Communiqué de presse - HUDOC

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Communiqué de presse - HUDOC
du Greffier de la Cour
CEDH 408 (2012)
06.11.2012
Une disposition du droit du travail britannique permettant de
licencier un salarié uniquement en raison de son appartenance
à un parti politique est potentiellement génératrice d’abus
Dans son arrêt de chambre, non définitif1, rendu ce jour en l’affaire Redfearn c.
Royaume-Uni (requête no 47335/06), la Cour européenne des droits de l’homme conclut,
par quatre voix contre trois :
À la violation de l’article 11 (liberté d’association) de la Convention européenne
des droits de l’homme.
Dans cette affaire, le requérant se plaignait d'avoir été licencié de son emploi de
chauffeur pour personnes handicapées, essentiellement des Asiatiques, en raison de son
appartenance à un parti d'extrême droite (le British National Party, « le BNP ») qui, à
l'époque des faits, n'était ouvert qu’aux ressortissants britanniques de race blanche.
Principaux faits
Le requérant, Arthur Collins Redfearn, est un ressortissant britannique né en 1948 et
résidant à Bradford (Royaume-Uni).
M. Redfearn fut employé en tant que chauffeur dans la région de Bradford par une
société privée, Serco Limited, du 5 décembre 2003 jusqu'à son licenciement le 30 juin
2004. Ses passagers, essentiellement des enfants et des adultes ayant des handicaps
physiques et/ou mentaux, étaient en majorité d’origine asiatique. Ses performances ou
sa conduite au travail ne firent jamais l'objet d'aucune plainte, et il fut d’ailleurs désigné
« employé de première classe » (« first-class employee ») par son supérieur
hiérarchique, lui-même d'origine asiatique.
A la suite de révélations parues dans un journal local concernant l’affiliation politique de
M. Redfearn, plusieurs syndicats et employés reprochèrent à Serco de continuer à
employer celui-ci. Lorsque l’intéressé fut élu conseiller local au titre du BNP en juin 2004,
il fit l'objet d'une procédure de licenciement sommaire.
En août 2004, le requérant saisit le tribunal du travail d’une plainte pour discrimination
raciale en vertu de la loi de 1976 sur les relations interraciales (Race Relations Act
1976). Le tribunal du travail le débouta en février 2005. Relevant que le fait pour Serco
de continuer à employer l’intéressé aurait pu provoquer une angoisse considérable chez
les passagers de la société et chez leurs soignants, et qu'il y avait un risque que les
véhicules de Serco pussent être attaqués par des opposants au BNP, le tribunal conclut
que M. Redfearn n'avait fait l'objet d'aucune discrimination pour des motifs de santé et
de sécurité.
1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas
définitif. Dans un délai de trois mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le
renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si
l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de l’affaire et rendra un
arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet.
Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille
l’exécution. Des renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse
suivante : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.
En juin 2005, la Cour du travail (Employment Appeal Tribunal) accueillit le recours du
requérant, notamment au motif qu'aucune alternative au licenciement n'avait été
envisagée.
Toutefois, en mai 2006, la Cour d'appel accueillit l’appel de Serco, relevant en particulier
que le requérant alléguait avoir été victime de discrimination pour des motifs politiques
et non raciaux, et que ce grief échappait en conséquence à l’empire des lois antidiscrimination.
Le requérant se vit refuser l'autorisation de saisir la Chambre des Lords.
M. Redfearn n’a pas eu la possibilité d’introduire une plainte pour licenciement abusif
étant donné que la loi de 1996 sur les droits liés au travail (Employment Rights Act)
exigeait d’être employé depuis au moins un an pour pouvoir présenter une telle plainte.
Cette période minimale d’emploi ne s'applique pas lorsque le licenciement est motivé par
certaines raisons, notamment la grossesse, la race, le sexe ou la religion.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant en particulier les articles 10 (liberté d’expression) et 11 (liberté de réunion et
d’association), M. Redfearn se plaignait que son licenciement avait entraîné une
ingérence disproportionnée dans son droit à la liberté d’expression et à la liberté de
réunion et d’association.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le
16 novembre 2006.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Lech Garlicki (Pologne), président,
David Thór Björgvinsson (Islande),
Nicolas Bratza (Royaume-Uni),
Päivi Hirvelä (Finlande),
George Nicolaou (Chypre),
Zdravka Kalaydjieva (Bulgarie),
Vincent A. de Gaetano (Malte),
ainsi que de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section.
Décision de la Cour
Article 11 (liberté de réunion et d’association)
La Cour estime qu'il importe de garder à l'esprit les conséquences du licenciement du
requérant, qui, à 56 ans, aura certainement des difficultés à retrouver un autre emploi.
Par ailleurs, la Cour est frappée par le fait que l’intéressé a été licencié de manière
sommaire, à la suite de plaintes concernant des problèmes qui ne se sont dans les faits
jamais concrétisés, sans qu'apparemment on n'ait examiné la possibilité de le transférer
sur un poste où il n’aurait pas été en relation avec les clients. En réalité, avant qu'il ne
soit fait état publiquement de son affiliation politique, ni ses clients ni ses collègues ne
s'étaient plaints de M. Redfearn, qui était considéré comme un « employé de première
classe ».
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Étant donné cependant que M. Redfearn était employé par une société privée, la Cour
doit examiner si la législation interne a ou non protégé de manière adéquate ses droits
en vertu de l'article 11, et non si son licenciement était raisonnable ou proportionné.
Premièrement, la Cour renvoie à sa jurisprudence établie selon laquelle, dans une
société démocratique et pluraliste saine, le droit à la liberté d'association en vertu de
l'article 11 doit s'appliquer non seulement aux personnes ou associations dont les vues
sont accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives mais également à celles
dont les idées heurtent, choquent ou inquiètent.
Ensuite, la Cour est d'avis que le recours interne le plus approprié pour une personne
qui, comme M. Redfearn, se verrait licenciée en raison de ses opinions ou affiliation
politiques, aurait été une action pour licenciement abusif en vertu de la loi de 1996.
Toutefois, l'intéressé n'a pas pu se prévaloir de ce recours car il était employé depuis
moins d'un an. Or les personnes dans ce cas peuvent saisir le tribunal du travail d'une
plainte pour discrimination fondée sur la race, le sexe ou la religion mais non sur
l’affiliation ou les opinions politiques. N'ayant aucun autre recours à sa disposition, le
requérant s'est vu contraint de présenter une plainte pour discrimination raciale en vertu
de la loi de 1996, qui a priori ne prévoit pas de couvrir une telle situation et n’a pas
offert au requérant une protection contre l'ingérence dans son droit à la liberté de
réunion et d'association.
Dès lors, il incombe au Royaume-Uni de prendre des mesures raisonnables et
appropriées pour protéger les salariés, y compris ceux qui occupent un emploi depuis
moins d'un an, d'un licenciement fondé sur leurs opinions ou leur affiliation politiques,
soit en créant une autre exception à la période minimale d’emploi prévue par la loi de
1996, soit en introduisant un recours exempt de conditions pour discrimination illégale
fondée sur les opinions ou sur l’affiliation politiques. Un système juridique qui permet de
licencier un salarié uniquement en raison de son appartenance à un parti politique est
potentiellement générateur d'abus et donc intrinsèquement déficient. Partant, la Cour
conclut à la violation de l'article 11 en l’espèce.
Opinion séparée
Les juges Bratza, Hirvelä et Nicolaou ont exprimé une opinion séparée dont le texte se
trouve joint à l’arrêt.
L’arrêt n’existe qu’en anglais.
Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts
rendus par la Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci,
peuvent être obtenus sur www.echr.coe.int. Pour s’abonner aux communiqués de presse
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La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les Etats
membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de
la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.
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