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 104 « [Le deuxième frère est passé par la Mission Locale] mais il ne s’est pas vraiment appuyé sur leur aide» (1er entretien) Tout de suite après la fin du BEP, Atal obtient son permis. Il est suivi par la Mission Locale, puis par Pôle Emploi. Depuis trois ans déjà il fait de l’intérim dans la manutention. Il a commencé à 20 ans. Cela lui permet d’avoir un salaire suffisant pour financer ses dépenses : la voiture, un appartement autonome, la salle de sport, des voyages réguliers en Île-de-France pour voir des cousins et des oncles,… L’intérim est une option confortable mais temporaire. A long terme, Atal espère travailler dans un métier qui lui correspond : il veut devenir dessinateur professionnel. Ce qui s’est passé pendant cette année En début d’année, Atal est « stable » dans l’intérim. Il a une mission depuis fin 2011 et jusqu’au mois de juin, en tant que manutentionnaire dans un entrepôt. Il a l’impression que le temps est passé très vite depuis qu’il a commencé à faire de l’intérim. Au début, c’était une solution temporaire, avant de trouver un travail qui lui plaise. Mais finalement l’intérim est devenu son travail stable. Même s’il a eu des périodes de creux, où il a surtout des missions à la journée (en 2010), il arrive toujours à trouver d’autres missions et perçoit les Assédic quand il n’en a pas. Le système-intérim est stabilisé. « Ça passe tellement vite, déjà 3 ans alors que c’est pas ce que je voulais faire. C’est vrai qu’on apprend beaucoup de choses… Bon, je me dis que j’ai le temps encore. C’est pas facile de trouver la bonne chose ». (1er entretien) Finalement ça fait longtemps qu’il est en intérim, mais il ne se projette pas dedans sur le long terme. Ce travail n’est pas ce qu’il veut pour lui dans l’avenir. L’intérim n’est pas « la bonne chose », il ne correspond pas à l’image qu’il a de soi-même comme un jeune talentueux. Il espère pouvoir vivre de ses talents de dessinateur « un jour », même si au quotidien c’est l’intérim qui reste son moyen de subsistance, son travail. La « bonne chose » devrait être liée au dessin, qui est sa passion. Il voudrait faire de la BD. Il se voit bien suivre une formation qui lui permettrait de devenir dessinateur professionnel. Mais son projet reste évanescent, il reste à l’horizon sans qu’il fasse vraiment le pas vers la concrétisation. Il s’est renseigné sur les possibilités sur le territoire et même ailleurs, mais il a peur de se lancer. Il a peur de ne pas retrouver une stabilité financière comme celle qu’il a aujourd’hui dans l’intérim. « J’ai vu une conseillère d’orientation, qui m’a dit qu’il fallait faire son art-book, trouver des éditeurs,… ça me paraît trop compliqué. J’aime le dessin, mais pour faire une BD du début à la fin je suis pas au point. Pour l’instant, je fais de l’intérim ». (1er entretien) Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 105 Après la fin de sa mission à l’entrepôt, en juin 2011, l’agence d’intérim n’a plus de mission longue à lui proposer. Il fait des jours « à droite et à gauche », mais les missions sont très rares (il a fait moins d’une semaine entre juillet et décembre 2011). Il perçoit des Assédic, mais au fur et à mesure que les mois passent, il commence à s’inquiéter. C’est alors qu’il reprend l’accompagnement de Pôle Emploi, parce qu’il se dit qu’il n’y aura plus de mission tout de suite et qu’il faut qu’il trouve quelque chose à faire, la fin de ses allocations arrivant bientôt. L’accompagnement et la perception des dispositifs Atal a été accompagné pendant plus d’un an par la Mission Locale, tout de suite après l’échec au BEP. A cette période-là, il s’est senti vraiment accompagné par sa conseillère. Il est accompagné parce qu’il est écouté, compris. Parce que dans les rendez-vous, il réfléchit avec sa conseillère aux différentes possibilités de formation, de stage, en fonction de ce qui pourrait lui plaire. Et enfin, accompagné parce que soutenu financièrement : Atal sent qu’il peut compter sur la Mission Locale. Les dates clés de l’accompagnement Juillet 2006 : Inscription à la Mission Locale Août à Novembre 2006 : Formation « Employé LibreService » 2008 : formation dans la porcelaine avec l’AFPI Janvier 2008 : refus de formation longue porcelaine. Janvier 2008 : Transfert de dossier à Pôle Emploi Juillet 2011 : Chômage Octobre 2011 : reprise de l’accompagnement Pôle Emploi « On a beaucoup parlé avec ma conseillère. Elle m’a dit (…) qu’il n’y a pas de formation dans le dessin. Elle a proposé la vente, ça a pas marché. Donc c’est là qu’elle a trouvé la formation dans la porcelaine. (…) La formation était rémunérée environ 400 euros, mais bon, il y a la Mission Locale pour appuyer aussi. (…) ». (3e entretien) Dans l’accompagnement Mission Locale, Atal trouve un système « essai et erreur » qui lui convient : il évoque le projet de devenir dessinateur, mais sa conseillère lui dit qu’il n’a pas de formation dans la région, et il ne veut pas partir de Limoges. Avec sa conseillère, ils explorent d’autres options : il fait une formation de 3 mois en employé libre-service, mais après il ne trouve pas de travail dans la vente. Il fait un stage en cuisine dans une pizzeria, mais ça ne lui plaît pas. Finalement, il fait une formation de 4 mois en tant que décorateur en porcelaine, et on lui propose d’intégrer une formation de 2 ans chez Bernardaud. Mais le métier ne lui plaît pas vraiment et il refuse. « On m’a proposé une formation de 2 ans rémunérée chez Bernardaud, c’est une grande entreprise de porcelaine. Avant de dire non, j’ai vu le grand chef : cette formation était de la décoration en fil d’or, moi j’aime le dessin. Je lui ai dit si vous me proposez que du filage, non. Au moins faire quelques retouches. Ils n’ont pas voulu donc j’ai dit non. Après la formation, c’était même pas sûr d’être embauché. C’est mieux de faire de l’intérim ». (1er entretien) Pour lui, la formation amène vers un métier, et ce métier doit correspondre à ses talents et à ses passions. D’où le refus de formation dans le métier de décorateur en porcelaine, qui ne correspond pas à l’image qu’il a de lui-même. Atal préfère aller vers l’intérim, qui est une bonne solution : un travail bien rémunéré sans qu’il doive Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 106 s’enfermer dans un métier. Et avec l’option de la sortie toujours présente : l’intérim lui permet de rester en retrait par rapport à un travail qu’il fait par contrainte financière. Lorsqu’il commence à faire de l’intérim, son dossier est transféré vers Pôle Emploi. Atal vit mal le transfert. Il évoque une « punition » parce qu’il avait refusé la formation chez Bernardaud. Il se sent incompris par la Mission Locale. « Tout de suite après j’ai eu la proposition de Bernardaud. J’ai refusé et c’est pour ça que la Mission Locale m’a renvoyé vers l’ANPE, ils se disent il refuse un contrat (…). Elle m’en a beaucoup voulu au début. Elle n’a pas essayé de comprendre. Elle était énervée. Après j’ai reçu une lettre de la Mission Locale qui me disait que j’étais à l’ANPE maintenant ». (3e entretien) L’accompagnement de Pôle Emploi se fait « en pointillé » parce qu’Atal est très souvent en emploi. Quand il n’a pas de travail en intérim, il revient voir sa conseillère, mais l’accompagnement ne lui convient pas. Il le compare constamment avec celui de la Mission Locale, qui était « mieux » pour lui. Chez Pôle Emploi, il ne se sent pas vraiment accompagné. Il a du mal à comprendre la posture de sa conseillère. « L’ANPE ça m’a servi à rien du tout. J’ai vu ma conseillère d’orientation [conseillère de Pôle Emploi]. (…) C’est pas comme la Mission Locale, [la conseillère Pôle Emploi] donne des directions et c’est à toi de trouver [une formation, un métier]. A la Mission Locale on cherchait ensemble (…) ». (1er entretien) Atal utilise le terme « conseiller d’orientation », parce qu’il attend qu’on l’aide à trouver une orientation, une formation pour faire un métier qui puisse lui plaire et sortir de l’intérim. Il attend des rendez-vous une construction conjointe de l’orientation, une sorte de « brainstorming » avec la conseillère. Il n’attend pas des offres d’emploi. Celles qu’il a reçues lui paraissent peu adaptées à son profil. Il attend des offres d’emploi de son agence d’intérim, mais pas de Pôle Emploi. Cette attente par rapport à l’orientation sur des formations n’est pas satisfaite. Atal se retrouve à choisir « comme ça » une formation, alors qu’il aurait voulu y réfléchir, en discuter avec sa conseillère. Mais il sent qu’il doit en amont savoir ce qu’il veut faire quand il va aux rendez-vous. Il se sent seul dans ses choix. Il choisit une formation parce qu’il se sent contraint de trouver quelque chose, à défaut de missions d’intérim. Il aurait aimé que ça se passe autrement. « Elle me demande tu travailles ? Je dis non. Elle me demande qu’est-ce que tu as envie de faire ? Je dis, une formation, mais je sais qu’il y’a pas dans le dessin. Elle me dit oui, il y’a pas. Donc je lui dis, dites-moi ce que tu aurais à me proposer. Elle me dit non, c’est pas comme ça que ça se passe. Dis-moi ce que tu as envie de faire. Je dis, pourquoi pas dans la vente. Mais voilà, elle m’a un peu forcé, c’était il fallait pas que je sorte de là sans qu’elle sache ce que je veux. Elle prend pas le temps de te conseiller : là elle dit ok d’accord, je t’inscris, t’as un test d’évaluation pour voir si tu as le niveau ou pas… J’ai dit vente mais un peu pour qu’elle me laisse tranquille. (…) J’aurais aimé qu’elle prenne le temps de regarder avec moi une formation. C’est pas le cas. (…) ça fait quatre mois que je travaille pas… motivé c’est autre chose, mais prêt, j’ai besoin de quelque chose. Les Assédic ça va pas tarder à s’arrêter ». (3e entretien) Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 107 Finalement, Atal ne s’interroge sur son avenir que lorsqu’il n’est pas en intérim et que les Assédic vont s’arrêter. Il repousse ainsi la construction de son projet dans le dessin, il le relègue aux périodes où il est au chômage. En même temps, il aborde peu le projet de dessinateur avec sa conseillère Pôle Emploi. Atal n’est pas vraiment motivé par la formation dans la vente qu’il envisage actuellement dans le cadre de son accompagnement. Mais il suit cette piste parce qu’il a un besoin financier, il doit trouver quelque chose avant la fin de ses Assédic. Il va chez Pôle Emploi pour qu’on l’aide à trouver un emploi ou une formation rapidement. Son souhait de devenir dessinateur professionnel est difficile à concrétiser et il ne compte pas particulièrement sur l’accompagnement pour l’aider. Dans l’accompagnement Pôle Emploi il se heurte à une temporalité trop rapide : il sent qu’il faut avoir décidé maintenant alors qu’il voudrait prendre le temps pour aller vers ce projet progressivement, pour le construire. Finalement, il associe assez peu ses accompagnateurs à la réflexion sur son projet. Il sent que sa réalisation dépend entièrement de lui-même, et qu’entre temps sa conseillère Pôle Emploi pourra peut-être l’aider à trouver du travail temporaire. « Je dessine toujours à côté. Je me forme moi-même, j’essaie de me débrouiller tout seul. » (1er entretien) Le regard de l’accompagnateur La conseillère Pôle Emploi considère que Atal doit être ramené vers du concret. Le fait d’être trop enthousiaste et d’évoquer des projets ambitieux (se former pour faire de la BD, créer une entreprise) est en décalage par rapport à ce que la conseillère veut produire dans l’accompagnement. Elle veut le placer en emploi rapidement. « Il a beaucoup d’imagination, il est très vif et très impulsif. Maintenant il est un peu plus posé. On est parti sur la vente, sur des EMT. Moi je lui ai dit de faire des enquêtes métier, fin 2011, mais c’était pas la bonne période, avec les fêtes et les soldes… ça devrait se mettre en place après les soldes ». Ainsi, la conseillère considère qu’elle est là pour accompagner Atal dans des projets faisables toute de suite, et non pas sur le long terme. Le projet de formation dans le dessin reste trop peu construit pour qu’Atal puisse se lancer. (« Il voulait avoir un diplôme dans la BD. Il a fait les démarches auprès d’une école à Lyon, mais le lieu et les conditions d’admissibilité ne lui convenaient pas. Il y a des books à faire, il n’en est pas encore à ce stade-là ».) Aux yeux de la conseillère, ce n’est pas son rôle de l’aider à mûrir ce projet, mais de l’amener rapidement vers l’emploi. L’accompagnement s’arrête là où le travail commence, même s’il n’est pas durable et qu’il ne correspond pas à ce que le jeune voudrait faire à l’avenir. « S’il retrouve de l’intérim, on Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 108 repousse, je ne vais pas l’empêcher de travailler. Pendant qu’il est en intérim je ne le vois pas. (…) L’intérim est prioritaire, donc on essaie de jongler ». Finalement, les périodes de chômage ne sont jamais adaptées pour réfléchir à un projet sur le long terme avec Atal : soit elles sont trop courtes, et le retour à l’intérim implique la fin de l’accompagnement, soit elles sont trop longues, et la contrainte financière demande de trouver un travail dans l’urgence. La conseillère Pôle Emploi estime que son rôle est marginal dans ce type de profil. Elle cherche à placer Atal rapidement, mais souvent lui-même trouve une mission de son côté. La conseillère décrit Atal comme quelqu’un d’intelligent et de vif. Il s’agit d’un jeune qu’elle ne doit pas « porter », puisqu’il « se débrouille » de son côté. Elle ne se voit accompagner Atal autrement qu’en momentané. « Je ne me fais pas trop de souci pour lui, il cherche à s’en sortir par tous les moyens, il n’est pas assis attendant que ça lui tombe dans le bec, quoi. Pour lui c’est un avantage d’être jeune et dynamique ». Les questions qui se posent en termes d’accompagnement L’accompagnement des jeunes en intérim. Quel rôle se donnent les pouvoirs publics dans l’accompagnement de ces profils ? Est-ce que le fait d’être en emploi exclut toute possibilité d’accompagnement ? Quelle place donner à cet accompagnement, à quels moments ? Comment l’adapter à la situation spécifique des intérimaires ? L’accompagnement à la définition d’un projet professionnel. Atal voudrait se lancer dans le dessin mais il a peur de se risquer. Il n’a pas de projet alternatif. Il voudrait trouver un métier qui lui plaise et se former, mais il ne sait pas comment s’y prendre. Comment accompagner des projets « ambitieux » qui restent difficiles à concrétiser ? Comment les construire dans un cadre qui reste précaire et un besoin de travail immédiat ? Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 109 Sami, 21 ans A arrêté l’école en juin 2010, après avoir raté un BAC STG Comptabilité Nous avons rencontré Sami à deux reprises : Premier entretien le 13 avril 2011 Deuxième entretien le 19 décembre 2011 Entretien avec l’animateur d’une structure de quartier le 6 septembre 2011 Le parcours de Sami avant notre rencontre Sami est fils de parents marocains. Son père est ouvrier plaquiste et sa mère a toujours été au foyer (« comme toutes au bled »). Il a 2 frères aînés, une sœur jumelle et une sœur cadette. Les éléments clés du parcours 2001 – 2008 : ALJ Juin 2008 : Obtention du BEP vente Juin 2010 : Non obtention du Bac Fin 2010 : Inscription à l’ANPE et à la Mission Locale 2010 : Obtention du permis Mai à décembre 2011 : Formation AFPA plâtrier plaquiste En entretien, Sami a un discours extrêmement élaboré, sur la discrimination, les quartiers où « tous » sont des enfants d’immigrés, les orientations non voulues,… Il est intelligent et sent qu’il mérite mieux que ce qu’il a aujourd’hui. Mais il sent qu’il a moins d’opportunités parce qu’il est né dans un quartier, parce qu’il est fils d’immigrés,… « Je voulais faire une générale. Après j’étais au BEP où il n’y avait que des gars comme moi, de cité, des Mamadou, des Rachid… Si j’étais allé dans une générale j’aurais connu des Bertrand, des François… » (1er entretien). Sami obtient un BEP Vente en 2008. Pour lui, ce n’est pas vraiment un diplôme : le « vrai » diplôme c’est le Bac. Il intègre une 1e d’adaptation STG (sciences et technologies de gestion), et fait les deux années jusqu’au Bac. Il a des bonnes notes, et il a une aisance intellectuelle qui fait qu’il ne se soucie pas vraiment d’aller en cours. Il fait souvent l’école buissonnière. En 2010 il rate son Bac, un échec qui le marque. Sami est le seul de ses frères et sœurs à ne pas avoir eu le Bac. « Je voulais arrêter, me mettre au boulot. Aujourd’hui je regrette un peu. Je me dis que j’aurais dû avoir ce Bac. » (1er entretien) Après la fin de l’école (septembre 2008), Sami s’inscrit à l’ANPE et cherche du travail dans les magasins, tout en ayant un sentiment de déclassement (puisque le BEP n’est pas un diplôme pour lui). Il se compare à sa sœur jumelle, qui a fait une filière générale et qui poursuit actuellement ses études (en BTS). Maintenant, il veut se valoriser à travers le travail : il veut se sentir adulte, gagner sa vie. Après avoir eu beaucoup de réponses négatives il arrête de chercher dans la vente, il est démotivé (« Après le Bac, je suis allé à l’ANPE, j’avais toujours des réponses négatives et puis… Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 110 j’ai arrêté, ça me soûle »). Il s’inscrit également à la Mission Locale. Sa mère lui dit de s’inscrire au permis et lui donne l’argent pour le faire. Il est très fier de dire qu’il a été le premier de ses frères à l’avoir obtenu. « Le permis c’est la mère, elle m’a dit d’aller m’inscrire, ils m’ont donné l’argent. Je l’ai eu en trois mois. Mon deuxième frère était déjà au code. Il y a un truc duquel je suis fier : de tous j’ai eu mon permis le premier. Eux ils ont tous le Bac » (1er entretien). Le rôle des structures d’accompagnement à la recherche d’emploi n’est pas central : Sami s’appuie plutôt sur des animateurs du quartier Les dates clés de l’accompagnement Sami s’inscrit à Pôle Emploi à la fin de l’école, mais il décroche après quelques mois. Il sent que « ça ne sert à rien », parce qu’il ne trouve pas de travail. A la Mission Locale, il ne va pas toujours aux rendezvous. Dans les entretiens, il évoque rarement cet accompagnement. 2001 – 2008 : Participation régulière aux activités de l’association de loisirs Fin 2010 : Inscription à l’ANPE et à la Mission Locale Début 2011 : Signature du CIVIS Mai à décembre 2011 : Formation AFPA plâtrier - plaquiste Il s’inscrit à la Mission Locale en septembre 2010, en même temps que son ami Khalid, qui a le même parcours que lui. Il « découvre » alors la Mission Locale, qui est à côté de chez lui (« la Mission Locale je connaissais pas du tout, pourtant je passe à côté tous les jours »). Au début il sent que la Mission Locale ne l’accompagne pas « bien », parce qu’on ne lui propose pas les mêmes choses qu’à Khalid : « J’y allais une fois par mois. Des fois j’avais des rendez-vous, des fois je loupais mes rendez-vous, j’avais la flemme. A chaque fois que j’y allais j’avançais pas comme je voulais, elle m’a pas suivi comme il fallait. Khalid est en CIVIS, il a une carte de bus par la Mission Locale, il a fait un taf d’urgence. Moi on ne me l’a jamais demandé, on m’en a jamais parlé ». (1er entretien) La place de l’association de loisirs du quartier est en revanche centrale. Pour Sami c’est cette association qui l’a fait « sortir du quartier » quand il était plus jeune, partir en voyage, faire « autre chose ». Il relie ses moments « heureux » à l’association. Il conserve un lien très fort avec l’un des animateurs. L’animateur le « perd de vue » vers 17 ans, lorsqu’il ne se sent plus en âge de participer aux activités de la structure. Il reprend contact avec Sami à la fin de l’année 2010, alors qu’il était « très mal » («On a eu des entretiens pour mon enquête. On a discuté, où est-ce que vous en êtes… (…)Là, Sami il était très mal»). Si le projet de formation de Sami n’émerge pas dans le cadre des échanges réguliers avec l’animateur, ces dernières lui redonnent confiance en lui. Ces échanges sont structurants dans la vie de Sami : il se sent écouté et valorisé. C’est alors qu’il décide de se reprendre en main, de chercher une formation, de « faire quelque chose ». Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 111 Ce qui s’est passé pendant cette année 2011 est l’année de la construction d’un projet professionnel. Sami se sent adulte et veut avoir un métier. Il se dit qu’il ne peut plus continuer à « traîner », à ne rien faire. Entre mai et décembre Sami suit une formation de plâtrier plaquiste à l’AFPA. Pour lui, il s’agit d’un métier digne qui lui permettra de vivre, car c’est le métier de son père. Il ne veut pas « faire de l’argent facile » (« C’est mieux que d’essayer d’avoir de l’argent facile »). Il considère que ce métier a permis a son père d’acquérir une reconnaissance, un rôle social. Et il veut être « reconnu » lui aussi, comme son père. « Moi je me dis que si j’ai ma formation [de plaquiste] j’aurai un diplôme, je saurai faire quelque chose de mes mains. C’est mieux d’apprendre un métier. Tout le monde dit que ce métier a de l’avenir. [Mon père] a beaucoup de médailles d’honneur du travail, il était reconnu. C’est ce que j’ai envie de faire. Quand tu es reconnu tu as du travail (…) ». (1er entretien) Mais Sami n’est pas fier de faire cette formation (« [mon père] n’est pas venu en France pour que je finisse comme lui, mais j’en ai marre de galérer »). Il se sent déclassé : il finit ouvrier alors qu’il sent qu’il aurait pu faire mieux. Il se compare à ses collègues en formation, et il se sent en décalage. Les autres personnes sont pour lui des « cassoce », ils ne sont pas allés à l’école,… Cette formation est une alternative qui ne correspond pas à ce qu’il voudrait pour lui, à l’image qu’il a de lui-même. « Quand t'es en filière STG, chercher dans la maçonnerie... j'avais l'impression qu'il y avait que des cassoce' dans ma formation. Même dans le quartier ça m'était jamais arrivé, même dans le quartier les gens ils savent parler, ils savent écrire, tu vois ce que je veux dire ?... Je suis pas quelqu'un de manuel, je peux te dire que j'en ai pris cher ». (2e entretien) Finalement, après la fin de la formation, il ne se sent pas plus avancé dans ses projets qu’au début. Il avait choisi la formation en connaissance de cause : il savait à quoi s’attendre, puisqu’il connaissait le métier par son père, mais il voulait travailler, acquérir un métier pour être autonome. Cependant le sentiment de déclassement reste très fort. Son père n’avait pas fait d’études : lui est allé jusqu’à la terminale. Sami ne se voit pas être ouvrier plaquiste. « Mais je vais me reposer quoi, tout en cherchant du travail, en plus le sale temps il arrive, c'est pas trop top pour le bâtiment. (…) Je vais essayer de trouver un petit job en attendant, qui soit pas dans le bâtiment. Je sais pas, dans la vente, là c'est les fêtes, après c'est les soldes, donc peut-être que je pourrai trouver un job ». (2e entretien) Sami ne compte pas en priorité sur l’accompagnement de la Mission Locale pour construire son parcours à long terme. Les stages ne débouchent jamais sur un emploi, les formations il peut les trouver par lui-même (il dit avoir trouvé tout seul sa formation de plaquiste, en allant se renseigner à Pôle Emploi). Mais il n’arrive pas à se projeter et ne sait pas ce qu’il pourrait faire dans l’avenir. Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 112 « Je connais un collègue c'était comme ça, tu fais le stage, ils te disent tu travailles bien, on va te prendre et à la fin bye bye ! Déjà ils nous utilisent, en plus ils nous font rêver : ils te disent tu fais du bon boulot, on va te prendre et après ils te prennent pas ». (2e entretien) Le regard de l’accompagnateur L’animateur voit en Sami un jeune trop sûr de ses capacités, qui se retrouve sans diplôme (même s’il a un BEP) non pas à cause d’un échec scolaire, mais plutôt d’un manque de discipline dans le travail. « Sami a une grande facilité d’apprendre qui lui joue des tours : il bosse pas parce qu’il sait qu’il va passer, qu’il va avoir la moyenne. Il est allé jusqu’en terminale mais il n’allait pas en cours ». Sami est d’autant plus frustré par le fait d’avoir raté le Bac que ses autres frères l’ont tous obtenu, et qu’ils poursuivent les études. Le modèle familial est ici central : dans sa famille, un BEP n’est pas un diplôme, puisque l’ensemble des frères et sœurs ont le Bac. « Sami, le problème c’est que sa fratrie est en réussite. Ils sont tous en réussite. Il avait l’impression d’être le point noir de sa famille, il avait un dégoût de soi ». Le rôle de l’animateur est difficile à définir une fois que les jeunes se sentent trop grands pour l’association de loisirs. Dès 16-17 ans ils perdent de vue les jeunes. Ils sont trop vieux pour cela et en même temps ils n’ont pas encore intégré le monde adulte. « A un moment on les a perdus. A 17 ans on ne peut plus les accueillir, leur proposer des choses. On a perdu le contact avec eux. Il y avait pas cette réflexion sur que deviennent ces gens, même à l’échelle du quartier ». Les jeunes peuvent vivre des périodes de fort isolement (c’est le cas de Sami), où ils « ne font rien » et où l’image d’eux-mêmes se dégrade. La frustration dans le cas de Sami est difficile à gérer parce qu’il sent qu’il aurait pu faire mieux, que ce qu’il fait maintenant ne correspond pas à ce qu’il aurait pu faire. Cela pose la question de l’accompagnement de ces jeunes qui ont des ressources importantes (fratrie en réussite, des jeunes intelligents) qui se retrouvent sans diplôme et qui restent en retrait par rapport à l’accompagnement. Les questions qui se posent en termes d’accompagnement Le lien entre les associations de loisirs et l’accompagnement de la Mission Locale. La sortie de l’enfance et la difficulté à rentrer dans le monde des adultes est le moment où les jeunes s’éloignent de leurs interlocuteurs habituels (club de sport, centre de loisirs). Le lien gagnerait à être renforcé entre les différents intervenants dans le quartier pour mieux suivre les situations connues et les moments de rupture. L’accompagnement de jeunes qui se sentent déclassés. Comme pour le cas d’Atal, le cas de Sami pose la question de jeunes ambitieux, ayant des ressources importantes, qui se sentent Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 113 à l’étroit dans les possibilités qui leur sont proposées parce qu’ils n’ont pas de diplôme. Quel type d’accompagnement pourrait être plus adapté à ces cas ? Comment les accompagner dans la construction d’un projet professionnel tout en gérant une attente d’insertion rapide, une envie de travailler tout de suite ? Après l’école quand on n’a pas de diplôme – Etude à Limoges - Mars 2012 114 Asdo Études – 115 rue Lamarck - 75 018 PARIS Téléphone : 01 53 06 87 90 - Fax : 01 53 11 02 69 Étude réalisée par Loïcka Forzy ([email protected]) ; Véronique Micout ([email protected]) Gonzalez ([email protected]) ; et Ana
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