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TOUZEAU
BETTY
N°209958
MEMOIRE DE LICENCE
L’EVOLUTION DU WU XIA PIAN A HONG KONG
Cécile SORIN
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SOMMAIRE
I. Hong Kong et les Arts martiaux
1. Contexte politique et historique en Chine
2. Arts martiaux
3. Le Wu Xia Pian : définition d’un genre
II. 60’s: l’ Age d’Or du Wu Xia Pian
1. La Shaw Brothers et les arts martiaux
2. L’Hirondelle d’Or de King Hu : un wu xia pian réaliste
3. One-Armed swordsman de Chang Cheh : un wu xia pian barbare
III. 90’s : la nouvelle vague des wu xia pian
1.
2.
3.
4.
Le wu xia pian revient au premier plan
Il était une fois en Chine : un wu xia pian hybride
Les Cendres du temps : un wu xia pian expérimental
Le wu xia pian de nos jours
2
« S’il n’est pas protégé par la fermeté et la souplesse du corps, l’esprit ne peut survivre. Et
réciproquement » (Moines Shaolin)
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II. Hong Kong et les Arts martiaux
4. Contexte politique et historique en Chine
1.1 De l’arrivée du cinéma en Chine à son implantation à Hong Kong
Le cinéma arrive en Chine dès Août 1896, soit 6 mois après la première projection des frères
Lumières à Paris. Les chinois datent de 1905 la naissance de leur cinéma avec un extrait du
« Mont Dingjun », un opéra de Pékin.
Le cinéma chinois trouve ses acteurs dans le répertoire de l’Opéra de Pékin qui emprunte
ses références aux légendes bouddhiques et taoïstes, aux contes folkloriques et aux grands
classiques de la littérature. Dans cet art, les hommes interprètent tous les rôles et même
féminins tandis que dans le cinéma, considéré à cette époque comme une forme d’art
inférieur, les rôles sont tenus par des femmes qui occuperont une place dominante.
Durant cette période du début du cinéma, les écrans sont alors remplis de films d’opéra,
d’arts martiaux et d’adaptation de classiques de la littérature. (Les arts martiaux au cinéma
sont déjà là…)
Mais le début de la première guerre mondiale ralentit énormément la production de films car
les Allemands étaient la source des pellicules et ce n’est pas le changement de régime
politique de 1921 qui arrangera les choses. A cette date, le PCC (Parti Communiste Chinois)
est crée et brise l’industrie cinématographique encore fragile. Alors que la place forte du
cinéma se trouvait à Shanghai dans les années 20, la production se déplacera dans les
années 30 à Hong Kong.
Mais avant le monopole d’Hong Kong, Shanghai fait place forte pendant la période du muet.
En 1922 est crée le premier studio par Zhang Sichuan (une sorte de Griffith chinois) : la
Mingxing. Elle connaîtra ses premiers concurrents à Canton et surtout aux Etats-Unis.
Pendant cette période, le public raffole du cinéma américain et il est très difficile d’ attirer le
spectateur dans les salles pour un film chinois.
Un des premiers film sonore date de 1931 : La chanteuse pivoine rouge de Zhang Sichuan.
L’avènement du cinéma parlant des années 30 marque l’opposition entre différents dialectes
de la Chine. Comme Hong Kong est un centre de production en Cantonais il est freiné par le
gouvernement de Guomindang qui veut alors favoriser le Mandarin et qui plus est, qui banni
les films d’arts martiaux les percevant comme une glorification des réactionnaires.
En 1934, un des premier frère Shaw s’installe à Hong Kong pour y produire des films parlant
en cantonais. Jusqu’en 1937, toute la production était centrée à Shanghai, maintenant elle
change de cap. Le tournage du premier film d’arts martiaux à Hong Kong (Fang Shiyu’s
battle in the boxing ring ) apparaît en même temps que le début de la guerre sino-japonaise
en 1938. Cette guerre fait émerger le genre des films patriotiques sur des chinois résistants.
Hong Kong est pris par les japonais en décembre 1941, ce qui stoppe la production…Mais la
colonie retourne aux mains des britanniques en 1945 et reprend son élan.
Pendant la guerre civile et jusqu’à la fin de la révolution culturelle (1976) une partie des
cinéastes engagés rejoint l’armée populaire de libération de Mao Tsé Tong. La plupart se
réfugient à Hong Kong où ils fondent ce qui va devenir une autre métropole
cinématographique.
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1.2 Le centre du cinéma chinois à Hong Kong
Après le triomphe de Mao en 1949, Hong Kong se met aux films de genre (comédies,
crimes, films d’arts martiaux…)
Jusqu’au début 1960, les lieux de projection dans les campagnes se multiplient et le cinéma
devient une distraction populaire. Les spectateurs veulent des comédies de situation
reflétant les problèmes de la réalité quotidienne : différence riches/pauvres, évolution de la
condition de la femme, place de la tradition confucéenne dans la régulation des rapports
sociaux…Le renouveau du wu xia pian début 1960 sera donc le bienvenu puisque prônant
une tradition chevaleresque héroïque.
Début 1960, la production des films mandarins est dominée par 2 grand studios : la Shaw
Brothers et MP&GI (Motion Picture and General Industry). La SB est digne d’un grand studio
hollywoodien et dominera jusque dans les années 1970. Elle explose avec le genre du Kungfu et son protégé Bruce Lee. C’est le début de l’ouverture occidentale avec les arts martiaux.
Mais le contexte politique est encore très surveillé et l’économie est difficile, ce qui provoque
une baisse de la production. La révolution culturelle de 66 à 76 n’arrange rien. En plus, le
cinéma mandarin chute car le retour du cantonais explose et triomphe dans les années 80.
Dans les années 70, c’est le cinéma de la violence qui prend place. En 1973, 71 millions de
tickets de cinéma sont vendus pour 4,3 millions d’habitants ! Taux de fréquentation record.
Les réfugiés affluent des frontières chinoises et l’économie provoque une augmentation des
loyers alors que les salaires sont insuffisants. La criminalité augmente. Bref, sur les écrans
ça explose. La liberté dans le contenu des films progresse rapidement : développement d’un
genre érotique, violence dans les films (style plus graphique et intense sous l’influence des
films d’arts martiaux), plus de sexe, plus d’action…
Hong Kong a un statut dominant sur le marché cinématographique de l’Asie de l’Est et cela
attire l’attention de l’Occident.
Les années 80 seront marquées par la nouvelle vague de jeunes cinéastes venant de
l’Académie du cinéma de Pékin et diplômés en 1982. Cette « classe 82 » apporte un cinéma
qui retourne aux racines chinoises (Tsui Hark, Ann Hui…)
Malheureusement, les années 90 marquent le déclin de l’industrie cinématographique
hongkongaise avec une chute des ventes de billets. Les causes sont multiples et difficiles à
solutionner : le public préfère les blockbusters américains ; la crise financière et l’approche
de la rétrocession font fuir de grands noms aux Etats-Unis (John Woo, Chow Yun Fat,
Michelle Yeoh, Jet Li, Jackie Chan…) ; le développement des multiplexes a provoqué une
augmentation du prix des billets ; le nombre de piratage et de consultation sur Internet sont
catastrophiques et surtout la censure les accable dans leur propre pays.
5. Arts martiaux
2.1 Arts martiaux et cinéma Hongkongais
Les arts martiaux ont tout d’abord fait l’objet d’adaptation dans des cérémonies et théâtre de
rue avant d’être adapté cinématographiquement.
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L’apparition du terme d’ « arts martiaux » remonte au cinéma muet de Shanghai des années
20. La majorité de ces films repose sur des récits chevaleresques basés sur des exploits
d’escrimeurs vivants sous d’anciennes dynasties (Song et Ming). Le choix semble être déjà
significatif : environ 250 films d’arts martiaux de cette époque présentent des chevaliers avec
des épées contre une quinzaine qui présentent des héros combattants à mains nues.
La représentation cinématographique des arts martiaux représentent 3 facettes de
l’imaginaire asiatique : un sport de combat, une réalité sociale et un esprit provenant de la
mythologie et surtout des philosophies. Historiquement, la civilisation chinoise semble avoir
évolué en relation avec l’art martial, un élément qui fait partie intégrante de cette civilisation.
La petite rivalité de 1909 avec les japonais n’a donc pas duré puisque la tradition martiale
chinoise est suffisamment riche.
C’est un genre qui a connu de nombreuses difficultés car très controversé.
En 1928, la compagnie Mingxing adapte un des plus célèbre roman d’arts martiaux, Au bord
de l’eau de Shi Nai-An, sous le titre L’Incendie du Monastère du Lotus rouge. C’est un
succès, mais à l’époque de l’agression japonaise contre la Chine en 1932, ce genre sera
critiqué et agressé. Comme dit précédemment, Guomindang ordonnera même l’interdiction
de ces films.
Pendant une courte période, ce genre a dominé le cinéma en tant que genre de
divertissement. Puis, le public n’aime plus, certains y voyant une rétrograde des valeurs
féodales au détriment du progrès social. Du coup, les écrivains partisans du PPC profitent de
cette saturation pour écrire des comédies, drames…Encore un conflit de pensée qui ralentit
ce qui fera la renommé de Hong Kong avec ses films d’arts martiaux.
Mais en 1949 les arts martiaux au cinéma reprennent de l’élan avec entre autre une série à
succès qui sera diffusée jusque dans les années 80 : Huang Feihung.
Plus tard, les arts martiaux mandarins font leur arrivée en 1960.
Le wu xia pian connaît son âge d’or dans le début des années 60 en renouvelant le genre
avec l’essor de la Shaw Brothers puis celui de la Golden Harvest. Tandis que le kung-fu
connaîtra son apogée en 70 avec Bruce Lee.
Le genre des arts martiaux s’essouffle fin 80, mais certains réalisateurs persistent à réitérer
le wu xia dans les années 90 (Wong Kar Wai, Tsui Hark).
2.2 Kung Fu et Wu Xia Pian:
En chinois wushu signifie art martial.
Wu xia signifie combat chevaleresque et Pian : film
Le monde des arts martiaux chinois repose sur le code de l’honneur et les valeurs qui s’y
rapportent sont portées par de nobles idéaux. Le chevalier est un être loyal qui met son épée
au service d’une noble cause. A la différence des chevaliers européens de romans et de
films de cape et d’épée, ils disposent d’une autre force que celle de leur arme : leur force
intérieure.
Bon nombre de sources bibliographiques mélangent kung-fu et wu xia pian, voire inclus le
wu xia dans le genre du kung-fu. Il est vrai que ce sont deux genres qui peuvent à première
vue être indistincts puisque faisant parti tous deux du genre des arts martiaux. Mais la
différence est tout de même de taille.
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Le premier critère de différentiation reste insuffisant à savoir le combat au sabre pour le wu
xia et le combat à mains nues pour le kung-fu. Ce n’est pas tant la manière de combattre qui
distingue ces deux genres qu’un état d’esprit vis à vis des arts martiaux.
Le film de kung-fu met en scène des civils alors que le wu xia se focalise sur des militaires et
en particuliers des chevaliers. Le wu xia s’intéresse plus au pouvoir obtenu par la violence. Il
est beaucoup question de domination, de supériorité guerrière. Les questions du pouvoir sur
autrui et la loi du plus fort sont fondamentales.
Pour résumer, le kung-fu a pour sujet le corps en tant que chair alors que le wu xia met en
scène un corps abstrait qui fait une sorte de dessin dans le cadre, à l’image de la
calligraphie.
Un des premiers Wu Xia Pian, (films de cape et d'épée) sera Li Feifei : une chevalière
errante réalisé en 1925.
Le wu xia pian connaîtra son apogée dans les années 60 tandis que le kung-fu attendra les
années 70 pour exploser avec l’arrivée de Bruce Lee.
6. Le Wu Xia Pian : définition d’un genre
3.1 Une tradition littéraire
Wuxia xiaoshuo signifie roman d’arts martiaux.
Bien avant l’adaptation cinématographique des wu xia pian, les origines de ce genre se
trouvent dans la littérature de chevalerie chinoise.
Des écrits relatant d’épopées chevaleresques remontent aux ères Ming (1368-1644) et
Quing (1644-1911) voire même beaucoup plus tôt lors de la dynastie des Song (960-1127).
Tous ces récits fantastiques font donc partis de la culture et de l’histoire chinoise depuis de
longs siècles.
Au début de cette tradition fantastique, les héros étaient décrits comme mi-hommes mibêtes. Petit à petit ils sont représentés avec des caractéristiques humaines rendant leur
personnage plus identifiable pour les lecteurs.
Ces romans connaissaient généralement un grand succès lors de bouleversement politique,
le peuple pouvant s’identifier à un héros et s’inventer un idéal de vie.
Ces romans ne sont pas comparables aux romans européens de cape et d’épée car le style
en est très différent. Les dialogues constituent l’essentiel de l’intrigue qui, elle, est très
compliquée et évolue dans des décors très sommaire. Le héros est ce qui fait la plus grande
différence entre les deux cultures chinoise et européenne : ils vivent en marge de la société
établie et leur quête est narré de manière très subjective avec très peu de descriptions. Ils
sont libres et autonomes, formant une contre-société échappant à l’emprise impériale.
La règle d’or de ces épopées romanesques est l’imprévu, ce qui fournit de la matière pour
continuer de faire évoluer le héros dans cet univers utopique.
Le peuple est très friand de cette sublimation d’un idéal de vie en mythe littéraire.
Les jeunes intellectuels chinois admirent Walter Scott, Victor Hugo et Alexandre Dumas dans
les années 20. Leurs récits wu xia vont paraître en feuilleton dans de grands quotidiens à
Shanghai puis dans la Chine entière. Ils connaîtront un succès phénoménal.
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L’Age d’or de ces romans a débuté en 1955. De nos jours, les deux grands écrivains de ces
romans chevaleresques qui ont inauguré le nouveau style sont Gu Long et Jin Yong. C'est
Jing Yong qui a influencé le cinéma du wu xia pian des années 50, il a renouvelé le genre.
Ce n'est que vers les années 70 que les romans de Gu Long révolutionnèrent le wu xia pian.
Le renouveau du wu xia pian des années 60 est donc caractéristique de l’évolution du
nouveau style des romans.
L’adaptation cinématographique de ces romans est souvent partielle car de longs passages
de narration non linéaires sont très difficilement adaptables.
Dans la foulée, des dérivés du genre apparaissent à la suite du wu xia pian traditionnel : le
wu xia pian paranormal, parodique, érotique, hybride (kung-fu et wu xia), manga.
Jusqu’aux années 60 ce sont des wu xia pian fantastiques qui font du genre sa renommée, à
partie des années 60 le genre évolue.
3.2 Héros et univers du wu xia pian
Les premiers chevaliers errants historiques remontent à 775 avant JC. La situation des
guerres féodales aboutit à l’organisation de bandes de brigands dont les romans
chevaleresques s’inspireront.
A cette époque ils vivent dans un monde sauvage appelé Jiang Hu, concept abstrait qui
définit le monde des itinérants de la Chine ancienne. Il est socialement hiérarchisé, de
l’émissaire gouvernemental au mendiant.
Peu à peu ces histoires ont pris place dans l’univers des arts martiaux et les romans ont fait
évolués leurs personnages dans le Wu Lin dont la suprématie est quant à elle fondée sur la
valeur au combat. C’est un univers fantastique, irrationnel mais très codifié.
En passant par le héros manchot, érudit, machiste au suicidaire, tous les héros du wu xia
pian sont bien définis et délimités. Ils sont divers car évoluent en même temps que la culture
wu xia à travers les changements historiques, culturels et politiques.
La Chine, régie par la loi du plus fort, est l’arène la plus appropriée pour le héros du wu xia
pian. Il évolue dans un univers autonome et idéalisé et est doté de pouvoirs (il peut voler,
sauter très haut, voire dans l’extrême envoyer des boules de feu) mettant fin aux injustices.
Le monde du wu xia pian a des bases historiques plus ou moins réalistes, accompagnées de
contes et légendes fantastiques. Le héros évolue dans celui-ci et lutte pour la primauté dont
la hiérarchie est fondée, comme dit précédemment, sur la valeur au combat. C’est un
guerrier qui tend à être capable d’instaurer un ordre qui correspond à l’idéal chevaleresque.
La hiérarchie est donc très importante, chacun à sa place, chacun respecte son supérieur
(grade, âge) sinon le héros remet de l’ordre.
Le héros est dans une quête d’action qui en fin de compte n’est que prétexte à une quête
spirituelle portée par un esprit philosophique.
Ce qui plait au public du wu xia pian c’est cette possibilité d’évoluer dans un univers utopique
où le système est idéalisé et dans lequel le héros peut défier la hiérarchie par la force si des
valeurs morales sont en jeu. Puis, le fait que cela confère aux films une valeur de
témoignage historique est très apprécié du public.
Un élément qui peut être caractérisé comme personnage est l’arme du héros. Elle tient un
rôle très important à la narration et fait partie intégrante du héros car son maniement est ce
qui assure sa survie et surtout qui le rend viril ou fort si c’est une femme.
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En effet, lorsque l’on parle de héros il peut s’agir aussi bien d’un homme que d’une femme.
Au fil des années et de l’innovation des cinéastes le personnage féminin a pris une place
très importante. C’est ce qui sera illustré plus tard à travers 4 films de cinéastes et d’époques
différents.
3.3 L’image de la femme
Dans les années 60, la place importante que tiennent les femmes n’est pas vraiment
représentative de celle qu’elles tiennent dans la société hongkongaise. C’était une société
plutôt machiste dans laquelle la femme tenait un rôle inférieur à l’homme. Dans les wu xia
pian traditionnel, la femme peut s’épanouir dans un personnage de chevalière mais dans la
réalité c’est hors de question. Il en est bien sûr autrement de nos jours.
Le fait que les femmes puissent jouer des rôles de combattantes est crédible dans le wu xia
pian car sa souplesse et son agilité peuvent lui permettre de tuer un homme avec son épée
(ce qui est plus dur dans les combats à mains nues !).
Dans les années 60, un film qui avait une femme forte pour personnage principal marchait
très bien. La tendance a vite changé avec l’arrivée de Chang Cheh qui a mis les
personnages masculins en avant. D’après lui « seul un homme doit se rendre face à la
sagesse de la femme, sa compassion, son charme, jamais face à son épée ».
Le Bouddhisme applique aussi une égalité limitée aux hommes et femmes : le clergé
(moines et nonnes) est majoritairement masculin et met en avant l’abstinence sexuelle pour
les femmes. La conception Taoïste de la femme est elle plus modérée, puisqu’elle privilégie
les faibles (inclus les femmes)…Ce qui parait être un handicap est donc souvent un masque
qui cache des qualités solides et inhabituelles. Heureusement ce sexisme au cinéma n‘est
pas présent dans tous les wu xia pian.
3.4 Les philosophies
Les pensées philosophiques sont très présentes dans les wu xia pian et véhiculent une
certaine culture chinoise. Elles influent non seulement sur l’univers dans lequel évolue le
héros mais aussi sur le héros lui même. La quête des personnages est d’inspiration
Bouddhiste : dans le combat la compassion doit être observée. La philosophie des
personnages est en fait un mélange de Bouddhisme, Confucianisme et de Taoïsme.
Tous les wu xia pian ne correspondant pas parfaitement à cette définition mais tendent vers
cet équilibre entre les trois écoles.
Ces philosophies vont même jusqu’à influencer le cinéaste sur le montage des films en
terme de découpage, rythme et choix des cadres par rapport aux gestes quotidiens dans
l’univers des lois cosmiques (dans les philosophies chinoises, beaucoup de choses ont un
rapport avec les éléments naturels qui entourent l’homme).
La doctrine de Confucius dit que « l’individu ne doit pas vivre sous le même ciel que le
meurtrier de son père » et que « chaque tort doit être vengé ». On retrouve cette idée dans
la majorité des wu xia pian centré sur la vengeance de la mort d’un père ou d’un maître.
La hiérarchie sociale est une idée aussi largement exploitée par les wu xia pian. La piété
filiale confucéenne est stricte et veut que les relations souverain/sujet, père/fils, frère
aîné/cadet, mari/femme, ami/ami soient respectueuses et loyales.
Le Taoïsme quant à lui vise à enseigner une voie à suivre (le Tao). Il est associé au
Confucianisme. Sa doctrine explore l’idée du sage dont le contrôle de sa propre énergie
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permet progressivement de ne plus intervenir dans les tensions inhérentes aux choses du
monde. Le Taoïsme fonde et inspire les arts martiaux mais aussi la politique, la
calligraphie…Calligraphie présente aussi dans certain wu xia pian et qui implique la notion
d’énergie, de patience, de concentration et de naturel : le héros sage.
Dans cette philosophie, les personnages « anormaux mais qui fusionnent avec la nature »
sont considérés comme des êtres faibles mais dont leur vertu et compréhension de la
coutume dépassent de loin celles des sages. Un parallèle avec les personnages des wu xia
pian est évident. Les personnages faibles en apparence comme les mendiants, handicapés,
voleurs, enfants, femmes…sont très souvent des experts en arts martiaux et sont dotés
d’une grande force intérieure.
Le Bouddhisme quant à lui est présent dans les wu xia pian sur ce qui concerne les aspects
négatifs : le péché, la culpabilité…
Toutes ces philosophies ont largement inspirées la littérature chevaleresque dont s’inspire
les wu xia pian.
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III. 60’s: l’ Age d’Or du Wu Xia Pian
4. La Shaw Brothers et les arts martiaux
1.1 Création de la compagnie et implantation à Hong Kong
Les quatre frères Shaw se lancent dans l’industrie cinématographique dans les années 20
Issus d’une riche famille du textile implantée à Shanghai leur aisance financière ne les prive
pas d’ambition. C’est l’aîné des frères Shaw qui débutera en créant les studios Tianyi en
1924. Deux autres frères montent leur propre studio en Malaisie en 1947 mais le ferment en
1973.
Ils décident donc de profiter de la situation de Hong Kong en allant s’y implanter et donner
au public ce dont il n’a pas le droit dans le reste du pays, à savoir les films d’arts martiaux et
les films de fantôme. En 1950, un des frères (Runde Shaw) fonde la Shaw & Sons. Mais elle
rencontre un concurrent de taille qui l’empêchera d’évoluer correctement : la MP & GI.
Pour se démarquer la Shaw a une tactique de taille : la marketing. C’est Run Run Shaw, qui
gagne Hong Kong en 1958, qui comprend l’importance de la publicité et qui laisse apparaître
les prémisses de la Shaw Brothers.
Toujours en concurrence avec la MP & GI, les frères mettent les bouchées doubles et
construisent des studios en 1961 : « Shaw Movietown » ouvre à Clearwater Bay. Les films
sont dorénavant tournés en scope et en couleur et ils font appel à des milliers d’acteurs et de
techniciens. Ils finissent par détrôner la MP & GI en embauchant les meilleurs réalisateurs et
stars. La Shaw crée son fameux logo très plagié sur celui de Warner Brothers !
En 1969, la Shaw Brothers connaît son plus gros succès au box office qui dépasse même
les productions hollywoodiennes avec Dragon Gate Inn de King Hu, grand maître déjà en
place.
La compagnie régnera sur les années 60 avec le wu xia pian et sur les années 70 avec le
kung-fu.
Mais il y a une fin à tout et la compagnie va décliner à cause de l’ennui du public pour les
films d’arts martiaux. Le genre passe sous silence jusque dans les années 90 où des
réalisateurs se réattaqueront au wu xia en le revitalisant.
La Shaw Brothers sera définitivement détrônée à la création de la Golden Harvest par un
des frères : Raymond Shaw. C’est cette compagnie qui découvrira Bruce Lee et qui fera de
lui une star internationale en exportant ses films.
La compagnie ferme ses portes au cinéma en 1984 et se dirige vers la télévision.
Aujourd’hui la Shaw produit surtout des séries télévisés, coproduit plutôt des films étrangers
et distribue avant tout de gros films, européens et américains entre autres, dans tout le sudest asiatique. Elle a aussi recentré ses activités vers les salles de cinéma géantes (plusieurs
milliers de places), et la construction de complexes ultra modernes. Son immense catalogue
sort pour le grand public avec l’aide de grands noms tels que Quentin Tarantino et est
présenté grâce à des éditeurs comme Celestial à Hong Kong (250 titres réhabilités à ce jour)
et Wild Side en France.
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1.2 Les Shaws font renaître le wu xia pian
Le sucés du wu xia pian est fortement dû au renouveau qu’on apporté les films de sabre
japonais. En effet, la Shaw décide d’importer la recette du Chambara en la modelant avec la
culture et l’histoire chinoise.
Le terme Chambara est un terme populaire qui désigne le « ken-geki » (théâtre du sabre),
théâtre ou pièce comportant des duels au sabre. Par la suite, chambara désigne tout le
genre du film de sabre japonais très populaire au temps du muet mais aussi d’après guerre.
Le premier Zatoichi de Kinji Misumi (1962) et Les Sept Samouraïs d’Akira Kurosawa (1954)
ont fortement inspirés et poussés les Shaws à revisiter le genre du wu xia. Ils puisent donc
dans ces films japonais pour donner de la fraîcheur au vieux wu xia pian cantonais.
La culture chinoise dans les films est plus prononcée, le ton est plus épique et les
chorégraphies sont plus arrangées.
En 1966, deux réalisateurs font la renommée de la compagnie en renouvelant le genre du
wu xia : King Hu et Chang Cheh.
King Hu dont le wu xia pian traditionnel Come drink with me (L’hirondelle d’or) de 1966 avec
la fameuse Cheng Pei Pei dans le rôle principale féminin ouvrira la voie au renouveau du
genre, et Chang Cheh avec One armed Swordsman (un seul bras les tua tous) de 1967 qui
apportera violence et obscurité au genre.
5. L’Hirondelle d’Or de King Hu : un wu xia pian réaliste
2.1 Apports novateurs de King Hu au wu xia pian
King Hu (HU Jinquan) né a Beijing (1932-1997)
Il a démarré sa carrière en écrivant des scénarios puis co-réalise The
love Eterne en 1963 qui connaîtra un grand succès. Profitant de cette
opportunité, il réalise deux films pour la Shaw Brothers avant
d’entamer la réalisation de ce qui le fera connaître aujourd’hui comme
un grand réalisateur de wu xia pian : L’Hirondelle d’Or. A cette
époque, la Shaw Brothers avait décidé de lancer la version chinoise
des chambaras japonais
Le réalisateur ne s’entendant pas avec les Shaw sur le plan artistique,
partira à Taïwan où il tournera le fameux Dragon Gate Inn en 1967
qui connaîtra un immense succès. En 1971, A touch of zen et en 1979, Raining in the
mountain, lui apporteront une reconnaissance internationale.
La date de l’Hirondelle d’Or, 1966, marque un tournant du genre car laisse de coté l’aspect
fantastique qu’il avait adopté jusqu’à présent pour laisser place à de nouvelles formes, qui
sont dans ce cas présent celles d’un wu xia très réaliste.
King Hu ne tourne qu’en mandarin.
La première nouveauté qu’il apporte au genre est la parité homme/femme. Jusqu’à présent
la majorité des productions montraient des rôles principaux tenus par des femmes. Cette
évolution est mal vue mais elle sera de toute façon largement controversée encore par
Chang Chech et ses personnages quasi exclusivement masculins.
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Il puise l’essentiel de son inspiration dans l’Opéra de Pékin (élève dans la fin des années 40
et spectateur assidu). C’est la raison pour laquelle ses films sont très chorégraphiés et
sculptés, à l’image d’une calligraphie animée. Sa volonté de rompre avec les combats trop
théâtraux des précédents films l’amène à mettre en scène des combats plus crédibles, plus
réalistes. Il aime aussi mélanger la danse et le combat ce qui donne plus de grâce aux
mouvements ; d’où son choix pour l’actrice qui tient le rôle principal Cheng Pei Pei, ancienne
danseuse.
Il fait appel à un spécialiste de kung-fu qui vient de l’Opera de Pekin pour agencer ses
chorégraphies. C’est ce qui donne cet effet de combat léger et fluide au film. L’importance
qu’il porte à la musique influe beaucoup au film aussi. La musique a une place essentielle à
l’organisation des mouvements de caméra et à la composition du cadre.
C’est l’élégance de sa réalisation qui caractérise le pus son style. Les mouvements de
caméra sont sophistiqués et travaillés longuement (son passé de graphiste lui permet
d’élaborer des story boards)
Le rythme du film est donc plutôt lent par rapport à ce qui faisant avant (c’est d’ailleurs ce qui
va être le point de départ de sa mésentente avec la Shaw Brothers) mais cela apporte une
certaine poésie et délicatesse au genre. Toute la finesse et la beauté de la culture chinoise
sont mises en image à travers la souplesse et l’élégance des corps et la construction de
décors typique tels que l’auberge et le temple.
Les décors sont effets très important chez King Hu. Ils ne veut pas que ses décors de studio
se remarquent et fait en sorte qu’ils soient les plus réalistes possible.
Il est dit que quelques uns de ses wu xia sont des films « d’auberge ». C’est tout à fait le cas
pour L’Hirondelle d’Or dont une des scènes principales se déroule dans une auberge.
King Hu aime beaucoup les lieux en intérieur, pouvant mieux contrôler le déroulement de la
mise en scène. Ces huit clos sont le moyen de concentrer l’action et les propos qui s’y
rattachent. L’influence de l’espace théâtral des Opéras de Pékin est ici bien présente.
S’il y avait un genre occidental comparable au wu xia pian certains le compareraient au
western. En effet, plusieurs éléments similaires se joignent comme l’importance dans
l’imaginaire du peuple, la pérennité des deux genres et certains éléments des composantes
essentielles comme la scène du duel, passage « obligé »de ces deux genres.
L’Hirondelle d’Or illustre assez bien cette comparaison avec le genre du western surtout
avec la scène de l’auberge qui rappelle les scènes qui se passent dans les bars. Cette
scène, essentielle au film sera développer de manière plus approfondie.
3.2 Le film : synopsis et ce qui le définit comme un wu xia pian
Le film se passe à l’ère de la dynastie Ming.
Le fils du magistrat de l’Empire se fait enlever par des brigands menés par Tigre au visage
de Jade, en échange de quoi ils veulent que le chef de leur bande, emprisonné par
l’Empereur, soit libéré. Mais c’est sans compter sur Hirondelle d’Or, sœur de ce magistrat
kidnappé et maîtresse en arts martiaux, qui se lance à sa recherche déguisé en homme.
Elle rencontrera sur sa route Chat Ivre, un mendiant à l’air idiot qui s’avérera être plus utile
qu’elle ne le pense.
Le titre original montre l’importance de Chat Ivre, Da zui xia (adapté d’un opéra de Pékin):
titre initial qui signifie Grand héros ivre. Hirondelle d’Or partage donc le rôle principal avec ce
personnage.
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Le film se rattache bien à la tradition littéraire de chevalerie de part le nom des personnages
qui les caractérise comme mi hommes mi bêtes. Le personnage d’Hirondelle d’Or est au
service de l’Empire, trait commun au héros du wu xia.
Le combat est toujours une solution inévitable que l’intelligence des héros retarde et les
prétextes au déroulement de l’action sont très représentatifs des wu xia : vengeance
d’Hirondelle d’Or pour récupérer son frère, Chat Ivre doit éliminer un ancien disciple qui a tué
leur maître respectif auparavant.
Les combats sont exclusivement au sabre et les scènes de poursuite sur les toits sont
indissociables du genre.
Hirondelle d’Or maîtrise parfaitement les arts martiaux et véhicule des valeurs morales et
philosophiques telles que le contrôle de soi, la compassion et le respect de la hiérarchie et
de la piété filiale.
Le personnage de Chat Ivre fait figure de faible alors qu’il est en fait un expert en arts
martiaux. Il est aussi d’une grande bonté, il va sauver Hirondelle d’Or alors touchée par une
flèche empoisonnée ennemie, et la ramener chez lui pour la soigner. Une scène est
d’ailleurs particulièrement érotique par rapport à ce qui se faisait avant : Chat Ivre se permet
d’aspirer le poison du corps d’Hirondelle d’Or qui se situe juste au dessus de sa poitrine…
On retrouve aussi des éléments fantastiques chers au wu xia pian d’avant la fin des années
60 comme la scène où Chat Ivre arrête la cascade par la force de se pensée, une sorte de
fumée sortant de ses mains.
2.3 La scène de l’auberge
King Hu signe un passage mémorable avec cette scène référence de l'arrivée d’Hirondelle
d'Or dans l'auberge.
Hirondelle d’Or fait son entrée dans l’auberge de manière très digne et va s’asseoir
lentement à une table au milieu de la pièce. Elle est un peu raide, symbole d’une justice un
peu raide aussi peut-être.
Toute la scène sera accompagnée d’une musique typique de l’opéra de Pékin avec des
instruments à vents, à cordes et des percussions. La musique fait monter crescendo la
tension et l’approche du combat. Elle participe à l’ambiance sourde qui règne dans
l’auberge. Le son de la pluie et de l’orage en fond insiste aussi sur cette tension qui va petit à
petit monter entre les brigands et Hirondelle d’Or.
Hirondelle d’Or a les caractéristiques même de l’héroine du wu xia pian. Elle semble être
confiante. Ses gestes sont lents mais précis. Comme un homme elle veut boire du vin d’os
de tigre, alcool très fort. Elle fait figure de femme forte et digne. Elle est seule, à l’image du
héros solitaire.
Lorsque les brigands l’attaquent indirectement en se lançant des objets, elle ne bouge pas,
se défend seulement en leur envoyant leur projectiles (chaise, pot à vin). Ils veulent tester
ses aptitudes au combat et elle les impressionne.
Soudain la tête de Tigre souriant, un chef des brigands, entre dans le cadre avec son sourire
niait. Hirondelle d’Or reste insensible malgré ses provocations et menaces. Elle est ici pour
faire justice et ne veut pas se battre. Le combat est pour les héros de wu xia un moyen final.
Hirondelle d’Or fait preuve de philosophie en étant patiente à l’égard de ces malfrats. Cette
femme contre tous ces hommes fait office de bonne âme et surtout de force.
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Elle intercepte leurs tentatives pour la tuer avec facilité et rapidité. Elle semble très douée et
pour elle ce ne sont que des enfantillages, elle veut passer aux choses sérieuses à savoir la
négociation pour récupérer son frère. Mais les brigands ne sont pas prêts à négocier. Encore
une fois très patiente elle attend un peu qu’ils réfléchissent. Mais Tigre souriant donne l’ordre
avec son éventail de la tuer.
Les éventails sont utilisés en Chine depuis des millénaires. Dans la Chine impériale, les
éventails servaient non seulement à chasser les mouches et à se rafraîchir mais jouaient
également un rôle important dans la société. Les courtisans utilisaient des éventails à
manche long faits de plumes pour les spectacles et les cérémonies de la cour. Les éventails
revêtaient une signification sociale importante et étaient très prisés par les érudits et les
artistes, qui les utilisaient comme supports pour leurs poèmes ou leurs peintures afin
d’exposer leur talent. Tigre souriant lui en fait usage pour donner l’ordre de tuer, ce qui
montre bien la bassesse du personnage.
King Hu joue aussi avec l’espace en resserrant l’étau autour de la table d’Hirondelle d’Or.
Les hommes l’encerclent peu à peu et elle comprend que le temps du combat est venu pour
sa propre protection et non pour attaquer l’ennemi. D’ailleurs, elle ne fait que blesser les
brigands et les désarmer. Elle n’en tue aucun. Ce n’est pas son but, elle est venue pour
parler et non pour se battre. C’est une dame de fer certes mais une dame d’honneur aussi.
Les combats sont filmés en majorité en plan large pour avoir une vue d’ensemble du combat.
King Hu met ainsi en valeur les chorégraphies et la lenteur des mouvements.
Chat Ivre fait son apparition dignement en se coinçant les doigts dans la porte d’entrée de
l’auberge. Il se fait passer pour un ivrogne et un idiot mais le spectateur peut comprendre
que c’est un homme bon car il aide Hirondelle d’Or en faisant passer ce geste pour une
action anodine. Ayant aperçu un homme au premier étage qui allait lancer des couteaux sur
Hirondelle d’Or, il s’approche d’elle, toujours l’air bête, en lui disant n’importe quoi. Elle évite
ainsi les couteaux du brigand en s’écartant pour le pousser.
Le découpage est novateur, il impose un rythme bien précis au film qui ne parait pas
disproportionné. La musique est très bien intégrée à l’action et Hirondelle d’Or fait figure
d’héroïne complète.
6. One-Armed swordsman de Chang Cheh : un wu xia pian barbare
3.1 Un wu xia pian violent qui a choqué les chinois :
D’abord écrivain de romans, d’articles, de poèmes et de critiques de
cinéma puis expert en calligraphie et enfin grand réalisateur, Chang
Cheh était un artiste respecté qui a marqué un tournant dans le
paysage du cinéma asiatique.
Il a commencé à Hong Kong en tant que scénariste pour la MP&GI en
1961 et rejoint la Shaw Brothers en 1962 en tant que chef scénariste.
Son attrait pour les histoires bien agencées se fait sentir dans ses
films. Il créera sa propre société de production en 1974 : la Chang’s
Film.
De la fin des années 60 jusque dans les années 80, il réalisa de
nombreux films qui eurent du succès. Mais il finit sa carrière par de
petites productions de série Z et meurt en 2002.
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Il inspirera plus d’un réalisateur contemporain dont John Woo qui fût dans ses débuts son
assistant réalisateur et qui dira que son cinéma « c’est un esprit : celui des vrais hommes
chinois, portés par un idéal chevaleresque ».
Les réalisateurs Wang Yu et Chang Cheh vont imposer au public de Hong Kong un cinéma
d’hommes, plus virils. Mais c’est de Chang Cheh et de son film qui révolutionnera le wu xia
pian dont nous parlerons…
L’influence des films de sabre japonais (chambaras) et des péplums italiens sur Chang Cheh
ne peut qu’être à l’origine de son goût pour la violence.
Le film met en place l’histoire de Fang Kang, élevé dans une école d’arts martiaux, qui se fait
trancher le bras par la fille du maître de l’école alors qu’il voulait fuir à cause des moqueries
que lui infligent ses camarades qui jalousent son talent martial. Pei, cette jeune femme, est
en fait amoureuse de lui mais elle ne peut l’avoir car il désire avant tout venger la mort de
son père. Après être devenu manchot, il est recueilli par une jeune orpheline dont il s’éprend.
Il part ensuite en quête de vengeance.
L’esprit de révolte du réalisateur se sent dans One-Armed Swordsman et les scènes de
combats reposent sur des effets de jets d’hémoglobine. Le corps du héros est largement
mutilé et il aime à montrer ce corps souffrant. Le sang est un élément très présent dans le
film qui accentue la barbarie de l’action.
Il a filmé les combats caméra à l’épaule ce qui apporte plus de mouvements et de violence à
l’image. Ces combats sont d’autant plus violent car sont chorégraphiés par un maître d’arts
martiaux Liu Cha Liang, ce qui influe énormément sur leur mise en scène brutale. Liu Cha
Liang a incité Chang Cheh à adopter le style de combat de Bruce Lee qui est assez agressif.
Il se sert aussi de zooms rapides pour faire découvrir la blessure de manière crue. Les
combats passent de plan d’ensemble à des plans rapprochés pour accentuer la dynamique
de l’action.
A l’inverse de King Hu qui use d’une mise en scène calligraphiée des combats, Chang Cheh
fait du brut et de l’agressif.
La musique accompagne aussi la violence de l’image. La musique asiatique a une tendance
bruitiste et la bande son insiste sur les coups et les impacts sonores. Il place les percussions
au centre du montage sonore.
En 1957, la vue de blessures ensanglantées était considérée comme difficilement
soutenable pour un public peu coutumier de la chose.
3.2 Le personnage héroïque du sabreur manchot et sa morale:
Le personnage « handicapé » est une des figures types du héros du wu xia pian. L’origine de
cette tradition se trouve dans le roman The Mythical Crane Hero dans lequel le héros a eu
les deux bras coupés par sa sœur d’arts martiaux.
Ce personnage du manchot est aussi inspiré du sabreur aveugle Zatoichi des films japonais
de Kenji Misumi.
Chang Cheh reprendra ce personnage en faisant la suite du film : La rage du tigre (The new
one-armed swordsman) et Le bras de la vengeance une continuité du théme du héros
manchot. Tsui Hark prendra la relève en faisant un remake du premier (plutôt raté à mon
avis) : The Blade en 1996.
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Dans One-Armed Swordsman, le héros perd sa famille et son bras. C’est un personnage qui
se caractérise par une obsession : la vengeance.
C’est un amant imide. Ses techniques de sabre sont surhumaines compte tenu de son
invalidité. Son humanité est affirmée par sa soumission aux contraintes sociales. Il fait donc
figure de héros tragique poursuivi par la fatalité du destin. Même s’il est amputé, il garde son
honneur et va jusqu’au bout de sa destinée.
La morale de ce héros est portée par ses désirs de vengeance dont le combat est la finalité.
C’est un héros beaucoup moins poétique et « raffiné » que celui de King Hu mais qui porte
en lui tout autant de bons sentiments et de philosophie comme le dépassement de soi et le
fait de transformer son handicap en une force et une arme redoutable.
3.3 Des personnages masculins et une image de la femme transformés
En 1966, Chang Cheh réalise Tigerboy, un wu xia pian qui pose les bases de son futur style.
Beaucoup de mouvements de caméra et surtout, au lieu d’actrices il engage deux acteurs
pour les rôles principaux. Il place rapidement tous ses films sous le règne des hommes. Ses
films sont construits autour de la figure masculine, la femme sert quant à elle d’ornement. La
place des femmes est écrasée par la force masculine des hommes et l’amitié virile (à
connotation sexuelle, Chang Cheh ayant réputation d’avoir un penchant pour les
hommes…).Malgré cette passion pour les personnages masculins, il leur fait subir des
souffrances à la limite du sadomasochisme.
Avec One-armed Swordsman il permet de rendre célèbre Wang Yu qui deviendra une des
plus grandes stars de Hong Kong grâce à ce film.
Pei, la femme qui tranche le bras du héros fait figure de castratrice en tranchant le bras de
celui qu’elle aime. Cet acte est une vengeance, comme pour le punir de ne pas lui donner ce
qu’elle désire. Sa frustration amoureuse et sexuelle la conduit à ce geste cruel. C’est par
jalousie qu’elle fait ça, ce qui rend son personnage faible.
Cela montre le coté misogyne du réalisateur qui fait passer cette femme comme destructrice
du talent martial de Fang Kang. La femme est un frein pour l’homme…
3.4 Scène de combat / tranchement du bras
Cette scène arrive juste après que les deux disciples du temple qui le jalousent aient donné
rendez-vous à Fang Kang dans les bois pour se battre.
La scène se passe de nuit, dans un bois et sous la neige. Chang Cheh rend l’ambiance
macabre et froide. Rajouté à cela le fait que Fang se retrouve seul face à 3 personnages
contre lui et la scène est déjà à connotation barbare.
En ce qui concerne la morale du héros, on affaire ici à un héros de wu xia pian type. Il ne
veut pas se battre et préfère se retirer plutôt que de continuer à se sentir détesté. Les deux
disciples l’attaquent quand même mais il est plus fort qu’eux et les maîtrise rapidement sans
les blesser. Au moment où il veut partir, Pei le retient et le défie. Il la pousse « gentillement »
ne la craignant pas. Ce passage est largement signé par la misogynie de Chang Cheh. Pei
passe pour une petite peste qui n’est pas douée au sabre et qui en plus sera capable de
traîtrise en tranchant par surprise le bras de Fang alors qu’il allait l’aider à se relever.
Les mouvements de caméra pendant les combats sont brutaux et l’enchaînement des plans
est rapide. La caméra suit vraiment le mouvement de leur sabre et les accompagne dans
leur geste.
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Lorsqu’elle lui tranche le bras, il y a une succession de plans : gros plan le visage de Pei et
de son sabre qui se lève puis un plan juste après sur son bras dans la neige. Cette rapidité
d’enchaînement montre la brutalité de l’acte intensifié par un plan rapproché de Fang qui
souffre et qui a du mal à se relever.
Lors de cette succession d’images, le cadre est instable, caméra à l’épaule. Le sang qui se
trouve sur la main que tend Fang pour frapper Pei contraste avec le blanc de la neige et
accentue la cruauté de l’acte.
Le découpage des plans est sec mais apporte du dynamisme à l’action.
On remarque très distinctement que la scène se passe en studio et le décor factice apporte
encore plus de froideur et de trivialité à l’acte.
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IV. 90’s : la nouvelle vague des wu xia pian
2. Le wu xia pian revient au premier plan
1.1 Internationalisation du cinéma Hongkongais
L’âge d’or du wu xia pian qui n’aura duré que peu de temps s’achève dés le début des
années 70. La déferlante Bruce Lee et son kung-fu balaye tout et glorifie le combat à mains
nues.
Le wu xia pian a bien du mal à continuer sa lancée mais arrive quand même dans la fin des
années 70 à trouver ses cinéastes qui continueront de l’entretenir. La nouvelle vague du
début des années 80 tels que Tsui Hark, Ann Hui…a continué à revisiter tant bien que mal le
genre. Des petits chefs d’œuvre aboutiront bien que non reconnus, comme The butterfly
murders de Tsui Hark (1979). Les deux grands amoureux des traditions chinoises sont Tsui
Hark et Wong Kar Wai qui apporteront toujours dans leurs films la couleur poétique de la
culture chinoise et de ses coutumes.
La période la plus fructueuse du cinéma Hongkongais s’étend du milieu des années 80 au
début des années 90. Le genre des films de Triade apparaît dans les années 80 et devient à
la mode avec notamment John Woo. Les films sont distribués à l’étranger donc s’ouvrent au
marché international. Le climat de la rétrocession qui approche influence beaucoup sur le
cinéma qui dégage une sensibilité exacerbée.
Au début des années 90, le genre du wu xia pian connaît une renaissance Tsui Hark réussi
à moderniser le genre alors en déclin et Wong Kar Wai le ré exploite complètement.
Ils redonnent vie au genre traditionnel de la culture chinoise, ils prennent l’héritage en
quelque sorte du cinéma Hongkongais classique.
1.2 Déclin de ce cinéma
A partir des années 1994, l’industrie cinématographique de Hong Kong arrive à un stade de
saturation. C’est la crise du cinéma : les exportations sont en baisse et l’arrivée du piratage
va provoquer l’effondrement du marché. Les stars partent à l’étranger et les réalisations
américaines cartonnent. Seuls quelques réalisateurs résistent comme Johnny To et sa
société de Production la Milkyway Image.
De plus, la rétrocession de 1997 pose certains problèmes d’investissements, le secteur se
tourne vers l’étranger pour le financement. L’aide de Taïwan a été précieuse pour continuer
de faire tourner un minimum le cinéma de Hong Kong qui est sans conteste ce qui fera
connaître le cinéma chinois au monde entier.
En ce qui concerne les arts martiaux, le public sature de l’exploitation du genre. Les films de
sabre sont trop nombreux, il n’y a pas assez d’innovation.
Mais Tsui Hark et Johnny To ne lâchent pas leur précieux cinéma et Hong Kong. Ils étaient
présents au festival de Cannes 2007 pour présenter un film collectif, preuve que l’on a pas
finit d’entendre parler du cinéma de Hong Kong.
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5. Il était une fois en Chine : un wu xia pian hybride
2.1 Tsui Hark : figure emblématique de Hong Kong
Né en 1951 au Vietnam, Tsui Hark se découvre très tôt une passion
pour les films d’Akira Kurosawa ce qui l’amène dès son plus jeune âge
à réaliser ses premiers films en 8 mm. En 1966, il arrive à Hong Kong
et se lance aussitôt dans le cinéma. C’est sa série The Gold Dagger
Romance de 1978 qui le lance dans le monde du cinéma
professionnel.
Il a parfois été comparé à Spielberg et Kubrick pour sa « folie »
artistique et sa personnalité.
Son premier long métrage Butterfly murders est un échec mais montre
déjà sa passion d’un retour aux sources (c’est un wu xia pian qui mêle
combat et science fiction).
Il connaît le succès en travaillant pour la Golden Harvest en 1983 en réalisant un wu xia pian
fantastique (typique d’avant les années 60) Zu : les guerriers de la montagne magique. C’est
avec ce film que les effets spéciaux prennent de l’importance. Surtout, c’est un des premiers
films à se faire connaître dans les festivals du monde entier.
Il crée alors sa propre société de production, la Film Workshop. Après le succès de
Swordsman en 1990 qui fait renaître le wu xia pian, il réalise Il était une fois en Chine (1991),
inspiré du héros Huang Feihung de la série qui cartonna en 1950.
C’est lui qui relance la nouvelle vague du wu xia pian avec Swordsman et la saga (5 films)
des Il était une fois en Chine. Il lance par la même occasion l’acteur Jet Li qui incarne le
personnage de Huang Faihung.
Son remake de One armed Swordsman de Chang Cheh, The Blade en 1995, est un échec
commercial. On peut dire que depuis ce film le genre du wu xia pian n’a pas connu d’autre
tentative d’exploration réussie. Il revient aux films de sabre en 2005 avec Seven Swords qui
n’est malheureusement pas réussi.
2.2 Retour aux sources du genre
Tsui Hark remet en scène le personnage de Huang Fei Hung, personnage mythique des arts
martiaux. C’est un homme qui a vraiment existé, il est une figure historique de l’école des
Shaolin (grande école d’arts martiaux, ancien monastère bouddhiste érigé en 495 sous le
règne de l’empereur Xiaowen de la dynastie des Wei du Nord (386-534)). C’était un
professeur et un expert en arts martiaux ainsi qu’un médecin. Pendant les années 40, son
personnage a commencé à inspirer des romans d’arts martiaux dont on connaît la première
adaptation au cinéma de 1949, série qui a propulsé le genre (série la plus longue avec 80
films).
Ce personnage mythique de la culture chinoise transporta avec lui tout un pan de l’histoire
de la Chine.
A travers ce personnage, Tsui Hark remet le wu xia pian au goût du jour en conservant les
sentiments patriotiques du genre.
Il replace le contexte du film à l’époque de la guerre de l’opium (1839-1842) alors que le
véritable Huang Fei Hung est ultérieur (1847-1924). Tout cela pour permettre une métaphore
de la situation des hongkongais en 1991, paniqués par la rétrocession.
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C’est ce qui le rapproche de Wong Kar Wai ; Tous les deux explorent dans leur film le
sentiment d’inquiétude qu’entraîne l’approche de la rétrocession.
Le film raconte donc l’histoire de Huang Fei Hung qui doit se battre contre des brigands mais
aussi contre les anglais et les américains qui s'immiscent de plus en plus en Chine.
Tsui Hark s’attaque donc au sujet de la colonisation de Hong Kong. A cette époque le
modernisme envahit le pays tel que les armes, le commerce…Tout autant de choses qui
bouleversent le pays. Huang Fai Hung tente tant bien que mal de laisser régner la paix mais
encore une fois, quand la discussion n’est pas possible la dernière solution reste le combat.
Il reprend le thème du héros du wu xia pian : droit, valeureux, combattant et expert en art
martial. Bien qu’un peu maladroit, le héros qu’incarne Jet Li respecte parfaitement l’idéologie
et les caractéristiques du genre.
Il focalise son film sur les notions d’impérialisme, de colonialisme et de modernisme.
Le film mélange l’esprit du kung fu et celui du wu xia pian. Le héros n’est pas un guerrier au
service du gouvernement mais il est porté par des valeurs chevaleresques. Les combats
sont à mains nues et parfois avec des armes.
Il semble reprendre la manière de filmer de King Hu en la modernisant bien sûr. Ses
mouvements de caméra sont fluides et mettent en valeur la beauté des mouvements du
personnage lors des combats.
3.3 Scène finale sur le bateau des américains
La scène finale se passe sur le bateau des américains. Huang Fei Hung et un disciple vont
libérer la jeune femme nommée 13éme tante dont Huang est épris. Sur le bateau, des
chinoises ont été enlevées dans le but d’être emmené en Amérique.
Tsui Hark a mis en avant la haine qu’ont les américains pour le peuple chinois et le peu de
morale qu’ils ont.
Il y a un net contraste entre les combats à mains nues des chinois et les pistolets des
américains. Les chinois sont du coup en force inférieure et n’ont a priori aucune chance de
remporter ce combat qui n’est pas loyal. Tsui Hark insiste tout de même lourdement sur le
coté lâche des américains qui usent de leurs armes en face de chinois qui pratiquent
« seulement » les arts martiaux.
Ce passage montre bien l’hybridité du film qui oscille entre kung-fu pian et wu xia pian. Les
combats sont en majorité du kung-fu mais les personnages prennent quelques fois ce qui
peuvent leur servir comme arme pour se battre. Huang qui ne sait pas se servir d’un pistolet
va le prendre comme un sabre pour se battre (au bout du pistolet il y a d’ailleurs une grosse
baïonnette) Il ne sait tellement pas se servir d’une arme à feu qu’il va prendre une balle
entre ses doigts, il bondit vers l’américain et par la force de ses doigts il envoie la balle entre
ses deux yeux. Cette action est typique du héros de wu xia pian, se sortir des situations
dangereuses par n’importe quel moyen en se servant de son expérience en arts martiaux.
Huang Fei Hung est le héros type du vaillant et preux chevalier. Même s’il n’est pas un
personnage solitaire, son but est de protéger les faibles. Le peuple a besoin de lui pour lutter
contre cette invasion étrangère et il les sauve grâce à sa force physique et mentale.
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6. Les Cendres du temps : un wu xia pian expérimental
6.1 Wong Kar Wai : portrait d’un réalisateur hors norme
Né en 1958 à Shanghai, il arrive à Hong Kong à l’âge de 5 ans. Il
tombe amoureux du cinéma et passe des heures dans les salles.
D’abord scénariste pendant plusieurs années, il rencontre le
réalisateur de la nouvelle vague Patrick Tam qui lui permet de réaliser
son premier film As Tears go by. S’en suit ensuite une filmographie
somptueuse qui sera aidée par le meilleur chef opérateur du monde
(à mon avis) : Christopher Doyle. C’est grâce à lui que ses films
prendront une tournure poétique. Chunking Express, tourné pendant
le tournage des Cendres du Temps (1994), sera son plus gros succès
commercial et le fera connaître dans le monde entier. Son plus gros
succès en France sera In the Mood For Love . Wong Kar Wai est le
réalisateur chinois qui a déclenché la déferlante du cinéma asiatique en Occident.
Ces films retranscrivent la nostalgie de son enfance passée à Hong Kong dans les années
60. Il met en exergue la situation délicate de la ville, fragilisée par une situation historique et
culturelle complexe. Tous les sujets de ces films sont un hommage à cette ville qui baigne
dans les années 90 dans une ambiance tendue à l’approche de la rétrocession à la Chine de
juillet 1997.
Les Cendres du temps ne peut être compris et apprécié dans sa totalité s’il n’est pas
rattaché à l’œuvre de Wong Kar Wai. Tous ces films se font échos et trouvent des
thématiques identiques : l’amour, la notion de mémoire (« mémoire des ruines et ruines de la
mémoire » Wong Kar Wai) et de temps.
Avec ce film, Wong Kar Wai revisite voire réinvente le wu xia pian. Il a souvent été comparé
à Sergio Leone et ses westerns à cause des ralentis et des arrêts sur image. Il se rapproche
beaucoup de la stylisation de King Hu notamment de son film A touch of zen (film très lent,
très long, très poétique)
Il est difficile de se focaliser sur une scène en particulier. C’est un film qui se comprend et
dont les éléments essentiels ressortent dans la globalité du film.
3.2 Une narration et une mise en scène torturée
Wong Kar Wai a adapté librement un roman épique de Jin Wong. A partir d’une histoire de
guerriers errants situés dans une Chine ancienne, le film trace le portrait de plusieurs
personnages rongés par leur passé. Il y a le chevalier aveugle, le chevalier séducteur, une
femme emplie de vengeance, une autre perdue avec son âne…
Tous ces personnages vont se croiser, se blesser, s’aimer et vont évoluer dans une
intemporalité totale. Le présent, futur et passé sont indistincts et ils vont pratiquer un chassé
croisé de combats, de réflexions philosophiques et d’histoire d’amour.
Il n’y aucune chronologie. Le spectateur est d’emblée perdu dans la notion du temps de la
narration. Ce qui compte c’est l’affect des personnages et l’agencement des actions importe
peu. Dans un wu xia pian classique, la narration est simple pour ne pas perdre le spectateur
en marche, mais dans ce cas présent la narration est d’une complexité telle que l’on a du
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mal à tracer le parcours précis de chaque personnage. Tout finit par se confondre : les
personnages, les lieux.
Au final, on peut aller jusqu’à dire que l’on est à la limite d’une distanciation digne de Brecht.
Le montage est en plus assez elliptique ce qui crée une véritable distance du spectateur par
rapport aux images qu’il regarde. Il se focalise plus alors sur la réflexion qu’il doit tirer de ce
qu’il perçoit. Même les combats à l’épée sont confus, ils sont filmés très vite et de manière
très elliptique.
Ce qui frappe le plus par rapport à un wu xia classique c’est le travail du temps qu’en fait
Wong Kar Wai. A la base le temps d’un wu xia c’est l’action, et la relation entre le temps et
l’espace est étroitement liée. Ici, les personnages attendent pour l’action. Ils sont seuls, au
milieu du désert à attendre. Comme ce personnage de la jeune femme avec ses œufs et son
âne qui attend des jours durant devant la cabane du chevalier qui offre ses services de tueur
en échange d’argent. Il n’y pas vraiment d’action et l’attente est longue.
De plus, les personnages sont mis en scène dans un espace qui les isole. La présence de la
communauté chère aux wu xia pian est ici absente. C’est l’idée de communauté qui met en
avant les traditions, les valeurs et le style de vie des héros. Mais dans Les Cendres du
Temps, ils sont seuls, en plein milieu du désert.
Le titre du film en dit long sur sa thématique: il question de la mémoire, des souvenirs du
passé, de ce qui restent du temps et qui peut s’envoler aussi facilement que des cendres.
C’est une narration décentrée vers une forme de rêverie contemplative qui mélange le temps
et les identités des personnages. Tout le film est constitué de tableaux autonomes, c’est au
spectateur ensuite d’arriver à recoller les morceaux.
Il y a une nette séparation entre la narration et l’image qui peut perdre le spectateur au cours
du film. C’est une des grandes différences d’un wu xia pian classique en plus du fait que les
combats soient en nombre restreint.
3.3 Des personnages anti-héros
Dans le wu xia pian classique, le héros est facilement identifiable. Il est admiré par la
majorité des spectateurs, il est idolâtré, c’est un personnage qui respecte les traditions, les
normes culturelles, il est généreux, rapide à réagir aux injustices et à les rectifier, et c’est un
altruiste. La Shaw Brothers avait d’ailleurs décidé de rendre populaire le genre par cette idée
d’héroïsme et de noblesse d’esprit. Mais dans Les Cendres du temps, les personnages ont
des caractéristiques tout autres et sont identifiables plutôt en tant qu’anti-héros.
Ce qui peut aider à la compréhension des personnages et de la relation qu’il y a entre eux
c’est l’utilisation de la voix off. Cette voix intérieure des personnages nous aide beaucoup et
permet de nous donner des renseignements sur ce qu’ils sont et sur ce qu’ils cherchent. Au
fur et à mesure, on s’aperçoit qu’ils sont très introvertis et vulnérables. Ils souffrent des
erreurs de leur passé. Les amours qu’ils ont vécus sont une source de leur désordre
psychologique. Ils ont sacrifiés leur amour soit par respect de l’autre, soit par amitié soit par
vengeance, ce qui les torturera à jamais ;
Ils ne portent aucune des valeurs morales d’un véritable héros de wu xia pian. Ils sont
aveuglés par l’amour, se battent pour tuer et non pour faire justice et faire régler l’ordre.
La solitude des personnages n’est pas valorisante comme celle des wu xia pian classique.
Ici ils sont seuls, certes, mais ne pensent qu’à eux. Ils ne vivent pas dans une quête
spirituelle ou dans une quête d’action. Il vivent dans la mémoire de leur passé et essayent de
l’oublier par tous les moyens. Le vin de l’oubli que le personnage de Maggie Cheung
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propose aux deux chevaliers est un bon moyen. Ils effacent tous les souvenirs passés, signe
de faiblesse des personnages qui ne sont pas capable de vivre avec leurs erreurs et d’en
tirer partie.
Ils sont très narcissiques, ils ne se battent pratiquement que pour leur propre satisfaction,
comme le personnage féminin de Murong mi homme mi femme. Dans une scène, elle se bat
avec son propre reflet dans le lac : le combat entre Murong Yin et Murong Yong. Le Yin et le
Yong (Taoisme) est à l’origine du monde, le chaos, matrice de l’univers, c’est une boule de
souffles et d’énergie mêlées. Sa mise en mouvement fait monter le léger, le pur, le lumineux,
la clarté du ciel : le Yang. Et fait descendre le lourd, les mélanges complexes de l’impur,
l’opaque, la Terre : le Yin.
Le fait que ce personnage féminin se batte contre elle-même, contre ses forces intérieures,
illustre bien le fait que c’est la chaos total dans son âme et dans son cœur.
Ce sont des personnages à la limite psychotiques.
Le sabre n’est pas une arme qui fait respecter l’ordre établi, c’est un objet phallique digne de
leur puissance physique qui ne sert juste qu’à tuer. Un des personnages est même pire
puisqu’il tue en échange d’argent. Il n’adopte pas du tout un esprit chevaleresque et n’aide
que ceux qui peuvent payer.
Même si Wong Kar Wai use de processus d’identification comme le zooms avant, les gros
plans, les contre plongées, les musiques qui soutiennent l’émotion, il reste difficile de
s’identifier aux personnages. La voix off est ici encore une aide à l’identification.
7. Le wu xia pian de nos jours
Depuis 1995, quelques œuvres s’efforcent de replacer le genre au devant de la scène soit
en le remettant au goût du jour soit en revenant au genre traditionnel (Seven Swords de Tsui
Hark en 2005). Mais le public Hongkongais parait lassé.
C’est aux Etats-Unis que certains réalisateurs chinois ont trouvés l’opportunité de faire
hommage au genre en l’assaisonnant d’effets spéciaux grandioses. Certes, tout une partie
philosophique et quelques caractéristiques du héros typique disparaissent mais Tigre et
Dragon d’Ange Lee (2000) est un exemple de super production bien réussie. Le film remet
les personnages féminins au devant de la scène et garde les valeurs morales d’une épopée
chevaleresque. Mais ce n’est pas un film 100% chinois (producteurs américains, réalisateur
Taiwanais, acteurs hongkongais), cela laisse supposer qu’une aide financière pourrait
permettre de relancer ce genre modernisé en Chine.
Hero (2002) et Le secret des poignards volants (2003) de Zhang Yimou sont aussi des très
bons films de wu xia pian revisités.
Le wu xia pian refera surface régulièrement, comme dit le réalisateur Daniel Lee : « Le wu
xia pian est un genre qui transporte tout un pan de la culture et de la philosophie chinoise.
De ce fait, il est normal qu’il réapparaisse régulièrement au devant de la scène. »
Il aurait été très intéressant de traiter de ces nouveaux wu xia pian qui ont atteints la culture
occidentale. Ces films sont porteurs d’un véritable patrimoine culturel chinois. Mais le sujet
est très vaste et s’étend alors sur tout le cinéma de la Chine.
L’émergence récente des films chinois dans le monde est une bonne chose, la culture et
l’histoire chinoise est dotée de richesse et de beauté inespérées et trop inconnues.
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BIBLIOGRAPHIE
Hong Kong Cinéma ; Olivier Assayas et Charles Tesson ; Les Cahiers du Cinéma ;
Editions de l’Etoile ; Réédition n°spécial 362-363 des Cahiers du Cinéma de septembre
1984.
Planet Hong Kong (popular cinema and the art of entertainment); David Bordwell;
Harvard University Press; imprimé en 2003 aux Etats-Unis.
Les philosophies orientales (l’Inde et la Chine) ; Vladimir Grigorieff ; Editions Eyrolles ;
2005.
Wong Kar Wai’s Ashes of Time ; Wimal Dissanayake; Hong Kong University Press;
2003.
Encyclopédie du cinema de Hong Kong; Emrik Gouneau et Léonard Amara ; Editions
Les Belles Lettres ; 2006.
Le cinéma asiatique ; Antoine Coppola ; Collection Images Plurielles ; Edition
L’Harmattan ; 2004.
FILMOGRAPHIE
L’Hirondelle d’Or de King Hu (Come drink with me) de 1966
Un seul bras les tua tous de Chang Cheh (one armed swordsman) de 1967
Il était une fois en Chine de Tsui Hark (Once upon a time in China) de 1991
Les Cendres du temps de Wong Kar Wai (Ashes of time) de 1994
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