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La saga La vie de château Ernest Schneider (à dr.) avec sa fille Valérie Reboul-Schneider et son gendre, Rémy Reboul, devant leur propriété, rachetée en 1999. Ernest Schneider Le patron de Breitling, 84 ans, s’est lancé dans une nouvelle aventure, avec l’une de ses filles et son gendre: redonner vie au célèbre château qui a servi de cadre à une série mythique des années 70. Série-culte L’âme suisse du château de Mogador Photos: Philippe Dutoit et P.Guis/Kipa Marie-France Pisier et André Laurence, deux des principaux acteurs qui ont joué dans «Les gens de Mogador», feuilleton tourné au château et diffusé dès 1972. 36 L’ILLUSTRÉ ct 4 janvier 2007 L’ILLUSTRÉ 37 Sainte nuit La saga Patriarche La chapelle est dédiée à saint Hubert, patron des chasseurs. C’est là qu’Ernest Schneider a épousé, en 2005, sa troisième femme. Texte: Quan Ly Photos: Philippe Dutoit C’ Ernest Schneider dans l’une des caves du château. Les trophées de chasse qui ornent les murs rappellent l’une des passions du maître de céans. est l’histoire d’un homme qui mène une vie d’exception. Un homme qui n’aime rien tant que faire revivre ce qui est appelé à disparaître. «Ça m’embête de voir les choses de qualité dépérir», lance-t-il. Entre passé et avenir, il y a donc Ernest Schneider, 84 ans, gardien du temps et grand patron de Breitling. En 1979, il avait racheté cette prestigieuse manufacture de montres, alors au bord de la faillite: la marque pèse désormais plusieurs centaines de millions. Aujourd’hui, il est en passe de réitérer ce coup de maître avec sa dernière acquisition dans le sud de la France: le château d’Estoublon, dont le cadre majestueux a servi de décor à la célèbre série télévisée des années 70, Les gens de Mogador. Gentleman-farmer Vêtu d’une veste autrichienne, d’un chapeau en feutre et d’une écharpe bordeaux, Ernest Schneider a l’élégance d’un gentleman-farmer qui, en cet après-midi de décembre, reçoit dans son domaine: une demeure provençale bâtie au XVIIIe siècle qui s’étend sur plus de 200 hectares de terre, dont 48 d’oliviers et 20 de vignes, dans la vallée des Baux-de-Provence, aux portes de Fontvieille. A l’entrée, l’étendard suisse flottant à côté des drapeaux français et européen rappelle que ce petit coin de garrigue Marché de Noël Valérie Reboul-Schneider est fière de son marché de Noël qui attire en décembre près de 30‑000 visiteurs. est animé d’une âme helvétique. C’est dans son super 4x4, un concentré de technologie, qu’il fait visiter les lieux. «On ne sera pas de gros producteurs; ce que nous recherchons, c’est la qualité. Ici, on laisse la terre se reposer pendant quatre ans, puis on plantera les vignes qui seront naturelles, non traitées.» La famille Schneider semble avoir fait sienne la formule de Cervantès: «Laisser du temps au temps.» Normal pour le président de Breitling. Qui avoue avoir eu «un coup de cœur pour le panorama magnifique» du domaine. Il l’a racheté en 1999 et en a confié la gestion à son troisième enfant, Valérie Reboul-Schneider, ainsi qu’à son gendre, Rémy Reboul, à la tête d’une équipe d’une quinzaine de personnes. «On se chamaille, on s’engueule, mais dès qu’il s’agit de faire face à un problème extérieur, alors là, attention, on fait bloc», claironne l’ancien Des olives et du vin bio, l’avenir du domaine Récolte manuelle Une huile «100% domaine» Un vin authentique Au milieu des employés qu’il tutoie, Ernest Schneider n’est pas peu fier des 6700 pieds d’oliviers qui font d’Estoublon l’une des plus grandes propriétés oléicoles de la région. Valérie Reboul-Schneider fait déguster ses huiles d’olive – la grossane, la picholine, la béruguette et la salonenque –, obtenues selon un cahier des charges très contraignant. Ernest Schneider et son gendre souhaitent à terme produire un vin «pur, tendu, sans aucune dérive aromatique due à la présence de bois». 38 L’ILLUSTRÉ commandant de bataillon de l’armée suisse. «La famille, c’est sacré» Un patriarche, aussi, pour qui «la famille, c’est sacré». Père de trois enfants et grand-père de neuf petits-enfants, le temps ne semble pas avoir de prise sur Ernest Schneider. Son secret? «Un médecin m’a conseillé de boire un ou deux verres de vin par jour pour rester en forme; il n’a pas précisé la taille du verre, mais je sais rester raisonnable», raconte-il avec un sourire entendu, dégustant du même coup un vin rouge de son château. Pour tout dire, c’est un séducteur qui, avec ses yeux plissés, a un faux air du grand acteur Charles Vanel. La preuve? Il y a bientôt deux ans, il a épousé en troisièmes noces Marie-Thérèse, une amie de longue date. La cérémonie religieuse s’est déroulée dans la petite chapelle du domaine, «dédiée à saint Hubert, le patron des chasseurs», précise le maître des lieux, grand amateur de chasse en montagne. Un amour de la nature que lui ont inculqué ses parents: son père était voiturier et marchand de chevaux, 4 janvier 2007 et sa mère travaillait dans une fabrique de chaussures. C’est peut-être dans ses origines modestes qu’Ernest Schneider a puisé ce respect des gens et des choses: «En Gruyère, d’où je suis natif, je répare et entretiens les chalets que je possède et qui sont vieux de deux siècles.» Fort de cette expérience, lui et son clan, avec l’aide d’artisans locaux, se sont ainsi attelés durant trois ans à la renaissance d’Estoublon, alors en ruine: reconversion des cultures viticoles et oléicoles en agriculture biologique, création des salons de réception, d’une boutique de décoration et d’une épicerie fine où, entre tapenades et anchoïades, on tombe sur un kit suisse de fondue au chocolat. Ce jour-là, il règne une certaine fébrilité dans les salons de réception. C’est que, du 9 au 23 décembre, le château devient l’antre du père Noël avec des milliers de lumières et autant de cadeaux. «On propose près de 30‑‑000 références, venant des quatre coins du monde», déclare fièrement Valérie. En six ans, le marché de Noël d’Estoublon est devenu un événement très prisé, qui attire les visiteurs du coin, mais aussi des Anglais, des Italiens et beaucoup de Genevois. Savoir s’entourer Dans ce tumulte, Ernest Schneider cultive la discrétion et la sagesse. «Il faut croire en soi pour prendre des risques, tout en sachant s’entourer de gens compétents; seul on ne fait rien du tout.» Pas étonnant que ce passionné d’aviation, qui a son brevet, apprécie la compagnie d’hommes hors du commun tels que les pilotes de la Patrouille de France, avec qui il collabore pour fabriquer des instruments de précision. «Je me suis inspiré de ces gars-là, qui ne sont pas des flambeurs, ni des m’as-tu-vu, et qui savent encaisser les coups.» Dans son panthéon personnel, le navigateur Eric Tabarly occupe une place à part. «Un ami, un passionné, un Dieu, dont la disparition m’a beaucoup affecté», se souvient-il tout en montrant la Breitling Aerospace qu’il porte à son poignet. «Il nous avait fait part de ses remarques lors de la conception du modèle.» Toujours actif chez Breitling, Ernest Schneider saute régulièrement dans son avion privé, à Avignon: cap sur Granges (Soleure), près de l’usine où cet ancien spécialiste des mini-émetteurs de l’armée s’occupe notamment des balises de détresse pour les pilotes. A-t-il seulement un défaut? «Je suis zéro en cuisine, concèdet-il. En dehors de deux œufs au plat, il ne faut rien me demander de plus.» Entre Estoublon et Granges, Ernest Schneider rêve de continuer à voyager, notamment en Asie, dont il est un fervent admirateur. Ses résolutions pour 2007? «Continuer à un bon rythme ce que je fais et terminer ce que j’ai commencé. Je déteste les chantiers non finis.» On aurait dû s’en Q. L. J douter. www.estoublon.com L’ILLUSTRÉ 39