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Alejandra Pizarnik Toute la nuit écrite sur le mur écaillé du mal de vivre Toute la nuit je fais la nuit. Toute la nuit tu m’abandonnes lentement comme l’eau tombe lentement. Toute la nuit j’écris pour chercher qui me cherche. Mot à mot, j’écris la nuit. Introduction Alejandra Pizarnik, peu connue et célébrée en France, est presque l’objet d’un culte dans sa patrie, l’Argentine, mais aussi dans le monde hispanophone. Sa noirceur, ses invocations amères, son suicide, auraient pu en faire un poète maudit. Il n’en fut rien, tant elle fut éditée et reconnue de son vivant. Mais la barrière, faite des tessons de la mort, édifiée dans son œuvre, effraie et tient en respect sans doute. Un voile noir couvre ses mots, elle glace et elle bouleverse tout à la fois. « Ne pas oublier de se suicider. Ou trouver au moins une manière de se défaire du je, une manière de ne pas souffrir. De ne pas sentir. De ne pas sentir surtout » (Journal, le 30 novembre 1962). La manière sera le suicide, mais jusqu’au bout elle sentira, elle ressentira son « je » écartelé, qui la happe vers le vide. Elle luttera pour circonscrire « l’épave en elle ». Elle aura appelé à jamais, parlé avec terreur et innocence pour pouvoir nommer ce qui n’existe pas. Elle aura su parler comme la nuit, comme elle calcinée d’absolu. Elle était un poète mystique sans dieu. J’écris contre la peur. Contre le vent avec des griffes qui se loge dans ma respiration. Cette « tristesse fermée » dont parle Yourcenar s’est ouverte à nous par les traductions de Silvia Baron Supervielle et Claude Coufon. Elle est communicable, si proche de nous. Un météore est passé laissant une trace simple et aveuglante derrière lui. Alejandra Pizarnik écrivait face à la nuit, face aux murs, qui se sont alors brisés pour n’être que trace de son passage, de la poussière de ses mots. Hantée par les fissures, les lézardes des choses, elle portait en elle celles enfouies dans ses os de sa vie, de son angoisse existentielle. Toutes les chambres abandonnées de son enfance mais remplies des paroles qui brûlent encore, de ses amours obscurs, de ses amitiés fortes, de ses amours brèves, dernière rambarde contre la mort, et toujours la main des jours qui lui serrait la gorge. Cette fascination absolue du vide, du rien, du chaos, elle ne pourra que la déployer dans sa solitude et sa peur de mourir, sa peur de vivre. Mais rien n’arrêtera le vide rongeant l’être. Elle rêvait, de l’immensité des rêves, de la disparition à venir, des nuits fortes des crues du chagrin, des inondations de l’horreur. Le vent passe en elle, trouée par ses terreurs, couchée en chien de fusil sur sa vie, et sa solitude avait des ailes. Lumineuse, transparente, Alejandra Pizarnik, fille des miroirs et du vent amer, pouvait être solaire même au cœur de ses chutes. Dans son palais de mots, dans son palais de glace, la lumière inonde et fascine. « Le souffle de la lumière dans mes os lorsque j’écris le mot terre. Parole, ou présence, suivie par des animaux parfumés ; triste comme soimême ; belle comme le suicide. Et qui me survole comme une dynastie de soleils » (Cité par Terres de femme). Alejandra Pizarnik irradie par la densité de ses mots, par leurs brièvetés en résonance avec la brièveté de sa vie. Elle aura fait de son existence « cette cérémonie trop pure » qui nous hante encore : Écrire, c’est donner un sens à la souffrance. J’ai tellement souffert qu’on m’a déjà chassée de l’autre monde. Écrire, c’est vouloir donner un sens à notre souffrance. (Journal novembre 1971). Le peu de sa vie Nous vivons ici-bas une main serrée sur la gorge. Que rien ne soit possible était chose connue de ceux qui inventaient des pluies et tissaient des mots avec la torture de l'absence. C'est pourquoi il y avait dans leurs prières un son de mains éprises du brouillard. Alejandra Pizarnik Alejandra Pizarnik est née près de Buenos Aires le 29 avril 1936, à Avellaneda, dans une famille d’immigrants juifs de Galicie, émigrée en 1934. Chez elle on parle surtout le yiddish, car ses parents auront bien du mal à apprendre l’espagnol. Son nom était Flora Alejandra Pozkarnik, simplifié par les fonctionnaires en Alejandra Pizarnik. Elle fait ses études après avoir essayé bien des voies : faculté de philosophie et de Lettres, puis formation littéraire, fac de journalisme et atelier de peinture. Mais « elle ne peut et ne veut « qu’écrire ses rêves ». Elle le réalise dès 19 ans, date à laquelle elle publie son premier recueil. Reconnue, admirée elle mène une vie littéraire et sociale importante, se liant avec des poètes et surtout avec sa grande amie, cette sœur tant recherchée, Olga Orozco. Entre 1960 et 1964, elle vit à Paris où elle est pigiste pour un journal espagnol et écrit dans plusieurs journaux et revues. Elle étudie la littérature française à la Sorbonne. Elle se lie d’amitié avec André Pieyre de Mandiargues, Octavio Paz, Julio Cortazar, Yves Bonnefoy, Henri Michaux… Elle traduit aussi des poètes comme Artaud, Michaux, Aimé Césaire, Yves Bonnefoy. Elle est partie prenante de la vie littéraire parisienne. Pourtant en 1964, elle rentre à Buenos Aires, alors qu’elle était venue « pour s’en sortir ». Sa vie, à part quelques voyages, se déroule alors au cœur de sa chère ville Buenos Aires, dans sa minuscule chambre où était épinglée cette phrase d’Artaud : « Il fallait d’abord avoir envie de vivre ». Sa chambre ascétique comprenait un petit tableau noir, lieu d’alchimie de ses mots, polis et repolis pendant ses nuits de veille. Elle continue à publier et reçoit de nombreux prix. Mais cela ne saurait combler l’immense vide existentiel en elle : Ma vie manque, je manque à ma vie. (Journal). Notre besoin de tendresse est une longue caravane (Journal) Et son besoin d’amour est sans fin, orgiaque parfois, bisexuel parfois, mais pour elle la chair est infiniment triste : « Faire l’amour pour être, quelques heures durant, le centre de la nuit » (Journal). Hantée par le travail et par sa mère haïe et adorée, elle dérive encore plus profond dans ses abîmes. La découverte de sa judaïté est tardive, mais elle ne se sent juive que parce que Kafka et Freud sont juifs, pas par culture ni religion. Elle se dira juive mais pas argentine, mais si elle se croit juive errante, elle est profondément ancrée en terre argentine. Après des tentatives de suicide en 1970 et 1971, elle passe ses cinq derniers mois dans un asile psychiatrique. La phase de désintoxication lui est très douloureuse, elle imbibée de drogues, de cigarettes et d’alcool. Rentrée chez elle, rue Montevideo, pour le week-end, elle avale, intentionnellement ou pas, une dose massive de psychotropes – le seconal -, et elle meurt le 25 septembre 1972 à l’âge de 36 ans. Son flirt continu avec le suicide se concrétisait enfin dans un grand baiser final et définitif. Elle « la petite oubliée » a voulu vivre un bref instant de sa vie les yeux grand ouverts, se méfiant de l’ombre de son ombre, du silence qui la désertifiait, de la solitude qui l’étranglait. Mais elle a chanté « d’étoile en étoile, de l’ombre à l’ombre », aimant le vent, sa mémoire en feu. Elle était « une errance nue ». J'ai fait le saut sur moi à l'aube. J'ai laissé mon corps avec la lumière et j'ai chanté la tristesse de ce qui est né. (Arbre de Diane) Le beaucoup de sa poésie Au centre du poème il y a un autre poème, au centre du centre il y a une absence, au centre de l’absence il y a mon ombre. Alejandra Pizarnik aura imploré l’écriture et « sacrifié tous ces jours et ses semaines dans les cérémonies du poème ». Elle écrivait sur son tableau noir ses tentatives de poèmes, les refondant, les ramenant à l’essentiel du sens et de la sensation. Comme un travail de sculpteur elle extrayait le cœur même de l’essentiel, comme un bloc compact violent et étincelant recherchant le poème ultime. Mais le poème ultime est révélation du vide : « Le poème que je ne dis pas/que je ne mérite pas/Peur d’être deux/ sur le chemin du miroir : / quelqu’un qui dort en moi/ me mange et me boit.» (L'arbre de Diane) Elle cherchait elle aussi l’or du temps, le poids du silence, le miroir de l’au-delà des choses. Avec ses mots coupants, suspendus, distants, elle a voulu mourir de la mort. « Tu es amoureuse de la mort » lui disait d’ailleurs un de ses amis. Et pourtant elle aura cette phrase magique : « Si j’ai peur de la mort, c’est à cause de sa couleur » (Journal). Et ses mots « comme pierres précieuses » brillent dans toutes les nuits, suspendus, prêts à se briser, aux portes du dicible, aux portes du silence. Et rien n’est promesse entre le dicible qui équivaut à mentir (tout ce que l’on peut dire est mensonge) le reste est silence sauf que le silence n’existe pas. (Extraction de la pierre de folie). En lisant Alejandra Pizarnik, on peut voir la buée de sa transparence triste. Ce ne sont pas des chants désolés qui sont tracés, mais une lucidité translucide des régions cachées, souvent interdites qui sont derrière tous les poèmes. Il monte de ses écrits une grande innocence. Elle saute, chemise en flammes d'étoile en étoile, d'ombre en ombre. Elle meurt de mort lointaine l'amoureuse du vent. (L'arbre de Diane) Elle voulait « une poésie qui dise l’indicible – un silence. Une page blanche » (Journal). Et c’est bien une blancheur, parfois blafarde qui monte comme buée de ses poèmes. Elle ne nous console pas, elle nous hante. « Si seulement je pouvais ne vivre qu’en extase, façonnant le corps du poème avec mon corps, rachetant chaque phrase avec mes jours et mes semaines, insufflant dans le poème mon souffle alors que chaque lettre de chaque mot a été immolée dans les cérémonies du vivre » (Journal). Sa production est limitée, elle n’aura publié que 7 recueils, ses récits humoristiques ne trouvant pas preneur. Mais dans son œuvre elle a quand même réussi à dire « la parole introuvable », luttant corps à corps avec les mots, les cernant, les brisant pour leur faire rendre gorge, leur faire avouer leur secret ultime, finissant par les entraîner avec elle au fond de sa solitude totale. La carence Je ne connais pas les oiseaux, je ne connais pas l’histoire du feu. Mais je crois que ma solitude devrait avoir des ailes. Solitude faite de peurs, de fumée et de miroirs, de conscience du vide, et surtout de silence et de soif. Elle a su « connaître le nom de ce qui n’existe pas ». Elle l’aura fait avec les pauvres mots de ce monde, elle qui était dans l’entre-monde. J'étais la source de la discordance, la maîtresse de la dissonance, la petite fille de l'âpre contrepoint. Je m'ouvrais et je me fermais dans un rythme animal très pur. (Poèmes inédits) Ces poèmes comme « des os qui brillent dans la nuit », défient l’avenir dont elle avait tant peur. Somnambule de son propre être, elle errait au travers du miroir sans tain des jours et des nuits. Elle vient vers nous, celle qui dépassant la vision des gouttières du monde disait « la rébellion est de regarder une rose ». Elle se voyait comme une fleur qui s’ouvre et dévoile qu’elle n’a pas de cœur. Elle en avait un, mais il était en lambeaux de sang. Elle était celle qui écrit, celle qui tremble, seule face au silence de son écriture. « Cette chose qui tombe en silence » et qui pousse des cris de louve dans ses poèmes. Sa peur de la folie l’amène à l’autodestruction, déclinant pour elle cette phrase de Dylan Thomas : « Je veux déchirer ma chair ». Sa poésie sera une vaste entreprise de conjuration d’elle-même. « Qui suis-je ? » aurait pu être le titre de tous ces poèmes. De ses beaux yeux verts et myopes elle regardait à l’intérieur de soi. Et ce combat l’épuisait : « Mon désir de mourir vient de mon incapacité à être à l‘intérieur de moi-même » (Journal). Écrire des poèmes était pour elle vital, seul rempart contre la mort et les tremblements. « La condition même de mon corps vivant et se mouvant est la poésie » (Journal). Sur son petit tableau noir ce dernier poème, non recopié sur son cahier d’écolière comme habituellement : Créature en prière en rage contre la brume Écrit Au crépuscule contre l’opacité je ne veux plus aller nulle part qu’au tréfonds Oh vie oh langage oh Isidore (septembre 1972) Traduction Anne Picard. « Alejandra Pizarnik fut un grand silence mis en mots. A peine un moineau aux ailes de condor : poète immense » (Cristina Castello). Gil Pressnitzer Choix de textes Arts invisibles « Toi qui chantes toutes mes morts, Toi qui chantes ce que tu ne livres pas au sommeil du temps, décris-moi la maison vide, parle-moi de ces morts habillés de cercueils qui habitent mon innocence. Avec toutes mes morts je me remets à ma mort, avec des poignées d’enfance, avec des désirs ivres qui n’ont pas marché sous le soleil, et il n’y a pas une parole matinale qui donne raison à la mort, et pas un dieu où mourir sans grimaces. » Les Aventures perdues, Actes Sud, 2005, Silvia Baron Supervielle et Claude Couffon Cold in Hand Blues et qu'est-ce que tu vas dire je dirai seulement quelque chose et qu'est-ce que tu vas faire je me cacherai dans le langage et pourquoi j'ai peur (L'Enfer musical, 1971, traduction Silvia Baron Supervielle et Claude Couffon) Il faut sauver le vent Les oiseaux brûlent le vent dans les cheveux de la femme solitaire qui revenant de la nature tisse des tourments Il faut sauver le vent. (L’arbre de Diane, traduction Silvia Baron Supervielle) Présence ta voix là où les choses ne peuvent s’extraire de mon regard elles me dépouillent font de moi une barque sur un fleuve de pierres si ce n’est ta voix pluie seule dans mon silence de fièvres tu me détaches les yeux et s’il te plaît que tu me parles toujours (traducteur inconnu) Le chien de l’hiver mordille mon sourire. C’était sur le pont. J’étais nue et je portais un chapeau à fleurs et je traînais mon cadavre également nu et avec un chapeau de feuilles mortes. (Un songe où le silence est d’or, traducteur inconnu) Exercice pour la main gauche En passant dans l’obscurité vers un nuage de silence vers un nouveau silence compact qui brûlera lorsque je ferai silence différemment ce sera comme un tatouage comme ses yeux bleus soudain enchâssés dans les paumes de mes mains indiquant l’heure du silence le plus beau auquel nul n’a jamais imposé silence alors je n’aurai plus peur d’être moi et de parler de moi car je serai diluée dans le silence ce que je dis est promesse (extrait du Journal 1964 traduction Anne Picard) Le Réveil (El Despertar, 1958) Ô Seigneur la cage est devenue oiseau et s´est envolée et mon cœur est devenu fou il hurle à la mort et sourit à mes délires à l´insu du vent… Que ferai-je de ma peur? Que ferai-je de ma peur? La lumière de mon sourire ne danse plus les saisons ne brûlent plus les colombes de mes songes. Mes mains se sont dénudées et sont allées là où la mort enseigne à vivre aux morts. Ô Seigneur l´espace condamne mon être. Et derrière lui des monstres boivent mon sang C´est le désastre. C´est l´heure du vide sans vide, il est temps de verrouiller mes lèvres, d´écouter crier les condamnés, contempler chacun de mes noms suspendus dans le néant... Ô Seigneur jette les cercueils de mon sang… Je me souviens de mon enfance, lorsque j´étais vieille et que les fleurs mouraient entre mes mains car la danse sauvage de mon allégresse leur détruisait le cœur. Je me souviens des sombres matins de soleil quand j´étais petite fille, c´était hier, c´était il y a des siècles. Ô Seigneur la cage est devenue oiseau et a dévoré mes espérances. Ô Seigneur la cage est devenue oiseau et que ferai-je de ma peur? Les Aventures perdues (Las aventuras perdidas, 1958) – Traduction Noëlle-Yábar Valdez. L’Obscurité des eaux « J’écoute résonner l’eau qui tombe dans mon rêve. Les paroles tombent comme l’eau je tombe. Je dessine dans mes yeux la forme de mes yeux, je nage dans mes eaux, je me dis mes silences. Toute la nuit j’attends que mon langage me configure. Et je pense au vent qui vient à moi, perdure en moi. Toute la nuit j’ai marché sous la pluie inconnue. À moi ils me donnèrent un silence plein de formes et de visions (tu dis). Et tu cours déchirée comme l’unique oiseau dans le vent. » L'Enfer musical, Œuvre poétique, Actes Sud Derrière la parole le chaos. Le hurlement n'accède à aucun monde. Je chante. Nulle invocation. Rien que des noms qui reviennent. Tu choisis la blessure, le lieu où nous parlons notre silence. Et tu fais de ma vie cette cérémonie trop pure. (Les travaux et les nuits, 1965). Adaptations personnelles Ombres du jour à venir a Ivonne A. Bordelois Demain je m’habillerai de cendres à l’aube Me remplirai la bouche de fleurs Dans la simple mémoire d’un mur j’apprendrai à dormir dans la respiration d’un animal qui rêve Chambre seule La vérité de ce vieux mur si tu oses me la demander et ses fissures, ses déchirures formant visages, sphinx mains, sabliers viendra alors inéluctablement une présence pour ta soif sans doute s’en ira cette absence qui te bois (Les Travaux et les Nuits) Dans l’attente de l’obscurité Ce moment que tu ne peux pas oublier Tellement ton vide profond fut renvoyé par des ombres Tellement ton vide fut rejeté par les montres Ce pauvre instant que je pris pour tendresse Nues toutes nues les ailes de sang Sans les yeux souviens-toi des angoisses d’antan Sans les lèvres pour recueillir le jus de la violence Perdue dans le chant des clochers de glace. Jeune fille aveugle de mon âme protège-toi Jette des cheveux couverts de givre dans le feu Serre contre toi la petite statue de la terreur Plie à tes pieds le monde convulsé à tes pieds là où meurent les hirondelles tremblantes de peur de l’avenir qui vient Dis que le soupir de la mer humidifie les mots uniques fait que la vie vaut la peine d’être vécu. Mais de cet instant suinte le néant Blottis-toi dans la caverne du destin Sans des mains pour dire jamais Sans des mains pour offrir des papillons Aux enfants morts. Nuit Ne sais où aller ici où là singuliers tournants dénudés suffit de courir ! tenir mes tresses de nuit tombée pellicules et eau de Cologne rose allumette brûlée de la cire création sincère en sillons de cheveux la nuit dénoue ses bagages de blancs et noirs arrêter de jeter son avenir La nuit Je connais si peu de la nuit mais la nuit semble bien me connaître et plus encore elle m’assiste comme si je le désirais elle recouvre l’existence avec ses étoiles Peut-être la nuit est-elle la vie et le soleil la mort. Peut-être que la nuit n'est rien toute conjoncture à ce sujet n’est rien et rien les êtres qui l’ont vécu Peut-être que les mots seraient tous là uniques dans l’immense vide des siècles on fouaille l’âme avec leurs souvenirs mais la nuit sait la misère qui boit notre sang et nos idées elle doit vomir nos regards sachant notre trop plein d’intérêt et de confusion Mais il se peut que j'entende pleurer la nuit dans mes os Ses immenses larmes délirantes et ses cris parce que quelque chose s’en est allé depuis toujours. Redevenir encore une fois un être. À l’aube Nue résonnant d’une nuit solaire là gisante dans les jours animaux. Le vent et la pluie m’ont effacé comme un feu, comme un poème écrit sur un mur. Chant nocturne Joe, macht die Musik von damals nacht ... (Jo rejoue moi encore la chanson de la nuit d’avant) Celle qui est morte dans sa robe bleue chante maintenant Chant imprégné de mort et du soleil de son ivresse dans sa chanson il y a une robe bleue, il y a un cheval blanc, il y a un cœur vert tatoué des échos de son cœur mort. Ouverte à tous les vents de la destruction, elle chante pour la petite fille perdue : son amulette pour conjurer le sort. Et il passe de la brume verte sur ses lèvres et dans ses yeux du gris très froid, sa voix abolit la distance qui s’ouvre entre son être et sa main qui cherche son verre. Elle chante. Cendres La nuit pourfend les étoiles regards hallucinés l’air rejeté et haï embellit son visage avec de la musique Bientôt nous irons arcanes ensommeillées Ancêtre de mon sourire le monde est décharné et il n’est pas de clés pour le cadenasser et il n’est pas de larmes pour la peur. Que faire avec moi ? Car à toi je dois ce que je suis mais je n‘ai aucun lendemain Parce que tu es toi… La nuit souffre. Froid dans la main du blues et que dire dire seulement cela et puis aller se cacher dans la langue et pourquoi vais-je avoir peur. Anneaux de cendres À Cristina Campo Et ma voix chante de ne point les chanter, cette grisaille bâillonnée à l’aube, cette parure d’oiseau ravagé dans la pluie. Là, dans l’attente, une rumeur d’un lilas rompu. Et là, quand vient le jour, un partage du soleil en de petits soleils noirs. Et quand vient la nuit, toujours, une tribu de mots mutilés cherchant asile dans ma gorge parce que je ne les ai point chantés, eux les funestes, les maîtres du silence. L’éveil Je me souviens des noirs matins du soleil... Seigneur j'ai vingt ans Mes yeux aussi ont vingt ans et cependant ils ne disent rien... Seigneur Ma vie s'est consumée en un instant La dernière innocence s'en est allée Maintenant c'est jamais pour toujours ou simplement ce fut... Comment ne pas me tuer dans un miroir et disparaître et réapparaître dans la mer où m'attends un grand bateau avec toutes ses lumières allumées? Comment puis-je me sortir les veines et en faire une échelle pour fuir à travers la nuit? ... Mais mes bras veulent encore embrasser le monde ils n’ont rien appris il est trop tard.... (Fragments extraits du recueil Les Aventures Perdues) Bibliographie Bibliographie en espagnol : La tierra más ajena, (La Terre la plus contraire)1955 La última inocencia, (La Dernière Innocence), 1956 Las aventuras perdidas, (Les Aventures perdues), 1958 Árbol de diana, (Arbre de Diane), 1962 Los trabajos y las noches, (Les Travaux et les Nuits), 1965 Extracción de la piedra de locura, (Extraction de la pierre de folie), 1968 Nombres y figuras, (Nombres et figures), 1969 El infierno musical, (L’Enfer musical ),1971 Los pequeños cantos,( Les petits chants) 1971 La condesa sangrienta, (À propos de la comtesse sanglante),1971 Publications posthumes Zona prohibida, (Zone interdite), poemas, 1982 Textos de la sombra y últimos poemas,( Texte de l'ombre et derniers poèmes),1982 En français : Où l’avide environne, poésie, traduction de Fernand Verhesen, Éditions Le Cormier, 1974; avec un poème “in mémoriam” de Robero Juaroz. L’Enfer musical, Éditions Payot, « Petite collection poétique », 1975. Poèmes, anthologie, traduits par Claude Couffon, Centre culturel argentin, « Nadir » n° 8, 1983. L'autre rive, traduction de Jacques Ancet, Éditions Unes, 1983. Les Travaux et les nuits. Œuvres poétiques 1956-1972, préface d’Octavio Paz, traduit de l’espagnol par Silvia Baron Supervielle et Claude Couffon, Éditions Granit, 1986 À propos de la Comtesse sanglante, traduction Jacques Ancet, Éditions Unes, 1999 Œuvre Poétique, traduction de Silvia Baron Supervielle et Claude Couffon, préface de Silvia Baron Supervielle, postface d'Alberto Manguel, Actes Sud, 2005. Journaux 1959-1971, édition établie et présentée par Silvia Baron Supervielle et Claude Couffon, traduction Anne Picard, édition José Corti 2010.