Gil Blas - Francais Juvenat
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Gil Blas - Francais Juvenat
NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 79 — Z27849GILB — Rev 18.02 4 LESAGE Histoire de Gil Blas de Santillane (livres I à VI) no 1346 / 7,80 € É T U D I E R G I L E N C L A S S E D E P R E M I È R E ? I . P OURQUOI B LAS S i la classe de seconde se donne pour objectif, en matière romanesque, d’initier les élèves d’une part aux caractéristiques typologiques du genre, d’autre part aux particularités du récit, bref ou plus développé, celle de première vise à compléter la connaissance du roman et de son histoire à travers l’étude approfondie d’une œuvre éclairée par des textes complémentaires et des lectures cursives, en prenant pour entrée privilégiée l’étude des personnages. À la croisée du roman satirique stigmatisant le monde et la société, et du roman comique ou antihéroïque, sous l’influence du modèle picaresque, Lesage invente avec Gil Blas un roman d’un genre nouveau, « critique » au sens classique du terme en cela qu’il se présente comme « un texte qui porte sur d’autres écrits pour en faire un examen métadiscursif 1 » ; il annonce aussi, au début du XVIIIe siècle, la fortune littéraire du romanmémoires comme du roman d’aventures, et se met en marche vers une représentation plus réaliste du monde que celle à laquelle ses prédécesseurs avaient donné cours. Synthétisant des courants et des esthétiques littéraires variés, et précurseur d’autres veines romanesques, Gil Blas occupe une place stratégique dans l’histoire littéraire, et s’offre comme un promontoire de choix pour observer les grandes tendances du 1. J.-P. Sermain, cité dans la Présentation, p. 31, note 1. Gil Blas (livres I à VI) Édition d’Érik Leborgne NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 80 — Z27849GILB — Rev 18.02 80 roman. C’est dire si l’œuvre de Lesage incite à la démarche comparatiste à laquelle invitent les Instructions officielles, qui encouragent en outre à élargir aux XVIIe et XVIIIe siècles le choix des romans étudiés en première. L’édition GF propose le Gil Blas de 1715, comprenant les tomes I et II de l’œuvre intégrale, soit les six premiers livres : ce parti pris, qui consiste à donner exclusivement le premier volet des aventures du héros, présente l’avantage de soustraire les élèves à la lecture du texte dans son intégralité – elle serait inenvisageable, pour une simple question de temps –, tout en garantissant l’unité de la lecture, centrée sur la recherche de sa voie par le personnage principal et confortée par le caractère spirituel et fantaisiste qui singularise le premier Gil Blas. En forme de roman-mémoires – l’un des premiers du XVIIIe siècle, comme le note Érik Leborgne dans sa Présentation (p. 16) –, l’Histoire de Gil Blas de Santillane fait se superposer deux voix, celle du héros jeune, frappée au sceau de la naïveté, et celle du narrateur plus âgé et doué d’expérience ; ce dédoublement de l’instance narrative en un « je narré » et un « je narrant » constitue l’occasion privilégiée de réfléchir à la fois à la question de l’élaboration de cette créature de papier qu’est le personnage, et à la vision de l’homme et du monde dont cette construction est porteuse et révélatrice. Parce qu’il relève entre autres de la catégorie du roman de formation ou d’apprentissage, le roman de Lesage montre l’itinéraire d’un homme à l’école de la vie, mais exhibe également les mécanismes par lesquels un auteur donne vie à un être de fiction pour que fonctionne, du côté des lecteurs, ce qu’il est convenu d’appeler « l’effet-personnage 1 » ; celui-ci ressortit d’ailleurs ici à la dynamique des actions plus qu’à l’analyse psychologique, relativement peu fouillée au regard de la tradition romanesque. Ainsi, le Gil Blas de 1715 offre l’opportunité de découvrir l’une des œuvres romanesques les plus célèbres du XVIIIe siècle – œuvre qui eut un véritable impact sur les romanciers des siècles suivants (voir les textes reproduits en annexes, p. 463469) –, tout en satisfaisant pleinement aux exigences édictées par les programmes de l’année préparatoire au baccalauréat. 1. Selon Vincent Jouve dans L’Effet-personnage dans le roman (PUF, 1992), les personnages peuvent induire différents types de lecture : « Un personnage peut se présenter comme un instrument textuel (au service du projet que s’est fixé l’auteur dans un roman particulier), une illusion de personne (suscitant, chez le lecteur, des réactions affectives), ou un prétexte à l’apparition de telle ou telle scène [...]. » NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 81 — Z27849GILB — Rev 18.02 81 S Y N O P T I Q U E D E L A S É Q U E N C E La séquence exige des élèves la lecture cursive de l’intégralité de l’édition GF, qui restreint l’œuvre au premier Gil Blas, celui de 1715. Pour permettre à la classe de saisir, audelà du foisonnement d’événements qui nourrit le roman, la fermeté de son architecture à un niveau microtextuel, et d’identifier avec précision les sources de cette œuvre conçue comme un véritable creuset d’influences, on pourra choisir de mettre l’accent, pour les lectures analytiques, sur le livre I, d’où seront tirés les extraits étudiés. Dans le cadre d’un travail à la maison, on prescrira un parcours de lecture orienté de la suite du texte, sur laquelle portera une évaluation intermédiaire visant à vérifier l’efficience du travail. Pour lancer la première lecture, on proposera une séance initiale de contextualisation et de problématisation de l’œuvre et de ses enjeux, puis une séance consacrée à l’étude de l’avis « Gil Blas au lecteur » (p. 41-42), permettant de saisir la situation romanesque, du point de vue énonciatif. Idéalement, la présente séquence se situera dans la continuité de celle portant sur « Le théâtre : texte et représentation » : la familiarité que la classe aura gagnée avec le genre dramatique lui permettra de mieux comprendre, chez Lesage, l’assimilation du modèle forain, laquelle ne se limite pas à la transposition de procédés propres au théâtre dans la fiction romanesque mais relève, sous la plume du romancier, de la parodie littéraire (voir Présentation, notamment p. 9-13). La séquence, qui prend pour objet d’étude « Le roman et ses personnages », se donne pour perspective dominante l’« étude des genres et des registres » et pour perspectives complémentaires l’« approche de l’histoire littéraire et culturelle » et la « réflexion sur l’intertextualité et la singularité des textes ». Composée de neuf séances qui croisent lecture analytiques d’extraits, comparaisons de textes et synthèses portant sur l’œuvre entière, cette séquence nécessite qu’on lui consacre cinq semaines d’étude environ. Gil Blas (livres I à VI) I I . T ABLEAU Évaluation finale : exercice d’écriture. Réinvestir les acquis de la classe de seconde en matière narrative ; rendre compte des caractéristiques formelles du roman. Chercher les clés de la lecture au seuil du roman ; caractériser le registre de l’écriture romanesque. Dégager la dimension réaliste de la scène ; déterminer la fonction du dialogue ; interpréter l’extrait en termes d’apprentissage. Étudier le registre du texte ; identifier les emprunts à la tradition du roman picaresque ; analyser les effets du dédoublement de l’instance narrative. Mettre en regard le texte et son illustration. Ressaisir les éléments du portrait du héros ; rendre compte de son évolution, cerner son statut narratif et ses liens avec les autres protagonistes de la fiction ; étudier la mise en place d’un « théâtre du monde ». Réfléchir à la dimension morale du roman et à l’image qu’il donne de l’humaine condition ; s’entraîner à la dissertation Intégralité de l’œuvre. Carte : l’itinéraire de Gil Blas (p. 459). Incipit de Gil Blas (p. 43-45). Lecture complémentaire : incipit de Manon Lescaut de Prévost. Livre I, chapitre 2 (p. 49-52). Livre I, chapitre 8 (p. 73-76). Lecture complémentaire : extrait de Don Quichotte, I, 22. Livre IV, chapitres 3 et 4 (p. 283-310). Livre IV, chapitre 10 (p. 349-364). Illustrations (p. 284 et 355). Intégralité de l’œuvre. Séance 3 Séance 4 Séance 5 Séance 6 Séance 7 Séance 8 Séance 9 Synthèse sur le personnage romanesque. Prise de notes ; repérage sur l’œuvre. Étudier l’énonciation ; analyser la structure et la fonction de cet avis ; identifier le pacte de lecture proposé par le narrateur au lecteur. « Gil Blas au lecteur » (p. 41-42). Lecture complémentaire (Annexes, p. 461-462). Séance 2 Activités Lecture de l’image. Oral. Lecture analytique. Traitement par écrit d’un questionnaire. Lecture analytique. Traitement par écrit d’un questionnaire. Lecture analytique. Traitement par écrit d’un questionnaire. Leçon sur la forme du roman. Prise de notes ; restitution orale ; repérage de l’itinéraire du héros. Lecture analytique. Traitement par écrit d’un questionnaire. Introduction à l’œuvre. Observation du paratexte ; lecture documentaire. Objectifs Contextualiser l’œuvre dans la production romanesque antérieure et contemporaine de l’auteur, et introduire à sa lecture problématisée. Support Illustration : frontispice de l’édition de 1771 (p. 36). Chronologie (p. 470-472). Documents complémentaires (Annexes, p. 463-466). Séance Séance 1 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 82 — Z27849GILB — Rev 18.02 82 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 83 — Z27849GILB — Rev 18.02 83 I I . D É R O U L E M E N T D E L A S É Q U E N C E → Frontispice de l’édition de 1771 (p. 36). → Chronologie (p. 470-472). → Documents complémentaires : extraits du compte rendu paru dans le Journal littéraire de La Haye et du Cours de littérature de La Harpe (Annexes, p. 463-466). Objectifs : Contextualiser l’œuvre dans la production romanesque antérieure et contemporaine de l’auteur et introduire à sa lecture problématisée. • Le frontispice de 1771, miroir de l’œuvre Dans un premier temps, en prenant appui sur la reproduction du frontispice de l’édition de 1771 (p. 36), on travaillera à faire surgir les réactions spontanées des élèves sur cette illustration et à réactiver leurs connaissances littéraires. On fera porter leur attention sur les détails du dessin : modèle dramatique qui assimile le roman à une représentation, le personnage à un acteur et le lecteur à un des spectateurs issus de la bourgeoisie amassés dans la salle et qui présente, réciproquement, la vie humaine comme une scène où chacun se pare de masques pour donner l’illusion d’être autre que lui-même. Ce frontispice se prête à un rapprochement avec Shakespeare, pour qui « Le monde entier est un théâtre. Et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles » (Comme il vous plaira), Calderón (La Vie est un songe), ou encore avec Balzac qui a donné pour titre général à sa somme romanesque La Comédie humaine. On remarquera en outre les proportions importantes que prend le personnage tirant le rideau sur lui au premier plan de la scène, lesquelles suggèrent peut-être un effet de grossissement, voire de caricature, dans l’écriture romanesque ; la perspective, profonde, qui s’ouvre derrière ce dernier, dit le voyage, la fuite – c’est également la piste retenue par Gil Blas (livres I à VI) SÉANCE 1 INTRODUCTION À LA LECTURE DE L’ŒUVRE NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 84 — Z27849GILB — Rev 18.02 84 l’éditeur pour la première de couverture de l’édition GF, qui donne à voir Gil Blas en route sur sa mule. Enfin, l’épigraphe, qui donne la parole au protagoniste, mérite un commentaire : elle confère à l’œuvre une dimension réaliste (« On voit en moi de bien des gens/Le portrait fait d’après nature ») mais surtout morale, en reprenant un des impératifs des pièces comiques de l’âge classique où le rire se met au service de la correction des mœurs (« Et tel rit, voyant ma figure/Qui rit peut-être à ses dépens »). • Lesage, dramaturge et romancier Dans un deuxième temps, on fera se reporter les élèves à la Chronologie proposée à la fin de l’édition GF (p. 470472). Ce sera l’occasion, d’une part, de retracer la biographie de Lesage et, d’autre part, de replacer l’Histoire de Gil Blas de Santillane dans la carrière de l’auteur. – Lesage et le classicisme. Il faut attendre 1715 pour que Lesage publie Gil Blas, son œuvre majeure aux yeux de la postérité ; néanmoins on fera remarquer aux élèves que cet auteur est né en 1668, soit au moment où le classicisme connaît son apogée avec les tragédies de Racine, les comédies de Molière et les écrits des moralistes, de La Fontaine à La Bruyère. Gil Blas est ainsi traversé de références aux œuvres classiques, par exemple : « Soyez désormais en garde contre les louanges » (p. 52), qui rappelle « Le Corbeau et le Renard » de La Fontaine ; les portraits d’Arsénie, qui la rapprochent de la Célimène du Misanthrope de Molière ; ou encore les paroles d’Aurore, « je voudrais qu’il fût tendre, amoureux, constant » (p. 280), où résonne la voix de Phèdre évoquant Thésée dans Phèdre de Racine. – L’influence des œuvres espagnoles. Les ouvrages publiés en 1704 et 1707, respectivement l’adaptation des Nouvelles Aventures de Don Quichotte de la Manche, continuation du roman de Cervantès par Avellaneda, et Le Diable boiteux inspiré d’El Diablo cojuelo de Luis Vélez de Guevara, montrent ensuite que l’Espagne constitue pour Lesage une source d’inspiration notable (voir Présentation, p. 5-7). L’influence des romanciers et des dramaturges espagnols se retrouve dans Gil Blas à travers le picaresque et les représentations dramatiques auxquelles le héros assiste. Cependant, Lesage se démarque aussi de cet héritage : ses NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 85 — Z27849GILB — Rev 18.02 ouvrages appartiennent déjà à l’époque des Lumières en proposant une franche critique de la superstition et en ouvrant la voie à la quête du bonheur. – Un romancier dramaturge. Ce qui frappe, au sein de la féconde production littéraire de l’écrivain, c’est qu’à côté de ses œuvres romanesques il fait la part belle au théâtre (Théâtre espagnol, Le Point d’honneur, La Tontine, Turcaret, les Arlequin successifs). Loin de considérer les deux genres, narratif et dramatique, comme imperméables l’un à l’autre, il ne cesse de jeter des ponts entre eux. Aussi la critique réaliste de Turcaret se retrouve-t-elle dans Gil Blas, où abondent les remarques sur le théâtre, où se produisent comédiens et comédiennes, où le sens de la mise en scène informe l’écriture romanesque. À ce sujet, on lira avec profit les pages de la Présentation (« Un début dans les Lettres », « Lesage à la Foire », « Fiction parodique et fiction réflexive », p. 4-19), consacrées à la prégnance de l’art dramatique dans la vie et l’écriture de Lesage. Pour s’en tenir à quelques exemples, on pourra se reporter, dans le roman : • Aux chapitres dont les titres comportent des termes renvoyant au théâtre – à partir de la Table détaillée (p. 483), les élèves en feront le relevé méthodique : III, 6 (p. 232), III, 11 (p. 258), IV, 1 (p. 269)... • Au travestissement constant des personnages, qui sont autant de comédiens, au sens propre ou figuré (voir Présentation, p. 15). • Aux critiques, qu’elles portent sur l’institution – les Comédiens-Français (p. 265) notamment –, ou sur l’art théâtral. Voir par exemple la description du comédien Carlos Alonso de la Ventoleria, qui se singularise par sa manière de déclamer (« Il appuyait sur toutes les syllabes, et prononçait ses paroles d’un ton emphatique avec des gestes et des yeux accommodés au sujet », p. 259-260), ou encore le passage consacré à la représentation organisée par Thomas de la Fuente, qui comprend une critique héritée de Crébillon père : le personnage commente son œuvre, non sans fierté, en ces termes : « C’est un de ces sujets tragiques qui remuent l’âme par les images de mort qu’ils offrent à l’esprit. Je suis du sentiment d’Aristote : il faut exciter la terreur. [...] je n’aime que l’effroyable » (p. 190) – allusion à peine déguisée au dramaturge cité, qui fondait l’écriture tragique sur une surenchère dans l’horreur. – Singularité du Gil Blas de 1715. L’Histoire de Gil Blas de Santillane fut publiée en trois livraisons : 1715 (t. I et II), 1724 (t. III), et 1735 (t. IV). Comme l’explique Érik Leborgne dans sa Présentation, la première livraison se Gil Blas (livres I à VI) 85 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 86 — Z27849GILB — Rev 18.02 86 singularise par sa virtuosité dans le mélange des registres et par son ton ironique ; la suite, soumise à une tout autre esthétique, sera « plombée par un narrateur moralisateur qui impose un sens univoque et conformiste à ses mémoires » (Présentation, p. 18). • La réception de Gil Blas Enfin, on lira deux extraits donnés en annexe de l’édition GF, le compte rendu paru dans le Journal littéraire de La Haye en 1715 et l’extrait du Cours de littérature de La Harpe datant de 1804 (p. 463-464 et 465-466). Le premier texte insiste sur la dimension réaliste et satirique de Gil Blas mais en réduit la portée critique en l’assimilant à une sorte de roman à clés ; à l’inverse, le second extrait défend la valeur universelle des peintures du roman, fondées sur l’extrême précision du trait. SÉANCE 2 LECTURE ANALYTIQUE : « GIL BLAS AU LECTEUR » → « Gil Blas au lecteur », p. 41-42. → Lecture complémentaire : « Avertissement » du Marcos de Obregón de Vicente Espinel (Annexes, p. 461-462). Objectifs : Étudier l’énonciation ; analyser la structure et la fonction de cet avis ; identifier le pacte de lecture proposé par le narrateur au lecteur. • Questionnaire de lecture Afin de parfaire l’introduction à la lecture du roman, on proposera aux élèves d’étudier l’avis que le personnage éponyme adresse à ses futurs lecteurs. Pour ce faire, on soumettra le questionnaire suivant : 1. En prenant appui notamment sur les pronoms personnels, identifiez la situation d’énonciation : qui parle ? à qui ? à quelle occasion ? À quel titre le locuteur parle-t-il ? Comment se situe-t-il par rapport à l’auteur du roman ? 2. Dégagez la structure du passage. Quelles analogies découvre-t-elle ? NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 87 — Z27849GILB — Rev 18.02 87 3. Interrogez-vous sur la fonction de cet avis. Quelle conception de la littérature s’y fait jour ? Gil Blas, qui donne son nom au roman de Lesage, prend directement la parole pour s’adresser au lecteur qu’il considère avec sympathie, utilisant l’apostrophe « ami lecteur » à deux reprises (p. 41 et 42) et le tutoyant. L’occasion de cette prise de parole est la lecture à venir de « l’histoire de [s]a vie » (p. 41), soit sa pseudo-autobiographie. Le nom de l’auteur qui figure sur la couverture n’est pas le sien, mais bien celui de Lesage, aussi ne peut-on conclure à l’existence d’un pacte autobiographique postulant l’identité de l’auteur, du narrateur et du personnage principal 1. Cependant, Gil Blas semble bien revendiquer la paternité du récit qui va suivre, ce qui conforte l’illusion de réalité devant ces faux mémoires ; tout se passe comme si l’être de fiction gagnait une forme d’autonomie par rapport à son créateur et fondait par là la vraisemblance de son existence. L’avis prend la forme d’un triptyque : 1. De « Avant que d’entendre » à « te faire » (p. 41, l. 1-2) ; 2. « Deux écoliers allaient ensemble... » à « ... avec l’âme du licencié » (p. 41-42, l. 3-31) ; 3. « Qui que tu sois... » à « ... avec l’agréable » (p. 42, l. 32 à la fin). À une introduction discursive succède un développement narratif assimilable à un conte, lui-même suivi d’une conclusion où Gil Blas revient sur le devant de la scène pour tracer un parallèle entre l’attitude des personnages de l’apologue et celle de ses futurs lecteurs. C’est une sorte de méthode de lecture que livre le héros ; il en appelle à la capacité du lecteur à s’interroger sur le sens moral de ses aventures. • Plaire et instruire La page poursuit une double ambition : elle constitue une prise de contact en même temps qu’elle fonctionne comme un avertissement. L’avis plaît au lecteur par son ton amical et enjoué, mais l’instruit aussi sur la démarche qu’il lui faudra adopter. En cela, il illustre le principe qui va motiver la 1. Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Seuil, 1975. Gil Blas (livres I à VI) • Un roman-mémoires fictif NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 88 — Z27849GILB — Rev 18.02 88 lecture imminente de l’Histoire de Gil Blas de Santillane : il s’agit, comme le suggère également le frontispice reproduit p. 36, de se laisser prendre à la grâce du texte tout en mesurant sa dimension proprement morale. Telle est bien la devise que le lecteur doit faire sienne, conformément à celle énoncée par Horace dans son Art poétique : docere et placere, ou encore utile dulci, ainsi que le note La Harpe (p. 465). • Un intertexte de Gil Blas : le Marcos de Obregón de Vicente Espinel En guise de prolongement de la séance, on se reportera à l’« Avertissement » du Marcos de Obregón (1618) de Vicente Espinel, reproduit dans le dossier de l’édition GF (p. 461-462), et dont Lesage s’inspire. L’emprunt est d’autant plus explicite que le héros d’Espinel, Marcos de Obregón, apparaît comme un personnage du roman de Lesage (voir p. 166 et 175), et que de nombreuses scènes de Gil Blas sont librement adaptées du roman espagnol (voir par exemple p. 52, note 1 ; p. 54, note 2 ; p. 112, note 1 ; p. 415, note 1, etc.). Voltaire alla même jusqu’à dire que l’œuvre de Lesage était « entièrement reprise » du Marcos de Obregón (Présentation, p. 20) ! Érik Leborgne évoque dans sa Présentation les points communs et les divergences entre les deux avis au lecteur : celui de Gil Blas se distingue en ce qu’il met l’accent sur la notion d’héritage, à comprendre précisément au sens d’héritage littéraire (p. 20-21). On fera en outre remarquer que la référence à « l’âme du Licencié Pedro Garcias » (p. 41) est une audace qui revient à en propre à Lesage, laquelle d’ailleurs, même si l’épitaphe est traitée de « ridicule », pourrait incliner le lecteur à une réflexion subversive sur la matérialité de l’âme. NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 89 — Z27849GILB — Rev 18.02 89 SÉANCE 3 LEÇON SUR LA FORME DU ROMAN → Intégralité de l’œuvre. → Carte : l’itinéraire de Gil Blas (p. 459). Objectifs : Réinvestir les acquis de la classe de seconde en matière narrative ; vérifier la lecture de l’œuvre ; rendre compte des caractéristiques formelles du roman. On rapprochera la carte de l’itinéraire de Gil Blas, donnée en annexe de l’édition GF (p. 459), de la formule du critique Bernard Pingaud dans L’Expérience romanesque à propos des dynamiques qui animent le récit : « l’errance, la liberté, la fortune. L’errant est l’homme libre par excellence. Mais cette liberté qu’il possède, qu’il est, il lui faut en même temps la conquérir en l’exerçant. Et d’une certaine manière, on ne peut l’exercer sans la perdre, puisque chaque conquête automatiquement, se transforme en piège, chaque pouvoir assumé en pouvoir subi. D’où la nécessité des rechutes 1 ». L’écriture du roman-mémoires épouse les contours des pérégrinations successives du personnage ; lorsque celui-ci est tenu de s’arrêter, c’est sa plume même qui se met à errer sur le papier, cherchant à saisir le sens et le principe de ses aventures. Le hasard, plus ou moins heureux, préside à la destinée du héros plus qu’à la rédaction du roman lui-même, dont chaque livre présente un motif nettement identifiable fondant son unité : – le livre I est centré sur l’épisode des brigands ; – le livre II sur le chanoine Sédillo et le médecin Sangrado ; – le livre III sur les petits-maîtres et les comédiens ; – le livre IV sur Aurore et la marquise de Chaves ; – le livre V sur don Raphaël ; – le livre VI sur les amours de don Alphonse et de Séraphine, dont le dénouement profite directement au héros (p. 453). 1. Gallimard, 1983, p. 59. Gil Blas (livres I à VI) • L’itinéraire de Gil Blas NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 90 — Z27849GILB — Rev 18.02 90 • Un roman à tiroirs Les élèves seront amenés à identifier ce qui constitue le noyau central du livre I, à savoir l’épisode des brigands, et on les incitera à poursuivre la même démarche sur les livres II à VI, dont on programmera la lecture ; c’est sur ce dernier point que portera un devoir à faire à la maison sur les récits emboîtés ou « tiroirs » de la narration première, qui pourra être formalisé sous l’intitulé suivant : « Après avoir référencé les différents récits dans le récit qui vous paraissent les plus remarquables, vous vous interrogerez sur leur intérêt et leur statut dans le roman. » Pour s’assurer que la forme narrative « gigogne » est bien comprise des élèves, on effectuera avec eux un relevé sur le début de l’œuvre : – – – – – – histoire histoire histoire histoire histoire histoire de Rolando, le chef des voleurs (p. 61-64) ; du lieutenant (p. 64-65) ; du jeune voleur (p. 65-67) ; de doña Mencia de Mosquera (p. 84-91) ; de Fabrice (p. 115-117) ; du garçon barbier (p. 160 sq.). Les déplacements de Gil Blas, ses rencontres avec des personnages issus de toutes les conditions, les vicissitudes de son existence et la forme même du récit à la première personne tendraient à faire du roman un exemple de roman picaresque. Cependant, Lesage ne pare pas son héros de tous les attributs attendus du picaro – que l’on songe par exemple à l’obsession de la faim ou à l’immoralité. La question de l’appartenance générique du Gil Blas ne saurait donc être tranchée trop rapidement, et il faudra veiller à relativiser l’étiquette de « roman picaresque » régulièrement apposée au roman de Lesage (Présentation, p. 19 sq.). • Devoir à la maison : la fonction des « tiroirs » dans les livres II à VI Les récits secondaires foisonnent dans les livres II à VI de Gil Blas. Parmi eux, on peut retenir : – histoire de don Pompeyo de Castro (p. 237 sq.) ; – histoire de don Roger, roi de Sicile (p. 285 sq.) ; – histoire de don Alphonse et de la belle Séraphine (p. 349 sq.) ; – histoire de don Raphaël (p. 369 sq.) et de sa mère Lucinde (p. 404 sq.) ; NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 91 — Z27849GILB — Rev 18.02 91 SÉANCE 4 LECTURE ANALYTIQUE : L’INCIPIT DE GIL BLAS → Incipit, de « Blas de Santillane, mon père » à « je montai sur ma mule, et sortis de la ville » (p. 43-45). → Lecture complémentaire : incipit de Manon Lescaut, de Prévost, de « Je fus surpris » à « lui vouloir du bien » (GF-Flammarion, 1995, p. 51-53). Objectifs : Chercher les clés de la lecture au seuil du roman ; caractériser le registre de l’écriture romanesque. • Questionnaire de lecture 1. Étudiez l’énonciation de cette ouverture. À quel sousgenre littéraire la rattachez-vous ? 2. Identifiez le thème général de la page. 3. Montrez qu’il s’agit d’une narration rétrospective. Quel en est l’intérêt ? 4. Analysez le registre de la page. • L’énonciation Le récit est mené à la première personne par un personnage, fils de Blas de Santillane, qui se trouve être aussi le héros de l’histoire qui va être rapportée. Le narrateur est distinct de l’auteur, Lesage, de sorte que s’il s’agit bien d’un récit de vie, on ne peut le rattacher à la catégorie de l’autobiographie. Le lecteur est interpellé indirectement par le biais Gil Blas (livres I à VI) Les personnages auxquels la parole est confiée par le narrateur signalent par là leur importance dans la fiction, et l’intérêt que le lecteur leur porte s’en trouve dès lors accru. Les « tiroirs » ne sauraient se réduire à une fonction ornementale ou de pur divertissement : ils renseignent le lecteur sur des événements antérieurs à la lumière desquels s’éclaire la situation présente des personnages ; ils permettent des recoupements avec l’intrigue principale, entretiennent avec elle des analogies, consolident sa vraisemblance, mais surtout permettent une multiplication prodigieuse de la population romanesque et gagent le fonctionnement de l’effetpersonnage. NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 92 — Z27849GILB — Rev 18.02 92 de l’impératif, si bien qu’il devient l’interlocuteur privilégié du protagoniste, en quelque sorte le témoin de ses aventures et de son parcours de formation. • Temps du discours, temps du récit Aux temps du passé, caractéristiques de l’écriture rétrospective, se mêlent ceux du présent renvoyant au moment de l’écriture (« Représentez-vous », p. 43 ; « j’ai ouï dire », p. 44) : il existe un décalage temporel entre l’époque où les événements se sont produits et celle où ils sont racontés. L’adulte jette donc un regard sur des faits ultérieurs, source de comique lié à la distance critique. • Les origines sociales de Gil Blas Le titre du chapitre, « De la naissance de Gil Blas, et de son éducation » annonce explicitement le thème de cette page. Le terme « naissance » est pris dans son acception avant tout sociale : il regarde l’extraction du héros bien plus que les circonstances de sa venue au monde. C’est sur la condition des parents qu’est mis l’accent dans les premières lignes de la narration (p. 43) : nom, description, profession, évolution, âge. Des origines sociales des parents découle le mode d’éducation du fils, confiée à l’oncle qui tire autant que l’enfant le bénéfice de l’instruction. • Le portrait de l’oncle – Le portrait de l’oncle verse dans la caricature grotesque : « un petit homme haut de trois pieds et demi, extraordinairement gros, avec une tête enfoncée entre les deux épaules » (p. 43). – La satire anticléricale transparaît à travers le goût du chanoine pour les plaisirs (« c’était un ecclésiastique qui ne songeait qu’à bien vivre, c’est-à-dire qu’à faire bonne chère », p. 43), et son absence de lettres (« c’était [...] le chanoine du chapitre le plus ignorant », p. 44). Ce passage ne peut toutefois être véritablement qualifié de satirique, puisque la critique demeure ponctuelle et vise l’individu plus que le corps ecclésiastique en son entier. L’ironie qui touche la description du précepteur s’inscrit dans la présentation d’un contexte historique où le personnage reste tributaire de son milieu. NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 93 — Z27849GILB — Rev 18.02 93 Le cadre de l’Espagne des XVIe et XVIIe siècles situe la fiction hors de la réalité du lecteur, mais le registre ironique indique que, derrière ce temps et cet espace romanesques, le lecteur pourrait bien lire une critique de la France contemporaine de Lesage : « On voit en Castille comme en France [...] partout les mêmes vices », déclare l’auteur (p. 39). De manière générale, dans le Gil Blas de 1715, composé sous le règne de Louis XIV, l’ironie est appelée à une certaine réserve ; on signalera néanmoins qu’elle s’exerce, comme chez Molière, envers les médecins (cf. le personnage du docteur Sangrado, p. 138 sq., la citation empruntée au Médecin malgré lui p. 139), envers l’institution judiciaire (p. 95), et qu’elle caractérise certaines réflexions d’ordre politique : « je sais que les rois ne sont pas des tyrans ; que le bonheur de leurs peuples est leur premier devoir ; mais doivent-ils être esclaves de leurs sujets ? » (p. 305). • Lecture complémentaire Incipit de Manon Lescaut de Prévost (GF-Flammarion, 1995, p. 51-53). Comparaison avec l’incipit de Gil Blas : comment se distinguent ces deux incipit de romansmémoires ? SÉANCE 5 LECTURE ANALYTIQUE : UN ÉPISODE DU ROMAN DE FORMATION → Livre I, chapitre 2, de « Je demandai à souper... » à « Il me rit au nez et s’en alla » (p. 49-52). Objectifs : Dégager la dimension réaliste de la scène ; déterminer la fonction du dialogue ; interpréter la page en termes d’apprentissage. • Questionnaire préparatoire 1. Quels éléments du texte permettent de camper un décor réaliste ? Gil Blas (livres I à VI) • Le cadre spatio-temporel du récit NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 94 — Z27849GILB — Rev 18.02 94 2. Par quels procédés le narrateur donne-t-il vie au personnage-type du parasite ? 3. Quel est le registre du texte ? Montrez qu’il réside en partie dans la coexistence du regard naïf du jeune homme et du regard plus expérimenté du narrateur mûr. 4. En quoi cet épisode constitue-t-il une première étape dans la formation du héros ? • Entre roman réaliste et saynète comique Ce passage constitue une scène au sens consacré par la narratologie : le temps du récit coïncide avec celui de l’histoire, et le lecteur a l’impression, grâce au discours direct notamment, que l’épisode se déroule sous ses yeux. Les notations matérielles et les préoccupations d’ordre alimentaire abondent, concourant à renforcer le réalisme et le pittoresque de l’aventure. La parlure outrancière du piqueassiette, les « hyperboles » et les comparaisons auxquelles il a recours pour se faire offrir à manger (« je ne doute pas que l’Espagne ne se trouve un jour aussi vaine de vous avoir produit, que la Grèce d’avoir vu naître ses Sages », p. 50) font du jeune Gil Blas sa dupe, comme en une saynète de comédie. • Moralité de l’histoire Cependant, l’ambition de ce passage ne se limite pas au divertissement du lecteur ; il vise aussi son instruction, conformément à la règle que le héros a fait sienne dans l’avis au lecteur (voir séance 2). La moralité de l’histoire est formulée par le parasite lui-même : « Soyez désormais en garde contre les louanges » (p. 52). « Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute », telle est, pour paraphraser La Fontaine, la leçon de la fable dans laquelle Gil Blas a donné dans sa jeunesse et qu’il rapporte, sur le mode de l’ironie (cf. « mon panégyriste », p. 51), en homme d’expérience parvenu à la sagesse. • Prolongement possible Cet épisode contribue-t-il à former le protagoniste ? Les élèves s’attacheront à relever d’autres passages du roman où Gil Blas est dupe de belles paroles (par exemple l’épisode du fripier de Burgos, p. 103-104). NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 95 — Z27849GILB — Rev 18.02 95 SÉANCE 6 LECTURE ANALYTIQUE : GIL BLAS ET LA TRADITION PICARESQUE → Livre I, chapitre 8, de « Nous passâmes auprès de Pontferrada » à « trop fins et trop rusés pour toi » (p. 73-76). → Lecture complémentaire : Don Quichotte, I, 5. • Questionnaire de lecture 1. Situez l’extrait dans l’économie du livre I. 2. Analysez la structure du récit. 3. En quoi cette page fait-elle le portrait de Gil Blas en antihéros ? Qu’est-ce qui la rattache à la tradition picaresque ? 4. Sur quoi repose l’habileté narrative du conteur ? • Situation du passage La situation du passage permettra aux élèves de ressaisir les différentes étapes de l’itinéraire de Gil Blas depuis l’ouverture du roman (voir aussi Annexes, p. 457). Ils seront portés à remarquer que, loin de tirer des leçons de ses expériences, sa naïveté, son étourderie autant que sa vanité vont crescendo au gré de ses aventures (voir Présentation, p. 27), culminant lors de son initiation au vol par les brigands qui l’ont constitué prisonnier. • Gil Blas, antihéros La relation de cet apprentissage verse dans un comique burlesque qui repose sur un des motifs de la farce, à savoir celui du voleur volé... ici par un curé, qui, en guise de bourse, laisse à Gil Blas « deux ou trois poignées de petites médailles de cuivre, entremêlées d’Agnus Dei avec quelques scapulaires » (p. 75). • Les motifs picaresques... et leur détournement À cet endroit, le récit se rattache également à l’héritage picaresque avec les motifs de l’errance, de la rencontre, de Gil Blas (livres I à VI) Objectifs : Étudier le registre du texte ; identifier les emprunts à la tradition du roman picaresque ; analyser les effets du dédoublement de l’instance narrative NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 96 — Z27849GILB — Rev 18.02 96 l’argent et de la mauvaise fortune. Les codes sont cependant détournés, puisque le jeune Gil Blas, loin de se laisser gagner par le cynisme et l’immoralité de ses comparses, est en proie au remords (« je sortis du bois et poussai vers le religieux, en priant le Ciel de me pardonner l’action que j’allais faire », p. 74) ; de nature peu aventureuse, il demeure en outre prudent à l’excès (« Je n’osai [...] hasarder une démarche si délicate », p. 74). L’efficacité narrative de la page tient autant à la capacité du narrateur à épouser les mouvements de la conscience du jeune picaro qu’il a été qu’à la maîtrise des codes littéraires, dont l’auteur, cette fois, fait subtilement montre. • Lecture complémentaire On demandera aux élèves de comparer les deux textes suivants : – Gil Blas, I, 5, p. 61-68. – Cervantès, Don Quichotte, I, 22, de « Avec sa permission » à « Tu as de l’esprit, lui dit Don Quichotte » (trad. L. Viardot, 1969, GF-Flammarion, p. 204-208). Lesage fait allusion, dans son œuvre, au roman de Cervantès (III, 8, p. 248, note 2). Or l’épisode dans lequel les voleurs, rassemblés dans la caverne, racontent tour à tour leur histoire à Gil Blas n’est pas sans évoquer le chapitre de Don Quichotte où le héros de Cervantès rencontre des galériens qui lui rapportent l’un après l’autre leurs délits respectifs. De même que les récits des forçats, dans Don Quichotte, constituent une revue succincte des épisodes typiques du picaresque, les récits de formation des voleurs, dans Gil Blas, héritent de cette veine (p. 64). À travers le regard des brigands, c’est une vision pessimiste et satirique de l’homme et du monde, inspirée de la vision picaresque, qui se dévoile : « Hé, voit-on d’autres gens [que les voleurs] dans le monde ? » (p. 67). On notera plus généralement que Gil Blas et Don Quichotte, romans parodiques, se réapproprient, pour les mettre à distance et les tourner en dérision, les codes de différentes formes de roman 1. 1. « Gil Blas est notre Don Quichotte », selon Nodier (voir Présentation, p. 3). NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 97 — Z27849GILB — Rev 18.02 97 SÉANCE 7 LECTURES D’IMAGES → Livre IV, chapitres 3 et 4, de « Le jour d’après » à « cette funeste aventure » (p. 283-310). → Livre IV, chapitre 10 (p. 349-364). → Illustrations correspondantes : p. 284 et 355. Objectifs : Mettre en regard le texte et son illustration. Il s’agira de confronter deux passages du livre IV, extraits respectivement des chapitres 3-4 et 10, avec les illustrations leur correspondant, reproduites dans l’édition GF. Chacune de ces gravures se rapporte à un récit secondaire : la première, qui représente un tableau décrit par Gil Blas à la fin du chapitre 3 du livre IV, est « une peinture fidèle des malheurs de [l]a famille » (p. 283) d’Elvire, rapportés au chapitre 4 (« Le mariage de vengeance, nouvelle », p. 285 sq.). La seconde gravure illustre quant à elle un épisode qui prend place dans l’« Histoire de don Alphonse et de la belle Séraphine » (p. 349 sq.). • Illustration du « Mariage de vengeance » La description de Gil Blas (p. 283) La première reproduction correspond à un tableau décrit par Gil Blas. On demandera aux élèves d’observer l’image : est-elle fidèle à la description qu’en fait le narrateur ? – Ils repéreront d’abord les différents personnages : le « cavalier mort » se trouve au centre de la scène ; à côté de lui, une « jeune dame » avec une « épée plongée dans son sein » observe un « jeune homme », debout, l’épée à la main. Un homme, à l’embrasure de la porte, semble observer la scène : il s’agit du « vieillard » évoqué par Gil Blas. – Si les différents personnages mentionnés dans la description du tableau sont bien présents, les « expressions si fortes » dont fait état Gil Blas, en revanche, ne sont pas décelables dans la gravure : on ne retrouve ni l’« air menaçant » du cavalier, ni la « douleur mortelle » du jeune homme. Ce qui frappe est ainsi la distorsion qui se fait jour entre ce que Gil Blas (livres I à VI) • Introduction NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 98 — Z27849GILB — Rev 18.02 98 révèle la simple observation de la gravure et le commentaire qu’en fait le héros. L’ekphrasis à laquelle s’adonne Gil Blas est davantage révélatrice de sa sensibilité qu’elle ne permet de se représenter la scène peinte. Enfin, on s’interrogera sur les éléments absents de la description de Gil Blas : le tabouret renversé au premier plan, et les fauteuils à l’arrière-plan, qui semblent transformer cette scène d’après-combat en scène... de théâtre. Le récit du duel (p. 308-310) Un mystère plane sur la scène représentée : qui sont ces personnages ? comment en sont-ils arrivés là ? La réponse se trouve dans le chapitre suivant, formé d’une nouvelle narrée par Elvire. Ce récit non seulement raconte la scène représentée par le tableau (p. 308-310), mais la resitue aussi dans son contexte, celui d’un mariage de vengeance. On demandera aux élèves de lire la nouvelle, puis de retrouver, sur la gravure, les personnages mis en scène (le Roi, Blanche, Enrique, Léontio), et de résumer leur histoire. • Illustration du récit de don Alphonse La seconde reproduction (p. 355) s’intègre au récit de don Alphonse (p. 349 sq.). Elle représente la rencontre de don Alphonse et de Séraphine, les deux personnages auxquels ce récit enchâssé doit son titre. L’image, tout comme le texte, reprend une scène topique : celle de la belle endormie (p. 354, note 2). L’image donne à voir plusieurs détails évoqués dans le récit (la « bougie », les « rideaux », p. 354). Au centre, don Alphonse contemple une femme endormie. Sa main levée traduit son saisissement à la vue de Séraphine. Notons que dans le texte, le « transport » amoureux dont il est question rompt avec la bienséance : Alphonse ne calme ses ardeurs qu’avec peine (p. 354). Dans l’illustration, c’est la femme qui suggère l’ardeur, par sa pose langoureuse et sa poitrine à demi dénudée. NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 99 — Z27849GILB — Rev 18.02 99 SÉANCE 8 SYNTHÈSE SUR LES PERSONNAGES → Intégralité de l’œuvre. Objectifs : Ressaisir les éléments du portrait du héros, rendre compte de son évolution, cerner son statut narratif et ses liens avec les autres protagonistes de la fiction ; étudier la mise en place d’un « théâtre du monde ». Dans un premier temps, cette séance se donnera pour but de livrer aux élèves une grille de lecture qui leur permettra ensuite d’établir une fiche du héros et éventuellement du personnage de Raphaël, dont l’itinéraire est retracé p. 458-460. I. Le personnage comme individu – État civil – Éléments physiques – Psychologie – Fonction sociale II. Les origines de sa création – Les emprunts à l’Histoire et à la réalité – La part de l’imaginaire et de la fiction III. Son évolution – L’influence des événements historiques – Les épreuves du destin – Les rencontres IV. Son statut narratif – Le rang sur la scène narrative – La fonction dans l’action – La fonction dans la narration V. VI. Sa place dans le système des personnages L’appartenance éventuelle à un type romanesque • Éléments pour l’étude du personnage principal On demandera aux élèves de remplir cette fiche à partir de leur lecture de l’œuvre et en tenant compte des caractéristiques de Gil Blas abordées lors des séances précédentes. L’accent sera mis pendant le cours sur les aspects suivants : Gil Blas (livres I à VI) • Grille de lecture NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 100 — Z27849GILB — Rev 18.02 100 – L’évolution de Gil Blas. À l’ouverture du roman, il est un jeune homme naïf qui vend sa mule pour une somme dérisoire (p. 48-49) et se fait volontiers la dupe d’un piqueassiette, puis, comme si l’expérience n’avait pas suffi, d’une « aventurière » qui l’invite dans son château (p. 108) – même si, dans sa jeunesse, il sait aussi se montrer roublard quand il le faut et feindre quand la nécessité l’impose (comme le remarque Rolando : « Nous admirâmes comment tu avais pu nous tromper », p. 203). On peut, dans la perspective du roman de formation, considérer que les six premiers livres retracent en quelque sorte l’itinéraire de sa dégradation morale, qui le conduit à prendre l’« air libertin » (p. 228), mais force est d’admettre que le personnage, d’un bout à l’autre du roman, demeure avant tout dupe de ses illusions (Présentation, p. 27-28). À un autre niveau, cependant, la voix du narrateur suggère que le personnage a évolué : en homme expérimenté, le vieux Gil Blas prend ses distances avec l’individu candide qu’il a été, insistant sur sa « sottise » à plusieurs reprises (« ce préambule, que je pris sottement au pied de la lettre », p. 104). – L’intériorité du personnage. En outre, les élèves devront être sensibles aux passages du roman qui permettent d’accéder à l’intériorité du héros, notamment les monologues (par exemple, « Ah misérable, me dis-je à moi-même, est-ce ainsi que tu remplis l’attente de ta famille », p. 267), ou les dialogues où s’instaure un échange entre le je narré et le je narrant : au premier qui s’interroge – « Ô Ciel, dis-je, est-il possible qu’une personne qui se montre si réservée soit capable de vivre dans le libertinage ? » (p. 332), le second répond : « Ce sont de vrais caméléons qui changent de couleur suivant l’humeur et le génie des hommes qui les approchent » (p. 333). De là viennent la distance critique et l’ironie caractéristique du narrateur-personnage. – Modèles littéraires de Gil Blas. Le personnage se construit sur une pluralité de modèles mis à distance : outre le modèle picaresque et le modèle théâtral déjà signalés (séances 1 et 6), on pourra évoquer le modèle du roman héroïque et précieux du XVIIe siècle, également parodié dans Gil Blas. On comparera, pour illustrer cette idée, les deux extraits suivants, en s’attachant à leur ton et à leur contexte respectifs (voir Présentation, p. 13-14) : • Gil Blas, I, 6, de « Ô Ciel » à « à bout » (p. 69). NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 101 — Z27849GILB — Rev 18.02 Affiche de Jean-François Gigoux pour la souscription à la parution en fascicules du Gil Blas de Lesage illustré de vignettes de Jean-François Gigoux (Paulin, 1835) De Dubercelle, qui signa huit gravures de l’édition princeps de Gil Blas, à René Jolivet, qui adapta le roman de Lesage au cinéma en 1955, nombreux sont les artistes que Gil Blas inspira. Ami de Delacroix et de Nodier, pionnier de l’illustration romantique, Jean-François Gigoux (1806-1894) composa pour l’édition de Gil Blas publiée chez Paulin en 1835 plus de 600 vignettes, contribuant ainsi à la naissance d’un nouveau genre : celui du « livre à vignettes », illustré non plus de gravures hors texte mais de vignettes insérées dans le texte. On reconnaît sur cette affiche de nombreux personnages du roman : la comparaison avec quelques-unes des vignettes de Gigoux consultables sur le site Gallica de la BNF permettra aux élèves d’en identifier plusieurs (Rolando, Laure...). L’effet de masse produit par l’accumulation de personnages issus de milieux variés renvoie à l’idée selon laquelle Gil Blas serait l’un des premiers romans réalistes : le « théâtre du monde » de Lesage annoncerait la « comédie humaine » de Balzac. Enfin, cette affiche, qui propose aux lecteurs de souscrire pour 40 livraisons, témoigne d’une formule originale d’édition, annonçant la naissance du romanfeuilleton dans la presse, dont le coup d’envoi sera donné en 1836 avec la parution du premier épisode de La Comtesse de Salisbury de Dumas. NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 21-02-08 15:10:04 127849LBL - Flammarion - Histoire de Gil Blas de Santillane - Page 102 — Z27849GILB — Rev 18.02 102 • Georges et Madeleine de Scudéry, Artamène ou le Grand Cyrus, GF-Flammarion, 2005, p. 91. • Le système des personnages dans Gil Blas Dans un second temps, on amènera la classe à envisager plus largement le système des personnages dans le roman de Lesage. La diversité des protagonistes et des figures provient, en partie, de la variété des rôles qu’ils sont amenés à jouer auprès du héros. Cependant, on ne peut les ramener à la simple distinction adjuvants/opposants dans la mesure où l’ambition de Lesage semble bien être de livrer, à travers son roman, une vaste fresque sociale ; maîtres, valets, clergé, médecins, aristocrates, gens de cour, de lettres, toutes les catégories, tous les âges, tous les rapports sont envisagés dans cette somme (voir l’illustration page précédente). La scène romanesque se meut donc en théâtre du monde. SÉANCE 9 E´ VALUATION FINALE Objectifs : Réfléchir à la dimension morale du roman et à l’image qu’il donne de l’humaine condition ; s’entraîner à la dissertation. On peut soumettre à la réflexion des élèves la citation suivante de Walter Scott, extraite d’un des documents proposés en annexe (p. 467-468) : « Tout dans Gil Blas respire le naturel, la bonne humeur, la gaîté, la légèreté et la vivacité. [...] Cet ouvrage laisse le lecteur content de lui-même et du genre humain ; les fautes de l’homme y paraissent plutôt des folies que des vices, et les malheurs sont si bien mêlés au ridicule qu’ils déclenchent en même temps le rire et la compassion », Walter Scott, « Alain Lesage » (1822). Votre lecture de Gil Blas vous permet-elle de rallier l’avis de Walter Scott ? Hélène BERNARD.