Vente immobilière en viager

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Vente immobilière en viager
Dossier
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ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - REVUE TRIMESTRIELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016
Vente immobilière en viager
Aspects théoriques et pratiques
Raymond LE GUIDEC,
Julien PORTAIS,
professeur émérite à l’université de Nantes
directeur juridique à Renée Costes Viager
1. - L’ALÉA
A. - Espérance de vie du crédirentier
B. - Revenus de l’immeuble
C. - Aléa et rente temporaire
2. - LA DÉTERMINATION DE LA RENTE
A. - La valeur vénale
B. - Le droit d’usage et d’habitation
C. - La valeur économique
D. - Le bouquet
1 - La vente immobilière « en viager » est de plus en plus
souvent proposée pour répondre aux besoins de vie des
personnes âgées, qui ne disposent que de revenus limités, avec
un patrimoine modeste, consistant essentiellement dans
l’immeuble d’habitation qu’elles occupent. La vente de
l’immeuble contre une rente viagère leur permettrait de se procurer des ressources supplémentaires, nécessaires pour conserver
une qualité de vie jusqu’au bout.
2 - La vente immobilière en viager recouvre deux contrats
distincts, qui se combinent, donnant à l’opération un régime juridique, original et complexe, qu’il y a lieu de bien observer au
départ 1. Ainsi, il s’agit d’une vente d’immeuble, devant obéir en
tous points au droit commun de la vente d’immeuble (C. civ.,
art. 1582 à 1701), règles concernant le consentement et la capacité des parties, l’objet du contrat, le transfert de propriété, la
vente pouvant être consentie en pleine propriété, en
nue-propriété, comporter une réserve de droit d’usage et d’habitation 2, la forme requise et la publicité. Elle donne lieu, classiquement, aux garanties inhérentes à la vente immobilière.
3 - C’est aussi un contrat de rente viagère, aléatoire (C. civ.,
art. 1968 à 1983). L’acquéreur s’engage à verser, pour acquitter tout ou partie du prix convenu 3, une rente viagère au vendeur
crédirentier, éventuellement à un tiers (C. civ., art. 1973),
plusieurs crédirentiers pouvant être créanciers de la rente,
concomitamment, ou, plus souvent successivement (C. civ.,
art. 1972).
1. V. pour l’ensemble, notamment : F. Collart-Dutilleul (ss. dir.), Droit de la
vente immobilière : Dalloz, 6e éd. 2016. – R. Le Guidec, J. Portais,
G. Chabot, F. Garcia, E. Gicquiaud, C. Lesbats, V. Zalewski, Le viager, vente
immobilière en viager : Ellipses, 2015, collection droit notarial.
2. D’où la distinction pratique « viager libre », « viager occupé ».
3. Très souvent, une partie du prix est versée au moment de la vente, le
bouquet, l’autre partie étant réalisée par le versement de la rente viagère.
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E. - La rente
3. - EXERCICES PRATIQUES
A. - Cas pratique : Viager libre
1° Simulation bouquet 0 €
2° Simulation bouquet 50 000 €
B. - Cas pratique : Viager occupé
C. - L’indexation annuelle
D. - Majoration de la rente en cas de libération anticipée
4. - OBSERVATIONS SUR LA MÉTHODE DE CALCUL DE LA
RENTE VIAGÈRE
4 - Le caractère aléatoire, fondamental, de l’opération est pour
chacune des parties. La durée de vie du vendeur, naturellement
incertaine, ne lui permet pas de savoir si, par la perception des
arrérages, il recevra finalement la valeur de l’immeuble qu’il
cède. Elle peut être longue, elle peut être courte. De son côté,
l’acquéreur débirentier s’engage à verser la rente pour une durée
indéterminée, peut-être brève, le rendant gagnant, peut-être
longue, fort longue, le rendant perdant, par rapport à la valeur
de l’immeuble qu’il acquiert de la sorte 4. Pour les deux parties,
la vente en viager comporte une chance de gain ou de perte.
5 - Cette originalité intrinsèque conduit à observer deux
aspects particuliers de la vente en viager : l’aléa qui caractérise
cette forme de vente, et la détermination de la rente, son calcul,
ce que la loi dénomme le taux, laissant d’ailleurs aux parties une
pleine liberté pour le fixer (C. civ., art. art 1976). Sur ce point,
les praticiens ont élaboré des méthodes de calcul, qu’il y a lieu
de connaître pour en convenir dans le contrat de vente immobilière en viager.
1. L’aléa
6 - L’aléa est un élément nécessaire pour la qualification du
contrat de rente viagère. Fondamentalement, il doit être vérifié
que l’opération comporte une réelle imprévisibilité quant aux
chances de gain ou de perte pour les parties.
L’absence d’aléa serait sanctionnée par la nullité du contrat.
7 - S’agissant d’une vente immobilière en viager, deux critères
sont cumulativement utilisés par la jurisprudence pour reconnaître ou non que la vente, stipulant le versement de la rente, est
aléatoire. Le premier, indirectement énoncé par la loi elle-même,
se rapporte à l’espérance de vie du vendeur crédirentier (A). Le
4. Le risque s’amplifie quand il y a réversibilité de la rente comme souvent pour
le conjoint, le partenaire, le concubin, ou une autre personne, un enfant
handicapé par exemple.
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second, élaboré par la jurisprudence, concerne les revenus de
l’immeuble vendu, sur le fondement du prix réel et sérieux (B) 5.
A. - Espérance de vie du crédirentier
8 - Par principe, le contrat de rente viagère comporte une
« spéculation » sur l’espérance de vie du crédirentier, et cela de
part et d’autre. Par définition, la durée de vie doit être imprévisible, sinon il n’y a plus véritablement d’aléa. Dans le régime
général du contrat de rente viagère, deux textes contribuent à
préciser cette condition :
- En premier lieu, l’article 1974 du Code civil énonce que
« tout contrat de rente viagère, créé sur la tête d’une personne
qui était morte au jour du contrat, ne produit aucun effet ». La
disposition semble relever de l’évidence, se rappelant cependant
qu’il peut y avoir plusieurs crédirentiers, simultanés ou successifs. Le fait que l’un d’eux est décédé au moment de l’établissement du contrat n’empêche pas le fonctionnement normal du
contrat à l’égard du ou des autres. Il demeure donc valable.
- En second lieu, l’article 1975 ajoute qu’« il en est de même
du contrat par lequel la rente a été créée sur la tête d’une
personne atteinte de la maladie dont elle est décédée dans les
vingt jours de la date du contrat » 6. L’explication est aisée, le
crédirentier était malade pour en venir à décéder, de la maladie,
dans les 20 jours de l’établissement du contrat. Il n’y avait pas
véritablement d’aléa, le décès étant prévisible du fait de la maladie. Il n’est pas nécessaire que le débirentier ait eu personnellement connaissance de cette maladie. Mais, logiquement, un lien
de causalité doit être établi entre la maladie dont le crédirentier
était atteint et le décès survenu dans les 20 jours de l’établissement du contrat. Si le décès est survenu dans les 20 jours, mais
pour une autre cause, il n’y a pas de nullité du contrat, tel, par
exemple, un décès accidentel. Pour prévenir ce risque d’annulation du contrat, le notaire sollicite la présentation d’un certificat médical, qui n’est cependant pas obligatoire.
Au-delà du cas visé par l’article 1975, la jurisprudence décide
de l’annulation du contrat quand il y a connaissance par le
débirentier de la maladie, du mauvais état de santé du crédirentier, sur le fondement du droit commun des contrats 7. Du fait
prouvé de cette connaissance du mauvais état de santé, rendant
le décès prévisible, imminent, il n’y a plus de véritable aléa 8.
B. - Revenus de l’immeuble
9 - Depuis quelques années, la jurisprudence a tendance à
considérer que si les revenus de l’immeuble vendu sont supérieurs, ou même égaux, aux arrérages de rente, le contrat est
annulable pour vileté du prix 9, ou pour défaut de prix réel et
sérieux 10, ou pour absence d’aléa 11. Dans ces cas, en effet, le
débirentier ne court aucun risque et, corrélativement, le
crédirentier n’a aucune chance de gain.
10 - Bien entendu, cette comparaison entre les revenus de
l’immeuble, réels ou théoriques, et le montant des arrérages doit
5. Aléa et équilibre contractuel dans la formation du contrat de vente
d’immeuble en viager : RTD civ., 1979, p. 13, note Klein.
6. Texte constamment rappelé par la jurisprudence comme étant d’ordre
public : Cass 3e civ 10 nov. 1992, n° 90.21.417 : JurisData n° 1992-002399,
JCP N 1993, I, 194 note Leveneur.
7. Cass 3e civ. 4 nov. 1980 : Bull. civ., III, n° 169. – Cass 1re civ. 16 avr. 1996 :
D. 1996, p. 584 note Dagorne-Labbe ; Defrénois 1996, art. 1078, BENABENT ; JCP N 1997, I, 527, Boulanger.
8. Cass. 1re civ., 16 avr. 1996, prec. – Cass. 1re civ., 2 mars 1977 : Bull. civ.,
I, n° 115.
9. Cass. 1re civ., 4 juill. 1995 : Bull. civ., I, n° 304 : « il convient de comparer
les revenus de la propriété et des intérêts du capital qu’elle représente avec
la valeur des prestations fournies ».
10. Cass. 3e civ., 12 juin 1996 : Bull. civ., III, n° 147 ; JCP G 1997, II, 22781 note
Dagorne-Labbe. – Cass. 1re civ., 8 déc. 1998 : Bull. civ., I, n° 353 ; D. 1999,
p. 521 note Dagorne-Labbe, montant de rente dérisoire.
11. Cass. 1re civ., 5 mai 1982 : Bull. civ., I, n° 164.
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être faite de manière circonstanciée. C’est ainsi que « lorsque le
vendeur s’est réservé la jouissance du bien vendu, l’appréciation
de l’aléa et du caractère sérieux du prix se fait par comparaison
entre le montant de la rente et les revenus calculés à partir de la
valeur vénale au jour de la vente de l’immeuble grevé 12. La
comparaison doit aussi tenir compte du paiement comptant
d’une partie du prix, pratique fréquente du « bouquet ».
11 - Cette référence aux revenus renvoie au calcul de la rente,
laissé à la libre convention des parties. Elle contribue à le rendre
plus objectif.
C. - Aléa et rente temporaire
12 - Si, au lieu d’une rente viagère proprement dite, la vente est
consentie contre versement d’une rente pendant une période
déterminée, le contrat est-il encore aléatoire ?
Exemple : André vend son immeuble, de valeur estimée
300 000 €, avec un « bouquet » de 50 000 € et une
rente mensuelle de 300 €, pendant 10 ans. La jurisprudence répond par la négative 13, considérant que l’acquéreur sait, dès la formation du contrat, le prix qu’il paierait
au maximum. L’aléa nécessite une chance de gain ou de
perte pour chacune des parties d’après un évènement
incertain 14. Les parties ne doivent pas être en mesure de
calculer avec précision le prix maximum de leurs
créances ou obligations au jour de l’échange de leur
consentement. Cependant, dans l’hypothèse envisagée,
et elle est fréquente, l’argument avancé ne paraît pas
totalement convaincant. En effet, si le décès du vendeur
crédirentier survient avant l’écoulement de la période, il y
a gain pour le débirentier et perte pour le crédirentier.
L’aléa subsiste dans cette hypothèse de « rente viagère
temporaire » semble-t-il.
2. La détermination de la rente
13 - La vente en viager connaît de nos jours un regain d’intérêt. Ceci s’explique par l’allongement de l’espérance de vie, la
baisse du pouvoir d’achat des seniors dont la résidence principale représente l’élément le plus important de leur patrimoine.
La possibilité pour eux de transformer le capital que représente
leur bien immobilier en revenus complémentaires perçus leur
vie durant tout en conservant sa jouissance est la meilleure
réponse aux écueils rencontrés par ces derniers.
14 - Dans le cas d’une vente en viager libre, la détermination
du bouquet et de la rente viagère ne pose pas de difficultés
puisque qu’ils ne représentent que les modalités de paiement du
prix de vente du bien. Le montant du bouquet sera inversement
corrélé avec celui de la rente. En effet plus le bouquet est élevé,
plus le capital rente et donc la rente s’en trouve diminuée.
15 - Le viager occupé se caractérise et se différencie du viager
libre, par la réserve d’un droit d’usage et d’habitation du bien
vendu par le ou les vendeurs leur vie durant avec la possibilité
de libérer le bien par anticipation en contrepartie d’une majoration de la rente (V. cas pratique).
16 - L’un des nombreux avantages de la vente en viager
occupé est la répartition des charges et travaux. En effet, le
crédirentier ne paiera que les charges dites locatives.
A. - La valeur vénale
17 - La valeur en pleine propriété du bien vendu est déterminée en fonction des caractéristiques propres à celui-ci, à savoir
12. Cass. 3e civ., 4 juill. 2007 : Bull. civ., III, n° 125 ; D. 2007, actu. 2101 ;
Defrénois 2007, art. 1750, obs. Savaux, Dr. et patr. 2008, p. 91 obs. Aynes
et Stoffel-Munck.
13. Cass. 1re civ., 7 dec. 1983, n° 82-13.790 : Bull. civ., I, n° 290 ; D. 1984,
jurispr. 563, obs. Mayaux ; Defrénois 1984, art. 33405, obs. Olivier ; JCP N
1985, II, 57 obs. Dagot ; RTD civ. 1985p. 184 obs. Patarin.
14. F. Collart-Dutilleul (ss. dir.), Droit de la vente immobilière : Dalloz 2016/
2017, 6e ed, 91.221.
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sa situation géographique, sa superficie, son état (liste non
exhaustive). Le recours à un professionnel est fortement recommandé afin d’ajuster au mieux cette dernière.
18 - L’occupation dudit bien par les vendeurs (viager occupé)
ou un locataire (viager libre loué) viendra pondérer cette valeur,
du fait de l’indisponibilité temporaire du bien au profit de
l’acquéreur. Cette pondération sera comprise entre 5 % et 20 %
selon la durée d’occupation envisagée 15.
B. - Le droit d’usage et d’habitation
19 - La valeur vénale ainsi déterminée est démembrée en droit
d’usage et d’habitation (usus) qui reste propriété du vendeur, et
en nue-propriété et fructus potentiel qui sont acquis par le
débirentier. Le droit d’usage et d’habitation est un droit personnel au vendeur qui lui permet uniquement une jouissance
personnelle de son bien. Il ne pourra en aucun cas le mettre en
location et en percevoir des loyers (permis en cas de réserve de
l’usufruit).
20 - La valeur de ce droit sera fixée en considération de l’âge,
sexe et espérance de vie du ou des vendeurs et a pour corollaire
un impact sur le montant du bouquet et de la rente. Elle correspond à la valeur de jouissance capitalisée sur la durée de l’espérance de vie.
21 - L’évaluation de ce droit démembré ne découlant pas de
méthode légale en la matière, plusieurs méthodes peuvent être
utilisées, l’application du barème Daubry étant de coutume dans
la pratique (V. cas pratique). Par suite du retranchement de la
valeur de ce droit d’usage et d’habitation à la valeur vénale retenue, nous obtenons la valeur économique qui permettra de définir le bouquet et la rente mensuelle.
C. - La valeur économique
22 - Dans le cas d’un viager occupé, la valeur économique,
valeur portée à l’acte, est égale indistinctement à la valeur vénale
déduction faite du droit d’usage et d’habitation ou à la valeur du
bouquet augmentée de la capitalisation des rentes sur l’espérance de vie théorique. Dans le cas d’un viager libre, elle correspondra à la valeur vénale du bien. La valeur économique sert de
base de calcul à la détermination des droits de mutation à titre
onéreux, ce qui permet au débirentier, lors d’un achat en viager
occupé, de s’acquitter de droits moins importants que pour une
acquisition en pleine propriété.
3. Exercices pratiques
A. - Cas pratique : Viager libre
26 - Mme Durand, âgée de 78 ans est propriétaire d’un bien
locatif estimé à 200 000 € et qui était auparavant loué pour un
montant de 1 000 € par mois.
Étant donnée la fiscalité liée aux revenus fonciers et les risques
d’impayés, Mme Durand souhaite vendre son bien en viager
libre. Elle souhaiterait obtenir un bouquet de 50 000 € afin
d’aider financièrement ses deux enfants.
Selon le barème Daubry, l’espérance de vie d’une femme seule
de 78 ans est de 12,6 années et le taux de rente de 8,81 %.
27 - Dans un premier temps, il est nécessaire de simuler le
montant de la rente dans l’hypothèse d’une vente sans bouquet
afin de vérifier que ce dernier est supérieur à la valeur locative
afin d’éviter une éventuelle nullité de la vente.
1° Simulation bouquet 0 €
Valeur vénale : 200 000 €
Bouquet : 0 €
Capital rente : 200 000 €
Rente annuelle : 200 000 € × 8,81% = 17 620 €
Rente mensuelle : 1 468 €
La rente obtenue (1 468 €) étant supérieure à la valeur locative
(1 000 €), la vente en viager libre est envisageable.
2° Simulation bouquet 50 000 €
Valeur vénale : 200 000 €
Bouquet : 50 000 €
Capital rente : 200 000 € – 50 000 € = 150 000 €
Rente annuelle : 150 000 € × 8,81% = 13 215 €
Rente mensuelle : 1 101 €
Il est important de préciser que la vente pourra être éventuellement soumise à l’impôt sur la plus-value.
B. - Cas pratique : Viager occupé
24 - Le capital rente que représente la soustraction du bouquet
à la valeur économique va permettre, après application d’un taux
de rente, de définir la rente annuelle qui sera perçue par le ou les
crédirentiers, ce taux variant selon l’âge du ou des bénéficiaires.
25 - Il faudra cependant être vigilant, dans le cadre d’un viager
libre, au montant de la rente obtenue en contrepartie de la
conversion du capital correspondant à la valeur vénale retenue
du bien, car elle ne pourra pas être inférieure aux revenus que
28 - M. et Mme DUPONT, tous deux âgés de 78 ans souhaitent
vendre en viager occupé leur résidence principale estimée à
200 000 €. Ils souhaiteraient obtenir un bouquet de 30 000 €
afin de rembourser le crédit immobilier leur ayant permis
d’acquérir le bien (ils remboursent actuellement 600 €/mois).
Selon le barème Daubry, l’espérance de vie pour ce couple est
de 14,5 années, le taux de rente de 7,90 % et la valeur du droit
d’usage et d’habitation est de 45,8%.
Valeur vénale : 200 000 €
Valeur du droit d’usage et d’habitation : 200 000 € × 45,8 %
= 91 600 €
Valeur économique : 200 000 € – 91 600 € = 108 400 €
Bouquet : 30 000 €
Capital rente : 108 400 € – 30 000 € = 78 400 €
Rente annuelle : 78 400 € × 7,90 % = 6 194 €
Rente mensuelle : 516 €
29 - Les vendeurs percevront une rente viagère leur vie durant
de 516 €, rente qui sera indexée chaque année, et réversible sur
la tête du conjoint survivant. Cette réversibilité, ayant un caractère de libéralité entre époux, exonérera l’époux survivant des
droits de succession.
30 - Nous pouvons relever qu’en plus de la perception d’une
rente de 516 €, les crédirentiers n’auront plus à payer la somme
de 600 € correspondant au remboursement du prêt immobilier,
15. J. Lumbroso, Vademecum de l’expertise immobilière : 3e édition, p. 116.
16. Cass. 1re civ. 5 mai 1982, n° 81-11.821.
D. - Le bouquet
23 - Le versement d’une somme au jour de l’acte de vente ne
revêt pas de caractère obligatoire. Il est cependant fortement
recommandé. Il représente, en pratique, entre 10 % et 30 % de
la valeur vénale du bien. Il sera déterminé par le vendeur selon
ses besoins pécuniaires et éventuellement en considération
d’impératifs légaux, telle que la mainlevée d’une hypothèque
portant sur le bien vendu rendue nécessaire au transfert de
propriété.
E. - La rente
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peut produire ledit bien, sous peine de nullité du contrat pour
absence de cause 16.
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portant leurs revenus mensuels complémentaires à 1 116 € (sur
la durée de remboursement restante).
C. - L’indexation annuelle
31 - Le paiement d’une rente par le débirentier au crédirentier
sur une durée incertaine doit prendre en considération l’effet de
l’érosion monétaire afin que le contrat ne s’en trouve pas déséquilibré. Ce principe est posé par l’article 1er de la loi n° 49-420
du 25 mars 1949, loi d’ordre public. Le libre choix de l’indice
est cependant laissé aux parties, et ce du fait du caractère alimentaire d’une rente viagère constituée entre particuliers (C. monét.
fin., Art. L. 1112-2, al. 3 et 4). Lorsque le contrat viager ne
comporte aucune clause relative à l’indexation de la rente
prévue, la loi prévoit un système de révision légale automatique.
Le taux de majoration à appliquer est communiqué chaque fin
d’année par arrêté du ministre du budget publié au Journal officiel (L. n° 51-695, 24 mai 1951, art. 2). En pratique, l’indexation
légale est très peu usitée, les parties préférant choisir elles-mêmes
l’indice permettant cette dernière. N’importe quel indice est en
théorie possible dès lors que les parties en ont fait le choix. En
pratique et dans la quasi-totalité des cas, la rente ayant un caractère alimentaire et imposée comme un revenu, l’indice retenu est
l’indice mensuel des prix à la consommation des ménages
urbains, série France, hors tabac publié par l’INSEE. Le choix de
cet indice s’explique par sa pérennité et une faible volatilité, mais
aussi par la cohérence de ce dernier avec l’érosion monétaire.
D. - Majoration de la rente en cas de libération
anticipée
32 - Dans le cadre de la vente en viager occupé, le crédirentier se réserve le droit d’usage et d’habitation à vie sur le bien
vendu. Ce droit s’établit et se perd de la même manière que
l’usufruit (C. civ., art. 625) et du fait de son caractère intuitu
personae, il est susceptible d’abandon volontaire. En effet le
crédirentier a la possibilité de quitter les lieux par anticipation,
tel est le cas lorsqu’il décide d’aller vivre en maison de retraite
par exemple. Le débirentier retrouve alors par anticipation la
jouissance du bien acquis, lui permettant soit d’y habiter ou de
le mettre en location. Afin de conserver l’équilibre du contrat
viager, le débirentier devra verser une rente majorée. La renonciation au droit d’usage et d’habitation par le crédirentier doit
être sans équivoque du fait de son caractère irrévocable. En effet,
le non-usage du bien par le crédirentier ne vaut pas renonciation
à ce droit. Le crédirentier qui souhaite user de son droit à renoncer à la jouissance du bien devra en informer le débirentier par
lettre recommandée et exprimer de manière non équivoque sa
volonté de quitter les lieux et informer le débirentier de la date
de remise des clés et par corrélation le moment où la majoration
de la rente trouvera à s’appliquer.
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4. Observations sur la méthode de
calcul de la rente viagère
33 - Il n’y a pas de méthode légale de calcul de la rente viagère,
consécutive à la vente d’immeuble, l’article 1976 du Code civil
énonçant toujours que « la rente viagère peut être constituée au
taux qu’il plait aux parties contractantes de fixer ».
34 - En conséquence, les pratiques des professionnels de la
vente immobilière en viager sont diverses, pour aboutir à des
résultats quelque peu différents 17. L’une d’elles a été précédemment exposée 18. Mais il en est d’autres, spécialement celle
proposée par le Conseil Supérieur du Notariat et que les notaires
mettent en œuvre à peu près systématiquement 19. On peut
également faire application de la méthode fiscale pour la détermination de certains éléments à prendre en considération pour
le calcul de la rente, application du barème de l’article 669 du
Code général des impôts, valeurs respectives de l’usufruit et de
la nue-propriété, selon l’âge.
35 - En tout cas, le processus du calcul intègre des éléments
essentiels, et qui peuvent être appréhendés ainsi différemment :
- Valeur vénale de l’immeuble et taux de rendement, la valeur
vénale étant parfois pondérée compte tenu de la réserve du droit
d’usage et d’habitation, le taux de rendement se rapportant à la
valeur locative de l’immeuble ;
- Évaluation du droit d’usage et d’habitation, pour le cas
fréquent de viager occupé. Elle est fixée en considération de
l’âge, du sexe et de l’espérance de vie du ou des vendeurs. Pour
ce faire, référence est faite aux tables de mortalité, TGF 05
femmes, TGH 05 hommes. Sur ce point, la distinction hommes/
femmes qui est appliquée est douteuse, au regard de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne 20 ;
- Détermination de la valeur économique correspondant à la
valeur vénale, déduction faite, le cas échéant, de la valeur du
droit d’usage et d’habitation ;
- Déduction éventuelle, fréquente, du bouquet demandé ou
proposé ;
- Application du taux de rente au capital rente. La détermination du taux de rente est empirique, résultant de la pratique
professionnelle.
36 - Dans une période actuelle de plus large diffusion de la
vente immobilière en viager, il serait bienvenu d’avoir une
méthode générale, uniforme, pour le calcul de la rente viagère.
Les pratiques éprouvées serviraient à l’élaboration de cette
méthode, qui aurait l’avantage d’être réglementée, tout en restant
supplétive de la volonté des parties (C. civ., art. 1976).
Mots-Clés : Rente viagère - Vente immobilière - Vente en viager Cas pratique
17. Voir l’étude critique de C. Deschamps, V. Legrand, Trois bonnes raisons de
réformer la vente d’immeuble en viager : JCP N 2016, 1117 n° 5 à 10.
18. Il s’agit de la méthode pratiquée par le cabinet d’expertise Renée Costes
Viager, faisant application du barème Daubry.
19. Intranet des notaires, caf.notaires.fr.
Voir aussi L. Galliez, F. Pouzenc, Le financement : Rapport du 107e Congrès
des Notaires de France, 2011, p. 979 et s.
20. CJUE, 1e mars 2011, aff C- 236/09 : BPAT 2/11 inf. 140, le principe d’égalité
entre hommes et femmes doit être appliqué dans le calcul des primes et des
prestations d’assurance.
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