Introduction - Presses Universitaires de Rennes

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Introduction - Presses Universitaires de Rennes
[« La conservation des mosaïques », Capucine Lemaître]
[Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr]
Introduction
Depuis une vingtaine d’années, marquée, entre autres, par la publication de La
notion de patrimoine d’André Chastel et Jean-Pierre Babelon (1980) 1, puis par celle
des Lieux de mémoire dirigée par Pierre Nora 2, les études relatives au patrimoine
se sont considérablement accrues, touchant des domaines de plus en plus vastes
et des sujets de plus en plus variés. Nombreuses sont aujourd’hui les recherches
ayant trait à la constitution des collections et des musées. L’anticomanie qui fut
endémique en Europe pendant plusieurs siècles, est devenue un nouveau champ
d’investigation pour l’histoire des œuvres d’art et de leurs différentes implications
dans la culture occidentale. La bibliographie consacrée à l’histoire de l’archéologie et des antiquités à l’époque contemporaine est particulièrement abondante.
L’architecture, la sculpture, la peinture et bien d’autres productions s’y trouvent
analysées, mises en rapport avec les circonstances mais aussi avec les acteurs de
leur découverte et de leur conservation. La mosaïque qui fit pourtant partie de
ces vestiges du passé auxquels on attacha une grande importance dès la fin du
XVIIIe siècle, et qui demeure bien présente dans les collections d’antiques que nous
a léguées le XIXe siècle, y est en revanche très peu évoquée.
Les travaux des antiquaires qui furent les premiers pas du recensement des
antiquités nationales, et dans lesquels se lisent les prémisses de la conservation du
patrimoine, y font pourtant référence, au même titre que les recueils d’antiquités,
les portefeuilles archéologiques ou les ouvrages livrés par les milieux de l’érudition
locale. Elle fit aussi partie des découvertes du traditionnel séjour italien et suscita, en
retour, un intérêt nouveau sur le territoire national, comme le révèlent deux recueils
de planches de la bibliothèque nationale réunies par Aubin-Louis Millin.
Très peu représentée également dans l’histoire de la conservation et de la restauration du patrimoine au XIXe siècle, alors qu’elle appartient parfois à des édifices
qui ont fait l’objet d’études approfondies – on retiendra notamment les travaux
récents de Françoise Bercé sur Saint-Martin d’Ainay ou Germigny-des-Prés 3 – elle
n’est abordée, dans sa restauration, qu’au travers de quelques études de cas isolés
qui ne suffisent pas à la compréhension des différentes évolutions de la discipline.
Son histoire est pourtant bien liée à la mise en œuvre de politiques de conservation
locales, au développement des sociétés savantes, à la création des premiers musées
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dont elle fit souvent partie dès les origines ainsi qu’à l’organisation du Service des
Monuments historiques.
Bien qu’aujourd’hui, les études sur la mosaïque antique ou moderne abondent
dans tous les domaines, archéologique, technique et iconographique, l’histoire
de sa conservation et de sa restauration qui débuta en France au XIXe siècle, n’a
encore jamais fait l’objet d’une recherche globale. Parmi les mosaïques que l’on
peut aujourd’hui admirer dans nos musées archéologiques, nombreuses pourtant
sont celles qui furent recueillies au cours du siècle passé. Restaurées, recomposées,
parfois entièrement modernes, elles sont les témoins de nos modes d’appropriation
de l’antiquité. Aussi ne sont-elles pas seulement des sources livrant des éléments de
compréhension sur la culture et les pratiques gallo-romaines mais appartiennentelles aussi à l’histoire de l’archéologie, du patrimoine et des mentalités à l’époque
contemporaine. Le premier objectif de ce livre est donc de proposer une nouvelle
lecture de ces objets afin de déterminer comment se sont élaborées la conservation
et la restauration des mosaïques anciennes selon divers points de vue, conceptuel,
esthétique et technique, et comment émerge la volonté de conserver ce patrimoine
archéologique pour le transmettre au futur. Il s’agit d’en définir les origines et les
différents protagonistes, mais également d’en apprécier les évolutions au cours du
XIXe siècle.
Émergeant avec la notion de patrimoine, sentiment d’un héritage culturel
commun à tous les citoyens au lendemain de la Révolution, l’histoire de la conservation des mosaïques prend sa source à l’issue du siècle des Lumières. De l’antiquité
en images, héritage de l’esprit encyclopédique du XVIIIe siècle, à l’établissement
des principes de la restauration, elle est le reflet d’une doctrine en cours d’élaboration au XIXe siècle. Au sein de politiques de conservation loin d’être unitaires,
du Premier Empire à la Première Guerre mondiale, la discipline chemine ainsi au
travers d’importantes disparités culturelles et financières.
De la découverte d’une mosaïque à sa dévolution, nombreuses sont les étapes
qui conduisent à sa conservation et nombreux sont les acteurs qui entrent en
scène. Collectionneurs, amateurs d’antiquités, historiens, archéologues, architectes, conservateurs, mosaïstes, élus et érudits locaux, une foule de personnages
d’origines aussi diverses que variées participe au développement de cette politique
de conservation, jouant un rôle majeur au sein des institutions et des structures
mises en place par l’État, mais également de façon indépendante. À l’origine de
la plupart des découvertes, les sociétés savantes participèrent à la formation de
réseaux de connaissance et de diffusion autour de la mosaïque et furent souvent
les premières à se mobiliser en faveur de la conservation, menant des démarches
auprès des administrations pour y aboutir.
L’histoire de la restauration des mosaïques s’inscrit dans un contexte favorable
au renouveau de la décoration en mosaïque. Les techniques de restauration des
mosaïques anciennes, inconnues en France avant le XIXe siècle, furent importées
d’Italie par des mosaïstes romains et frioulans. Émigrés pour des raisons politiques
et économiques, ils firent carrière en France essentiellement dans le domaine de la
création et contribuèrent au véritable renouveau d’un art qui avait cessé d’exister
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dans le pays depuis le Moyen Âge. Deux tendances se dégagent de cet héritage
italien. Le début du XIXe siècle est marqué par la création de la première école
française de mosaïque dirigée par un mosaïste romain issu de la fabrique pontificale
du Vatican, Francesco Belloni. Détenteur de techniques fréquemment employées
depuis le XVIIIe siècle dans les états pontificaux, il fut le premier diffuseur des
procédés de dépose qui permirent la sauvegarde de nombreux pavements lyonnais et viennois. Comme celles de ses homologues formés au Studio vaticano, ses
restaurations sont empreintes d’une culture romaine de l’antiquité, à l’instar des
créations néoclassiques qui sortent de son atelier et des modèles antiques restaurés
des musées du Vatican.
La deuxième tendance est marquée par la présence de mosaïstes frioulans,
principalement actifs dans la seconde partie du XIXe siècle. Originaires de Sequals
dans la province d’Udine et pratiquant la mosaïque monumentale dans la tradition byzantine, ils fondèrent de nombreux ateliers de mosaïque dont seulement
quelques-uns ont fait l’objet d’études à ce jour. Artisans du renouveau de la décoration en mosaïque dans les édifices nouvellement construits – comme le fut Gian
Domenico Facchina à l’opéra Garnier – ils furent les détenteurs de techniques
permettant de réduire considérablement le temps et le coût des réalisations. Ces
procédés basés sur un principe d’entoilage du tessellatum étaient, avant de servir la
création, utilisés pour la restauration. Ayant pour la plupart d’entre eux été formés
sur les chantiers de restauration de Saint-Marc de Venise, de Grado ou d’Aquilée,
ils importèrent leur expérience et un savoir-faire qui fut ensuite transmis d’une
génération à l’autre. Ce nouvel essor donné à la pratique de la mosaïque encouragea
l’État à fonder la seconde école française de mosaïque en 1876. Organisée au sein
de la Manufacture nationale de Sèvres, elle fut placée entre les mains de mosaïstes
romains, prêtés temporairement par la fabrique du Vatican, pour enseigner leur
art à de futurs mosaïstes français.
Bien qu’elle soit différente de celle que nous pratiquons actuellement, la conception de la restauration témoigne de savoir-faire et de techniques qui appartiennent
aujourd’hui à l’histoire. La réduire à des restitutions fantaisistes ou des falsifications
serait injuste vis-à-vis de l’histoire de ces objets et de ceux qui se sont dévoués
à leur conservation. Ainsi le corpus étudié révèle que toutes les interventions de
restaurations s’accompagnèrent de réflexions et de discussions ayant trait au choix
des restitutions et que ces dernières correspondent à l’esprit et au goût d’une
époque. Le siècle a connu une évolution considérable des principes de restauration. Si dans un premier temps l’œuvre destinée au musée a pu revêtir des formes
diverses, la seconde partie du XIXe siècle s’est orientée vers des interventions de
plus en plus limitées et de plus en plus lisibles qui se sont poursuivies jusqu’au
maintien des lacunes.
En Italie, dès le début du XVIIIe siècle, la restauration appartient à des praticiens
reconnus et expérimentés, choisis parmi les membres les plus habiles des ateliers de
mosaïque – parmi les mosaïstes de l’atelier du Vatican, les noms de Giambattista
Calandra ou d’Andrea Volpini sont associés aux restaurations des œuvres les plus
célèbres de l’Antiquité. En France, de façon identique, les restaurations furent
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confiées à des mosaïstes expérimentés, et ce phénomène ne cessa de s’affirmer au
fil du siècle. Le pionnier des études et de la conservation des mosaïques, François
Artaud, est indissociable du mosaïste Francesco Belloni. L’architecte Henri Revoil,
chargé par la Commission des Monuments historiques du département du Gard,
forme un tandem avec le mosaïste frioulan Francesco Mora, tant dans le domaine
de la création que dans celui de la restauration. Si au XIXe siècle, le métier de
restaurateur n’existe pas, tous les mosaïstes en activité ne sont pas chargés de restaurations. Seuls quelques-uns reçoivent, par l’intermédiaire des sociétés d’érudition,
des archéologues, des conservateurs ou des architectes, des commandes de l’État
ou des municipalités. Ainsi, ces restaurations ne sont pas anonymes et révèlent
que le XIXe siècle a su s’entourer des meilleurs praticiens.
Les répercussions des apports italiens et la transmission des techniques apparaissent dès le début du XIXe siècle – Francesco Belloni enseigne sa délicate technique de
dépose aux marbriers Bernard et Jamey dès 1819 – mais il faut toutefois en signaler
les limites. Certaines régions n’ont pas bénéficié de cette diffusion et se sont vues
contraintes de mettre en œuvre leurs propres procédés aboutissant à des résultats
inégaux. Il faut attendre la fin du siècle pour qu’apparaissent les premiers spécialistes
français de la mosaïque et de la restauration. Auguste Guilbert-Martin et son petit-fils
René Martin surent s’entourer de mosaïstes italiens pour s’approprier les techniques
d’intervention et se virent confier de nombreux travaux pour les musées nationaux.
Leurs restaurations de grande qualité marquent un tournant décisif des principes
de restitution se rapprochant de ceux que nous observons aujourd’hui.
L’œuvre des mosaïstes italiens en France à l’époque contemporaine est encore
mal connue sous de nombreux aspects. Si la voie a été ouverte par Hélène Guéné
qui rédigea sa thèse de doctorat sur l’entreprise de mosaïque rennaise Odorico père
et fils 4, ou par Maryse Andrys qui a pris pour sujet Gian Domenico Facchina 5,
beaucoup d’ateliers n’ont encore jamais fait l’objet d’une étude exhaustive. Aussi
faut-il, souligner l’importance de ces artistes encore fort ignorés dans l’univers
culturel du XIXe siècle, apporter un regard nouveau sur leur activité, et au-delà de
cet aspect méconnu de l’histoire de la mosaïque contemporaine, donner une place
à cette discipline dans l’histoire du patrimoine archéologique.
Notes
1. J.-P. BABELON, A. CHASTEL, « La notion de patrimoine », La Revue de l’art, 1980, n° 49,
p. 5-32, rééd. Paris, Editions Liana Lévi, 1994, 142 p. (coll. Opinion).
2. P. NORA (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, (Bibliothèque illustrée des Histoires) ;
I. La République, 1984, 674 p. ; II. La Nation, 1986, t. I, 610 p., t. II. 662 p., t. III. 667 p. ;
III. Les France, 1992, t. I. Conflits et partages, 988 p., t. II. Traditions, 988 p., t. III. De l’archive à l’emblème, 1 034 p.
3. F. BERCE, Des Monuments historiques au patrimoine du XVIIIe siècle à nos jours, Paris,
Flammarion, 2000, p. 40-46.
4. H. GUENE, Odorico mosaïste. La production d’un atelier italien en Bretagne et en Anjou (18821978), thèse de doctorat en histoire de l’art soutenue à l’Université de Rennes en 1984.
5. M. ANDRYS, Le renouveau de la mosaïque monumentale en France de 1875 à 1903. Étude
sur la production et l’activité des principaux ateliers parisiens de la fin du XIXe siècle, thèse de
doctorat en Histoire sociale, soutenue à l’université de Besançon en 1995.
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