Le carnaval de Nice en musique

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Le carnaval de Nice en musique
Le carnaval de Nice en musique
La fête carnavalesque exprime dans sa diversité que lui confèrent les traditions, les coutumes, les
usages propres à chaque société qui la pratique, la liesse, l’exubérance, de la libération provisoire,
temporaire d’un vécu quotidien plus ou moins contraignant.
La danse, la musique, le chant sont sans doute l’expression la plus spontanée de cette joie éphémère
qui ne nécessite pas nécessairement d’artifices ou simplement des instruments rudimentaires ou
improvisés.
La tradition des " charivaris " qui n’est pas exclusivement une tradition carnavalesque, en donne une bonne
représentation.
Mais les carnavals, et en particulier celui de Nice depuis le XIXe siècle, ont évolué dans le sens d’un
enrichissement, d’une diversification, surtout à l’époque contemporaine qui a multiplié les échanges culturels,
mais aussi oublié certaines pratiques que s’efforcent de retrouver aujourd’hui des passionnés à la recherche de
nos racines.
Les références médiévales sur le carnaval de Nice, qui existait au moins à la fin du XIIIe siècle, à l’époque où le
pays niçois relève encore pour un siècle du comté de Provence, sont rares, mais musique, danses devaient
rythmer les " jours joyeux de Carnaval " durant lesquels le comte Charles II d’Anjou était présent pour la
circonstance, ce qui permet de supposer que notre carnaval avait déjà acquis une certaine renommée.
Aux XVIe et XVIIe siècles, les consuls de la ville avaient édicté des règlements concernant les " abbayes " des
fous chargés notamment de l’organisation des bals des quatre classes sociales (nobles, bourgeois, artisans, la
dernière regroupant les paysans, les ouvriers et les pêcheurs) Au sein de chacune, un " abbé-chef " (abat mage)
était aidé par un abbé et plusieurs " moines " : L’objet de cette réglementation était d’éviter les désordres et
excès qui pouvaient ternir la fête. Mais qu’était alors la fête ? Là encore, la réponse est orientée par les
documents d’archives : il est question de " fêtes et de réjouissances continuelles, de mascarades, de bals et de
farandoles " On peut cependant s’interroger sur la place qu’avait alors la musique instrumentale. On peut
supposer que, caractéristique du pays niçois, le fifre-tambour intervenait le plus souvent, comme en Provence
le galoubet et le tambourin, instruments particulièrement populaires et joués " à l’oreille " grâce à la
transmission
d’un
savoir
faire.
La " Danse macabre " de Bar-sur-Loup est particulièrement évocatrice de l’usage de ces instruments, mais, sur
cette représentation du XVe siècle le musicien entraîne les danseurs en jouant du galoubet -flûte à bec- et du
petit tambour, bien différent du tambourin provençal moderne, et assez semblable à celui en usage en pays
niçois et qui accompagne le fifre, petite flûte traversière connue dans de nombreux pays en plus des régions du
Sud
et
du
Sud
Ouest
de
la
France.
Mais, à côté de ces musiques et de celles, plus savantes des troubadours et autres saltimbanques, dont on
imagine volontiers la part qu’ils devaient prendre aux divertissements carnavalesques, tout un peuple de
joyeux drilles s’exprimait aux sons produits par toutes sortes d’objets sonores de bois, de métal, percutés ou
aménagés en mirlitons, ou encore d’instruments à vent improvisés, produisant cette musique ou plutôt, cette "
para musique "qui , associée au déguisement, au masque, évoque le monde des Ténèbres et les êtres qui le
peuplent, ainsi que le passage vers la lumière qui est celui de la transition entre l’hiver et le printemps.
Dès le XVIIIe siècle, alors que se joue le destin de Nice, ville " ouverte " depuis la disparition de ses remparts,
se dessine l’évolution qui tend à dissocier la fête populaire porteuse certes de liesse, mais capable de basse
vulgarité, d’excès, voire de violences, d’une fête plus aristocratique qui prend ses distances et qui se
retrouvera dans les végliones, les redoutes qui quitteront la rue ou la place pour des lieux fermés comme
l’opéra ou le casino, ou qui se déroulera en des cercles privés.
Aux " frontières " de la musique , la vespa
Une musique carnavalesque authentiquement niçoise et représentée par l’ensemble d’instruments imaginés et
créés au début du XIXe siècle par un artisan, Louis Allo. Au départ, se trouve le cougourdon, cette célèbre
cucurbitacée cultivée en pays niçois, utilisée traditionnellement comme récipient mais pouvant être aussi
gravée ou peinte, notamment pour la fameuse fête de l’Annonciation qui se déroule à Cimiez.
Le fruit, séché, vidé de ses graines (ou non) peut revêtir de nombreuses tailles et formes, sur lesquelles ont
peut intervenir pour les modifier pendant la croissance, au moyen, par exemple de ligatures.
Ses propriétés sonores l’on fait utiliser ( comme la canne de Provence pour la fabrication des diverses flûtes)
pour le transformer en instrument à percussion, à friction, à vent, et même à cordes. Ainsi est née la vespa (la
guêpe) formation comparée parfois à une fanfare ou un orphéon, sans pour autant en être, qui a pu réunir sur
les corsi de carnaval jusqu’à une vingtaine d’exécutants, et propre, en Europe, au carnaval de Nice.
Elle accompagne la mascarade des Morou, réminiscence des temps troublés par les incursions des Sarrasins et
la peur des Barbaresques dont le souvenir a longtemps perduré dans la mémoire. Quatre ou cinq jeunes
hommes, le visage enduit de noir de fumée, et la tête sortant, pour augmenter l’effet, d’autant de trous
percés dans un grand drap blanc exécutent une marche rythmée par le petadou. C’est un tambour à friction,
constitué d’une caisse en cougourdon fermée d’une peau de chèvre tendue, solidaire d’un roseau bien lissé,
qui est frottée au moyen des doigts mouillés, ce qui provoque une vibration, un bourdonnement plus ou moins
aigu
en
fonction
de
la
grosseur
de
l’instrument.,
évoquant
le
bruit
du
vol
des
guêpes.
Les mélodies sont exécutées par le vioulouncéu, la troumbèta, le còrnou, ou le trouboun.
La vespa qui avait disparu des carnavals de Nice, a pu renaître grâce à des passionnés, enseignants, conseillers
pédagogiques qui initient maintenant de nombreux élèves des écoles niçoises à fabrication et à l’utilisation de
ses instruments .
Le nouveau Carnaval : le rôle du Comité des Fêtes
La création du Comité des Fêtes en 1873, va transformer le carnaval et lui donner une orientation résolument "
touristique ", mais la mutation avait déjà commencé sous la Restauration sarde avec la naissance du " corso "
sur le cours Saleya. Ainsi, le roi Charles-Félix et la reine Marie-Christine purent-ils de leur palais assister aux
défilés, mascarades et farandoles en 1830.
En 1873, le Comité organise le véglione au théâtre municipal pour la première fois. La salle est ainsi préparée
pour accueillir le bal masqué (ou non) qui se déroule durant toute la nuit après le corso aux lumières. Pendant
longtemps, deux végliones étaient organisés, l’un pour l’ouverture des fêtes carnavalesques, l’autre le soir du
Mardi-Gras.
Il fallait pour être admis, porter un déguisement et un loup. On imagine l’ambiance de ces festivités et
l’atmosphère de la salle chauffée par les valses, polkas, mazurkas et galops, exécutés par un public divers,
réuni
pour
un
temps
par
l’anonymat
du
masque.
Plus tard, en 1888, le Casino municipal proposa la redoute, autre bal paré et masqué, mais avec chaque année,
des couleurs imposées.
Dès 1877, apparaît un nouveau venu sur les corsi niçois : le char de la musique. Un orchestre entier y prend
place, soit une vingtaine de musiciens " ambulants " pour la circonstance, que suivent les danseurs. Certains
sont restés dans la mémoire comme particulièrement remarquables, tel celui de 1905, un monstrueux babau
dans la gueule duquel tout l’orchestre prenait place. D’autres revêtaient la forme d’un instrument.
Parmi les airs joués par cet orchestre, la " chanson officielle du Carnaval " a été créé la même année par le
comité des fêtes. Le choix du texte effectué par le jury en tenant compte du thème de l’année, le concours
pour la mise en musique était lancé.
La chanson officielle a connu un succès tel que non seulement , celle de l’année était sur toutes les lèvres,
mais plus tard, dans les années cinquante, la station locale de radio participait amplement à sa diffusion. On
reprenait chaque année les succès des années précédentes. Les partitions, illustrées, étaient éditées par les
maisons
Martin,
Decourcelle,
Pichon,
ou
Delrieu.
Les auteurs et compositeurs ont pour nom, dans la période des années folles D.J. Mari, A. Pyns, H. Tarelli, J.
Eynaudi, M. Rondelly, A. Fenouille, puis T. Raynaud, ou encore F .Gag. pour ne citer que les principaux.
Les titres ? En niçois le plus souvent, du moins en ces temps dits insouciants : " E viva Carnaval ", " ChahutChahut
",
"
Patapoum
"
!
En 1922, " Velou-Velou ", écrite par Menica Rondelly et Antony Fenouille sur une musique de Hiacynthe Tarelli a
été
l’un
des
plus
grands
succès.
Les éditeurs proposaient d’ailleurs des partitions pour piano seul, pour orchestre et même pour musique
militaire…
Après la guerre, la chanson officielle sera plus volontiers en français, mais avec les années soixante, elle
disparaîtra devant le déferlement des musiques en vogue et du vacarme assourdissant de la " sono ".