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P rix de D essin de la fondation d’art contemporain Daniel & Florence Guerlain LES trois Nominés pour le prix 2009 Frédérique Jorge Queiroz Loutz Sans titre, 2008, encre et gouache sur papier, 29,7 x 21 cm. © André Morin. L e prix bi-annuel de dessin de la Fondation d’art contemporain Daniel & Florence Guerlain sera remis pour la deuxième fois consécutive lors de la foire Artparis le 18 mars 2009. Il permet au couple de collectionneurs de poursuivre son action de mécénat entreprise aux Mesnuls de 1996 à 2004, après l’avoir recentrée sur la pratique du dessin, « l’origine de toute œuvre, que ce soit en art plastique, en design ou en architecture », clament Daniel et Florence Guerlain. Carel Van Tuyll, chef du département des arts graphiques du Louvre, Jonas Storsve, conservateur au cabinet d’art graphique du Centre Pompidou, Emmanuelle Brugerolles, conservateur général chargée de la collection de l’École des beaux-arts, et la collectionneuse Gabrielle Salomon apportent leurs concours pour sélectionner les trois nominés. Ces derniers doivent cultiver avec la France un lien culturel privilégié et se situer à un moment Untitled, 2004, crayon, fusain, crayon de couleur, craie et acrylique sur papier, 150 x 90,5 cm. ©Bertrand Huet/Tutti. charnière de leur carrière, entre le jeune artiste prometteur et celui reconnu par le marché ou les institutions. Le dessin doit évidemment constituer une part significative de leur travail. Les huit membres du jury, tous collectionneurs privés ayant une part active dans le milieu de l’art, élisent ensuite le lauréat qui reçoit la somme de 15 000 euros, tandis que les deux autres se voient allouer 2 500 euros chacun. La démarche de Florence et Daniel Guerlain est réfléchie. Les artistes sont visités dans leurs ateliers puis interviewés. Les nominés sont désignés trois mois avant la remise du prix afin que chacun, amateur, passionné ou simple curieux, puisse mieux connaître les plasticiens sélectionnés. « Un engagement et un regard précis » Bien accueilli lors de sa première édition en 2007, le prix suscite de nombreux compliments de la part Sandra Vásquez de la Horra Play the World !, 2005, graphite sur papier ciré, 29,7 x 21 cm. © Simon Vogel. des professionnels. Chacun s’accorde à dire qu’il manquait en France et loue sa particularité. Comme le note la galeriste Nathalie Obadia : « Le prix se distingue par le choix d’un médium unique et offre un regard différent sur ce support. Il adoube des artistes qu’on ne regardait pas forcément beaucoup auparavant. Les choix sont sensibles et fins. » Pour Florence Bonnefous, de la galerie Air de Paris, dont l’artiste JeanLuc Verna fut sélectionné en 2007 : « C’est une très jolie initiative. J’aime l’idée que le prix soit centré sur un médium, tout en mettant en avant la richesse des pratiques concernées. Florence et Daniel Guerlain font ensuite un gros travail de diffusion des œuvres tout au long de l’année. » Le focus porté sur Jean-Luc Verna a d’ailleurs amené à la galerie un public qui ne le connaissait pas. Tous les marchands, particulièrement ceux qui mettent en avant leur passion du dessin, souhaiteraient voir leurs artistes sélectionnés. « Je trouve passionnante cette vision très personnalisée d’un couple de collectionneurs, insiste la galeriste Anne Barrault. Il ne s’agit pas d’un prix neutre. Il témoigne d’un engagement et d’un regard précis. » Quant à Silvia Bächli, la première lauréate du prix en 2007, elle admet qu’il est difficile d’analyser les changements directs induits par une telle reconnaissance et de mesurer si le regard porté sur son travail a évolué en conséquence. Mais, elle constate que le prix a constitué « un grand moment de reconnaissance et de joie. Florence et Daniel Guerlain font un effort bien plus grand que celui de simples collectionneurs. Ils se projettent dans une aventure et donnent un vrai choix à un jury composé de spécialistes réputés. » Les débuts d’une aventure promise à un riche avenir. Les nominés sont désignés le 11 décembre à la chapelle des Augustins à l’Ensba, à 12 h. Prix décerné le 18 mars 2009 durant la foire Artparis au Grand Palais. Sandra Vásquez de la Horra dessins comme un journal, un carnet de bord illustré. L’économie et la simplicité de moyens s’avèrent primordiales, car la complexité du travail apparaît non pas dans la forme, mais dans le processus de perception. Ich als Peter Pan, 2004, graphite et crayon de couleur jaune sur papier ciré, 31,5 x 22,5 cm. © Simon Vogel. L a technique est toujours la même. Un papier très fin et jauni sur lequel seule une pointe de crayon a le droit de mise. Plus rarement, pastel et aquarelle font leur apparition. Le sujet est toujours disposé avec extrêmement de précision et la construction se révèle similaire d’une feuille à l’autre. La figure est positionnée au centre et semble flotter. Le dessin achevé est recouvert d’une couche de cire qui lui confère transparence et ma- térialité. Le trait de crayon semble gagné par une certaine profondeur de champ, tandis que l’ensemble est doté d’une apparence charnelle et ancienne, presque à la manière d’un parchemin. Le format est pour sa part toujours relativement petit, avec des envolées jusqu’à cinquante centimètres de hauteur. Sandra Vásquez de la Horra a toujours été une grande voyageuse et dessine depuis l’âge de 12 ans. Nomade, elle considère ses L’histoire, la religion et le sexe Née au Chili, Sandra Vásquez de la Horra nourrit quelques thèmes de prédilection. Si elle ne fétichise pas la série, certaines de ses figures sont récurrentes, comme les personnages militaires en référence directe au dictateur Pinochet. Le souvenir de ses premières années passées dans son pays natal demeure vivace. Mais loin de la complainte, et peut-être pour mieux l’exorciser, elle donne une vision acerbe et ridiculisée de ces vieux généraux. Les titres sont parfois très explicites, comme ces dessins qui s’intitulent El Monstruo ou encore Capitan Toro (orné de cornes !). Certaines scènes reprennent des tortures ou des visions cauchemardesques. La satire est parfois proche de l’expressionnisme allemand. Si l’histoire revendique son poids dans l’œuvre de l’artiste, deux autres thèmes reviennent souvent – et dans le désordre… –, à savoir la religion et le sexe. Le Chili est un pays catholique et pieux, on le sait. Mais Sandra Vásquez de la Horra en donne une version qui ne peut empêcher de faire sourire. Notamment quand ses saintes sont soumises à de drôles d’associations… Même quand elle traite d’une vanité, elle ne peut s’empêcher d’y apporter une étrangeté qui dédramatise in petto la scène. Quant aux fantasmes sexuels, les protagonistes sont soumis à une véritable gymnastique ou dotés d’organes à faire pâlir la gente masculine… A traves de los Pirineos, 2006, graphite sur papier ciré, 50 x 35,2 cm. © Simon Vogel. Sandra Vásquez de la Horra dit dessiner ce qui est mémorisé par son subconscient. Ce travail se rapproche d’un certain humanisme car il traite des grandes passions : l’amour, la haine, la mort, la mélancolie, les blessures intimes… Elle insiste pour rappeler qu’elle vient d’un pays qui a donné naissance à de nombreux poètes et qu’elle apporte à son tour sa contribution, avec le recul lui permettant d’aborder les thèmes les plus cruciaux. Drive me to the Moon, 2004, graphite sur papier ciré, 25 x 17,6 cm. © Simon Vogel. Biographie Sandra Vásquez de la Horra est née en 1967 au Chili. Elle vit et travaille à Cologne. En 2008, elle a participé à l’exposition « Micro-narratives, tentation de petites réalités », au musée d’Art moderne de Saint-Étienne. Représentée par les galeries allemandes Kewenig (Cologne) et Rupert Pfab(Düsseldorf). Jorge Queiroz Untitled, 2007, technique mixte sur papier, 40,4 x 30,3 cm. © Bertrand Huet/Tutti. A ux jeux des influences, la référence première qui vient à l’esprit en observant le travail de Jorge Queiroz est celle du surréalisme. Car à la manière des dessins automatiques, ses œuvres graphiques offrent des successions de formes dont la finalité et la narration se révèlent impossibles à établir. En poussant un peu plus loin, et cet artiste d’origine portugaise installé à Berlin abonde dans ce sens, on pourrait aller jusqu’au symbolisme belge. Dans une constante logique de rêve sous-jacent, des figures hybrides se situant entre la plante, l’être humain ou l’animal, se nouent et se dénouent. Des corps sans organes se désintègrent, des animaux sont en pleine métamorphose… L’artiste propose une nouvelle grammaire de figures et d’espaces au sein d’improbables connexions. Lui parle de dessins abstraits, desquels le message n’est ni reconnaissable ni identifiable. On ne peut y déceler non plus de chronologie ou de narration. Son langage est impossible à réduire en un dialecte rationnel et reconnaissable, autre que celui du crayon, de la goua- che, du pastel ou de l’aquarelle. On vogue dans ses croquis comme dans un rêve, sans délimitation précise entre le réel et l’imaginaire. Chacun y apporte son bagage, même si Queiroz réfute une interprétation trop psychanalytique. Il parle davantage de théâtre ou de cinéma. Il est vrai que l’architecture des feuilles est très structurée, mimant parfois un espace scénique laissant libre cours à tous les actes possibles. La série lui tient aussi à cœur. Comme dans un feuilleton, on peut la lire dans son ensemble ou en apprécier chaque épisode indépendamment. D’autres fois, la dissolution des personnages mêmes tend à être une part de l’architecture. Un cadavre exquis qui se constituerait au fil des dessins Mais alors que veut dire Jorge Queiroz à travers ce monde elliptique et grouillant ? Justement, il refuse de donner des clefs trop évidentes. Il crée « une atmosphère » et insiste sur les liens qu’il induit entre les espaces et les choses, en employant les termes de limbes et de mem- Untitled, 2007, technique mixte sur papier, 29,7 x 42,3 cm. © Bertrand Huet/Tutti. Untitled, 2008, technique mixte sur papier, 163 x 163 cm. © Bertrand Huet/Tutti. bres. Il reprend souvent un élément d’un ancien dessin pour en démarrer un autre : comme une nouvelle version de cadavre exquis qui ne se développerait pas sur la même feuille, mais au fil des ans. Une grande cohérence se dégage de son travail amorcé depuis près de vingt ans. Son dessin est une « condensation de plein de moments », c’est un processus mental qu’il ne peut pas expliquer. Il adoube cette constante ambivalence entre la réalité et l’autre monde. Ses œuvres ne sont absolument pas le reflet d’un journal autobiographique, mais la composition d’une énigme. Et Queiroz, en bon metteur en scène, ne dévoile pas, dès le départ, la fin de l’intrigue. Il laisse le regardeur dériver dans ce monde onirique sans discours, presque préver- bal, en y laissant une pointe d’absurdité et d’autodérision. Qu’ensuite, on interprète ses feuilles sur des pages et des pages par de beaux discours le fait plutôt partir d’un bon rire franc ! Biographie Jorge Queiroz est né à Lisbonne en 1966. Il vit et travaille à Berlin. En 2007, il a bénéficié d’une importante exposition monographique à la fondation Serralves, de Lisbonne et a participé à l’exposition : « Où ? Scènes du Sud : Espagne, Italie, Portugal » du Carré d’Art de Nîmes durant l’été. Représenté en France par la galerie Nathalie Obadia. Frédérique Loutz Sans titre, 2008, encre de Chine et aquarelle sur papier, 28,5 x 30 cm. Courtesy galerie Claudine Papillon. frôler le très horrible. Elle lit beaucoup, confectionne des sculptures cousues en cuir, chine des objets hétéroclites, fait de nombreuses esquisses, puis se lance. With you all Seams Possible, “Natural Love’’ you say. I will be Wherever you’re, 2008, encre de Chine et aquarelle sur papier, 28,5 x 30 cm. Courtesy galerie Claudine Papillon. H ansël & Brätzel, Phèdre liée à Icare, un cochon associé à un vilain petit canard, des corps qui se scellent, s’englobent et se gobent jusqu’à ne faire qu’un… Frédérique Loutz procède par associations d’idées. Elle dit partir de pensées « un peu légères », de phrases qui l’amusent ou de jeux de mots. Femme sensible, à l’esprit de famille, elle se remémore souvent les blagues échangées avec sa mère. Elle fut un peu déstabilisée par son installation dans la ville de Berlin, il y a un an. Même si elle crut pouvoir continuer ses gestes, les changements de contexte et de ville entraînent toujours une autre façon de faire. « Tout comme le pain du boulanger n’est pas le même », dit-elle gourmande. Mais peu à peu, les obsessions reviennent. Pour Frédérique Loutz, ce sont ces mélanges d’êtres hybrides et ces réminiscences de mythologie. Les contes des petites filles sont poussés jusqu’au monstrueux. La magie bascule, la beauté côtoie le hideux. Frédérique Loutz aime les extrêmes et tente à sa façon de les lier. Elle démontre comment le « super-décoratif » peut Le blanc de la feuille, sculpté comme du marbre Mais si ses idées sont impulsives, son travail se fait dans une grande concentration. Encre, feutre et aquarelle sont apposés avec soin et détermination. Les hachures sont tellement précises qu’on les croirait tracées à la règle. Les couleurs s’admirent en aplat, bien séparées les unes des autres. Peu de dégoulinades, sauf lorsqu’elle se colle au face à face d’un grand format épinglé directement au mur. Le blanc de sa feuille demeure immaculé. Son dessin est dans la plupart des cas centré pour ne pas minimiser l’importance de ce blanc. Il existe en tant que matière propre de laquelle elle fait émerger les formes et les êtres par la couleur. Le blanc est sculpté, comme un marbre. Il ne faut pas le brusquer, l’abîmer… Frédérique Loutz a d’autres conquêtes. Elle s’attaque à des formats de plus en plus imposants et revisite des Vierges à l’enfant ou Le Radeau de la Méduse. Dans sa propre version, elle insiste sur la métaphore d’un cocon protégé, face à l’en-dehors, la houle et la violence qui symbolisent la difficulté de la vie. Pour enrober ses messages à l’humour croissant – car en vieillissant Mademoiselle Loutz prend du corps et s’affirme –, elle use aussi du velouté de la gouache. Comme une dragée, cette matière adoucit les scènes osées. « Vous prendrez bien un peu de sucre pour faire passer la pilule… » Puis, l’écriture gagne sa place, illustrant le mélange de langues auquel elle est confrontée : le français, l’anglais, l’italien appris durant son séjour à la Villa Médicis, puis l’allemand de Berlin. Elle permet aussi d’insister sur certains points. Les mots ayant trait à la gourmandise et à la cuisine sont très présents et se voient souvent associés à la luxure. Ces petites bonnes femmes un peu grivoises, telles des cocottes de Toulouse-Lautrec, ces corps qui se lient avec une certaine violence pour se déchirer aussitôt et ces références aux tragédies grecques témoignent de la grande sensibilité et des batailles d’une jeune femme d’aujourd’hui. Biographie Frédérique Loutz est née en 1974. Elle vit et travaille à Berlin depuis 2007. Pensionnaire en 2006 à la Villa Médicis à Rome, elle participera à la Force de l’art au Grand Palais en 2009. Représentée en France par la galerie Claudine Papillon et en Grèce par la Thanassis Frissiras Gallery. | Éditeur, directeur de la publication : Jean-Christophe Castelain | Coordination : Fabien Simode | Rédaction : Marie Maertens | Directeur commercial : Frédéric Pion | Chef de publicité : Peggy Ribault | Conception graphique : Hélène Giraud |