Quelles ranges de mains pour nos 4-bets?
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Quelles ranges de mains pour nos 4-bets?
LP57p76-79_Technique-Sharp:LP3 AR pas si simple 16/05/12 20:03 Page76 TECHNIQUE PAR SHARP COACH SUR POKER-ACADEMIE.COM BET ET MÉCHANT Quelles ranges de mains pour nos 4-bets ? Avec l’avènement de la génération Internet, le jeu pré-flop est devenu plus agressif que jamais. Les ranges de 3-bet se sont considérablement élargies et il est loin le temps où une simple relance suffisait à s’assurer le contrôle du coup. Pour faire face à ce regain d’agressivité, la meilleure défense est bien souvent l’attaque et la contre-stratégie standard offre donc une large place au 4-bet. Encore faut-il savoir utiliser cette arme à bon escient. P artons d’une situation classique au Hold’em. En premier de parole, nous sommes très excités en découvrant deux Dix noirs. Nous ouvrons les enchères. Tout le monde passe jusqu’au bouton qui… patatras, surenchérit notre relance initiale. Nous faisons face à un 3-bet. Même si cette situation est devenue courante, elle n’en demeure pas moins désagréable. S’il bluffe avec 7♠6♠, notre main est nettement en avance. Mais en relançant, nous prenons le risque de nous enferrer contre une paire d’As ou de Rois. Dans l’incertitude, nous sommes tentés de payer. C’est d’ailleurs validé par le théorème de polarisation. Car s’il sait ce qu’il fait, l’adversaire a forcément une range de 3-bet polarisée : • Un Pôle Valeur. Il 3-bet les mains en avance sur notre propre range pour partir à tapis pré-flop, et il suit avec celles qu’il juge profitables pour voir un flop en position. • Un Pôle Bluff. Il 3-bet en bluff un troisième ensemble constitué de mains trop faibles pour payer la mise initiale, mais qui ont les qualités requises pour bluffer, et il jette le reste. Face à une range polarisée, le théorème indique de payer plutôt que de relancer. Quel intérêt en effet de faire coucher les bluffs adverses tout en s’empalant sur le haut de la range de notre concurrent? Et pourtant, il existe une règle d’or au poker: payer un 3-bet hors de position est toujours une erreur! Dans le cas présent, étant donné que notre paire de Dix est largement dominée par son Pôle Valeur, si l’adversaire a une range de 3-bet équilibrée, la meilleure ligne de jeu est moins d’avoir AA, il est dangereux de laisser l’adversaire voir le flop et de le laisser prendre l’avantage ou trouver l’équité nécessaire pour aller à l’abattage. Avec la position, ce risque est contrôlable. Sans elle, il est un écueil fatal. Il est généralement incorrect d’investir plus de 25% de son tapis sans aller au bout. Le pot devient alors tellement gros par rapport à notre stack que nous avons la cote pour engager le reste contre la plupart des ranges adverses. En suivant le 3-bet, nous nous retrouverons devant une décision difficile au flop. Suivre la mise nous rapproche dangereusement du seuil fatidique au-delà duquel il est incorrect de jeter, et toute relance nous engagera à aller au bout. Le rapport des masses donne la force du levier à l’adversaire. Il peut, en risquant une part marginale de son stack, nous placer face au choix désagréable d’engager notre tapis ou de jeter. À l’inverse, le 4-bet retourne la situation et place l’opposant face au même dilemme. de position « Payer un 3-bet hors ! » est toujours une erreur 76 LivePoker donc de jeter. Mais pourquoi le théorème de polarisation ne s’applique-t-il pas dans ce cas précis ? C’est que deux autres principes fondamentaux du poker, la nécessité de protéger le pot et l’effet de levier, prennent le pas. PRINCIPE DE LEVIER ET SEUIL D’ENGAGEMENT Un pot à 3-bet contient généralement plus de 20 blindes. Si nous faisions face à un joueur qui 3-bet le top 3% des meilleures mains {JJ+ et AK} et bluffe les 6% des mains les plus faibles (les 32o, 42o et autres 72o), nous ne prendrions que peu de risques à nous contenter de suivre pré-flop. Ce profil n’existe qu’en théorie, et les mains du Pôle Bluff de l’adversaire ont souvent plus de 30% d’équité contre notre range de call. À CALIBRER SES 4-BETS Nous sommes en NL100, les blindes sont de 0,5€/1€ et les tapis de 100 blindes. Nous ouvrons les enchères à 3,50 €, le bouton relance à 10 €. Un 4-bet nous donne alors l’avantage de l’effet de levier. En relançant à 25 €, nous offrons une excellente cote à l’adversaire. Il doit ajouter 15 pour un pot de Photo : Hugues Fournaise LP57p76-79_Technique-Sharp:LP3 AR pas si simple 16/05/12 20:03 Page77 36,50. Mais s’il paye, il aura investi 25% de son tapis et atteint le seuil d’engagement. Il n’a pas la marge de manœuvre pour aller voir un flop et réajuster sa décision. Il doit faire le choix maintenant pour le reste de son tapis. Relancer plus cher est donc inutile! En 4-bettant, on donne ainsi la possibilité à notre rival d’engager son tapis ou d’abandonner. Par conséquent, une range de 4-bet doit être polarisée. Le Pôle Valeur est constitué des mains avec lesquelles nous acceptons d’aller à tapis. Les frontières de ce pôle vont dépendre des caractéristiques de l’adversaire, de nos positions respectives et de la dynamique de la partie. Mais quels que soient ces paramètres, ayez toujours une range plus serrée que celle de Vilain. Face à un joueur qui va à tapis avec le top 5% {TT+, AQ+, AJs}, vous ne gagnerez rien d’autre qu’introduire de la variance dans vos résultats à 4-bet pour valeur la même range. En vous engageant avec le top 3% {AK, JJ+}, vous jouerez 100 blindes avec 58% d’équité, range contre range. Soit un gain théorique moyen de 16 blindes à chacun de vos tapis (lire tableau ci-contre). 3-bet à 10. Nous relançons à 25 et il fait tapis pour 100 €. Ce joueur a une range de 5-bet très large {TT+, AQ+ et AJs}, soit le top 5%. Il nous demande 75 € pour en gagner 126,50. Nous avons donc besoin de 40% d’équité. Contre sa range, nous pouvons payer son tapis avec {TT+, AQs et AKo}. Avec 22 ou A♠5♠, nous avons une décision facile sur le 3-bet. Nous jetons notre main ou optons pour un 4-bet en pur bluff. Avec QQ ou AK, nous sommes favoris contre la range de 5-bet adverse et ravis de partir à tapis. Mais les décisions marginales sont beaucoup plus difficiles à prendre… Avec le top de notre range d’abandon Par exemple, A♠Q♦ et 99 sont deux mains solides contre la range de 3-bet, mais qui n’ont pas les 40% d’équité nécessaires contre celle de 5-bet. AQ ayant 36,6% et 99 environ 38%. Pour ne pas avoir à choisir, dans cette situation, trop de joueurs font l’erreur de suivre le 3-bet. Il ne faut pas s’attacher à une main médiocre et savoir reconnaître que ces jeux ne valent pas mieux qu’un bluff. Grâce CONSTRUIRE SA RANGE DE 4-BET SAVOIR ABANDONNER UNE MAIN MARGINALEMENT FORTE Nous sommes en NL100, les blindes sont de 0,5 €/1 € et les tapis de 100 BB. Nous ouvrons depuis le cut-off à 3 € et le bouton à ses bloqueurs, AQo est une très bonne main à transformer en bluff. Malgré une meilleure équité contre la range, il y a moins d’intérêt à 4-bet 99. En revanche, si l’adversaire est capable de payer le 4-bet, nous avons alors tout intérêt à le faire en semibluff avec le top de notre range d’abandon : AQo, AJ, KQ ou les paires moyennes (88-TT). Avec le bas de notre range de call du 5-bet TT ou A♠Q♠ ont exactement 40% contre la range de 5-bet adverse. Un 4-bet engageant notre tapis revient donc à jouer à pile ou face pour 100 blindes. Nous n’avons rien à gagner ni à y perdre. Le seul résultat à long terme sera d’augmenter la variance. Si vous préférez la prudence ou si vous êtes prompt au tilt lorsque vous êtes perdant, il est plus sage de coucher ces mains face au 3-bet. Si en revanche, flamber ne vous fait pas peur et si vous estimez que votre opposant est susceptible de perdre ses nerfs en perdant son tapis, optez pour un 4-bet. Il est nécessaire de planifier ses actions à l’avance. Pôle Valeur Décision marginale RANGE DE 5-BET ADVERSE Serrée {QQ+, AKs} Moyenne {JJ+, AK} Large {TT+, AQ+, AJs} AA, KK QQ+, AKs JJ+, AK AKs AKo TT, AQs LivePoker 77 LP57p76-79_Technique-Sharp:LP3 AR pas si simple 16/05/12 20:03 Page78 TECHNIQUE Investir 25 blindes dans un 4-bet avec ces mains pour les jeter sur un 5-bet est une erreur. 4-BET EN POSITION, AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS Le Pôle Bluff de notre range est constitué des mains avec lesquelles on relance le 3-bet et on abandonne si l’adversaire engage son tapis. N’ayant pas l’intention d’amener ces mains à l’abattage, peu importe que nous ayons AT, JJ ou 72o. Cependant, les bloqueurs jouent un rôle déterminant dans la théorie du 4-bet. Comme le résume le tableau ci-contre, avoir un As ou un Roi en main augmente significativement les chances de réussite du bluff. Voyons maintenant les cas où le 3-bet vient des blindes et où nous avons la position. Suivre passivement le 3-bet est désormais une alternative forte. Conserver de la profondeur et garder un ratio tapis par rapport au pot élevé est à l’avantage du joueur en position. Notre champ de manœuvre s’élargit donc considérablement. Construire un Pôle Valeur en évaluant les coûts d’opportunités Ce terme venu des mathématiques financières souligne la nécessité d’évaluer la perte engendrée lorsque l’on choisit entre deux lignes de jeu. Dans ce cas précis, le joueur qui 4-bet perd son option de payer le 3-bet et voir un flop en position. Cette décision est irréversible. Même si le 4-bet est profitable, ce n’est pas forcément la ligne de jeu optimale. Suivre avec les mains marginales contre la range de 5-bet adverse Ces mains dominent la range de 3-bet adverse. Mais leur équité est faible ou marginale contre sa range de 5-bet à tapis. En position, nous ne souffrons plus du choix cornélien entre devoir les jeter sur le 3-bet, les transformer en bluff ou engager notre tapis. Nous pouvons maintenant nous contenter de LE POUVOIR DES BLOQUEURS RANGE DE 5-BET ADVERSE Serrée {QQ+, AKs} Moyenne {JJ+, AK} Large {TT+, AQ+, AJs} Aucun bloqueur (56s, 99) 22 combinaisons 40 combos 62 combos As bloqueur (A2o, A7s) 18 combos (-19%) 33 combos (-18%) 51 combos (-14%) Roi bloqueur (K5o) 18 combos (-19%) 33 combos (-18%) 55 combos (-11%) Deux bloqueurs (AQo) 15 combos (-32%) 30 combos (-25%) 45 combos (-27%) suivre le 3-bet et aller voir un flop. Nous préférerons un 4-bet si notre adversaire : • est capable de faire l’erreur de payer le 4-bet, le prix de cette erreur compensant largement la perte d’équité sur un 5-bet ; • est prompt au tilt lorsqu’il perd un stack ; • est beaucoup plus fort que nous dans le jeu post-flop ; • ou excelle dans le jeu pré-flop, d’où la nécessité d’équilibrer nos ranges. LE 4-BET EN BLUFF Le pouvoir de levier est magnifié avec la position. Il est maintenant extrêmement difficile, voire impossible, à l’adversaire de suivre cette surenchère. Aucune main autre que paire d’As n’est assez forte pour justifier une telle ligne. En conséquence, le joueur qui 4-bet peut réduire la taille de sa relance au Le 4-bet risque ainsi 17 pour gagner 13,50. La surenchère est justifiée en bluff dès lors que la grosse blinde abandonne 56% des pots. Il est rare qu’un régulier engage son tapis avec une range plus large que {TT+, AQ+, AJs}, soit 5% des mains. S’il 3-bet à une fréquence supérieure à 10%, il est profitable de le contrer avec un 4-bet. Nombreux sont les joueurs entrant dans cette catégorie. Ils sont, en théorie, facilement exploitables. Prenez cependant garde au phénomène de l’arroseur arrosé. Si celui qui 3-bet est compétent, il est tout aussi important pour le joueur qui 4-bet d’équilibrer ses ranges. Nous sommes en NL100. Le bouton relance à 3 €, et la grosse blinde 3-bet à 10 avec 72o, le bouton 4-bet à 24. Son taux de 4-bet est de 10% dans cette configuration. Il paye le all in avec {JJ+, AQ+}. Quelle est alors la meilleure ligne de jeu pour la grosse blinde? Pour les raisons expliquées plus haut, suivre le 4-bet est incorrect. Qui plus est hors de position et avec la plus mauvaise main du Hold’em. Les deux alternatives restantes sont l’abandon ou le 5-bet bluff à tapis. Afin de départager ces deux lignes, comparons leur équité… Équité du 5-bet = (Probabilité du bluff) x (Équité de bluff) + (Probabilité d’être payé) x (Équité si payé). Calculons donc séparément ces quatre facteurs. Le bouton 4-bet 10% et engage son tapis avec 4,2%. On en déduit, en supposant qu’il 4-bet l’intégralité de sa range pour valeur, les deux probabilités suivantes : Probabilité du bluff = 58% et Probabilité incorrect « Il est généralement d’investir plus de 25% r au bout. » de son tapis sans alle 78 LivePoker minimum. Cela donne une excellente cote aux bluffs. Nous sommes en NL100 et ouvrons à 3 € au bouton. La grosse blinde nous relance à 10. Nous pouvons 4-bet à 20, la grosse blinde n’a pas l’espace pour un 5-bet en bluff sans dépasser le seuil d’engagement. Elle ferait également une erreur en payant. Avec l’effet de levier, une mise d’un tiers à un quart du pot en continuation au flop, met en jeu le reste de son tapis. LP57p76-79_Technique-Sharp:LP3 AR pas si simple 16/05/12 20:03 Page79 Photo : Jacques Giral TECHNIQUE bluffs. Sachez enfin profiter des opportunités liées à votre image à table et à la dynamique de la partie. QUELS AJUSTEMENTS AVEC DES TAPIS PLUS PROFONDS ? d’être payé = 42%. L’équité du bluff ici est donc égale à la taille du pot : 10 + 24 + 0,5 = 34,5. Équité si payé = (Probabilité de gagner) x (Gains) - (Probabilité de perdre) x (Pertes). Soit : (23,3% x 110,5) – (76,7% x 90) = 25,7 – 69 = - 43,3. 23,3% étant la probabilité de 72o de gagner contre la range {JJ+, AQ+}, simulée par itération à l’aide du logiciel PokerStove. Et donc, Équité de 5-bet = (58% x 34,5) + (42% x (-43,3)) = 20 – 18,2 = 1,8 €. Rappelons que l’abandon est toujours une ligne de jeu d’équité nulle. On arrive alors à cette conclusion étonnante : un 5-bet à tapis avec 72o est une ligne de jeu supérieure à jeter sur le 4-bet ! En extrapolant, contre un régulier qui 4-bet trop fréquemment, le joueur qui 3-bet peut faire tapis avec n’importe quelle main de façon profitable. Afin de ne pas être exploitable, le volume de la range de 4-bet en bluff ne doit pas dépasser 40% de celui de 4-bet pour valeur. Dans la pratique, un taux de 50% est difficilement exploitable. Privilégiez encore les bloqueurs afin de sélectionner vos Tous les exemples de cet article concernent des tapis effectifs de 100 blindes. La théorie du 4-bet se trouve largement modifiée par la taille des tapis. Avec des stacks profonds, nous voulons relancer plus cher afin de décourager les payeurs et essayer d’atteindre un effet de levier identique. Attention à ne pas tomber dans des tailles de relances routinières. Le 4-bet est calibré sur la taille du seuil d’engagement de 25% du tapis effectif et pas uniquement sur la taille du 3bet adverse. Hors de position Si les tapis sont bien trop profonds pour atteindre ce seuil, le 4-bet perd beaucoup de son intérêt hors de position. Il y a alors très peu de mains que nous 4-bettons dans le but de partir à tapis et il est difficile d’équilibrer nos bluffs. De plus, la probabilité augmente de voir notre relance suivie et de faire face à des situations difficiles post-flop. Il faut donc prendre en considération la “jouabilité” des mains avec lesquelles on 4-bet. Les As assortis ou les petites consécutives assorties deviennent de bons candidats pour le Pôle Bluff. Ils peuvent surprendre le défenseur post-flop et sont complémentaires des mains du Pôle Valeur. En position En position, c’est l’inverse. On veut alors élargir sa range de 4-bet pour mettre l’adversaire en position délicate. Ce dernier court maintenant le risque de souffrir des cotes implicites inversées. À l’instar du 3-bet avec des tapis de 100 blindes, le 4-bet avec des tapis de 200 blindes donne l’effet de levier au joueur en position. S’il veut bénéficier de l’effet de levier, l’adversaire doit lancer un 5-bet et investir énormément de blindes dans l’opération. ■ LivePoker 79