Sécurité juridique et enjeux normatifs en Afrique de l`Ouest

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Sécurité juridique et enjeux normatifs en Afrique de l`Ouest
Sécurité juridique et enjeux normatifs en Afrique de
l’Ouest dans le domaine du droit des affaires
Par
Djibril ABARCHI
Maître de conférences en droit privé
Université Abdou Moumouni de Niamey
Malgré le bilan mitigé que l’on a coutume d’établir chaque fois qu’il est question
d’intégration régionale en Afrique de l’Ouest, il reste que dans le discours politique,
l’intégration est présentée comme un véritable facteur de développement économique et social
des Etats1. On peut relever à cet égard que si certaines organisations sous régionales comme la
Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ou l’Union
Economique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) sont fondamentalement basées
sur l’idée de créer un espace économique commun, la troisième institution, l’Organisation
pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), met plus l’accent sur l’idée
d’un espace juridique intégré favorisant l’activité économique. Mais cette nuance ne doit pas
faire oublier que quelle que soit l’organisation sous régionale envisagée, les politiques mises
en œuvre mettent toujours l’entreprise (au sens large) au centre des objectifs fixés, et la
création d’un espace économique commun ne peut se réaliser sans un accompagnement
juridique. On a fait observer avec justesse d’ailleurs, qu’ « un espace économique intégré
s’accommode mal ou pas du tout de la diversité juridique ».2 Et les normes communes ellesmêmes, qui constituent pour l’essentiel la matérialisation de l’œuvre d’intégration,
comportent toujours en filigrane, si ce n’est l’objectif principal expressément affirmé, l’idée
de sécurité juridique. Mais la sécurité juridique tant recherchée par les investisseurs dépend
non seulement de l’articulation des rapports entre normes de droit communautaire et
normes nationales (I) mais elle dépend aussi et surtout des conditions de réalisation du
droit qui ne peuvent être occultées, même si la question paraît relever plus de la dénonciation
des tares d’un système, que de l’analyse théorique3. (II)
1
Luc IBRIGA note que « le thème de l’intégration a envahi le discours politique et ressemble à un rite
incantatoire susceptible d’exorciser les démons du sous développement ».
2
E. CEREXHE, « Le droit dans un phénomène d’intégration », discours à l’ouverture du colloque de
Ouagadougou (29 et 30 octobre 1996 sur le thème « Intégration régionale : bilan de 40 années d’expériences
(Europe, Afrique, Amérique, Asie,…) publié aux actes dudit colloque, Publication du CEECI N°2 p.12
3
CARBONNIER ne relevait-il pas que « le premier objet des recherches devrait être la réalité du phénomène
étudié. » in Flexible Droit, pour une sociologie du droit sans rigueur, 6è édition LGDJ, 1988, p.160
1
I/ Sécurité juridique et articulation du système juridique communautaire.
Parler de système juridique communautaire à propos de trois organisations sous régionales
indépendantes l’une de l’autre peut paraître excessif. Mais la diversité ne doit pas faire oublier
que pour l’essentiel, c’est l’analyse de l’articulation des relations entre les différents droits
communautaires, support au plan juridique de l’œuvre d’intégration, d’une part, et celles des
relations entre le droit national des Etats parties et le droit communautaire, que peut être mis
en évidence la sécurité juridique, du seul point de vue normatif.
Au premier abord, il faut circonscrire le concept même de sécurité juridique, en relation avec
l’attente du monde des affaires, toujours présenté comme demandeur d’un cadre juridique
sécurisant.
Dans son précis de droit public, Maurice HAURIOU écrivait que « chaque loi est une
chaussée publique bien pavée sur laquelle on peut marcher avec assurance ».4 La sécurité
juridique dont a besoin le monde des affaires procède aussi cette fonction que doivent remplir
les règles de droit qui doivent être, selon les mots de Sertillances 5 « indicatrice de notre route
humaine et rectificatrice de nos tendances mauvaises » en ce qu’elle « donne la connaissance
de ce qui est défendu et la sécurité dans l’action régulière ».6
Ainsi caractérisée, la sécurité juridique peut être tenue pour acquise lorsqu’un cadre juridique
apparaît pour les utilisateurs comme offrant les conditions d’accessibilité des règles, de leur
cohérence et sans doute aussi de leur stabilité, même si cette dernière dimension est d’un
intérêt mineur dans notre contexte, pour qu’on s’y attarde.
A vouloir vérifier si ces différentes qualités sont réunies dans le droit communautaire ouest
africain, envisagé dans son ensemble ou dans certaines de ses composantes, le bilan est peu
reluisant.
A)- Sécurité Juridique et accessibilité du droit positif
Pour apprécier l’accessibilité du droit, dans le contexte Ouest Africain, il convient de
distinguer parmi les normes sécrétées par les organisations communautaires sous régionales,
deux situations doivent être envisagées que se ramènent aux l’hypothèse de cohabitation entre
le droit communautaire et le droit national, d’une part, et l’hypothèse de cohabitation, entre
droits communautaires.
4
RIPERT, Les forces créatrices du droit, LGDJ 1995 2è éd., p.348. L’auteur rapporte la formule de M. Hauriou
décrivant la beauté d’un champ juridique » tracé comme un jardin à la française dans lequel les jurisconsultes et
les hommes de science peuvent se promener sinon sans surprises, du moins sans risques d’accidents graves »
5
SERTILLANCES, Philosophie des lois (rapporté par Ripert) , op. cit , p 415
6
RIPERT, op.cit.
2
1)- La lisibilité du droit dans les situations de cohabitation droit communautaire et droit
national.
Pour apprécier les niveaux de complexité du droit positif, né de la cohabitation entre les
normes communautaires et nationales l’on doit d’abord dissocier entre les règles, celles qui
ont vocation à régir les situations juridiques comportant un élément d’extranéité, et qui ne
peuvent se justifier qu’en raison de l’existence même du lien communautaire, et celles qui ont
toujours existé dans un contexte interne, et dont la vocation est surtout de régir les rapports
juridiques même lorsqu’il n’existe aucun élément d’extranéité.
Les premières ne soulèvent a priori aucune difficulté particulière. Ne connaissant pas les
vicissitudes des secondes que nous aurons à étayer, la question de leur accessibilité n’est que
d’ordre matériel. On peut y ranger toutes les règles relatives à la circulation des biens et des
personnes entre Etats parties, ou les règles régissant les rapports interétatiques, secrétées par
les organisations considérées.
C’est à propos de la seconde catégorie que la question de l’accessibilité se pose. Il faut
rappeler les situations qui ont prévalu dans la plupart des pays en Afrique de l’Ouest, au
lendemain des indépendances, sur le plan juridique et jusqu’à une date récente encore, pour
comprendre pourquoi l’accessibilité des règles fait partie des éléments d’appréciation de la
sécurité juridique. En prenant l’exemple du Droit OHADA, on peut relever qu’avant son
avènement, dans les pays où les règles héritées de la colonisation avaient encore droit de cité
en l’absence de réformes législatives conséquentes, la détermination des règles applicables
était un véritable « parcours du combattant ». La règle dite de la « spécialité législative »7 y
était un facteur de complexité dans la détermination du droit positif. Pour établir que telle où
telle règle remontant à la période coloniale était applicable, il fallait parcourir plusieurs
sources de publication, dont la disponibilité n’était pas toujours évidente, pour s’assurer de
son extension à une ancienne colonie française donnée.
On alors très vite céder à l’idée qu’avec l’avènement du droit communautaire, désormais
rassemblé dans un code, disponible sous divers supports, l’équation de l’identification de la
norme applicable était levée. Il suffisait, lorsque des normes communautaires sont établies, de
s’y référer. En somme le droit des affaires secrété par les organisations sous régionales,
7
En vertu de cette règle les lois promulguées en métropole, n’avaient cours dans les territoires coloniaux,
qu’autant qu’elles avaient fait l’objet d’une mesure expresse d’extension. Sur la question voir notre thèse « Pour
une adaptation du droit nigérien des procédures collectives à l’évolution socio-économique » Université
d’Orléans 1990 spécialement chapitre préliminaire.
3
spécialement le droit des Affaires OHADA, était devenu plus « fluide » à la lecture que ce
qu’il fut par le passé, un véritable maquis juridique. A l’épreuve des faits,
la méthode
législative adoptée spécialement dans cette organisation sous régionale, autorise à parler
encore de « nouveaux maquis juridiques ». Un maquis que certains Etats ont cru pouvoir
éviter en procédant à l’abrogation des textes nationaux8 relatifs aux matières prises en charge
par le droit communautaire. C’était une approche simpliste des difficultés liées à
l’enchevêtrement des textes né de la cohabitation des textes nationaux et communautaires.
Cette cohabitation multiforme, telle que créée par les instruments juridiques communautaires
apparaît comme un obstacle à la lisibilité du droit. La difficulté vient de la portée abrogatoire
des textes adoptés par chacune des trois organisations.
Ainsi, à l’exception du Traité de la CEDEAO dont les modalités normatives sont moins
directes quant à l’entrée en vigueur des règles convenues9, les instruments juridiques
généralement utilisés par les deux autres organisations comportent des formules de portée
semblables; il s’agit d’abroger toutes dispositions antérieures contraires, ou de rendre
caduques les dispositions postérieures qui viendraient à être prises.10
En outre, pour des raisons diverses, le droit communautaire laisse souvent place, dans les
matières qu’il régit, tantôt à des règles nationales spécifiques, tantôt à des points de droit qui
doivent être précisés par les législateurs nationaux. Il en est ainsi du droit OHADA quand il
laisse aux Etats parties le soin de préciser le quantum des peines applicables aux infractions
qui y sont déterminées ou encore lorsqu’il est renvoyé aux législateurs nationaux pour
préciser les biens saisissables11.
Sur les difficultés rencontrées par le Sénégal et la Côte d’Ivoire, lorsqu’ils ont procédé à l’abrogation du droit
national après l’entrée en vigueur des premiers actes uniformes de l’OHADA, voir Ibrahima Khalil DIALLO,
« La problématique de l’intégration africaine : l’équation de la méthode », Bulletin de transport multimodal,
N°00 p.8 ; Ohadata D-05 16 du site web OHADA.com.
9
L’article 5.2 du traité de la CDEAO dispose, que « chaque Etat membre s’engage à prendre toutes les mesures
appropriées, conformément à ses procédures constitutionnelles, pour assurer la promulgation et la diffusion des
textes législatifs et règlementaires nécessaires à l’application des dispositions du présent Traité »
Le point 3 du même article ajoute que « chaque Etat membre s’engage à honorer ses obligations aux termes du
Traité et à respecter les décisions et les règlements de la communauté. »
Au-delà de cette prescription à portée générale, il faut faire cas des décisions de la Conférence des chefs d’Etat
(art. 9.4 du traité) et des règlements du Conseil de l’Union (Art. 12. du traité). « Les décisions de la Conférence
ont force obligatoire à l’égard des Etats membres et des institutions de la communauté » sous certaines réserves,
et « les règlements du Conseil ont, de plein droit, force obligatoire à l’égard des institutions relevant de son
autorité. Ils sont obligatoires à l’égard des Etats membres après leur approbation par la Conférence. Toutefois,
les règlements ont d’office force obligatoire en cas de délégation de pouvoirs » (Art. 12.3)
10
-L’article 6 du traité UEMOA dispose que « les actes arrêtés par les organes de l’Union pour la réalisation des
objectifs du présent traité et conformément aux règles et procédures instituées par celui-ci, sont appliquées dans
chaque Etat membre nonobstant toute législation nationale contraire antérieure ou postérieure »
L’article 10 du traité OHADA dispose : « Les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans
les Etats parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ».
11
Il s’agit en fait de la pratique du renvoi qui tient au souci de l’organisation régionale de tenir compte de la
spécificité des États.
8
4
Ainsi, alors qu’on s’attendait à un droit rénové, qui reste seule référence après avoir expurgé
les vieilles règles d’origine souvent lointaine et inadaptées au besoin actuel de la vie des
affaires, dispositions par ailleurs d’application parfois incertaine, c’est à un cadre juridique
difficile à gérer parce que parsemé de renvois, de règles d’application parallèles, de vide
juridique, qu’on a assisté.
Ceci n’est pas d’ailleurs visible à première vue. Il faut procéder à la mise en harmonie des
règles communautaires avec les règles de droit national, pour s’apercevoir de toutes les
vicissitudes qui entourent la clarté des normes. L’établissement de la contrariété entre les
normes reste un exercice à l’issue incertaine.
La recherche des dispositions nationales antérieures ou postérieures contraires au droit
communautaire et leur conséquence, réduit notablement la lisibilité du droit dans chaque Etat.
Se fixer sur la notion de contrariété ou d’incompatibilité pour déterminer les normes de droit
national qui survivent à l’entrée en vigueur des actes uniformes, constitue déjà une épreuve
tout aussi jalonnée d’incertitudes, car il faut rechercher la contrariété tantôt dans l’esprit,
tantôt dans la lettre des textes à comparer. Les situations sont très variées et disparates. Il faut
pousser l’exercice jusqu’à distinguer les dispositions qui font figure de recommandations, de
prescriptions d’obligations, ou encore d’interdictions. A l’occasion, on s’apercevra que la
comparaison des textes qu’implique cette opération est d’autant plus difficile que les textes de
droit national à rapprocher du texte communautaire n’est ni libellé dans les mêmes termes, ni
confiné dans le même objet. Certains auteurs qui ont procédé à cette opération en Guinée, ou
en Côte d’Ivoire, avant nous au Niger, ont le mérite de fixer les lignes directrices de cet
exercice12. Il n’en reste pas moins que les difficultés demeurent.
En fin de compte, si les règlements de l’UEMOA relatifs au droit des affaires par exemple,
font table rase des dispositions du droit national des Etats membres,13 le droit OHADA laisse
une place à la survivance des normes nationales non contraires, et devient ainsi le lieu de
toutes les discussions sur la détermination des dispositions de droit national qui doivent être
considérées comme abrogées implicitement ou maintenues.
Certes, le système OHADA offre une voie consultative pour lever l’équivoque sur la portée
des règles communautaires. Les Etats parties ont en effet la possibilité de saisir la Cour
- Voir les indications données par le Pr ISSA SAYEGH, « Réflexions et suggestions sur la mise en conformité
du droitinterne des Etats parties avec les actes uniformes de l’OHADA et réciproquement », Penant, n°850,
janvier – mars 2005, p.6 ; ohadata D.04 12 du sîte web Ohada.com .
13
Sur les relations entre le droit national et le droit communautaire UEMOA voir IBRIGA L.M et MEYER P.,
« La place du droit communautaire UEMOA dans le droit interne des Etats membres », Revue burkinabé de
droit, N°37 1er semestre 2000, p.47 et s.
12
5
Commune de Justice et d’Arbitrage pour être fixés, s’il y a lieu, sur la compréhension qu’il
faut avoir d’une disposition du droit communautaire 14. Mais il faut bien souligner que la
saisine de la CCJA à titre consultatif, lorsqu’elle n’est pas faite, c’est le justiciable qui reste
exposé à l’incertitude sur l’interprétation qu’en feront les juridictions nationales, en cas de
saisine.15
Certains Etats ont pensé que la difficulté peut être résolue en abrogeant tout simplement le
droit national dans son intégralité, dans les matières régies par certains actes uniformes. Il
semble que cette expérience a posé plus de difficultés qu’elle n’en a réglée.
16
. On pourrait
penser qu’il suffira à l’Etat, dans le cadre de la mise en harmonie des ses textes nationaux,
d’abroger toutes les dispositions contraires ou non contraires ayant le même objet pour
clarifier le cadre juridique. Mais une telle opération aura pour conséquence, un émiettement
des textes nationaux lorsque leur contenu embrasse des points de droit qui ne sont pas traités
dans l’acte uniforme, et pour lesquels on ne saurait parler de contrariété.
Parfois, c’est moins la cohabitation entre normes nationales et normes communautaires qui
réduit la lisibilité du droit des affaires, mais les interférences entre normes communautaires
issues d’organisations régionales différentes.
b)-La lisibilité du droit dans les situstions de cohabitation entre normes
communautaires
Ainsi que nous le relevions, l’encadrement juridique des affaires intéresse en réalité les trois
organisations sous régionales, l’OHADA ayant une dominante sur le cadre institutionnel, et
l’activité de l’entreprise. La conception large du droit des affaires adopté dans le traité lui
donne une perspective tentaculaire, au point où certaines matières susceptibles d’être prises
en charge par la CEDEAO où l’UEMOA peuvent aussi l’être par l’OHADA. Les options
portant sur le droit de la concurrence, le cadre juridique des entreprises coopératives, les
sociétés mutualistes sont là pour conforter cette assertion, après les textes déjà en vigueur sur
le droit comptable.
-Ex de l’avis N°001/2001/EP du 30 avril 2001, de la CCJA, à la demande de la Côte d’Ivoire, in Recueil de
jurisprudence de la CCJA, N° spécial, janvier 2003 p.74 à 77
15
Il est vrai que les juridictions peuvent elles-mêmes saisir la CCJA aux fins de compréhension de la portée
d’une règle. Mais cela ajoute à la lenteur de la procédure judiciaire.
16
Kalil Diallo, « La problématique de l’intégration africaine : l’équation de la méthode », Bulletin de transport
multimodal N°00 p.8, Ohadata D-05-16 du sîte OHADA.com, met l’accent sur les difficultés posées par la
solution adoptée par le Sénégal et la Côte d’Ivoire.
14
6
On peut comprendre ce trait envahissant du traité OHADA, si l’on tient compte de ce que les
trois organisations ne couvrent pas le même espace. De plus il faut relever que les zones
d’intensité des transactions sont inéquitablement couvertes par le droit communautaire.
La source d’insécurité ici vient de l’hypothèse de conflit des normes n’émanant pas de la
même organisation sous régionale. Que faudrait-il décider en pareille hypothèse, dès lors
qu’aucune des organisations n’est en situation de lien hiérarchique par rapport à l’autre.17 ?
Le droit communautaire des affaires étant secrété par trois organisations communautaires,
c’est finalement trois systèmes supranationaux qui cohabitent dans un espace territorial
mouvant, où se superposent des règles communautaires articulées autour des systèmes
juridiques nationaux. Chaque supranationalité des normes communautaires, telle que
consacrée dans les traités des trois organisations sous régionales, peut donner naissance,
selon la portée abrogatoire des instruments juridiques (traités, actes uniformes, règlements,
directives) à un espace juridique, dont l’analyse globale donne la mesure de la sécurité
juridique. Comme on l’a parfois suggéré, seul un cadre de concertation peut réduire les
risques de contradiction, qui sont d’un niveau réduit pour le moment.18
B/ De la cohérence des normes communautaires
L’OHADA, l’UEMOA, la CEDEAO sont des organisations sous régionales créées
chacune, à son origine pour un besoin déterminé, qui a souvent évolué.19 Bien que toutes les
trois organisations aient pour vocation principale la prise en charge de l’encadrement de
l’activité économique, et que celle-ci appelle une action cohérente, il n’y a pas de cadre
formel de concertation pour vérifier que la synergie de l’action législative est respectée pour
asseoir un cadre juridique cohérent. De toutes les façons, la diversité des parties prenantes aux
différents traités ne favorise pas cette approche, au niveau du droit communautaire.
On peut cependant relever qu’à l’échelle de chaque Etat la présence du Ministre chargé des
Finances dans les organes décisionnels de chacune des trois institutions, devrait permettre
d’assurer la cohérence des normes. Bien plus, dans les pays où il existe un département
Nous avons tenté d’apporter un début de réponse dans notre article sur « la supra nationalité de l’OHADA »,
publié à la Revue burkinabé de droit, N°37 deuxième semestre 2000 p.9 à 27 ; Ohadata D 02-02et Revue EDJA
N°44, janvier-février mars 2000, p.7 s.
18
-La question de la compensation entre les créances, née des dispositions contradictoires entre le règlement de
l’UEMOA et l’acte uniforme relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution est parfois
citée en exemple. Le droit comptable est aussi un autre point de superposition de normes communautaires
OHADA-UEMOA.
19
A preuve, chacun des traités a fait l’objet de révision, pour tenir compte de l’opportunité d’élargir l’objet ou de
contraintes institutionnelles.
17
7
ministériel chargé de l’intégration (c’est le cas du Niger) l’une des missions pourrait être, la
surveillance de la cohérence des normes communautaires adoptées.
En pratique il ne semble pas que les autorités considérées aient à l’esprit cette préoccupation.
Elles ne sont pas conviées à tous les travaux des organisations sous régionales.
Une autre voie de systématisation de la surveillance de la cohérence des normes
communautaires aurait pu être l’organe législatif. Mais il suffit de rappeler les circonstances
d’entrée en vigueur des normes dans les différentes organisations pour savoir que le droit
communautaire échappe souvent à son emprise. En effet, si les traités sont soumis à
ratification des Assemblées parlementaires, il n’en va pas de même des normes dérivées qui
sont souvent d’application directe après leur adoption par les organes communautaires
composés des membres de l’exécutif.20 Pourtant, pour les organisations telles que l’OHADA,
les matières qui y sont prises en charge, relèvent de la compétence du législateur national,
lorsqu’il s’agit de légiférer sur le plan interne.21
C- De la stabilité du droit des affaires dans l’espace communautaire
On peut présenter la stabilité des normes, comme un
élément favorable à la bonne
gouvernance de l’entreprise en ce que celle-ci est faite de prévision. Certains voient dans
l’inflation législative une source d’insécurité pour les justiciables en général, en ce que la
« valse » des normes ne donnent pas aux citoyens le temps s’en approprier, et aux entreprises,
la possibilité d’établir des prévisions dans la durée. Ces bienfaits de la stabilité des normes qui
caractérise d’ailleurs l’espace communautaire22, ont leurs revers. L’excessive stabilité peut
être préjudiciable à la nécessaire réadaptation des normes aux contraintes changeantes de
l’entreprise. Les multiples difficultés d’application des actes uniformes relevées à l’occasion
des différentes rencontres-bilan sont là pour illustrer que le droit OHADA des affaires appelle
des retouches qui attendent encore.
On a souvent reproché aux législateurs africains sa lenteur dans les réformes, pour ne pas dire
sa paresse législative.23 Il est vrai que certaines matières s’accommodent fort bien d’une
stabilité, parce que leur statisme n’est pas nuisible à la vie de l’entreprise. On peut le dire du
-Les règlements de l’UEMOA ou des actes uniformes de l’OHADA, échappent totalement au contrôle du
législatif et même de l’organe juridictionnel de contrôle de conformité à la constitution.
21
- Il ne faut pas perdre de vue que le traité OHADA n’interdit pas aux législateurs nationaux de continuer à
traiter des matières relevant du droit des affaires. Il prescrit seulement la caducité des normes postérieures
contraires.
22
On peut noter que depuis l’avènement des actes uniformes de l’OHADA par exemple, aucune retouche n’a été
opérée depuis presque plus d’une décennie.
23
Cette critique est fondée si l’on en juge par le temps mis pour réformer les codes hérités de la colonisation,
dans la plupart des Etats de l’Afrique de l’Ouest.
20
8
droit des sociétés qui n’est qu’un cadre institutionnel diversifié que le législateur offre aux
opérateurs économiques. En revanche, des matières tel que
le droit des entreprises en
difficulté, parce qu’il doit offrir en permanence les voies appropriées de règlement d’éternels
conflits entre créanciers et débiteur, et concilier les intérêts divergents nés du souci de
préserver l’emploi mis en avant par le législateur contemporain, devient un outil juridique à
remettre périodiquement sur l’établi. Stabilité du droit et sécurité juridique deviennent ici les
termes d’une équation susceptibles de plusieurs variantes.
.II- Sécurité juridique et réalisation du droit
La réalisation du droit en général, et du droit communautaire en particulier, parce qu’elle
implique les rapports citoyens- administration dans un contexte d’Etat de droit balbutiantcomme c’est généralement le cas en Afrique, et en cas de conflit, l’intervention
des
juridictions, est le lieu privilégié d’insécurité juridique pour le monde des affaires. C’est
pourquoi, vue sous l’angle de la sécurité juridique, la mise en œuvre du droit communautaire
soulève deux questions essentielles : l’une liée au contexte de gouvernance en Afrique de
l’Ouest, l’autre au contexte de règlement du contentieux né de l’application des normes
communautaires (B)
A/ De la sécurité juridique et contexte de gouvernance
La réalisation du droit, étant l’effectivité de ce qui est convenu, c’est à la mise en œuvre des
règles qu’on peut mesurer la sécurité juridique. Dans cet esprit on a pu dire avec raison que la
communauté ne doit pas être pour les particuliers, « une séduisante mais lointaine
abstraction, intéressant seulement les gouvernements qui leur appliquent discrétionnairement
les règles ; » elle se doit d’être pour eux « une réalité effective et par conséquent créatrice de
droits ».24 Mais il faut relever tout de suite qu’en prenant spécifiquement le domaine des
affaires, la sécurité ainsi perçue ne rime pas toujours avec prospérité des affaires 25. Elle a
seulement le mérite de permettre les prévisions ; car gérer, comme on a coutume de le dire,
c’est prévoir. Or, faudrait-il le souligner, la réalisation du droit, en dehors de tout conflit,
n’est pas l’affaire des juridictions. Elle est avant tout une question de gouvernance, laquelle
24
R. LECOURT, L’Europe des juges, cité par IBRIGA L.M et MEYER P. op.cit , p.39
- Certaines directives communautaires ont parfois eu des effets économiques contraires à l’expansion des
affaires.
25
9
est intimement liée à l’idée d’Etat de droit. C’est à juste titre qu’on a pu dire que
« l’inapplication des lois atteste qu’une fonction gouvernementale n’est pas remplie. »26
Selon les matières et les organisations, l’effectivité du droit communautaire est aussi et
surtout l’affaire des administrations chargées de l’application des lois ou de faire observer le
respect des obligations qui s’imposent aux Etats, et conséquemment les droits reconnus aux
« citoyens » de la communauté.
Or lorsqu’il est question d’administration et des rapports avec les usagers du service public,
c’est aux pratiques malsaines de gouvernance que l’on pense, et à leur corollaire, qui est
l’ineffectivité des traités et des actes dérivés. Les exemples les plus visibles et qui sont donc
révélateurs de la mal gouvernance décriée sans succès, dans le contexte communautaire de
l’Afrique de l’ouest, sont sans doute ceux fournis à l’occasion de l’application des normes
relatives à la libre circulation des biens et des personnes, et à la liberté d’établissement. Entre
la permission des normes communautaires consacrée par l’UEMOA ou la CEDEAO, les
ressortissants n’ont que les frustrations à gérer, tant les réalités du terrain sont éloignées des
prescriptions des textes. Les obstacles à la liberté de circulation des biens et des personnes,
ou d’établissement et l’impunité des agents publics évoluant dans cette sphère de la vie des
affaires, sont révélateurs des faiblesses dans la réalisation de l’Etat de droit. A l’épreuve des
tracasseries policières et douanières, les citoyens de la communauté ont du mal à croire que
des normes communautaires existent pour lever certaines barrières et favoriser les
transactions.27
Cet aspect pratique de la sécurité juridique est à mettre en relation avec le concept devenu
aujourd’hui en vogue, de la « bonne gouvernance ».
En effet, lorsqu’on évoque la sécurité juridique en relation avec la vie des affaires, on
ne peut s’empêcher de recourir au concept plus large de bonne gouvernance économique 28
tant le lien avec cet autre concept est indissociable. L’attente des opérateurs économiques qui
sont les premiers visés par l’intégration en Afrique de l’Ouest, avant le commun des citoyens,
explique cette assertion. Ce qui se comprend aisément, quand on sait les enjeux économiques
26
Jean CARBONNIER, Flexible droit, pour une sociologie du droit sans rigueur, 6è édition, Paris, LGDJ, 1988,
p.124
27
L’article 4 du traité de l’UEMOA est sans équivoque sur l’objectif poursuivi : » créer entre les Etats membres
un marché commun basé sur la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux et le droit
d’établissement des personnes exerçant une activité indépendante ou salariée, ainsi que sur le tarif extérieur
commun et une politique commerciale commune » L’article 3 du traité de la CDEAO est tout aussi explicite
dans cet objectif. Il vise « la suppression entre les Etats membres des obstacles à la libre circulation des
personnes, des biens, des services et des capitaux ainsi qu’aux de résidence et d’établissement ».
28
Le contenu du concept pourrait se résumer selon nous, aux mots tels que » participation à la prise de décision
économique, la transparence, le respect des règles établies, l’équité et l’égalité de chance, et la reddition des
comptes. A l’opposé de quoi nous plaçons les mots tels que le favoritisme, la corruption, le clientélisme,
l’unilatéralisme, le trafique d’influence, l’opacité etc.
10
et financiers qui se jouent tant pour les entreprises que pour les Etats. Même si les individus,
dans leur activité civile sont également concernés, on peut relever que les organisations sous
régionales qui nous concernent ici, à savoir, l’OHADA, la CEDEAO, et l’UEMOA, ont
surtout la promotion de l’activité économique comme objectif fondamental. En témoigne,
pour l’OHADA par exemple, l’idée de créer un cadre juridique moderne, attractif des
investisseurs, souvent mise en avant, pour justifier sa création. Le champ législatif couvert par
cette organisation est fort révélateur29. Quant à la CEDEAO, dont la dénomination suffit pour
marquer le champ de compétence, les buts et objectifs désignés à l’article 3 (b) (c) (d) et (f) du
traité révisé donnent toute la mesure des préoccupations relatives à la vie des affaires.
30
D’autres principes fondamentaux y sont affichés pour marquer la volonté de promouvoir une
gouvernance politique et économique.31 Le traité de l’UEMOA n’est pas muet non plus sur la
question de la vie de l’entreprise en ce qu’il touche aux matières comme la fiscalité, les
instruments de paiement, la concurrence, ou encore les marchés publics, et les politiques
budgétaires, autant de matières qui constituent la quintessence même de la vie de l’entreprise,
et les sujets que l’on peut placer au centre des questions de bonne gouvernance. L’article 4 du
traité modifié de cette institution reprend à plusieurs égards, les mêmes objectifs que la
CEDEAO32
De manière plus concrète c’est un législateur communautaire posant des règles propices à la
célérité dans la création de l’entreprise et à l’épanouissement des affaires, des institutions
assurant l’effectivité des normes convenues, que les acteurs de la vie économique attendent.
La sécurité juridique en tant que support de prévision dans l’entreprise, constitue un élément
L’article 2 du traité OHADA énonce les matières considérées comme faisant partie du droit des affaires. Il
s’agit des règles « relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des
créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime de redressement des entreprises et de la liquidation
judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports et
toute autre matière que le Conseil des Ministres déciderait, à l’unanimité , d’y inclure, conformément à l’objet du
traité … »
30
(c)- la promotion de la création d’entreprises conjointes de production ; (d)- la création d’un marché commun à
travers la libéralisation des échanges par élimination entre Etats membres, des droits de douane à l’importation et
à l’exportation des marchandises et l’abolition entre Etats membres, des barrières non tarifaires en vue de la
création d’une zone de libre échange au niveau de la communauté ; …. La suppression entre les Etats membres
des obstacles à la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux ainsi qu’aux droits de
résidence et d’établissement ; (f) la promotion d’entreprises communes par les organisations du secteur privé et
les autres opérateurs économiques notamment avec la conclusion d’un accord régional sur les investissements
transfrontaliers ; points (g) « l’adoption de mesures visant à promouvoir l’intégration du secteur privé,
notamment la création d’un environnement propre à promouvoir les petites et moyennes entreprises » ; (H)
« l’instauration d’un environnement juridique propice » ; (i) « l’harmonisation des normes et mesures ».
31
Entre autres principes fondamentaux de la CDEAO énoncés à l’article 4 du traité « la transparence, justice
économique et sociale et participation populaire au développement »
32
On peut citer entre autres © « créer entre les Etats membres, un marché commun basé sur la libre circulation
des personnes et des biens, ses services, des capitaux et le droit d’établissement des personnes exerçant une
activité indépendante ou salariée, ainsi que sur un tarif extérieur commun et une politique commerciale
commune. » ou encore (e)- harmoniser, dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun,
les législations des Etats membres et particulièrement le régime de la fiscalité »
29
11
essentiel de cet épanouissement. Sécurité dans l’application des règles fiscales, sécurité dans
la compétition pour l’accession aux marchés publics, sécurité dans la participation aux
charges contributives, sécurité dans la conclusion des opérations commerciales et la gestion
du contentieux qui pourrait en résulter, autant d’aspects déterminants dans la vie des affaires.
Cette énumération n’est pas significative au plan juridique qui l’on ne relevait pas les grands
principes qui se cachent derrière. Ce sont les principes de légalité dans le traitement des
situations juridiques nées des transactions, mais aussi et surtout les principes d’égalité de
traitement qui, lorsqu’ils ne sont pas respectés, contrarient les prévisions des investisseurs.
Mais pour asseoir ces principes de bonne gouvernance, une bonne administration ne suffit. Il
également disposer d’un cadre judicaire sain et performant.
B/ Les chemins judiciaires de la sécurité juridique communautaire.
Si la sécurité juridique et judiciaire est une préoccupation constante du monde des affaires,
c’est aussi parce que les affaires sont souvent les lieux de contentieux en tout genre, lié aux
inévitables aléas qui affectent les relations entre agents économiques. Sans nul doute, les
investisseurs ne se décident pas toujours d’investir dans un pays en pensant aux seules
conditions de règlement des conflits. Mais l’on sait qu’un cadre judiciaire malsain est source
d’insécurité juridique et un juge malfaisant ou non peut être source de ruine des affaires. On
comprend donc aisément pourquoi la mise en place des juridictions communautaires par
chacune des organisations régionales, ne procède pas seulement du souci d’assurer une unité
d’interprétation des normes communautaires33. Elle tient aussi à l’idée de disposer d’une
justice fiable, pour ne pas dire sécurisante, lorsque vient à naître le contentieux entre les
différents acteurs de la vie communautaire. Autrement, rien ne fait obstacle à ce que, pour la
mise en œuvre d’une règle communautaire, l’on reconnaisse compétence aux juridictions des
Etats parties. Cette possibilité est déjà permise par voie conventionnelle dans certaines
matières.
Pour sécuriser le cadre de règlement du contentieux des affaires, plusieurs conditions sont
nécessaires, dont la réalisation, à en juger par les formules empruntées d’une organisation
régionale à l’autre, assurent plus ou moins la sécurité judiciaire qui tient tant aux hommes
qu’au dispositif processuel.
1- Les acteurs de la justice et la sécurité judiciaire communautaire
L’enjeu est fondamental. si l’on devrait laisser à chaque juridiction nationale le soin d’interpréter à sa guise la
norme commune, le droit uniforme peut être vidé de son sens, et par suite de sa raison d’être. On pourrait
assister à autant d’interprétations que de juges.
33
12
L’élément fondamental recherché de prime abord dans tout système judiciaire est
d’abord de prémunir contre l’arbitraire du juge. Les précautions en ce sens sont nombreuses,
qui tendent à protéger les justiciables contre les maux reprochés aux juridictions nationales.
Elles tiennent pour l’essentiel à garantir l’indépendance des juges et leur compétence.
Dans le contexte communautaire Ouest africain, l’idée d’un juge éloigné de son Etat et mis
dans les conditions financières qui ne sont pas celles des juges suprêmes nationaux, semblent
être la voie trouvée pour garantir l’indépendance des juges. Ce à quoi il faut ajouter le poids
de la collégialité qui n’est pas toujours garantie dans de nombreux Etats, dans le traitement
des affaires relevant du droit communautaire, surtout en première instance. La précaution est
valable pour les juridictions dont la saisine par les justiciables est directe. Mais elle ne vaut
pas pour les organisations dont les justiciables ont pour premier et second degré les
juridictions nationales ; la juridiction communautaire n’intervenant qu’en phase de cassation.
Tel est le cas de l’OHADA. Il suffit de mesurer la performance du système en jetant un regard
sur les statistiques pour s’apercevoir que les affaires allant en cassation devant la CCJA sont
insignifiantes, même si l’on ne dispose pas de statistiques sur ce qu’ont pu être en amont, les
affaires relatives au droit communautaire en première instance et en appel.
S’agissant de la compétence des juges communautaires, elle est présumée établie par leur
ancienneté ou les grades exigés dans les différentes institutions communautaires. Les matières
objet du contentieux, même si elles peuvent dans certains cas, paraître relever d’une certaine
spécialisation, les critères de spécialisation ne sont pas mis officiellement en avant. Dans
certains cas, le contentieux de certaines matières régies par le droit communautaire relève
entièrement des juridictions nationales. Tel est le cas par exemple du droit des effets de
commerce et instruments de paiement, établi par le règlement 15-002 relatifs aux systèmes de
paiement dans les Etats membres de l’UEMOA. L’expérience des juges déjà habitués à
évoluer dans un contexte de non spécialisation au niveau des juridictions suprêmes nationales,
devrait suffire à garantir leur aptitude à traiter les questions venant devant les juridictions
communautaires.
2- Le dispositif processuel et sécurité judiciaire
Si l’on envisage l’ensemble des trois
organisations sous régionales, la diversité du
contentieux que l’on peut rattacher au droit des affaires, ne permet pas de saisir toutes les
nuances et imperfections relatives à la sécurité judiciaire. C’est pourquoi on se limitera à une
analyse mettant l’accent sur les deux modes de saisine des juridictions communautaires en
relation avec l’idée de sécurité judiciaire. A cet égard
13
on relèvera que mis à part les
mécanismes consultatifs, deux systèmes sont consacrés au contentieux: celui de la saisine
directe de la juridiction communautaire par les plaideurs, c’est le système consacré par
l’UEMOA et la CDEAO, et celui de la saisine indirecte, c’est le mode consacré par
l’OHADA.
.
a)- Lorsque la saisine de la juridiction communautaire est directe, le système sécurise mieux
les justiciables en ce qu’il les
met à l’abri des vicissitudes des juridictions nationales,
vicissitudes qui ont parfois suscité la méfiance des agents économiques.
b)- Lorsqu’elle est indirecte, comme c’est le cas de la CCJA, où le justiciable doit d’abord
épuiser les procédures internes (en première instance et en appel éventuellement) avant de
saisir la juridiction communautaire, seulement en cassation, le justiciable reste comme par le
passé sous l’emprise de toutes les vicissitudes attachées au contexte national, du point de vue
de la sécurité judiciaire.
L’examen des statistiques sur l’importance des recours en cassation démontre bien, pour
certains pays la faiblesse des recours en cassation devant la juridiction communautaire. Il
n’est pas certain que ce soit le manque de contentieux en cassation qui explique la situation
actuelle des recours devant la CCJA. L’on est alors conduit à déduire que le souci de sécurité
juridique voulu par les promoteurs de l’OHADA à travers la création d’une juridiction qui
devrait mettre les plaideurs à l’abri des vicissitudes des systèmes judiciaires nationaux, n’est
pas satisfait. Du reste, le système de cohabitation des normes consacré par l’OHADA, laisse
aux plaideurs une marge de manœuvre pour se soustraire à la juridiction de la CCJA et rester
dans le cadre du système judiciaire national. Puisque la juridiction communautaire n’est
compétente que lorsque la décision attaquée fait application d’un acte uniforme, il suffit que
les moyens développés par les plaideurs soient fondés sur les dispositions de droit national
portant sur la matière en cause, non contraires au droit uniforme, pour justifier la compétence
de la juridiction nationale de cassation, et contourner ainsi le dispositif OHADA.34 Ce ne sont
pas les justiciables assistés qui refuseront les suggestions de leurs conseils, dès lors qu’ils
voient dans cette option un avantage à en tirer. Ainsi, le recours aux juridictions
communautaires peut devenir aussi aléatoire que le sont déjà les normes, en dehors des
prétoires. La sécurité recherchée sera réduite à la sécurité dans l’interprétation, mais faudraitil aussi que les plaideurs atteignent ce niveau de procédure35. Ceux qui resteront au premier et
L’article 14 du traité vise « toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des actes
uniformes et des règlements « prévus au traité OHADA, « à l’exception des décisions appliquant des sanctions
pénales »
35
Il était intéressant de disposer des statistiques pour établir les rapports entre les affaires portées en appel et
celles qui vont en cassation pour porter une appréciation pertinente sur cette problématique.
34
14
second degré, seront exposés, comme par le passé aux vicissitudes du passé. Ceux qui iront en
cassation, à la recherche de la sécurité juridique, seront consolés de savoir, que par le biais du
pouvoir d’évocation de la CCJA, ils ne reviendront pas devant les juridictions nationales en
cas de cassation.
En guise de conclusion .
Il est aisé de relever que les zones d’ombres de la sécurité juridique dans l’espace
communautaire Ouest-africain, résident dans le système de cohabitation des normes
communautaires avec les normes nationales, que cette cohabitation soit pacifique en raison de
la non contrariété, ou qu’elle soit conflictuelle, parce que les termes du conflit sont mal
établis. Au regard des difficultés rencontrées, ne faudrait-il pas adopter dans les matières qui
s’y prêtent, un système de loi- type à faire adopter par les parlements nationaux, au besoin
après s’être assuré de l’harmonie avec les règles existantes ? Au demeurant, il y a lieu, de
revoir la carte des matières relevant du droit communautaire, et spécialement celles qui sont
relatives au droit des affaires, en distinguant mieux celles qui méritent d’être traitées dans un
cadre communautaire de celles qui doivent être laissées à la compétence exclusive des
législateurs nationaux. En faisant tomber tout azimut, toutes les matières régissant l’activité
économique dans le giron des droits communautaires, c’est, nous semble t-il élargir les zones
d’insécurité, à moins d’une autre méthode d’articulation des normes.
En second lieu, pour
les sources d’insécurité juridique relevant de
la gouvernance,
spécialement du comportement des agents publics chargés de faire observer les règles par les
Etats et les individus, seule la volonté des Etats d’asseoir et faire régner les principes de bonne
gouvernance peut avoir raison des facteurs d’insécurité. Ce qu’on peut dire des conditions de
la bonne gouvernance économique, peut être dit de la bonne gouvernance judiciaire, dans la
mesure où c’est toujours de la perfection du comportement de l’homme au service des usagers
du service public qu’il s’agit et spécialement du respect des grands principes de bonne
gouvernance que nous évoquions.
Au total on peut dire que de la question de la cohabitation des normes sous divers angles, aux
conditions de réalisation du droit communautaire, les jalons ne semblent pas bien plantés pour
sécuriser au mieux les agents économiques
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