IMPOSITION DES FRONTALIERS

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IMPOSITION DES FRONTALIERS
Union Démocratique du Centre du canton du Jura
Case postale 88
2822 Courroux
IMPOSITION DES FRONTALIERS
COMPARAISON DES MODÈLES GENEVOIS ET JURASSIENS
PRÉAMBULE
Dans le domaine de la taxation des frontaliers, deux systèmes coexistent en Suisse : l'imposition à la
source ou la rétrocession d'impôts par un état étranger. Depuis l'introduction de la libre circulation des
personnes (par étapes dès 2002) entre la Suisse et ses voisins, les cantons bordant la frontière ont
assisté à une forte augmentation du nombre de frontaliers travaillant en Suisse.
De 160'000 frontaliers début 2002, nous sommes passés à 262'000 au 2e trimestre 2012, soit une
1
augmentation de 102'000 personnes (+ 64%) ( ).
Cette évolution du marché du travail est synonyme de besoins d'investissements accrus de la part des
collectivités publiques dans les infrastructures, notamment dans le domaine des transports. Il n'est
donc pas étonnant que dans la plupart des cantons frontaliers ou sur le plan fédéral, des réflexions
aient eu lieu ou soient en cours pour optimiser le produit de l'impôt frontalier.
Suite à la crise de l'endettement de la zone euro, les besoins financiers des pays voisins de la Suisse
sont encore plus aigus. Ainsi en France voisine également, on observe des interventions politiques
quant aux moyens d'augmenter le produit de l'impôt frontalier. Toute évolution du cadre fiscal actuel est
donc dépendante de négociations entre États et/ou régions.
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Source : Office fédéral de la statistique > STAT-TAB : la banque de données statistiques interactive (http://goo.gl/G4VXz)
IMPOSITION DES FRONTALIERS : CADRE LÉGAL
Selon les règles de l’OCDE, les travailleurs frontaliers ne sont en principe imposables que dans le pays
où ils exercent leur activité professionnelle. Il est ainsi admis que l’État dans lequel les frontaliers
travaillent peut les imposer.
Sur le plan suisse, la Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD) prévoit d’ailleurs dans son article 91
que : « Les travailleurs qui, sans être domiciliés ni en séjour en Suisse, y exercent une activité lucrative
dépendante pendant de courtes périodes, durant la semaine ou comme frontaliers, sont soumis à
l’impôt à la source sur le revenu de leur activité… »
L'imposition sur le lieu de travail est d'ailleurs généralement la règle comme l'a précisé le Conseil
Fédéral en réponse à la motion 12.3225 du démocrate chrétien Jean-Paul Gschwind (JU) en mars
2012 (http://goo.gl/b9h0m).
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Extraits
« Genève: imposition au lieu de l'activité salariée contre compensation financière unilatérale de 3,5% de la
masse salariale brute en faveur de certaines communes des départements français de l'Ain et de la HauteSavoie; huit autres cantons frontaliers de la France: imposition au domicile contre compensation financière
bilatérale de 4,5% de la masse salariale brute), l'Allemagne (imposition au lieu d'activité au taux maximum de
4,5% de la masse salariale brute dans l’État d'activité), l'Italie (imposition au lieu de travail et compensation
unilatérale de 38,8% des recettes fiscales par les trois cantons frontaliers en faveur des communes
italiennes limitrophes), l'Autriche (imposition au lieu de travail et compensation financière unilatérale suisse
de 12,5% des recettes fiscales relatives aux résidents autrichiens travaillant en Suisse) et Liechtenstein
(imposition dans l’État de domicile »
En résumé, il n'y a que pour l'imposition avec la France (pour 8 cantons : BS, BL, BE, JU, NE, SO, VD et VS)
et avec le Liechtenstein que la Suisse ne perçoit pas l'impôt à la source.
PRODUIT DE L’IMPÔT DES FRONTALIERS
1.
Genève
Genève est donc le seul canton romand à appliquer le système de l'imposition à la source avec la
France (Genève perçoit l'impôt mais verse 3.5% de la masse salariale brute aux collectivités
françaises). A titre d'exemple (cf. tableau ci-dessous) en 2011, Genève a encaissé 748 millions : 513
sont restés dans les caisses cantonales, 235 ont été versés à la France (en l’occurrence aux
départements de l’Ain et de la Haute-Savoie).
Tableau n°1
Evolution du nombre de frontaliers, de la masse salariale, de l'impôt à la source (encaissement), de la
compensation à la France et du solde restant à la Suisse depuis 2004
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
Frontaliers résidents en
a)
France
57'828 65'877
72'934
80'026
84'926
90'887 95'688 103'232
Masse salariale
(en mios)
3'948
4'359
4'545
5'083
5'497
5'985
6'451
6'737
Encaissement
(en mios)
501
562
622
722
801
823
775
748
Compensation à la France
(en mios)
138
152
159
177
192
209
225
235
Montant restant en Suisse
(en mios)
363
410
463
545
609
614
550
513
a)
Ce nombre comprend également les Suisses travaillant à Genève et vivant en France, également soumis à l'impôt à la
source. Source : Administration Fiscale Cantonale Genève
Une analyse plus fine de ce tableau fait apparaitre des tendances intéressantes. Si le nombre de
frontaliers a connu en forte en augmentation de 2004 à 2011 (hausse de 78%), la masse salariale
(donc également la compensation versée à la France au taux fixe de 3.5%) n’a crû que de 70%. Plus
dommageable pour Genève, le montant restant en Suisse n'a augmenté que de 41% (de 363 millions à
513 millions).
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Les raisons sont multiples : bas/moyens revenus ne pouvant plus se loger à Genève et partant en
France, pression sur les salaires des nouveaux frontaliers, etc.
Mais la raison principale est à chercher dans l'arrêt du Tribunal Fédéral du 26 janvier 2010 (réf. 2C319/2009) autorisant les frontaliers à déduire certains frais effectifs (http://goo.gl/II3p1).
Comme on le voit sur le tableau, cet arrêt a entraîné une baisse notable du produit de l’impôt à la
source qui est passé de 823 millions en 2009 à 748 millions en 2011 alors que dans le même temps le
nombre de frontaliers augmentait d'un peu moins de 8’000 personnes.
Tableau n°2
Il est également intéressant de comparer l'évolution de la masse salariale des frontaliers avec le
montant de l'impôt restant pour les collectivités suisses. La dernière ligne exprime le pourcentage de la
masse salariale totale des frontaliers alimentant effectivement les caisses des collectivités publiques à
Genève.
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
3'948
4'359
4'545
5'083
5'497
5'985
6'451
6'737
Montant restant en Suisse
(en mios)
363
410
463
545
609
614
550
513
Montant restant en Suisse
(en %)
9.2
9.4
10.2
10.7
11.1
10.3
8.5
7.6
Masse salariale
(en mios)
Comme on le constate, avec l'arrêt du Tribunal Fédéral et les changements socio-économiques de
l'agglomération genevoise, l'impôt à la source est en baisse à Genève, non seulement en valeur
absolue mais surtout en valeur relative. Alors qu'en 2008, 11.1% de la masse salariale des frontaliers
sont allés dans les caisses des collectivités locales en Suisse, ce taux a chuté à 7.6% l'an dernier.
Avec un taux constant à 11.1% sur la masse salariale, Genève aurait encaissé près de 748 millions en
2011 au lieu de 513 millions, le manque à gagner dépasse donc les 200 millions.
.
Signalons que cette perte est amplifiée par la compensation versée à la France. Celle-ci dépend
uniquement de l'évolution de la masse salariale (3.5%), elle n'est donc pas diminuée par la décision du
TF.
Une remarque s'impose : l'arrêt du TF, et surtout la pratique, étant relativement récents, la situation
fiscale des frontaliers n'est pas encore normalisée. Des recours et des changements à même de
modifier l'assiette fiscale et le calcul de l'impôt des frontaliers sont encore en cours. Dans ces
conditions, il nous parait prématuré de pronostiquer une nouvelle baisse ou un redressement de l'impôt
à la source.
Dans un premier temps, le canton de Genève avait d'ailleurs émis des propos très alarmistes quant aux
conséquences de l'arrêt du TF, des propos qui ont été nuancés par la suite. Les médias suisses et
français ont notamment relevé des cas certes rares de frontaliers ayant vu leur facture fiscale
augmentée suite aux changements découlant de l'arrêt du TF. Il faudra donc attendre 2-3 ans avant
d'avoir une vue plus complète des conséquences fiscales de cet arrêt.
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2.
Jura
Contrairement à Genève, le Jura ne perçoit pas l'impôt à la source sur les frontaliers. Cette dérogation
aux règles de l'OCDE a été réglée par un accord du 11 avril 1983 entre la Suisse et la France
(http://goo.gl/jy7X5).
Pour la petite histoire, c'est Jacques Delors, à l'époque ministre de l’économie, des finances et du
budget dans le 1e gouvernement de François Mitterrand qui a paraphé le document pour la France.
Cet accord relatif à l'imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers prévoit que c'est la France
qui perçoit l'impôt de ses résidents travaillant en Suisse et qu'elle reverse 4.5% de la masse salariale
brute aux collectivités publiques suisses. Le Jura, à l'instar de VD, NE, VS ou BE, applique ce système
de taxation pour les frontaliers.
Tableau n°3
Le tableau ci-dessous montre l'évolution du nombre de frontaliers, de la masse salariale et du produit
de l'impôt (4.5% masse salariale) pour le canton du Jura.
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
Frontaliers
4’039
4’663
5’342
6’277
6’784
6’215
6’478
7’298
7’578
Masse salariale
(en mios)
255.8 273.2 302.9 351.6 391.6 360.2 377.4 416.4 437.8
Rétrocession française
(en mios)
11.4
12.1
13.4
15.6
17.4
16
16.8
18.5
19.5
2012 : estimation au 30 juin. Source : service des contributions de la République et Canton du Jura
Cette période a été marquée par une forte hausse du nombre de frontaliers : + 88% de 2004 à 2012.
L'augmentation a été encore plus forte qu'à Genève (pour rappel 78% de hausse), avec toutefois 6
mois de plus dans la statistique.
Dans le Jura également, la progression de la masse salariale a été plus faible que celle du nombre de
frontalier : +71% (pour rappel +70% à Genève). L'écart (en %) entre la hausse du nombre de frontaliers
et celle de la masse salariale est près de deux fois plus élevé dans le Jura (17% contre
8% à Genève). Il apparait donc que dans le Jura, la rémunération moyenne des frontaliers a connu une
baisse sensible.
En effet, le rapport entre la masse salariale et le nombre de frontaliers nous indique qu'en 2004, cette
rémunération s'établissait à 63'333.-/frontalier. Pour 2011, on constate une baisse à 57'772.- /frontalier.
La rémunération moyenne a donc diminué de plus de 5’500.- (-8.8%) en 8 ans.
La baisse du produit de l'impôt des frontaliers est toutefois beaucoup plus faible qu'en France car la
part jurassienne dépend de la seule évolution de la masse salariale et quelle n’est pas concernée par
l'arrêt du TF permettant aux frontaliers de déduire leurs frais (cf. chapitre précédent).
Genève - Jura : comparaison des systèmes de taxation
Comme évoqué précédemment, aussi bien sur le plan fédéral (motion Gschwind) que dans les cantons
des réflexions politiques sont menées pour uniformiser, simplifier voire augmenter le montant de l'impôt
sur les frontaliers même s’il ne représente qu’une petite (voire toute petite) part des recettes
cantonales.
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Bien que le produit de cet impôt connaisse actuellement une forte période de changement, un
comparatif entre les 2 cantons est révélateur. Le tableau n°2 a montré que le produit de l'impôt a
régulièrement augmenté dans le canton de Genève jusqu'à représenter 11.1% de la masse salariale en
2008. Depuis cette date, la baisse a été régulière pour se fixer en 2011 à 7.6% de la masse salariale
Tableau n°4
Dans le tableau ci-dessous, nous avons réalisé pour le canton du Jura une projection de l'impôt sur les
frontaliers au taux de 7.6%. Pour rappel, ce taux de 7.6% est calculé après versement de 3.5% de la
masse salariale à la France (cf. tableaux n°1 et 2).
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
Frontaliers
4’039 4’663
5’342
6’277
6’784
6’215
6’478
7’298
7’578
Masse salariale
(MS)
255.8 273.2
302.9
351.6
391.6
360.2
377.4
416.4
437.8
Rétrocession actuelle
à 4.5%
11.4
12.1
13.4
15.6
17.4
16
16.8
18.5
19.5
Impôt théorique
(7.6% de MS)
19.4
20.8
23
26.7
29.8
27.4
28.7
31.6
33.3
Le résultat est net. Même au taux historiquement bas pour Genève de 7.6%, l'imposition à la source est
plus avantageuse que la rétrocession de 4.5% de la masse salariale. Dans le cas du canton du Jura, la
différence varie entre 8 millions de rentrées fiscales supplémentaires en 2004 et 13.8 millions de plus
pour 2012.
Il convient de prendre toutefois ces estimations avec une certaine prudence notamment en regard de
différences notables entre les 2 cantons.
Premier point
Les salaires sont plus élevés dans la région genevoise que dans le canton du Jura. Le taux
d'imposition étant progressif, des salaires plus élevés rapporteront plus à une collectivité à masse
salariale égale.
Exemple : 50 contribuables à 100'000.- seront plus taxés que 100 contribuables gagnant 50'000.Cette remarque est importante, les données fiscales obtenues étant basées sur la masse salariale.
Seconde remarque
Le canton de Genève se distingue avec la progression fiscale la plus forte de Suisse. C'est à
Genève que les très bas revenus paient le mois d'impôts et que les très hauts revenus en paient le
plus.
Là encore, cette différence entre Genève et Jura pourrait réduire l'avantage de l'impôt à la source
pour le canton du Jura.
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CONCLUSION
Sur le plan des recettes fiscales, le système d'impôt à la source apparait plus avantageux pour les
cantons. Un tel changement nécessite toutefois la dénonciation de l'accord fiscal du 11 avril 1983 avec
la France (http://goo.gl/jy7X5).
L'article 7, alinéa 3 précise les modalités de cette dénonciation :
« La dénonciation doit être notifiée par la voie diplomatique avec un préavis minimum de six mois avant
la fin de chaque année civile. Dans ce cas, l'Accord s'appliquera pour la dernière fois aux
rémunérations perçues au cours de l'année civile pour la fin de laquelle la dénonciation aura été
notifiée. »
Actuellement, toute une série d’accords fiscaux entre la Suisse et la France sont en révision ou discutés. Par
euphémisme, nous constaterons simplement que les positions des deux pays sont éloignées et que le
climat des discussions est quelque peu tendu. Néanmoins, pour les cantons ne connaissant pas l’impôt à la
source, il serait financièrement intéressant d’envisager également une révision de la fiscalité des frontaliers.
Delémont / Genève, le 11 septembre 2012
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