Lire l`article complet
Transcription
Lire l`article complet
>>> Le système KiSS/GPR54 : un exemple de dimorphisme sexuel The Kisspeptin/GPR54 system as an example of sexual dimorphism Lukas Huijbregts, Carine Villanueva, Laure Villoing, Sandrine Jacquier, Nicolas de Roux* points FORTS ▲▲ Les kisspeptines, codées par le gène KiSS1, sont les ligands du récepteur couplé aux protéines G GPR54. ▲▲ GPR54 est nécessaire à la survenue normale de la puberté. ▲▲ Les patients homozygotes pour une mutation inactivatrice de GPR54 présentent un hypogonadisme hypogonadotrope sévère sans anosmie. ▲▲ Les kisspeptines en activant GPR54 modulent directement la sécrétion de GnRH. ▲▲ Dans l’hypothalamus de rongeur, les neurones exprimant KiSS1 sont localisés dans le noyau arqué et dans le noyau antéroventral périventriculaire. Leur répartition est sexuellement dimorphique. ▲▲ Les neurones KiSS du noyau arqué impliqués dans le rétrocontrôle négatif de l’axe gonadotrope par les stéroïdes sexuels, ceux qui sont localisés dans l’AVPV, pourraient jouer un rôle dans la survenue du pic ovulatoire de LH. ▲▲ Peu avant le déclenchement de la puberté, l’expression de KiSS1 augmente dans l’hypothalamus et les neurones à GnRH deviennent plus sensibles à l’effet des kisspeptines. Ces mécanismes pourraient être responsables de l’initiation de la puberté. ▲▲ Les neurones à KiSS pourraient jouer le rôle de relais de certains signaux métaboliques, ce qui expliquerait le lien entre des perturbations de l’axe gonadotrope et certains troubles métaboliques tels que le diabète ou l’anorexie. Mots-clés : Kisspeptines – GPR54 – Hypogonadisme hypogonadotrope – Puberté. Keywords: Kisspeptin – GPR54 – Hypogonadotropic hypogonadism – Puberty. L’ axe gonadotrope est l’acteur principal de la fonction de reproduction dont les mécanismes de régulation sont très complexes. Cet axe est composé * Équipe avenir génétique et physiologie de l’initiation de la puberté, Inserm U690, hôpital Robert-Debré, Paris. de facteurs hypothalamiques dont le plus connu est la GnRH, d’hormones hypophysaires LH et FSH, et de stéroïdes sexuels ou de facteurs gonadiques tels que l’inhibine. Il est maintenant bien admis que toutes les boucles de régulation de l’axe gonadotrope passent par la régulation de la sécrétion de la thématique Dossier GnRH. Notamment, le début de la puberté est dû à une augmentation de la sécrétion hypothalamique de la GnRH alors que le pic ovulatoire de LH dépend directement d’une régulation positive de la sécrétion de la GnRH par les estrogènes. Ces deux boucles majeures de régulation de l’axe gonadotrope font l’objet d’un dimorphisme sexuel, puisque la réactivation de l’axe gonadotrope est plus tardive chez le garçon que chez la fille alors que la régulation positive par les estrogènes n’est décrite que dans l’hypothalamus féminin. Pendant de nombreuses années, les mécanismes moléculaires de ce dimorphisme sexuel étaient inconnus. La découverte, en 2003, du système kisspeptines/GPR54 comme étant un élément clé de la régulation de l’axe gonadotrope, a ouvert des perspectives inattendues (1, 2). Plusieurs équipes ont notamment démontré que le dimorphisme sexuel de la régulation hypothalamique de l’axe gonadotrope dépendait d’un dimorphisme sexuel de l’expression hypothalamique des kisspeptines (3). Cet article résume le rôle clé des kisspeptines et de leur récepteur GPR54 dans la régulation de l’axe gonadotrope chez l’adulte et au cours de l’initiation de la puberté, ainsi que leur implication dans le dimorphisme sexuel de cette régulation. Les lecteurs intéressés par une revue plus détaillée de la littérature sur le kisspeptine/GPR54 pourront se référer aux articles récents cités dans les références 3 et 21. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008 207 Dossier thématique Description du système KiSS/GPR54 Les kisspeptines sont les ligands naturels de GPR54, qui est un récepteur couplé aux protéines G s’exprimant notamment à la surface des neurones à GnRH dans l’aire préoptique de l’hypothalamus. Le rôle majeur de ce récepteur dans la régulation neuro endocrine de l’axe gonadotrope a été décrit pour la première fois en 2003 par deux équipes indépendantes qui ont identifié des mutations homozygotes du gène codant pour GPR54 chez des patients atteints d’hypogonadisme hypogonadotrope isolé (1, 2). Le gène KiSS1 code pour les kisspeptines. Ce gène a été initialement décrit comme un gène suppresseur de tumeur chez l’homme (4). Les kisspeptines sont des neuropeptides issus d’une prohormone de 145 acides aminés, qui va subir, à la suite de l’action d’une proconvertase, un clivage générant notamment un peptide de 54 acides aminés, appelé Kp54 ou métastine. Plusieurs peptides plus petits correspondant à la partie C terminale de Kp54 ont également été purifiés à partir du placenta. Pour des raisons expérimentales, les kisspeptines de 10 et 54 acides aminés (Kp10 et Kp54) ont été principalement utilisés, la fonction biologique des peptides intermédiaires reste à déterminer. Le gène KiSS1 est exprimé dans le noyau arqué (ARC) de l’hypothalamus des primates mais également dans le noyau antéroventral périventriculaire (AVPV) chez les rongeurs, ce qui est concordant avec une fonction de régulation de l’axe gonadotrope. Kisspeptines et régulation de l’axe gonadotrope L’axe gonadotrope est composé de trois structures, l’hypothalamus, l’hypophyse et les gonades, qui vont 208 interagir entre elles. L’hypothalamus contient les neurones à GnRH qui vont synthétiser la GnRH de façon pulsatile durant la vie fœtale, à la puberté puis tout au long de la vie adulte. La GnRH est sécrétée dans le système porte hypophysaire et stimule les cellules gonadotropes qui vont synthétiser la LH (luteinizing hormone) et la FSH (folliclestimulating hormone). Ces deux hormones vont à leur tour activer la synthèse de testostérone et d’estradiol par les cellules gonadiques. La maturation de l’axe gonadotrope pendant la période juvénile chez l’animal de laboratoire ou pendant l’enfance dans l’espèce humaine est indispensable à la survenue de la puberté et à l’acquisition d’une fonction de reproduction normale. Le rôle des kisspeptines dans l’initiation de la puberté a été suggéré à la suite de la description de mutations inactivatrices de GPR54 (1, 2) chez des patients ayant un déficit gonadotrope congénital. Très rapidement, les différents modèles expérimentaux ont démontré que Kp10 et Kp54 étaient les sécrétagogues les plus puissants de la GnRH chez l’adulte, quelle que soit l’espèce étudiée. L’administration de kisspeptines en intracérébroventriculaire ou en périphérie chez le rongeur mâle et chez la femelle, chez le singe mâle ou bien chez le mouton, entraîne une augmentation de la concentration plasmatique en LH et FSH (3). Cet effet est bloqué par l’administration préalable d’agoniste de la GnRH, ce qui signifie que l’effet des kisspeptines passe par une stimulation de la sécrétion de la GnRH ou de son action. Une approche très puissante pour analyser la fonction d’une nouvelle hormone et de son récepteur consiste à invalider les gènes de la souris codant pour ceux-ci. Un modèle de souris invalidée pour le récepteur GPR54 (souris GPR54-/-) a été généré. Ces souris sont infertiles, avec des concentrations plasmatiques très basses de gonadotrophines Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008 et de stéroïdes circulants, les autres hormones hypophysaires sont normales, elles ont donc un déficit gonadotrope isolé. Un traitement par GnRH exogène permet une augmentation de la sécrétion de gonadotrophines et rétablit le pic préovulatoire de LH chez la femelle, ce qui indique que les fonctions hypophysaires et gonadiques sont préservées. Sur le plan anatomique, il n’y a pas d’anomalie de migration des neurones à GnRH. L’injection de kisspeptines chez les souris GPR54-/- n’induit pas d’augmentation des gonadotrophines LH et FSH (3). Ces neuropeptides agissent donc directement et uniquement sur l’axe gonadotrope via un récepteur : GPR54. Lors d’un traitement par testostérone chez le mâle adulte et par estrogènes chez la femelle adulte, les souris GPR54-/ont un comportement sexuel adapté à leur sexe, ce qui confirme que GPR54 n’est pas nécessaire à l’acquisition d’un comportement sexuel mâle ou femelle (5). Le gène KiSS1 a également été invalidé chez la souris par deux groupes différents. Les souris KiSS1-/ont un déficit gonadotrope sévère comme les souris GPR54-/-. Il faut noter qu’un groupe a rapporté que 50 % des femelles ont un phénotype moins sévère avec des gonades dont le poids est similaire à celui des souris non invalidées (6). Des études complémentaires sont nécessaires pour comprendre cette différence, elle pourrait dépendre du protocole d’invalidation utilisé. Chez les souris KiSS1-/-, l’injection périphérique en sous-cutané de Kp10 restaure la sécrétion des gonadotrophines, ce qui confirme l’effet hormonal des kisspeptines et élimine définitivement un rôle dans le développement de l’axe gonadotrope (3). Chez l’homme, les mutations inactivatrices de GPR54 sont responsables de la survenue d’un hypogonadisme hypogonadotrope qui peut être congénital (1). Les travaux démontrant l’effet hormonal des kisspeptines dans l’espèce humaine sont pour l’instant limités à deux articles provenant du même groupe. Il ressort de ces études que l’administration intraveineuse de Kp54 chez des hommes adultes volontaires sains entraîne une augmentation de LH et de FSH, puis de testostérone. L’effet de Kp54 sur la LH est beaucoup plus important que l’effet observé sur la FSH. Lors de l’administration de Kp54 en sous-cutané chez la femme ayant des cycles menstruels réguliers, l’effet de Kp54 sur les concentrations plasmatiques de LH et FSH est plus prononcé pendant la phase préovulatoire (3). Cette sensibilité variable de la concentration plasmatique de la LH à l’administration de Kp54 en fonction des différentes phases du cycle, est également observée chez la rate (3, 7). Ces résultats montrent que la fonction des kisspeptines sur l’axe gonadotrope est identique dans les deux sexes bien que les variations de la sensibilité hypothalamique à ces neuropeptides au cours du cycle soient une première indication d’un dimorphisme sexuel pour le système kisspeptines/GPR54. Kisspeptines et puberté La réactivation de l’axe gonadotrope est plus précoce chez les femelles que chez les mâles quelle que soit l’espèce étudiée. Chez le rongeur et le primate, le début de la puberté correspond à une augmentation de la sécrétion hypothalamique de la GnRH après une phase de quiescence de l’axe gonadotrope pendant toute la période infantile (figure 1). La régulation de la sécrétion de GnRH dépend en partie de la plasticité neuronale lors de la transition entre la période juvénile et la période adulte. Il était donc tentant d’envisager que cette plasticité dépende d’une augmentation de l’expression du gène KiSS1 et donc de la synthèse des kisspeptines hypothalamiques. En effet, le nombre de Phase prépubertaire juvénile NPY, NO, facteurs neurotrophiques, glutamate, norépinéphrine, kisspeptines + HYPOTHALAMUS Phase prépubertaire précoce NPY, NO, facteurs neurotrophiques, glutamate, norépinéphrine, Neurones GABA kisspeptines – Pulse de GnRH + HYPOTHALAMUS Neurones GABA – thématique Dossier Pulse de GnRH HYPOPHYSE HYPOPHYSE LH, FSH LH, FSH Figure 1. Régulation centrale de la sécrétion pulsatile de GnRH par les neurotransmetteurs pendant la période juvénile et au début de la puberté. NPY : neuropeptide Y – NO : monoxyde d’azote. neurones KiSS se multiplie dans le noyau antéroventral périventriculaire (AVPV) de l’hypothalamus à la fin de la phase juvénile du rongeur. Chez le singe, l’expression du gène KiSS1 augmente également au moment de la puberté dans l’hypothalamus, juste avant l’intensification de la sécrétion pulsatile de GnRH (8, 9). De plus, une augmentation de l’apposition des axones des neurones KiSS sur les corps cellulaires des neurones à GnRH est observée à la fin de la phase juvénile chez le rongeur, ce qui suggère une plus grande interaction fonctionnelle entre ces deux neurones au début de la puberté. L’hypothèse d’une sensibilité plus importante de l’hypothalamus à l’action des kisspeptines a également été testée. Pendant la période juvénile, seuls quelques neurones à GnRH sont stimulés par les kisspeptines, alors que chez l’adulte presque tous les neurones à GnRH le sont. Cette sensibilité accrue n’est pas associée à une augmentation de l’expression hypothalamique de GPR54 entre la période juvénile et la période adulte. Elle pourrait dépendre de modifi- cations des voies de signalisation intracellulaire du récepteur GPR54. L’administration de kisspeptines en intracérébroventriculaire chez le rat femelle juvénile (10) ou en intraveineux chez le singe juvénile induit une activation précoce de l’axe gonadotrope (11). Il ressort des travaux publiés chez l’animal de laboratoire ou bien lors de la caractérisation de mutations inactivatrices de GPR54 dans l’espèce humaine, que l’intégrité du système kisspeptines/GPR54 est indispensable à la survenue de la puberté, participe à son déclenchement, bien que ce système ne soit pas le facteur initiateur de la maturation hypothalamique débutant pendant l’enfance (12). Régulation de KiSS1 par les stéroïdes sexuels Le rétrocontrôle négatif des peptides hypothalamiques par les hormones périphériques est décrit pour chaque Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008 209 Dossier thématique axe endocrinien. Les neurones à GnRH n’exprimant pas le récepteur aux estrogènes, ERα (13), ce rétrocontrôle passe obligatoirement par des interneurones sensibles aux stéroïdes sexuels. Les neurones KiSS, dont la majorité exprime ERα, sont rapidement devenus un sérieux candidat pour la régulation négative dans les deux sexes. À l’inverse, chez la femelle, un rétrocontrôle ARC + Neurones KiSS ARC Neurones KiSS – AVPV positif de la sécrétion de la GnRH par les estrogènes est décrit depuis de nombreuses années sans que le mécanisme soit connu. Il dépend d’interneurones présents dans l’AVPV de l’hypothalamus. Le gène KiSS1 étant exprimé dans ce noyau, il était tentant de tester l’hypothèse que le dimorphisme sexuel de la régulation positive de l’axe gonadotrope dépendrait du système kiss- – Hypothalamus + Neurones KiSS AVPV Neurones GnRH + Pulse de GnRH Hypothalamus + Neurones GnRH Pulse de GnRH Neurones KiSS Hypophyse Hypophyse LH FSH Testostérone Testicules LH FSH Estrogènes Ovaires Figure 2. Mécanismes d’action des kisspeptines chez les rongeurs mâle (gauche) et femelle (droite). ARC : noyau arqué – AVPV : noyau antéroventral périventriculaire. peptines/GPR54. Plusieurs modèles animaux ont été utilisés pour étudier la régulation de l’expression du gène KiSS1 par les stéroïdes sexuels dont, notamment, les souris femelles ESR1-/- invalidées pour le gène codant ERα (14) ou la gonadectomie suivie d’un traitement par estrogènes ou testostérone (figure 2). Il ressort de ces travaux que la gonadectomie induit une augmentation de l’expression de KiSS1 dans l’ARC alors que celle-ci diminue dans l’AVPV. L’administration d’estrogènes chez la souris gonadectomisée femelle ou de testostérone chez le mâle restaure une expression normale de KiSS1 (figure 3). L’expression de KiSS1 est donc stimulée dans l’ARC en l’absence de stéroïdes sexuels, indiquant que les neurones KiSS dans ce noyau hypothalamique pourraient intervenir dans le rétrocontrôle négatif des stéroïdes sur l’axe gonadotrope. Chez les femelles ESR1-/-, l’expression de KiSS1 n’est plus régulée par les estrogènes, ce qui signifie que cette régulation passe par ERα et non par ERβ (15, 16). La régulation négative est probablement identique dans l’espèce humaine, puisque, chez la femme ménopausée, l’expression hypothalamique de KiSS1 augmente dans l’infundibulum, probablement à la suite de la baisse de la synthèse ovarienne d’hormones stéroïdes sexuelles (17). Dimorphisme sexuel des neurones KiSS et rôle dans le pic ovulatoire de LH Figure 3. Mise en évidence expérimentale de la régulation de KiSS1 par les estrogènes (d’après 15). Sur ces coupes d’hypothalamus de souris femelle, la quantité de points lumineux est directement corrélée au niveau d’expression du gène KiSS1. OVX : ovariectomie – ARC : noyau arqué – AVPV : noyau antéroventral périventriculaire – 3V : troisième ventriculaire. 210 Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008 Le dimorphisme sexuel de la régulation hypothalamique de l’axe gonadotrope était connu depuis de nombreuses années. Le rôle des kisspeptines dans la régulation de la sécrétion de la GnRH et leur expression dans l’AVPV du rongeur suggérait fortement que ce système participe en partie à ce dimorphisme. Cette hypothèse a été testée en comparant la répartition des neurones KiSS entre les mâles et les femelles. Il ressort de ces travaux que la répartition hypothalamique des neurones KiSS est sexuellement dimorphique : le nombre de neurones KiSS est beaucoup plus important dans l’AVPV chez la femelle que chez le mâle alors qu’il n’y a pas de différence notable dans l’ARC (figure 2) [18]. La répartition des neurones KiSS est déterminée au cours d’une période critique périnatale qui pourrait dépendre de la présence de testostérone chez le mâle et de son absence chez la femelle. En effet, des femelles traitées avec de la testostérone à la naissance auront un profil de répartition des neurones KiSS similaire à celui observé chez le mâle (19). Il est à noter que c’est au cours de la même période critique que se détermine un autre trait sexuellement dimorphique majeur : la survenue d’un pic préovulatoire de GnRH/ LH au cours du cycle ovarien chez la femelle adulte. Ce pic est déclenché par les estrogènes qui, peu avant l’ovulation, vont passer du statut d’inhibiteurs de l’axe (rétrocontrôle négatif) à celui d’activateurs (rétrocontrôle positif). Il est connu depuis plusieurs années que le noyau hypothalamique AVPV est essentiel à la survenue du pic préovulatoire de LH, l’administration d’estrogènes dans l’AVPV étant capable d’induire l’apparition d’un pic, alors que sa lésion le bloque. L’hypothèse du rôle des neurones KiSS de l’AVPV dans le relais du rétrocontrôle positif vers les neurones à GnRH a donc rapidement été émise et vérifiée par plusieurs groupes. En effet, l’expression de KiSS1 dans l’AVPV augmente sous l’effet des stéroïdes sexuels de façon concomitante à la survenue du pic préovulatoire de LH chez la femelle (20). Lorsque les kisspeptines hypothalamiques sont neutralisées par l’injection d’anticorps spécifiquement dirigés contre celles-ci, le pic est inhibé (21). Chez l’homme et chez le singe, la situation est moins claire. En effet, les neurones KiSS ne sont pas détectés dans l’AVPV mais dans l’infundibulum, qui est l’homologue de l’ARC chez le rongeur. Les rétrocontrôles négatifs et positifs des stéroïdes sexuels sur l’axe gonadotrope passeraient donc par des neurones KiSS différents mais situés dans le même noyau hypothalamique. Il est certain que la preuve expérimentale de cette hypothèse ne sera pas facile à obtenir. Un schéma identique semble se dessiner chez la brebis, puisque les neurones KiSS sont concentrés dans l’ARC qui est impliqué dans le rétrocontrôle négatif et dans la survenue du pic préovulatoire de LH. Bien que l’ensemble des neurones KiSS de l’ARC présente une augmentation de l’expression de KiSS1 après ovariectomie, seule une portion des neurones KiSS situés dans la partie caudale de l’ARC est activée au moment du pic préovulatoire de LH. Ce résultat suggère que seule cette sous-population de neurones KiSS de l’ARC est capable de relayer le rétrocontrôle positif des stéroïdes sexuels sur la sécrétion de GnRH chez la brebis (22). Influence des facteurs environnementaux et du métabolisme sur l’expression de KiSS1 La reproduction représente une dépense énergétique importante. Lorsque la balance énergétique est négative (anorexie, exercice physique excessif ou lactation), l’axe gonadotrope est inhibé. Cette inhibition peut retarder la survenue de la puberté ou bien perturber le fonctionnement normal de l’axe gonadotrope chez l’adulte. De plus en plus de résultats expérimentaux suggèrent une régulation de l’expression de KiSS1 par des facteurs métaboliques circulants, tels que l’insuline ou la leptine. Les souris déficientes en leptine (souris ob/ob) ont un niveau d’expression de KiSS1 dans l’ARC de l’hypothalamus inférieur à celui des souris sauvages et des souris traitées à la leptine. Cet effet pourrait être direct, car près de la moitié des neurones KiSS de l’ARC exprime la forme active du récepteur à la leptine. Enfin, l’expression hypothalamique de KiSS1 d’un rat privé de nourriture est inférieure à celle d’un rat témoin (22). Le traitement de rats avec de la streptozotocine, qui induit un diabète de type 1 en détruisant sélectivement les cellules bêta des îlots pancréatiques, s’accompagne d’une baisse de l’expression hypothalamique de KiSS1. Finalement, une variation de l’expression du gène KiSS1 a été observée chez les animaux ayant une reproduction saisonnière avec des diminutions de l’expression hypothalamique pendant la phase de quiescence de l’axe gonadotrope. thématique Dossier Conclusion La découverte du rôle du système kisspeptines/GPR54 en 2003 a constitué une avancée majeure dans la compréhension des mécanismes neuroendocriniens de la réactivation de l’axe gonadotrope lors de la puberté et de la régulation de l’axe gonadotrope au cours de la vie adulte. La régulation différentielle par les stéroïdes sexuels et le dimorphisme sexuel de la répartition des neurones KiSS dans l’hypothalamus, couplés aux très nombreux résultats révélant l’implication des kisspeptines et GPR54 dans la régulation de la sécrétion de GnRH, démontrent que les neurones KiSS jouent un rôle fondamental de médiateur central du rétrocontrôle par les stéroïdes sexuels sur la sécrétion des gonadotrophines. Ces résultats ont Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008 211 Dossier thématique bien sûr une importance fondamentale pour comprendre la physiologie de l’axe gonadotrope. Ils pourraient également permettre la compréhension de l’hypofertilité dans certaines pathologies, dont le déficit en 21-hydroxylase, entraînant un excès d’exposition des femmes à la testostérone en période néonatale. ■ Références bibliographiques 1. De Roux N, Genin E, Carel JC et al. Hypogonadotropic hypogonadism due to loss of function of the KiSS1-derived peptide receptor GPR54. Proc Natl Acad Sci USA 2003;100(19):10972-6. 2. Seminara SB, Messager S, Chatzidaki EE et al. The GPR54 gene as a regulator of puberty. N Engl J Med 2003;349(17):1614-27. 3. Roa J, Aguilar E, Dieguez C et al. New frontiers in kisspeptin/GPR54 physiology as fundamental gatekeepers of reproductive function. Front Neuroendocrinol 2008; 29(1):48-69. 4. Kotani M, Detheux M, Vandenbogaerde A et al. The metastasis suppressor gene KiSS-1 encodes kisspeptins, the natural ligands of the orphan G protein-coupled receptor GPR54. J Biol Chem 2001;276(37):34631-6. 5. Kauffman AS, Park JH, McPhie-Lalmansingh AA et al. The kisspeptin receptor GPR54 is required for sexual differentiation of the brain and behavior. J Neurosci 2007;27(33): 8826-35. 6. Lapatto R, Pallais JC, Zhang D et al. Kiss1-/mice exhibit more variable hypogonadism than Gpr54-/mice. Endocrinology 2007;148(10):4927-36. 7. Roa J, Vigo E, Castellano JM et al. Hypothalamic expression of KiSS-1 system and gonadotropin-releasing effects of kisspeptin in different reproductive states of the female rat. Endocrinology 2006;147(6):2864-78. 8. Shahab M, Mastronardi C, Seminara SB et al. Increased hypothalamic GPR54 signaling: a potential mechanism for initiation of puberty in primates. Proc Natl Acad Sci USA 2005;102(6):2129-34. 9. Navarro VM, Castellano JM, Fernandez-Fernandez R et al. Developmental and hormonally regulated messenger ribonucleic acid expression of KiSS-1 and its putative receptor, GPR54, in rat hypothalamus and potent luteinizing hormonereleasing activity of KiSS-1 peptide. Endocrinology 2004;145(10):4565-74. 10. Navarro VM, Fernandez-Fernandez R, Castellano JM et al. Advanced vaginal opening and precocious activation of the reproductive axis by KiSS-1 peptide, the endogenous ligand of GPR54. J Physiol 2004;561(Pt 2):379-86. 11. Plant TM, Ramaswamy S, Dipietro MJ. Repetitive activation of hypothalamic G protein-coupled receptor 54 with intravenous pulses of kisspeptin in the juvenile monkey (Macaca mulatta) elicits a sustained train of gonadotropin-releasing hormone discharges. Endocrinology 2006;147(2):1007-13. 12. Tenenbaum-Rakover Y, Commenges-Ducos M, Iovane A et al. Neuroendocrine phenotype analysis in five patients with isolated hypogonadotropic hypogonadism due to a L102P inactivating mutation of GPR54. J Clin Endocrinol Metab 2007;92(3):1137-44. 13. Herbison AE, Theodosis DT. Localization of oestrogen receptors in preoptic neurons containing neurotensin but not tyrosine hydroxylase, cholecystokinin or luteinizing hormone-releasing hormone in the male and female rat.Neuroscience 1992;50(2):283-98. 14. Couse JF, Yates MM, Walker VR et al. Characterization of the hypothalamic-pituitary-gonadal axis in estrogen receptor (ER) Null mice reveals hypergonadism and endocrine sex reversal in females lacking ERalpha but not ERbeta. Mol Endocrinol 2003;17(6):1039-53. 15. Smith JT, Dungan HM, Stoll EA et al. Differential regulation of KiSS-1 mRNA expression by sex steroids in the brain of the male mouse. Endocrinology 2005;146(7):2976-84. 16. Smith JT, Cunningham MJ, Rissman EF et al. Regulation of Kiss1 gene expres-sion in the brain of the female mouse. Endocrinology 2005;146(9):3686-92. 17. Rometo AM, Krajewski SJ, Voytko ML et al. Hypertrophy and increased kisspeptin gene expression in the hypothalamic infundibular nucleus of postmenopausal women and ovariectomized monkeys. J Clin Endocrinol Metab 2007;92(7):2744-50. 18. Gottsch ML, Cunningham MJ, Smith JT et al. A role for kisspeptins in the regulation of gonadotropin secretion in the mouse. Endocrinology 2004;145(9):4073-7. 19. Kauffman AS, Gottsch ML, Roa J et al. Sexual differentiation of Kiss1 gene expression in the brain of the rat. Endocrinology 2007;148(4):1774-83. 20. Smith JT, Popa SM, Clifton DK et al. Kiss1 neurons in the forebrain as central processors for generating the preovulatory luteinizing hormone surge. J Neurosci 2006; 26(25):6687-94. 21. Kinoshita M, Tsukamura H, Adachi S et al. Involvement of central metastin in the regulation of preovulatory luteinizing hormone surge and estrous cyclicity in female rats. Endocrinology 2005;146(10):4431-6. 22. Popa SM, Clifton DK, Steiner RA. The role of kisspeptins and GPR54 in the neuroendocrine regulation of reproduction. Annu Rev Physiol 2008;70:213-38. Auto-test 1. L’action majeure des kisspeptines est de : a. réguler directement la sécrétion de LH b. réguler directement la sécrétion de GnRH c. réguler directement la sécrétion de stéroïdes 2. Au début de la puberté, l’action des kisspeptines sur les neurones à GnRH est : a. plus importante du fait d’une sensibilité accrue de GPR54 aux kisspeptines b. plus importante du fait d’une augmentation de l’expression de GPR54 c. plus faible du fait d’une baisse de l’expression hypothalamique de GPR54 3. Les neurones à KiSS impliqués dans le rétrocontrôle négatif des stéroïdes sexuels sur l’axe gonadotrope sont localisés : a. dans l’AVPV de l’hypothalamus b. dans l’ARC de l’hypothalamus c. dans les noyaux hypothalamiques AVPV et ARC Réponses : 1b ; 2a ;3b. 212 Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008