Rapport complet - Canadian Foundation for Healthcare
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Rapport complet - Canadian Foundation for Healthcare
Stresseurs liés au travail infirmier en soins palliatifs : l’importance du soutien organisationnel, professionnel et émotionnel Mai 2003 Lise Fillion, Inf., Ph.D. Louise Saint-Laurent, Ph.D. Partenaires décideurs : Louis Dionne, Maison Michel-Sarrazin Financement fourni par : Fondation canadienne de la recherche sur les services de la santé Centre de recherche en cancérologie Maison Michel-Sarrazin CLSCs Chs Chercheuse principale : Lise Fillion Professeur-adjointe Faculté des sciences infirmière Université Laval Québec, QC G1K 7P4 Téléphone : (418) 656-2131, poste 3197 Télécopieur : (418) 656-7747 Courriel : [email protected] Ce document est disponible sur le site web de la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé (www.fcrss.ca). Pour obtenir de plus amples renseignements sur la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé, communiquez avec la Fondation : 1565, avenue Carling, bureau 700 Ottawa (Ontario) K1Z 8R1 Courriel : [email protected] Téléphone : (613) 728-2238 Télécopieur : (613) 728-3527 This document is available on the Canadian Health Services Research Foundation Web site (www.chrsf.ca). For more information on the Canadian Health Services Research Foundation, contact the Foundation at: 1565 Carling Avenue, Suite 700 Ottawa, Ontario K1Z 8R1 E-mail: [email protected] Telephone: (613) 728-2238 Fax: (613) 728-3527 Stressors linked to palliative care nursing: the importance of organizational, professional and emotional support Lise Fillion 1 Louise Saint-Laurent 1 1 Université Laval Remerciements : Cette recherche a été financée par la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé. Comme l’a souhaité le bailleur de fonds, la démarche se fonde sur un partenariat conclu avec des décideurs et des gestionnaires engagés dans les prises de décision concernant l’organisation des soins palliatifs de divers établissements : le Centre de recherche en cancérologie de l’Université Laval (CRC-HDQ) ; La Maison Michel-Sarrazin (MMS), un centre suprarégional de soins palliatifs ; trois centres hospitaliers (CH) : le CHUQ, l’Hôpital Laval et l’Hôtel-Dieu de Lévis ; six centres locaux de services communautaires (CLSC) de la région de Québec : Hautes-Marées, Haute-Ville des Rivières, Orléans, La Source, Basse-Ville/Limoilou/Vanier, de la Jacques Cartier et, enfin deux CLSC de la région Chaudière-Appalaches : Desjardins et Paul-Gilbert. L’équipe de chercheurs remercie les assistants de recherche, Martine Fortier, Richard Goupil et Nathalie Raymond, pour leur précieuse collaboration. Elle remercie également toutes les infirmières cliniciennes responsables des soins palliatifs provenant de divers établissements de soins des régions de Québec et de Chaudière-Appalaches, qui ont contribué à l’élaboration de la démarche et facilité le déroulement de la recherche sur le terrain. Enfin, les chercheurs veulent également exprimer leur gratitude aux infirmières et aux infirmiers travaillant en soins palliatifs dans divers établissements de soins (CH des régions de Québec et de Chaudière-Appalaches, CLSC des régions de Québec, Chaudière-Appalaches et du Bas Saint-Laurent, la Maison Michel-Sarrazin de Québec et l’Ordre des infirmières de Victoria (VON) de Montréal), qui ont participé à un groupe de discussion ou répondu au questionnaire. Sans la participation de tous, les travaux n’auraient pu être menés à terme. Table des matières Principales implications pour les décideurs……..................................................... i Sommaire ................................................................................................................ ii Rapport Final ...........................................................................................................1 Problématique et recension des écrits ......................................................................2 Le stress au travail.......................................................................................3 Les stresseurs en soins palliatifs..................................................................4 Recherche : les grandes questions...............................................................5 Approche..................................................................................................................6 Partenariat avec cliniciens et décideurs......................................................6 Déroulement et diffusion..............................................................................6 Collecte des données qualitatives et quantitatives.......................................7 Résultats...................................................................................................................9 Phase I – Volet qualitatif .............................................................................9 Volet quantitatif .........................................................................................14 Implications............................................................................................................19 Phase II – Volet qualitatif ..........................................................................20 Conclusion .............................................................................................................21 Références..............................................................................................................23 Principales implications pour les décideurs À la suite de la restructuration du système de santé, du virage ambulatoire et de l’implantation du programme de lutte contre le cancer, les infirmières engagées dans le programme de soins à domicile, ont maintenant un rôle central dans la prestation des soins palliatifs. Bien que les orientations favorisent la dispense de services dans la communauté, le financement public des services à domicile n’a toutefois pas suivi. Dans plusieurs CLSC, la prestation des soins palliatifs demeure peu ou pas organisée et, dans un contexte de demandes accrues et de pénurie d’effectifs, le recrutement et la rétention de personnel infirmier dans ce secteur de soins spécialisé peuvent devenir problématiques. La recherche montre que : y Les stresseurs (agents stressants) organisationnels sont plus prééminents que les stresseurs professionnels et émotionnels. La principale source de stress pour les infirmières n’est pas de côtoyer quotidiennement des personnes en fin de vie mais davantage le fait qu’elles doivent se battre constamment dans un système désorganisé afin que ces personnes puissent vivre leurs derniers moments dans la dignité et dans le respect de leurs valeurs personnelles. Au plan organisationnel, il apparaît nécessaire d’adopter une approche concertée entre les établissements et les équipes spécialisées afin d’améliorer l’accessibilité à des soins cohérents et à des services adaptés aux besoins des patients et de leurs proches. y Les difficultés de communication et de collaboration interprofessionnelles sont d’importantes sources de détresse et d’insatisfaction chez les infirmières. Au plan professionnel, on devrait encourager la mise en place d’équipes interdisciplinaires centrées sur les besoins du patient et de ses proches et qui s’inspirent d’une philosophie commune. y Même si la prestation de soins palliatifs peut constituer une épreuve sur le plan psychologique, elle est également à la source d’émotions positives. L’accompagnement en fin de vie peut constituer une expérience enrichissante. Les infirmières — et plus particulièrement celles qui possèdent une expertise et font montre d’engagement pour ces soins — se disent satisfaites de leur travail. Malgré l’urgence de diminuer les stresseurs organisationnels et de reconnaître l’expertise professionnelle, il ne faut pas négliger l’importance du soutien émotionnel. Ce type d’aide favorise une prise de conscience des enjeux affectifs liés à l’expérience de la mort. Il permet également d’exprimer les émotions perturbatrices et de renforcer la quête de sens inhérente à la souffrance et au processus d’accompagnement en fin de vie. y Le niveau de stress semble moins élevé dans les CLSC que dans les centres hospitaliers (CH) ; la satisfaction que procure le travail y est également supérieure. Les CH sont considérés comme des endroits déshumanisés, où le statut des infirmières en soins palliatifs est peu valorisé. Par opposition, les infirmières qui procurent les soins à domicile jouissent d’une plus grande latitude décisionnelle et sont moins aux prises avec des conflits interprofessionnels. Les patients et leurs proches éprouvent également davantage de reconnaissance envers les infirmières qui se rendent au domicile. y Plus les infirmières disposent de soutien aux plan organisationnel, professionnel et émotionnel, plus les ressources personnelles pour faire face aux demandes inhérentes aux soins palliatifs leur semble accrues et les charges psychologiques moindres. i Sommaire Dans un contexte de restructuration du système de santé et d’une pénurie d’effectifs, l’attraction et la rétention du personnel infirmier dans le secteur des soins palliatifs — un secteur en plein développement — constitue un défi de taille. La recherche s’inscrit dans le domaine de la gestion et de l’organisation de la pratique infirmière et, plus spécifiquement, dans le contexte du virage ambulatoire et du développement des services de santé à domicile. Au Canada, à l’instar d’autres pays occidentaux, la population vieillit et les exigences en soins et traitements de santé augmentent avec l’âge. De plus en plus de personnes au Québec, comme ailleurs au Canada, optent, en cas de pronostic de cancer avancé, pour vivre le plus longtemps possible chez elles et même pour terminer leur vie à la maison, si la situation le permet. Ainsi, l’augmentation du nombre de patients en fin de vie désirant mourir à domicile, d’une part, et la pression exercée sur les décideurs et les gestionnaires pour que les patients reçoivent des soins et des services de qualité, d’autre part, font ressortir l’urgence de structurer l’organisation des soins palliatifs. Le stress au travail survient lorsqu’il y a un déséquilibre entre, la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement, et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. Bien qu’une relation entre le stress et la satisfaction au travail ait été documentée dans plusieurs secteurs d’activité, on connaît peu l’importance de cette relation dans le contexte plus spécifique du travail en soins palliatifs. La recherche offre ainsi une meilleure compréhension du stress lié à la prestation de soins palliatifs et des facteurs associés à une plus grande satisfaction chez le personnel infirmier dans ce domaine spécialisé. Implications pour les décideurs L’étude met en relief la nécessité de mettre en place des mécanismes de soutien organisationnel, professionnel et émotionnel. Pour atteindre cet objectif, il faut toutefois considérer de façon synergique le partage de responsabilité individuelle, professionnelle, institutionnelle, communautaire et sociétale. Au niveau individuel, l’engagement personnel du soignant constitue une source primaire de motivation et de satisfaction au travail. Le contexte de l’accompagnement apparaît comme une opportunité. Par contre, il ne faut pas négliger l’importance du soutien émotionnel qui consiste à favoriser une prise de conscience des enjeux affectifs liés à l’expérience de la mort, à exprimer les émotions difficiles et à renforcer la quête de sens inhérente à la souffrance et au processus d’accompagnement en fin de vie. Au niveau professionnel, la collaboration interdisciplinaire centrée sur les besoins du patient et des proches, où les rôles de chacun sont définis selon ces besoins et non selon les besoins des intervenants ainsi que le partage d’une philosophie commune peuvent constituer une source de ii satisfaction supplémentaire. De plus, en bénéficiant du soutien des autres professionnels, cela permet de briser l’isolement. Cela nécessite toutefois le développement d’expertises complémentaires et la possibilité de rencontres entre les différents groupes spécialisés. Au niveau institutionnel et communautaire, il faut améliorer l’accessibilité à des soins cohérents et à des services adaptés aux besoins des patients et de leurs proches. Chaque institution doit se doter de mesures organisationnelles comme une mission claire, des objectifs précis et un plan d’action décrivant des mécanismes concrets comme, par exemple, des outils de communication, une garde médicale 24/7, des protocoles anticipés, une trousse d’urgence, etc.. Cela nécessite toutefois une approche concertée au sein de l’établissement et entre les établissements et les équipes spécialisées, comme ce qui se retrouve dans les réseaux intégrés en oncologie. L’idée est de favoriser la continuité des soins et des services, peu importe le lieu de prestation. Le but n’est pas nécessairement de mourir à la maison mais de maximiser le confort et le maintien à domicile et d’accompagner pendant la maladie et la souffrance. Enfin au niveau sociétal, il faut poursuivre la réflexion sur la place et les valeurs accordées aux soins en fin de vie. Les résultats Les stresseurs Les résultats mettent en relief la prépondérance des stresseurs organisationnels. Ce n’est pas tant le fait de côtoyer quotidiennement des personnes mourantes qui stresse le plus les infirmières, mais davantage le fait qu’elles doivent se battre constamment dans un système fragilisé pour que ces personnes puissent vivre leurs derniers moments dans la dignité et le respect de leurs valeurs propres. Le fait que les soins palliatifs ne soient pas considérés comme une spécialisation, qu’il n’y ait ni structure, ni planification formelle des soins, ni intégration des services, que les infirmières ne participent pas aux prises de décisions administratives, que les ressources manquent et qu’il y ait un surcroît de travail, sont autant de facteurs stressants sur le plan organisationnel. Parmi les stresseurs au plan professionnel, on note les divergences philosophiques relativement à la prestation des soins, la collaboration interprofessionnelle difficile, la reconnaissance quasi inexistante des compétences des infirmières spécialisées, le manque de formation continue et l’absence de qualification des nouvelles recrues, la difficulté à soulager la douleur et le manque de temps nécessaire pour accompagner les patients et leurs proches. Au plan émotionnel, l’étude met en évidence des stresseurs liés à l’impuissance face à la souffrance et à la mort, à l’exposition à des deuils multiples, à la détresse des patients et de leurs proches ainsi qu’à l’impossibilité pour les soignants d’exprimer leurs émotions. iii Stress au travail, détresse et satisfaction En dépit des facteurs de stress, le travail demeure satisfaisant. Les niveaux de stress et de détresse sont acceptables et comparables à ceux d’autres catégories de travailleurs. Même si le travail est psychologiquement éprouvant, il est également source d’émotions positives. La détresse et l’insatisfaction sont surtout la conséquence de contraintes organisationnelles. Niveaux de stress selon les endroits où les soins sont dispensés Les résultats du volet qualitatif tendent à prouver qu’il y a peu de différences entre les divers endroits (domicile/CLSC et centre hospitalier) où sont dispensés les soins. Par contre, les conclusions du volet quantitatif permettent de conclure que le niveau de stress au travail est supérieur dans les centres hospitaliers. Plus spécifiquement, le fait de travailler dans les CH serait plus exigeant pour les infirmières sur le plan des charges psychologiques, serait moins satisfaisant et leur laisserait moins de latitude décisionnelle. Approche Il s’agit d’une étude descriptive pour laquelle on a adopté une méthode de triangulation par la combinaison de différentes populations (infirmières et gestionnaires) et de diverses approches de collecte de données (qualitative et quantitative). La première phase a été effectuée auprès d’une population d’infirmières, selon une approche qualitative et quantitative. Le volet qualitatif, abordé par le biais d’une série de groupes de discussion combinée à des entrevues individuelles, a permis de décrire les caractéristiques des stresseurs, leurs facteurs de production ainsi que la recherche des conditions qui en favorisent l’éclosion. Le volet quantitatif s’est effectué par voie de questionnaire et a permis de décrire les relations entre le soutien au travail (organisationnel, professionnel et émotionnel), les demandes associées à ce travail (incluant les demandes d’ordre psychologique et émotionnel) et les ressources telles que les individus les perçoivent (incluant la latitude décisionnelle, les récompenses et le sentiment de compétence). Au cours de la seconde phase, les résultats de la collecte d’information auprès des infirmières ont été présentés aux décideurs et aux gestionnaires qui les ont analysés dans le cadre de deux groupes de discussion. iv Dans un contexte de restructuration du système de santé et d’une pénurie d’effectifs, l’attraction et la rétention du personnel infirmier dans le secteur des soins palliatifs constituent un défi de taille. La recherche s’applique au domaine de la gestion et de l’organisation de la pratique infirmière et, plus spécifiquement, dans le contexte du virage ambulatoire et du développement des services de santé à domicile. Au Canada, comme dans d’autres pays occidentaux, la population vieillit et les exigences en soins et traitements de santé augmentent avec l’âgei. Selon l’Association canadienne des soins palliatifs (ACSP), l’objectif collectif doit viser à «ne plus considérer les soins palliatifs comme des soins destinés aux mourants, mais bien comme des soins ayant pour but de soulager la souffrance et d’améliorer la qualité de vie pendant toute l’expérience de la maladie et du deuil.»ii Par ailleurs, l’Association québécoise des soins palliatifs (AQSP) définit ce type de soins comme «l’ensemble des interventions nécessaires à la personne atteinte d’une maladie dont l’évolution compromet la survie, ainsi qu’à ses proches, afin d’améliorer leur qualité de vie en considérant les besoins de toutes dimensions»iii. Au Québec comme ailleurs au Canadaiv,v, de plus en plus de personnes optent, en cas de pronostic de cancer avancé, pour vivre le plus longtemps possible chez elles et même pour terminer leur vie à la maison, si la situation le permet. Ainsi, l’augmentation du nombre de patients en fin de vie désirant mourir à domicile, d’une part, et la pression exercée sur les décideurs et les gestionnaires pour que les patients reçoivent des soins et des services de qualitévi, d’autre part, créent l’urgence de structurer l’organisation des soins palliatifs. Au Québec, des mesures ont été prises afin d’améliorer le transfert des soins au terme de la vie vers le milieu communautaire. Avec la restructuration du système de santé et le virage ambulatoirevii ainsi que l’implantation du programme de lutte contre le cancerviii, les infirmières1 engagées dans le programme du soutien à domicile (SAD), dans les centres locaux de services communautaires (CLSC), ont acquis un rôle central dans la prestation des soins palliatifs. 1 Étant donné que les femmes représentent la majeure partie de l’effectif des infirmières et des infirmiers, nous utiliserons, dans ce document, le terme infirmière pour faire référence à l’ensemble du personnel infirmier. Cela a pour but de faciliter la lecture du texte et non pas de nier l’importance des infirmiers. 1 Bien que les orientations favorisent les services dans la communauté, le financement public des services à domicile n’a pas suivi. La réforme du système de santé a modifié le partage des responsabilités entre le Ministère, les régies régionales et les établissements publics. Le territoire québécois a été divisé en 18 régions sociosanitaires dont chacune possède une régie déterminant les budgets alloués au SAD. Ainsi, la répartition financière allouée au soutien à domicile en général et la prestation des soins palliatifs en particulier n’est pas égale d’un territoire à l’autreix. Selon le Rapport Lambert Lecompte sur l’état de situation des soins palliatifs au Québecx, maints CLSC demeurent peu ou pas organisés en ce qui concerne la prestation des soins palliatifs. Les modes de prestation actuels respectent peu les principes et les normes de pratique récemment publiés et acceptés à l’échelle canadienneii. Par ailleurs, la qualité des soins dépend des connaissances, des compétences et de la disponibilité du personnel infirmierxi. Dans un contexte de pénurie d’effectifs, l’attraction et la rétention des infirmières dans le secteur des soins palliatifs deviennent problématiques comme dans d’autres secteurs de soins infirmiers spécialisés. Étant donné que les infirmières font partie des acteurs clés dans la prestation des soins palliatifs, il est important d’avoir une meilleure compréhension du stress lié à leur pratique ainsi que les facteurs associés à leur satisfaction et à leur qualité de vie au travail. En somme, l’organisation des soins palliatifs, dans un contexte de manque de ressources financières, humaines et matérielles, constitue un défi de taillexii. Les résultats de notre recherche peuvent donc contribuer à mieux orienter les choix organisationnels qui s'imposent dans un secteur de santé en plein développement. Problématique et recension des écrits L’infirmière joue un rôle pivot dans la prestation les soins de fin de vie. Les stresseurs liés à son travail sont mal connus. Les rares études n’ont pas tenu compte de la diversité des milieux et des modèles d’organisation de soins. La plupart des études ne permettent pas de circonscrire la nature des stresseurs et leur dynamique de production. 2 Par suite des nombreuses transformations structurelles du réseau de la santé, l’organisation du travail des soins infirmiers a été profondément bouleversée, notamment par d’importantes compressions budgétaires et le départ précipité à la retraite d’un bon nombre d’infirmières, entre 1996 et 1997. Les effets négatifs de ces transformations ont fait l’objet d’une étudexiii, mettant en évidence des problèmes de santé mentale chez les infirmières de l’agglomération de Québec. Celles-ci déclarent avoir été exposées à un niveau élevé de demandes psychologiques au travail et n’avoir reçu qu’un faible soutien de leurs collègues ou de leurs supérieurs. En conséquence, elles estiment avoir perdu le sens de leur travail et se sentir démobilisées et essoufflées. Une récente synthèse des écritsxiv dénonce comment les problèmes auxquels se heurtent aujourd’hui les infirmières semblent émaner des milieux de travail rendus de plus en plus difficiles par les compressions et les perturbations des années 90. Bien qu’une relation entre le stress et la satisfaction au travail ait été documentée dans plusieurs secteursxv, on connaît encore trop peu l’importance de cette relation dans le contexte plus spécifique du travail en soins palliatifs. Étant donné que les infirmières doivent, dans ce secteur de soins, assumer une fonction de plus en plus exigeante qui nécessite des connaissances, des habiletés et une motivation spécifiques, il est important d’avoir une meilleure compréhension du stress associé à leur environnement de travail. Le stress au travail Le stress au travail «survient lorsqu’il y a un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face»xvi. Afin de rendre cette définition opérationnelle, on utilise souvent le modèle portant sur le déséquilibre entre les exigences du travail et la possibilité de contrôle, élaboré par Karasek et Theorellxvii,xviii. En y incluant les modifications proposées par Johnson & Hallexix, soit l’ajout du soutien social au travail, ce modèle propose que le stress au travail soit associé à une demande psychologique élevée, combinée à une latitude décisionnelle restreinte et à un faible soutien des collègues. Afin de compléter ce premier modèle, il est fréquent d’ajouter les variables provenant du modèle portant sur le déséquilibre entre l’effort et les récompenses, élaboré par Siegristxx. 3 Ce second modèle propose que le stress au travail soit observé lorsque l’effort dépasse les récompenses obtenues. Les écrits font également mention de la limite associée à l’aspect global ou général de ces deux modèlesxxi pour expliquer la relation entre le stress au travail et la satisfaction des employés dans des contextes spécifiques, comme le travail en soins palliatifs. Pour s’ajuster aux caractéristiques de certains environnements de travail comme celui des soins palliatifs, on suggère l’inclusion de mesures supplémentaires permettant de prendre en compte les dimensions spécifiques des demandes de l’environnement de travail à l’étudexxii. Le recours à de tels instruments permet de décrire, de façon valide et fidèle, les sources de stress provenant de l’environnement de travail. Certains de ces outils de mesure incluent également les événements positifsxxiii. La liste des événements positifs ou des conditions favorables demeure toutefois peu exhaustive. En effet, celle-ci n’a été incluse que dans quelques listes de stresseurs au travail en général (latitude décisionnelle, récompense). Les stresseurs en soins palliatifs La plupart des études descriptives recensées portant sur le travail en soins palliatifs se sont limitées à décrire les besoins des infirmièresxxiv,xxv,xxvi,xxvii. Quoique théoriquement lié, le concept de besoins diffère de celui des stresseurs. Ces études n’ont qu’indirectement documenté les stresseurs et les conditions favorables liés au travail comme tel. Par ailleurs, les quelques études recensées qui décrivent les stresseurs spécifiques aux soins palliatifs ont utilisé une approche quantitative simplifiée, correspondant à la seule énumération de ceux-ci, et ont été réalisées en centres hospitaliers uniquementxxviii,xxix,xxx,xxxi. Une seule d’entre elles a été conduite au Québecxxx. En combinant les études de besoins et les études de stresseurs, l’ensemble des facteurs de stress identifiés et décrits dans les écrits scientifiques peuvent être regroupés sous trois catégories : 1. les stresseurs organisationnels (work stressors); 2. les stresseurs professionnels (role stressors); 3. les stresseurs émotionnels (patient/family stressors). Parmi les stresseurs organisationnels, on trouve la surcharge de travail, la faible implication dans les décisions, le manque de reconnaissance, l’ambiguïté des rôles, le manque de soutien de l’organisation24,27,xxxii,xxxiii,xxxiv,36. 4 Les stresseurs professionnels concernent plutôt les exigences liées au rôle de l’infirmière comme la difficulté à soulager la douleur, le manque de formation ou la préparation insuffisante dans les soins à donner aux mourants, le manque de temps à consacrer aux patients et à leurs proches, les difficultés de communication avec les collègues et les médecins, la faible latitude décisionnellexxiv,27,xxxv,xxxvi. Enfin, parmi les stresseurs émotionnels, surviennent les deuils multiples, les réactions négatives du patient et de la famille, l’anxiété, le déni de la mort ainsi que le manque de soutien émotionnel27,28,29,xxxvi. Au problème de limitation de la mesure et du nombre restreint d’études, s’ajoute le fait que le lieu de prestation des soins (institution/domicile), de même que le niveau de développement de la structure organisationnelle au sein de l’établissement de soins (peu ou bien organisé), n’ont pas été pris en considération. De plus, étant donné la spécificité de la réalité québécoise dans le domaine des soins palliatifs, comme le souligne Lambert & Lecomptex, nous croyons que l’approche quantitative (recours à des inventaires de stresseurs) ne parvient pas à rendre compte de toute la complexité des situations vécues par les infirmières. En somme, les données existantes sont imprécises, peu nombreuses et peu représentatives des caractéristiques de la pratique des soins palliatifs dans le contexte québécois, surtout à domicile. Notre recherche propose donc de combler ce déficit. Recherche : les grandes questions 1. Quels sont les stresseurs associés au travail infirmier en soins palliatifs? 2. En quoi ces stresseurs sont-ils semblables ou différents selon le milieu de pratique (domicile ou institution) ? 3. Quelles sont les conditions favorables ou les ressources susceptibles d’améliorer la satisfaction et la qualité de vie des infirmières en soins palliatifs ? 4. Quelles sont les relations entre les stresseurs ou les demandes, les ressources perçues, la qualité de vie et la satisfaction au travail ? 5 Approche Il s’agit essentiellement d’une étude descriptive. Pour répondre aux questions de recherche, deux approches ont été adoptées, l’une quantitative et l’autre qualitative et deux catégories de populations ont été approchées, soit des infirmières et des gestionnaires. Cette démarche comporte deux phases illustrées à la figure 1, soit : a) la collecte de données qualitatives et quantitatives auprès des infirmières (groupes de discussion2 et questionnaires validés); b) la collecte de données qualitatives auprès des décideurs et des gestionnaires (groupes de discussion). Partenariat avec cliniciens et décideurs Dès la conceptualisation de l’étude, un comité de suivi, composé d’infirmières responsables des soins palliatifs dans divers établissements de soins des régions 03 et 12, a été constitué. Le comité s’est réuni à douze reprises échelonnées sur trois ans. Les membres du comité ont assisté l’équipe de chercheurs à toutes les étapes du processus de la recherche. Ils ont rédigé les questions inhérentes à la recherche, élaboré et facilité les procédures de recrutement, validé le contenu du questionnaire et l’analyse qualitative du contenu des travaux proposés aux groupes de discussion, facilité l’interprétation des données quantitatives et participé à l’élaboration du plan de diffusion résumé au tableau 1. Déroulement et diffusion La collecte des données a débuté à l’hiver 2001 et s’est terminée au printemps 2002. Les échantillons de la première phase étaient constitués d’infirmières travaillant en soins palliatifs dans les principaux lieux de prestation, soit dans les centres hospitaliers (CH), dans les institution spécialisée (hospice) et à domicile (dans les CLSC). Les détails de l’échantillonnage sont précisés à la figure 1. Phase 1 En ce qui concerne le volet qualitatif, 60 infirmières ont participé à neuf groupes de discussion (4 groupes issus de divers CH : CHUQ, Hôpital Laval, Hôtel-Dieu de Lévis; 1 groupe de la 2 Terme anglais généralement employé en recherche pour désigner des groupes de discussions focalisés. 6 Maison Michel-Sarrazin (La MMS ; hospice); 3 groupes de CLSC des régions 03 et 12 ; 1 groupe de l’Ordre des infirmières de Victoria (VON) de Montréal). Sur les 146 infirmières invitées, 110 se sont prêtées au jeu. Soixante ont participé aux entrevues de groupe et 50 aux entrevues téléphoniques individuelles. Les rencontres de groupes ont duré approximativement deux heures et les entrevues téléphoniques environ 20 minutes. Le contenu des échanges a été enregistré sur des cassettes audio, après consentement des participantes. Concernant ce volet qualitatif, deux articles ont fait l’objet de publications récentesxxxvii,xxxviii. Les détails méthodologiques y sont décrits. En ce qui concerne le volet quantitatif, les participantes provenaient de trois centres hospitaliers universitaires (CHUQ, CHA-Lévis, Hôpital Laval) et de tous les CLSC des régions 01, 03 et 12. Au total, 611 questionnaires ont été acheminés; 214 questionnaires ont été retournés dûment remplis et 5 ont été éliminés en raison de données manquantes. Le taux global de participation est de 35%. Le taux réel serait supérieur mais demeure difficile à préciser car les listes de noms comportaient des erreurs indétectables. L’échantillon n’est que partiellement représentatif de la population des infirmières en soins palliatifs des régions 03 et 12. La taille de l’échantillon est toutefois suffisamment importante pour permettre une étude corrélationnelle. Phase 2 Un échantillon de 20 décideurs et gestionnaires a participé à deux groupes de discussion. Il s’agissait d’individus engagés dans les prises de décision politique ou administrative concernant l’organisation ou la gestion des soins palliatifs, et ce à différents niveaux : provincial (MSSSQ, le Centre de coordination de la lutte contre le cancer et l’AQSP), suprarégional (la MMS), régional (l’Ordre régional des infirmières et des infirmiers des régions 03 et 12), local (CH et CLSC des régions 03 et 12). Au préalable, un document de travail, résumant les points de vue des infirmières sur les stresseurs et les conditions favorables liés au travail en soins palliatifs, a été remis aux décideurs et aux gestionnaires comme outil de réflexion et de discussion de groupe. Collecte des données qualitatives et quantitatives La méthode de collecte de données consistait en des groupes de discussion et des questionnaires. 7 Groupes de discussion Aux phases 1 et 2, la tenue de groupes de discussion visait essentiellement à donner tout d’abord la parole aux infirmières, et ensuite aux gestionnaires, afin de mieux circonscrire la nature des stresseurs liés au travail infirmier en soins palliatifs, et celle des conditions qui en favorisent l’éclosion. L’exercice avait ensuite pour but de trouver des pistes de solutions pour améliorer la satisfaction au travail. Notre recherche visant à découvrir ce qu’on ignore ou à approfondir ce qu’on sait à peine, on a choisi la méthode du focus group, qui permet d’utiliser explicitement l’interaction de groupe pour faciliter l’émergence de thèmes, d’idées et de points de vue difficilement accessibles autrementxxxix,xl,xli. La constitution de groupes homogènes d’infirmières a été effectuée selon des critères de sélection permettant de comparer des établissements dont la prestation de soins palliatifs se fait en institution (CH et MMS) et à domicile (CLSC et VON). Par ailleurs, l’homogénéité des groupes a également été établie selon des critères permettant de comparer des établissements dotés d’une structure de soins palliatifs bien organisée (MMS et VON) par rapport à d’autres moins bien nantis sur ce plan. Un guide a été élaboré dans le but d’amener les participantes à discuter des thèmes pertinents au sujet de la recherche : 1. les stresseurs tels qu’ils sont vécus dans leur milieu de pratique; 2. les conditions facilitant leur pratique; 3. les stratégies utilisées pour contrer ou diminuer les stresseurs ; 4. les mesures organisationnelles à mettre en oeuvre pour améliorer les conditions de travail et la qualité de la pratique. Questionnaires Les demandes et les ressources disponibles au travail ont été évaluées par le biais des deux dimensions générales du stress au travail proposées par Karasek (Demande psychologique et latitude décisionnelle), combinées aux deux composantes proposées par Siegrist (Effort extrinsèque et récompenses). Afin d’inclure les caractéristiques spécifiques au contexte des soins palliatifs, on a également tenu compte des demandes émotionnelles spécifiques à ce 8 domaine ainsi que du sentiment d’efficacité personnelle à prodiguer des soins palliatifs de qualité. Par ailleurs, le stress au travail a été documenté en tenant compte du soutien disponible au travail (soutien des collègues et des supérieurs ou soutien professionnel) auquel on a ajouté les facteurs organisationnels (ex. :climat humaniste de l’organisation) et émotionnels (ex. :soutien émotionnel au travail). Ainsi, le questionnaire incluait plusieurs instruments validés en français permettant la mesure des concepts suivants : 1. le soutien au travail ; 2. les demandes associées au travail ; 3. les ressources perçues pour faire face à ces demandes ; 4. la satisfaction au travail ; 5. la qualité de vie émotionnelle. Les questionnaires et leurs références sont précisés à l’annexe A. Résultat Phase 1 - Volet qualitatif Points de vue des infirmières à propos des stresseurs liés à leur travail en soins palliatifs L’analyse qualitative des stresseurs selon les dimensions organisationnelle, professionnelle et émotionnelle permet de mieux comprendre la nature et la dynamique de production de ceux-ci ainsi que les sentiments négatifs et l’insatisfaction qu’ils provoquent. Dans l’ensemble, les infirmières ont identifié et décrit davantage de stresseurs organisationnels que de stresseurs professionnels et émotionnels. Alors que plusieurs sources de stress ont été directement associées à des conditions de travail difficiles et à un manque de reconnaissance et de soutien de l’organisation, d’autres, moins nombreuses, se sont avérées liées aux exigences de la pratique elle-même et à l’expérience émotionnelle des soignants face à la souffrance et à l’angoisse fondamentale de la mort. 9 Que ce soit dans les CH ou dans les CLSC, où généralement les soins palliatifs sont peu organisés, l’analyse qualitative a permis de réaliser que ce n’est pas tant le fait de côtoyer quotidiennement des personnes en fin de vie qui stresse le plus les infirmières, mais davantage le fait qu’elle doivent se battre constamment dans un système fragilisé pour que les mourants puissent vivre leurs derniers moments dans la dignité et le respect de leurs valeurs propres. Que ce soit en institution ou à domicile, le manque d’organisation structurelle et de planification formelle des soins palliatifs engendrent chez les infirmières des sentiments de frustration, de colère et même d’indignation. L’absence d’unités spécifiques de soins palliatifs est typique aux centres hospitaliers des régions de Québec et de la Rive-Sud. Cependant, il existe, dans chaque hôpital, une équipe de soins palliatifs, dite «itinérante», dont la fonction n’est que consultative, d’où le peu de pouvoir de décision et d’action de ses membres : «Même s’il y a un mourant, si l’équipe n’est pas demandée, elle n’est pas dans le dossier». Les médecins de l’équipe des soins palliatifs n’ont pas de charge de patients et ne peuvent pas hospitaliser en leur propre nom. Ainsi, le fait que, dans la culture organisationnelle, on ne reconnaisse pas la spécificité des soins palliatifs, entraîne un morcellement de l’approche des problèmes des malades qui ont un diagnostic réservé et qui se trouvent «ballotés» d’un spécialiste à un autre sans que pour autant leur condition s’améliore. Les infirmières constatent une certaine confusion dans les niveaux de soins attribués aux malades en fin de vie et déplorent leur impuissance face à des situations dramatiques : «Le patient se meurt, il est codé, on saute dessus et on le transfère aux soins intensifs. Cinq minutes après, il est intubé, il est pris après un respirateur. Malheureusement, il y en a qui meurent au bout des tubes». Les infirmières qui travaillent dans les CLSC déplorent également que l’on ne reconnaisse pas la spécificité des soins palliatifs, mais cette fois, au sein du programme du soutien à domicile. Selon elles, le virage ambulatoire a été improvisé sans qu’aient été préalablement mises en place toutes les conditions nécessaires pour assurer la continuité et la qualité des soins et des services à domicile. Comme plusieurs CLSC n’ont pas d’équipe dédiée aux soins palliatifs, les infirmières se retrouvent souvent seules à devoir résoudre tous les problèmes qu’elles rencontrent au cours de leurs visites chez les patients en fin de vie. Elles parlent alors d’une tension qui se crée entre 10 deux faits contradictoires : l’isolement de l’infirmière qui prodigue des soins palliatifs à domicile et son incapacité légale et professionnelle de répondre à tous les problèmes soulevés, comme la prescription d’anti-douleurs. Le manque de médecins de famille qui acceptent de faire des suivis à domicile constitue également un stresseur important qui perturbe le travail des infirmières oeuvrant dans les CLSC. Celles-ci ressentent aussi de la frustration quand elles ne peuvent pas joindre de professionnels de la santé pour soulager les malades, surtout les fins de semaine. D’autre part, il arrive que des patients rentrent chez eux, mais reviennent peu après dans le système en rentrant à l’urgence : «C’est le phénomène de la porte tournante, on sort de l’hôpital pour y revenir aussi vite», déclarent les infirmières. En CH, on valorise peu le statut des infirmières spécialisées en soins palliatifs. Il y aurait peu de place pour une approche humaniste dans des établissements de soins décrits comme des «usines de curatif», où l’efficacité et la rentabilité sont primordiales. Les infirmières trouvent difficile de travailler dans un environnement où on discrédite continuellement leur statut : «J’ai déjà entendu le mot têtage, taponnage, c’est un trip de gang, ils sont dans leurs fleurs et leur musique, pour décrire les soins palliatifs». Il n’est pas surprenant, selon elles, que dans une culture de l’organisation qui privilégie la rationalité techno-scientifique, les soins curatifs et les soins critiques. Les infirmières avouent leur amertume devant le manque de reconnaissance de leur statut au sein de l’organisation et dénoncent leur manque de participation aux décisions administratives. Elles estiment en outre qu’il leur est difficile de s’ajuster constamment à une organisation de travail qui exige de prodiguer, à la fois, des soins curatifs et des soins palliatifs. Elles déplorent un système à deux vitesses qui crée l’obligation de combiner des tâches techniques et une disponibilité affective. Elles parlent aussi d’un sentiment de perte de contrôle sur leur environnement de travail et de rupture de confiance envers les gestionnaires qui prennent des décisions dont elles ne comprennent pas la rationalité. Selon elles, recourir davantage au travail à statut précaire, à temps partiel et au travail occasionnel (sur appel), contribue à désorganiser de plus en plus les équipes d’infirmières et à désengager le personnel infirmier. 11 Dans les CLSC, les infirmières parlent de budgets mal répartis, d’un manque d’argent, d’effectifs et de matériel. Elles déplorent la surcharge de travail, l’isolement et la confusion dans les rôles et les responsabilités. À la suite du virage ambulatoire, on encourage les gens à recevoir des soins à domicile. Tout un paradoxe selon les infirmières, les ressources dans les CLSC faisant cruellement défaut. Le manque d’argent et d’effectifs crée une surcharge de travail, spécialement parmi les infirmières plus âgées. C’est en effet surtout à elle qu’on a tendance à faire appel pour une diversité de problèmes, compte tenu de leur vaste expérience. Les stresseurs professionnels et émotionnels décrits par les infirmières sont semblables quel que soit le milieu de pratique, parce qu’ils sont inhérents à la nature même de la pratique des soins palliatifs. Les stresseurs professionnels sont particulièrement associés aux exigences du rôle de l’infirmière, aux principes éthiques, aux rapports de pouvoir et aux conflits de valeurs générés par l’interaction des différents acteurs auprès du malade et de ses proches. Il s’agit, plus particulièrement, du manque de collaboration des médecins, des collègues et des autres professionnels de la santé, de la difficulté à soulager la douleur et à contrôler les symptômes, du manque de temps pour accompagner les patients et leurs proches et de la difficulté à prendre la distance souhaitable dans la relation thérapeutique. Quant aux stresseurs émotionnels, ils sont généralement associés à l’expérience des intervenants face à la souffrance et à la mort. Il s’agit, entre autres, de l’angoisse face à la mort, de l’impuissance devant la souffrance de l’autre et de la confrontation aux deuils multiples. Après avoir fait état des stresseurs qui nuisent à leur environnement de travail ou à la pratique des soins palliatifs, les infirmières ont dévoilé, en contrepartie, les conditions favorables à la prestation de soins palliatifs en institution ou à domicile, qui contribuent à augmenter leur degré de satisfaction et de motivation au travail. Ces conditions favorables, réelles ou souhaitées, font réaliser à quel point le soutien qui doit leur être accordé est important tant sur le plan organisationnel que professionnel et émotionnel. 12 Points de vue des infirmières à propos des conditions favorables liées à leur travail en soins palliatifs Dans un contexte de changement, certaines structures sont jugées nécessaires pour reconnaître la spécificité des soins palliatifs et pour en assurer l’organisation efficace et la planification stratégique. Les conditions favorables regroupent tous les éléments jugés propices pour élaborer une organisation structurelle des soins palliatifs digne de ce nom : des unités dédiées aux soins palliatifs dans les CH qui conservent toutefois des équipes itinérantes, des programmes structurés de soins palliatifs dans les CLSC et un réseau de services intégrés sur les territoires ; un plan stratégique avec une mission commune, des objectifs clairs et la mobilisation des ressources ; des mesures pour assurer à domicile un contrôle de la douleur et des symptômes; des budgets alloués à la formation ; des outils de communication et une collaboration entre les intervenants et les établissements. Appartenir à une équipe spécialisée en soins palliatifs permet d’obtenir une reconnaissance professionnelle, une démarche réflexive concernant les pratiques, une collaboration interprofessionnelle et une participation collective à la prise de décisions, pour le bien-être des patients et de leur famille. Une autre condition favorable liée à la pratique infirmière en soins palliatifs est le soutien professionnel qu’offre l’équipe interdisciplinairexlii,xliii,xliv. Le sentiment de compétence ou de contrôle sur son travail est souvent associé au fait d’appartenir à une équipe spécialisée. Les réunions doivent fournir l’occasion de réfléchir sur les attitudes et les comportements à adopter à la lumière des témoignages des autresxlv. Une démarche réflexive qui permet d’atteindre des buts réalistes contribue à maintenir la satisfaction au travail. Le sentiment d’efficacité, l’estime de soi et la réussite sont autant d’éléments positifs contribuant à la construction identitaire. La reconnaissance professionnelle devient alors une source importante de motivation et de satisfaction au travailxlvi,xlvii. Un autre facteur structurant dans un contexte de changement est le lien entre le développement organisationnel et le développement professionnel. 13 Après la réorganisation des soins et des services de santé, plusieurs infirmières déplacées ont dû faire face à de nombreuses difficultés dans leur milieu de pratiquexlviii. À cet effet, certains auteursxlix,l font ressortir la nécessité de connaître les besoins en formation et de créer des politiques administratives qui visent le développement de l’expertise. Ainsi, la qualité des soins prodigués aux patients s’en trouvera amélioréeli. Sur le plan émotionnel, certaines stratégies permettent de mieux gérer le stress et certaines mesures organisationnelles peuvent aider les soignants à exprimer leurs émotions. Les infirmières considèrent que le fait de développer un réseau de soutien informel dans leur milieu de travail, ou en dehors, constitue le moyen le plus efficace de réduire les effets négatifs du stress au travail. Certaines situations créent de la souffrance ou de l’angoisse parmi les soignants, qu’ils doivent pouvoir exprimer. La mise sur pied de groupes d’échanges formelslii psycho-existentiels animés par un professionnelliii,liv ou encore des ateliers de gestion du stress ayant par exemple pour thème : « Prendre soin de soi », constitue un autre moyen efficace d’exprimer souffrance et angoisse. Volet quantitatif Tout en demeurant associé à un niveau de stress comparable à ce qui se retrouve ailleurs, le travail en soins palliatifs comporte de nombreux défis. Stress au travail Les différentes sources de stress et plusieurs des conditions qui en favorisent l’éclosion figurent dans le volet quantitatif. Ce volet fait état des demandes spécifiques et ressortir l’importance d’équilibrer les demandes et les ressources, ainsi que du soutien nécessaire, perçu comme déterminant de cet équilibre. En se fondant sur les échelles de Karasek (Demandes psychologiques et Latitude décisionnelle) et de Siegrist (Effort et Récompenses) et en comparant ces résultats avec des moyennes populationnelles québécoises, on peut conclure que les charges psychologiques sont élevées dans ce secteur de soins. Toutefois, si l’on considère l’ensemble des indicateurs permettant d’estimer l’équilibre entre les demandes et les ressources, on constate que 14 le niveau de stress au travail équivaut à celui de la population des travailleurs en général.. Malgré un taux élevé de charges psychologiques, les infirmières semblent obtenir le soutien minimal pour y faire face et savent mobiliser leurs ressources. Détresse Les infirmières oeuvrant en soins palliatifs présentent un niveau de détresse inférieur à la population féminine en général, contrairement à d’autres secteurs de pratique infirmière. Une analyse plus détaillée révèle toutefois chez elle un niveau de fatigue élevé. Ce résultat est surprenant car il contredit des données récentes, selon lesquelles les niveaux de stress sont élevés parmi la population des infirmières en généralxiii,xiv. Ce résultat correspond toutefois aux conclusions d’une recension selon laquelle les niveaux de détresse sont inférieurs parmi les infirmières oeuvrant en soins palliatifs que parmi celles qui travaillent au sein d’autres secteurs de soinslv. Pour expliquer ce résultat, l’auteure insiste sur l’importance du soutien organisationnel, souvent davantage présent dans les unités de soins où il a été prévu au départ. Cette explication s’applique peu à notre étude, car les infirmières, tant à domicile que dans les CH, ne dispensaient pas uniquement des soins palliatifs mais aussi des soins en général. Satisfaction La moyenne de satisfaction au travail demeure assez élevée et se situe dans l’étendue des scores dont font état les documents inhérents. Sur le plan de la satisfaction au travail, on observe peu de différences selon que l’infirmière prodigue des soins palliatifs à domicile ou dans les CH. Le travail dans les CLSC semble toutefois être moins stressant et davantage satisfaisant. Niveaux de stress selon le milieu de prestation des soins Sur le plan du stress en milieu de travail, si l’on se fie aux conclusions du volet quantitatif, on note peu de différence entre les groupes étudiés. Toutefois, si l’on tient compte du volet quantitatif, on peut en déduire que ce type de stress est un peu plus élevé en milieu hospitalier. Il semblerait en effet que le fait de travailler dans les CH soit plus exigeant sur le plan des demandes émotionnelles et permettrait moins de latitude décisionnelle. En fait, 38 % des infirmières employées dans les CH déclarent être sujettes à des taux élevés de charges 15 psychologiques et ne jouir que d’une faible latitude décisionnelle, comparativement un taux de 15 % relevé parmi leurs collègues qui oeuvrent dans les CLSC. Ces résultats correspondent aux conclusions d’une synthèse des politiques récentes sur la pratique infirmière qui établissent un lien direct entre la latitude décisionnelle et la satisfaction au travailxiv. Si elles étaient étroitement associées à une équipe médicale dominante et à une hiérarchie des pouvoirs plus accentuée, on pourrait penser que les infirmières en CH seraient moins autonomes dans leur décision et percevraient leur charge de travail comme étant supérieure. Du point de vue du soutien, on ne note pas de différence selon le milieu de prestation des soins. En fait, le manque de soutien organisationnel, professionnel et émotionnel ne semble pas différer selon que l’infirmière travaille dans un CLSC ou dans un CH. Par ailleurs, on ne note aucune différence, selon le milieu, sur le plan de la demande émotionnelle associée aux soins palliatifs. La satisfaction et la détresse semblent davantage associées aux demandes émotionnelles du travail en général qu’aux demandes spécifiques du travail en soins palliatifs Force et précision des liens Plus l’infirmière reçoit de demandes, plus elle est insatisfaite et ressent de détresse. La demande correspond à la charge psychologique associée à la quantité, à la complexité, aux contraintes de temps et aux interruptions. De façon surprenante, la demande émotionnelle inhérente aux soins palliatifs n’est pas associée à la satisfaction. Elle est cependant faiblement liée à la détresse. On constate que l’exposition à la mort n’est associée ni à la satisfaction, ni à la détresse. Ces résultats correspondent à ceux du volet qualitatif qui fait également ressortir l’absence de liens directs entre l’accompagnement à la mort et la détresse des infirmières. Le volet qualitatif a par ailleurs permis de conclure que l’absence de lien direct peut s’expliquer par le fait que, même si l’expérience d’accompagnement à la mort demeure difficile, la charge émotionnelle à laquelle est soumis le soignant est souvent accompagnée de grands moments d’accomplissement et de satisfaction. Ces résultats figurent également dans une recension réalisée par Ramirez et al.lvi Ces auteurs précisent toutefois que dans certains cas l’accompagnement à la mort constitue une 16 expérience stressante et ce, particulièrement lorsque le patient est jeune, lorsque la relation entre l’infirmière et le mourant est plus intime, ou lorsque plusieurs décès arrivent dans un court laps de temps. L’étude a permis de conclure que la détresse du patient et de sa famille, ainsi que l’incertitude concernant les traitements, vont de pair avec la détresse des soignants. De plus, les conflits entre soignants et médecins sont éprouvants pour les soignants et, dans une moindre mesure, sources de détresse. Par ailleurs, nos résultats sont également compatibles avec d’autres recensionslvii,lviii selon lesquelles l’accompagnement à la mort peut être une source de stress mais constituer également une source d’émotions positives selon la signification donnée à l’expérience. Cette interprétation correspond aux travaux portant sur la quête de sens comme stratégie d’adaptationlix. La satisfaction découle en grande partie du soutien organisationnel et de la perception qu’ont les infirmières de leurs propres ressources pour faire face aux demandes En plus de faire valoir l’importance des liens, le volet quantitatif a permis de décrire la capacité prédictive du stress au travail. Les résultats concernant la détresse émotionnelle sont identiques d’un milieu de soins à un autre. Le stress au travail spécifique aux soins palliatifs n’a qu’un rapport minime, voire quasi nul, dans l’explication de la détresse. La détresse, tout comme la satisfaction, découle davantage des contraintes organisationnelles. On constate aussi que la satisfaction au travail diffère selon que l’infirmière travaille dans un CH ou dans un CLSC. Dans les CH, on constate surtout un manque de satisfaction en raison d’une surcharge de travail et d’un manque de latitude décisionnelle. Dans les CLSC, la satisfaction prend davantage la forme de récompenses ou se traduit par une plus grande valorisation du travail. Dans les deux cas, le soutien organisationnel apparaît comme un important prédictif de satisfaction. Plus l’infirmière se sent soutenue (par l’organisation, ses collègues et au niveau émotionnel), plus elle est satisfaite de son travail et moins elle présente de signes de détresse. Le soutien de l’organisation correspond ici à un climat d’humanisation qui tient compte des individus. Le soutien professionnel fait référence au soutien des supérieurs et à celui des 17 collègues qui travaillent ensemble dans un climat d’entraide. Le soutien émotionnel se définit comme la possibilité d’exprimer ses émotions au travail. Sur le plan de la satisfaction, 42 % de la variance peut s’expliquer par les éléments suivants : • travailler dans un CLSC; • jouir d’un plus grand soutien organisationnel; • entrevoir la possibilité de récompenses; • posséder une certaine latitude décisionnelle; • subir moins d’épreuves sur plan psychologique. Plus l’infirmière possède de ressources (latitude décisionnelle ou pouvoir de contrôle sur son travail, possibilité de mettre ses compétences à profit, de recevoir des récompenses et a le sentiment d’être efficace), plus elle est satisfaite et moins elle est en état de détresse. En CH, 47% de la satisfaction s’explique par le soutien organisationnel, la demande psychologique et la latitude décisionnelle. En CLSC, 31% de la satisfaction s’explique par le soutien organisationnel et le fait de pouvoir être récompensé pour son travail. Le sentiment d’efficacité personnelle à fournir des soins de qualité est inversement associé à la détresse des infirmières Plus l’infirmière reçoit de récompenses et se sent compétente dans son travail, moins elle rapporte de détresse. Par contre, plus elle reçoit de demandes éprouvantes sur les plans émotionnel et psychologique, plus elle rapporte de détresse. En diminuant directement le stress au travail, le soutien qui prévaut au travail augmente le taux de satisfaction et la qualité de vie émotionnelle des infirmières Analyse d’un modèle de stress en soins palliatifs Notre étude permet d’élaborer et d’analyser un modèle de stress au travail intégrateur. On a combiné à cette fin des modèles de déséquilibre de Karasek et de Siegrist auxquels on a ajouté le soutien et les demandes émotionnelles spécifiques aux soins palliatifs. Ce modèle est présenté à 18 la figure 2. L’analyse permet de conclure qu’un soutien élevé correspond à une perception accrue de ressources et moindre de demandes, d’où, pour les infirmières, un travail davantage satisfaisant et une meilleure qualité de vie émotionnelle. L’appui empirique à un modèle théorique d’adaptation au travail, qui privilégie le soutien comme concept déterminant de l’équilibre entre les demandes et les ressources, est compatible avec la proposition récente d’un modèle de stress et de soutien. Il permet en outre d’expliquer l’adaptation des aidants naturelslx. Dans ce cas, les demandes associées au travail de l’aidant naturel peuvent être perçues soit comme sources de stress ou au contraire de grande satisfaction et d’émotions positives. Cette différence de perception peut s’expliquer par le soutien social, instrumental et émotionnel. Fait également intéressant à noter, les personnes pourvoyeuses de soins palliatifs et les aidants naturels sont essentiellement des femmes. La gestion de ce type de stress se situe dans un contexte beaucoup plus vaste de compassion humaine. Il n’est donc pas étonnant que le soutien de la communauté d’appartenance puisse jouer un rôle majeur. L’ensemble des résultats correspond aux conclusions d’une enquête québécoise mettant en relief le problème d’organisation des soins palliatifsx , ainsi qu’avec les travaux de Vachonlv selon lesquels les difficultés en soins palliatifs demeurent principalement associées à des facteurs organisationnels et des choix de société. Implications Les résultats obtenus auprès des infirmières ont été présentés à des gestionnaires et des décideurs. Leurs échanges ont fait l’objet d’une analyse qualitative et la présentation de ces résultats permet de mettre en relief les principales implications de notre étude. 19 Phase 2 - Volet qualitatif : Points de vue des décideurs et des gestionnaires sur des pistes de solutions pouvant améliorer la qualité de la pratique infirmière en soins palliatifs Les décideurs et les gestionnaires valident les propos recueillis auprès des infirmières et soulignent l’importance de participer, de façon significative, à une recherche qui leur donne accès à des données qualitatives récentes et probantes par rapport aux conditions de travail du personnel infirmier en soins palliatifs dans le contexte québécois. Les décideurs affirment que les propos des infirmières corroborent les résultats d’autres études qu’ils ont lues sur le sujet. Les gestionnaires, quant à eux, disent avoir observé dans leur milieu de soins respectifs, la présence de stresseurs identiques à ceux décrits par les infirmières : «Ce ne sont pas toujours les mêmes problèmes qui se présentent au quotidien mais, à la base, c’est le même type de stresseurs. C’est tuant, elles se battent contre un système, contre l’inertie et parfois même contre la bêtise». Le fait de pouvoir enfin se référer à des données de façon scientifique est d’une grande utilité lorsqu’il s’agit d’orienter les prises de décision politiques ou administratives dans un secteur de soins en plein développement. Les décideurs et les gestionnaires ont tenté d’expliquer pourquoi on ne reconnaît pas la spécificité des soins palliatifs dans le système de santé. Alors que certains insistent sur des enjeux économiques et politiques, d’autres mentionnent plutôt les effets pervers de la représentation négative de la mort dans notre société. Par exemple, dans les centres hospitaliers, ils disent être témoins d’une perpétuelle bataille contre une culture de l’organisation qui privilégie les soins curatifs et la technologie de pointe : « S’occuper de la mort et parler de la mort, c’est comme une affaire tabou. Cela n’a pas le poids politique et économique de la gériatrie. Pour économiser de l’agent, il y a eu des investissements pour les personnes âgées en perte d’autonomie afin de libérer les lits de l’urgence et de courte durée. Il faudrait trouver des arguments économiques pour faciliter la promotion des soins palliatifs ». 20 La voie de la solution Décideurs et gestionnaires proposent les pistes de solutions suivantes : • promouvoir la spécialité des soins palliatifs; • convaincre les instances administratives du bien fondé d’une unité ou d’un regroupement des clientèles en fin de vie et d’une équipe spécialisée; • vendre le dossier du développement des soins palliatifs à l’équipe médicale, en centre hospitalier; • créer une alliance avec les spécialistes et trouver des défenseurs inconditionnels; • prévoir une meilleure rémunération pour les médecins qui acceptent de faire des suivis à domicile; • encourager les engagements personnels des soignants et les initiatives collectives des équipes dans les différents milieux de soins; • mettre en place un intervenant pivot qui assure les liens entre les intervenants et les établissements et coordonne les plans de soins et de services; • promouvoir la spécialisation des infirmières et prévoir des budgets pour une formation continue; • articuler une réflexion sur les modèles de soins infirmiers ; • entrevoir la possibilité d’une pratique avancée où l’infirmière qui prodigue des soins à domicile aura une plus grande responsabilité et imputabilité. Conlcusion L’étude met en relief la nécessité mettre en oeuvre un soutien organisationnel, professionnel et émotionnel. Pour atteindre cet objectif, il faut considérer le partage de responsabilité individuelle, professionnelle, institutionnelle, communautaire et sociétale de façon synergique. Au niveau individuel, l’engagement personnel du soignant constitue une source primaire de motivation et de satisfaction au travail. Le contexte de l’accompagnement apparaît comme une opportunité. Par contre, il ne faut pas négliger l’importance du soutien émotionnel qui consiste à favoriser une prise de conscience des enjeux affectifs liés à l’expérience de la mort, à exprimer les émotions éprouvantes et à renforcer la quête de sens inhérente à la souffrance et au processus d’accompagnement en fin de vie. 21 Au niveau professionnel, la collaboration interdisciplinaire centrée sur les besoins du patient et des proches, où les rôles de chacun sont définis selon ces besoins et non selon les besoins des intervenants, ainsi que le partage d’une philosophie commune peuvent constituer une source de satisfaction supplémentaire. De plus, le fait de bénéficier du soutien des autres professionnels permet de briser l’isolement. Cela nécessite toutefois le développement d’expertises complémentaires et la possibilité de rencontres. Au niveau institutionnel et communautaire, il faut améliorer l’accessibilité à des soins cohérents et à des services adaptés aux besoins des patients et de leurs proches. Chaque institution doit se doter de mesures organisationnelles comme une mission claire, des objectifs précis et un plan d’action décrivant des mécanismes concrets comme par exemple, des outils de communication, une garde médicale 24/7, des protocoles anticipés, une trousse d’urgence, etc.. Cela nécessite une approche concertée au sein de l’établissement et entre les établissements et les équipes spécialisées, comme on en retrouve dans les réseaux intégrés en oncologie. L’idée vise à favoriser la continuité des soins et des services, peu importe le lieu de prestation. Le but n’est pas nécessairement de permettre au patient de mourir à la maison mais de maximiser son confort et l’accès au maintien à domicile et de l’accompagner, lui et ses proches dans la maladie et la souffrance. Au niveau sociétal, enfin, il faut poursuivre la réflexion sur la place et les valeurs accordées aux soins en fin de vie. 22 Références i Lynn J. (2000), «Learning to care for people with chronic illness facing the end of life», JAMA, 284 (19), p. 25082511. ii Association canadienne de soins palliatifs (ACSP) (2002), Modèle de guide des soins palliatifs : Fondé sur les principes et les normes de pratique nationaux, mars. iii Association québécoise des soins palliatifs (AQSP) (2001), «Normes de pratique», Bulletin spécial, vol.9, no1, p.5. iv Association canadienne des soins palliatifs (ACSP) (1999). «Leçons de vie. La qualité de la vie dans les dernières étapes de la vie», Pamphlet. v Wilson, D.M. (2000), «End of life care preferences of Canadian senior citizens with care giving experience», Journal of Advanced Nursing, vol 31, no 6, p. 1416-1421. vi Sénat Canadien (2000), Quality end-of-life care : The right of every Canadian. 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