Le millésime 1993 - Bourgogne Aujourd`hui
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Le millésime 1993 - Bourgogne Aujourd`hui
E n q u ê t e Le millésime 1993 60 Deux réalités Bourgogne Aujourd’hui insiste tellement sur la nécessité de laisser vieillir les vins que nous avons décidé de lancer une rubrique consacrée à l’évolution des millésimes bourguignons. Ainsi vous pourrez les suivre à leur “naissance” (dossier sur le nouveau millésime dans le numéro d’octobre), dans nos sélections (au bout de deux ans environ), à 5 ans (article dans le numéro de décembre) et à 10 ans (article dans le numéro d’avril). 1993 ouvre le ban, avec beaucoup de bonheur pour les rouges, un peu moins pour les blancs. BOURGOGNE AUJOURD’HUI n° 51 “ in à attendre”, “vin de grande garde à ne pas déboucher avant huit à dix ans”, “garder les grandes bouteilles est indispensable pour leur permettre d’exprimer toute leur complexité”… À longueur de pages et de sélections, Bourgogne Aujourd’hui insiste sur la nécessité de laisser le temps au temps -au moins une petite dizaine d’années sur les grands vins, un peu moins sur les autres- avant de déboucher vos bouteilles de vins de Bourgogne, rouges ou blanches. Ceci à condition, 61 V BOURGOGNE AUJOURD’HUI n° 51 Deux couleurs, E n q u ê t e Les vins rouges Fermes et encore… à attendre DES ROUGES HOMOGÈNES ◗ 1er volnay 1 BOURGOGNE AUJOURD’HUI n° 51 Les vins ont tous été dégustés à l’aveugle ; pour éviter tout a priori... et notre article sur la filtration paru dans le dernier numéro l’a brutalement remis en évidence, d’avoir une bonne cave : lumière, humidité et température. Pourquoi garder les vins ? Parce qu’avec un millésime bourguignon on ne sait jamais. Les exemples d’années annoncées minables, comme 1987, et qui s’avèrent très agréables dix ans plus tard ou au contraire de présumés grands millésimes qui ne tiennent pas la route, 1989, ou n’en finissent jamais d’évoluer, 1988, sont légions en Bourgogne. Nous allons donc aller au bout de notre démarche en vous proposant désormais quatre rendez-vous pour suivre l’évolution des millésimes bourguignons : à leur “naissance” avec un dossier sur le caractère et le potentiel du nouveau millésime dans le numéro d’octobre, dans nos sélections (après deux ans d’évolution environ), au bout de 5 ans (numéro de décembre) et au bout de 10 ans (numéro d’avril). 1993 ouvre donc cette chronique. Les vins rouges ont surpris tout le monde en 1993. Le climat avait été si tumultueux d’avril à fin septembre -ensoleillement déficitaire, pluies et températures excédentaires, jusqu’aux vendanges- que personne ne s’attendait à un tel résultat. Les peaux étaient épaisses et c’est ce qui a sauvé le millésime. Les vins présentaient donc des robes soutenues, de la matière et de fortes constitutions tanniques ; de beaux vins, pas d’une grande finesse, mais taillés dès le départ pour évoluer tranquillement ; ce qu’ils ont fait… Le constat est très différent pour les blancs pour lesquels on s’est immédiatement rendu compte d’un manque de maturité. Résultat des vins frais, “tendus”, avec peu de gras, mais une belle finesse pour les meilleurs... de la verdeur et des notes végétales pour les autres. Christophe Tupinier Photographies : Lionel Georgeot DÉGUSTATION À L’AVEUGLE Trente échantillons de 1993 rouges et autant de vins blancs ont été dégustés le 20 février dernier, dans un salon de l’excellent restaurant Stéphane Derbord (place Wilson, 21000 Dijon). Comment ont-ils été choisis ? À partir des sélections effectuées par la revue à ses débuts (1994 et 1995) sur le millésime 1993 et sur les millésimes suivants pour les appellations que nous n’avions pas dégustées en 1993. Dernier critère : les vins encore disponibles dans les entreprises. Les vins ont été dégustés à l’aveugle, dans des ordres aléatoires ne tenant aucun compte de la “hiérarchie” supposée entre les appellations et les régions viticoles, ce qui reste encore la meilleure solution pour éviter tout a priori. Ils ont été notés sur 20 en fonction de leur potentiel intrinsèque (structure, finesse, intensité) et de leur qualité de conservation. Composition du jury : Georges Pertuiset (président de l’Union de la sommellerie française), Pascal Laville (caviste), Jérôme Prince (président des courtiers de Bourgogne), Martial Jacquey (amateur – club œnophile), Lilian Melet (journaliste France 3), Jean-Philippe Chapelon, Laurent Gotti et Christophe Tupinier pour Bourgogne Aujourd’hui. ◗ 4e cru Mitans domaine de Montille 17,06 sur 20 volnay 1er cru Caillerets Lucien Boillot 15,37 sur 20 Robe superbe de jeunesse. Nez profond, sur un fruité confit, relevé de notes de chocolat, d’épices. La bouche est soyeuse pour l’année, intense, sur un tannin assez fin et à peine ferme en finale. Superbe ! de la classe”, commente un dégustateur enthousiaste, à l’image de tout le jury. er ◗2 e er fixin 1 cru Clos Napoléon domaine Gélin 15,64 sur 20 ◗5e gevrey-chambertin Evocelles Lucien Boillot 15,21 Un petit fixin devant les grands gevrey, nuits… La bouteille est remarquable de puissance et de fraîcheur, ferme, longue, encore loin d’être en bout de course. ◗ 3e nuits 1 ◗6e cru les Chabœufs Jean-Jacques Confuron 15,5 sur 20 Le vin était superbe (3 grappes) et il l’est resté. Nez fin et complexe : fruits confits, résine, une touche animale. Il révèle une forte structure, avec la sévérité propre au millésime. Sans excès ! er cru Croichots domaine de Suremain “Un vin dans le style ferme de l’année, mais avec une belle chair, du volume et 14,87 sur 20 Ce beau domaine classique est à sa place : parmi les meilleurs. En matière de vins de longue garde ils ne sont pas si nombreux à faire aussi bien ; ce gevrey dense, long, vigoureux et jeune en apporte une nouvelle démonstration. er ◗ 7e mercurey 1 chambolle 1er cru les Charmes Christian Clerget 14,87 sur 20 “Un vin étiré, de matière moyenne, mais très fin et encore jeune”, résume bien un dégustateur. Finesse ou matière, le vin a divisé le jury avec toutefois une belle note globale. LES AUTRES VINS DÉGUSTÉS Bourgogne irancy (domaines Richoux et Colinot : Palotte et Côte du Moutier), pommard premier cru (Bouchard Père et Fils) et Rugiens village (Jean-Luc Joillot),Volnay Taille-Pieds (dom. de Montille), pernand-vergelesses premier cru Ile des Vergelesses (dom. Rapet), monthelie village (Paul Garaudet), auxey-duresses premier cru Clos-du-Val (Michel Prunier), Chassagne-Montrachet premier cru Morgeot (Morey-Coffinet), nuits-saint-georges premier cru Porêts-Saint-Georges (J. Faiveley), village vieilles vignes (Bertrand Ambroise), chambolle-musigny village (Georges Roumier), gevrey-chambertin premier cru la Bossière (Harmand-Geoffroy), mercurey premiers crus Clos l’Evêque (Jeannin-Naltet - bouchonné) et Combins (Michel Juillot – bouchonné), givry premiers crus Clos du Cellier aux Moines (dom. Joblot) et Clos de Chouet (Chofflet-Valdenaire), clos-de-vougeot grand cru (Louis Jadot), corton Maréchaudes grand cru (Doudet-Naudin). 63 Voilà un mercurey en belle compagnie et il le mérite par son style suave, confit, presque compoté, bien plus fondu que la plupart des autres vins de cette sélection. Très agréable ! ◗ 8e chambolle-musigny 1 cru les Amoureuses domaine Amiot-Servelle 14,14 sur 20 er Belle robe dense. Le nez est fin, riche, puissant. Si la note n’est pas meilleure, c’est parce que ce vin structuré semble encore trop jeune, avec une fermeté qui doit se fondre. Trop tôt ! ◗9e givry 1er cru les Bois Chevaux domaine Joblot 14,12 sur 20 Un second premier cru de la côte chalonnaise dans les 10 premiers… Dans un style assez classique pour l’année : dense, pur, harmonieux, encore ferme et donc à attendre ! ◗ 10e nuits 1 er cru aux Argillas Chauvenet-Chopin 14,07 sur 20 “Un vin soyeux, chaleureux, très agréable, mais de longueur moyenne. Il est à son apogée, à apprécier dès aujourd’hui”, commente un dégustateur. BOURGOGNE AUJOURD’HUI n° 51 Présenté comme un excellent millésime en rouge à sa naissance, 93 confirme ici son potentiel. Les vins iront loin pour les meilleurs. En prenant la grille de notation de la revue, 18 vins sur les 27 notés (3 étaient bouchonnés sans double) méritent d’être sélectionnés dans nos pages : soit 67%, ce qui constitue bien sûr un excellent pourcentage et en dit long sur la qualité de conservation du millésime en rouge. Il vous reste quelques grandes bouteilles de 93 en cave… alors gardez-les ! Le style des vins est également très homogène, avec des robes superbes, des fruités encore très jeunes, et une fermeté des tannins qui persiste, plus ou moins marquée, dans de nombreuses bouteilles. À décanter si vous souhaitez boire un 93 rouge aujourd’hui. E n q u ê t e Les vins blancs En bout de course En blanc, le millésime 1993 n’a jamais été considéré comme un “grand” et il ne l’est pas devenu en cours de route. Les survivants sont rares… ◗ 1er chevalier-montrachet grand cru Jacques Prieur 17,18 sur 20 64 Nez intense, puissant, complet et encore sur la réserve. “Vin long, sérieux, harmonieux dans des notes de miel, d’abricot sec, de fougère. Un grand terroir de Côte-d’Or”, lance un dégustateur. Bien vu ! ◗ 2e chassagne-montrachet 1er cru la Romanée Morey-Coffinet 16,12 sur 20 Robe dorée, brillante, superbe. Le nez est grillé, riche et fin à la fois, encore jeune. En bouche, le vin est élégant, dense, harmonieux et encore plein de vigueur. ◗ 3e meursault Comtes Lafon 15,93 sur 20 Et dire que ce n’est là que le meursault village “de base” de ce grand domaine. La bouche est harmonieuse, beurrée, élégante et parfaitement équilibrée. Un vin à son apogée, plein de charme. ◗ 4e pouilly-fuissé vieilles vignes (magnum) la Soufrandise 14,93 sur 20 C’est un magnum, il faut en tenir compte, mais il nous étonnerait beaucoup que la bouteille soit “morte”, tant ce vin au fruité riche, gras, charnu, suave, reste jeune. ◗ 5e puligny-montrachet 1er cru Champs Canet Etienne Sauzet 14,71 sur 20 Robe dorée, brillante. Nez encore frais sur des notes fruitées et végétales, fines. La bouche est bien dans la continuité, élégante, d’évolution lente, équilibrée, avec une touche exotique en finale. ◗ 6e meursault les Narvaux Terminus en effet pour la plupart des blancs. Si quelques-uns dans ce Top 10 semblent encore avoir un peu d’avenir, ils sont rares. Beaucoup de vins (20% environ) de la série étaient même déjà très, très évolués, avec des robes acajou et des arômes de fruits confits, de coings, des arômes lourds. La réussite des pouilly-fuissé (2 sur 2 dans le Top 10) semble montrer que le millésime est plutôt sudiste que nordiste. À noter que 14 vins seulement sur les 29 notés (1 bouchonné sans double) auraient décroché au moins une grappe dans nos sélections : 48% contre 67% en rouge. En conclusion, il est globalement recommandé de boire les derniers 93 blancs qui vous restent en cave. ◗ 8e montagny les Vignes de la Croix Cave des Vignerons de Buxy Robe d’un or-vert parfaitement intact. 14,07 sur 20 (magnum) – Morey-Blanc 14,5 sur 20 Nez très minéral, fin. En bouche le vin est élégant, droit, long et conserve une pointe d’austérité qui a sans doute disparue aujourd’hui sur la bouteille. ◗ 7e pouilly-fuissé vieilles vignes Château Fuissé 14,28 sur 20 “Bouche minérale, droite, encore sur la réserve, mais le vin présente un superbe potentiel pour aller encore plus loin”, prédit un dégustateur. Bien vu, le Château Fuissé vieilles vignes vieillit en général très bien ! LES AUTRES VINS DÉGUSTÉS BOURGOGNE AUJOURD’HUI n° 51 TERMINUS POUR LES BLANCS Meursault premier cru Charmes (René Monnier), pernand-vergelesses premier cru (Domaines Rapet et Laleure-Piot), saint-aubin premier cru Meurgers des Dents de Chien (H. et O. Lamy), chablis grand cru Blanchot, premiers crus Mont-de-Milieu et Beauroy, village vieilles vignes (la Chablisienne), grand cru Blanchots (Chanson), village (Picq) et village vieilles vignes (J.M. Brocard), rully premiers crus Pucelle, la Bressande et village (Château de Rully – village bouchonné), premiers crus Grésigny et Pucelle (Briday), montagny premier cru les Coères (Maurice Bertrand), saint-véran (dom. des Deux Roches), mâcon-viré vieilles vignes (Cave de Viré), corton-charlemagne grand cru (Poulleau). Quelle belle surprise de retrouver un “petit” montagny ici. Le vin est superbement conservé, dans un style aérien, rond, fruité, sur un joli fond de minéralité. Un bonheur ! ◗ 9e chablis vieilles vignes Gilbert Picq et Fils 13,75 sur 20 Cette cuvée est souvent l’une des plus belles du Chablisien en chablis village. Dans ce millésime difficile elle donne une bouteille avec un minéralsilex marqué, vive, sur une jolie finale miellée. À boire ! ◗ 10e corton-charlemagne grand cru domaine Rapet 13,56 sur 20 Nez beurrée, élégant. Le vin est de densité moyenne, mais plein de finesse, ample, très 93 par sa vivacité en fin de bouche. Agréable à déguster aujourd’hui.