Les voitures de socit pnalises

Transcription

Les voitures de socit pnalises
Les voitures de société pénalisées ?
Le dernier conclave budgétaire faisait état d’un alourdissement de la taxation des
voitures de société. Nous faisons le point de la situation de cette matière très
controversée.
Les voitures que les entreprises mettent à disposition d'une frange de plus en
plus large de leur personnel suscitent décidément bien des convoitises fiscales et
manoeuvres politiques.
Voici un an, quelques caciques de l'administration tentaient un coup de force en
proposant une interprétation très sévère de l’avantage en nature lié à l’usage
d’une voiture de société. Le ministre des Finances a éteint l'incendie par le biais
d'une circulaire (datée du 5 février 2004) alignant les entreprises privées sur le
système en vigueur depuis 1999 dans l'administration. L'avantage en nature
représenté par cette fameuse « voiture de société » représente aujourd'hui
forfaitairement 5.000 km par an pour les salariés habitant à moins de 25 km de
leur lieu de travail et 7.500 km pour les autres. Pour l'entreprise, rien n'a
changé : elle doit s'acquitter d'une cotisation de solidarité de 33 % sur ledit
avantage en nature.
Le feu couvait toutefois sous la cendre. Au gouvernement, en effet, d'aucuns ne
peuvent se résoudre à voir une part grandissante de la population profiter de
cette rémunération indirecte bénéficiant d'un traitement fiscal incontestablement
avantageux. Deux arguments ont présidé à la modification du régime d'imposition
des voitures de société annoncée dans le cadre du dernier conclave budgétaire.
Le premier est le caractère plus écologique du nouveau système ; en réalité,
comme on le verra, ce « verdissage » de la pilule passe totalement à côté du vrai
problème.
Le second est d'une toute autre nature : deux tiers des entreprises ne payent pas
la cotisation de solidarité normalement due sur les voitures de société, a-t-il été
déclaré à l'envi. Privées de toute explication complémentaire, certaines de ces
déclarations ont ouvert la porte aux plus noirs soupçons : ces entreprises ontelles pris le maquis, leur comptabilité est-elle occulte ? La vérité est beaucoup
plus prosaïque : elles facturent la voiture de société à leurs employés, au niveau
de l'avantage en nature. Celui-ci est donc ramené à zéro et 33 % de zéro, cela
fait zéro ! Les finances publiques seraient donc lésées. C'est faux : comme on le
verra, ce système coûte plus cher en sécurité sociale ! De toute manière, on
imposera l'an prochain une cotisation sur les voitures de société, quel que soit le
système choisi par l'entreprise. Plus question de l'esquiver !
Avant d’aller plus loin, faisons un bref rappel d'un principe de base : une
rémunération est frappée à la fois d'une ponction fiscale, de l'impôt sur le revenu,
et d'une cotisation sociale. Les cotisations sociales ordinaires se montent à 35 %
de la rémunération dans le chef de l'employeur et à 13,07 % dans celui de
l'employé. A l'origine, l'avantage que constitue l'usage d'une voiture de société
n'était toutefois pas défini de la même manière sur le plan fiscal et sur le plan
social. Pour le fisc, cet « avantage de toute nature » est constitué non seulement
des kilomètres parcourus à titre strictement privé, pour faire ses courses ou aller
en vacances par exemple, mais également des trajets effectués entre le domicile
et le lieu de travail. L'Office national de sécurité sociale (ONSS), de son côté, ne
retenait comme avantage que les kilomètres strictement privés. Il marque
d'ailleurs sa différence sur le plan linguistique également en utilisant le vocable
« avantage rémunératoire ».
L'imposition de la voiture de société tenait dès lors de l'imbroglio : alors qu'on se
contentait d'une moyenne forfaitaire pour le fiscal, il aurait fallu une approche
individuelle pour le social. De nombreuses entreprises ne déclaraient en
conséquence pas les véhicules en question à l'ONSS, pour se simplifier le travail.
Quoi qu'il en soit, la situation change complètement le 1er janvier 1997 : la
voiture de société est exonérée des cotisations sociales ordinaires, mais celles-ci
sont remplacées par une « cotisation de solidarité » de 33 % calculée sur
l'avantage de toute nature tel que défini par le fisc.
Cet alignement du social sur le fiscal constitue à la fois une simplification
bienvenue... et un accroissement de la charge qui l'est beaucoup moins.
L'attribution d'une voiture de société à un employé, comme à un dirigeant
d'entreprise d'ailleurs, peut se faire de diverses manières. Si elle remplace une
(grosse) augmentation de salaire ou salue une promotion, elle constituera
souvent un avantage « sec », comme on dirait dans d'autres secteurs, c'est-àdire sans contrepartie financière de la part du bénéficiaire. Ce dernier verra dès
lors apparaître l'avantage en nature que représente la voiture sur sa fiche de
rémunérations. Soit dit en passant, le fait que le même montant soit ensuite
soustrait du salaire après impôts ne signifie absolument pas que l'entreprise
facture cet avantage au salarié. Le montant est déduit du salaire à payer pour la
simple et bonne raison que cette rémunération ne doit par définition plus être
payée !
La valorisation de cet avantage est basée sur la puissance fiscale du véhicule et
sur le nombre de kilomètres que le salarié parcourt chaque année à des fins
privées. Depuis la circulaire du 5 février 2004 évoquée plus haut, ces derniers
sont donc forfaitairement fixés à 5.000 ou 7.500 km. Très concrètement, une VW
Golf diesel de 1997 affiche 10 chevaux fiscaux (CV) et est tarifée 0,2928 EUR le
km dans le barème de l'administration fiscale, un montant indexé chaque année.
Suivant qu'il habite à moins ou à plus de 25 km de son lieu de travail, le
bénéficiaire du véhicule verra donc apparaître 1.464 EUR ou 2.196 EUR par an
sur sa feuille de salaire, au titre de cet avantage de toute nature. De son côté,
l'entreprise est redevable d'une cotisation de solidarité équivalant à 33 % de cet
avantage en nature, soit 483,12 EUR ou 724,68 EUR.
Tableau 1 : voir annexe
Il est toutefois de plus en plus fréquent que la voiture de société soit facturée à
son utilisateur, en tout ou en partie, par le biais d’une diminution de salaire. A
défaut de promotion spectaculaire, en effet, un pareil « cadeau » peut
difficilement se justifier, dans le chef de l’employeur en tout cas… On transforme
alors simplement une rémunération fort taxée dans ses tranches supérieures en
une rémunération moins lourdement ponctionnée, suivant en cela le principe bien
connu des fiscalistes qu’il « est parfaitement licite de choisir la voie la moins
imposée ».
D’aucuns murmurent que d’autres motifs peuvent présider à ce choix.
Notamment le fait qu’une rémunération ainsi annulée n’en est plus vraiment une,
ce qui diminue d’autant l’indemnité qui serait à verser au bénéficiaire en cas de
rupture de contrat. Mais sans doute ne sont-ce là que de vilaines pensées…
Quoi qu’il en soit, c’est ici que le bât blesse au niveau des autorités. Cette
facturation diminue l’avantage en nature ou le fait même disparaître, entraînant
la cotisation de solidarité dans la même spirale déflationniste. D’où la réforme
proposée. Il convient toutefois de souligner que le propos n’est de toute manière
pas aussi fondé qu’il n’y paraît. Ainsi qu’il ressort de l’exemple illustré au tableau
2, l’entreprise qui facture la voiture de société à son utilisateur a en réalité choisi
la voie la plus imposée. C’est logique, puisque la facturation de cet avantage en
nature se fait au niveau du salaire net. En d’autres termes, cet avantage supporte
les cotisations sociales ordinaires, qui sont plus lourdes.
Tableau 2 : voir annexe
En prenant pour exemple un cadre supérieur au salaire brut de 100.000 EUR et
habitant à plus de 25 km de son lieu de travail, le tableau 2 dresse d'abord la
situation avec facturation (étape 1). C'est sur la base du coût brut final ainsi
calculé pour la société qu'il établit ensuite (étape 2) la situation en l'absence de
facturation. Il saute aux yeux que le salarié perçoit ici 207 EUR de plus. Cette
différence est uniquement le fait des cotisations sociales, et même au-delà
d'ailleurs. Si l'entreprise facture, l'ONSS perçoit en effet (32.686,78 + 13.004,27
=) 45.691,05 EUR ; si elle ne facture pas, ce montant revient à (31.949,46 +
12.710,93 + 794,48 =) 45.454,87 EUR. Tout en échappant à la cotisation de
solidarité, l'entreprise qui facture la voiture a donc, dans ce cas-ci, versé à l'ONSS
236,18 EUR de plus !
Il n'est pas certain que les entreprises pratiquant la facturation soient toutes
conscientes de ce jeu de dupes. Le gouvernement non plus, ou alors il fait
semblant. Il lance en tout cas un système nouveau. Exit la cotisation de
solidarité, voilà la cotisation CO2.
Elle sera due qu'il y ait on non facturation et elle est forfaitaire : aucune
distinction n'est faite entre les 5.000 et 7.500 km annuels de l'avantage fiscal.
Cette taxe est progressive, en fonction des émissions de CO2 du véhicule en
question. La grille s'en réfère aux classes A à G définies sur cette base par le SPF
Environnement dans son Guide de la voiture propre, qui reprend tous les modèles
vendus en Belgique. On peut trouver cette liste à l'adresse Internet :
http://www.environment.fgov.be/.
Tableau 3 : voir annexe
Cette approche supposée écologique est dénoncée avec virulence par les
professionnels du secteur. Certes, elle est à première vue fondée sur des bases
objectives. Avec quelques réserves pourtant. D'abord, les tranches sont fort
larges, ce qui pénalise ou, à l'inverse, favorise un peu indûment certains modèles.
Ensuite, seules les émissions de CO2 sont retenues, et ceci uniquement sur base
de la consommation du véhicule, ce que certains scientifiques jugent insuffisant
comme approche.
De toute manière, on passe complètement à côté du vrai problème : ce sont les
voitures anciennes qui polluent le plus. Les véhicules de société, le plus souvent
renouvelés après quatre ans, sont de loin les plus propres du parc. « Un million
de véhicules sans pot catalytique circulent encore sur les routes belges », précise
le porte-parole de la Febiac, la Fédération belge de l'industrie de l'automobile et
du cycle. Pas étonnant dès lors que 20 % des voitures, qui assurent 15 %
seulement du kilométrage total, soient responsables de 75 % des émissions.
L'emballage vert de la mesure est donc pour le moins fallacieux. Sa seule
justification est l'impossibilité, politique en tout cas, morale peut-être aussi, de
taxer les vrais pollueurs, à savoir les personnes à faible revenu qui ne peuvent se
payer qu'un véhicule usagé. Les pollueurs ne sont pas toujours les payeurs...
L'alignement de la taxe sur les émissions de CO2 pourrait toutefois présenter un
avantage pour les entreprises. Ces émissions sont en effet en constante
diminution : -13 %, en moyenne, entre 1995 et 2003, pour les véhicules à
essence et -14,4 % pour les moteurs diesel. On devrait encore gagner quelque
10 % d'ici 2009. Pour peu que la grille actuelle soit maintenue en l'état... et que
le gouvernement ne se ravise pas, la taxation est donc appelée à baisser au fil du
temps.
En attendant, vers quoi se dirige-t-on sur le terrain ? Le tableau ci-après résume
la situation, au travers de 10 modèles retenus pour offrir un spectre assez large
de situations. Il a été largement affirmé que le système CO2 favorisait les petites
voitures. Ce n'est pas faux, mais on relève aussi et surtout qu'il favorise les
modèles diesel : à puissance égale, leur consommation est moindre et, partant,
leurs émissions de CO2 également. Les modèles à boîte automatique se trouvent
dans une situation inverse.
Tableau 4 : voir annexe
Autre constat : l'employé habitant à plus de 25 km de son lieu de travail ne
représentera à l'avenir plus de surcoût au niveau de la cotisation à payer sur la
voiture de société. Cet avantage relatif, très relatif même en regard du coût total
de son véhicule, ne devrait toutefois pas pousser les entreprises à écarter la
candidature d'un postulant habitant la même commune... Au total des 10
situations retenues, le surcoût du nouveau système n'est « que » de 11,7 % pour
ces navetteurs, contre pas moins de 67,4 % pour les « voisins » ! Il reste qu'il y a
donc bel et bien surcoût pour les entreprises qui payent aujourd'hui la cotisation
de solidarité, contrairement à ce qui a été affirmé ici et là. Sous réserve,
rappelons-le, que les données en notre possession au moment d'écrire ces lignes
soient officiellement confirmées.