University Of Nigeria Nsukka

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University Of Nigeria Nsukka
University of Nigeria
Virtual Library
Serial No
ISSN:978-059-704-2
Author 1
IWUCHUKWU, Mathew O.
Author 2
Author 3
Title
Theorie Interpretative de la
Traduction et Sociocritique:
Complices ou Fidelite au Sens en
Traduction Litteraire
Keywords
Description
Theorie Interpretative de la
Traduction et Sociocritique:
Complices ou Fidelite au Sens en
Traduction Litteraire
Category
Foreign Language
Publisher
Agro Publicity Company
Publication Date
Signature
2000/2001
NIGERIAN UNIVERSITY FRENCH TEACHERS ASSOCIATION
(NUFTA)
Printed in Nigeria
P
ASSOCIATION NIGERIANE DES ENSEIGNANTS
UNIVERSITAIRES DE FRANCAIS
(ANEUF)
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ISSN 978-059-7042
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--
1
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Printed by
Agoro Publicity Company
10, Agoro Close, Off Major Salawu Street,
Agbowo U.I., Ibadan
0806-2209648
I
'IXADUC'I'ION ET LINGUISTIQUE
124 THEORIX [NTERPRETATIVE DE LA TRADUCTION ET
SOCIOCRJTJQIJE: COMPLICES OU FIDELITE AU SENS EN
THADIJCTION LITTEKAIRE
Matthew 0. Iwuchukwu
Department of Foreign Languages & Literatures
University of Nigeria, Nsukka
Introduction
l n cc ddbut du troisiktne milli.naire o G In rnondialisation rCsonne en Ccho, le besoin de
traduire diffircnts types dc textcs d'unc langilc en 'une autrc se fait sentir de plus en plus., AL!
Nigcria, par excmple, le bcsoin dc traduirc en franqais les textes IittCraires et non littiraires en
tous gcnres sc Sait sentir davantagc B I'hcurc actuclle. Ce phdnomkne peut s'expliquer, d'une
part, par la manifestation du fkanqwis cornnic deuxikme langue officielle, d'autre part, par
I'augincntation significative au pays du taux de production dc textes pragmatiques, scientifiques,
littdraircs et paralittdraircs.
+
I,a littdrat~irc igbo. par excmple, compte aujourd'hui plusieurs
ccritaines tl'txuvl-cs publi&x cn igbo ou en anglais dont ccrtaines mCritent d'stre traduites en
4
La focalisation de cct article portera sur la theorie et la mCthodologie de la traduction
\
littdrairc proprcment dite. plus prkcisdment sur I'apport de la sociocritique au processus
interpritatif. L'dtude a donc po~irobjcctit' spdcifique d'analyser le processus traductif dans la
perspective de la thiorie du sens, d i n de ddtcrminer et de dCvelopper les rapports qui s'imposent
entre la theorie interprdtative dc la tratluction (ou thCorie du sens) et la sociocritique. Nous ferods
rdference de temps en tcinps h dcs tcuvrcs littdraires de langue anglaise ou fran~aisepour
expliciter nos rdflcxioris autour dc certains concepts et procCdCs techniques valables.
En
I'occ~~rrencc,
la tlieoric irircrpixkiticc tie la traduction cntretient-elle nkessairement des relations
de complementaritd avec la sociocritique ?
155
Testes litteraires: discursivite et communicabilitC de 1'Ccriture
I,es textcs littdraires reprdsc~itenttous les genres de la litt6rature ecrite dam telle ou telle
langue. colnmc Ic mnian, la nouvcllc. la podsic et Ic thestre de langue anglaise ou fran~aise.
Quel quc soit le genre qui h i t I'objet dc la traduction, le langage litteraire se differencie
foncikremcnt dcs autrcs en cc scns qu'il rcc6lc unc dose sub.jective d'expressions emotives de la
part de I'dcrivain
OLI
dc scs pcrsonnagcs. contrairemcnt ail langage pragmatique. scientifique et
teclinologiquc qui se dote d'un caracth-e plus ou rnoins universel. A ce sujet, Wellek et Warren
(1 97 1 ) ont dcrit avcc justessc quc Ic lnngagc scientifique "tend vers
uli
systeme de signifiants du
type dcs mathdmatiques ou dc la logiclue symbolique". alors que le langage littkraire, "fortement
connotatif, est loin d'i31.c uniqucmctit refirentiel. I I a un c6te expressifi i l exprime le ton et
I'attitude de cclui qui park
persuadcr,
CL en
OLI
ecrit ...i l pr6tend aussi influer sur I'attitude du lecteur, le
definitive lc modifier ...ilcs cEuvrcs littdraires diverses s'kcartent A des degrCs
diffdrents du langage sciclitiliquc"(p.32).
%
Dans la msme vcine dc rbflcsion, Jacques Flamand (1 983 ) a enchaink: "Plus on s'kloigne
de la littdrature d'art pour se rapprocher des bcrits pragmctiques, plus diminue la part de
sub.jectivitd.. .On peut dire quc I'on passe d'un iangage connotatif, symbolique et allegorique a un
langagc plut8t ddnotatil: descriptifct informatif)) (p. I 19).
e
I I va sans dire qu'i I'opposd du langagc scientifique 011 pragmatique, IGexpressivit6et la
sub-jectiviti. du latigagc littdrairc sont inhdrcntes d une certaine libertk d'expression artistique dont
-
.- ),
.jouit I'ecuivain. Ilnns sa prd1.acc a11roman akicain 15 U/I.S, cu .wfJjt! d'Amadou Ousmane (1 985
Id6 Oumarou n'a-t-il pas h i t
il
propos du dCpiltd Siddi Balima. personnage corrompu, et du
style particulicr utilisd dans la narration pour Ic ddpcindre ?
15 an.\., Ca s@/! cst peut-Ztrc iln proces manque
qui, par opportunismc, par igoismc, par ruse
011 par
... Je sais qu'ils furent nombreux ceux
compliciti; profiterent de la calamitk pour
s'en mettre plein les pochcs. Sc construire des villas, se faire immatriculer des taxis ... s'acqukrir
de redoutables ct inestimables relations. Dans ce livre d'Amadou Ousmane, Siddi Balima est
leur symbole. II paiera donc pour tous. Et ,\madoit Ousmane nous dit tout cela sur un ton tantat
badin. tant6t passionnd. C'cst pcut-0trc sa f a ~ o nA lui d'extdrioriser une indignation longtemps
contenue ( p.7).
Ce passage signale en filigranc I'association significative de la forme et du fond dans le
roman d'Amadou Ousmane, comme dam tout roman africain ou etranger. Dans le tissu discursif
de la narration du proch yomanesquc, vers la fin du roman,
Siddi Balima sera effectivement .
jug6 coupable d'un detournement abusif'des deniers dc 1'Etat. D'aprks la longue plaidoirie de
I'avocat de la defense, Maitre Ali :
I1 [Siddi Ralima] a docilement servi les inter& dc scs makes ... Nous savons qu'il n'est
ni le seul coupable, ni memc le seul responsable. La faute vient du systkme. Du systeme dans
son ensemble. Car la corruption, les dCtournemcnts abusifs des deniers de 1'Etat ... les tortures,
les exactions en tous genres ct j'en oublie, tout ccla traduit ilne seule et cruelle rkaliti: le peuple
est exploitC, opprimC, et tous ses droits bafouds (pp. 12 1-122).
La culpabilitc! de Siddi Brrlima tt-aliit donc cclle du systkme politique corrompu en place
au Bentota, pays sahelien africain tictif: C'cst dire quc ce personnage est devenu le bouc
emissaire meme du regime politique au pouvoir depuis quinze ans. Le discours juridique du
Maitre Ali, passionne, a su provocluer les dmotions et sensations desiries chez son audience
nombreuse au palais dc justice.
Scion le narrateur oinniscient extradiegetique du roman,
"l'avocat ne se contralait plus. I ,es jugcs en etaient Cbahis, I'assistance medusee. Le President
tenta vainement de le faire taire. mais I'avocat dCchainC dCbitait son discours avec une passion
qu'on ne lui connaissait pas" (p. 122).
Le discours de I'avocat et celcli dc la narration soulignent be1 et bien la discursivitt! gt la
communicabfitd du roman en tant que genre litteraire.
Dans le cadre de la litterature
francophone africaine, le discours romanesque renvoie generalement
des discours dCjA tenus
dans telle ou telle socidti de reference. De maniere gdnerale, il s'agit de discours qui, comme
nous l'avons souligne dans une etude publiee antdrieurement, "se deploient dans,.tous les
domaines du social: discours philosophique, discours politique, discours journalistique, discours
religieux, discours onirique et ainsi de suite" (I\vuchukwu, 2003 : 303).
Autrernent d it, le discours romanesque fait vrsisemblablernent partie intdgrante du riel
discursif emprunte a la sociite de rCfCrence. D'ou I'assertion de Sony Labou Tansi (1981) dans
I'avertissement de son roman, I, ' E M honteux: "Le roman est, parait-il, une auvre d'imagination.
I1 faut pourtant que cette imagination tsouve sa place quelque part dans la realit6 J'ecris, ou je
crie, un peu pour forcer le tnondc a venir ar.1 monde" (p.5).
De maniere ginCmle. toute pratique d'icriture (ou pratique disc'ursive) en Afrique trouve
1
sa place dans la rCalitC africainc don1 s'inspire toujours I'Ccrivain autochtone. De plus, elle
permet a celui-ci dc transmettre son mcssage autour du ddveloppement national ou regional 6 son
public-lecteur nombreux, notamment a ses semblables africains. Et c'est be1 et bien le message
I
ou le vouloir dire de I'auteur qui hit I'objet m2me de la traduction IittCraire, comme nous le
verrons plus loin.
Traduction littcraire, thCorie du sens et sociocritique
Qu'est-ce que la traduction IittCraire, et quelles relations entretient-elle avec la thCorie du
sens (theorie interpretative de la traduction) et la sociocritique? Comme son nom I'indique, la
traduction IittCraire est une branche de la traduction dont I'intCrst porte sur les textes litteraires en
tous genres, notamment le roman, la nouvelle, la poCsie et le theitre.
La mise en place de la thiorie du sens a ouvert la voie
a I'intCgration
de la composante
culturelle du discours comme CICment essentiel de I'opCration traduisante. ElaborCe par Danica
le
d'interpretes et de
Srleskovitch (1984) et dCveloppte par d'autres chercheurs a ~ ' ~ c osupkrieure
traducteurs (ESIT), i Paris. notaniment Marianne Lederer et Fortunato Israel (1990), cette
approche s'oppose a la rigidite du transcodage. Elle vise a integrer dans le processus traductif les
composantes constructives du cognitivisnlc et du bagage extra-linguistique. En vCrit4, la thCorie
du sens puise'ses
racines dans le champ de I7interprCtationde conference, en particulier dans
celui de la traduction orale ct simultanee. Son implantation dans le cadre de la traduction aurait
CtC accCICrCe par I'avancement des connaissances dans le domai'ne des lettres et sciences
humaines.
En matikre de critique littdraire proprement dite, I'inadequation des approches
linguistique, struct~~raliste
et semiotique a fait naitre dans les annees 60 et 70 les theories
sociologique et sociocritique. Par leurs nombreux travaux de recherche publies, les sociocritiquei
tels Claude Duchet (1976, p. 145)' Rdgine Robin et Marc Angenot (1985, p. 54) ont soulignC tour
a tour la fonction communicative du texte ou du discours IittCraire. De plus, Hans Robert Jauss
(1978) a Ccrit
a ce sujet: "ActivitC de communication, la
IittCrature n'est pas un simple produit
mais aussi u n facteilr de production de la societe. Elle vehicule des valeurs esthitiques, Cthiques,
sociales, qui peuvent contribuer aussi bien ti transformer la societC qu'a la perpetuer telle qu'elle
est (p.78).
,
*
Dote d'une valcur con~n~~~nicativc.
tout texk Iittdrilire qui fait I'objet de la traduction est
donc u n monde a la tois de I'imaginaire et de la culturc par excellence. ParallClement, le
traductologue Fortunato Israel ( 199 1 ) a Ccrit a propos du terme "appropriation":
I,'appropriation, bonnc ou mauvaisc. nc va pas sans entrainer la notion de liberte en
traduction. II s'agit de la libcrtd du traductcur profcssionnel qui, mtme s'il fait "autre chose",
e
tend to~~jours
vcrs la lldclitd.
1.a lihertd ct la fiddlitk tl-avcillent toujours ensemble dans le
processus de la traduction intcrprdtative. Or, la notion de fidClitC cst plut6t ambivalente en cksens
qu'elle se prcte
deux intesps6tations antithttiqucs chez les traductologues: "Si pour certains,
traduire fidkleplent signific rcnclrc I'cxpression memc du texte original, pour d'autres, une
traduction fidele est cellc qui sc liherc de I'expression pour scrrer dc plus prks I'intention de
I'auteur, le message du texte"
(St-Pierre, 1990: 124).
Pour nous, la fidelitd senvoic nu -'vouloir dire" de I'auteur qui est reperable dans le
message du texte original. I 1 s'agit donc dc la fideliti. au sens du discours, le sens &ant dCfini
comme -'un ensemblc ddvcrbr~lisd. retcrru en associatior1 avec des connaissances extralinguistiques ... [qui] accompagne tou~joursla perccption des signes linguistiques" (Lederer,
1994: 240). Examinons, a cc sitjet, la prise de position ferme d'Amparo Hurtado Albir (1990) :
Pour etre fidele au sens, le traductcur doit ktre fidele d'abord au "vouloir dire" de 17auteur
(170rigine prkverbale, de tout processus d'expression. la genese du sens) et, ensuite, dans sa
reexpression; i l doit Etre fidde aux moyens propres qu'offre la langue d'arrivke pour exprimer ce
vouloir dirc ainsi qu'au destinatairc de la traduction pensant a ce que celui-ci peut comprendre ou
ne pas comprendrc, alin qu'il soit en mcsurc de saisir le mtme sens que le destinataire du texte
original.
Ccs trois principcs dc Iiddliti. . . . sont ndccssaires ct indissociablcs si I'on veut Etre fidele
au sens (p.79).
Or. rdexprimer avec tiddlitd Ic vouloir dirc dc I'autcur dans la langue d'arrivkc (LA) n'est
pas du tout m c t k h c facile pour Ic traducteur littdraire. car i l cst toujours difficile de reperer et de
transmcttrc Ic lncssage vdhicule p x Ic di\cours dans la langue de depart (LD). Le texte litteraire,
comrne Ic prccisc Ic sociocritique ('lnilde Iluchct (Ic)76), represcnte
"LIP,
discours deja tenu,
parole profdrec dans Ic hot.\-tcxtc cn quclquc sortc, dans le pass6 du texte soit par le
collectivite precisc
"portcnt inscrit
CR
OH
ot7
d'une
inddcidablc, ou cclui des lieux et ob.jets culturels ou symboliques qui
eux 1c Iangagc dc la socidte qui Ics a pris en charge" (p.45). Paradoxalemcnt.
selon le sociologw littdrairc .Jean-l'alll Sartre (rkdd. 1985). le sens n'cst pas donne dans le
langage dcs locutcu~.~.
des licux ct tlcs obicts rcprd\cnti.s dans une ceuvre littkrairc :
Dcs Ic ddpart. Ic scns n'cst plils contcnu dans Ics mots puisque vest lui, au contraire, qui
t
permet de comprendrc la signification de chacun d'eux: et ['&jet litteraire quoiqu'il se realise B
travers le langagc, n'est jalnais donnd dans Ic langage
I...1; les cent mille mots alignis dans un
livre peuvent Etrc lus un a u n sans que le sens de I'auvre cn jaillisse; le sens n'est pas la somme
des mots; i l cn est la totalitc organiquc (pp.50-5 I ) .
0
Rref, Ic scns rcprdsente le message ou I'ensemble dcs expressions qui renvoie au vouloir
dire original de I'autcur.
Pour le saisir. les mots et Ics phrases doivcnt etre places au f i l du
discours litteraire et situes dans leur contcxte s\xio-culturcl propre. Le sens fait I'ob-jet a la fois
dc la traduction interprCtativc ct de la sociocritiquc. M h e les comparatistes Vinay et Darbelnet
(1 958) ont souligne que "le traductcur part du sens el cffectuc toutes ses operations de transfert a
I'intkrieur du domaine scientiliquc ... 1,'unitd a degager cst I'unite de pensce, conformement au
principe que le traducteur doit traduire dcs idecs et des sentiments et non des mots" (p.37). I1 faut
preciser que le sens saki dans la langue de depart permet ail traducteur litteraire de le rendre avec
fidklite dans la langue d'arrivie, en restituant dans cclle-ci les sensations, les Cmotions et les
idees exprimdes dans le texte original.
Ainsi. en plcs de faire prcuve d'une certaine maitrise des deux langues et deux cultures
di fferentes qui se mani festcnt dam I'cxercice intcrpretati f, le traducteur littkraire professionnel,
selon nous, doit avoir ilnc bonnc connaissmcc dc I'orientation theorique et methodologique de la
critique litterairc dans Ic cadrc de la sociocritique. De nos jours, le developpement de diffkrentes
sciences voisines concourt a mieux servir la traductologie qui, "pour la premiere fois, peut
accCder au rang de scicnce intcrdisciplinaire" (Stefanink et Balacescu, 2002: 4 1).
Le processus interpritatif: lo traducteur littdraire comme sociocritiaue
Les chercheurs en traductologie B I'ESIT de Paris ont su developper la theorie
interprktative de la traduction en trois phases: "Dans cette thdorie, la traduction est c o n p e
comme u n processus dc comprdhcnsion ct de gkndration de textes (oraux ou Ccrits); ce processus
est
dCcortiqud
cn
trois
phases:
comprihension-deverbalisation-reexpression"
(Hurtado
Albir, 1990:77). Cettc idee s'exprime encore davantage dans la brive description des tkhes du
traducteur par Marianne Lederer ( 1984):
Le traducteur, tantBt lectcur pour comprendre. tantat 6cri;ain pour faire comprendre le
vouloir dirc initial. sait fort bien qu'il ne traduit pas une langue en une autre mais qu'il c m rend
B P
une parole et qu'il la transmet a son tour en I'exprimant de manikre qu'elle soit comprise. C'est
la beaut;, c'est I'interft de la traduction d'ttre a ce point de jonction ou le vouloir dire de
I'ecrivain rejoint le vouloir comprcndre du lecteur ( p.19).
Qu'est-ce qu'on entend par "con~prdhension" dans le cadre de la traduction IittCraire ?
Comprcndre u n teste A traduire, selon nous. c'est le lire attentivement par une analyse du discours
dans les perspectives de la thCorie du sens et de la sociocritique, afin d'en dCgager le sens ou le
vouloir dire initial de I'a\iteur. Conime celui-ci n'est pas donnC dans Ie langage littdraire
connotatif. i l faut analyscr les "co~iditionsd'emergence, de production et de circulation" du texte
ou du discours, qui se trouvent illuslr~espar les etudes appropriCes dans les champs de I'analyse
du discours ct dc la sociocritiq~~c
(Rosier. 2005: 15). I.,e sens se situe en effet en dehors du texte
dans la rnesure ou lc processus de comprihension est facilitd par une contextualisation cognitive
et socio-historique du discours littkraire de la part du lecteur-traducteur. Selon Marianne Lederer
lnotan was now r0ur years old. 'Three years had gone since he miraculously saved Warri
from a bloodbath. 1 lis Iinal rolc'in that cthriic conllict had almost been forgotten. It was in fact
acknowledged only by a fkw. 'I'hosc fk\v includcd Mukoro and Iiis,fellow warriors. They had
seen the onc year old Inotan in thc ~nidstof their adversaries ( p.1).
L'incipit s'annoncc donc par unc analepsc. c'est-5-dire un 'flashback' dont I'insertion
dans Ic deuxiemc roman aide 5 micux saisir le sens du discours romanesque autour d'un conflit
interethnique ilui scvit h Warri. ville nigdrianc, dans les deux recits. AgC de quatre ans dans la
narration. le 1161-0s romancsquc. Inotan, cst Age d'un an sculement dans le premier roman, meme
s'il a des talents cxtraordinaires qui li-appcnt I'itnagination du lecteur.
Lc sens, nolls I'avons vu.
de la traduction interpretative.
fait be1 et bicn I'ohjet de la comprehension dans la perspective
I 1 cn va de 1n2tne pour la deuxieme phase du processus
interprdtatif, s ~ i la
t dcvcrbalisation. Qu'cst-cc que la dkverbalisation? Elle represente le dernier
stadc du proccssus dc comprihcnsion ct consjstc a extraire le sens compris de la formulation
lingiristiclue
011 discursive
dans Ic textc original. Au dire de Marianne Lederer (1994)' si ce
phenomenc "cntrainc la disparition dcs t'ormes. i l n'entraine ni perte ni erreur d'information"
(p.46). Si, par cxernplc, u n enscignant africain de fran~ais raconte a ses eleves en Afrique
l'histoire cie sa vie d'dudiant etranger cn Europe ou en Amerique du Nord, ceux-ci en garderont
en mdmoirc un "souvenir cognitit", alors que Ics mots et les phrases utilisds pour raconte
I
I'histoire tic tardcront pas A disparaitrc. I I cst donc possible de dissocicr le sens saisi de la langue
Ccpcndant, Ic vouloir dirc dc I'dcrivain n'est pas exprime de faion explicite dans le texte.
D'ou I'importancc dcs notions d'cxplicite ct d'implicite dans la theorie interpritative de la
traduction, qui rcnvoicnt B I'apport du rdcl au processus de ddverbalisation:
Autre hnderncnt de la thdoric du scns: la part du riel daris la comprehension de 17Cnonce.
En effet, dans la co~iimunicationcourantc, les mots ne disent pas tout et doivent etre interpr6tes
en fonction du contexte situationncl qui seul permet de combler les vides (Israel, 1990: 32).
En vdritd, la deverbalisation tie saurait se rkaliser sans une contextualisation socioculturelle du discours littiraire, qui se fonde sur les complkments cognitifs et les connaissances
extra-linguistiqucs. C7est 121 que reside aussi 17inter&commun du texte, du paratexte et du non-
;
dit du texte dans la perspective sociocritique. Le processus de diverbalisation exige donc que le
lecteur-traducteur se documente abondammcnt non seulement sur les textes IittCraires a traduire,
mais aussi sur les civilisations ct culturcs qui s'y rattachent.
+
La phase de ddvcrbalisation est suivie de la reexpression du sens compris (reverbalisation
chez Jean DClisle) dans la langue d'arrivce. qui est la troisieme et derniere phase du processus
interpretatif. II s'agit de la rCexpression du vouloir dire original dans une autre langue, qui est
soumise a deux cxigences fondamcntales, A savoir cerner I'6quivalence cognitive ou dynamique
et la reexprimer avec tidelit6 dans la langue-cible. Examinons, a ce sujet, les propos de Marianne
Lederer (I 990):
La traduction interprCtative cst une traduction par Cquivalences, la traduction linguistique
est une traduction par correspondance . . . La traduction, pour etre reussie, doit viser A Ctablir une
equivalence globale entre le texte original et le texte traduit ... L'Cquivalence cognitive decode
de la jonction du sCnlantisme du tcxte et des complements notionnels apportes par la traduction
(pp.50-52).
Unc traduction IittCraire qui n'est pas basee sur cette approche risque d7entrainerune perte
semantique ou des errcurs d'information que Simon Jeune (1986) appelle,"les insuffisances ou
les inventions du traductcur" (pp. 98-99). Toute optration traduisante qui consiste,A Ctablir des
iquivalences cognitives cntrc dcux tcxtes exprimes en deux langues differentes ten'd a produire
chez ses lecteurs les effets escomptes, c'est-i-dire les mCmes effets qui se manifestent chez les
lecteurs du tcxte,original.
I I s'agit des effets comme Cmouvoir, faire rire ou faire pleurer,
soulager, irriter, convaincre, conimunicluer tel ou tel savoir, etc.
Voila pourquoi Marianne
Lederer ( 1 987) a soutcnu clue la tradwtion doit "produire le meme effet cognitif et'emotif sur ses
8.
lecteurs que le texte original sur Ics sicns", le traducteur etant a la fois "lecteur du texte original et
enonciateur en second du scns qu'il en a degage" (p.12).
Aux trois phases du processus interpretatif que nous avons examinees s'ajoute la
quatrieme qire Jean Ddlisle (1984) appelle "l'analyse justificative" (voir pp.82-85).
En
I'occurrence, le traducteur devicnt le lecteur meme de sa propre version. I1 s'agit pour lui de
verifier si sa traduction rend bien le vouloir dire original de I'auteur, ou si elle produit sur ses
lecteurs les mCmes effcts quc le tcxtc original sur les siens. A titre d'exemple, comme I'a bien
expliquk la traductrice Kim Lefevre (2001), "ce qui provoque le rire dans une langue doit
provoquer le rire dans I'autre" (p. 24). Pour cc fairc, le traducteur professionnel s'assure toujours
que sa version ne reflete nullement les formes ou les structures de la langue-source. Examinons A
ce sujet le texte romanesquc de langue franqaise que nous avons traduit en anglais en 2003 :
A :
Texre original eti,fiunqais
Si I'on est d'un pays, si I'on y cst nC coinme qui dirait natif natal, eh bien, on I'a dans les
yeux. la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres,
le sang de ses rivieres, son cicl, sa savcur, ses hommes et ses femmes: c'est une prkence dans le
coeur, ineffaqable, comlnc unc fille qu'on ainic (Koumain, 1946: 30).
B:
Version nngluise puhliec
If one is a citizen 01' Ilaiii, if onc is born thcre, the people would say: Native land, in
actual fact. is present i n the eyes. skin and hands, with the trees as her hair, the soil as her skin,
the r&ks as her bones. the rivcrs as her blood, her sky, her taste, her men and women: they are all
present in the heart. ineffaccable, likc a young girl that a man loves ( voir Iwuchukwu, 2003b:
e
89):
I
Pour rendre le sens du texte A dans le texte B, nous avons suivi les quatre phases du
processus interpretatif dam le domaine Iitteraire: comprehension-deverbalisation-reexpressionanalyse justificative. Cela veut dire que les idCes chkres au romancier ont 6tk d'abord dkgagees
ou dkverbalisies en fran~ais,suivies de la reexpression de I'equivalence semantique en anglais et
d'une analyse justificative.
La liberti du traducteur, qui ne va pas sans la notion de fgClitC au sens, nous a perrnis
d'ajouter le nom propre "I-laiti"
ii
la prcmiere proposition subordonnee de la phrase introduite par
si car, selon nous, ce pays a kte dvoque de t'aqon implicite dans le texte original en franqais. Dans
la reformulation linguistique, nous nvons fait ressortir la technique de personnihcation de cet
objet culturel (I-laiti) utilisee par le romzncier, mais sans suivre les formes et structures de la
langue de depart. Voila pourquoi nous avons rendu la comparaison "comme une fille qu'on
165
aime"
- "likc
a young girl that a man loves". Rref, la restitution du sens saki dans le texte B r
faite en fonction dcs idCes exprimks dans le texte A et non en fonction des mots.
,I1 en va de memc pour le deuxikme modkle, qui est constituC par les versions franga
des dcux poc'mcs d'On~iora Ossic Enekwe qui suivent (1 99 1,1995), traduits de l'anglais
Etienne Galle :
Avant la guerre
Beforc the Wni.
13cast of the jungle
Bites de la jungle
\vith c l a w ol' firc -
aux ongles de feu,
a spring, a pounce,
surgissant bondissant
a bite, a pool of blood.
morsure et mare de sang.
In thc city,
Dans la citd
tongues of acid,
langues d'acide,
burning faces,
visages de flamme
scaring eyes.
regards de braise.
6
A poison spray
LC poison pullule
in thc dcad o r night,
au ceur &la nuit
a mating of witch and vultures.
les sorcikres et les vautours copulent.
.
'
Afer the Fur
Apres la guerre
In the dark city of the dead -
Dans la sombre cite des morts
lonely streets -
par les rues solitaires
Z
dogs bark at crawling shadows.
les chiens aboieht sur les ombres rarnpantes.
Over the murmuring stream,
Par-dcssus la rivibre des murmures
the wind howls its greetings.
le vent hurle ses saluts.
Under a bed
Sous un lit,
in the deserted village,
du village desert
a bullet-ridden corpse
un cadavre crib16 de balles
ripens into bones.
mOrit ses os.
(Enekwe, 199 1 : 460)
(Enekwe, 1995: 92)
I 1 faut signafer que lcs procedts techniques blabores par Vinay et Darbelnet (1958)
peuvent s'appliquer aussi ail domaine de la trsduction interpretative. A titre d'exemple, dans les
versions fran~aisesdes textes qui ligurent ci-dessus, le traducteur Etienne Galle s'est efforct de
rendre le vouloir dire original du pokte a partir des idees exprimdes dans la langue de dtpart,
I
I'anglais. I1 a su utiliser par endroits le calque d'expression qui releve de la "traduction directe",
et qui fait ressortir le sens du discours original dans la langue d'arrivke :
0
.-
before the war = avant la guerre
-
after the war
-
aprks la guerre
- beasts of the jungle
-
pool of blood
= bktes
de la jungle
mare de sang, etc.
Conclusion
En guise de conclusion, soulignons quc la focalisation de cet article porte sur la thCorie et
la mdthodologie de la trahitction IittCrairc, plus prCcisCment sur le r61e important que I'analyse
interpretative du discours ct la sociocritique peuvcnt joucr ensemble dans le processus traductif.
En raison de I'inadkquation des theorics linguistique, sdmiotique et comparative, le traducteur
littdraire devrait s'armer de nouvellcs connaissances savantes qui relevent des deux domaines
interdisciplinaires, tout en faisant prcuve d'une certaine maitrise des deux langues et des deux
cultures diffkrentes qui se manifcstcnt dans toute operation traduisante interlangue (en
I'occurrencc I'anglais et le franqais). Elk met ainsi en kvidence le besoin de complkmentaritd
qui s'impose entre la thkoric du scns en traduction et la sociocritique, en s'appuyant sur des
exemples specifiques t i r 6 de certaines cEinlres littdraires africaines de langue anglaise ou
franqaise. Parallelement, I'dtude niontrc que I'analyse interpretative du discours et la
sociocritiqile aident a mieux integrcr dans Ic proccssus traductif les composantes constructives du
cognitivisme et du bagage extra-linguistique.
,
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