Les épillets

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Les épillets
Les Epillets
Points forts :
. Les épillets de graminées ont la caractéristique de s'accrocher aux poils des chiens à la fin du printemps et pendant l'été, et de progresser
ensuite toujours dans le même sens, leur bout pointu leur permettant de perforer la peau et les tissus sous-cutanés.
. Ils pénètrent essentiellement dans les oreilles, mais aussi dans le nez, les yeux, la bouche, les voies génitales, les sacs anaux, entre les doigts…
Pendant la saison des épillets, il faut présenter rapidement à son vétérinaire tout chien qui, (entre autres), secoue la tête, garde un œil fermé,
présente entre deux doigts (ou ailleurs !) un "bouton" qu'il lèche sans arrêt, ou se met brutalement à éternuer ou à tousser en sortant d'un
champ de hautes herbes.
. Le retrait des épillets est parfois facile, (en un coup de pince), parfois beaucoup plus compliqué : un épillet parti se promener à l'intérieur de
l'abdomen, ou ayant circulé sous la peau, en provoquant la formation de gros abcès, peut demander plusieurs interventions et des heures
d'exploration chirurgicale, avant d'être découvert… si encore il est découvert ! Un épillet parti dans le poumon ne pourra être extrait qu'à
l'aide d'un endoscope, et parfois d'une chirurgie thoracique.
. L'imagerie, et notamment l'échographie, peut parfois aider à localiser un épillet à l'intérieur d'un abcès étendu.
. La meilleure prévention consiste à raser les poils des chiens susceptibles d'attraper des épillets, pendant les mois à risque : face interne des
oreilles des cockers, extrémité des pattes des caniches ou des briards, ventre des chiens à poils longs et épais… On évitera aussi de promener
son chien sans laisse, au milieu des champs d'herbes hautes et sèches.
Il y a quelques années, une revue médicale publiait le cas d'un très jeune enfant qui avait présenté, en l'espace de quelques mois, une pneumonie,
des troubles digestifs, une infection des voies urinaires, une péritonite, et finalement une paralysie des membres inférieurs. L'exploration de cette
paralysie par imagerie avait montré la présence d'un abcès le long de la colonne vertébrale. Le débridement chirurgical de cet abcès avait permis à la
fois de guérir la paralysie, et de découvrir au centre de l'abcès… un épillet ! Rétrospectivement, les médecins avaient compris que le jeune enfant avait
dû mettre un épillet à la bouche, et l'avaler de travers (passage de l'épillet dans le poumon), provoquant ainsi une pneumonie. L'épillet avait ensuite
cheminé, traversé le diaphragme, circulé dans le ventre du côté de l'intestin, puis des voies urinaires, provoqué une inflammation de l'abdomen
(péritonite), avant d'aller se bloquer le long de la colonne vertébrale, y provoquant la formation d'un abcès. Ce n'est certes pas tous les jours qu'un
épillet parcourt un tel circuit chez le chien, mais ce cas illustre bien le chemin que peut parcourir ce "voyageur", la gravité et le caractère trompeur des
symptômes qui en résultent, et la difficulté de localiser l'épillet avant de l'extraire.
Qu'est-ce que c'est qu'un épillet ?
Les épillets sont des épis de graminées sauvages (le plus souvent Hordeum murinum, ou
orge des rats). Ils sont également connus sous toutes sortes d'appellations plus ou moins
locales : espigons, crébassats, espangassats, voyageurs, spigaous... Du printemps jusqu'à
la fin de l'été, nous en rencontrons beaucoup dans les environs de nos cliniques
vétérinaires de Calvisson (Gard) et de Sommières (Gard, limitrophe de l'Hérault)… sans en
avoir le monopole, loin de là !
Leur (triste) renommée est due à leur capacité à s'accrocher à toute surface filamenteuse
(vêtement, mais aussi pelage d'animal), puis à progresser, toujours dans le même sens.
Leur extrémité pointue leur permet en outre deperforer les tissus, y compris la peau. Tous
les enfants du sud de la France (peut-être davantage les petits garçons ?) ont joué à se
lancer des épillets, comme des fléchettes (ils s'accrochent très bien au pullover de la
"cible") ou à mettre un épillet, pointe vers le haut, dans la manche du pull, au niveau du
poignet : à la fin de la récré, on retrouve l'épillet quelque part du côté de l'épaule.
Qu'est-ce que ça fait chez le chien ?
Avec le chien, ça fait comme avec un pull : l'épillet s'accroche dans les poils, et commence à avancer. Quand sa pointe arrive au niveau de la peau, il
la perfore, et continue à cheminer à l'intérieur, toujours dans le même sens, toujours plus profond. Il peut aussi profiter d'un orifice naturel pour
s'introduire : oreille, fourreau, anus… Si le chien farfouille au milieu d'un champ d'herbes hautes et renifle un bon coup, l'épillet rentrera directement
dans le nez, sans avoir besoin de passer par l'étape de l'accrochage dans les poils. Les épillets bien secs de juin-juillet, sont plus dangereux que les
épillets verts du début du printemps.
Dans le détail, les épillets peuvent rentrer :
- Dans les oreilles : c'est de loin la localisation la plus fréquente ! lorsqu'un chien se met brusquement à se secouer les oreilles au printemps ou en
été, penche la tête, refuse qu'on le touche… il y a probablement un épillet là-dessous ! A fortiori si l'oreille coule, suppure, ou
sent mauvais. L'épillet s'accroche aux poils autour de l'entrée de l'oreille (les races à poils longs
et à oreilles tombantes, (cockers, épagneuls…), sont donc les plus touchées), descend
directement au fond du conduit, où il peut arriver qu'il perfore le tympan. S'il passe de l'autre côté
et se retrouve dans l'oreille moyenne… ça devient très embêtant, mais heureusement, ce genre
de complication n'est pas très fréquent. (Photo de droite : quatre épillets, tout juste retirés d'une oreille
de cocker, à la clinique vétérinaire de Calvisson).
Plus rarement, il arrive que l'on découvre par hasard, au cœur de l'hiver, à l'occasion d'un
examen de routine, un vieil épillet enrobé de cérumen, dans l'oreille d'un chien qui ne s'en était
jamais plaint. Cet épillet a dû rentrer en juin-juillet, se loger dans un coin du conduit où il ne
gênait pas trop, et s'y tenir bien tranquille… mais un mouvement du
corps étranger peut à tout moment provoquer une lésion du conduit ou une perforation du tympan, et déclencher une otite
suppurée.
Notons qu'un ou plusieurs gros épillets peuvent être étonnamment bien tolérés par un chien stoïque, alors qu'une minuscule
barbule peut parfois entraîner une très vive réaction chez un chien plus démonstratif. (Photo ci-contre : deux minuscules épillets (à
comparer à ceux de la photo ci-dessus), retirés de l'oreille d'un Jack Russel terrier, rentré du jardin en secouant très violemment la tête)
- Dans le nez : il s'agit probablement de la deuxième localisation, par ordre de fréquence. Le chien renifle activement au milieu des hautes herbes, à
la recherche d'une odeur de lapin, et revient tout à coup en retroussant une de ses narines et en éternuant violemment, au point de se taper le nez
contre le sol et de se faire saigner. L'extrémité de l'épillet dépasse parfois encore de la narine, mais il est rare que l'on arrive à s'en saisir vu l'état
d'agitation du chien, et encore plus rare que l'on arrive à l'extraire, à cause de la difficulté à faire reculer un épillet : on se retrouve généralement avec
une petite barbule cassée entre les doigts, tandis que le reste de l'herbe poursuit son avancée à l'intérieur du nez.
Dans le meilleur des cas, à force de reniflements, l'épillet peut remonter jusqu'au fond du nez, tomber dans la gorge, et être avalé et éliminé avec les
aliments. S'il tombe du mauvais côté et part en direction des poumons… c'est beaucoup plus embêtant ! (voir plus loin). Plus souvent, il se coince
quelque part à l'intérieur du nez, et n'en bouge plus jusqu'à ce qu'on l'extraie, provoquant une rhinite avec jetage, éternuements et reniflements.
Notons qu'un épillet est rarement rejeté lorsque le chien éternue, à cause de sa structure qui le conduit à avancer toujours dans le même sens.
Photos ci-dessus : le chien est endormi, une sonde trachéale est mise en place afin d'éviter qu'un éventuel saignement dans le nez ne puisse s'écouler dans le
poumon. Le chien respire à travers la sonde un mélange d'oxygène et d'isoflurane, un anesthésique gazeux. Les deux narines sont explorées à l'aide d'un otoscope.
Une fois l'épillet repéré, il est retiré à l'aide d'une pince à corps étranger.
Chez le chat aussi ! il est beaucoup plus rare d'avoir à retirer un épillet du nez d'un chat… mais cela arrive tout de même ! (photos ci-dessous).
Photo de gauche : une barbule d'épillet dépasse de la narine droite de Bounty, chat de douze ans : il serait tentant d'essayer de tirer dessus, mais en admettant que
le chat se laisse faire, on serait sûr de casser la barbule et de laisser l'épillet à l'intérieur du nez. Photo de droite : extraction de l'intégralité de l'épillet à la clinique
vétérinaire de Villevieille, après sédation de Bounty.
- Dans l'œil : si votre toutou revient du champ d'à côté avec un œil à moitié fermé, ne pensez pas qu'il doit faire une allergie, qu'on va lui mettre le
fond de collyre qui traîne dans l'armoire à pharmacie, et qu'on l'amènera chez le vétérinaire si ça ne passe pas au bout de deux ou trois jours : il est
très probable qu'il se soit mis un épillet dans l'œil, en particulier sous le corps clignotant, encore appelé "troisième paupière". Il est important de retirer
cet épillet aussi tôt que possible (une sédation sera souvent nécessaire), faute de quoi les frottements de l'herbe sur la cornée auront tôt fait de
provoquer un ulcère, parfois difficile à guérir, et pouvant conduire, dans les cas les plus graves, à la perforation de la cornée et à la perte de l'œil. Plus
rarement, un épillet peut pénétrer dans le canal lacrymal, entraînant une suppuration chronique des voies lacrymales. Notons que le chat attrape
beaucoup moins d'épillets que le chien, mais que lorsqu'on en trouve dans cette espèce, c'est généralement dans l'œil !
Epillet dans l'œil d'un chat (photo de gauche), et après son extraction (à droite) : on constatera que ce que l'on voit dépasser de la paupière n'est que la partie
émergée de l'iceberg !
- Dans la bouche : pour une raison qui n'appartient qu'à eux, certains chiens (et chats
également !) vont régulièrement manger de grandes quantités d''herbe… et se retrouvent
avec des épillets plein la bouche ! (photos ci-dessous). On découvre ces épillets plantés
dans la gencive ou dans les amygdales (photo de droite : vue à l'endoscope d'une barbule
d'épillet dépassant de l'amygdale, chez une jeune chienne labrador), entre deux dents, ou dans
des poches de gencive, pour peu que celle-ci soit un tantinet décollée. Une sédation est le
plus souvent nécessaire pour réaliser cet examen. Dans les cas les plus embêtants, les
épillets traversent la muqueuse buccale, et partent se promener vers le bas (abcès de
l'auge, entre les machoires… ce qui est gênant), ou bien vers le haut (abcès derrière un
œil, ce qui aura tendance à pousser ce dernier hors de son orbite… et là, c'est
évidemment beaucoup plus grave !
Photo de gauche : Chez ce jeune berger australien qui déglutissait, bavait et montrait des signes de douleur de bouche, l'examen sous sédation a révélé la présence
d'un abcès sous la langue. Un épillet (photographié ici pendant son retrait), était profondément enfoncé dans un trou, au milieu de l'abcès. Photo de droite : Épillet
planté dans la gencive d'un chat persan, entre babine supérieure et incisives.
- Dans les voies génitales : que ce soit chez le mâle ou chez la femelle, les
voiesgénitales constituent une porte d'entrée très intéressante pour un petit épillet. Chez la
chienne, l'épillet rentre par la vulve. Deux directions s'offrent alors à lui : il peut remonter le
long du vagin (provoquant des pertes vulvaires), puis le long d'une corne utérine, qu'il finira
éventuellement par perforer pour se retrouver dans la cavité abdominale, provoquant alors
une péritonite. Il peut aussi se diriger vers la fosse clitoridienne, et soit y rester coincé
(entraînant là aussi des pertes vulvaires), soit traverser la paroi vaginale et partir se
promener sous la peau, provoquant un abcès au bas du ventre. Chez le mâle, l'épillet rentre
dans le fourreau. Il peut y rester coincé, entraînant un abcès et des pertes purulentes, ou
bien transpercer la muqueuse du fourreau avant d'aller, là aussi, se promener sous la peau
du ventre et y former des abcès. (Photo ci-dessus à droite : utérus d'une chienne, après exérèse
chirurgicale : le col et la séparation en deux cornes est en bas à droite de la photo. Un épillet, qui est
remonté jusqu'à l'extrémité de l'une des deux cornes, est visible en haut à gauche).
- Dans les sacs anaux : les sacs anaux, souvent improprement appelés glandes anales, sont des replis de peau formant, comme leur nom
l'indique, une sorte de sac, situé de part et d'autre de l'anus du chien, et s'ouvrant juste au bord de celui-ci par un petit conduit. Les sacs anaux
contiennent une substance plus ou moins pâteuse et très nauséabonde… tout au moins pour le nez
délicat des humains, les chiens trouvant cela très intéressant : le contenu des sacs anaux renferme en
effet des phéromones, qui donneront au chien qui les renifle toutes sortes d'informations passionnantes
de la part de celui qui les a déposées. De temps en temps, et surtout chez les chiens de petites races, les
sacs anaux peuvent se boucher, s'enflammer, s'abcéder… ce qui se traduira par des démangeaisons (le
chien "fait le traineau" ou se lèche sans arrêt cette région), de la douleur, des écoulements purulents.
Attention, le petit conduit qui constitue l'entrée du sac (ou la sortie, selon l'endroit où l'on se place), est
évidemment bien tentant pour un petit épillet : en été, dans le sud de la France, un abcès de sac anal
devra donc toujours conduire à rechercher un épillet, d'abord en aveugle à la pince, puis, en cas de
persistance des symptômes, par exploration chirurgicale. (Photo ci-dessus : extraction d'un épillet d'un abcès
du sac anal, à gauche de l'anus, chez Brutus, griffon de 4 ans). Attention, comme nous l'avons déjà vu, un
épillet a la désagréable habitude de s'enfoncer droit devant lui, ce qui, dans cette localisation, signifie le
long du rectum, vers l'intérieur du bassin. Donc si vous voyez un abcès au bord de l'anus de votre chien
pendant les mois où il y a des herbes sèches, ne tardez pas à consulter ! l'épillet sera beaucoup plus
facile à retirer s'il est encore dans le sac anal, juste sous la peau.
- Sous la peau : pas de porte d'entrée particulière, l'épillet s'accroche dans les poils,progresse, atteint la peau
qu'il transperse, et continue à cheminer dans le tissu sous-cutané en créant des fistules, sortes de galeries qu'il
creuse au fur et à mesure de sa progression (Photo de droite : un épillet en train de pénétrer dans la peau d'un berger
allemand : découverte lors de la tonte, avant une chirurgie). Du pus s'écoule jusqu'à l'extérieur, le long de ces fistules.
Les épillets pénètrent souvent entre deux doigts, zône à peau fine où il est facile de s'accrocher, et peuvent ensuite
remonter assez haut le long de la patte : le chien passe alors des heures à se lécher entre les doigts, et un petit
abcès peut être observé à cet endroit. Ils peuvent aussi traverser la peau un peu n'importe où (sous le ventre, le
long des flancs…), notamment chez les chiens à sous-poil dense, comme les saint-bernard, bouviers bernois,
montagnes des Pyrénées, ou même bergers allemands. Notons qu'un épillet qui chemine sous la peau depuis
plusieurs jours, voire plusieurs semaines, peut être parti absolument n'importe où, parfois très loin de son point
d'entrée !
Photo de gauche : un abcès, situé entre les doigts d'un springer spaniel, est incisé sous anesthésie générale. Photo de droite : une barbule d'épillet est extraite de
l'abcès.
- Dans le poumon : un chien qui vient de passer dix minutes à courir comme un dératé,
bouche grande ouverte, au milieu d'un champ de hautes herbes, et qui revient en toussant piteusement… a probablement "avalé" dans sa course un
épillet, malencontreusement parti du mauvais côté. Il est alors essentiel de récupérer cet épillet le plus rapidement possible, tant qu'il se trouve encore
dans une des premières bronches, en utilisant un endoscope (voir la vidéo, en fin d'article). Faute de quoi l'épillet, fidèle à son habitude, progressera le
long de la bronche, s'enfonçant toujours plus profondément dans le poumon, jusqu'à ce qu'il devienne impossible de le récupérer (photos ci-dessous).
Les conséquences habituelles en sont une pneumonie (abcès de tout un lobe pulmonaire autour de l'épillet), un pneumothorax (lorsque l'épillet sort
du poumon en le perforant), ou une pleurésie (il nous est déjà arrivé de trouver un épillet flottant dans le liquide de rinçage, lors de l'exploration
chirurgicale d'un pyothorax). Heureusement, il arrive aussi parfois que l'épillet s'enkyste dans un coin du poumon, et que le chien continue à vivre sa
vie sans autre dommage.
Photo ci-dessus à gauche : très gros épi de graminée, juste après son retrait par endoscopie de l'une des bronches souches de ce labrador, qui toussait et crachait
du sang depuis plusieurs semaines. Photo de droite : cet épillet-ci n'a pas été retiré pendant qu'il était encore dans les bronches : il a donc pu cheminer
tranquillement à travers le poumon, jusqu'à en sortir par ce gros trou, visible au milieu d'un lobe pulmonaire. Ce lobe va être retiré chirurgicalement (lobectomie).
Quant à l'épillet, il a été retrouvé flottant dans du pus, à l'intérieur de l'espace pleural.
Gros épillet, coincé dans une bronche chez une jeune labrador. L'épillet a déjà progressé au-delà de la troisième bifurcation bronchique, et se trouve maintenant
dans les petites bronches.
- Et dans le ventre ! Ce n'est pas le cas de figure le plus fréquent, mais il y a quelques années, une fistule dans les lombes d'un rottweiler nous a
conduits, à l'issue d'un long cheminement, jusqu'à un épillet qui se trouvait… caché sous un rein !
Autre cas beaucoup plus récent : une jeune chatte d'un an présentée pour amaigrissement et forte fièvre. L'examen clinique, puis l'échographie, ont
permis de mettre en évidence une importante quantité d'un liquide épais à l'intérieur de l'abdomen (photo ci-dessous à gauche). L'exploration chirurgicale
a effectivement confirmé l'existence d'une péritonite, tout le ventre de la minette étant rempli d'un pus grumeleux. L'abdomen a été abondamment rincé
avec plusieurs litres de soluté stérile tiède… et nous avons soudain vu passer un épillet dans le tuyau de l'aspirateur chirurgical, au milieu du liquide de
rinçage !
On peut toujours s'interroger sur la route qu'emprunte un épillet pour se retrouver dans l'abdomen ! les possibilités sont multiples : entrée par les voies
respiratoires, puis traversée du diaphragme comme dans le cas du jeune enfant présenté en introduction, entrée plus "naturelle" par les voies
digestives, et traversée de la paroi de l'estomac ou de l'intestin, entrée par les voies génitales ou urinaires, comme dans le cas présenté un peu plus
haut, où l'on voit un épillet traversant la paroi utérine et tout prêt à s'évader dans l'abdomen, perforation de la peau, puis des plans musculaires… les
possibilités ne manquent pas !
Photo de gauche : image de péritonite chez une jeune chatte, présentée pour amaigrissement et abattement, avec une forte fièvre : les anses intestinales flottent au
milieu du pus, et l'aspect très échogène de la graisse témoigne d'une forte inflammation. Au cours de l'exploration chirurgicale, l'épillet présenté sur la photo de droite
a été retrouvé au milieu du liquide de rinçage.
Alors, qu'est-ce qu'on fait ?
Le traitement consiste évidemment à retirer l'épillet, ce qui est parfois plus facile à dire qu'à faire !
Pas trop de problème si l'épillet est rentré dans une oreille ou dans un œil : une sédationsera
souvent nécessaire, excepté chez un chien (ou un chat) très stoïque, mais sauf exception (comme
un passage de l'autre côté du tympan ou dans un canal lacrymal), l'épillet ne peut pas se cacher
bien loin, et sera retiré à l'aide d'une simple pince (dans l'œil), ou d'un otoscope et d'une pince à
corps étranger (dans l'oreille)(photo de droite). Après, il restera à gérer les dégâts causés par le
séjour de l'herbe, (otite suppurée, ulcère cornéen…), mais au moins la cause du problème aura-telle été retirée.
Le truc à savoir : s'il est évident que votre chien s'est mis un épillet dans l'oreille (tout allait bien
au départ en promenade, et là, il sort d'un champ d'herbes hautes en secouant frénétiquement la
tête), et s'il est 21 heures un dimanche soir, vous pourrez probablement éviter de partir à la
recherche du vétérinaire de garde en versant un peu d'huile de table dans l'oreille du chien :
cela aura pour effet de ramollir l'épillet, qui cessera alors de piquer les parois du conduit auditif, donc de faire mal, et vous pourrez attendre (à peu
près) tranquillement la journée du lundi. Evidemment, si le chien continue à se plaindre vingt ou trente minutes après avoir mis de l'huile, il faudra se
décider à téléphoner à votre vétérinaire pour faire retirer l'épillet sans plus attendre !
Si l'épillet parti se promener sous la peau, les choses sont déjà plus compliquées : on commence généralement par explorer la fistule, à partir du
point d'entrée, en aveugle, avec une pince à corps étranger. La chance et l'expérience permettent souvent de ramener l'épillet après quelques
secondes à quelques minutes. Si la pêche se révèle infructueuse, il faut intervenir chirurgicalement, et rechercher l'épillet le long de la fistule… mais
parfois aussi au cœur d'un énorme abcès ! (photos ci-dessous). Autant rechercher une aiguille dans une botte de foin… Lorsqu'on ne trouve pas, on
referme après une demi-heure à une heure de recherche, on met le chien sous antibiotique et anti-inflammatoire, et on y retourne quelques jours plus
tard, en comptant sur le fait que le traitement aura "assaini" la plupart des tissus… sauf ceux à proximité immédiate de l'épillet, ce dernier étant alors
plus facile à repérer. Plusieurs interventions sont parfois nécessaires avant de finir par trouver… ou pas, le corps étranger !
Photo de gauche : volumineux abcès à l'arrière de la cuisse, chez un labrador de dix ans (qui avait également un épillet dans l'oreille). On devine le point d'entrée de
l'épillet au milieu de l'abcès. Photo de droite : traitement chirurgical à la clinique vétérinaire de Villevieille : la peau nécrosée a été incisée, et l'abcès est maintenant
largement ouvert. Après nettoyage du pus, l'épillet est repéré et extrait du tissu sous-cutané, très remanié. Tout ce tissu sous-cutané sera retiré, avant fermeture.
Certaines techniques d'imagerie (radiographie après injection d'un produit de contraste dans la fistule, et surtout échographie tissulaire - photos cidessous), sont d'un apport précieux, même si elles ne permettent pas de repérer l'épillet à tous les coups. Sans compter les cas où ce satané épillet est
parti se loger dans un endroit où il sera bien difficile de l'atteindre : en arrière d'un œil, dans une région où passent des nerfs et/ou de gros vaisseaux,
derrière un rein… N'oublions pas le cas des chiens à sous poil dense, chez qui l'on découvre, après tonte des poils du ventre et des flancs, des
dizaines de fistules, chacune avec son épillet au bout ! Dieu merci, même si ce genre de recherche, parfois difficile, est quasi-quotidien en été, les cas
vraiment compliqués, où l'on doit intervenir plusieurs fois, parfois sans jamais trouver
l'épillet au bout du compte… sont finalement assez rares.
Photo de droite : abcès évoluant depuis plusieurs semaines sur la patte avant droite de
Bill, cocker de un an. Du pus s'écoule en permanence par la fistule proche du poignet, à
gauche de la photo. Alors qu'il aurait été logique de rechercher un épillet tout au fond de
l'abcès, en haut de l'avant-bras du chien, l'échographie, réalisée à la clinique vétérinaire de Calvisson, a permis de localiser un long corps étranger (2,5 cm) enfoui à
plus d'un cm de profondeur, juste à la verticale de la fistule (ci-dessous à gauche). La recherche à la pince dans cette région a permis de retirer un épillet, en trois
fragments (ci-dessous à droite).
Pour les épillets ayant pénétré par une voie naturelle, (nez, vagin, fourreau, sac anal…), les choses ne sont pas trop compliquées s'ils ne sont pas
partis trop loin. On les trouve et on lesextrait facilement, sous sédation ou sous anesthésie générale, au milieu des cornets nasaux (photo de droite),
dans la fossse clitoridienne, ou plantés au fond du fourreau. Evidemment, s'ils sont partis plus loin,
les choses se corsent. Si l'épillet est remonté le long d'une corne utérine, a fortiori s'il a perforé
cette dernière et qu'il est parti se promener dans l'abdomen, une chirurgie, parfois compliquée,
sera nécessaire. S'il a été reniflé et qu'il est parti dans une bronche, il faudra alors le récupérer
sous endoscopie - ce qui peut être délicat, surtout sur un animal de petit format avec des bronches
de faible diamètre (photos et vidéo ci-dessous). Le tout étant qu'il ne se soit pas enfoncé trop loin à
l'intérieur du poumon : sinon, il y aura risque de pneumonie, pleurésie ou pneumothorax, et il sera
nécessaire d'ouvrir le thorax afin de retirer un lobe du poumon, ou de partir dans une recherche
délicate de l'épillet baladeur dans l'espace pleural. Heureusement, ce dernier cas de figure ne se
présente pas trop souvent !
Tentatives d'extraction de l'épillet bronchique déjà présenté plus haut, chez une jeune chienne labrador. L'épillet est solidement saisi par la pince, mais impossible à
faire reculer (car gros, rigide, et coincé dans une petite bronche, profondément dans le poumon). La suite des événements s'est déroulée en Savoie, où résident les
propriétaires : localisation de l'épillet par scanner, à proximité de la plèvre et de l'aorte (Dr Chuzel), puis retrait chirurgical du lobe pulmonaire correspondant (Clinique
Vétérinaire du Lac, 74 Sevrier), ce qui a permis de sauver la chienne.
Extraction réussie, cette fois, chez une jeune épagneul qui toussait depuis trois mois… après avoir
passé une heure à courir dans un champ de blé. Ci-dessus à gauche : une longue barbule émerge
d'une bronche du lobe caudal du poumon droit. Ci-contre à droite : l'épillet vient d'être retiré. Ci-dessus
à droite : contrôle de la bronche après extraction de l'épillet. Il n'y a pas d'autre corps étranger visible,
mais la muqueuse est très enflammée, et on note un important spasme de la bronche.
Et comment peut-on empêcher ça ?
Difficile de supprimer totalement le risque, mais on peut tout de même le minimiser :
- En faisant tondre votre chien, totalement ou en partie, avant et pendant la saison des épillets, surtout s'il
s'agit d'un chien aux poils longs et frisés. On peut raisonnablement se limiter à la face interne des oreilles (autour
de l'entrée du conduit auditif - photos ci-dessous) et à l'extrémité des pattes (jusqu'au dessus des doigts - photo à
droite), mais pour les chiens à sous-poil dense et qui vivent au milieu d'herbes hautes, il peut être intéressant de
faire raser tout le dessous du corps une ou deux fois pendant la saison : ça ne se voit pas ou peu, et ça peut
éviter bien des désagréments. Il nous arrive même de rencontrer des briards ou des bobtails entièrement rasés,
en début d'été : le résultat esthétique est, certes, contestable, mais le chien a moins chaud, et il risque moins
d'ennuis non seulement avec les épillets, mais aussi avec tous les problèmes de macération (dermites pyotraumatiques, larves de mouches…)
Ci-dessus à droite : plusieurs
épillets, plantés entre les doigts de
la main gauche d'un chien, ont été
retirés, et la main droite a été rasée.
Photos ci-contre :
Oreille d'un berger des pyrénées,
avant (photo de gauche), et après
tonte (photo de droite) : le risque
d'attraper des épillets dans l'oreille
est nettement diminué dans ce
dernier cas !
- En rasant les herbes hautes du jardin, et en éliminant les restes de tonte.
Evidemment, il y aura toujours un petit bouquet d'herbes que l'on aura oublié dans un coin,
et dans lequel le chien s'empressera d'aller mettre son nez, mais le risque sera tout de
même bien diminué.
- En évitant de promener les chien dans des endroits à risque. Cela peut
rendre la promenade un peu compliquée, mais pendant les mois chauds où les herbes sont
les plus sèches, il vaut mieux tenir son chien en laisse lorsque l'on chemine à proximité
d'un champ d'herbes hautes. Et au retour à la maison, bien inspecter l'animal pour retirer
tous les épillets qui peuvent être accrochés dans son pelage.
- Et bien sûr, en consultant rapidement votre vétérinaire devant tout signe
évocateur, pendant les mois d'été : si, au retour d'une promenade, votre chien secoue
vigoureusement les oreilles, éternue violemment, garde un œil fermé, ou se met brusquement à tousser… si vous observez un petit abcès entre les
doigts ou sous le ventre de votre animal, que ce dernier lèche sans arrêt… si votre chienne stérilisée a des pertes vaginales… il est urgent de
consulter !