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La ratification par le juge d'un accord entre parents prévoyant une garde
alternée de l'enfant
Par Laurent MARGOT
Président du Tribunal du District du Val de Travers, Canton de Neuchâtel .
Conférence du 27 avril 2006 pour l’ Association Neuchâteloise pour la Médiation Familiale
1. LA GARDE COMME UN DES ATTRIBUTS DE L’AUTORITÉ PARENTALE
L’enfant est soumis, pendant sa minorité, à l’autorité parentale (art. 296 al. 1 CC) ce qui donne aux
parents le droit - et le devoir - de (art. 301 ss CC) :
1.1 Pourvoir aux soins et à l’éducation de l’enfant ;
1.2 Le représenter, tant à l’égard des tiers qu’en ce qui concerne l’administration de ses biens ;
1.3 Exercer sur lui un droit de garde, soit le droit de déterminer son lieu de résidence et son mode
d’encadrement, que ce soit chez les parents ou chez des tiers (cf. Hegnauer/Meier, n. 26.06).
La garde est donc un attribut de l’autorité parentale. Il en découle deux conséquences :
Tout d’abord, la ratification par le juge d’un accord entre parents prévoyant une garde alternée de
l’enfant n’est envisageable que s’il y a autorité parentale conjointe (cf. ATF 5C.42/2001), c’est-à-dire
uniquement dans les cas de parents mariés qui se séparent (art. 297 al. 1 CCS), de parents qui
divorcent tout en maintenant l’autorité parentale conjointe (art. 133 al. 3 CC), ainsi que de parents
non mariés qui ont demandé l’autorité parentale conjointe (art. 298a al. 1 CC) et qui cessent la vie
commune. Par contre, dans tous les autres cas où seul un parent exerce l’autorité parentale, on ne
peut légalement mettre sur pied une garde alternée 1 ; une garde de fait alternée ou un droit de
visite élargi (voir b ci-dessous) restent cependant envisageables (cf. ATF 117 II 528).
Ensuite, la ratification par le juge d’une garde alternée sera intimement liée à la possibilité
d’accorder
l’autorité
parentale
conjointe.
2 UN PEU DE TERMINOLOGIE 2
2.1 Garde conjointe ou en commun: les parents exercent en commun l’autorité parentale et vivent
ensemble
avec
l’enfant.
2.2 Garde alternée 3 ou partagée: les parents exercent en commun l’autorité parentale, mais se
partagent la garde de l’enfant de manière alternée pour des périodes plus ou moins égales, qui
peuvent être fixées en jours ou en semaines, voire en mois (cf. ATF 5C.42/2001) 4.
2.3 Droit de visite élargi : droit de visite du parent qui n’a pas la garde, plus large que le droit de
visite usuel (en Suisse romande, en général un week-end sur deux, la moitié des vacances scolaires
et les jours fériés en alternance avec l’autre parent), mais moins étendu qu’une garde alternée (cf.
ATF 123 III 445 = JT 1998 p. 354).
Garde de fait: encadrement quotidien de l’enfant (cf. Stettler, « Le droit suisse de la filiation », p.
249 ss). Elle est en général assumée par le parent qui a la garde « légale » de l’enfant, mais il peut
la confier à des tiers. Exemples : enfant mis en colonie de vacances, accueilli par ses grandsparents durant une hospitalisation du parent gardien, placé chez son parent à qui la garde n’a pas
été officiellement accordée. Cette garde de fait peut être confiée tacitement ou faire l’objet d’un
accord écrit. Le détenteur de l’autorité parentale est habilité à reprendre en tout temps sa garde car
son droit est intransmissible et il ne peut y renoncer.
3 PETIT HISTORIQUE
3.1 Initialement, l’autorité parentale conjointe en Suisse était liée au mariage des parents. Ainsi, en
cas de concubinage, la mère était l’unique titulaire de l’autorité parentale ; de même, en cas de
divorce, l’autorité parentale ne pouvait être attribuée qu’à un seul des parents.
Progressivement, le principe du partage de l’autorité parentale après le divorce s’est étendu dans le
monde 5 et est arrivé jusqu’ici. C’est ainsi que l’autorité parentale conjointe a été examinée et rejetée
lors de la révision du droit de la filiation en 1975. Puis, en 1983, le Conseil fédéral s’est déclaré prêt,
en réponse à un postulat, à étudier la possibilité de l’instaurer dans le droit helvétique. Mais avant
même les résultats de l’étude que le Conseil fédéral a menée à ce sujet, quelques juges de
première instance ont accordé dès 1988 l’autorité parentale conjointe à des parents divorcés (cf.
notamment SJ 1990 p. 372), ce qui a conduit le Tribunal fédéral à rappeler que le droit suisse
interdisait une telle pratique, et ce même si les parents s’étaient mis d’accord sur ce point dans leur
convention de divorce (cf. ATF 117 II 519), et qu’il appartenait au législateur et non aux juges d’en
décider.
3.2 C’est ainsi que le législateur a introduit l’autorité parentale conjointe dans la modification du droit
du divorce, entrée en vigueur le 1er janvier 2000. Cette innovation est mise en œuvre dans les
articles du Code civil suivants :
Dans le cadre du divorce6.
Article 133 al. 3 CC : « Sur requête commune des père et mère, le juge maintient l’exercice en
commun de l’autorité parentale, pour autant que cela soit compatible avec le bien de l’enfant et que
les parents soumettent à sa ratification une convention qui détermine leur participation à la prise en
charge de l’enfant et la répartition des frais d’entretien de celui-ci.»
Dans le cadre de l’union libre.
Article 298a al. 1 CC: «Sur requête conjointe des père et mère, l’autorité tutélaire attribue l’autorité
parentale conjointement aux deux parents, pour autant que cela soit compatible avec le bien de
l’enfant et qu’ils soumettent à sa ratification une convention qui détermine leur participation à la prise
en charge de l’enfant et la répartition des frais d’entretien de celui-ci. »
3.3 Le 7 mai 2004, un postulat a été déposé, chargeant le Conseil fédéral d’examiner comment il
serait possible de promouvoir l’autorité parentale conjointe dans les cas où les parents ne sont pas
mariés ensemble ou ne le sont plus, et de déterminer s’il serait possible de faire de l’autorité
parentale conjointe la règle 7. Le Conseil fédéral a proposé d’accepter ce postulat. Finalement, le
Conseil National a de plus accepté le 15 mars 2006 une motion de sa Commission des affaires
juridiques chargeant le Conseil fédéral d’examiner la possibilité de procéder à des révisions
législatives dans le domaine de la compensation de la prévoyance et des questions qui touchent les
enfants 8.
4 LES CONDITIONS DE LA GARDE ALTERNEE
4.1 Comme cela a déjà été relevé, la garde alternée n’est envisageable que si l’autorité parentale
conjointe peut être accordée ; il convient donc de s’attarder sur les conditions du maintien de cette
autorité parentale, à savoir :
Une requête commune des parents.
En droit suisse, l’autorité parentale conjointe ne peut être imposée à l’un ou l’autre des parents ; il
faut que tous deux se soient mis d’accord pour qu’une telle solution soit appliquée.
Le bien de l’enfant.
L’autorité parentale conjointe doit de plus être compatible avec le bien de l’enfant. Le Conseil fédéral
relevait à ce sujet 9 : « Il est nécessaire que chaque parent ait une capacité éducative totale, c’est-àdire que chacun remplisse toutes les conditions de l’attribution de l’autorité parentale. Il est en outre
fondamental que les parents n’aient pas seulement la volonté de coopérer, ce qui se manifeste par
la requête commune, mais qu’ils soient aussi capable de le faire malgré le divorce. Leur
personnalité, leurs relations actuelles ainsi que leurs plans communs pour l’avenir de l’enfant
doivent montrer que l’autorité parentale conjointe demandée est compatible avec le bien de l’enfant.
Le pronostic est plus facile lorsque les parents se sont déjà occupés conjointement de l’enfant
durant la séparation précédant le divorce ».
La convention.
Les parents doivent soumettre à l’approbation du juge une convention portant sur la participation à
la prise en charge de l’enfant et la répartition des frais d’entretien de celui-ci. Le Conseil fédéral
mentionnait à cet égard 10 : « Il résulte de cette condition que les deux parents doivent vouer des
soins à l’enfant après le divorce, de manière à connaître sa vie quotidienne. Le temps que doit
consacrer chaque parent à l’enfant doit, dans les grandes lignes, être prévu dans la convention afin
de prévenir des difficultés et des divergences futures sur ces points ainsi que des procédures de
modification éventuelles qui pourraient être préjudiciables à l’enfant ».
4.2 La garde alternée, quant à elle, n’est pas réglementée par la loi ; elle n’apparaît dans le
Message du Conseil fédéral, que dans les termes suivants 11: « La «garde alternée», qui consiste à
faire habiter l’enfant pendant quelques jours alternativement chez la mère et chez le père n’est pas
réglée expressément. L’admissibilité de tels accords doit être appréciée sous l’angle du bien de
l’enfant et dépend donc essentiellement des circonstances du cas particulier (âge de l’enfant,
distance entre les logements des parents, etc.) ».
Dans un des (très) rares arrêts concernant cette garde, le Tribunal fédéral a relevé 12 : « En
présence de circonstances idéales, le modèle de la garde alternée est le mieux à même de
compenser la perte, à la suite d’un divorce, de relations personnelles intenses avec les deux
parents. Toutefois, la doctrine souligne que la garde alternée présuppose une grande capacité de
coopération, des conditions de logement favorables et, lorsque les enfants sont scolarisés, la
proximité entre le domicile et le lieu de visite ; une telle réglementation de la garde est souvent trop
lourde pour beaucoup de parents et d’enfants. Sans vouloir traiter ici exhaustivement la question de
la garde alternée, il paraît indiqué d’être très strict sur les conditions de ratification de telles
conventions ».
Dans un autre arrêt, il a rappelé que13: « Ainsi, même dans les cas où les parents requièrent
conjointement le maintien de l’exercice en commun de l’autorité parentale après le divorce et
soumettent à la ratification du juge une convention prévoyant une garde alternée, l’admissibilité d’un
tel accord doit être apprécié sous l’angle du bien de l’enfant et dépend essentiellement des
circonstances du cas particulier, telles que l’âge de l’enfant, la proximité des logements parentaux
entre eux et avec l’école, la capacité de coopération des parents ».
On peut dégager ainsi quelques critères, non exhaustifs, permettant de se déterminer sur l’octroi ou
le refus d’une garde alternée.
L’avis de l’enfant : il ne paraît pas judicieux de contraindre un enfant à subir une garde alternée ; de
plus, la garde alternée doit être dans son intérêt, et non dans l’intérêt des parents qui chercheraient
de la sorte à se partager entre eux leur progéniture comme ils l’ont fait pour leur régime matrimonial.
L’âge de l’enfant : plus il est jeune, plus il a besoin de stabilité ; plus il est âgé, plus il est apte à faire
part de son avis quant à ce mode de garde.
La fratrie : en principe, une fratrie ne devrait pas être partagée.
La répartition des tâches pendant la vie commune : si l’un des parents n’a jamais pris en charge
l’enfant pendant la vie commune, il paraît illusoire qu’il soit apte à le faire après la désunion ; par
contre, si les parents ont tous deux pris en charge l’enfant dans une mesure comparable, la garde
alternée aura de bonnes chances de succès.
La capacité de coopération des parents : la garde alternée suppose une organisation
particulièrement développée ; si la coopération n’est pas bonne entre les parents, elle ne pourra être
mise en œuvre.
La distance entre les logements des parents entre eux et avec l’école : l’enfant ne doit pas passer
son temps à se déplacer d’un logement à l’autre ou d’un logement à l’école.
La stabilité de l’enfant : le passage d’un parent à l’autre ne doit par exemple pas empêcher l’enfant
d’avoir son cercle d’amis en raison de changements fréquents, ou entraîner un suivi déficient de sa
scolarité.
La capacité d’hébergement des parents : l’enfant doit pouvoir bénéficier de conditions de logement
correcte chez les deux parents, ce qui nécessite certaines facultés financières.
1
Cela signifie notamment que si des concubins se sont séparés et veulent mettre sur pied une garde
alternée alors qu’ils n’avaient pas auparavant demandé l’autorité parentale conjointe, ils devront
formellement requérir d’une part l’autorité parentale conjointe, d’autre part la garde alternée
2
La terminologie proposée ici est majoritairement reconnue, mais non unanimement (voir
notamment Werro, « Concubinage, mariage et démariage », n. 748 ss, pour qui il y a droit de garde
en commun dès qu’il y a autorité parentale conjointe, mais qui distingue toutefois la garde de fait).
3
Certains mouvements de condition paternelle préconisent un autre vocable, le terme de « garde »
étant jugé choquant (garde des prisonniers, des bestiaux..), et l’adjectif « alternée » signifiant que la
responsabilité sur l’enfant bascule d’une tête sur une autre ; ils préconisent ainsi la « résidence
paritaire ».
4
Dans un arrêt rendu en matière de droit fiscal, le Tribunal fédéral a relevé que lorsque l’autorité
parentale et la garde sont attribuées par le juge du divorce à l’un des parents, et que ceux-ci
s’entendent ensuite pour que les enfants passent une semaine alternativement chez chacun d’eux, il
n’y a pas une véritable garde alternée mais un arrangement à bien plaire et à titre précaire
(2A.256/2004). On peut parler d’une « garde de fait alternée », à distinguer d’une « garde légale
alternée », soit celle qui a été ratifiée par le juge.
5
Par exemple
Recommandation du 28 février 1984 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (R 89), qui
préconise le partage de l’autorité parentale après divorce ;
Convention de l’ONU de 1989 relatives aux droits de l’enfant, qui relève que les parents soient
responsables de l’enfant quelle que soit leur situation (art. 18) ;
Children Act de Grande-Bretagne de 1989, qui prévoit que chaque parent est individuellement
responsable de l’enfant, autant avant qu’après le mariage ;
Art. 287 du Code civil français qui impose le principe du partage de l’autorité parentale, sauf dans
les cas où il serait contraire aux intérêts de l’enfant.
6
C'est ainsi qu’en 2002 et 2003, l’autorité parentale conjointe a été maintenue pour respectivement
27% et 26% des enfants ; Office fédéral de la statistique, Section Démographie ertmigration,
Divorces.
7
Postulat Wehrli, n°04.3250.
8
CAJ-CN, n° 04.405
9
Message du 9 janvier 1996, p. 133.
10
Message du 9 janvier 1996, p. 133.
11
Message du 9 janvier 1996, p. 133.
12
JT 1998 I 360.
13
ATF 5C.42/2001.