Fiche 11 : Changement social et conflits
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Fiche 11 : Changement social et conflits
Fiche Cours Nº : 25011 ECONOMIE Série ES LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE Fiche 11 : Changement social et conflits Plan de la fiche 1. Notions de base 2. Problèmes économiques et sociaux 3.Théories et auteurs 4. Repères historiques Karl Marx voyait dans la lutte des classes le conflit majeur, qui faisait évoluer la société. Mais si toute collectivité progresse et évolue sous l’action des conflits, les modalités de l’action collective ont profondément évolué depuis un siècle. Notions de base Le conflit social ou mouvement social définit l’affrontement entre groupes sociaux ou une action de contestation en vue de modifier des règles ou des institutions au sein de la société. On distingue les conflits microsociologiques qui ont lieu à l’intérieur d’un groupe, comme ceux qui naissent dans l’entreprise, et les conflits macrosociologiques qui opposent un groupe à l’ensemble de la société. On identifie les différents types de conflits selon le thème de la revendication : conflits du travail ou idéologiques, comme les mouvements féministes ou écologiques. L’action collective qualifie l’action de revendication d’un groupe cherchant à modifier à son profit une partie de l’organisation sociale pour défendre un intérêt économique ou une cause idéologique. Cette action peut prendre la forme d’une grève, d’un défilé ou d’une campagne de presse. Les « nouveaux mouvements sociaux » : cette expression du sociologue Alain Touraine qualifie l’évolution des idéaux de l’action collective dans nos sociétés actuelles. Selon l’auteur, ils mettent en scène des revendications beaucoup plus culturelles qu’économiques et avec de nouveaux acteurs sociaux comme les femmes, les écologistes ou les homosexuels. La mobilisation collective définit le processus par lequel un groupe de personnes prend conscience de l’intérêt de s’organiser à plusieurs pour défendre un intérêt ou faire aboutir une revendication. L’institutionnalisation des conflits qualifie la représentativité d’organismes comme les syndicats ou les comités de conciliation créés ou reconnus par l’Etat aux fins d’organiser pacifiquement le règlement des conflits sociaux. La classe sociale définit, à l’intérieur d’une société, un regroupement homogène de personnes ayant les mêmes niveau et mode de vie. Pour Karl Marx, une classe sociale se définit par la place qu’elle occupe dans le système de production économique et par la conscience de défendre des intérêts communs. Pour expliquer l’évolution de la société, il ne retient que deux classes, la bourgeoisie et la classe ouvrière. La « lutte des classes » est une expression célèbre de Karl Marx pour signifier que le combat entre classes sociales est le moteur de tout changement dans une société. « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes. » Le syndicat est un groupement professionnel ayant pour objet la défense des intérêts économiques et généraux de ses adhérents. C’est, depuis 1884, l’organisme représentatif des salariés. La coordination ou collectif est le rassemblement spontané et autonome d’un groupe de personnes pour la défense d’un intérêt commun. A l’inverse du syndicat, elle ne survit généralement pas à la fin du conflit qui lui a donné naissance. © Tous droits réservés Studyrama 2010 Fiche téléchargée sur www.studyrama.com En partenariat avec : 1 Fiche Cours Nº : 25011 ECONOMIE Série ES LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE Problèmes économiques et sociaux Le conflit, cause ou conséquence du changement social Le conflit a d’abord été perçu historiquement comme néfaste à la cohésion d’une société. La grève était interdite en France jusqu’en 1864 et les actions violentes qui sporadiquement éclatent dans les quartiers difficiles apparaissent comme un facteur de désagrégation sociale. Mais, à l’image de l’individu dont la vie comporte obligatoirement des conflits dans le jeu amoureux ou professionnel, toute société doit connaître également des affrontements pour évoluer. Par leur institutionnalisation, la société désamorce les mouvements révolutionnaires violents et accroît l’interdépendance des groupes sociaux opposés. Le conflit renforce donc la cohésion sociale. Mais naît-il d’un désir de changer la société ou de la volonté de résister à tout changement ? Pour Karl Marx, c’est la seule façon de faire évoluer la société pour la transformer. Les nombreuses revendications ouvrières ont en effet permis d’apporter une amélioration des conditions et de la rémunération du travail ou les congés payés comme en 1936. La conquête de nombreux droits pour la femme, que ce soit celui de la contraception ou de l’égal accès aux fonctions électives, a toujours été liée à des mouvements revendicatifs et une forte mobilisation. Mais le conflit prend également sa source dans la volonté de résister à un changement de l’ordre social. Le projet du « plan Juppé » en 1995, qui prévoyait de modifier le système des retraites pour les régimes spéciaux comme la SNCF, a mobilisé des millions de personnes dans la rue. Les perdants de l’évolution économique actuelle suite aux délocalisations d’entreprises ou à l’ouverture européenne se mobilisent pour tenter de s’opposer à ces changements. Le conflit est donc alternativement cause et conséquence du changement social et l’interaction de ces facteurs entraîne l’évolution de nos sociétés. Les mutations des conflits du travail Au cours du XXe siècle, la montée en puissance du syndicalisme a entraîné le développement de nombreux conflits du travail. Mais, depuis les années soixante-dix, on assiste à une réduction et à une mutation de ces conflits. De nombreuses raisons expliquent ces changements : • dans une société qui voit se développer chômage et précarité de l’emploi, la peur du licenciement pèse sur la combativité des travailleurs ; • la réduction des inégalités et l’amélioration du niveau de vie ont entraîné une moindre motivation pour les revendications collectives ; • le développement de la tertiarisation de la société entraîne un recul quantitatif des effectifs ouvriers. Parallèlement on observe une augmentation de la catégorie des employés et une féminisation de la population active qui s’accompagnent d’une moindre tendance à la syndicalisation ; • le déclin du taux de syndicalisation est également lié aux transformations des secteurs économiques jadis les plus combatifs comme la sidérurgie ou les mines ; • les entreprises privilégient la concertation et les entretiens individuels, ce qui entraîne une réduction de l’action collective ; • les conflits du travail paraissent impuissants à endiguer les délocalisations décidées au niveau international et qualifiées de « licenciements boursiers » ; • enfin, la montée de l’individualisme dans la société, analysée par Olson et son paradoxe célèbre, expliquerait en partie cette réduction des conflits, passés en France de cinq millions de journées de grève en 1976 à moins de six cent mille en 1999. Par ailleurs, on assiste à une transformation de l’objet même de ces conflits. A la remise en cause de l’exploitation capitaliste et du taylorisme a succédé à présent une priorité pour la défense de l’emploi dont l’entreprise est la gardienne. Les nombreuses restructurations économiques et délocalisations ont réduit les revendications salariales au profit de la lutte pour le maintien de l’activité professionnelle. De nos jours également, les conflits du travail s’orientent vers des revendications portant sur la défense des qualifications professionnelles et la recherche d’une plus grande autonomie dans le travail. Les transformations de l’action collective La diminution des conflits du travail n’a aucunement réduit le nombre ou l’intensité des conflits sociaux. Mais ces derniers sont orientés à présent vers d’autres objectifs. Jadis limités à des revendications économiques et au désir de changer le système de production, ils concernent à présent l’ensemble des enjeux socioculturels de la société, et ont été qualifiés de « nouveaux mouvements sociaux » par Alain Touraine. Ces transformations concernent à la fois les objectifs, les participants et les nouvelles modalités d’action : • les actions sont extrêmement variées et ne concernent plus un changement global de société mais une multitude d’objectifs. © Tous droits réservés Studyrama 2010 Fiche téléchargée sur www.studyrama.com En partenariat avec : 2 Fiche Cours Nº : 25011 ECONOMIE Série ES LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE Souvent associées à l’idée d’une reconnaissance identitaire comme l’émancipation féminine ou l’égalité des droits pour les couples homosexuels, elles peuvent aussi porter sur la défense du service public, l’insuffisance du nombre d’infirmières ou la volonté de protéger l’environnement ; • les acteurs ne sont plus ceux de la classe ouvrière traditionnelle, mais des sans-papiers, des contrôleurs aériens, des étudiants, des enseignants ou des chasseurs ; • les modalités d’action se sont également profondément transformées. Les syndicats d’abord ne sont plus les seuls représentants des mouvements collectifs. A leur côté naissent des coordinations, des collectifs ou des associations comme celles qui défendent les chômeurs ou le droit au logement. Les formes de l’action se transforment. A la grève traditionnelle et au défilé de rue s’ajoutent à présent des actions spectaculaires pour attirer les médias. Grèves de la faim, destructions de produits dans les grandes surfaces, séquestrations ou occupations illégales publicisent ainsi l’événement pour sensibiliser l’opinion. Enfin, il convient de relever que l’action collective ne se limite plus au seul territoire national. Elle tend à mobiliser le citoyen pardelà les frontières, que ce soit pour lutter contre la mondialisation libérale des échanges avec les alter mondialistes, contre la pollution mondiale avec Greenpeace ou pour la défense des droits de l’homme. Théories et auteurs Karl Marx (1818-1883) considère que le conflit est l’unique moteur du changement des sociétés. « Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseur et opprimé, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue [...] qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la ruine commune des classes en lutte ». (Le Manifeste du parti communiste, 1848). Pour lui, toute société se caractérise par son mode et ses rapports de production (matérialisme historique).Toutes les transformations sociales, esclavage, féodalité ou capitalisme, ne se réalisent que par la révolte de la classe dominée contre la classe dominante. Dans la société capitaliste, la bourgeoisie détient les moyens de la production économique et exploite la classe ouvrière, selon Marx pour deux raisons : • d’abord, parce que la classe bourgeoise s’organise pour qu’il y ait une « armée de réserve d’ouvriers sans emploi », qualifiée aussi d’« armée de réserve industrielle ». Par la présence de ces chômeurs, les ouvriers sont obligés de « réfréner leurs prétentions » en matière de salaire ; • ensuite et surtout, en ne rétribuant pas l’ouvrier à la juste valeur de son travail, ce que Marx appelle la « confiscation de la plusvalue ». En effet, la classe bourgeoise ne verse que le minimum nécessaire à la « reproduction de sa force de travail », c’est-à-dire un salaire en fonction du prix des denrées alimentaires permettant seulement à l’ouvrier de survivre physiquement pour pouvoir travailler. Or la valeur de la production du travail de l’ouvrier est supérieure à la rémunération versée. Cette plus-value confisquée par la bourgeoisie permet à celle-ci d’accumuler alors du capital et d’investir. Pour Marx, la notion de classe est donc étroitement liée à la position des individus dans le rapport de production. Seul un conflit violent de lutte de classes peut faire évoluer la société vers « l‘appropriation collective des moyens de production », c’est-à-dire le communisme. De nombreux auteurs se sont opposés au schéma marxiste faisant de la lutte des classes la seule base du changement social. Le sociologue allemand Georg Simmel (1858-1918) estime que le conflit est naturel, dans les relations entre les individus comme dans les relations entre Etats. Le conflit a donc pour objectif de régler les désaccords et participe, une fois l’accord réalisé, au processus de renforcement du lien social. Henri Mendras (1927-2003) constate que le développement d’une large classe moyenne rend caduque la bipolarisation marxiste des classes. Cette moyennisation de la société apporte un champ beaucoup plus vaste à des revendications qui vont porter sur de nouvelles valeurs et non plus seulement sur des revendications d’ordre économique. Pour Ralf Dahrendorf, né en 1929, le conflit ne repose plus, comme le pensait Marx, sur l’accès au pouvoir économique. Il repose à présent sur l’accès à l’autorité et oppose ceux qui ont le pouvoir de décision à ceux qui le subissent. Le sociologue Ronald Inglehart estime que l’évolution du système capitaliste a apporté la satisfaction des besoins matériels dans les pays industriels. En conséquence, la base des conflits s’orienterait vers des revendications « postmatérialistes » comme une plus grande qualité de vie ou une plus grande autonomie dans le travail. Enfin, pour Alain Touraine, né en 1925, dans nos sociétés actuelles qu’il qualifie de « post-industrielles » ou de « programmées », la base du conflit reposerait sur la conquête de la direction de l’information. Pour lui, la technocratie et les médias imposent un modèle de conduite sociale. Il convient donc de combattre cette domination culturelle pour faire évoluer la société « dans la maîtrise de l’historicité », c’est-à-dire en orientant l’image et le modèle de la société à venir. Il considère que : « c’est depuis Mai [1968] que les mouvements sociaux ne se subordonnent plus à l’action des partis, que le champ de contestation s’est étendu à presque tous les secteurs de la vie culturelle et de l’organisation sociale. » Dès lors, ce qu’il appelle les « nouveaux mouvements sociaux » ne concernent plus seulement les mouvements ouvriers mais beaucoup plus largement la société tout entière. Ces mouvements mettent en jeu de nouveaux acteurs revendiquant une reconnaissance identitaire : les femmes, les homosexuels ou les écologistes. Il considère en outre que tout mouvement social doit répondre à trois principes : • un principe d’identité, par lequel le groupe prend conscience des intérêts communs à défendre et de l’orientation à prendre ; • un principe d’opposition : le groupe identifie les opposants à la revendication ; © Tous droits réservés Studyrama 2010 Fiche téléchargée sur www.studyrama.com En partenariat avec : 3 Fiche Cours Nº : 25011 ECONOMIE Série ES LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE • un principe de totalité grâce auquel le projet de modification de l’ordre social légitime l’action à entreprendre vis-à-vis de l’opinion publique. Le paradoxe d’Olson. Dans son livre La Logique de l’action collective paru en 1966, l’économiste américain Mancur Olson (1932-1998) analyse les conséquences de la montée de l’individualisme dans nos sociétés. Lorsqu’une action collective réussit, les avantages obtenus bénéficient à tous les salariés, qu’ils aient ou non participé au mouvement. Il observe alors que cela développe chez certains un mouvement calculateur de free rider ou « cavalier seul » aboutissant au paradoxe suivant : l’individu souhaite le succès de l’action collective pour en retirer des avantages, mais ne désire pas y participer pour ne pas perdre de temps et d’argent. Ce paradoxe permet en particulier d’expliquer la réduction du nombre des conflits sociaux et le recul du syndicalisme dans nos sociétés. Repères historiques Sous l’Ancien Régime, ce sont les maîtres des corporations qui fixent les conditions de travail et la rémunération des salariés ou compagnons. Les corporations sont interdites à la Révolution par la loi Le Chapelier de 1791, il faut attendre 1864 pour voir reconnaître le droit de grève, et la loi Waldeck-Rousseau de 1884 pour que soient autorisés les syndicats. C’est le début de l’institutionnalisation des conflits : le syndicat devient une force de construction et de proposition à partir des revendications protestataires des salariés. Les avantages obtenus par les luttes syndicales sont nombreux. La durée de travail passe en 1900 de 12 heures à 10 heures par jour. Le repos hebdomadaire obligatoire est institué en 1906 et les conventions collectives en 1919. Le Front populaire accorde en 1936 deux semaines de congés payés par an aux salariés. Mais après la période des Trente Glorieuses, le syndicalisme connaît une crise durable. Le taux de syndicalisation ou rapport entre le nombre de syndiqués et celui de salariés est en recul constant. En France, selon l’OCDE, il est passé de 22,3 % en 1970 à 17,5 % en 1980 et 9,8 % en 1990. Il est toujours à présent de moins de 10 %. De nombreuses raisons expliquent cette crise : • la montée du chômage et des emplois à durée déterminée rend plus difficile la mobilisation sociale ; • la tertiarisation de la société entraîne une hétérogénéité des salariés, de leurs qualifications et de leurs préoccupations qui rend plus complexe la réalisation d’actions unitaires ; • l’absorption dans des tâches de gestion administrative, comme les comités d’entreprise, ou une politisation très forte peuvent détourner une partie des salariés de la syndicalisation au profit des coordinations ou des mouvements ponctuels ; • représentants nécessaires, à l’époque fordiste, entre la masse des ouvriers et la direction, les syndicats voient leur implantation fragilisée par la réduction du personnel dans les entreprises due à la robotisation et au développement de multiples PME dans le secteur tertiaire ; • certains leur reprochent d’être trop attachés à la protection des intérêts acquis et de ne pas tenir compte suffisamment de l’évolution de la société ; • les délocalisations enfin, jointes à la réduction des effectifs de la population ouvrière, expliquent également la baisse du taux de syndicalisation. © Tous droits réservés Studyrama 2010 Fiche téléchargée sur www.studyrama.com En partenariat avec : 4