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UNITÉ ET DIVERSITÉ DES PAYS BALTES Texte de la conférence du 9 juin 2009 d’Alain Barré préparatoire au voyage de l’ASA dans les Pays Baltes Depuis près de vingt ans, les trois républiques baltes (du Nord au Sud : Estonie, Lettonie, Lituanie) existent à nouveau1. Elles avaient déjà connu vingt ans d’indépendance de 1920 à 1940. Le terme de pays baltes est relativement récent : il est apparu au milieu du XIXème siècle pour désigner des pays riverains de la côte orientale de la mer baltique, qui faisaient alors partie de l’Empire russe et qui, à l’exception de la Lituanie, n’avaient jamais constitué d’États indépendants. En effet, depuis le Moyen-Age, ces pays ont été occupés et administrés par leurs voisins danois, suédois, allemands, polonais et enfin russes, qui les ont aussi utilisés comme champs de bataille. Ce passé complexe a évidemment laissé de multiples traces dans le peuplement, les langues, les religions, l’architecture, etc. Dès leur indépendance, reconnue le 6 sept. 1991, par le Conseil d’État de l’URSS, les trois États baltes ont tourné le dos à Moscou – refusant tout idée d’association à la CEI, Communauté des États Indépendants, créée autour de la Russie – et se sont résolument tournés vers l’Ouest. Deux faits symbolisent cette nouvelle orientation : l’adhésion à l’OTAN (nov. 2002, cérémonie officielle 30 mars 2004) et l’entrée dans l’UE (1er mai 2004). Leur situation sur la rive orientale de la Baltique, au contact du monde russe, les désigne tout naturellement pour jouer le rôle d’interface entre l’Ouest et l’Est, entre l’UE et la Russie, d’autant que les trois républiques abritent d’importantes minorités russophones. Mais, cette présence apparaît plus comme une source de tension avec le puissant voisin que comme un atout, notamment en Lettonie et en Estonie. On se propose de réaliser une présentation des trois pays baltes, en insistant sur les trois points suivants : - Trois petits pays, faiblement peuplés, mais différents par leur identité. - Une histoire complexe qui a laissé de multiples traces. - L’ancrage à l’Ouest et les relations délicates avec le voisin russe. I - Trois petits pays, faiblement peuplés, mais différents par leur identité 1.1 – Les points de convergence sont fournis par la géographie physique Les points de convergence entre les trois pays sont plus à rechercher dans la géographie physique – paysages et climat – que dans la géographie humaine, car les grands marqueurs identitaires que sont les langues et les religions contribuent à les opposer. Dans l’ensemble, le relief est modeste : les points culminants dans les trois pays avoisinent les 300 mètres (Est. = 314 m ; Let. = 312 m ; Lit = 294 m). Le relief porte les traces des 1 Alain BARRÉ, conférence du 9 juin 2009, en préparation au voyage de l’ASA dans les pays baltes (fin juin 2009). 1 glaciations quaternaires qui ont laissé de multiples dépôts morainiques, notamment des collines, enserrant des lacs, des marécages et des tourbières. Les deux principaux cours d’eau viennent de l’Est (Russie et Biélorussie) : la Daugava (1 020 km) qui rejoint la Baltique à Riga et le Niémen (Nemunas en lituanien, 940 km) qui se jette dans la lagune des Coures, par un delta, au sud de Klaipéda. Le climat reflète la position des trois pays en bordure d’une mer qui introduit une influence adoucissante, mais aussi des précipitations réparties sur toute l’année, tandis que l’enfoncement relatif dans la masse continentale, combinée à la position en latitude, est à l’origine d’hivers froids et enneigés, avec des températures moyennes légèrement négatives ; mais les températures extrêmes peuvent être très basses (inférieures à – 25°C), lors d’épisodes anticycloniques. De même, en été, à côté de journées fraîches et pluvieuses, on enregistre des périodes avec des températures élevées (30°C) et des orages qui rappellent le climat continental. Sols et climat expliquent l’importance de la couverture forestière qui diminue toutefois du nord vers le sud (50% en Estonie, 30% en Lituanie). Il s’agit de forêts de conifères (pins, épicéas) et de feuillus (bouleaux, trembles, aulnes) qui constituent une richesse exploitée, tant pour le bois de chauffage que pour le bois d’œuvre. L’exportation de bois constitue aussi une part notable des rentrées financières des trois États. L’ampleur des espaces vierges et la volonté de préserver la faune et la flore ont conduit à la création de parcs nationaux et de réserves naturelles qui sont aussi des lieux de découverte, de détente et de tourisme. Si les trois pays possèdent une façade maritime, celle-ci est d’ampleur bien différente. L’Estonie est le plus maritime, avec 1 400 km de côtes, un bon millier d’îles et d’îlots, dont les deux grandes îles qui contrôlent l’entrée dans le golfe de Riga (Hiimuaa et Saaremaa). Le golfe de Finlande est pris par les glaces en hiver et le port de Tallin est pris par les glaces en moyenne 48 jours. La Lettonie compte près de 500 km de côtes et dispose de trois ports : Riga, Ventspils et Liepaja. Quant à la Lituanie, elle ne possède que 100 km de littoraux et constitue le plus continental des trois États : d’ailleurs sa capitale n’est pas un port et elle se caractérise par sa position très excentrée, à environ 30 km de la frontière avec la Biélorussie. Elle possède le port de Klaipéda ; c’est au niveau de ce port que se termine le long cordon sableux des Coures (100 km) qu’elle partage, pour moitié, avec l’enclave russe de Kaliningrad. Les ports du Sud des pays baltes sont libres de glaces en hiver et, c’est notamment pour cette raison, qu’ils ont été convoités par la Russie. Les littoraux baltes se subdivisent en deux sur le plan des paysages : les côtes du golfe de Finlande sont à falaises, tandis que celles qui font face directement à la Baltique sont des côtes sableuses. 1.2- La géographie humaine contribue à individualiser les trois pays Les trois États baltes se caractérisent par une population peu nombreuse et par la présence de minorités slaves, proportionnellement importantes en Lettonie et en Estonie (Cf. tableaux). Avec 3,4 millions d’habitants, la Lituanie regroupe près de la moitié de la population totale et c’est également le pays qui a la population la plus homogène. Depuis 1991, les trois pays ont perdu quelque 500 000 habitants, passant de 7,5 à 7 millions d’habitants, en raison : 2 - d’un solde naturel négatif : la faiblesse de la fécondité se traduit par un excédent de décès par rapport aux naissances ; - par un solde migratoire négatif, suite aux départs de Russes (civils et militaires) et aux migrations de jeunes partis chercher un emploi dans d’autres pays de l’UE. Si les langues locales utilisent l’alphabet latin, avec des lettres comportant des signes diacritiques, elles appartiennent à deux groupes linguistiques différents. La langue estonienne ou este se rattache à la branche linguistique finno-ougrienne et explique l’individualisation du pays. Apparentée au finnois, elle a encouragé le développement de relations privilégiées avec la Finlande, après 1991, d’autant que Tallinn et Helsinki se font face de part et d’autre du golfe de Finlande (80 km). Avant 1991, certains Estoniens regardaient la télévision finlandaise… à l’instar des citoyens de la RDA qui regardaient les chaînes télévisées de la RFA. Le letton et le lituanien sont deux langues baltes qui appartiennent à la grande famille des langues indo-européennes. Elles ont des traits communs (des déclinaisons), mais leurs locuteurs ne se comprennent pas et doivent passer par une autre langue pour se comprendre, en général le russe ou l’anglais. D’autre part, les clivages religieux ne recoupent pas les clivages linguistiques, accentuant ainsi les différences entre les diverses régions. En dépit d’un demi-siècle d’athéisme officiel et de la présence d’agnostiques, la religion reste un puissant marqueur identitaire. Convertis au catholicisme au Moyen-Age, les Baltes ont abandonné leur unité religieuse au XVIème siècle : les Estoniens et la majeure partie des Lettons ont adopté la Réforme luthérienne. Par contre, la Lituanie et le sud-est de la Lettonie (les deux faisaient alors partie du vaste ensemble polono-lituanien) ont conservé la religion catholique. Les minorités russes se rattachent culturellement et éventuellement religieusement à l’orthodoxie. Mais, parmi les populations locales, il y a eu des conversions à la religion orthodoxe (volontaires, voire forcées par le pouvoir tsariste). Exemple : en déc. 2008, est décédé le patriarche de Moscou Alexis II. Il était né, en 1929 à Tallinn, dans une famille aristocratique d’origine allemande (Alexis Ridiger). En 1961, il devient évêque de Tallinn et d’Estonie ; puis, en 1986, il est nommé métropolite de Leningrad et, en 1996, est élu « patriarche de Moscou et de toutes les Russies ». C’est donc un Balte qui a assuré le renaissance de l’église orthodoxe russe, avec l’appui du Président Poutine… Le cas d’Alexis II illustre la complexité de l’Histoire et des itinéraires personnels dans les pays baltes. Enfin, toujours sur le plan des religions, il ne faut pas oublier que le judaïsme a été important en Lituanie et en Lettonie, mais qu’il y a pratiquement disparu lors de la Shoah (1941-1944), tandis qu’une partie des rares survivants a émigré vers l’État d’Israël. 3 QUELQUES STATISTIQUES SUR LES PAYS BALTES Superficie En km2 45 100 64 600 65 200 174 900 Estonie Lettonie Lituanie Total Population 2007 1 335 000 2 277 000 3 390 000 7 002 000 Densité h/km2 30 35 52 PIB/h 2007 En $ US 15 300 11 830 10 470 France : 40 780 Source : Images Économiques du Monde 2009 Population des principales villes baltes - Estonie Tallinn : 400 000h Tartu : 102 000h Narva : 70 000h - Lettonie Riga : 770 000h Daugavpils : 116 000h Liepaja : 70 000h - Lituanie Vilnius : 540 000h Kaunas : 375 000h Klaipéda : 190 000h L’Estonie et la Lettonie se caractérisent par la macrocéphalie de la capitale qui regroupe 30% de la population du pays dans le premier cas et 34% dans le second. Le réseau urbain de la Lituanie est plus équilibré : la capitale n’écrase pas par son poids démographique la seconde ville du pays. COMPOSITION DÉMOLINGUISTIQUE DES PAYS BALTES (source : Université Laval - Québec) Estonie 1989 Nationalité 2000 Nombre Pourcentage Nombre Pourcentage Estoniens 963 281 61,5 % 930 219 67,9 % Russes 474 834 30,3 % 351 178 25,6 % Ukrainiens 48 271 3,1 % 29 012 2,1 % Biélorusses 27 711 1,8 % 17 241 1,3 % Finnois 16 622 1,1 % 11 837 0,9 % Tatars 4 058 0,2 % 2 582 0,2 % Lettons 3 135 0,2 % 2 330 0,2 % Polonais 3 008 0,2 % 2 193 0,2 % Juifs 4 613 0,3 % 2 145 0,1 % Lituaniens 2 568 0,2 % 2 116 0,1 % Allemands 3 466 0,2 % 1 870 0,1 % 14 088 0,9 % 9 410 0,7 % 7 0,0 % 7 919 0,6 % Autres Inconnus Total 1 565 662 100,0 % 1 370 052 100,0 % Source: Recensement officiel de l'Estonie, 2000 4 Lettonie Groupe ethnique 1989 52,2 % 34,0 % 4,4 % 3,4 % 2,2 % 1,3 % 0,6 % 0,3 % 0,1 % 1,2 % Lettons Russes Biélorusses Ukrainiens Polonais Lituaniens Juifs Tsiganes Allemands Autres TOTAL 1 396 100 902 300 117 200 89 300 59 700 34 100 16 300 7 200 2 900 31 900 2 657000 2004 58,7 % 28,8 % 3, 9 % 2,6 % 2,5 % 1,4 % 0,4 % 0,3 % 0,2 % 1,2 % 1 356 081 664 082 88 998 59 403 56 798 31 840 9 820 8 436 3 311 28 030 2 309 339 Source: Recensement de 1989 et la Direction des affaires de citoyenneté et de migration (DACM). Lituanie Nationalités 1989 1989 2001 2001 Lituaniens Polonais Russes Biélorusses Ukrainiens Juifs Autres/inconnues 2 925 142 257 994 344 455 63 169 44 789 12 314 26 939 79,6 % 7,0 % 9,4 % 1,7 % 1,2 % 0,3 % 0,8 % 2 907 293 234 989 219 789 42 866 22 488 4 007 39 059 83,45 % 6,74 % 6,31 % 1,23 % 0,65 % 0,12 % 1,12 % Total 3 674 802 100 % 3 483 972 100 % Source : Recensements de 1989 et 2001 5 II – Une histoire complexe qui a laissé de multiples traces On se propose ici de balayer rapidement l’histoire des pays baltes, en s’attardant toutefois sur le XXème siècle, pour montrer que des puissants voisins ont tour à tour et parfois simultanément occupés les pays baltes et les ont utilisés comme champs de bataille. 2.1 – Du Moyen-Age au XIXème siècle Dès l’Antiquité, le trafic de l’ambre a fait la renommée des côtes baltes. Au début du MoyenAge, Vikings et Russes font des incursions dans le pays ; mais, c’est à partir du XIIIème siècle que débute une colonisation organisée, doublée d’une entreprise de conversion des populations autochtones (= une « croisade »). En 1219, les Danois débarquent en Estonie et fondent Reval, que les Estoniens appellent Tallinn, c’est-à-dire Taani Linn (la « ville des Danois »). Ils y établissent un évêché. Peu auparavant, un Allemand, Albert de Buxhövden, fonde en 1201 la ville et l’évêché de Riga. Il fait venir un ordre militaire – qu’il a créé à Brême en 1197 – les chevaliers PorteGlaive. Ceux-ci entreprennent la conquête de la Livonie. En 1237, les Porte-Glaive sont rattachés aux chevaliers Teutoniques (dont ils constituent une branche : l’ordre livonien). Les Teutoniques interviennent aussi en Estonie, coopérant avec les Danois (qui finiront par leur vendre leur part et quitter le pays en 1347). Les Teutoniques établissent un régime féodal, dans lequel les autochtones sont réduits en servage. Ils sont secondés par des négociants allemands de la Hanse, qui créent ou transforment certaines villes en comptoirs. De leur côté, les Lituaniens résistent aux Teutoniques. Ils s’unissent aux Polonais en 1386, quand leur grand-duc Jagellon épouse Hedwige la reine de Pologne. Jagellon se convertit au catholicisme et les Lituaniens le suivent : ils sont les derniers Européens à devenir chrétiens. En 1410, les Polono-Lituaniens infligent à Tannenberg une sérieuse défaite aux Teutoniques. Le vaste royaume polono-lituanien s’étend alors de la Baltique à la mer Noire ; il sera progressivement « grignoté » par ses voisins, au cours des siècles suivants. Pour conforter la religion catholique, les Jésuites fondent un collège à Vilnius en 1569, transformé en Université dix ans plus tard. Le XVIème siècle marque aussi l’arrivée de la Réforme luthérienne dans les pays baltes par le nord (Estonie et Lettonie). Le dernier grand-maître des chevaliers Porte-Glaive, Gotthard Kettler, adopte la Réforme luthérienne, en 1561, et fonde une dynastie qui règne sur la Courlande jusque 1737. Par crainte des Russes, G. Kettler se déclare vassal de la Pologne, qui lui laisse d’ailleurs une très grande autonomie. Les biens de l’Ordre sont sécularisés et les descendants des chevaliers deviennent les « barons baltes », qui continuent à gérer leurs domaines avec des « serfs » locaux. La Courlande, dont la capitale est Jelgava (Mittau en allemand), connaît notamment au XVIIème siècle une grande prospérité. En 1561, la Suède s’installe en Estonie. En 1629, elle s’empare de la Livonie. En 1632, Les Suédois créent l’université de Dorpat (Tartu pour les Estoniens), où l’enseignement se fait en allemand. 6 Au début du XVIIIème siècle, le tsar Pierre 1er (le Grand) s’empare, aux dépens de la Suède, de l’Estonie et de la Livonie (traité de Nystad, 1721). A la fin du XVIIIème siècle, l’État polonolituanien disparaît, dépecé par ses voisins prussiens, autrichiens et russes (partages de 1772, 1793 et 1795). Les territoires des trois pays baltes font alors partie de l’empire tsariste. Les barons baltes conservent leurs privilèges (le servage ne sera aboli qu’au milieu du XIXème siècle) ; ils servent à la cour du tsar, dans l’armée et dans l’administration. Le XIXème siècle est marquée par deux tendances contradictoires : - d’une part, les Baltes commencent à aspirer à une certaine autonomie (vis-à-vis des barons baltes – en fait, des Allemands – et des Russes) et à la reconnaissance de leur langue. Les Estoniens passent par le chant choral, qui est encouragé par les pasteurs luthériens ; ainsi, ils organisent un grand rassemblement de chorales en 1869, qui est considéré comme l’acte de naissance du sentiment national. D’autres manifestations identiques suivront en Estonie, mais aussi dans les deux autres pays. - d’autre part, les Russes essaient d’imposer l’usage de leur langue dans l’administration et l’enseignement (à Dorpat –Jurjev pour les Russes –, l’allemand est remplacé par le russe). Ils favorisent aussi le développement de la religion orthodoxe ; l’église orthodoxe russe reçoit des terres. Les opposants les plus marquants sont exilés en Sibérie. 2.2- Le XXème siècle : deux Guerres Mondiales, 45 années d’intégration au Bloc soviétique Les évènements de 1905 (révolte de 1905) suscitent des espoirs de libéralisations dans les pays baltes et s’accompagnent de manifestations, suivies par une sévère répression. La Première Guerre Mondiale est un désastre pour les pays baltes, même si elle leur permet d’accéder à l’indépendance en 1920. - en effet, ils subissent des destructions multiples et des pertes humaines dans les combats entre Russes et Allemands ; ces derniers occupant les trois pays en 1918. - après la défaite allemande, les combats continuent entre Allemands, Nationalistes (appuyés notamment par les Anglais) et Bolcheviks (locaux et russes). Ils occasionnent de nouvelles pertes humaines et matérielles. Les Nationalistes triomphent en Estonie et en Lettonie. La Russie bolchevik reconnaît leur indépendance en 1920, comme celle de la Lituanie. Mais, ici un corps franc polonais s’empare de Vilnius (Wilno en polonais), si bien que le nouvel État lituanien doit établir sa capitale à Kaunas. En 1923, des volontaires lituaniens s’emparent de Memel (Klaipéda en lituanien), territoire alors administré par la SDN (Société des Nations) – à l’époque la population de la ville de Memel était majoritairement allemande, tandis que la campagne environnante était de peuplement lituanien – . Pendant la période 1920-1940, les trois pays baltes se reconstruisent. Mais des rivalités politiques internes conduisent à l’installation de pouvoirs autoritaires, au bout de quelques années, dans les trois pays. Le 22 mars 1939, Hitler oblige la Lituanie – par un ultimatum – à lui céder Memel (Klaipéda). Le pacte germano-soviétique du 23 août 1939, place l’Estonie et la Lettonie dans la sphère d’influence soviétique (protocole secret). Le 1er septembre 1939, l’Allemagne attaque la Pologne ; l’URSS en fait autant le 17 septembre. Mais les Allemands ayant occupé une part 7 plus importante de Pologne que prévue, la Lituanie est placée, en compensation, dans la sphère d’influence soviétique (second protocole secret). Les Soviétiques s’offrent même le luxe de rendre à la Lituanie Vilnius qu’ils viennent de conquérir sur la Pologne. En juin 1940, l’URSS annexe les trois pays baltes : les opposants sont déportés en Sibérie ou exécutés et des jeunes incorporés dans l’Armée Rouge. En application du pacte germanoSoviétique, les populations d’origine allemande résidant en Estonie et Lettonie (25 000 et 50 000 personnes) sont transférées en Allemagne (c’est la fin des « barons baltes »). Le 22 juin 1941, les Nazis attaquent l’URSS et s’emparent rapidement des pays baltes. Il s’y livrent à l’extermination systématique des Juifs en Lituanie et en Lettonie – avec la collaboration d’auxiliaires locaux – (En 1940, on dénombrait 150 000 Juifs en Lituanie, pour qui Vilnius était la « Jérusalem » du nord, 100 000 Juifs en Lettonie et 1 000 Juifs en Estonie). Les Allemands répriment durement toute opposition et surtout, pour lutter contre l’Armée Rouge, ils enrôlent des Baltes – notamment dans des unités de SS – . De durs combats provoquent d’importantes destructions, d’autant que les Allemands constituent une poche en Courlande qui résiste jusqu’à la capitulation du 8 mai 1945. Au moment de l’avancée de l’Armée Rouge, des Baltes fuient vers l’ouest, en Allemagne ; un grand nombre d’entre eux émigrera, par la suite, aux États-Unis, au Canada et en Australie. Sur place, le retour de l’Armée Rouge, en 1944-45, se traduit par l’exécution et la déportation de collaborateurs des Allemands. La répression soviétique se poursuit de 1946 à 1953, avec la déportation de plusieurs dizaines de milliers de Baltes. Simultanément, des Russes viennent s’installer dans les pays baltes, avec un double objectif : reconstruire l’économie locale et russifier les pays. Un intense effort d’industrialisation s’effectue dans divers domaines : industries agroalimentaires, industries textiles, produits électroménagers, industries d’armement, industries navales. Les ports baltes servent au commerce extérieur de l’URSS, en particulier à l’exportation de pétrole. Les villes sont reconstruites selon les normes de l’urbanisme soviétique. Tous ces investissements expliquent le bon niveau de vie des habitants des trois républiques baltes dans le cadre de l’URSS et le fait que les russophones s’y trouvaient bien. Pourtant le désir d’indépendance taraude toujours les Baltes ; le 23 août 1989, ils commémorent, à leur manière, les 50 ans du pacte germano-soviétique, en réalisant une chaîne humaine de Tallinn à Vilnius. Ils finissent par obtenir leur indépendance en 1991. De « riches » dans le cadre de l’URSS,ils préfèrent être les plus « pauvres » au sein de l’Union européenne, mais avec l’espoir de progresser. III- L’ancrage à l’Ouest et les relations délicates avec le voisin russe 3.1 – L’ancrage à l’Ouest La volonté de tourner le dos au passé avec la Russie s’est concrétisée par : - la libéralisation de l’économie (privatisations et reconversions avec l’arrivée de capitaux occidentaux) ; - par l’adhésion à l’OTAN (2002-2004) et à l’UE (2004) ; 8 - par le retour d’émigrés baltes, notamment dans le domaine politique où certains d’entre eux ont occupé la première place. Les trois pays ont d’ailleurs élu à la Présidence de la République des personnes rentrant d’Amérique du Nord : - Estonie : l’actuel Président Toomas Henrik Ilves, élu en 2006, est né en Suède en 1953 de parents estoniens réfugiés dans ce pays, qui sont ensuite partis aux États-Unis. Il y a vécu jusqu’en 1993, avant d’y devenir ambassadeur d’Estonie (1993-96), puis d’être nommé Ministre des Affaires Étrangères. - Lettonie : madame Vaira Vike-Fraiberga, a effectué deux mandats (1997-2003 et 2003-2007). Elle est née à Riga en 1937 ; ses parents ont fui en Allemagne, puis ont émigré au Canada où elle a vécu jusqu’en 1998. - Lituanie : Valdas Adamkus, qui a exercé deux mandats (1998-2003 et 2004-2009) est né à Kaunas en 1926. il a émigré aux États-Unis en 1949. Il y a travaillé de 1970 à 1997 à l’agence fédérale à la Protection de l’Environnement. A la retraite en 1997, il rentre au pays pour y occuper la fonction suprême. Ainsi, en 2006, les trois Présidents baltes pouvaient s’entretenir sans difficultés en langue anglaise (version américaine)… L’origine des capitaux et celle des partenaires du commerce extérieur montrent la résurgence des vieux tropismes : on trouve en effet des investisseurs finlandais, suédois et danois. Les Allemands, largement occupés par la reconstruction des nouveaux Länder (ex-RDA), se sont montrés discrets, même si l’on insiste volontiers sur la reprise de liens commerciaux datant de l’époque hanséatique. Les Polonais investissent en Lituanie : ainsi, le grand groupe pétrolier PKN Orlen a racheté le groupe pétrolier lituanien Mazeikiu Nafta (raffinerie de Mazeikiai et terminal de Butinge) Les banques suédoises se sont montrées particulièrement actives dans les pays baltes. La Lettonie a essayé d’attirer les institutions bancaires, au point d’y gagner le surnom de « Monaco balte ». Dans cette volonté de se tourner économiquement vers l’Ouest, on peut citer le cas de la création d’entreprises de transport routier lituaniennes (Cf. camions lituaniens sur nos autoroutes) : le pays essaie de valoriser sa position de plaque tournante dans le transport avec la Russie. La crise de 2008-2009 vient remettre en cause le développement économique soutenu enregistré par les trois pays baltes depuis une dizaine d’années. On assiste à une brusque montée du chômage, une crise bancaire et à des menaces de dévaluation des monnaies baltes. Des mesures drastiques doivent être prises pour essayer de parvenir à l’équilibre budgétaire : ainsi, la Lettonie envisage de diminuer les salaires des fonctionnaires et le montant des pensions. 2.2 – Des rapports difficiles avec la Russie - La question des minorités russophones Les trois pays abritent toujours des minorités slaves : modestes en Lituanie, où il s’agit à la fois de Polonais et de Russes ; beaucoup plus importantes dans les deux autres pays où les populations non-baltes sont pour l’essentiel russes (Cf. tableaux statistiques). Ces populations 9 sont le fruit du passé : immigrations à l’époque tsariste, mais surtout lors de la période soviétique (1945-1991). Pour bien comprendre la question des minorités, il ne faut jamais perdre de vue qu’une minorité constitue toujours localement une majorité ; ainsi, dans le cadre de l’URSS, les Baltes étaient minoritaires dans le vaste ensemble soviétique. Maintenant, dans le cadre des trois États baltes, les Russes se retrouvent minoritaires. Mais, les populations d’origine russe sont souvent regroupées dans certaines zones, en particulier dans les villes : à Tallinn, ils étaient majoritaires en 1991 ; à Narva, à la frontière entre l’Estonie et la Russie, on dénombre 95% de russophones. - Attribution de la nationalité Le gouvernement lituanien, fort du peuplement relativement homogène du pays, s’est montré généreux dans l’attribution de la citoyenneté lituanienne : elle a été accordée à tous ceux qui possédaient un permis de résidence permanent depuis 10 ans. L’Estonie et la Lettonie ont choisi, en 1991, « l’option 1940 » qui consiste à ne reconnaître un droit de naturalisation automatique qu’aux citoyens de ces pays avant l’invasion soviétique de 1940 et à leur descendants, ainsi qu’aux enfants nés sur le territoire national après 1992 d’un parent ayant la nationalité. Quant aux allogènes – arrivés pendant la période soviétique (475 000 en Estonie et 900 000 en Lettonie) – pour se voir attribuer la citoyenneté du pays de résidence, ils doivent réussir un examen portant sur la langue et sur la connaissance de la Constitution. Ces dispositions ont amené la Russie à protester contre une mesure jugée discriminatoire – particulièrement pour les personnes âgées – et à réclamer des droits équitables pour les russophones (écartés, de fait, de la fonction publique et de la vie politique). A l’issue de la validité des passeports soviétiques (juillet 1996 en Estonie et octobre 1998 en Lettonie), ceux qui n’avaient demandé aucune citoyenneté sont devenus « apatrides ». Sous la pression de la Communauté internationale et de l’UE, ils ont pu obtenir des papiers d’identité mentionnant leur statut de « non-citoyens » et voyager. Avec l’apprentissage des langues nationales à l’école, les jeunes apatrides ne vivent pas les conditions de naturalisation comme une humiliation, ce qui devrait faciliter leur intégration. Simultanément, l’usage du russe régresse, d’autant que les générations de Baltes éduquées dans cette langue à l’époque soviétique vieillissent et disparaissent. Mais, là où les russophones sont majoritaires, ils restent attachés à leur langue et optent souvent pour l’éducation de leurs enfants dans cette langue. Exemples de tensions avec le voisin russe (140 millions d’habitants) - La question des hydrocarbures La Russie est un gros producteur d’hydrocarbures et les pays baltes en dépendent pour leur approvisionnement, tandis que leurs ports assurent une partie des exportations de pétrole russe. Cependant, la Russie souhaite pouvoir exporter directement une partie de son pétrole : elle a donc construit un nouveau terminal pétrolier, Primorsk mis en service en 2001, dans le fond du Golfe de Finlande. Cette réalisation inquiète aussi les Finlandais, car le chenal de 10 navigation pour accéder à ce port est étroit, englacé en hiver et la région connaît des périodes de brouillard. Un échouage pourrait avoir des conséquences dramatiques, s’il se double d’une marée noire. Toute diminution du transit pétrolier russe par les ports baltes signifie pour eux une baisse d’activité et de revenus. Par ailleurs, la Russie envisage la construction d’un gazoduc direct Russie-Allemagne en mer baltique. Évidemment, les pays baltes préfèreraient un tracé terrestre, qui leur permettrait de percevoir des droits de passage. Le rachat par le groupe polonais PKN Orlen de la raffinerie de Mazeikiai et du terminal de Butinge (en Lituanie) n’a pas été apprécié par Moscou, qui a entrepris des travaux de rénovation sur l’oléoduc desservant ces installations… (les empêchant de fonctionner normalement). - La crise du soldat de bronze avec l’Estonie (2007) Le 9 mai 2006 – comme chaque année – des vétérans de l’Armée Rouge se retrouvent devant les monuments aux morts soviétique de Tallinn (« le soldat de bronze ») pour commémorer la victoire sur le nazisme. Ils se heurtent à des groupes néo-nazis estoniens. Pour éviter de nouveaux débordements en 2007, les autorités estoniennes décident de transférer le monument dans un cimetière militaire. Le déplacement du soldat de bronze, le 27 avril 2007, suscite l’émoi des Russes d’Estonie et des émeutes éclatent (un jeune russe est tué, 150 blessés, de nombreuses arrestations, des dégâts…). Moscou proteste. L’ambassade d’Estonie à Moscou est « surveillée » (en fait, assiégée et dégradée) par des groupes nationalistes russes pendant plusieurs jours (les forces de l’ordre russes faisant preuve d’une passivité inaccoutumée en l’occurrence). L’Estonie subit – dès le 27 avril – une vague de cyberattaques qui paralyse de nombreux sites institutionnels du pays. L’implication de l’administration russe dans cette opération n’a pas été formellement démontrée. Mais les Estoniens ont utilisé cet incident pour lancer l’idée de créer à Tallinn un centre de cyberdéfense de l’OTAN… Les relations avec le voisin russe sont donc compliquées, mais elles sont indispensables : ainsi, pour les relations terrestres avec l’enclave de Kaliningrad, les Russes sont obligés de passer par la Pologne ou la Lituanie et celle-ci s’est efforcée de trouver une formule relativement souple pour permettre la circulation de ressortissants russes transitant par un territoire de l’UE (« Espace Schengen »). Conclusion Chacun pourra faire sa propre conclusion à l’issue du voyage dans les pays baltes… 11