expériences en tous genres

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expériences en tous genres
DES TACTIQUES MIRACLE AUX PERFORMANCES PLANIFIÉES
Le sport est-il
une science exacte ?
La science est entrée dans le sport et y nourrit le fantasme d’une
performance prévisible et quantifiable. Avec encore quelques limites.
t s’il existait un système de jeu basé
sur des équations mathématiques,
sorte de martingale permettant de
marquer un but à chaque action? Et
si, en réalisant à la demande le geste
parfait après un travail à la vidéo, un tennisman trouvait le moyen de servir des aces en
rafale ? Entraîneurs et athlètes en ont sans
doute rêvé, car le fantasme visant à réduire la
«glorieuse incertitude» du sport existe bel et
bien. Il est même renforcé par les enjeux financiers colossaux induits par le sport business et
la «scientifisation» croissante des méthodes
d’entraînement.
Pour certains, le sport est même une science
E
reposant sur des éléments objectifs. C’est la
thèse du Britannique Ken Bray, docteur en
physique quantique et membre associé du Sport
and Exercise Science Group de l’université de
Bath. Ce supporter du Liverpool FC a fait du ballon rond son objet d’étude et affirme que le football est «une science exacte qui comporte des
éléments imprévisibles », ce qu’il s’attache à
démontrer dans Comment marquer un but, les
lois secrètes du football (1). Ken Bray y analyse
les trajectoires du ballon sur coup-franc et
assure, schémas à l’appui, qu’un système en 44-2 permet aux milieux de terrain de disposer
du maximum d’options de passe (2). Il observe
également que la majorité des buts marqués le
EXPÉRIENCES EN TOUS GENRES
Des universitaires anglais ont trouvé pourquoi une équipe de football obtient de
meilleurs résultats lorsqu’elle évolue à domicile, un phénomène commun à tous les
sports collectifs. Des tests menés sur 40 arbitres anglais par le professeur Alan Nevil,
de l’université de Wolverhampton, ont mis en évidence l’influence de l’environnement sonore, qui a pour effet de faire sanctionner moins souvent les joueurs locaux
(environ 15% de fautes oubliées). En clair, consciemment ou pas, l’homme en noir
n’a pas envie de déclencher la colère du public. Une autre étude britannique a montré que le taux de testostérone des footballeurs pouvait monter de 40 à 67% lorsqu’ils évoluent devant leur public, alors qu’il reste stable à l’extérieur. D’autres
recherches ont montré qu’en tennis de table, le fait de servir ne procurait aucun avantage. Enfin, à l’Insep, l’utilisation d’un simulateur-analyseur du mouvement en
temps réel, un appareil capable de visualiser un athlète en trois dimensions et sous
tous les angles, a permis aux jeunes tennismen de constater que le relanceur sait,
avant même que la balle de son adversaire n’atteigne son zénith, s’il devra utiliser
son coup droit ou son revers.
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sont après trois passes ou moins, que la fréquence des blessures est directement en corrélation avec le poste occupé ou qu’un
face-à-face entre un gardien et un attaquant
répond à certaines règles. L’approche, très documentée, donne à réfléchir sur quelques points
précis. Reste à agréger tous ces éléments en les
appliquant au foot pro afin de créer un onze
invincible…
PLANIFIER LES PERFORMANCES
Dans ce domaine de la «science au service du
sport», Véronique Billat va encore plus loin. La
directrice du LEPHE, le Laboratoire d’étude de
la physique de l’exercice d’Evry, estime en effet
que l’entraînement doit s’appuyer sur des
mesures objectives et personnalisées. Grâce à
différents tests, elle observe «toutes les zones
physiologiques que sollicite un sportif pendant
son effort» afin de proposer un programme de
préparation rationnel, et donc de planifier précisément les performances futures. La méthode
semble porter ses fruits puisque la Kényane
Isabella Ochichi, médaillée d’argent sur 5000 m
aux Jeux Olympiques d’Athènes, ou encore le
couple de biathlètes Raphaël et Liv Poirée,
bénéficient de ses conseils (lire entretien page
12). Seul bémol, il s’agit de disciplines dans lesquelles l’adversité n’est pas directe, au sens où
chaque athlète fait sa course, alors que dans un
sport d’opposition (football, rugby, tennis,
boxe), la performance dépend aussi de l’adversaire.
Quoi qu’il en soit, un mouvement de fond allant
dans le sens d’une intensification du recours à
la science se dessine. L’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (Irmes),
installé à l’Insep depuis novembre dernier, y par-
Alain Soldeville / Presse Sports
Le sport est-il une science exacte ?
Test physiologiques à l’Insep
en 1999.
ticipe. «L’Irmes est une réponse à des attentes
manifestées dans de nombreuses disciplines
sportives pour mieux connaître les traumatismes
et les problèmes physiologiques liés à la pratique
du haut niveau, explique Hubert Comis, le directeur de l’Insep. C’est un projet à moyen et à long
terme qui permettra, quand on possédera une
meilleure connaissance de ces problèmes, d’en
tirer des conclusions pour les entraînements ou
les matériels utilisés». Le but est de recueillir
un ensemble de données (biologiques, hématologiques, endocriniennes, pathologiques,
traumatologiques) et d’observer l’évolution de
ces paramètres au cours des olympiades successives pour trouver des explications à leurs
variations.
Le plateau technique du Team Lagardère – qui
compte parmi ses protégés Richard Gasquet et
Gaël Monfils – bénéficie aussi de moyens ultramodernes qui permettent par exemple d’évaluer
les capacités d’un joueur de tennis à tenir sur
la durée du match ou à supporter la répétition
des rencontres. Pour cela, Christian Miller, spécialiste de biomécanique et de physiologie, a mis
en place avec son équipe des tests sur tapis roulant, rameur, vélo ou sur piste. Le tennisman
est équipé d’un masque qui permet d’analyser
les échanges gazeux respiratoires au fil d’une
procédure standardisée où, à chaque palier
d’efforts, l’oxygène consommé est mesuré. Ces
résultats, comparés à des valeurs standard,
offrent la possibilité au coach de mettre en
lumière certaines carences de son élève et
d’adapter ainsi son entraînement. Toujours dans
la même logique: comprendre les mécanismes
de l’effort.
VIDÉO ET STATISTIQUES
La vidéo et les statistiques sont également parties intégrantes de l’entraînement du sportif de
haut niveau. Dans tous les sports collectifs, la
vidéo est désormais l’outil de base de la préparation tactique des matchs. En outre, les progrès technologiques (miniaturisation des
caméras, meilleure qualité d’image et de son,
caméras à haute vitesse) offrent aujourd’hui une
analyse très fine et très détaillée des mouvements. Les entraîneurs de patinage artistique
se sont ainsi rendu compte que pour réaliser un
triple axel, il était préférable de laisser légèrement déraper le patin et non de le bloquer
avant le saut. De même, Amélie Mauresmo a utilisé ce type d’images quand elle a voulu modifier son service avec son entraîneur Loïc
Courteau. L’idée est de se rapprocher du geste
parfait et, dans les sports à trajectoire (ski, slalom en canoë-kayak, voile, course automobile),
les entraîneurs se créent des bases de données
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concernant les différents parcours afin de faire
travailler en amont leurs athlètes sur le tracé
le plus efficace.
Sur le plan tactique, dans les sports d’opposition (sports de combat, sports collectifs, sports
de raquette), les logiciels d’analyse vidéo permettent non seulement d’intervenir dans la
préparation, mais aussi dans le jeu. La
Fédération française de volley-ball a ainsi mis
au point un logiciel qui établit différentes statistiques pendant le match: pourcentages de
smashs gagnants et perdants pour chaque
joueur, zones d’attaques préférentielles des
joueurs adverses, etc. Ces éléments peuvent
conduire à décider d’un changement de joueur
ou d’une nouvelle stratégie en cours de set,
puisqu’un adjoint équipé d’un ordinateur portable se trouve en constante relation avec l’entraîneur. Enfin, en gymnastique ou en natation
synchronisée, des logiciels vidéo permettent
d’imaginer des mouvements inédits.
COMMENT FAIRE LE TRI?
Mais, face à cette foule d’informations et d’options, comment faire le tri ? Faut-il faire
confiance aux probabilités ou bien tenter de
surprendre l’adversaire en faisant preuve de
créativité ? Epineux débat. En football par
exemple, tous les entraîneurs ont recours à la
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PAS D’ENTRAÎNEMENT TYPE
Y aurait-il en revanche une méthode d’entraînement scientifique et universelle, reconnue pour sa pertinence ? Pas davantage. Dans
Argueyrolles / Presse Sports
vidéo pour ses vertus pédagogiques : les
erreurs sont plus parlantes. Mais concernant,
l’utilisation des statistiques, les choses s’avèrent plus complexes. On peut savoir combien
de kilomètres parcourt chaque joueur, combien de fois il touche le ballon et dans quelle
zone, déterminer le circuit préférentiel de
toutes les équipes. Mais quelles conclusions
en tirer ?
De même, la télévision nous abreuve de statistiques sur la possession de balle, sans que cela
détermine forcément le résultat final. «Ce n'est
pas la possession en général qui est importante,
mais la possession dans le tiers offensif du
terrain, souligne ainsi Ken Bray, qui cite à
l'appui l'une des statistiques qu’il a isolées :
seuls 13 % des ballons récupérés le sont dans
le tiers offensif du terrain, mais cette récupération chez l'adversaire entraîne 66 % des buts
marqués ». Certes, mais les défenseurs savent
déjà pertinemment qu’ils ne doivent pas perdre
le ballon près de leur but…
Plus largement, connaître les forces ou les
faiblesses de l’adversaire ne permet pas forcément de les contrer ou de les exploiter.
Récemment, lors d’une soirée de Ligue des
champions, Marcel Desailly, désormais consultant sur Canal + tenait les propos suivants :
« Le défenseur a beau savoir ce que va faire
Ronaldinho, en l’occurrence repartir balle au
pied côté droit puis frapper, il ne peut pas l’en
empêcher car la vitesse d’exécution du Brésilien
est incroyable, tout comme sa protection du ballon. Un tel joueur peut déséquilibrer n’importe
quel système. »
Pédagogie tactique
via la vidéo pour
l’équipe de rugby
de Gaillac.
L’homme en mouvement (3), Carole Sève,
maître de conférences en Staps à l’Université
de Rouen, souligne que « la multiplicité des
pratiques est, pour partie, liée au fait qu’il
n’existe pas de principes généraux d’entraînement intangibles et considérés comme totalement certains mais plutôt des notions
générales » (comme la planification, la périodisation, la programmation, la charge d’entraînement, l’entraînement général et
spécifique ou la modélisation de la performance). Et l’expérience montre que « l’entraînement est un domaine complexe
dynamique et incertain, ne pouvant être réduit
à une science appliquée ».
En effet, concevoir le sport comme la simple
résolution de problèmes impliquerait que
ceux-ci soient clairement identifiables, et
communs à tous les athlètes. Ce serait oublier
la spécificité de chaque athlète, de chaque
discipline, et la diversité des niveaux de performance et des conditions d’entraînement.
Aussi de nombreux scientifiques restent-ils
prudents dans l’apport immédiat de la science
à la performance sportive. Christian Miller, du
Team Lagardère, parle d’« outils pour faire le
bon choix » : « ce que nous pouvons faire, c’est
aider les entraîneurs à prendre des décisions
L’ARBITRAGE PLUS SCIENTIFIQUE
Les éternelles discussions d’après-match entre supporters y sont
tation, plus une supplémentaire lors du tie-break. Grâce à des
certainement pour beaucoup : depuis une dizaine d’années, on
écrans vidéo installés dans le stade, les spectateurs peuvent obser-
note dans différents sports une volonté de réduire les contesta-
ver en temps réel les verdicts incontestables du Hawk-Eye. En
tions liées à l’arbitrage en faisant intervenir des innovations tech-
revanche, les instances du football se montrent très réticentes
nique, sensées être infaillibles (machine à compter les points en
envers l’utilisation de la vidéo. Toutefois, une innovation sera
boxe amateur, système électronique de détermination des touches
testée en 2007 lors des compétitions de jeunes au Canada et en
en escrime, recours à la vidéo pour valider un essai en rugby). En
Corée du Sud : une puce électronique aidera les arbitres à valider
tennis aussi, un système d’arbitrage électronique baptisé « Hawk-
ou non les buts litigieux. Le système sera constitué d’une puce dans
Eye » a été utilisé cette saison, notamment à l’US Open ou au tour-
le ballon et d’une caméra disposée derrière la ligne de but, reliée
noi de Bercy. Il permet aux joueurs de faire appel deux fois par
à un ordinateur. « Mais nous n'aurons pas d'assistance vidéo et
set à des images de synthèse qui calculent la trajectoires de la balle,
n'arrêterons pas les matches », insiste Sepp Blatter, le président
pour éventuellement contester une annonce de l’arbitre de chaise.
de la FIFA, en expliquant qu’à son avis « cela enlèverait de la spon-
Si le joueur a raison, il conserve ses deux possibilités de contes-
tanéité et du pouvoir de fascination à notre sport ».
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à travers des mesures objectives ». Pour
Chantalle Mathieu, chef du département des
sciences du sport de l’Insep, « l’idée fondamentale est qu’il faut s’entraîner plus juste. Au
niveau du temps passé sur les pistes ou dans
les salles, on a atteint un maximum et il ne servirait à rien d’en rajouter une couche. » Se
pose au passage le problème du surentraînement. Avec la question suivante : que peuton imposer à un organisme sans qu’il ne
craque ?
nouveaux outils comme l’imagerie mentale.
Couvert de capteurs qui détectent la température de la peau, le débit sanguin ou le rythme
cardiaque, l’athlète cobaye doit imaginer ses
mouvements en fermant les yeux mais aussi
penser au public ou aux juges. Pour s’approcher du geste parfait tout en maîtrisant le
contexte. Le but ultime de tout sportif. ●
BAPTISTE BLANCHET
(1) JC Lattès, 2006, 19 € (l’illustration de la page 9 reproduit le schéma présenté en couverture de l’ouvrage).
(2) Un système de jeu en 4-4-2 signifie qu’une équipe joue
avec 4 défenseurs, 4 milieux de terrains et 2 attaquants (le
gardien de but n’étant pas pris en compte). D’autres variantes
fréquemment utilisées sont le 4-5-1 (plus défensif, avec
cinq milieux de terrain et un seul attaquant) ou le 4-3-3 (avec
trois attaquants).
(3) L’Homme en mouvement, histoire et anthropologie
des techniques sportives. Chroniqué dans En jeu n°401,
octobre 2006.
LA SCIENCE A SES LIMITES
A LA RECHERCHE DE L’INTELLIGENCE COLLECTIVE
Mais quelle est donc cette alchimie
collective qui fait que le niveau d’une
France 5
Le dopage peut d’ailleurs s’analyser comme
la volonté de transformer le sport en science
exacte en créant « l’athlète parfait ». Dans
cette optique, on augmente artificiellement
la masse musculaire, l’oxygénation des
muscles, la capacité à supporter des doses
d’entraînement plus élevées et à mieux récupérer. À terme, le clonage humain ou le prélèvement de cellules souches stockées puis
réinjectées dans la partie endommagée de
l’organisme – un genou ou un muscle par
exemple – pourraient ouvrir de nombreuses
possibilités… et poser de sérieux problèmes
éthiques.
Mais pour le moment, ce rêve d’un sport planifiable, quantifiable ou prévisible trouve
encore ses limites. « La médecine elle-même
n’est pas une science exacte, même si elle
s’appuie sur des sciences exactes, estime Eric
Jousselin, médecin à l’Insep. Dans le sport,
on peut tenter de tout mettre en équation
comme l’ont fait les pays de l’Est, en mesurant
tout : le poids, la taille, la taille des membres
inférieurs, supérieurs. On le fait encore pour
détecter les jeunes qui possèdent un morphotype de champions dans telle ou telle discipline. Mais, par exemple, on ne peut pas
réellement travailler le temps de réaction car
il est lié à des circuits neuronaux complexes.
La science ne permet pas d’obtenir tous les
résultats souhaités. »
Affirmer que le sport est une science exacte
reviendrait enfin à oublier sa dimension psychologique. Or, là encore, l’état de la connaissance ne permet pas d’en tirer des recettes
infaillibles pour se forger un mental de champion. « On peut simplement relever des
constantes chez les sportifs qui réussissent,
comme la stabilité émotionnelle dans les
moments importants, une attitude de combativité ou une forme d’intensité dans ce que
l’on fait, estime le préparateur mental Hervé
Le Deuff. Ce sont juste des indicateurs favorables à la performance. Pas plus. Le mental
se travaille, mais il existe aussi une part
d’inné, combinée à l’influence des facteurs
culturels, sociaux ou éducatifs ». Néanmoins,
même dans ce secteur, la science propose de
équipe est supérieur à la somme de
ses individualités ? C’est à cette
recherche d’un « supplément d’âme »
footballistique que travaille quotidiennement Christian Gourcuff,
entraîneur du FC Lorient. « L’intelligence collective », remarquable documentaire
signé par Jean-Christophe Ribot et diffusé en juin dernier sur France 5, permet
d’en saisir les mécanismes.
La méthode Gourcuff, basée sur la vidéo et l’informatique, se fonde sur plusieurs principes collectifs: «Quand on défend, le bloc-équipe doit se resserrer pour créer une forte
densité puis s’élargir pour s’octroyer de l’espace en situation offensive. » La capacité
d’une équipe à passer au plus vite d’une situation offensive à défensive, et vice-versa,
constitue selon Gourcuff l’une des clés du foot moderne. Mais à cette approche quasiscientifique viennent s’ajouter d’autres variables : « Dans une société très individualiste, il est difficile de faire passer aux joueurs l’intérêt d’un fonctionnement
collectif et l’idée que se faire plaisir individuellement ne mène jamais très loin. » Pour
cela, l’entraîneur doit faire comprendre à ses joueurs la perception globale du jeu.
« Chacun doit saisir son rôle, se situer dans le système et comprendre comment il est
relié aux autres, confirme Antonio Damasio, professeur de neurosciences à l’université
de Californie du Sud. Il faut donc une conscience de son environnement pour y trouver des solutions. Quand la situation devient plus complexe (notamment lorsqu’il s’agit
de surprendre une défense bien organisée), on arrive dans un espace non-conscient.
Le choix est alors dicté par ce que l’on a travaillé à l’entraînement et par la manière
dont on associe une émotion à une action. Il y a un travail d’auto-éducation à faire
dans la manière dont on se décide. » Ce que Christian Gourcuff résume de la manière
suivante : « L’intérêt des automatismes, c’est de libérer l’esprit pour des choses plus
fines, plus individualisées. »
Reste donc le plus complexe : déchiffrer le jeu en action. Que veut dire mon adversaire ? Que veut-il me faire croire ? Comment communiquer avec mes coéquipiers ?
« Il y a des signes verbaux mais aussi des signes corporels avec les pieds, les mains,
la tête, l’allure, indique Pierre Parlebas, professeur en Sorbonne. On en produit
et on en reçoit. Ce qui se joue est complexe car le footballeur prend une décision
(par exemple centrer en retrait, y aller tout seul ou temporiser), parmi plusieurs
choix possibles. » ● B.B.
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VÉRONIQUE BILLAT :
« On peut évaluer la performance avec précision »
Directrice du Laboratoire d’étude de la physiologie de l’exercice
(LEPHE), à Evry, Véronique Billat défend le bien-fondé d’une approche
scientifique dans les sports dit «énergétiques».
V
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LEPHE
éronique Billat, le
Véronique Billat (à gauche) reconnait
sport est-il une science
une marge d’erreur de 2 %.
exacte ?
Les sciences qui interviennent dans le sport sont celles
qui interviennent aussi dans
les activités humaines. Donc,
dans les sports dits « énergétiques » (course à pied, natation, vélo, triathlon), où la
performance se matérialise
par un temps sur une distance
donnée, on peut mesurer les
choses avec précision grâce à
la biomécanique ou la physiologie.
Grâce à toute une série de
mesures, de tests, on peut
évaluer comment l’énergie
stockée chez l’être humain
va se transformer en vitesse.
Je dirais donc que, dans une
tranche de distances qui va
du 400 mètres au marathon
– car sur 100 ou 200 m on
peut rater son départ, tandis que sur un marathon
peuvent se poser des problèmes de ravitaillement ou
de sommeil –, avec un système rationnel d’entraînement, on peut permet ainsi au psychique de s’exprimer
évaluer la performance avec précision, à en ayant déjà acquis la certitude que le
plus ou moins 2 %. Mais on ne peut pas pré- travail physiologique a été bien réalisé.
voir le classement de l’athlète, bien évi- C’est pourquoi je prétends pouvoir résoudre
pas mal de problèmes. Car dans notre labodemment.
ratoire, nous avons tous un passé de sporCette variation de plus ou moins 2 % tifs d’assez bon niveau. Notre vocation est
s’explique-t-elle par le facteur psycho- venue du terrain et notre métier est de
répondre à des questions précises pour arrilogique ?
Oui, d’une certaine manière, même si on ver à des principes d’entraînement, à des
part du pré-requis que l’athlète va aller au solutions précises. Avec nos recherches sur
bout de lui-même, tenter d’exprimer son les animaux, je dirais même qu’on va de la
potentiel au maximum. Mais en France, dès molécule à l’entraînement.
qu’un champion échoue, on évoque l’aspect psychologique ! La « psycho » a bon Vous défendez donc l’idée d’un entraînedos… En revanche, notre approche scien- ment « scientifique » ?
tifique optimise le potentiel énergétique et Oui, car le sport de compétition est une
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affaire sérieuse qui permet
d’optimiser son potentiel
énergétique par une performance. Rappelons que le
mot performance vient de
l’ancien français « parformer », qui signifie accomplir. Pour en revenir à
l’aspect psychologique, il
faut savoir que quand on
court un 3000 m en dix
minutes, il se passe des
choses dans l’organisme
d’un point de vue physiologique, biomécanique mais
aussi mental. Face à ces exigences, on note un stress
physiologique, lui-même
dépendant d’aptitudes physiques, biologiques, biomécaniques et psychiques, tout
ça dans un environnement
donné. Le but de l’entraînement scientifique est de
mesurer ces facteurs, puis
d’en tenir compte pour arriver à du « sur-mesure », à de
la « haute couture » sportive qui permet d’améliorer
les performances.
Pour affirmez également qu’un entraînement rationnel, c’est de « l’antidopage »…
J’estime que le dopage dans le sport n’est pas
un excès de science mais un défaut de
science. Je veux montrer que l’on peut battre
des records sans se doper. Trop souvent, l’entraînement relève de l’empirisme et du bricolage car les entraîneurs ne sont pas formés.
C’est pourquoi, à Evry, nous avons mis en
place un Master destiné à former les entraîneurs, même sans diplôme préalable. Mais,
s’il l’a décidé, on ne peut pas empêcher un
sportif de cumuler méthodes scientifiques et
dopage. ●
RECUEILLI PAR B.B.