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la dÉfense
des droits
de l’homme
L e M é m o r i a l d e Ca e n • Recu ei l des Pl ai do i ri es 2013 • A VOCA TS
Sans nom
et sans visage
Maître Rachel Franco
Tel Aviv
Israël
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Elle n'a pas de nom et elle n'a pas de visage.
Qui était-elle et quels étaient les rêves de cette jeune
femme, à l'aube de sa vie ? Elle est née du mauvais côté
et elle s'est trouvée au mauvais endroit, et au très mauvais
moment de sa vie.
Damas ! La guerre fait rage et la mort vous surprend à
chaque carrefour ; dans vos maisons, au milieu de vos nuits
ou dans des abris de pacotille, nul lieu où se protéger ; nul
lieu où il serait possible de simplement fermer les yeux sur
ce monde d'une violence inouïe. Nul lieu où se réfugier et
oublier, quelques instants seulement, la folie meurtrière qui
s'empare des hommes et fait de notre monde, une désolation
sans espoir.
Damas ! En tout lieu, des attentats suicide, les voitures
piégées, des bombes explosent, des coups de feu crépitent
et sifflent si près de vous ; d'autres tombent. Pourquoi eux ?
La mort semble jouer aux dés et faucher des vies au hasard,
tandis que du haut du ciel, les hélicoptères vous menacent et
les avions de l'armée lâchent leurs bombes au milieu de vous,
au cœur de cette ville maudite.
Damas ! Autour de vous, les immeubles s'effondrent dans
un vacarme effroyable et le silence d'après est un silence
épouvantable, assez vite déchiré par les hurlements des
familles endeuillées.
Partout, la fumée des bombes et des nuages épais de
poussière vous brûlent les yeux et étranglent votre gorge ;
partout, les incendies sauvages et des tirs incessants viennent
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obscurcir l'horizon et enfermer votre cœur dans l'oppression
et l'angoisse.
Mesdames et Messieurs, en tout lieu de cette ville
abandonnée par l'humanité, ce sont les larmes et le sang qui
habitent les quartiers désertés ; Il n'y a plus ici aucun espoir
de vie. La terre syrienne avale ses morts, sans jamais être
rassasiée.
Qui était donc cette jeune fille aux rêves secrets ? Pourquoi
le malheur s'est-il abattu sur elle avec tant de cruauté ? Qui
pense à son calvaire aujourd'hui ?
Vous et moi, Mesdames et Messieurs du Jury, nous allons
poser notre regard sur le corps dévoré de cette jeune femme
à peine sortie de l'enfance et pour elle, je vais tenter de poser
une parole de justice.
Nous sommes au centre de la branche palestinienne des
services de sécurité syriens. Les soldats ont attrapé cette
jeune femme et exercent sur elle, leurs talents soldatesques.
« Il lui a inséré un rat dans le vagin. Elle criait. Après, nous
avons vu du sang sur le sol. Il lui a dit : « tu en as assez ? ».
Ils se moquaient d'elle. C'était évident qu'elle était en train
d'agoniser. Ça sautait aux yeux. Et d'un coup, elle a cessé
de bouger. »
Le témoignage est accablant. Il est celui d'une rescapée
des geôles palestiniennes qui œuvrent pour Bachar al-Assad
et le journaliste britannique de la BBC, Fergal Keane s'est fait le
porte-parole de ce témoignage, sorti tout droit de l'enfer syrien.
Notre témoin à charge a été arrêtée dans un poste de
contrôle à Homs et durant deux mois, elle a vécu le quotidien
de celles et de ceux qui sont incarcérés dans les cellules
palestiniennes des renseignements militaires à Damas.
Mesdames et Messieurs, le témoignage est si épouvantable
qu'il frise l'impensable et j'oserai dire l'indicible. Oui, les rats
et les souris sont utilisés comme des armes de viol et comme
des armes de meurtre contre les femmes.
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Cette jeune femme, sans nom et sans visage, dévorée de
l'intérieur par un rat que des hommes sanguinaires se sont
amusés à lui introduire dans le vagin, cette jeune femme…
est ma petite sœur.
Elle est morte assassinée par le Mal personnifié, seule
au milieu des rires de ses tortionnaires, seule au milieu des
hommes, terrassée par l'horreur, terrassée par la peur et par
la douleur venue de ses entrailles ; seule, perdue dans ses
larmes, abandonnée de tous, abandonnée de nous aussi… il
ne faut pas se voiler les yeux.
Je ne sais pas dire d’où vient une telle cruauté. Je ne sais
pas dire comment de telles idées peuvent venir à l'esprit
d'un homme. Je ne peux même pas imaginer que de tels
scénarios puissent être réels. Ils semblent sortis tout droit d'un
film d'horreur et pourtant ceci est la vérité ; une vérité terrible
vécue par cette jeune femme sans nom et sans visage et par
d'autres aussi.
Non, je ne sais pas dire d’où vient une telle cruauté car le
mal plonge ses racines dans un lieu de l'esprit qui échappe à
toute logique, à toute humanité, digne de ce nom.
Aucune idéologie politique, aucune foi religieuse ne
peut apporter le moindre commencement de la plus petite
explication d'un acte aussi barbare. Rien, absolument rien,
ne peut jamais donner le moindre éclairage sur des actes qui
signent irréversiblement la chute de l'humanité à un degré que
les animaux ne connaissent pas.
Petite sœur, tu ne me connais pas et pour toi, je veux
parler aujourd'hui. Je veux être la voix qui porte ton malheur
et dénonce tes tortionnaires. Pour toi, je veux être entendue
aujourd'hui pour que cette histoire ait ton visage et porte ton
nom.
Tu n'aurais sans doute pas imaginé qu'une autre femme,
vivant de l'autre côté du Golan, frontière qui sépare nos deux
pays, une autre femme qui plus est, Juive et Israélienne vienne
un jour parler pour te faire vivre.
Petite sœur, les préjugés sont les véritables barrières qui
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nous séparent et il n'est pas facile de se défaire des regards
ignorants, voire haineux qui déforment nos âmes et couvrent
nos yeux d'un voile épais.
Tu étais seule et sans défense devant les Nazis de ton pays
et les forces du Mal t'ont attrapée et t'ont assassinée dans
une jouissance maladive.
Alors, comment pourrai-je me taire et ne pas te tendre
la main pour te relever de cette injustice qui hurle jusqu'aux
cieux ? Aujourd'hui, pour toi et devant tous, mon visage sera le
tien et ta souffrance sera la mienne. Aujourd'hui et jusqu'aux
derniers jours de ma vie, ton histoire ne me quittera pas car
je l'ai faite mienne au plus profond de moi.
Mesdames et Messieurs, je vous demande de rendre
Justice pour cette jeune femme que je représente aujourd'hui.
Je vous le demande avec forte conviction !
Non certes, ce ne sera pas une justice qui punit ses
assassins. Ce ne sera pas non plus une justice qui console
la famille de cette jeune femme dont l'histoire ne retient
rien d'autre que son calvaire, mais ce sera une justice qui
permettra de la faire revivre devant vous. Ainsi, son histoire ne
pourra être oubliée ni de votre esprit ni de vos cœurs.
Les faits relatés ont eu lieu en septembre 2012 mais ne
doutez pas qu'ils se sont déroulés également hier et qu'ils se
répéteront demain.
Mesdames et Messieurs, les témoignages d'agressions
sexuelles sur les adolescents, les jeunes femmes et les moins
jeunes sont nombreux et concordants. C'est malheureusement
une stratégie de guerre qui a fait ses preuves ; les séances
d'électrochocs sur les parties génitales, les brûlures sur l'anus,
les tortures ou viols collectifs qu'ils soient le fait des forces
régulières ou des rebelles est le quotidien des victimes de la
folie meurtrière de ces fanatiques de tout bord. Or, les civils
sont les premières victimes de ces conflits armés ; les enfants
et les femmes tout particulièrement sont un gibier de choix
pour ces chasseurs de sang et de sexe.
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Aussi, il faut rendre Justice car c'est la Justice qui est le
fondement du monde et c'est la recherche de justice qui fait
de nous des êtres qui aspirent au Bien et à la paix.
Et comment pourrait-il y avoir paix dans nos pays si dans
nos cœurs, la haine ou même l'indifférence s'installe en lieu
et place de l'Altérité et de la fraternité?
Les rapports déposés par diverses organisations telles que
« Human Rights Watch » ou encore « Women Under Siege »,
les rapports de l'ONU et les témoignages directs recueillis par
les journalistes de différentes nationalités ne laissent planer
aucun doute sur la réalité et l'intensité de ces agressions et
de ces meurtres.
Il faut le dire ! Il faut le dénoncer haut et fort ! Il faut
ensemble refuser le silence qui pose une chape de plomb sur
les corps meurtris qui pourrissent sans sépulture.
Ma petite sœur n'avait sans doute pas les clefs qui
permettent de saisir ce qui se joue dans cette guerre civile qui
fait rage en Syrie. Elle était jeune et comme toutes les jeunes
filles, elle aimait rire et s'amuser. Elle était peut-être amoureuse
et vivait secrètement dans le désir d'un amour partagé. Ou
peut-être, rêvait-elle d'une rencontre qui enflamme le cœur ?
Devant son miroir, elle observait son visage et regardait son
corps, un corps qui n'est jamais assez bien aux yeux des
jeunes filles en quête d'amour.
Peut-être encore, s'était-elle fâchée la veille avec une amie
et gardait-elle encore un peu de rancune ? Je ne sais dire et
je ne peux qu'imaginer mais une chose est certaine : elle était
vivante, pleine de rêves et de désirs et n'avait que faire d'une
guerre qui dépassait son entendement.
Et c'est un rat qui a dévoré ses entrailles, devant le regard
amusé de ses tortionnaires !
Justice ! Justice ! Justice au nom de ma sœur et que son
âme repose enfin en paix !
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