Le rôle du manager de proximité dans l`innovation sociétale
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Le rôle du manager de proximité dans l`innovation sociétale
Business School WORKING PAPER SERIES Working Paper 2014-175 Le rôle du manager de proximité dans l’innovation sociétale Marie José Scotto Hervé Tiffon http://www.ipag.fr/fr/accueil/la-recherche/publications-WP.html IPAG Business School 184, Boulevard Saint-Germain 75006 Paris France IPAG working papers are circulated for discussion and comments only. They have not been peer-reviewed and may not be reproduced without permission of the authors. Le rôle du manager de proximité dans l’innovation sociétale Marie José Scotto, Hervé Tiffon, IPAG Business School. IPAG Business School. Résumé Cet article a pour objectif d’analyser le processus d’innovation sociétale, en le situant dans le contexte des organisations d’entreprise. Un approfondissement sur le rôle du sens dans ce processus conduit à la notion constructiviste de co-création organisationnelle du sens. Le rôle du management de proximité dans cette construction est souligné et argumenté. Une enquête de terrain est à réaliser pour évaluer ces propositions. Mots-clés : Innovation sociétale, sens, co-construction organisationnelle, management de proximité. 1 Introduction Le changement social est le produit d’une double interaction entre l’individu et le collectif (Bourdieu, 1987). Les individus et les groupes constituent et construisent l’organisation sociale. Ils sont ainsi acteurs potentiels des changements dans les organisations sociales (dont l’entreprise) qui composent la société, et donc à terme des évolutions de la société tout entière. De manière concomitante, les individus et les groupes sont formatés par le niveau sociétal. Nous avons pour notre part décrit ce double mouvement par une analogie musicale avec les notions de partition (qui cadre et inspire les actions des individus) et d’interprétation (où l’individu joue de ses marges de manœuvre), (Tiffon, 2010). Cette construction dynamique des interactions entre le social et le sociétal a été formalisée par Anthony Giddens avec la théorie de la structuration (Giddens, 1984). Les acteurs produisent les structures et sont en même temps guidés par elles. Il est possible de se représenter cette théorie de la manière suivante : Schéma 1 : Représentation de la construction dynamique Production de la réalité sociale Individus Organisations Formation des individus Source : Hervé Tiffon Cette année, notre projet est de poursuivre cette analyse du processus d’innovation culturellesociétale dans les organisations. Comment se construit ce niveau d’innovation ? Quel est le rôle des organisations ? Quels sont les acteurs majeurs de ce processus ? Sachant que cette exploration a pour horizon implicite de recenser, si cela s’avère possible, les moyens de faciliter, d’orienter, voire de diriger l’innovation sociétale. Cette démarche nous conduit à nous interroger sur la notion de sens. Le postulat est en effet que l’innovation sociétale est une création de sens. Cette perspective paraît d’autant plus intéressante que le contexte global de la période actuelle est souvent qualifié par la perte de repères sociétaux, par la perte ou le glissement du sens (Castells, 1998 ; Cohen, 2006 ; Postel et Rousseau, 2008). Notre problématique est de ce fait un questionnement sur la place du sens dans le processus d’innovation sociétale dans les organisations. Et l’hypothèse à laquelle notre expérience de praticiens et nos études en tant qu’enseignants chercheurs nous conduisent, est le rôle-clé que 2 tient le manager de proximité comme maillon central de la chaîne de (re)construction du sens dans les organisations Nous allons donc pour cela dans une première partie préciser la place du sens dans l’innovation culturelle, puis dans une deuxième partie définir et examiner la problématique du management de proximité. Après le cadre théorique, la troisième partie consistera en une étude de terrain destinée à enrichir et valider ou non la position conceptuelle que nous présentons. Cette partie expérimentale est en projet et nous saisissons l’occasion de cette journée internationale de recherche pour recevoir les avis et conseils de nos pairs. 1. Le sens dans le processus de l’innovation sociétale 1.1 Qu’est-ce que le sens ? La notion de sens revoie à celle de signification, d’explication de ce que nous vivons. Le sens est alors porteur de la compréhension des liens entre tout ce que l’individu perçoit : luimême, le monde extérieur, le rapport entre lui et le monde. La réflexion ici présente se situe au niveau individuel et collectif, ce que nous nommons l’articulation singulier – pluriel (Tiffon, 2010). Nous proposons une courte escapade en philosophie et en anthropologie culturelle, dans ce que certains nomment l’anthropologie philosophique (Zubiri, 2011). 1er niveau : l’individu La culture humaine organise le chaos diffus des perceptions que nous avons de la réalité et nous propose une grille de lecture du monde. Quand cette lecture est perçue comme cohérente, comme donnant « du sens » à la réalité perçue, l’individu éprouve le sentiment dynamisant de faire partie d’un tout. Exemple : Je le vis bien/je me sens bien si ce que je perçois ou fais « a un sens ». A l’inverse, être déprimé, c’est ne plus percevoir le monde comme un tout, comme un ensemble qui a une cohérence. C’est percevoir l’extérieur et soi comme une poignée d’actions et d’existences jetées aléatoirement, sans liens entre elles. Il n’y a alors ni utilité, ni sens (aussi bien dans l’acceptation de signification que dans celle de direction). 2nd niveau : le collectif (qui regroupe le social, le sociétal et donc le culturel) L’univers n’a pas nécessairement un sens en soi. C’est l’humain qui lui en donne. Le sens procède alors d’un acte ou plutôt d’un agir. A l’origine, il n’est pas donné, il se crée. Néanmoins, chaque être humain se situe dans le déroulement du temps. Le sens se trouve alors issu de plusieurs créations et est capitalisé par la mémoire et l’apprentissage intergénérationnel. De ce fait, il est en grande partie transmis par l’éducation. Au final, le sens se crée et il se donne. Le sens semble ici se confondre avec la Culture. En fait, il en est une résultante. 1.2 Le paradigme constructiviste Les éléments que nous présentons relèvent du constructivisme. Les humains construisent leur vision et leurs représentations du monde dans lequel ils vivent. Ils produisent leurs grilles de lecture pour donner un sens à leurs existences. « … le monde ne nous est pas extérieur : le monde dans lequel nous agissons est construit par notre action (Laroche, La fabrication du sens dans les organisations in Les organisations, Etat des savoirs, 2012). » Nous créons le sens, nous construisons notre compréhension de l’univers. Ce courant est devenu primordial dans la science contemporaine (Morin, 1882 et 1990). En vivant, en incarnant ce que nous avons reçu et synthétisé (de façon nécessairement originale), nous avons la possibilité d’adapter ce bagage culturel à notre contexte propre. En 3 le reproduisant avec ces quelques marges de manœuvre, nous le recréons avec des décalages. Le concept d’énaction1 rend compte de cette participation fondamentale de l’homme aux constructions organisationnelles et à leur évolution. Tout phénomène culturel [acte ou instance comme attitude, position, croyance, groupe, famille, métier, etc.] existe par le fait qu’il est vécu et agi en intérieur par les individus qui le partagent. Les organisations vivent par les hommes qui les énactent, c.à.d. qui les font exister en eux-mêmes au travers de leurs pensées et de leurs actes. A contrario, si personne ne croit à une religion, cette religion n’existe pas. L’énaction est ce qui lie la réalité individuelle et collective. Ce sont les hommes vivant concomitamment un acte culturel qui le créent, l’adaptent aux contingences et le font muter à l’image des variations génétiques de l’évolution biologique mais en bien plus rapide. On en arrive à un champ qui se situe clairement dans les sciences de gestion, les théories des organisations. Les théories évolutionnistes (Nelson et Winter, 1982 et 2002 ; Saviotti, 1995 ; Teece, Pisano et Shuen, 1997 ; Martinet et Payaud, 2006) mettent en perspective les organismes vivants et les organisations sociales, et s’attachent, entre autres, aux notions de variation, de sélection, d’adaptation, d’évolution, de patrimoine informationnel et d’apprentissage des organisations. 1.3 Le phénomène de co-création Précurseur indépendant de ce courant de recherche, Karl Weick a placé la construction du sens comme thème de réflexion à part entière en sciences des organisations. Il a renouvelé la compréhension des organisations en s'intéressant aux processus par lesquels se construit le sens dans celles-ci (Koenig, 2003). Cette élaboration du sens peut s’envisager d’un point de vue individuel et/mais Weick s’y attache par les processus collectifs d’élaboration. Il s’inscrit complètement dans l’interactionnisme symbolique : la vie sociale se comprend comme un processus continu de communication, d’interprétation et d’adaptations mutuelles. La société n’est pas un ensemble figé de structures sous-ensembles, elle est fluide, les évolutions sont continues et graduelles, réalisées-vécues par les individus-acteurs. « … c’est de l’interaction entre les membres de l’organisation qu’émerge le sens. » (Koenig avant-propos in Autissier et Bensebaa, 2006). Si on fait une analogie avec l’économie et la double perspective que constitue la macro et la micro-économie, on peut parler ici de microsociologie. L’ensemble confus et égoïste des actions des hommes peut avoir pour résultante finale la richesse des nations (la métaphore de la main invisible d’Adam Smith). La construction du sens est une œuvre collective. Il s’agit d’une co-création. 1.4 La construction organisationnelle du sens La question suivante porte alors sur ce qui rend propice ce phénomène de co-création. La cocréation interactionnelle de sens a besoin d’un milieu, d’un creuset, d’un cadre pour se réaliser. Ce cadre, c’est l’organisation sociale dans son ensemble, c.à.d. les groupes sociaux, c.à.d. les organisations, dont celles d’entreprise qui nous intéressent particulièrement ici. Le sens se construit dans les groupes sociaux. Cela lui donne une dimension contextuelle (c.à.d. propre au groupe considéré et à son environnement proche). Qui crée le sens dans les organisations ? Potentiellement tous les membres, à des degrés différents et qui peuvent varier en fonction des individus, des missions qui leur sont confiées et des types d’organisations. Martinet et 1 enactment en anglais. Concept formalisé par Karl Weick (1977) en relation avec les travaux de Francisco Varela. 4 Payaud (2006) mettent en avant le rôle du cadre intermédiaire pour « ses actions articulatoires ». De leur côté, Lachmann, Larose et Penicaud (2010) placent le manager de proximité en 2ème position de leurs 10 propositions pour améliorer la santé au travail. « … le manager de proximité … organise le collectif de travail et prend les décisions au plus près des salariés …. Il est aussi un relais essentiel avec la hiérarchie de l’entreprise : c’est lui qui fait remonter les difficultés rencontrées par les salariés et qui informe ces derniers sur les orientations et projets de l’entreprise. Son rôle d’écoute est fondamental : il est intéressant de noter que 64% des salariés souhaiteraient, pour mieux être entendus, développer les occasions d’échange informel avec leur supérieur hiérarchique immédiat. » Nous reprenons cette acception du manager de proximité comme acteur (majeur) de la construction organisationnelle du sens. Il est en effet le responsable du creuset qu’est l’unité sociale de base en entreprise, l’unité de travail. A ce titre, il a un rôle de : de producteur et de facilitateur d’informations de passeur et de déclineur de sens, dans les deux directions - transmettre les innovations à l’équipe - faire/faciliter que ces innovations soient appropriées par le groupe - capitaliser et faire remonter les ajustements produits par le groupe. Le management de proximité est l’échelon de la relation fondamentale qui se diffuse aux autres sphères de l’entreprise. Le manager de proximité est ainsi acteur en production et en motivation. Il est là où se conforte le sentiment pour chacun de faire partie d’un ensemble (l’entreprise) et d’y avoir un rôle signifiant, la notion de perspective et d’horizon de sens. Nous allons aborder le rôle et la problématique du manager de proximité dans la deuxième partie. 2. Le management de proximité 2.1 Eléments de définition L’évolution des organisations et des formes de travail remet en question globalement les modèles traditionnels de management dans les organisations et notamment en France. Le modèle managérial français s’est bâti sur le modèle du « patron », dont le profil a été défini par Fayol (…), dans le contexte de PME quasi artisanale de l’époque. Puis est venu le temps des grandes organisations aux lignes hiérarchiques étendues. Le « patron » au sens de Fayol s’est effacé derrière le « manager » anglo-saxon. Cependant, la réflexion sur le management de proximité pose la question d’une nouvelle réévaluation du rôle du manager dans des organisations en crise et surtout confrontées à une adaptation permanente au changement de son environnement. Quel rôle alors pour le management de proximité ? Comment le définir et le comparer à la notion de « cadre » et d’encadrement si spécifique à la France ? Comment également lui redonner sa place au sein de l’organisation, entre une hiérarchie, parfois déconnectée du « terrain » et des salarié(e)s de plus en plus diversifié(e) et constituant une force de travail en questionnement croissant vis-àvis de la hiérarchie ? Le profil du manager également se diversifie : expérience, formation, genre avec l’accès de plus en plus ouvert des femmes aux postes d’encadrement. Selon Mintzberg (1984, 1990), le manager peut se définir par ses trois rôles principaux : un 5 rôle relationnel, informatif et décisionnel. Dans son rôle relationnel, le manager est à la fois un symbole, un leader mais également le contact avec la ligne hiérarchique, dont il est aussi le porte- parole (rôle informatif). Le troisième aspect : décisionnel, en fait un allocateur de recherche et un intrapreneur au sein de son organisation. Globalement, Minzberg (1990) le définit comme le/la responsable d’une organisation ou d’une unité de travail, espace que nous privilégions ici pour la définition du manager de proximité. 2.2 Vers un nouveau rôle Le (ou la) manager de proximité s’inscrit dans la ligne hiérarchique de l’organisation. Face au « management du haut », il représente le « management du bas » et constitue les fonctions dites « intermédiaires ». Il lui est demandé d’assurer des fonctions de commandement, de réaliser les objectifs en allouant à ses collaborateurs des moyens pour réaliser leurs tâches et enfin de contrôler les résultats, dans le respect de la stratégie élaborée par sa hiérarchie. A ce rôle classique, s’ajoute une nouvelle demande, celle qui consiste à considérer le manager de proximité comme un mobilisateur, capable de motiver la force de travail. Comme nous l’avons évoqué précédemment (1.4 La construction organisationnelle du sens), il s’agit de mettre en œuvre des capacités d’écoute, d’attention, de responsabilisation qui font évoluer les attentes de la fonction vers un véritable « coaching » des salarié(e)s. En cohérence avec la vision de Mintzberg (1990), Georgin (2008) insiste sur les trois dimensions de la fonction de manager de proximité : production, tâche et objectifs mais également faire progresser ses collaborateurs et aussi évoluer personnellement. Comment ? Ces nouvelles dimensions du manager posent la question de l’évolution du lien hiérarchique et le rapport à la notion d’autorité. Thevenet (2006) met en lumière la crise de l’autorité que connaissent les organisations, mais également la question de la responsabilité. Qui veut encore être manager ? La position de l’expert semble beaucoup plus confortable face à une redéfinition de la relation managériale mouvante et en constante adaptation (Georgin, 2008). Le manager doit affronter une situation qui devient paradoxale : être à la fois dans l’équipe (motiver, écouter..) et hors de l’équipe (diriger, fixer des orientations). Trop de proximité peut engendrer une familiarité, peu propice à l’atteinte des objectifs dans la mesure où elle les rend plus faciles à contester. La distance permettrait-elle de garder plus facilement le rôle de référent et de développer son autorité ? Ne serait-ce pas au contraire une vision stéréotypée, vieillie, « masculine » de la vision du « chef » ? Et qui ne prendrait pas en compte les évolutions constatées des exigences accrues de collaborateurs, par ailleurs de plus en plus critiques, envers leurs managers. Comment définir la « proximité » ? Est-ce relation physique de localisation ? Ou bien une relation d’écoute, de compréhension qui permet au manager de proximité de connaître ses collaborateurs à la différence du ‘top management’ qui ne connait pas les équipes du terrain ? Nous proposons de garder ces deux dimensions pour définir le manager de proximité : la proximité physique dans le sens de la connaissance des personnes et de l’existence de pratiques relationnelles avec les membres de l’équipe (même s’il y a parfois distance géographique), la situation d’échange et de co-construction professionnelle. Le manager (de proximité) est le responsable d’une unité (N+1 et N) à quelque niveau hiérarchique que ce soit. L’évolution des formes de travail (travail à distance, équipes décentralisées), le degré d’éducation accrue de la force de travail (aspiration à l’autonomie) implique une 6 individualisation de plus en plus marquée de la relation managériale. L’ancien modèle managérial appuyé sur une logique militaire, évolue vers une vision plus collective. Le « coach sportif » avec le modèle de l’équipe et des sports collectifs qui semble mieux répondre aux aspirations des jeunes générations, réclamant l’autonomie mais de plus en plus demandeuse d’encadrement. De ce fait, la logique même de contrôle se modifie en prenant des aspects plus « idéologiques », basé sur le modèle de la confiance mais dans le même temps plus indirects. En effet, dans les organisations, les modes de contrôle des résultats deviennent de plus en plus standardisés et c’est justement le manager de proximité qui doit apprécier l’atteinte des objectifs de son groupe à l’aide d’outils et de procédures définies par la ligne hiérarchique. Ses missions sont ainsi de contribuer avec l’équipe : à la production au meilleur ajustement de l’outil et des méthodes de production aux contextes spécifiques, ce qui conduit à des activités de - création technique, - création sociétale. En se référant aux théories managériales désormais classiques telles que proposées par Blake et Mouton (1964, 1969) ou bien encore Blanchard et Hersey (1969 ;1993), le management de proximité se comprend de plus en plus dans une logique de contextualisation et d’adaptation aux individus. 2.3 La question de la Performance Le questionnement sur le management de proximité amène à nouveau à la question centrale de tout gestionnaire : celle de la performance. L’entreprise, centre de production et de répartition de richesses est également une cellule sociale. Les travaux sur la relation managériale (et les problèmes que rencontrent les organisations) remettent au premier plan le facteur humain et sa relation avec la performance de l’entreprise. Un management plus « proche », plus humain serait-il également plus performant ? Ou comment rendre plus performant le management proche ? Ici, on approche d’une contradiction de plus en plus visible dans le rôle de manager de proximité : comment motiver sans « ressources supplémentaires », comment mettre la « pression » sur l’atteinte des objectifs dont il est responsable devant sa hiérarchie sans « stresser » et démobiliser ses équipes ? Et lui ou elle-même ? Le management de proximité se trouve en première ligne pour expliquer la stratégie de l’entreprise, et également pour annoncer et expliquer les bonnes et les mauvaises nouvelles. Sans être parfois outillé conceptuellement pour le faire. Peretti ( 2006) considère que tout manager de proximité se doit d’être un véritable « relais RH », combinant la rationalité de management, appuyé sur les chiffres et les tableaux de bord, mais également maîtrisant la dimension émotionnelle et humaine de la fonction. Ainsi, en situation de changement, les managers de proximité sont en stricte relation avec leurs équipes et en connaissent les craintes ainsi que les attentes. Ils peuvent identifier plus rapidement les individus qui adhèrent au projet et ceux qui sont dans le déni. Ils se révèlent ainsi une aide précieuse pour les RH, pour les consultants externes et tout agent de changement dans la construction du sens du projet vis-à-vis des équipes. La crise des organisations est également celle du management de proximité qui ne sait plus forcément où se trouve sa place sans la ligne hiérarchique. Mispelblom-Beyer (2006) se demande si « encadrer » n’est pas finalement « un métier impossible ». 7 2.4 Cadre et manager ? Le questionnement sur le management de proximité est plus spécifique en France dans la mesure où il remet en question une réalité de la culture managériale française : le concept de cadre, définit à la fois comme un statut et une représentation sociale (Coutant, 2006). Cette réalité recouvre à la fois un rôle et des fonctions d’encadrement, de management. En France, le cadre peut être un encadrant, un manager et un spécialiste. Le spécialiste sera celui ou celle qui « sait » et possède la connaissance et/ou l’expérience. Les fonctions d’encadrant et de manager se recouvrent, avec une nuance selon Coutant (2006), l’encadrant « encadre », « dirige », « fixe les objectifs », alors que le manager se situe plutôt du côté de « l’animation » de l’équipe ce qui constitue un pont avec l’acticité de co-création que nous signalons. Le statut de cadre apparait donc multiforme combinant à la fois des fonctions d’encadrement, de management et de spécialisation avec des niveaux différents de formation, d’expérience et de postes occupés. Le niveau de formation permet l’accès aux fonctions d’encadrement. L’expérience ou l’ancienneté orientent vers les fonctions managériales, quant au recrutement des spécialistes, il correspond aux besoins particuliers des organisations (Coutant, 2006). Selon Bruno Cathelinais, PDG du Groupe Beneteau : « le management de proximité constitue un atout qui favorise la confiance et la mobilisation des équipes, la fierté d’appartenance et l’attachement au territoire ». Cependant, ce manager qui se définit par sa position et qui d’ailleurs n’a pas toujours le statut de cadre, pourrait être le maillon « faible » de l’organisation. Il constitue un relais au contact de la base de production. Cela implique qu’il ou elle soit confronté aux conflits de position et de rôles, à la fois techniques et managériaux qui peuvent questionner sa légitimité aux yeux de ses collaborateurs. Le manager de proximité se trouve confronté à de multiples injonctions paradoxales, entre le « marteau des objectifs et l’enclume sociale » (Falcoz, cité par Dejoux et Dietrich, 2005). Il s’agit à la fois de gérer la multiplication des règles, les contraintes entre autonomie et contrôle des équipes, entre contraintes fortes et moyens réduits (Bouffartigue et Livian, 2003). Pour Christol (2011), le cadre qui devient manager de proximité passe de la logique du statut à celle de la compétence. L’auteur considère qu’être manager relève de l’expérience sociale et de l’apprentissage informel. Le manager est à la fois agent de l’évolution sociale et économique de l’organisation, acteur d’un phénomène de socialisation et d’intégration mais également sujet qui se crée et s’autonomise dans l’expérience sociale que constitue le management. Le cadre s’efface derrière le manager (Bouffartigue, 2001) et nous retrouvons sa dimension d’animateur de la co-construction professionnelle. Cependant, ce sont ces mêmes managers intermédiaires qui se trouvent les plus concernés par la perte de sens qui frappe les organisations. Ces populations éprouvent plus que d’autres un fort sentiment de démotivation et de perte de fidélité, situation d’autant plus grave qu’ils constituent un pivot dans des organisations de plus en plus mouvantes. En guise de conclusion à cette deuxième partie, nous rejoignons plusieurs auteurs (Vassal, 2005 ; Leroux et Ramanantsoa, 2010) pour dire que la sortie par le haut de la situation que nous avons présentée passe par une prise en compte systématique de l’importance des « soft skills » dans la formation et la pratique des managers. La valorisation des compétences managériales et émotionnelles (Goleman, 1995) doivent permettre d’évoluer vers une logique de management durable. Plusieurs grands groupes (tels que Danone, L’Oréal) développent dans la formation de leurs managers de proximité cette réflexion sur un management RSE : combinant performance économique, respect de l’environnement et implication sociale. Pour Autissier et Wacheux, (2007), c’est ce qui permettra de recréer pour le management de proximité, un sens et une légitimité nouvelle en tant qu’acteur clé de la performance et de l’implication des équipes. 8 3. Etude de terrain (projet) Notre projet est précisément d’enrichir et de soumettre les éléments présentés plus haut à une enquête de terrain. Nous l’envisageons sous deux formes. 3.1 Enquête qualitative et comparative Il s’agit d’une enquête qualitative auprès de 2 entreprises de taille différente : une PME et un grand groupe. L’éventail des tailles ouvre sur une différence de problématique de management de proximité. Une PME est une structure « naturellement » de proximité. A l’opposé, un grand groupe pose la question de comment la proximité telle que nous l’avons décrite dans la deuxième partie est déclinée dans une structure vaste, multi-sites et fonctionnant sur le marché international. Nous espérons ainsi enquêter pour la PME auprès WIT SA à Saint Laurent du Var (AlpesMaritimes). En effet, dans le cadre d’une autre recherche, nous avons eu l’occasion de découvrir cette entreprise et d’interviewer sa Directrice générale. Nous savons déjà que le management de proximité est une réalité ou, tout du moins, fait partie des discours. Pour le grand groupe, nous envisageons la société Amadeus qui a un établissement à Sophia Antipolis, également dans les Alpes-Maritimes. Amadeus correspond tout à fait à la taille du grand groupe international que nous visons pour cette étude. Ces 2 pôles d’un spectre nous permettrons une mise en perspective et une analyse comparative de données. Nous visons ainsi de recueillir des éléments sur : la place du management de proximité dans la gestion de ces 2 entreprises, précisément les missions assignées à ce niveau de management, les perspectives entre et les enseignements de ces 2 mises en pratique, des précisions ascendantes à la définition du management de proximité, des données complémentaires et de terrain pour réaliser un questionnaire quantitatif. 3.2 Enquête quantitative L’aboutissement de l’enquête se fera par un questionnaire quantitatif destiné à être renseigné par un nombre significatif de responsables des Ressources Humaines. Nous espérons en ce sens le faire distribuer par l’Association Nationale des Directeurs de Ressources Humaines (ANDRH). L’objectif de l’enquête quantitative sera de valider (ou non) les éléments que nous avons présentés dans le cadre théorique de cette communication. Nos cibles en termes de contenu seront : la perception du rôle du manager de proximité (parmi les autres acteurs de l’entreprise), son rôle d’acteur de la co-création du sens en entreprise. Conclusion Cette recherche nous conduit à confirmer l’importance du rôle du manager de proximité dans l’innovation sociétale, plus précisément au niveau de la co-construction du sens dans les organisations. C’est l’échelon « où ça se joue ». En lien perspective avec cette analyse, nous sommes convaincus qu’il est crucial dans les entreprises de 9 donner à l’acte de production une dimension globale qui dépasse la seule économique, ajouter à la performance économique les dimensions sociale et sociétale, recréer des horizons de sens. Nous espérons que cet article y contribue pour trouver des pistes dans chaque contexte spécifique en s’inspirant de la clé de sol co-création de sens, c.à.d. co-création de valeur économique, sociale et sociétale. Bibliographie Autissier D., Bensebaa F. 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