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UNITÉ ET DIVERSITÉ DES PAYS BALTES
Texte de la conférence du 9 juin 2009 d’Alain Barré préparatoire au voyage de l’ASA dans
les Pays Baltes
Depuis près de vingt ans, les trois républiques baltes (du Nord au Sud : Estonie, Lettonie,
Lituanie) existent à nouveau1. Elles avaient déjà connu vingt ans d’indépendance de 1920 à
1940.
Le terme de pays baltes est relativement récent : il est apparu au milieu du XIXème siècle pour
désigner des pays riverains de la côte orientale de la mer baltique, qui faisaient alors partie de
l’Empire russe et qui, à l’exception de la Lituanie, n’avaient jamais constitué d’États
indépendants. En effet, depuis le Moyen-Age, ces pays ont été occupés et administrés par
leurs voisins danois, suédois, allemands, polonais et enfin russes, qui les ont aussi utilisés
comme champs de bataille. Ce passé complexe a évidemment laissé de multiples traces dans
le peuplement, les langues, les religions, l’architecture, etc.
Dès leur indépendance, reconnue le 6 sept. 1991, par le Conseil d’État de l’URSS, les trois
États baltes ont tourné le dos à Moscou – refusant tout idée d’association à la CEI,
Communauté des États Indépendants, créée autour de la Russie – et se sont résolument
tournés vers l’Ouest. Deux faits symbolisent cette nouvelle orientation : l’adhésion à l’OTAN
(nov. 2002, cérémonie officielle 30 mars 2004) et l’entrée dans l’UE (1er mai 2004).
Leur situation sur la rive orientale de la Baltique, au contact du monde russe, les désigne tout
naturellement pour jouer le rôle d’interface entre l’Ouest et l’Est, entre l’UE et la Russie,
d’autant que les trois républiques abritent d’importantes minorités russophones. Mais, cette
présence apparaît plus comme une source de tension avec le puissant voisin que comme un
atout, notamment en Lettonie et en Estonie.
On se propose de réaliser une présentation des trois pays baltes, en insistant sur les trois points
suivants :
- Trois petits pays, faiblement peuplés, mais différents par leur identité.
- Une histoire complexe qui a laissé de multiples traces.
- L’ancrage à l’Ouest et les relations délicates avec le voisin russe.
I - Trois petits pays, faiblement peuplés, mais différents par leur identité
1.1 – Les points de convergence sont fournis par la géographie physique
Les points de convergence entre les trois pays sont plus à rechercher dans la géographie
physique – paysages et climat – que dans la géographie humaine, car les grands marqueurs
identitaires que sont les langues et les religions contribuent à les opposer.
Dans l’ensemble, le relief est modeste : les points culminants dans les trois pays avoisinent les
300 mètres (Est. = 314 m ; Let. = 312 m ; Lit = 294 m). Le relief porte les traces des
1
Alain BARRÉ, conférence du 9 juin 2009, en préparation au voyage de l’ASA dans les pays baltes (fin juin
2009).
1
glaciations quaternaires qui ont laissé de multiples dépôts morainiques, notamment des
collines, enserrant des lacs, des marécages et des tourbières.
Les deux principaux cours d’eau viennent de l’Est (Russie et Biélorussie) : la Daugava (1 020
km) qui rejoint la Baltique à Riga et le Niémen (Nemunas en lituanien, 940 km) qui se jette
dans la lagune des Coures, par un delta, au sud de Klaipéda.
Le climat reflète la position des trois pays en bordure d’une mer qui introduit une influence
adoucissante, mais aussi des précipitations réparties sur toute l’année, tandis que
l’enfoncement relatif dans la masse continentale, combinée à la position en latitude, est à
l’origine d’hivers froids et enneigés, avec des températures moyennes légèrement négatives ;
mais les températures extrêmes peuvent être très basses (inférieures à – 25°C), lors d’épisodes
anticycloniques. De même, en été, à côté de journées fraîches et pluvieuses, on enregistre des
périodes avec des températures élevées (30°C) et des orages qui rappellent le climat
continental.
Sols et climat expliquent l’importance de la couverture forestière qui diminue toutefois du
nord vers le sud (50% en Estonie, 30% en Lituanie). Il s’agit de forêts de conifères (pins,
épicéas) et de feuillus (bouleaux, trembles, aulnes) qui constituent une richesse exploitée, tant
pour le bois de chauffage que pour le bois d’œuvre. L’exportation de bois constitue aussi une
part notable des rentrées financières des trois États. L’ampleur des espaces vierges et la
volonté de préserver la faune et la flore ont conduit à la création de parcs nationaux et de
réserves naturelles qui sont aussi des lieux de découverte, de détente et de tourisme.
Si les trois pays possèdent une façade maritime, celle-ci est d’ampleur bien différente.
L’Estonie est le plus maritime, avec 1 400 km de côtes, un bon millier d’îles et d’îlots, dont
les deux grandes îles qui contrôlent l’entrée dans le golfe de Riga (Hiimuaa et Saaremaa). Le
golfe de Finlande est pris par les glaces en hiver et le port de Tallin est pris par les glaces en
moyenne 48 jours. La Lettonie compte près de 500 km de côtes et dispose de trois ports :
Riga, Ventspils et Liepaja. Quant à la Lituanie, elle ne possède que 100 km de littoraux et
constitue le plus continental des trois États : d’ailleurs sa capitale n’est pas un port et elle se
caractérise par sa position très excentrée, à environ 30 km de la frontière avec la Biélorussie.
Elle possède le port de Klaipéda ; c’est au niveau de ce port que se termine le long cordon
sableux des Coures (100 km) qu’elle partage, pour moitié, avec l’enclave russe de
Kaliningrad.
Les ports du Sud des pays baltes sont libres de glaces en hiver et, c’est notamment pour cette
raison, qu’ils ont été convoités par la Russie.
Les littoraux baltes se subdivisent en deux sur le plan des paysages : les côtes du golfe de
Finlande sont à falaises, tandis que celles qui font face directement à la Baltique sont des
côtes sableuses.
1.2- La géographie humaine contribue à individualiser les trois pays
Les trois États baltes se caractérisent par une population peu nombreuse et par la présence de
minorités slaves, proportionnellement importantes en Lettonie et en Estonie (Cf. tableaux).
Avec 3,4 millions d’habitants, la Lituanie regroupe près de la moitié de la population totale et
c’est également le pays qui a la population la plus homogène. Depuis 1991, les trois pays ont
perdu quelque 500 000 habitants, passant de 7,5 à 7 millions d’habitants, en raison :
2
- d’un solde naturel négatif : la faiblesse de la fécondité se traduit par un excédent de décès
par rapport aux naissances ;
- par un solde migratoire négatif, suite aux départs de Russes (civils et militaires) et aux
migrations de jeunes partis chercher un emploi dans d’autres pays de l’UE.
Si les langues locales utilisent l’alphabet latin, avec des lettres comportant des signes
diacritiques, elles appartiennent à deux groupes linguistiques différents.
La langue estonienne ou este se rattache à la branche linguistique finno-ougrienne et explique
l’individualisation du pays. Apparentée au finnois, elle a encouragé le développement de
relations privilégiées avec la Finlande, après 1991, d’autant que Tallinn et Helsinki se font
face de part et d’autre du golfe de Finlande (80 km). Avant 1991, certains Estoniens
regardaient la télévision finlandaise… à l’instar des citoyens de la RDA qui regardaient les
chaînes télévisées de la RFA.
Le letton et le lituanien sont deux langues baltes qui appartiennent à la grande famille des
langues indo-européennes. Elles ont des traits communs (des déclinaisons), mais leurs
locuteurs ne se comprennent pas et doivent passer par une autre langue pour se comprendre,
en général le russe ou l’anglais.
D’autre part, les clivages religieux ne recoupent pas les clivages linguistiques, accentuant
ainsi les différences entre les diverses régions. En dépit d’un demi-siècle d’athéisme officiel
et de la présence d’agnostiques, la religion reste un puissant marqueur identitaire. Convertis
au catholicisme au Moyen-Age, les Baltes ont abandonné leur unité religieuse au XVIème
siècle : les Estoniens et la majeure partie des Lettons ont adopté la Réforme luthérienne. Par
contre, la Lituanie et le sud-est de la Lettonie (les deux faisaient alors partie du vaste
ensemble polono-lituanien) ont conservé la religion catholique.
Les minorités russes se rattachent culturellement et éventuellement religieusement à
l’orthodoxie. Mais, parmi les populations locales, il y a eu des conversions à la religion
orthodoxe (volontaires, voire forcées par le pouvoir tsariste).
Exemple : en déc. 2008, est décédé le patriarche de Moscou Alexis II. Il était né, en 1929 à
Tallinn, dans une famille aristocratique d’origine allemande (Alexis Ridiger). En 1961, il
devient évêque de Tallinn et d’Estonie ; puis, en 1986, il est nommé métropolite de Leningrad
et, en 1996, est élu « patriarche de Moscou et de toutes les Russies ». C’est donc un Balte qui
a assuré le renaissance de l’église orthodoxe russe, avec l’appui du Président Poutine…
Le cas d’Alexis II illustre la complexité de l’Histoire et des itinéraires personnels dans les
pays baltes.
Enfin, toujours sur le plan des religions, il ne faut pas oublier que le judaïsme a été important
en Lituanie et en Lettonie, mais qu’il y a pratiquement disparu lors de la Shoah (1941-1944),
tandis qu’une partie des rares survivants a émigré vers l’État d’Israël.
3
QUELQUES STATISTIQUES SUR LES PAYS BALTES
Superficie
En km2
45 100
64 600
65 200
174 900
Estonie
Lettonie
Lituanie
Total
Population
2007
1 335 000
2 277 000
3 390 000
7 002 000
Densité
h/km2
30
35
52
PIB/h 2007
En $ US
15 300
11 830
10 470
France : 40 780
Source : Images Économiques du Monde 2009
Population des principales villes baltes
- Estonie
Tallinn : 400 000h Tartu : 102 000h
Narva : 70 000h
- Lettonie
Riga : 770 000h
Daugavpils : 116 000h
Liepaja : 70 000h
- Lituanie
Vilnius : 540 000h Kaunas : 375 000h Klaipéda : 190 000h
L’Estonie et la Lettonie se caractérisent par la macrocéphalie de la capitale qui regroupe 30% de la
population du pays dans le premier cas et 34% dans le second. Le réseau urbain de la Lituanie est plus
équilibré : la capitale n’écrase pas par son poids démographique la seconde ville du pays.
COMPOSITION DÉMOLINGUISTIQUE DES PAYS BALTES
(source : Université Laval - Québec)
Estonie
1989
Nationalité
2000
Nombre
Pourcentage
Nombre
Pourcentage
Estoniens
963 281
61,5 %
930 219
67,9 %
Russes
474 834
30,3 %
351 178
25,6 %
Ukrainiens
48 271
3,1 %
29 012
2,1 %
Biélorusses
27 711
1,8 %
17 241
1,3 %
Finnois
16 622
1,1 %
11 837
0,9 %
Tatars
4 058
0,2 %
2 582
0,2 %
Lettons
3 135
0,2 %
2 330
0,2 %
Polonais
3 008
0,2 %
2 193
0,2 %
Juifs
4 613
0,3 %
2 145
0,1 %
Lituaniens
2 568
0,2 %
2 116
0,1 %
Allemands
3 466
0,2 %
1 870
0,1 %
14 088
0,9 %
9 410
0,7 %
7
0,0 %
7 919
0,6 %
Autres
Inconnus
Total
1 565 662
100,0 %
1 370 052
100,0 %
Source: Recensement officiel de l'Estonie, 2000
4
Lettonie
Groupe ethnique
1989
52,2 %
34,0 %
4,4 %
3,4 %
2,2 %
1,3 %
0,6 %
0,3 %
0,1 %
1,2 %
Lettons
Russes
Biélorusses
Ukrainiens
Polonais
Lituaniens
Juifs
Tsiganes
Allemands
Autres
TOTAL
1 396 100
902 300
117 200
89 300
59 700
34 100
16 300
7 200
2 900
31 900
2 657000
2004
58,7 %
28,8 %
3, 9 %
2,6 %
2,5 %
1,4 %
0,4 %
0,3 %
0,2 %
1,2 %
1 356 081
664 082
88 998
59 403
56 798
31 840
9 820
8 436
3 311
28 030
2 309 339
Source: Recensement de 1989 et la Direction des affaires de citoyenneté et de migration (DACM).
Lituanie
Nationalités
1989
1989
2001
2001
Lituaniens
Polonais
Russes
Biélorusses
Ukrainiens
Juifs
Autres/inconnues
2 925 142
257 994
344 455
63 169
44 789
12 314
26 939
79,6 %
7,0 %
9,4 %
1,7 %
1,2 %
0,3 %
0,8 %
2 907 293
234 989
219 789
42 866
22 488
4 007
39 059
83,45 %
6,74 %
6,31 %
1,23 %
0,65 %
0,12 %
1,12 %
Total
3 674 802
100 %
3 483 972
100 %
Source : Recensements de 1989 et 2001
5
II – Une histoire complexe qui a laissé de multiples traces
On se propose ici de balayer rapidement l’histoire des pays baltes, en s’attardant toutefois sur
le XXème siècle, pour montrer que des puissants voisins ont tour à tour et parfois
simultanément occupés les pays baltes et les ont utilisés comme champs de bataille.
2.1 – Du Moyen-Age au XIXème siècle
Dès l’Antiquité, le trafic de l’ambre a fait la renommée des côtes baltes. Au début du MoyenAge, Vikings et Russes font des incursions dans le pays ; mais, c’est à partir du XIIIème siècle
que débute une colonisation organisée, doublée d’une entreprise de conversion des
populations autochtones (= une « croisade »).
En 1219, les Danois débarquent en Estonie et fondent Reval, que les Estoniens appellent
Tallinn, c’est-à-dire Taani Linn (la « ville des Danois »). Ils y établissent un évêché.
Peu auparavant, un Allemand, Albert de Buxhövden, fonde en 1201 la ville et l’évêché de
Riga. Il fait venir un ordre militaire – qu’il a créé à Brême en 1197 – les chevaliers PorteGlaive. Ceux-ci entreprennent la conquête de la Livonie. En 1237, les Porte-Glaive sont
rattachés aux chevaliers Teutoniques (dont ils constituent une branche : l’ordre livonien). Les
Teutoniques interviennent aussi en Estonie, coopérant avec les Danois (qui finiront par leur
vendre leur part et quitter le pays en 1347).
Les Teutoniques établissent un régime féodal, dans lequel les autochtones sont réduits en
servage. Ils sont secondés par des négociants allemands de la Hanse, qui créent ou
transforment certaines villes en comptoirs.
De leur côté, les Lituaniens résistent aux Teutoniques. Ils s’unissent aux Polonais en 1386,
quand leur grand-duc Jagellon épouse Hedwige la reine de Pologne. Jagellon se convertit au
catholicisme et les Lituaniens le suivent : ils sont les derniers Européens à devenir chrétiens.
En 1410, les Polono-Lituaniens infligent à Tannenberg une sérieuse défaite aux Teutoniques.
Le vaste royaume polono-lituanien s’étend alors de la Baltique à la mer Noire ; il sera
progressivement « grignoté » par ses voisins, au cours des siècles suivants. Pour conforter la
religion catholique, les Jésuites fondent un collège à Vilnius en 1569, transformé en
Université dix ans plus tard.
Le XVIème siècle marque aussi l’arrivée de la Réforme luthérienne dans les pays baltes par le
nord (Estonie et Lettonie). Le dernier grand-maître des chevaliers Porte-Glaive, Gotthard
Kettler, adopte la Réforme luthérienne, en 1561, et fonde une dynastie qui règne sur la
Courlande jusque 1737. Par crainte des Russes, G. Kettler se déclare vassal de la Pologne, qui
lui laisse d’ailleurs une très grande autonomie. Les biens de l’Ordre sont sécularisés et les
descendants des chevaliers deviennent les « barons baltes », qui continuent à gérer leurs
domaines avec des « serfs » locaux. La Courlande, dont la capitale est Jelgava (Mittau en
allemand), connaît notamment au XVIIème siècle une grande prospérité.
En 1561, la Suède s’installe en Estonie. En 1629, elle s’empare de la Livonie. En 1632, Les
Suédois créent l’université de Dorpat (Tartu pour les Estoniens), où l’enseignement se fait en
allemand.
6
Au début du XVIIIème siècle, le tsar Pierre 1er (le Grand) s’empare, aux dépens de la Suède, de
l’Estonie et de la Livonie (traité de Nystad, 1721). A la fin du XVIIIème siècle, l’État polonolituanien disparaît, dépecé par ses voisins prussiens, autrichiens et russes (partages de 1772,
1793 et 1795). Les territoires des trois pays baltes font alors partie de l’empire tsariste. Les
barons baltes conservent leurs privilèges (le servage ne sera aboli qu’au milieu du XIXème
siècle) ; ils servent à la cour du tsar, dans l’armée et dans l’administration.
Le XIXème siècle est marquée par deux tendances contradictoires :
- d’une part, les Baltes commencent à aspirer à une certaine autonomie (vis-à-vis des barons
baltes – en fait, des Allemands – et des Russes) et à la reconnaissance de leur langue. Les
Estoniens passent par le chant choral, qui est encouragé par les pasteurs luthériens ; ainsi, ils
organisent un grand rassemblement de chorales en 1869, qui est considéré comme l’acte de
naissance du sentiment national. D’autres manifestations identiques suivront en Estonie, mais
aussi dans les deux autres pays.
- d’autre part, les Russes essaient d’imposer l’usage de leur langue dans l’administration et
l’enseignement (à Dorpat –Jurjev pour les Russes –, l’allemand est remplacé par le russe). Ils
favorisent aussi le développement de la religion orthodoxe ; l’église orthodoxe russe reçoit
des terres. Les opposants les plus marquants sont exilés en Sibérie.
2.2- Le XXème siècle : deux Guerres Mondiales, 45 années d’intégration au Bloc soviétique
Les évènements de 1905 (révolte de 1905) suscitent des espoirs de libéralisations dans les
pays baltes et s’accompagnent de manifestations, suivies par une sévère répression.
La Première Guerre Mondiale est un désastre pour les pays baltes, même si elle leur permet
d’accéder à l’indépendance en 1920.
- en effet, ils subissent des destructions multiples et des pertes humaines dans les combats
entre Russes et Allemands ; ces derniers occupant les trois pays en 1918.
- après la défaite allemande, les combats continuent entre Allemands, Nationalistes (appuyés
notamment par les Anglais) et Bolcheviks (locaux et russes). Ils occasionnent de nouvelles
pertes humaines et matérielles.
Les Nationalistes triomphent en Estonie et en Lettonie. La Russie bolchevik reconnaît leur
indépendance en 1920, comme celle de la Lituanie. Mais, ici un corps franc polonais s’empare
de Vilnius (Wilno en polonais), si bien que le nouvel État lituanien doit établir sa capitale à
Kaunas. En 1923, des volontaires lituaniens s’emparent de Memel (Klaipéda en lituanien),
territoire alors administré par la SDN (Société des Nations) – à l’époque la population de la
ville de Memel était majoritairement allemande, tandis que la campagne environnante était de
peuplement lituanien – .
Pendant la période 1920-1940, les trois pays baltes se reconstruisent. Mais des rivalités
politiques internes conduisent à l’installation de pouvoirs autoritaires, au bout de quelques
années, dans les trois pays.
Le 22 mars 1939, Hitler oblige la Lituanie – par un ultimatum – à lui céder Memel (Klaipéda).
Le pacte germano-soviétique du 23 août 1939, place l’Estonie et la Lettonie dans la sphère
d’influence soviétique (protocole secret). Le 1er septembre 1939, l’Allemagne attaque la
Pologne ; l’URSS en fait autant le 17 septembre. Mais les Allemands ayant occupé une part
7
plus importante de Pologne que prévue, la Lituanie est placée, en compensation, dans la
sphère d’influence soviétique (second protocole secret). Les Soviétiques s’offrent même le
luxe de rendre à la Lituanie Vilnius qu’ils viennent de conquérir sur la Pologne.
En juin 1940, l’URSS annexe les trois pays baltes : les opposants sont déportés en Sibérie ou
exécutés et des jeunes incorporés dans l’Armée Rouge. En application du pacte germanoSoviétique, les populations d’origine allemande résidant en Estonie et Lettonie (25 000 et
50 000 personnes) sont transférées en Allemagne (c’est la fin des « barons baltes »).
Le 22 juin 1941, les Nazis attaquent l’URSS et s’emparent rapidement des pays baltes. Il s’y
livrent à l’extermination systématique des Juifs en Lituanie et en Lettonie – avec la
collaboration d’auxiliaires locaux – (En 1940, on dénombrait 150 000 Juifs en Lituanie, pour
qui Vilnius était la « Jérusalem » du nord, 100 000 Juifs en Lettonie et 1 000 Juifs en Estonie).
Les Allemands répriment durement toute opposition et surtout, pour lutter contre l’Armée
Rouge, ils enrôlent des Baltes – notamment dans des unités de SS – . De durs combats
provoquent d’importantes destructions, d’autant que les Allemands constituent une poche en
Courlande qui résiste jusqu’à la capitulation du 8 mai 1945.
Au moment de l’avancée de l’Armée Rouge, des Baltes fuient vers l’ouest, en Allemagne ; un
grand nombre d’entre eux émigrera, par la suite, aux États-Unis, au Canada et en Australie.
Sur place, le retour de l’Armée Rouge, en 1944-45, se traduit par l’exécution et la déportation
de collaborateurs des Allemands.
La répression soviétique se poursuit de 1946 à 1953, avec la déportation de plusieurs dizaines
de milliers de Baltes. Simultanément, des Russes viennent s’installer dans les pays baltes,
avec un double objectif : reconstruire l’économie locale et russifier les pays. Un intense effort
d’industrialisation s’effectue dans divers domaines : industries agroalimentaires, industries
textiles, produits électroménagers, industries d’armement, industries navales. Les ports baltes
servent au commerce extérieur de l’URSS, en particulier à l’exportation de pétrole. Les villes
sont reconstruites selon les normes de l’urbanisme soviétique. Tous ces investissements
expliquent le bon niveau de vie des habitants des trois républiques baltes dans le cadre de
l’URSS et le fait que les russophones s’y trouvaient bien.
Pourtant le désir d’indépendance taraude toujours les Baltes ; le 23 août 1989, ils
commémorent, à leur manière, les 50 ans du pacte germano-soviétique, en réalisant une
chaîne humaine de Tallinn à Vilnius. Ils finissent par obtenir leur indépendance en 1991.
De « riches » dans le cadre de l’URSS,ils préfèrent être les plus « pauvres » au sein de
l’Union européenne, mais avec l’espoir de progresser.
III- L’ancrage à l’Ouest et les relations délicates avec le voisin russe
3.1 – L’ancrage à l’Ouest
La volonté de tourner le dos au passé avec la Russie s’est concrétisée par :
- la libéralisation de l’économie (privatisations et reconversions avec l’arrivée de capitaux
occidentaux) ;
- par l’adhésion à l’OTAN (2002-2004) et à l’UE (2004) ;
8
- par le retour d’émigrés baltes, notamment dans le domaine politique où certains d’entre eux
ont occupé la première place. Les trois pays ont d’ailleurs élu à la Présidence de la
République des personnes rentrant d’Amérique du Nord :
- Estonie : l’actuel Président Toomas Henrik Ilves, élu en 2006, est né en Suède en
1953 de parents estoniens réfugiés dans ce pays, qui sont ensuite partis aux États-Unis. Il y a
vécu jusqu’en 1993, avant d’y devenir ambassadeur d’Estonie (1993-96), puis d’être nommé
Ministre des Affaires Étrangères.
- Lettonie : madame Vaira Vike-Fraiberga, a effectué deux mandats (1997-2003 et
2003-2007). Elle est née à Riga en 1937 ; ses parents ont fui en Allemagne, puis ont émigré
au Canada où elle a vécu jusqu’en 1998.
- Lituanie : Valdas Adamkus, qui a exercé deux mandats (1998-2003 et 2004-2009) est
né à Kaunas en 1926. il a émigré aux États-Unis en 1949. Il y a travaillé de 1970 à 1997 à
l’agence fédérale à la Protection de l’Environnement. A la retraite en 1997, il rentre au pays
pour y occuper la fonction suprême.
Ainsi, en 2006, les trois Présidents baltes pouvaient s’entretenir sans difficultés en langue
anglaise (version américaine)…
L’origine des capitaux et celle des partenaires du commerce extérieur montrent la résurgence
des vieux tropismes : on trouve en effet des investisseurs finlandais, suédois et danois. Les
Allemands, largement occupés par la reconstruction des nouveaux Länder (ex-RDA), se sont
montrés discrets, même si l’on insiste volontiers sur la reprise de liens commerciaux datant de
l’époque hanséatique. Les Polonais investissent en Lituanie : ainsi, le grand groupe pétrolier
PKN Orlen a racheté le groupe pétrolier lituanien Mazeikiu Nafta (raffinerie de Mazeikiai et
terminal de Butinge)
Les banques suédoises se sont montrées particulièrement actives dans les pays baltes. La
Lettonie a essayé d’attirer les institutions bancaires, au point d’y gagner le surnom de
« Monaco balte ».
Dans cette volonté de se tourner économiquement vers l’Ouest, on peut citer le cas de la
création d’entreprises de transport routier lituaniennes (Cf. camions lituaniens sur nos
autoroutes) : le pays essaie de valoriser sa position de plaque tournante dans le transport avec
la Russie.
La crise de 2008-2009 vient remettre en cause le développement économique soutenu
enregistré par les trois pays baltes depuis une dizaine d’années. On assiste à une brusque
montée du chômage, une crise bancaire et à des menaces de dévaluation des monnaies baltes.
Des mesures drastiques doivent être prises pour essayer de parvenir à l’équilibre budgétaire :
ainsi, la Lettonie envisage de diminuer les salaires des fonctionnaires et le montant des
pensions.
2.2 – Des rapports difficiles avec la Russie
- La question des minorités russophones
Les trois pays abritent toujours des minorités slaves : modestes en Lituanie, où il s’agit à la
fois de Polonais et de Russes ; beaucoup plus importantes dans les deux autres pays où les
populations non-baltes sont pour l’essentiel russes (Cf. tableaux statistiques). Ces populations
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sont le fruit du passé : immigrations à l’époque tsariste, mais surtout lors de la période
soviétique (1945-1991).
Pour bien comprendre la question des minorités, il ne faut jamais perdre de vue qu’une
minorité constitue toujours localement une majorité ; ainsi, dans le cadre de l’URSS, les
Baltes étaient minoritaires dans le vaste ensemble soviétique. Maintenant, dans le cadre des
trois États baltes, les Russes se retrouvent minoritaires. Mais, les populations d’origine russe
sont souvent regroupées dans certaines zones, en particulier dans les villes : à Tallinn, ils
étaient majoritaires en 1991 ; à Narva, à la frontière entre l’Estonie et la Russie, on dénombre
95% de russophones.
- Attribution de la nationalité
Le gouvernement lituanien, fort du peuplement relativement homogène du pays, s’est montré
généreux dans l’attribution de la citoyenneté lituanienne : elle a été accordée à tous ceux qui
possédaient un permis de résidence permanent depuis 10 ans.
L’Estonie et la Lettonie ont choisi, en 1991, « l’option 1940 » qui consiste à ne reconnaître un
droit de naturalisation automatique qu’aux citoyens de ces pays avant l’invasion soviétique de
1940 et à leur descendants, ainsi qu’aux enfants nés sur le territoire national après 1992 d’un
parent ayant la nationalité. Quant aux allogènes – arrivés pendant la période soviétique
(475 000 en Estonie et 900 000 en Lettonie) – pour se voir attribuer la citoyenneté du pays de
résidence, ils doivent réussir un examen portant sur la langue et sur la connaissance de la
Constitution.
Ces dispositions ont amené la Russie à protester contre une mesure jugée discriminatoire –
particulièrement pour les personnes âgées – et à réclamer des droits équitables pour les
russophones (écartés, de fait, de la fonction publique et de la vie politique).
A l’issue de la validité des passeports soviétiques (juillet 1996 en Estonie et octobre 1998 en
Lettonie), ceux qui n’avaient demandé aucune citoyenneté sont devenus « apatrides ». Sous la
pression de la Communauté internationale et de l’UE, ils ont pu obtenir des papiers d’identité
mentionnant leur statut de « non-citoyens » et voyager.
Avec l’apprentissage des langues nationales à l’école, les jeunes apatrides ne vivent pas les
conditions de naturalisation comme une humiliation, ce qui devrait faciliter leur intégration.
Simultanément, l’usage du russe régresse, d’autant que les générations de Baltes éduquées
dans cette langue à l’époque soviétique vieillissent et disparaissent.
Mais, là où les russophones sont majoritaires, ils restent attachés à leur langue et optent
souvent pour l’éducation de leurs enfants dans cette langue.
Exemples de tensions avec le voisin russe (140 millions d’habitants)
- La question des hydrocarbures
La Russie est un gros producteur d’hydrocarbures et les pays baltes en dépendent pour leur
approvisionnement, tandis que leurs ports assurent une partie des exportations de pétrole
russe. Cependant, la Russie souhaite pouvoir exporter directement une partie de son pétrole :
elle a donc construit un nouveau terminal pétrolier, Primorsk mis en service en 2001, dans le
fond du Golfe de Finlande. Cette réalisation inquiète aussi les Finlandais, car le chenal de
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navigation pour accéder à ce port est étroit, englacé en hiver et la région connaît des périodes
de brouillard. Un échouage pourrait avoir des conséquences dramatiques, s’il se double d’une
marée noire. Toute diminution du transit pétrolier russe par les ports baltes signifie pour eux
une baisse d’activité et de revenus.
Par ailleurs, la Russie envisage la construction d’un gazoduc direct Russie-Allemagne en mer
baltique. Évidemment, les pays baltes préfèreraient un tracé terrestre, qui leur permettrait de
percevoir des droits de passage.
Le rachat par le groupe polonais PKN Orlen de la raffinerie de Mazeikiai et du terminal de
Butinge (en Lituanie) n’a pas été apprécié par Moscou, qui a entrepris des travaux de
rénovation sur l’oléoduc desservant ces installations… (les empêchant de fonctionner
normalement).
- La crise du soldat de bronze avec l’Estonie (2007)
Le 9 mai 2006 – comme chaque année – des vétérans de l’Armée Rouge se retrouvent devant
les monuments aux morts soviétique de Tallinn (« le soldat de bronze ») pour commémorer la
victoire sur le nazisme. Ils se heurtent à des groupes néo-nazis estoniens. Pour éviter de
nouveaux débordements en 2007, les autorités estoniennes décident de transférer le
monument dans un cimetière militaire. Le déplacement du soldat de bronze, le 27 avril 2007,
suscite l’émoi des Russes d’Estonie et des émeutes éclatent (un jeune russe est tué, 150
blessés, de nombreuses arrestations, des dégâts…).
Moscou proteste. L’ambassade d’Estonie à Moscou est « surveillée » (en fait, assiégée et
dégradée) par des groupes nationalistes russes pendant plusieurs jours (les forces de l’ordre
russes faisant preuve d’une passivité inaccoutumée en l’occurrence).
L’Estonie subit – dès le 27 avril – une vague de cyberattaques qui paralyse de nombreux sites
institutionnels du pays. L’implication de l’administration russe dans cette opération n’a pas
été formellement démontrée. Mais les Estoniens ont utilisé cet incident pour lancer l’idée de
créer à Tallinn un centre de cyberdéfense de l’OTAN…
Les relations avec le voisin russe sont donc compliquées, mais elles sont indispensables :
ainsi, pour les relations terrestres avec l’enclave de Kaliningrad, les Russes sont obligés de
passer par la Pologne ou la Lituanie et celle-ci s’est efforcée de trouver une formule
relativement souple pour permettre la circulation de ressortissants russes transitant par un
territoire de l’UE (« Espace Schengen »).
Conclusion
Chacun pourra faire sa propre conclusion à l’issue du voyage dans les pays baltes…
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