LE TOUR DU MONDE DES AUTO-CANONS BELGES
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LE TOUR DU MONDE DES AUTO-CANONS BELGES
CHAQUE 46 JEUDI Une collection unique de quotidiens originaux de la Grande Guerre 1914-1918 3,90 € LE TOUR DU MONDE DES AUTO-CANONS BELGES Une histoire incroyable et pourtant méconnue ! Publié en collaboration avec le Centre d’Études et de Documentation Guerre et Sociétés Contemporaines www.lesjournauxdeguerre.be [ LES NOUVELLES DU JOUR ] LE CORPS BELGE DES AUTO-CANONS Star malgré lui En 1914, les soldats du corps des auto-canons sont remarqués par l’armée russe. C’est alors un véritable tour du monde qui s’engage : la presse locale et étrangère relaie avec enthousiasme les exploits de ces jeunes gens, héros malgré eux. L’ODYSSÉE DES AUTO-CANONS PORTÉE À L’ÉCRAN JAN BULTHEEL, scénariste et metteur en scène de Cafard durham museum L orsqu’en 1914, 350 jeunes Belges engagés volontairement dans l’armée acceptent de rejoindre le corps des Auto-CanonsMitrailleuses, ils sont très loin d’imaginer l’incroyable épopée qui les attend. Alors que les auto-canons sont en poste sur le front belge, l’observateur militaire de Russie ne peut s’empêcher de penser qu’ils seraient bien plus utiles sur le front de l’Est qu’à croupir au bord de l’Yser. Il parvient sans difficulté à convaincre le gouvernement belge et le Roi Albert de la nécessité du transfert. Pour la Belgique, il s’agit bien plus qu’un simple coup de main au compagnon russe : c’est l’occasion de faire rayonner le blason national jusqu’en Orient, de conférer à la mission militaire belge un caractère international. Lors de sa tournée à travers les États-Unis, le corps des blindés belges défile dans la ville d’Omaha (Nebraska) le 23 juin 1918. Un enthousiasme colossal Le gouvernement russe l’a bien compris et prend soin à renfort de communiqués officiels et d’articles de presse de faire connaître les exploits des auto-canons. Arrivé à Petrograd (Saint-Pétersbourg) à la fin de l’année 1915, le corps belge ne prend réellement les armes qu’à l’été 1916 lorsqu’il est envoyé combattre les Autrichiens en Galicie. La presse belge libre relaie avec énergie la médiatisation russe de la bataille. Dans son édition du 8 juillet 1916 le XXème Siècle titre : « Les auto-canons belges sur le front russe. Le Russkoe Slovo décrit la part glorieuse qu’elles ont prises aux combats en Galicie ». L’envoyé spécial du Russkoe Slovo (« Le Mot Russe ») rapporte avec précision l’entrée en action des soldats belges. « Il était quatre heures de l’après-midi quand les autos engagèrent l’attaque, s’avançant à reculons comme de gigantesques écrevisses gris-vert ». « L’une après l’autre les autos prirent leurs positions, mirent leurs tourelles en batterie, et ouvrirent le feu à bonne portée. Les Autrichiens répondirent par une vigoureuse décharge de fusils et de mitrailleuses, mais les balles résonnaient comme des petits coups de marteau sur le blindage, ne faisant guère plus que d’érailler la peinture ». Le journaliste russe n’oublie pas au passage de saluer le « vaillant soldat de Decker », mort en héros sous le feu ennemi pour avoir tenté de secourir une auto-canon en panne, « malheureusement, avant qu’il n’ait le temps de se remettre à l’abri, une balle le frappe au front et il tombe mort ». La presse accorde une place de choix à ces « héros belges tombés sur le front russe ». En juillet 1917, la tragique offensive Kerenski (du nom du chef du gouvernement provisoire né de la révolution de février) occasionne de lourdes pertes au sein du corps des blindés. Les noms des « Comment les Américains ont-il reçu nos soldats ? » –L’aumônier du corps des ACM : « Comment ? Magnifiquement, splendidement. Ce fut un délire d’un bout à l’autre ! Nous avons marché sur des fleurs, dans les plus grandes villes… » Le Courrier de l’Armée, 29 juin 1918 morts et des blessés sont publiés en première page des journaux : « Le 1er juillet furent blessés le maréchal des logis Moens et le soldat Cavalier. Le 2 juillet furent tués : le brigadier Roselt René, volontaire de guerre né à Saint-Gilles le 19 octobre 1888, le soldat Leuchter Louis-Joseph, volontaire de guerre né à Verviers le 4 novembre 1891. Ont été gravement blessés le 2 juillet : le maréchal des logis Servaes et le soldat Thiry Oscar. Furent le même jour blessés moins grièvement : le pharmacien militaire Severin, l’adjudant Courcelles (…) », etc. Cette surmédiatisation vise à prouver que les Belges participent activement aux combats qui se déroulent à l’est. « Cette liste des pertes pendant les journées des 1er et 2 juillet, dit éloquemment la part que les auto-canons et les auto-mitrailleuses belges ont prise aux combats acharnés, mais victorieux, dont le front de Galicie fut le théâtre », déclare L’Écho Belge qui reproduit la liste des victimes dans son édition du 8 août 1917. Des héros outre-Atlantique L’arrivée du corps des auto-canons aux États-Unis en mai 1918 ne fera que décupler l’héroïsation dont il faisait déjà l’objet lorsqu’il était en poste en Russie. Suite au coup d’État mené par les bolcheviks en novembre 1917, le Roi Albert exige le rapatriement de ses soldats. Après avoir traversé la Sibérie en train, ils embarquent à Vladivostok dans un navire à destination de San Francisco. La présence des soldats belges sur sol américain est loin de passer inaperçue. Le gouvernement américain, en accord avec le Roi des Belges, y voit une occasion en or pour stimuler la campagne de recrutement de l’armée américaine. Les États-Unis, qui sont en guerre contre les Puissances centrales depuis le printemps 1917, cherchent à grossir leurs rangs et le corps des auto-canons pourrait bien les y aider. Érigés en héros, ils symbolisent la lutte et le sacrifice pour la cause de la démocratie – au nom de laquelle Wilson avait déclaré la guerre à l’Allemagne. C’est ainsi que commence la grande tournée du corps des blindés belges à travers les États-Unis. Le 22 mai 1918, c’est au tour de la ville d’Ogden dans l’Utah d’accueillir les « stars » belges. Le journal local The Ogden Standard rapporte avec enthousiasme les préparatifs (page 1, « Fort Douglas band come here Tuesday »). « Afin Voilà bien une incroyable aventure, une aventure surréaliste. Quand j’ai entendu parler pour la première fois de l’odyssée des Auto-CanonMitrailleuses, son potentiel dramatique m’a aussitôt captivé. La crème de la crème de l’armée belge, l’élite de nos volontaires de guerre, incorporée à une division hypermoderne de l’armée, finit – issue improbable – par se casser la figure. Les espérances dont ils sont porteurs, leur idéal patriotique n’empêchent pas les 350 hommes partis en 1914 de rentrer en Belgique vers la fin de la guerre sans avoir rien accompli. Ils ont vieilli de trois ans, sont riches de beaucoup d’expériences mais ont aussi perdu pas mal d’illusions. Ils ont été si longtemps absents, ils ont parcouru le monde mais n’ont pas fait – militairement – la différence. Les frustrations et le drame de ces hommes m’ont semblé être un point de départ idéal pour un film qui illustre parfaitement l’absurdité de la Première Guerre mondiale et, par extension, de toute guerre, quelle qu’elle soit. Cafard est un long métrage dramatique qui se déroule dans le cadre de cette donnée épique. Le héros (fictif) du film, Jean Mordant – une vedette sportive – est entraîné dans l’aventure pour des motifs hautement personnels. Le voyage autour du monde en des temps bousculés, où succombent toute morale et toute certitude, fait de Jean Mordant un de rendre honneur aux quatre cent soldats belges qui arriveront à Ogden mardi dans la matinée et marcherons dans les rues de la ville à 10 heures, la fanfare de la XXème Infanterie de Fort Douglas sera présente tôt dans la matinée afin d’être prête pour l’événement ». Toute la ville est réquisitionnée pour faire de la visite-éclair des soldats belges, un moment inoubliable. « Les enfants des écoles acclamant les soldats, agitant des drapeaux aux couleurs des alliés et recouvrant les vétérans de fleurs comme preuve du soutien ardent de l’Amérique à leur gouvernement, seront le clou de la parade de mardi prochain ». La tournée américaine des héros belges s’achève à la mi-juin. Il est temps pour eux de reprendre la mer, cette fois à destination de la France. Le paquebot qui transporte les soldats est accueilli au port de Bordeaux par une foule en délire. « Soldats et passagers sont massés sur le pont. Des mouchoirs papillonnent fiévreusement ; des cris de joies et d’appel s’entrecroisent », rapporte le Courrier de l’Armée (page 1). L’accueil en grande pompe des soldats belges revenus d’Amérique doit servir à appuyer le lien qui unit les nations en guerre contre l’Allemagne. Lors de la réception à la autre homme. Il évolue : d’abord personnage romantique comme en connaissait le XIXème siècle, il devient un individualiste du XXème siècle, un homme moderne dans un monde moderne. Sans faire fi de la réalité historique, je voulais distiller, à partir des nombreuses anecdotes et des personnages savoureux qui peuplent l’aventure des ACM, un récit qui soit crédible mais qui, surtout, ait du sens. Jean Mordant est un personnage de fiction, mais ses motivations, ses frustrations et sa catharsis ont une portée universelle et valent pour tout homme en situation de guerre, où que ce soit au monde. Au vu des conflits actuels, c’est une histoire qui garde toute sa pertinence. Cafard est l’éternel récit de l’odyssée, un voyage (intérieur) où le cheminement est plus important que la destination. Cafard sera dans les salles en septembre 2015, cent ans exactement après le départ du corps des ACM pour la Russie. www.cafard.eu municipalité de Bordeaux, « le lieutenant (belge) de Selliers de Moranville porte un toast à la santé du président de la République française et du président des États-Unis. Se rendant ensuite auprès des soldats américains qui ont accompagnés les nôtres, il leur adresse la parole en anglais pour les remercier cordialement ». Après le sud de la France, direction Paris où l’accueil est tout aussi solennel. « Permettez-moi de vous affirmer combien nous nous réjouissons des lauriers que vous avez cueillis à l’étranger », déclare le colonel Fourcault commandant la place belge à Paris. « Nous nous unissons à nos frères d’armes du front pour vous complimenter, vous souhaiter de nouveaux succès dans la tâche qui va vous incomber, car vous êtes avides de briller encore et toujours ! ». Un souhait qui sonne faux lorsque l’on sait que le corps belge est dissous deux semaines plus tard, par peur d’une contagion communiste suite à son séjour en Russie. Le mythe des glorieux autocanons est sagement rangé aux oubliettes. Pas facile d’être une star… SOPHIE SOUKIAS Rédactrice en chef des Journaux de Guerre [ LES NOUVELLES DU FRONT ] L’IMPROBABLE ÉPOPÉE DES AUTO-CANONS Des soldats belges en Russie aiguillonne les hommes des ACM en poussant son terrible cri de guerre « On va leur couper la tête ! ». Le néerlandais n’est pas de mise au sein du corps. Celui-ci compte dans ses rangs nonante Flamands, mais la langue véhiculaire officielle est le français. Dans le journal d’un membre des ACM, on peut lire qu’on ne recrute pas de purs flamands, parce que « leur manque de connaissances linguistiques causerait des problèmes ». Le corps militaire des auto-canons, composé de jeunes soldats belges, est transféré en Russie. L’unité d’élite prend part à des conflits armés et subit de nombreuses pertes. À l’occasion de cette implication, les « ACM » sont témoins des révoltes russes. Un cadeau pour le tsar Le 21 avril 1915, les ACM partent pour la frontière entre Belgique et France. S’en suivent des mois d’ennui derrière le front de l’Yser, jusqu’au moment où l’observateur militaire russe auprès de l’état-major belge remarque les blindés. Après négociations avec l’état-major de l’armée russe et avec le gouvernement, puis après un entretien avec le roi Albert à La Panne, l’observateur russe parvient à obtenir le transfert du corps ACM en Russie. C’est un cadeau de la petite et courageuse Belgique à l’armée du tsar, son alliée dans le combat contre l’Allemagne. Les volontaires ACM qui partent pour la Russie sont de très jeunes gens, bien décidés à se battre courageusement, mais également à « s’amuser », comme le rapporte dans ses mémoires le Liégeois Marcel Thiry. Fin septembre 1915, le corps s’embarque sur un cargo britannique pour se rendre en Russie par la voie du Nord. La traversée est difficile : le bateau est une épave qui transportait auparavant du bétail, la nourriture finit par faire défaut et une terrible tempête éclate, ce qui conduit les passagers à errer pendant des jours avant de pouvoir accoster à Arkhangelsk. Les Belges poursuivent ensuite leur trajet en train jusqu’à Petrograd (Saint-Pétersbourg). Ils doivent y essuyer la colère du lieutenant-général Louis de Ryckel. Ce dernier, sous-chef d’état-major de l’armée belge à la veille de la guerre, a été mis sur la touche et envoyé en Russie en qualité de représentant belge auprès de la Stavka, le quartier général de l’armée tsariste. Vu son grade, il a autorité sur les ACM, qui ne sont pas très crédibles à ses yeux. Ils s’installent dans une Petrograd complètement enneigée. Le moment suprême de leur séjour a lieu le 6 décembre 1915 : les ACM paradent devant le tsar dans la résidence impériale de Tsarskoïe Selo ; Nicolas II grimpe sur une auto blindée belge, ce qui ravit le major Collon, chef du corps, pourtant mis à la retraite peu après. Une aventure qui dépasse les frontières Début 1916, les ACM prennent le train pour le front en Galicie, en Ukraine occidentale, sans leur chef qui a été rappelé au pays ; les Belges, frigorifiés, y attendent le printemps dans la région de Tarnopol. Ils s’amusent à faire des blagues douteuses aux Juifs hassidiques. Un sous-officier des ACM se fait ainsi livrer gratuitement des vivres par des Juifs auxquels il est d’abord venu annoncer qu’il venait réquisitionner des chambres pour les Belges. Ce sous-officier n’est nul autre que le futur dirigeant communiste Julien Lahaut. Sous la direction de Semet, leur nouveau chef de corps, les ACM sont engagés pour la première fois contre les Autrichiens lors de l’of- La célèbre auto-canon mitrailleuse, qui a valu la renommée internationale de la Belgique et de son corps militaire d’élite. Témoins de la révolution fensive russe d’été en 1916, en Galicie. Jacques de Becker, le fils du sénateur louvaniste De Becker-Remy, est mortellement touché près d’une auto blindée immobilisée. Il est le premier membre du corps à tomber au combat. Quelques semaines plus tard, quatre cyclistes belges sont déchirés par des explosions de grenades. À l’automne, les ACM s’en vont vers le Sud, dans les contreforts des Carpates, pour y combattre les troupes allemandes. Ils subissent à nouveau des pertes au cours de cette campagne. Une auto blindée se perd dans les lignes avancées allemandes. Le commandant de bord reste indemne : il s’agit du champion de lutte Henri Herd de Liège, surnommé Constant le Marin, qui mra Les véhicules de combat blindés sont, en 1914, une arme nouvelle. Le major Collon, un attaché militaire belge, fait assembler à Paris dix voitures blindées avec un moteur Minerva, des canons légers et des mitrailleuses. Il trouve 350 volontaires de guerre belges prêts à rejoindre son corps d’Autos-CanonsMitrailleuses. Le corps ACM se compose de l’équipage des autos blindées, de « motocyclistes-cyclistes » armés et de véhicules d’approvisionnement. Les hommes reçoivent des uniformes coupés sur mesure, comme il convient à un corps d’élite. D’après Collon, les ACM – créés officiellement début décembre 1914 – doivent percer les lignes ennemies et semer la panique derrière le front. Provisoirement, ses hommes s’essaient à conduire les blindés modernes à Versailles. Deux soldats belges sur la Place Rouge de Moscou, après avoir fui la guerre civile à Kiev. Ils monteront trois jours plus tard dans le transsibérien, en direction de l’est. LE DOCUMENT DE LA SEMAINE Les héros du « Petit Journal » Les soldats du corps des autocanons-mitrailleuses ne sont pas seulement des stars en Belgique et en Russie mais aussi dans les autres pays alliés. L’action militaire des blindés belges sur le front de l’Est est auréolée de gloire dans la presse française. Dans son édition du 29 octobre 1916, l’hebdomadaire illustré parisien Le Petit Journal publie le récit des ACM sous le titre : « Un raid des autos blindées belges en Galicie ». Le corps d’élite des ACM, dont les blindés devaient rompre les lignes allemandes, mena en Galicie un raid intensif de 600 kilomètres, semant la panique sur son passage et forçant la retraite de l’ennemi. Un récit épique auquel Le Petit Journal dédie une belle illustration. Les ACM passent l’hiver près de Tarnopol dans des conditions pénibles, frappés par le froid et le mal du pays dans un paysage de désolation neigeuse. Le lieutenant-général de Ryckel rend, une seule fois, visite à ses hommes. Il loue l’héroïsme des autos blindées, mais constate qu’elles sont devenues très sales. Fin 1916, une deuxième levée d’une centaine de nouveaux volontaires vient renforcer le corps : ils sont passés par petits groupes de Scandinavie en Russie. Le printemps de 1917 se noie dans la pluie et la boue de Galicie. La révolution de février a éclaté à Petrograd. La Russie devient une république sans tsar, et un gouvernement provisoire se met en place avec à sa tête le socialiste Alexandre Kerenski. Celuici veut lancer une nouvelle offensive sur le front de Galicie. Juste avant qu’elle ne débute, le corps des ACM reçoit la visite d’une mission belge dont fait notamment partie le socialiste Émile Vandervelde, qui vient en Russie plaider pour la poursuite de la guerre sur le front de l’Est. L’offensive Kerenski de juillet 1917 est un terrible fiasco. Le feu de l’artillerie autrichienne touche plusieurs blindés des ACM, faisant à nouveau des morts et des blessés graves. Les Allemands forcent une percée et l’armée russe entreprend une retraite chaotique qui la laisse complètement désorganisée. Les Belges font leurs adieux à leurs morts au cimetière de Tarnopol et s’efforcent de ralentir la marche en avant de l’ennemi en menant des combats d’arrière-garde. Alors que les ACM prennent position près de la frontière d’avantguerre entre Russie et Autriche, et qu’ils attendent en vain une amélioration de la situation, les bolchéviques prennent le pouvoir à Petrograd. Fin 1917, le commandant Roze, nouveau chef de corps, est informé que le roi Albert a décidé de rapatrier la troupe. Les Belges se préparent au voyage de retour, qui sera une dangereuse équipée... et une odyssée incroyablement triomphale. AUGUST THIRY Auteur (avec Dirk Van Cleemput) de Reizigers door de Grote Oorlog. De odyssee van een Belgisch pantserkorps 1915-1918 (Davidsfonds 1918). CHRONIQUE AVRIL-AOÛT 1915 Alors que le corps des ACM (auto-canons mitrailleuses) est en poste derrière le front de l’Yser, les gouvernements belge et russe se mettent d’accord afin de les envoyer sur le front de l’Est. 21 SEPTEMBRE 1915 Les 355 volontaires ACM embarquent à Brest à bord d’un vieux cargo britannique, destination : Arkhangelsk (Russie). 6 DÉCEMBRE 1915 Les ACM sont accueillis à SaintPétersbourg. Le corps belge parade devant le Tsar Nicolas II. Il quitte la capitale en janvier 1916 pour aller se battre en Galicie. JUIN-SEPTEMBRE 1916 Sur les ordres du nouveau commandant, le Major Semet, les ACM prennent part à l’offensive d’été contre les Autrichiens à Tarnopol. MARS 1917 Révolution russe, le Tsar abdique. Un gouvernement provisoire se met en place. 12 JUIN 1917 Les ACM reçoivent la visite du ministre socialiste belge Émile Vandervelde, de passage en Russie. 2 JUILLET 1917 Les blindés belges participent à l’offensive Kerenski, qui s’avère être un échec. Les pertes sont lourdes. 22 FÉVRIER 1918 Suite à la révolution d’Octobre menée par les bolchéviques, le Roi Albert désire faire rapatrier ses troupes. En attendant, les ACM s’installent à Kiev. AVRIL 1918 Après un voyage éprouvant à travers la Sibérie, les ACM embarquent à Vladivostok pour les États-Unis. 12 MAI-15 JUIN 1918 Embrigadés dans la campagne de recrutement militaire américaine, les ACM entament une tournée qui les amène à San Francisco, Chicago et New York. 15 JUILLET 1918 De retour en France, le corps des ACM est officiellement dissous. [ LES NOUVELLES DU FRONT ] Les héros oubliés du corps des blindés belges LA SEMAINE PROCHAINE NUMÉRO 47 LE 8 AOÛT 1918 LE DÉBUT DE LA FIN La contre-offensive des Alliés porte un coup fatal à l’armée allemande LA FIN DU RÊVE DES AUTO-CANONS Le corps des blindés belges en visite à San Fransisco. La présence de ces soldats alimente la propagande américaine pour l’engagement militaire. Après la Révolution russe, le corps de blindés belges prend le chemin du retour. Ils entreprennent une longue retraite à travers la Sibérie. Ils sont ensuite envoyés aux États-Unis où ils suscitent l’admiration et exaltent le sentiment patriotique des Américains. N ous sommes à la fin de l’année 1917. Les ACM, corps expéditionnaire belge, erre en Ukraine occidentale avec ses blindés. L’armée russe s’est disloquée, les bolcheviques de Lénine ont pris le pouvoir à Saint-Pétersbourg, la Russie est en proie à la violence révolutionnaire. Aux yeux des officiers des ACM, les bolchéviques sont des traîtres au service de l’empereur allemand. Dans l’attente de son rapatriement, le corps s’installe à Kiev. La période de Noël est bien sombre, et le climat s’alourdit encore : lorsque des nationalistes proclament à Kiev l’autonomie de l’Ukraine, des ouvriers révolutionnaires déclenchent un soulèvement armé. Les Belges des ACM sont pris entre deux feux et sont témoins d’horribles massacres, le début d’une guerre civile en Russie entre Blancs et Rouges. Des milices rouges venues de l’Est de l’Ukraine conquièrent Kiev et y installent un régime de terreur. En définitive, les bolcheviques procurent aux ACM un train pour le voyage de retour. En échange, les Belges doivent abandonner leurs blindés, devant d’abord faire en sorte qu’ils soient détruits. L’aventure transsibérienne Fin février 1918, le train quitte Kiev, avec un wagon distinct pour une dizaine de couples mariés : plusieurs Belges des ACM ont en effet rencontré leur épouse en Russie entre deux combats. Le train passe par Moscou pour rejoindre un nœud ferroviaire près de Vologda, où le corps doit se ranger sur un aiguillage de dédoublement. Là, les esprits s’échauffent. Plu- sieurs hommes se révoltent lorsque les chefs du corps optent pour un voyage vers le Nord, par les mers. Les rebelles veulent, eux, traverser la Sibérie puis l’Extrême-Orient et fraterniser avec les cheminots communistes. Après trois jours, les chefs finissent par céder quand des diplomates chinois qui viennent d’arriver par un autre train les informent que les Allemands ont coupé la route du Nord. Ainsi commence, en mars 1918, le périple transsibérien. Le train franchit les monts glacés de l’Oural et échoue dans la petite ville d’Omsk. Le soviet local y exige que les Belges remettent leurs armes. Après négociation, les Belges signent un document déclarant qu’ils ne laisseront pas leurs armes aux contre-révolutionnaires. Le voyage se poursuit le long du lac Baïkal ; au-delà s’étendent les steppes de Mongolie. Dans la ville de Tchita, les Belges sont une nouvelle fois arrêtés par les Rouges : selon leur chef, la zone frontalière avec la Chine vit sous la terreur de cosaques blancs. Pourtant, le train peut poursuivre sa route, mais pas pour longtemps car les Rouges le bloquent dans la villefrontière de Dauria. Les Rouges et les Belges sont maintenant face à face, prêts au combat et lourdement armés. Après de laborieuses négociations, le climat s’apaise : un train chinois vient chercher le corps et les ACM arrivent ainsi à Harbin en Mandchourie. C’est là que les Belges se remettent de leur aventure sibérienne. Quelques déserteurs des ACM rejoignent les rangs des cosaques blancs. On leur a promis qu’ils iraient chasser le tigre de Sibérie, mais ils vont surtout devoir reculer face aux avancées de l’Armée Rouge et rentrer, désillusion- nés, en Belgique. Fin avril 1918, les ACM parviennent à Vladivostok. Les Belges s’embarquent sur un navire américain qui fait la traversée de l’Océan Pacifique pour rejoindre les États-Unis, et qui accoste à la mimai au port de San Francisco. Les héros du roi Albert Après quelques pourparlers diplomatiques entre le gouvernement belge et les autorités américaines, en guerre avec l’Allemagne depuis 1917, le corps des ACM est embrigadé dans la propagande de guerre. Des parades militaires présentent les Belges comme les héros de la Brave Little Belgium qui poursuit son combat contre la barbarie allemande. Conduite exemplaire que, souligne la propagande, l’Amérique se doit de suivre. Le major Osterrieth, attaché militaire aux USA, encadre le corps et veille à ce que ses membres aient l’air suffisamment guerrier lors des parades dans les villes américaines. Ce qui est bien nécessaire, car la première impression d’Osterrieth face à ce corps qu’accompagnent des fiancées de guerre et même des enfants est qu’il ressemble plutôt à « une caravane de romanichels ». En Californie, la parade des Belges suscite un grand intérêt. La ville de San Francisco leur offre un grand drapeau belge et à Sacramento, ils marchent sur un tapis de fleurs qu’a répandues un public enthousiaste. Un train Pullman spécialement affrété les amène à Chicago, par-delà les Montagnes Rocheuses. Après leur défilé, le Chicago Tribune écrit que « comparé à ces combattants qui ont traversé le monde, Ulysse, ce héros légendaire, n’était qu’un invalide grabataire ». À Detroit, les soldats belges sont accueillis par l’importante communauté d’immigrés flamands de la ville. La Brabançonne retentit, mais aussi le Vlaamse Leeuw. Ce qui entraîne d’ailleurs de vives disputes, mais le conflit se règle à l’amiable, « à la Belge », ou, comme l’écrit avec humour Marcel Thiry : « Nous ne nous comprenons pas bien, mais nous finissons par nous entendre ». La débâcle du retour Fin mai, les ACM arrivent à New York. Les King Albert’s heroes sont de toutes les réceptions officielles et marchent à la parade sur la Cinquième avenue, précédés d’une fanfare de militaires américains vêtus d’uniformes ACM belges trop étroits pour eux. Ils sont censés compléter le petit ensemble de musiciens belges, et le New York Times fait savoir, sans la moindre ironie, que « les vétérans belges pourraient facilement passer pour des soldats américains ». Mission accomplie : le corps des ACM enflamme le patriotisme américain et stimule la vente d’obligations de guerre. Vers la mi-juin 1918, le corps entreprend la traversée de l’Océan Atlantique pour gagner Bordeaux. Les Belges y sont accueillis avec les plus grands égards. Ils se rendent ensuite à Paris où ils se perdent parmi les militaires américains. Le corps est dissous le 15 juillet : les hommes sont mis en congé et ne seront plus envoyés au front. Les chefs de l’armée craignent que les aventuriers de Russie, dont on sait qu’ils n’ont pas froid aux yeux, ne soient atteints du virus communiste : leurs pérégrinations au travers du monde se terminent sur un mode mineur. Marcel Thiry deviendra un auteur wallon connu, le communiste Julien Lahaut sera assassiné en 1950 pour avoir crié Vive la république lors de la prestation de serment du roi Baudouin. Henri Herd – Constant le Marin – ouvrira, après avoir fait carrière comme lutteur, le Café des Lutteurs à Liège. Les ACM sont alors tombés dans l’oubli depuis longtemps. Le dernier vétéran, Fernand Houbiers, le neveu de Herd, meurt en 1990. Il laisse un tapuscrit d’un millier de pages, ses mémoires du temps des ACM. Elles ne seront jamais publiées. Suite à la signature de la paix de BrestLitovsk en mars 1918, Ludendorff peut désormais concentrer ses troupes sur le front de l’Ouest. Il ordonne à cette occasion une grande offensive, la dernière, se dit-il : l’offensive qui mènera à la paix. Si tout commence bien pour les Allemands, la situation se retourne d’un coup. Le 8 août 1918, les Alliés, renforcés par les unités américaines, lancent une contre-offensive magistrale sur la Marne. L’armée allemande enregistre son jour le plus noir. Plus rien ne semble arrêter les Alliés qui s’emparent des positions allemandes une à une. La victoire serait-elle proche ? Les Journaux de Guerre 1914-1918 est une publication indépendante réalisée en collaboration avec le Centre d’étude et de documentation Guerre et Sociétés contemporaines (Cegesoma) à Bruxelles. L’éditeur tient à remercier : la Bibliothèque Royale de Belgique (Bruxelles), les Archives de la Ville de Bruxelles, le Musée de l’Armée (Bruxelles), la Bibliothèque universitaire de Gand, le musée In Flanders Fields (Ypres), L’Institut Emile Vandervelde (Bruxelles), la presse belge actuelle ainsi que les collaborateurs du Cegesoma. Éditeur responsable Peter McGee Conseillers rédactionnels Prof. Frédéric Antoine, UCL Prof. Rudi Van Doorslaer, directeur Cegesoma Rédactrice en chef Sophie Soukias, Cegesoma Illustration de couverture Thomas Kuhlenbeck Secrétaire de rédaction Mathilde Delavier Mise en page Korneel Delbeke Support technique Lennart Skjødt Crédits photo Le Musée de la Banque Nationale (Bruxelles), la Bibliothèque nationale de France, the Library of Congress (Washington), le CARCOB (Bruxelles), l’ARCA (Louvain-laNeuve), the Imperial War Museum (Londres), Le Musée de l’Armée (Bruxelles), In Flanders Fields Museum (Ypres), les Archives Générales du Royaume et Archives de l’État dans les Provinces (Namur, Liège et Mons), Beeldbank West-Vlaanderen, Cegesoma. 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