LE TOUR DU MONDE DES AUTO-CANONS BELGES

Transcription

LE TOUR DU MONDE DES AUTO-CANONS BELGES
CHAQUE
46
JEUDI
Une collection unique de quotidiens originaux de la Grande Guerre
1914-1918
3,90 €
LE TOUR DU MONDE
DES AUTO-CANONS BELGES
Une histoire incroyable et pourtant méconnue !
Publié en collaboration avec le Centre d’Études et de Documentation Guerre et Sociétés Contemporaines
www.lesjournauxdeguerre.be
[ LES NOUVELLES DU JOUR ]
LE CORPS BELGE DES AUTO-CANONS
Star malgré lui
En 1914, les soldats du corps des auto-canons sont remarqués par l’armée russe.
C’est alors un véritable tour du monde qui s’engage : la presse locale et étrangère relaie avec enthousiasme les exploits de ces jeunes gens, héros malgré eux.
L’ODYSSÉE DES AUTO-CANONS
PORTÉE À L’ÉCRAN
JAN BULTHEEL, scénariste et metteur en scène de Cafard
durham museum
L
orsqu’en 1914, 350 jeunes
Belges
engagés
volontairement dans l’armée
acceptent de rejoindre
le
corps
des
Auto-CanonsMitrailleuses, ils sont très loin
d’imaginer l’incroyable épopée qui
les attend. Alors que les auto-canons sont en poste sur le front belge,
l’observateur militaire de Russie ne
peut s’empêcher de penser qu’ils seraient bien plus utiles sur le front de
l’Est qu’à croupir au bord de l’Yser. Il
parvient sans difficulté à convaincre
le gouvernement belge et le Roi
Albert de la nécessité du transfert.
Pour la Belgique, il s’agit bien plus
qu’un simple coup de main au compagnon russe : c’est l’occasion de
faire rayonner le blason national
jusqu’en Orient, de conférer à la
mission militaire belge un caractère
international.
Lors de sa tournée à travers les États-Unis, le corps des blindés belges
défile dans la ville d’Omaha (Nebraska) le 23 juin 1918.
Un enthousiasme colossal
Le gouvernement russe l’a bien
compris et prend soin à renfort de
communiqués officiels et d’articles
de presse de faire connaître les
exploits des auto-canons. Arrivé à
Petrograd (Saint-Pétersbourg) à la
fin de l’année 1915, le corps belge
ne prend réellement les armes qu’à
l’été 1916 lorsqu’il est envoyé combattre les Autrichiens en Galicie. La
presse belge libre relaie avec énergie
la médiatisation russe de la bataille.
Dans son édition du 8 juillet 1916 le
XXème Siècle titre : « Les auto-canons
belges sur le front russe. Le Russkoe
Slovo décrit la part glorieuse qu’elles
ont prises aux combats en Galicie ».
L’envoyé spécial du Russkoe
Slovo (« Le Mot Russe ») rapporte
avec précision l’entrée en action
des soldats belges. « Il était quatre
heures de l’après-midi quand les autos engagèrent l’attaque, s’avançant
à reculons comme de gigantesques
écrevisses gris-vert ». « L’une après
l’autre les autos prirent leurs positions, mirent leurs tourelles en batterie, et ouvrirent le feu à bonne
portée. Les Autrichiens répondirent
par une vigoureuse décharge de
fusils et de mitrailleuses, mais les
balles résonnaient comme des petits
coups de marteau sur le blindage,
ne faisant guère plus que d’érailler
la peinture ». Le journaliste russe
n’oublie pas au passage de saluer le
« vaillant soldat de Decker », mort
en héros sous le feu ennemi pour
avoir tenté de secourir une auto-canon en panne, « malheureusement,
avant qu’il n’ait le temps de se remettre à l’abri, une balle le frappe
au front et il tombe mort ».
La presse accorde une place de
choix à ces « héros belges tombés sur
le front russe ». En juillet 1917, la
tragique offensive Kerenski (du nom
du chef du gouvernement provisoire né de la révolution de février)
occasionne de lourdes pertes au sein
du corps des blindés. Les noms des
« Comment les Américains ont-il reçu
nos soldats ? » –L’aumônier du corps des
ACM : « Comment ? Magnifiquement,
splendidement. Ce fut un délire d’un bout à
l’autre ! Nous avons marché sur des fleurs,
dans les plus grandes villes… »
Le Courrier de l’Armée, 29 juin 1918
morts et des blessés sont publiés en
première page des journaux : « Le
1er juillet furent blessés le maréchal
des logis Moens et le soldat Cavalier.
Le 2 juillet furent tués : le brigadier
Roselt René, volontaire de guerre
né à Saint-Gilles le 19 octobre 1888,
le soldat Leuchter Louis-Joseph,
volontaire de guerre né à Verviers
le 4 novembre 1891. Ont été gravement blessés le 2 juillet : le maréchal
des logis Servaes et le soldat Thiry
Oscar. Furent le même jour blessés
moins grièvement : le pharmacien
militaire Severin, l’adjudant Courcelles (…) », etc.
Cette surmédiatisation vise à
prouver que les Belges participent
activement aux combats qui se
déroulent à l’est. « Cette liste des
pertes pendant les journées des 1er et
2 juillet, dit éloquemment la part
que les auto-canons et les auto-mitrailleuses belges ont prise aux combats acharnés, mais victorieux, dont
le front de Galicie fut le théâtre »,
déclare L’Écho Belge qui reproduit
la liste des victimes dans son édition
du 8 août 1917.
Des héros outre-Atlantique
L’arrivée du corps des auto-canons
aux États-Unis en mai 1918 ne fera
que décupler l’héroïsation dont il
faisait déjà l’objet lorsqu’il était
en poste en Russie. Suite au coup
d’État mené par les bolcheviks en
novembre 1917, le Roi Albert exige
le rapatriement de ses soldats.
Après avoir traversé la Sibérie en
train, ils embarquent à Vladivostok
dans un navire à destination de San
Francisco. La présence des soldats
belges sur sol américain est loin
de passer inaperçue. Le gouvernement américain, en accord avec le
Roi des Belges, y voit une occasion
en or pour stimuler la campagne de
recrutement de l’armée américaine.
Les États-Unis, qui sont en guerre
contre les Puissances centrales depuis le printemps 1917, cherchent à
grossir leurs rangs et le corps des
auto-canons pourrait bien les y aider.
Érigés en héros, ils symbolisent la
lutte et le sacrifice pour la cause de
la démocratie – au nom de laquelle
Wilson avait déclaré la guerre à l’Allemagne. C’est ainsi que commence
la grande tournée du corps des blindés belges à travers les États-Unis.
Le 22 mai 1918, c’est au tour
de la ville d’Ogden dans l’Utah
d’accueillir les « stars » belges. Le
journal local The Ogden Standard
rapporte avec enthousiasme les
préparatifs (page 1, « Fort Douglas
band come here Tuesday »). « Afin
Voilà bien une incroyable aventure,
une aventure surréaliste. Quand j’ai
entendu parler pour la première fois
de l’odyssée des Auto-CanonMitrailleuses, son potentiel dramatique m’a aussitôt captivé. La crème
de la crème de l’armée belge, l’élite
de nos volontaires de guerre, incorporée à une division hypermoderne
de l’armée, finit – issue improbable –
par se casser la figure. Les espérances dont ils sont porteurs, leur
idéal patriotique n’empêchent pas
les 350 hommes partis en 1914 de
rentrer en Belgique vers la fin de la
guerre sans avoir rien accompli. Ils
ont vieilli de trois ans, sont riches de
beaucoup d’expériences mais ont
aussi perdu pas mal d’illusions.
Ils ont été si longtemps absents,
ils ont parcouru le monde mais n’ont
pas fait – militairement – la différence. Les frustrations et le drame
de ces hommes m’ont semblé être
un point de départ idéal pour un film
qui illustre parfaitement l’absurdité
de la Première Guerre mondiale et,
par extension, de toute guerre, quelle
qu’elle soit.
Cafard est un long métrage dramatique qui se déroule dans le cadre
de cette donnée épique. Le héros
(fictif) du film, Jean Mordant – une
vedette sportive – est entraîné dans
l’aventure pour des motifs hautement
personnels. Le voyage autour du
monde en des temps bousculés, où
succombent toute morale et toute
certitude, fait de Jean Mordant un
de rendre honneur aux quatre cent
soldats belges qui arriveront à Ogden mardi dans la matinée et marcherons dans les rues de la ville à 10
heures, la fanfare de la XXème Infanterie de Fort Douglas sera présente
tôt dans la matinée afin d’être prête
pour l’événement ». Toute la ville
est réquisitionnée pour faire de la
visite-éclair des soldats belges, un
moment inoubliable. « Les enfants
des écoles acclamant les soldats,
agitant des drapeaux aux couleurs
des alliés et recouvrant les vétérans
de fleurs comme preuve du soutien
ardent de l’Amérique à leur gouvernement, seront le clou de la parade
de mardi prochain ».
La tournée américaine des héros
belges s’achève à la mi-juin. Il est
temps pour eux de reprendre la mer,
cette fois à destination de la France.
Le paquebot qui transporte les soldats est accueilli au port de Bordeaux par une foule en délire. « Soldats et passagers sont massés sur le
pont. Des mouchoirs papillonnent
fiévreusement ; des cris de joies et
d’appel s’entrecroisent », rapporte le
Courrier de l’Armée (page 1). L’accueil en grande pompe des soldats
belges revenus d’Amérique doit
servir à appuyer le lien qui unit
les nations en guerre contre l’Allemagne. Lors de la réception à la
autre homme. Il évolue : d’abord
personnage romantique comme en
connaissait le XIXème siècle, il devient
un individualiste du XXème siècle, un
homme moderne dans un monde
moderne.
Sans faire fi de la réalité historique, je voulais distiller, à partir
des nombreuses anecdotes et des
personnages savoureux qui peuplent
l’aventure des ACM, un récit qui soit
crédible mais qui, surtout, ait du
sens. Jean Mordant est un personnage de fiction, mais ses motivations, ses frustrations et sa catharsis
ont une portée universelle et valent
pour tout homme en situation de
guerre, où que ce soit au monde. Au
vu des conflits actuels, c’est une histoire qui garde toute sa pertinence.
Cafard est l’éternel récit de
l’odyssée, un voyage (intérieur) où le
cheminement est plus important que
la destination. Cafard sera dans les
salles en septembre 2015, cent ans
exactement après le départ du corps
des ACM pour la Russie.
www.cafard.eu
municipalité de Bordeaux, « le lieutenant (belge) de Selliers de Moranville porte un toast à la santé du
président de la République française
et du président des États-Unis. Se
rendant ensuite auprès des soldats
américains qui ont accompagnés les
nôtres, il leur adresse la parole en
anglais pour les remercier cordialement ».
Après le sud de la France, direction Paris où l’accueil est tout
aussi solennel. « Permettez-moi de
vous affirmer combien nous nous
réjouissons des lauriers que vous
avez cueillis à l’étranger », déclare
le colonel Fourcault commandant
la place belge à Paris. « Nous nous
unissons à nos frères d’armes du
front pour vous complimenter, vous
souhaiter de nouveaux succès dans
la tâche qui va vous incomber, car
vous êtes avides de briller encore et
toujours ! ». Un souhait qui sonne
faux lorsque l’on sait que le corps
belge est dissous deux semaines
plus tard, par peur d’une contagion
communiste suite à son séjour en
Russie. Le mythe des glorieux autocanons est sagement rangé aux oubliettes. Pas facile d’être une star…
SOPHIE SOUKIAS
Rédactrice en chef des Journaux de Guerre
[ LES NOUVELLES DU FRONT ]
L’IMPROBABLE ÉPOPÉE DES AUTO-CANONS
Des soldats belges en Russie
aiguillonne les hommes des ACM en
poussant son terrible cri de guerre
« On va leur couper la tête ! ».
Le néerlandais n’est pas de mise
au sein du corps. Celui-ci compte
dans ses rangs nonante Flamands, mais la langue véhiculaire officielle est
le français. Dans le
journal d’un membre
des ACM, on peut lire
qu’on ne recrute pas de
purs flamands, parce
que « leur manque de
connaissances linguistiques causerait des problèmes ».
Le corps militaire des auto-canons, composé
de jeunes soldats belges, est transféré en Russie.
L’unité d’élite prend part à des conflits armés
et subit de nombreuses pertes. À l’occasion
de cette implication, les « ACM » sont témoins
des révoltes russes.
Un cadeau pour le tsar
Le 21 avril 1915, les ACM partent
pour la frontière entre Belgique et
France. S’en suivent des mois d’ennui
derrière le front de l’Yser, jusqu’au
moment où l’observateur militaire
russe auprès de l’état-major belge
remarque les blindés. Après négociations avec l’état-major de l’armée
russe et avec le gouvernement, puis
après un entretien avec le roi Albert
à La Panne, l’observateur russe parvient à obtenir le transfert du corps
ACM en Russie. C’est un cadeau de
la petite et courageuse Belgique
à l’armée du tsar, son alliée dans
le combat contre l’Allemagne. Les
volontaires ACM qui partent pour
la Russie sont de très jeunes gens,
bien décidés à se battre courageusement, mais également à « s’amuser », comme le rapporte dans ses
mémoires le Liégeois Marcel Thiry.
Fin septembre 1915, le corps s’embarque sur un cargo britannique
pour se rendre en Russie par la voie
du Nord. La traversée est difficile : le
bateau est une épave qui transportait auparavant du bétail, la nourriture finit par faire défaut et une terrible tempête éclate, ce qui conduit
les passagers à errer pendant des
jours avant de pouvoir accoster à
Arkhangelsk. Les Belges poursuivent
ensuite leur trajet en train jusqu’à
Petrograd (Saint-Pétersbourg). Ils
doivent y essuyer la colère du lieutenant-général Louis de Ryckel. Ce
dernier, sous-chef d’état-major de
l’armée belge à la veille de la guerre,
a été mis sur la touche et envoyé en
Russie en qualité de représentant
belge auprès de la Stavka, le quartier
général de l’armée tsariste. Vu son
grade, il a autorité sur les ACM, qui
ne sont pas très crédibles à ses yeux.
Ils s’installent dans une Petrograd complètement enneigée. Le
moment suprême de leur séjour a
lieu le 6 décembre
1915 : les ACM paradent devant le tsar
dans la résidence
impériale de Tsarskoïe Selo ; Nicolas
II grimpe sur une auto
blindée belge, ce qui ravit le
major Collon, chef du corps, pourtant mis à la retraite peu après.
Une aventure qui dépasse les
frontières
Début 1916, les ACM prennent le
train pour le front en Galicie, en
Ukraine occidentale, sans leur
chef qui a été rappelé au pays ; les
Belges, frigorifiés, y attendent le
printemps dans la région de Tarnopol. Ils s’amusent à faire des blagues
douteuses aux Juifs hassidiques. Un
sous-officier des ACM se fait ainsi livrer gratuitement des vivres par des
Juifs auxquels il est d’abord venu
annoncer qu’il venait réquisitionner
des chambres pour les Belges. Ce
sous-officier n’est nul autre que le
futur dirigeant communiste Julien
Lahaut.
Sous la direction de Semet, leur
nouveau chef de corps, les ACM
sont engagés pour la première fois
contre les Autrichiens lors de l’of-
La célèbre auto-canon mitrailleuse,
qui a valu la renommée internationale de la Belgique et de son corps
militaire d’élite.
Témoins de
la révolution
fensive russe d’été en 1916, en Galicie. Jacques de Becker, le fils du sénateur louvaniste De Becker-Remy,
est mortellement touché près d’une
auto blindée immobilisée. Il est le
premier membre du corps à tomber
au combat. Quelques semaines plus
tard, quatre cyclistes belges sont
déchirés par des explosions de grenades.
À l’automne, les ACM s’en vont
vers le Sud, dans les contreforts
des Carpates, pour y combattre les
troupes allemandes. Ils subissent
à nouveau des pertes au cours de
cette campagne. Une auto blindée
se perd dans les lignes avancées allemandes. Le commandant de bord
reste indemne : il s’agit du champion de lutte Henri Herd de Liège,
surnommé Constant le Marin, qui
mra
Les véhicules de combat blindés
sont, en 1914, une arme nouvelle.
Le major Collon, un attaché militaire belge, fait assembler à Paris
dix voitures blindées avec un moteur Minerva, des canons légers
et des mitrailleuses. Il trouve 350
volontaires de guerre belges prêts à
rejoindre son corps d’Autos-CanonsMitrailleuses. Le corps ACM se compose de l’équipage des autos blindées, de « motocyclistes-cyclistes »
armés et de véhicules d’approvisionnement. Les hommes reçoivent
des uniformes coupés sur mesure,
comme il convient à un corps d’élite.
D’après Collon, les ACM – créés
officiellement début décembre 1914
– doivent percer les lignes ennemies et semer la panique derrière le
front. Provisoirement, ses hommes
s’essaient à conduire les blindés modernes à Versailles.
Deux soldats belges sur la Place Rouge de Moscou, après avoir fui la guerre
civile à Kiev. Ils monteront trois jours plus tard dans le transsibérien, en
direction de l’est.
LE DOCUMENT DE LA SEMAINE
Les héros du « Petit Journal »
Les soldats du corps des autocanons-mitrailleuses ne sont pas
seulement des stars en Belgique
et en Russie mais aussi dans les
autres pays alliés. L’action militaire
des blindés belges sur le front de
l’Est est auréolée de gloire dans la
presse française. Dans son édition
du 29 octobre 1916, l’hebdomadaire illustré parisien Le Petit Journal
publie le récit des ACM sous le titre :
« Un raid des autos blindées belges
en Galicie ». Le corps d’élite des
ACM, dont
les blindés
devaient
rompre
les lignes
allemandes,
mena en
Galicie un
raid intensif de 600 kilomètres,
semant la panique sur son passage
et forçant la retraite de l’ennemi. Un
récit épique auquel Le Petit Journal
dédie une belle illustration.
Les ACM passent l’hiver près de Tarnopol dans des conditions pénibles,
frappés par le froid et le mal du pays
dans un paysage de désolation neigeuse. Le lieutenant-général de Ryckel rend, une seule fois, visite à ses
hommes. Il loue l’héroïsme des autos blindées, mais constate qu’elles
sont devenues très sales. Fin 1916,
une deuxième levée d’une centaine
de nouveaux volontaires vient renforcer le corps : ils sont passés par
petits groupes de Scandinavie en
Russie.
Le printemps de 1917 se noie dans
la pluie et la boue de Galicie. La révolution de février a éclaté à Petrograd.
La Russie devient une république
sans tsar, et un gouvernement provisoire se met en place avec à sa tête le
socialiste Alexandre Kerenski. Celuici veut lancer une nouvelle offensive
sur le front de Galicie. Juste avant
qu’elle ne débute, le corps des ACM
reçoit la visite d’une mission belge
dont fait notamment partie le socialiste Émile Vandervelde, qui vient en
Russie plaider pour la poursuite de
la guerre sur le front de l’Est.
L’offensive Kerenski de juillet
1917 est un terrible fiasco. Le feu
de l’artillerie autrichienne touche
plusieurs blindés des ACM, faisant
à nouveau des morts et des blessés graves. Les Allemands forcent
une percée et l’armée russe entreprend une retraite chaotique qui la
laisse complètement désorganisée.
Les Belges font leurs adieux à leurs
morts au cimetière de Tarnopol et
s’efforcent de ralentir la marche en
avant de l’ennemi en menant des
combats d’arrière-garde.
Alors que les ACM prennent position près de la frontière d’avantguerre entre Russie et Autriche, et
qu’ils attendent en vain une amélioration de la situation, les bolchéviques prennent le pouvoir à Petrograd. Fin 1917, le commandant Roze,
nouveau chef de corps, est informé
que le roi Albert a décidé de rapatrier la troupe. Les Belges se préparent au voyage de retour, qui sera
une dangereuse équipée... et une
odyssée incroyablement triomphale.
AUGUST THIRY
Auteur (avec Dirk Van Cleemput) de
Reizigers door de Grote Oorlog. De odyssee
van een Belgisch pantserkorps 1915-1918
(Davidsfonds 1918).
CHRONIQUE
AVRIL-AOÛT 1915
Alors que le corps des ACM
(auto-canons mitrailleuses) est en
poste derrière le front de l’Yser,
les gouvernements belge et russe
se mettent d’accord afin de les
envoyer sur le front de l’Est.
21 SEPTEMBRE 1915
Les 355 volontaires ACM
embarquent à Brest à bord
d’un vieux cargo britannique,
destination : Arkhangelsk
(Russie).
6 DÉCEMBRE 1915
Les ACM sont accueillis à SaintPétersbourg. Le corps belge
parade devant le Tsar Nicolas II. Il
quitte la capitale en janvier 1916
pour aller se battre en Galicie.
JUIN-SEPTEMBRE 1916
Sur les ordres du nouveau
commandant, le Major Semet, les
ACM prennent part à l’offensive
d’été contre les Autrichiens à
Tarnopol.
MARS 1917
Révolution russe, le Tsar abdique.
Un gouvernement provisoire se
met en place.
12 JUIN 1917
Les ACM reçoivent la visite du
ministre socialiste belge Émile
Vandervelde, de passage en
Russie.
2 JUILLET 1917
Les blindés belges participent à
l’offensive Kerenski, qui s’avère
être un échec. Les pertes sont
lourdes.
22 FÉVRIER 1918
Suite à la révolution d’Octobre
menée par les bolchéviques, le
Roi Albert désire faire rapatrier
ses troupes. En attendant, les
ACM s’installent à Kiev.
AVRIL 1918
Après un voyage éprouvant
à travers la Sibérie, les ACM
embarquent à Vladivostok pour
les États-Unis.
12 MAI-15 JUIN 1918
Embrigadés dans la campagne
de recrutement militaire
américaine, les ACM entament
une tournée qui les amène à San
Francisco, Chicago et New York.
15 JUILLET 1918
De retour en France, le corps des
ACM est officiellement dissous.
[ LES NOUVELLES DU FRONT ]
Les héros oubliés du corps
des blindés belges
LA SEMAINE PROCHAINE
NUMÉRO 47
LE 8 AOÛT 1918
LE DÉBUT DE LA FIN
La contre-offensive des Alliés
porte un coup fatal à l’armée
allemande
LA FIN DU RÊVE DES AUTO-CANONS
Le corps des blindés belges en visite à San Fransisco. La présence de ces soldats alimente la propagande américaine pour l’engagement militaire.
Après la Révolution russe, le corps de blindés belges
prend le chemin du retour. Ils entreprennent une
longue retraite à travers la Sibérie. Ils sont ensuite
envoyés aux États-Unis où ils suscitent l’admiration
et exaltent le sentiment patriotique des Américains.
N
ous sommes à la fin de
l’année 1917. Les ACM,
corps expéditionnaire
belge, erre en Ukraine
occidentale avec ses blindés. L’armée russe s’est disloquée, les bolcheviques de Lénine ont pris le
pouvoir à Saint-Pétersbourg, la
Russie est en proie à la violence
révolutionnaire. Aux yeux des officiers des ACM, les bolchéviques
sont des traîtres au service de l’empereur allemand. Dans l’attente de
son rapatriement, le corps s’installe
à Kiev.
La période de Noël est bien
sombre, et le climat s’alourdit
encore : lorsque des nationalistes
proclament à Kiev l’autonomie
de l’Ukraine, des ouvriers révolutionnaires déclenchent un soulèvement armé. Les Belges des ACM
sont pris entre deux feux et sont
témoins d’horribles massacres, le
début d’une guerre civile en Russie
entre Blancs et Rouges. Des milices
rouges venues de l’Est de l’Ukraine
conquièrent Kiev et y installent un
régime de terreur.
En définitive, les bolcheviques
procurent aux ACM un train pour
le voyage de retour. En échange, les
Belges doivent abandonner leurs
blindés, devant d’abord faire en
sorte qu’ils soient détruits.
L’aventure transsibérienne
Fin février 1918, le train quitte Kiev,
avec un wagon distinct pour une dizaine de couples mariés : plusieurs
Belges des ACM ont en effet rencontré leur épouse en Russie entre deux
combats. Le train passe par Moscou
pour rejoindre un nœud ferroviaire
près de Vologda, où le corps doit se
ranger sur un aiguillage de dédoublement.
Là, les esprits s’échauffent. Plu-
sieurs hommes se révoltent lorsque
les chefs du corps optent pour un
voyage vers le Nord, par les mers.
Les rebelles veulent, eux, traverser
la Sibérie puis l’Extrême-Orient
et fraterniser avec les cheminots
communistes. Après trois jours, les
chefs finissent par céder quand des
diplomates chinois qui viennent
d’arriver par un autre train les informent que les Allemands ont coupé
la route du Nord. Ainsi commence,
en mars 1918, le périple transsibérien. Le train franchit les monts
glacés de l’Oural et échoue dans la
petite ville d’Omsk. Le soviet local
y exige que les Belges remettent
leurs armes. Après négociation, les
Belges signent un document déclarant qu’ils ne laisseront pas leurs
armes aux contre-révolutionnaires.
Le voyage se poursuit le long du
lac Baïkal ; au-delà s’étendent les
steppes de Mongolie.
Dans la ville de Tchita, les Belges
sont une nouvelle fois arrêtés par
les Rouges : selon leur chef, la zone
frontalière avec la Chine vit sous la
terreur de cosaques blancs. Pourtant, le train peut poursuivre sa
route, mais pas pour longtemps car
les Rouges le bloquent dans la villefrontière de Dauria. Les Rouges
et les Belges sont maintenant face
à face, prêts au combat et lourdement armés. Après de laborieuses
négociations, le climat s’apaise : un
train chinois vient chercher le corps
et les ACM arrivent ainsi à Harbin
en Mandchourie.
C’est là que les Belges se remettent de leur aventure sibérienne. Quelques déserteurs des
ACM rejoignent les rangs des
cosaques blancs. On leur a promis
qu’ils iraient chasser le tigre de Sibérie, mais ils vont surtout devoir
reculer face aux avancées de l’Armée Rouge et rentrer, désillusion-
nés, en Belgique. Fin avril 1918, les
ACM parviennent à Vladivostok. Les
Belges s’embarquent sur un navire
américain qui fait la traversée de
l’Océan Pacifique pour rejoindre les
États-Unis, et qui accoste à la mimai au port de San Francisco.
Les héros du roi Albert
Après quelques pourparlers diplomatiques entre le gouvernement
belge et les autorités américaines,
en guerre avec l’Allemagne depuis
1917, le corps des ACM est embrigadé
dans la propagande de guerre. Des
parades militaires présentent les
Belges comme les héros de la Brave
Little Belgium qui poursuit son combat contre la barbarie allemande.
Conduite exemplaire que, souligne
la propagande, l’Amérique se doit de
suivre. Le major Osterrieth, attaché
militaire aux USA, encadre le corps
et veille à ce que ses membres aient
l’air suffisamment guerrier lors des
parades dans les villes américaines.
Ce qui est bien nécessaire, car la première impression d’Osterrieth face à
ce corps qu’accompagnent des fiancées de guerre et même des enfants
est qu’il ressemble plutôt à « une
caravane de romanichels ».
En Californie, la parade des
Belges suscite un grand intérêt. La
ville de San Francisco leur offre un
grand drapeau belge et à Sacramento, ils marchent sur un tapis de
fleurs qu’a répandues un public enthousiaste. Un train Pullman spécialement affrété les amène à Chicago,
par-delà les Montagnes Rocheuses.
Après leur défilé, le Chicago Tribune
écrit que « comparé à ces combattants qui ont traversé le monde,
Ulysse, ce héros légendaire, n’était
qu’un invalide grabataire ».
À Detroit, les soldats belges sont
accueillis par l’importante communauté d’immigrés flamands de la
ville. La Brabançonne retentit, mais
aussi le Vlaamse Leeuw. Ce qui entraîne d’ailleurs de vives disputes,
mais le conflit se règle à l’amiable,
« à la Belge », ou, comme l’écrit
avec humour Marcel Thiry : « Nous
ne nous comprenons pas bien, mais
nous finissons par nous entendre ».
La débâcle du retour
Fin mai, les ACM arrivent à New
York. Les King Albert’s heroes sont
de toutes les réceptions officielles
et marchent à la parade sur la Cinquième avenue, précédés d’une fanfare de militaires américains vêtus
d’uniformes ACM belges trop étroits
pour eux. Ils sont censés compléter le petit ensemble de musiciens
belges, et le New York Times fait
savoir, sans la moindre ironie, que
« les vétérans belges pourraient facilement passer pour des soldats américains ».
Mission accomplie : le corps des
ACM enflamme le patriotisme américain et stimule la vente d’obligations de guerre. Vers la mi-juin 1918,
le corps entreprend la traversée de
l’Océan Atlantique pour gagner Bordeaux. Les Belges y sont accueillis
avec les plus grands égards. Ils se
rendent ensuite à Paris où ils se
perdent parmi les militaires américains.
Le corps est dissous le 15 juillet : les hommes sont mis en congé
et ne seront plus envoyés au front.
Les chefs de l’armée craignent que
les aventuriers de Russie, dont on
sait qu’ils n’ont pas froid aux yeux,
ne soient atteints du virus communiste : leurs pérégrinations au
travers du monde se terminent sur
un mode mineur. Marcel Thiry deviendra un auteur wallon connu, le
communiste Julien Lahaut sera assassiné en 1950 pour avoir crié Vive
la république lors de la prestation
de serment du roi Baudouin. Henri
Herd – Constant le Marin – ouvrira,
après avoir fait carrière comme lutteur, le Café des Lutteurs à Liège.
Les ACM sont alors tombés dans
l’oubli depuis longtemps. Le dernier
vétéran, Fernand Houbiers, le neveu
de Herd, meurt en 1990. Il laisse un
tapuscrit d’un millier de pages, ses
mémoires du temps des ACM. Elles
ne seront jamais publiées.
Suite à la signature de la paix de BrestLitovsk en mars 1918, Ludendorff peut
désormais concentrer ses troupes sur
le front de l’Ouest. Il ordonne à cette
occasion une grande offensive, la dernière, se dit-il : l’offensive qui mènera
à la paix. Si tout commence bien pour
les Allemands, la situation se retourne
d’un coup. Le 8 août 1918, les Alliés,
renforcés par les unités américaines,
lancent une contre-offensive magistrale
sur la Marne. L’armée allemande enregistre son jour le plus noir. Plus rien ne
semble arrêter les Alliés qui s’emparent
des positions allemandes une à une.
La victoire serait-elle proche ?
Les Journaux de Guerre 1914-1918 est une publication
indépendante réalisée en collaboration avec le Centre
d’étude et de documentation Guerre et Sociétés
contemporaines (Cegesoma) à Bruxelles. L’éditeur tient
à remercier : la Bibliothèque Royale de Belgique
(Bruxelles), les Archives de la Ville de Bruxelles,
le Musée de l’Armée (Bruxelles), la Bibliothèque
universitaire de Gand, le musée In Flanders Fields
(Ypres), L’Institut Emile Vandervelde (Bruxelles), la presse
belge actuelle ainsi que les collaborateurs du Cegesoma.
Éditeur responsable
Peter McGee
Conseillers rédactionnels
Prof. Frédéric Antoine, UCL
Prof. Rudi Van Doorslaer, directeur Cegesoma
Rédactrice en chef
Sophie Soukias, Cegesoma
Illustration de couverture
Thomas Kuhlenbeck
Secrétaire de rédaction
Mathilde Delavier
Mise en page
Korneel Delbeke
Support technique
Lennart Skjødt
Crédits photo
Le Musée de la Banque Nationale (Bruxelles), la
Bibliothèque nationale de France, the Library of Congress
(Washington), le CARCOB (Bruxelles), l’ARCA (Louvain-laNeuve), the Imperial War Museum (Londres), Le Musée
de l’Armée (Bruxelles), In Flanders Fields Museum
(Ypres), les Archives Générales du Royaume et Archives
de l’État dans les Provinces (Namur, Liège et Mons),
Beeldbank West-Vlaanderen, Cegesoma.
Bien que nous nous efforçons de respecter les droits d’auteurs,
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AUGUST THIRY
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complète des ACM avec une série unique
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(éditions Houtekiet)
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