pollution médicamenteuse des eaux
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pollution médicamenteuse des eaux
R E C H E R C H E E N D I R E C T CNRS INFO • N° 399 J A N V IER - FÉ V R IE R 2 0 0 2 POLLUTION MÉDICAMENTEUSE DES EAUX Au cours de ces trente dernières années, les efforts engagés dans les programmes de surveillance de l’environnement et dans la réglementation y afférent ont essentiellement porté sur les substances chimiques « prioritaires » telles que les pesticides et les substances intermédiaires utilisées dans l’industrie. En revanche, il existe très peu de données, notamment en France, sur la pollution médicamenteuse des eaux. Des chercheurs du Laboratoire « Hydrosciences »1 ont mis en évidence une anomalie positive2 et prononcée de gadolinium (Gd) dans les eaux de l’étang de Thau et de son bassin. Cette anomalie est également présente dans les effluents de stations d’épuration des eaux usées municipales, ce qui suggère qu’elle a une origine anthropique. Dans l’eau, la « signature » des terres rares3 est largement héritée des roches ou sédiments avec lesquels l’eau interagit. Occasionnellement, leur distribution naturelle est modifiée en raison d’influences anthropiques. C’est particulièrement vrai dans les régions densément peuplées et industrialisées ; des changements dans la répartition des terres rares dans les eaux de surface ont été observés en Allemagne et au Japon. Ces changements consistent principalement en une anomalie positive et prononcée de gadolinium (Gd). L’observation de cette anomalie a été rendue possible grâce à l’abaissement des limites de détection (de l’ordre de 10-10 g/l). Des chercheurs allemands ont détecté des concentrations importantes en gadolinium dans les effluents (eaux usées) des hôpitaux. Leurs observations laissent à penser que l'anomalie de Gd est liée à l'utilisation médicale du gadolinium, très probablement en imagerie par résonance magnétique (IRM). 1 CNRS-Université Montpellier 2IRD. 2 Concentration anormalement élevée. 3 Les terres rares sont des éléments chimiques de la série des Lanthanides. Certaines sont utilisées dans les pots d'échappement catalytiques, d'autres, comme le gadolinium, en médecine. L’étude des chercheurs du Laboratoire « Hydrosciences » a permis d’observer l’existence d’un excès de Gd dans l’étang de Thau et dans son bassin, suggérant que cette anomalie est un trait commun dans les régions à fortes concentrations de population. Pour déterminer l’origine de l’anomalie, les scientifiques ont recherché le gadolinium dans les effluents de stations d’épuration des eaux usées. Dans la Vene, rivière du sud-est de la France, l’anomalie de gadolinium apparaît clairement en aval de la station d’épuration, ce qui constitue un indice de son origine anthropique. Par ailleurs, cette anomalie n’est accompagnée ni d’une augmentation générale des concentrations en terres rares, ni d’une anomalie similaire dans la matière en suspension : l’apport concerne donc exclusivement le Gd sous forme dissoute, autrement dit la forme utilisée en IRM. Les mesures effectuées montrent un accroissement net des concentrations en gadolinium : jusqu’à 3 x 10-9 g/l dans la rivière et 0,85 x 10-9 g/l dans l’étang, à comparer aux concentrations naturelles évaluées respectivement à 2,46 x 10-9 g/l et 0,7 x 10-9 g/l. Pour quatre stations d’épuration étudiées, l’excès déversé est de 27 g/an. Or la quantité de Gd absorbée par un patient subissant une IRM est de 1,1 g. Un tel apport signifierait donc que 0,13 % de la population est traitée par IRM. Ce résultat est assez proche du pourcentage (0,24 %) calculé, à l’échelle de la région, en prenant en compte les capacités régionales en IRM, et il suggère que l’excès de Gd mesuré est compatible avec les quantités de Gd utilisées en IRM. Pour absorber la même quantité de Gd qu’un patient subissant un scanner, un individu devrait boire trois litres d’eau de la Vene par jour pendant 280 000 ans. À l’heure actuelle, ces concentrations ne présentent donc pas de risque sanitaire. Cependant, l'anomalie de gadolinium n'est qu'une facette d'un problème plus général qui est celui de la présence de médicaments dans les eaux. La pollution médicamenteuse des eaux pose de réels problèmes : les molécules sont très nombreuses, de nouvelles apparaissent sur le marché quotidiennement, et les techniques de dosage de ces nouvelles molécules dans les eaux n'existent pas forcément. Les traitements de l'eau ne les éliminent pas toujours, or un médicament est composé de substances biologiquement actives, dont l’effet sur les organismes non cibles est inconnu. C’est pour évaluer l’impact sur l’environnement de ces substances qu’a été monté le projet ENIMED4 (programme PNETOX). Son objectif est l'identification et la quantification de 4 ENIMED : Effets Non Intentionnels des MÉDicaments ; PNETOX : Programme National d’ÉTOXicologie. 13 R E C H E R C H E E N D I R E C T CNRS INFO • N° 399 J A N V IE R - FÉ V R IE R 2 0 0 2 substances à visée thérapeutique ou diagnostique dans les stations d'épuration et l’évaluation des effets potentiels sur des organismes non cibles. Des chercheurs du Laboratoire « Hydrosciences » y sont associés pour les mesures qui concernent le gadolinium. Par ailleurs, d’autres études seront nécessaires pour vérifier la persistance de cette anomalie dans l’eau et pour évaluer son usage potentiel en tant que traceur hydrologique. En effet, elle pourrait être utilisée dans la gestion des eaux, pour tracer et quantifier la présence d'eaux usées dans des nappes phréatiques par exemple, ou bien pour détecter des fuites dans les stations d'épuration. Référence : • Elbaz-Poulichet, F., Seidel, J.-L., Othoniel, C. 2002. Occurrence of an anthropogenic gadolinium anomaly in river and coastal waters of Southern France. Wat. Res. 36/4, pp. 1102-1105. Contact chercheur : Françoise ELBAZ-POULICHET, Laboratoire « Hydrosciences », CNRS-Université Montpellier 2IRD, tél. : 04 67 14 39 31 mél : Francoise.Elbaz@ msem.univ-montp2.fr Contact département des Sciences de l’Univers du CNRS/INSU : Hélène DOCO, tél. : 01 44 96 43 74 mél : [email protected] 14