Avoir 20 ans avec le VIH

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Avoir 20 ans avec le VIH
Transversal n° 49 septembre-décembre dossier
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ors du premier Sidaction, en 1994, plusieurs adolescents
avaient « crevé » l’écran en témoignant de leurs difficultés
à vivre leur séropositivité. La certitude d’alors, pour eux
comme pour le public, était la mort à une échéance qui excluait le passage à l’âge adulte. L’histoire a menti : beaucoup
d’entre eux ont une trentaine d’années et sont dans leur vie
d’adulte, avec ses hauts et ses bas.
Les jeunes séropositifs d’aujourd’hui n’ont pas tout à fait la
même histoire. Ils sont nés au milieu des années 90, à un moment où une éclaircie thérapeutique apparaissait. Contaminés
en majorité par la transmission materno-fœtale, ils ont toujours
vécu avec le sida, qu’il ait été nommé ou pas. La notion d’avant
et d’après-VIH n’a pas de sens pour eux, notamment à l’égard
de leur corps. Ils ont été des enfants atteints d’une pathologie
grave, couvés, suivis méticuleusement. Ils entrent dans l’adolescence avec toutes les problématiques propres à cet âge si
particulier. C’est la période du passage, celui de l’enfance à
l’âge adulte, où le corps se transforme, avec l’émergence de la
puberté. Le désir d’autonomie est omniprésent, l’envie de tester
leurs limites et celles des parents est vive. Mais, contrairement
à leurs amis, ces ados portent en eux le poids d’une maladie
dont on a souvent honte et qui est bien souvent indicible.
Être comme les autres. Comme le rappelle la psychologue clinicienne Nadine Trocmé, qui suit depuis longtemps des adolescents séropositifs à l’hôpital Armand-Trousseau (Paris), leur
obsession est « d’être comme les autres ». Cette différence – la
séropositivité – qu’il porte en eux, ils ne veulent pas qu’elle
soit présente dans leur vie d’ados. « Le problème est qu’ils se
sentent toujours exclus dans leurs groupes d’amis, car ils ont
l’impression de ne pas pouvoir tout dire. » À un âge où l’on
aime les amitiés fusionnelles, où l’on se jure des « à la vie, à
la mort », ne pas pouvoir parler d’une chose aussi intime que
sa séropositivité est un poids lourd à porter. La plupart de ces
jeunes s’accordent sur un point : la peur d’être reconnus, d’être
« découverts ». Certains d’entre eux ont déjà évoqué leur maladie avec des amis proches. Les réactions sont souvent très
mauvaises, le rejet quasi immédiat. « On m’a prise pour une
salope », raconte une jeune fille âgée de 16 ans. Car les autres
jeunes n’imaginent pas un instant que ces ados sont nés avec
le VIH et ont pu grandir avec. Sans parler des tenaces préjugés
généralement partagés par le grand public, que l’on soit ou non
né avec. Le non-dit du VIH est fort et rend le quotidien assez
difficile. Surtout qu’il s’accompagne fréquemment d’un silence
au sein de la famille sur les origines du virus.
Les peurs à tout âge. Les ados séropositifs ressentent les
mêmes peurs que les autres séropositifs : être rejeté, contaminer son partenaire, ne pas pouvoir procréer. Des peurs
renforcées par la crainte des parents, quand ils sont encore
en vie, que leurs enfants les jugent. Car à cet âge, « les
jeunes s’interrogent sur comment le virus est arrivé dans
la famille, autrement dit, comment leurs propres parents
ont été contaminés, précise Nadine Trocmé. C’est une
question essentielle, puisque posée par les adolescents et
redoutée par les parents. »
Mais ils ont aussi les mêmes craintes que les autres ados :
quel métier vais-je exercer, vais-je aimer, vais-je être aimé ?
à quoi sert la vie ? Cependant, contrairement aux autres, il
leur est souvent difficile de les envisager sereinement, le VIH
représentant une sorte de frein à leur avenir. « Je ne me sens
pas libre », explique Aline1, 14 ans (lire p. 18).
Mise en danger. La plupart des soignants et des adultes qui
prennent en charge des adolescents séropositifs soulignent
également la fréquence des prises de risque multiples aux-
©iStockPhoto
Avoir 20 ans
avec le VIH
Comment vit-on son adolescence lorsqu’on est
atteint d’une pathologie grave, mortelle, qui interroge constamment son identité ? À l’âge où l’on se
construit et où l’on devient autonome. Un temps
d’autant plus difficile qu’il existe trop peu de structures et d’actions pour ces jeunes séropositifs.
dossier
par Emmanuelle Cosse
quelles ils se confrontent. D’abord les arrêts de traitement,
généralement sauvages. Ce qui n’est pas propre aux ados
séropositifs, mais à tous les ados contraints de suivre une médication quotidienne. Il peut s’agir d’arrêts brutaux ou plus subtils, comme un arrêt hebdomadaire. C’est une sorte de petit
jeu avec la trithérapie. « Ce comportement nous déconcerte
particulièrement », rapporte Nadine Trocmé. Plusieurs enquêtes menées en Europe montrent que plus l’âge de l’enfant et
de l’adolescent augmente, plus les problèmes d’observance
croissent. Même si l’on note que la moitié d’entre eux suivent
sans problème leur traitement. Une étude conduite au sein
du service de Trousseau indique aussi que les ados les moins
observants sont ceux qui ont été le plus tenus dans le secret,
ceux qui sont le plus dans le déni. Pour beaucoup d’entre eux,
prendre son médicament, comme utiliser un préservatif, signifie « montrer » sa maladie. Et cet acte devient particulièrement
pénible pendant les années où l’on construit son identité.
1
Le prénom a été modifié.
2
Février 2009. Les actes sont disponibles sur www.actupparis.org.
Les données publiées dans le BEH du 1er décembre 2008
révèlent que sur la totalité des 162 enfants de moins de 15
ans découverts séropositifs en France entre 2003 et 2007
(dont 20 en 2007), 72 sont nés en Afrique subsaharienne,
57 sur le sol national. La quasi-totalité des enfants diagnostiqués à leur arrivé en France ont été contaminés par transmission materno-fœtale et 4 enfants âgés de 14 ou 15 ans par
voie sexuelle (2 par rapports homosexuels et 2 par rapports
hétérosexuels). D’autres données sont fournies par l’enquête
périnatale française (EPF, cohorte ANRS), mise en place en
1986, qui suit des enfants nés de mères séropositives, mais
aussi par les enquêtes menées au sein du service de l’hôpital
Trousseau ouvert depuis 1987. Il faut en retenir avant tout
que ces enfants et adolescents, auxquels on a prescrit un
grand nombre de molécules, vont bien « cliniquement ». Ils
n’ont pas de troubles de croissance ou de développement et
ne semblent pas avoir de difficultés scolaires particulières. La
cohorte ANRS suit 210 adolescents : 82 % sont sous traitement (majoritairement une trithérapie). Parmi ceux qui n’en
prennent pas, un tiers le fait en accord avec le médecin, deux
tiers ont arrêté sauvagement. Cinquante-quatre pour cent ont
encore leur mère et 81,5 % vivent avec au moins un membre de la famille. Un certain nombre sont placés par l’Aide
sociale à l’enfance.
Tag le mouton,
un lieu où être soi-même
U
n lieu centré autour des ados, pour et avec eux : c’est
l’expérience du centre parisien Tag le mouton, une émanation de Dessine-moi un mouton. Seule structure en
France dédiée aux ados touchés par le VIH, ce centre accueille
du mardi au samedi des jeunes de 14 à 21 ans, pour des temps
collectifs d’activités ou pour des entretiens individuels. Ces jeunes sont soit séropositifs soit ont un proche concerné. L’équipe
pluridisciplinaire dirigée par Christophe Mieuzement offre activités et aides multiples : suivi psy, aide à l’observance, soutien
pour une visite médicale, ateliers autour des prises de risque
ou des addictions, mais aussi pique-niques, sorties culturelles,
ateliers théâtre ou vidéo. Sans oublier des heures de soutien
scolaire pour les volontaires et deux séjours de vacances thérapeutiques par an. En 2008, Tag le mouton a reçu 56 filles et 33
garçons, de Paris et sa banlieue. Après 21 ans, ces ados doivent
se préparer à quitter ce lieu quand ils se « sentent prêts ». Toute
l’équipe est présente pour les soutenir lors de ce passage.
Tag le mouton – 12, rue d’Enghien – 75010 Paris –
tél. : +33 (0)1 40 28 01 01 – www.dessinemoiunmouton.org
Envie (Montpellier) et Gaps (Bordeaux) proposent aussi un accueil
pour les adolescents.
Transversal n° 49 septembre-décembre dossier
Éprouver sa sexualité. Un autre point essentiel est relatif aux
prises de risque sexuel tant chez les filles que chez les garçons.
Ils ont des rapports très divers à la sexualité. Certains y entrent
très tardivement. D’autres sont plus extravertis. Nadine Trocmé
et Marie-Laure Brival, qui tient une consultation de gynécologie
à l’attention des adolescentes séropositives (hôpital Cochin, Paris), sont notamment confrontées à des grossesses et des IVG
multiples. Comme Marie-Laure Brival le soulignait lors de la
RéPI « Adolescence et VIH »2, il s’agit souvent pour ces jeunes
filles d’éprouver leur capacité à être mère. Et de tester si leur
corps « fonctionne bien ». Cette consultation, unique, permet de
« s’occuper de la jeune fille, de la femme en devenir. Il ne s’agit
pas d’aller dépister une potentielle infection. C’est vraiment
une approche qui lui montrera qu’un médecin s’intéresse à ce
corps, ce corps qui est le sien, ce corps sexué. C’est une manière de la valoriser et une porte ouverte sur la reconquête de
l’estime d’elle-même. Et le fait qu’un gynécologue voit en elle
la femme en devenir inscrira cette jeune fille dans une dynamique vers l’avenir et par là même lui donnera une aptitude à
aimer, et éventuellement à donner la vie. »
Surtout que le corps transformé par le VIH n’est pas toujours
facile à accepter. Beaucoup ont pris durant de longues années
l’antirétroviral Zerit® et souffrent de lipodystrophies. Si certaines
filles vivent bien les « belles » fesses que les traitements leur ont
léguées, d’autres ne supportent plus cette poitrine imposante,
qui met en avant un corps qui pose tant de problèmes. Des
garçons ont peur que « cela se voit ». Cette peur est toujours
présente. Et c’est en cela que des structures telles que Tag le
mouton (lire ci-contre) représentent une aide. Celle qui leur
permettra de surmonter cette crainte si profonde d’être un jour
« visibles » et donc plus tout à fait comme les autres.
Quelques chiffres
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dossier
par Emmanuelle Cosse
« Je suis séropo, c’est pas la mort ! »
U
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©iStockPhoto
ne chambre d’ado
comme les autres,
avec des gris-gris,
des photos des copines,
des affiches, un ordinateur. Musicalement, Aline1,
14 ans, est plutôt « rap
et Rn’b », mais elle adore
aussi le dernier vainqueur
de la Nouvelle Star, Soan.
C’est une ado, en classe
de troisième, mais sa lucidité est celle d’une jeune
adulte. Aline ne veut pas
d’histoires. De toute manière, elle n’en fait jamais, enfin jusqu’à présent. Bonne
élève, assez réservée, trop même, lui disent ses profs.
« Je suis plutôt sage », dit-elle avec un sourire, qui laisse
entrevoir une malice qui ne demande qu’à s’exprimer.
« Elle est quand même en train de changer », ajoute sa
mère, qui lui a transmis le VIH à la naissance. Aline se
souvient d’avoir toujours pris des médicaments, « comme
maman », et «vu maman malade ». Et aussi d’avoir senti
les drôles de regards que lui lançaient ses institutrices.
« J’ai toujours eu le sentiment d’être différente, mais je
ne comprenais pas pourquoi. » Les choses se sont précisées très progressivement.
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Savoir sa maladie. On lui a dit qu’elle avait une maladie,
puis elle a compris qu’elle l’aurait toute sa vie. Un jour,
elle a surpris une discussion entre sa tante et sa mère,
dans le cas où cette dernière mourrait. « Ma tante disait
que mon oncle ne voulait pas que je dorme avec ma cousine. Qu’avec le sida, on ne savait jamais. » Esclandre de
la mère envers la tante. Questions incessantes d’Aline à
sa mère. Elle avait 11 ans. Tout a été mis sur la table :
l’histoire familiale, la toxicomanie des parents, la mort
du père, les raisons pour lesquelles elle a longtemps vécu
avec ses grands-parents, les visites hebdomadaires de
la tante. Aujourd’hui, Aline dit qu’elle « vit avec », avec
assurance. « Je suis séropo, c’est pas la mort ! », lancet-elle. Face à son interlocuteur, elle semble assumer sa
séropositivité. Mais ce n’est pas si simple au quotidien.
Elle trouve que c’est un peu « pesant ». Elle aimerait ne
pas prendre ses traitements pendant les vacances, surtout
si elle part comme prévu une semaine chez une copine.
Suivre son traitement. C’est la guerre à la maison sur
le sujet. Après des années difficiles, les prises se sont
allégées : l’évolution des médicaments s’est traduite par
moins de prises quotidiennes et moins de comprimés par
prise, ce qui a facilité l’acceptation du traitement. Mais
les oublis, volontaires ou non, ne sont pas si rares. « Deux
par jour, oui, cela va encore. Mais en vacances, comment je fais pour cacher mes médicaments ? » Sa mère
ne sait pas si elle doit en parler aux parents de son amie,
« au cas où… » Elle s’inquiète aussi terriblement de voir
sa fille grandir : parler de possibles relations sexuelles,
mais aussi des expériences multiples, notamment alcool
et drogues en tout genre.
Vie sentimentale. Aline a déjà eu des petits copains. Du
temps passé ensemble, des sorties. « Pas plus, dit-elle.
J’avais pas envie. » Elle n’en dira pas plus. Aline demande
si on connaît des femmes séropos qui vivent en couple.
« Des couples qui durent, hein !, de vraies histoires. » Car
cela l’obsède : « Est-ce que tu crois vraiment que je peux
vivre avec quelqu’un qui n’a pas le sida ? » Elle a déjà
pensé qu’il serait « peut-être mieux » de sortir avec un
garçon « comme elle ». Cela enlèverait un poids, celui de
le dire. Aline est persuadée que si un garçon apprend sa
séropositivité, il la rejettera. Les expériences de sa mère
penchent plutôt de son côté. « Je la protège, mais je ne
peux pas non plus lui mentir. Mon dernier copain m’a
quittée quand je lui ai dit pourquoi on ne pouvait pas
arrêter le préservatif. » Aline attend les vacances avec
impatience. Pour pouvoir « bouger » avec ses amies, « voir
ses potes », sortir du cocon familial, semble-t-elle dire.
« J’adore ma mère, mais ça me saoule un peu les parents », lâche-t-elle gentiment. En pleine adolescence…
« Je ne me sens pas très
à ma place »
O
n l’avait rencontré lors d’une réunion publique
d’une association gay de lutte contre le sida. Sa
jeunesse intriguait. Jusqu’à ce qu’il se renseigne
sur certaines molécules et leurs effets secondaires, et
qu’on comprenne qu’il était là certainement pour lui.
Orlan2 a 17 ans, il prépare un bac pro et vit chez ses
parents en lointaine banlieue parisienne. Il se dit « bi »,
mais a eu essentiellement des relations homos depuis
ses 15 ans. Il a appris sa séropositivité il y a six mois
environ, « quasiment par surprise ». En fait, il n’y avait
« pas pensé un instant ». Sa première expérience sexuelle
remonte à deux ans. Il a du mal à parler de ses premiers
émois sexuels. Orlan n’a pas toujours utilisé de préservatif et ne l’a pas toujours imposé. Il a laissé le partenaire
prendre les choses en main. Jusqu’à ce qu’il rencontre
Nicolas3, 25 ans, qui le questionne sur ses pratiques et
le pousse à faire un test. Qui s’avère positif.
« Je n’ai pas compris tout de suite. Je pensais que je
ne risquais rien. » Le mot sida ne vient jamais dans la
conversation, ni celui de maladie ou de séropositivité. Il
dit : « Je l’ai. » Depuis son diagnostic, il a eu un rendezvous avec un médecin qu’il trouve « sympa ». Ils ont parlé
d’un traitement à prendre dans les mois à venir. Pour le
moment, sa grande crainte est « que cela se voit ». Il n’a
rien dit à ses parents, qui ignorent également sa bisexualité, tout comme ses rares amis, ou plutôt « connaissances » de classe. Orlan doit régler certaines questions administratives, notamment la Sécu4. Avec les vacances,
c’est un peu plus de galères qui s’annoncent. Car sa double vie – le lycéen moyen qui ne fait pas d’histoires et le
jeune gay séropositif qui survit grâce à Internet – sera
©iStockPhoto
plus difficile à mener. Orlan n’a pas grand monde à qui
parler de sa maladie. Il pense aller « peut-être » dans une
association. « Mais je ne me sens pas très à ma place »,
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4
Les prénoms ont été modifiés.
Pour ne plus être rattaché à la Sécurité sociale de ses parents.
Orientation sexuelle, prises de risque et suicide :
un cercle vicieux
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Anthropologue, Thierry Goguel d’Allondans a traité la question du suicide et des prises de risque chez les
jeunes homos dans le rapport commandé par Roselyne Bachelot sur le suicide. Sans surprise, ce rapport
rappelle qu’il existe « un risque aggravant de l’homophobie dans la pratique du suicide. Par exemple, on
a vu que “l’efféminophobie” joue particulièrement contre de jeunes garçons, qui se retrouvent “accusés”
d’être homos alors qu’ils ne se vivent pas comme cela. » Mais les prises de risque qui font « flirter avec la
mort » sont également très fréquentes. « Il s’agit de prises de risque inconscientes. Ce n’est pas une envie de
mourir, c’est plutôt un moyen de se prouver une “plus-value” de la vie. On voit chez eux une représentation
édulcorée de la mort, comme si elle n’était pas irréversible. » Ce qui explique que si le suicide est en baisse,
les tentatives sont en hausse constante (567 contre 100 000 en 2008). Thierry Goguel d’Allondans pense
que les clés de l’évolution sont entre les mains des adultes. « Il faut jouer de la diversité de l’orientation
sexuelle des adultes qui s’occupent des jeunes. L’homophobie reculera, et les tentatives de suicide ou les
prises de risque qui y sont liées, quand les choses changeront de l’intérieur, quand un prof ou un directeur
d’établissement n’hésitera plus à vivre publiquement son homosexualité. Mais cela suppose que les adultes
soient à l’aise avec leur identité sexuelle. » Une autre question peu prise en compte est celle de la sexualité.
« Les jeunes ont aujourd’hui une sexualité plus ludique que leurs aînés (expérience à trois, aventure homo,
pratique plus fréquente de la sodomie, etc.), dans laquelle ils prennent plus de risques, tout en étant très
attachés à des valeurs telles que la fidélité ou la loyauté. C’est une question mal appréhendée par les pouvoirs publics », regrette-t-il.
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par Emmanuelle Cosse
Trois questions... à Nadine Trocmé
En mai dernier, Nadine Trocmé, psychologue clinicienne en hématologie pédiatrique de l’hôpital Armand-Trousseau (Paris), a organisé avec
les membres de son association Adovih et Dessine-moi un mouton, en
partenariat avec entre autres Sidaction, le premier forum
« Jeunes et VIH », réservé à des adolescents séropositifs.
P
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Quel bilan tirez-vous de cette journée ?
Un grand bonheur. Cela a été très
compliqué à monter et j’avais peur
qu’en définitive les ados ne viennent
pas. Ils étaient près de 150 à participer. Ils ont dit leur bonheur de se
retrouver et le besoin de se rencontrer. Dans mes consultations, je croise beaucoup d’ados très introvertis,
timides. Là, on les a vus prendre la
parole spontanément, s’emparer de la
session de théâtre interactif, raconter
leurs histoires intimes dans les ateliers et exprimer des demandes d’informations. Je n’aurais jamais imaginé que cela puisse
fonctionner aussi bien.
Le forum a aussi permis de donner des outils, des informations. De très nombreuses questions ont porté sur les droits.
Le plus souvent, ces ados ont connu un long suivi au côté
©iStockPhoto
Transversal n° 49 septembre-décembre dossier
ourquoi avoir organisé le forum « Jeunes et VIH » ?
Cela fait longtemps que nous cherchons un moyen de
répondre à une question récurrente chez les adolescents que nous rencontrons : « Je voudrais être comme tout
le monde. » Et ce qui fait la différence entre eux et les autres,
c’est surtout de ne pas pouvoir parler de tout avec tout le
monde et de ne pas pouvoir échanger librement avec leurs
pairs, les autres adolescents. Nous
avons donc réfléchi à l’idée d’organiser un rassemblement d’ados séropositifs à une échelle nationale. Ils se
posent mille questions sur l’amour, le
fait de pouvoir avoir des enfants, leurs
droits… Nous avions envie qu’ils se
les posent ensemble, dans un cadre
qui ne soit pas celui de la consultation à l’hôpital. Surtout, nous voulions leur donner l’opportunité de
se rendre compte qu’ils ne sont pas
seuls, que partout en France d’autres
jeunes sont confrontés aux mêmes
problèmes.
©Hôpital Armand Trousseau
dossier
de leurs parents. À l’adolescence, ils découvrent d’une
part qu’ils n’ont pas tous les droits ; d’autre part, qu’ils
en ont. Ils veulent préparer leur avenir : ils ont plein de
questions sur l’emploi, sur la possibilité de voyager, sur
comment s’opposer à la violation du secret médical dans
une famille d’accueil. Nombreux sont eux qui ont appris
qu’en respectant la loi, on peut parfois « s’arranger » avec
elle afin de faire valoir ses droits.
Nous avons pu aussi évoquer des
questions très spécifiques à l’adolescence telles que celle de la prise
concomitante d’alcool et de traitements antirétroviraux, ce dont on
ne parle jamais à l’hôpital.
Quelles suites envisagez-vous ?
Avec la structure que nous avons
créée, Adovih, nous réfléchissons
à d’autres forums. Peut-être pour
les soignants qui travaillent avec
les adolescents, car c’est une prise en charge difficile, pour laquelle nous sommes souvent démunis.
Mais les parents sont aussi très
en demande, car ils sont dans de
grandes souffrances par rapport à
leurs enfants. Et pourquoi pas un
autre forum sur le modèle de celuici : les jeunes en redemandent et
beaucoup regrettent de ne pas être
venus à celui-ci ! Une chose est
certaine, notre association ne s’arrêtera pas. Nous avons vécu une
expérience très forte et nous avons
envie de continuer ensemble.
Pour les adolescents séropositifs qui souhaitent avoir plus
d’informations sur ce forum, écrire à [email protected], en
attendant l’ouverture prochaine du site Internet.
©OpalJF
« Beaucoup d’ados s’en sortent très bien »
Q
Psychiatre et psychanalyste, Serge Hefez dirige la structure Espas
à Paris. Également impliqué sur les questions d’addictions et de
sexualité, il revient sur les difficultés auxquelles sont confrontés les
adolescents séropositifs.
uelle sorte de prise en charge psy offre Espas ?
Le principe de l’Espace social et psychologique d’aide
aux personnes touchées par le sida (Espas), créée en
1992, est d’être une unité psychiatrique publique et totalement gratuite. C’est-à-dire qu’elle est accessible à tous, avec
ou sans papiers, avec ou sans couverture sociale. Notre mission originelle est la prise en charge psy du VIH, pour les
séropositifs, leurs proches et aussi les soignants. Nous avons
élargi nos missions aux VHB et aux VHC, ainsi qu’à tout ce
qui concerne les problématiques liées à la sexualité. Certains
patients nous consultent depuis 1992, d’autres viennent seulement pour quelques rendez-vous.
Quel est-il ?
Cela va de l’inhibition à l’hypersexualité, lesquelles correspondent quasiment à la même chose : une absence de relation
durable. Car si cela « dure », il faudra dire son état. Et c’est ce
qu’ils redoutent le plus. D’autres sont plutôt dans une sorte de
« bravade » de la sexualité, d’où la difficulté à se protéger, d’où
les grossesses, ainsi que les risques de contamination. Mais
il faut le rappeler, beaucoup d’ados séropositifs s’en sortent
aussi très bien. Nombreux sont celles et ceux qui l’assument
Vous recevez également des jeunes nouvellement contaminés
lors de relations sexuelles ?
Absolument et leur situation m’inquiète particulièrement.
Quasiment tous gays, ils sont de plus en plus nombreux et ont
entre 16 et 20 ans. Le plus frappant, c’est qu’ils ont souvent
une sexualité particulièrement hard, sont également contaminés par une hépatite et la syphilis. La plupart sont venus
à Paris pour « vivre » leur homosexualité. Et il semble que le
VIH soit une sorte de signe d’appartenance à la communauté
gay. J’ai vu chez certains un petit moment d’effondrement à
l’annonce du diagnostic, mais ensuite ils s’y adaptent, notamment grâce à la prise en charge qui est mise en place. Ce sont
des gamins qui se sentent adultes et évoluent dans un monde
adulte. Mais ils ne sont pas du tout construits psychiquement.
Je m’occupe également de jeunes en situation d’errance, qui
se prostituent parfois et dont la situation psychiatrique nécessite généralement une prise en charge adéquate.
Justement, existe-t-il des lieux pour ces jeunes ?
Pour les jeunes gays qui sont dans l’errance, il y a un besoin
criant de structures spécifiques, qui les prennent en charge
globalement, dans toutes leurs dimensions. Mais les jeunes
gays plus stables ont aussi du mal à trouver un lieu qui leur
corresponde. Car les problématiques du pacs ou de l’homoparentalité, très présentes dans le milieu associatif gay, ne les
concernent pas encore. Et ils ont du mal à se retrouver avec
des « vieux » séropos, comme ils disent. De toute manière,
je crois qu’on ne résoudra jamais ces questions tant que la
visibilité homosexuelle ne sera pas réellement assurée.Car le
déni fait le lit de ces prises de risque.
Espas – 32, rue de Paradis – 75010 Paris. Permanence
téléphonique et accueil sur rendez-vous du lundi au vendredi,
de 9 h à 17 h – tél.: +33 (0)1 42 72 64 86 (répondeur en
dehors des heures de permanence) – www.espas-psy.org
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À quelles difficultés psychiques sont confrontés les adolescents séropositifs que vous rencontrez ?
Il faut bien distinguer deux types d’ados séropositifs : ceux
qui ont été contaminés récemment et ceux qui l’ont été à la
naissance. Car leur rapport à la maladie est très différent.
Pendant cinq ans, à l’hôpital Necker [Paris], j’ai animé un
groupe de parole avec des ados nés séropositifs. La difficulté
tient au fait qu’ils découvrent leur sexualité tout en étant
séropositifs. Nous intervenons alors dans l’accompagnement
d’une maladie chronique et pour les aider à faire face à la
stigmatisation. La question de dire ou non leur séropositivité
est centrale. Nombre d’entre eux ont toujours connu le VIH,
mais aussi le secret qui y est lié. Le plus souvent, ils ont
appris leur état vers l’âge de 12 ans et ont en même temps
appris une histoire familiale lourde. Pour eux, le statut de la
parole et de la vérité est très complexe. Ils se sont fabriqué
un rapport un peu « tordu » à la réalité. Car le secret infiltre
tout et provoque des dénis en cascade. De fait, ils ont un
rapport très particulier à la sexualité.
et qui, surtout, mettent le VIH à sa « juste » place.
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