Kirill Karabits, DIRECTION MUSICALE
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Kirill Karabits, DIRECTION MUSICALE
Kirill Karabits, direction musicale Orchestre et chœurs de l’opéra de Lyon wolfgang amadeus mozart Symphonie n°26 en mi bémol majeur K.184 - 1773 Molto presto Andante Finale allegro Piotr illitch tchaïkovski Suite n°4 « Mozartiana », op.61 - 1887 Nikolaï Rimski-korsakov Mozart et Salieri Scènes dramatiques, 1898 Livret du compositeur d’après Pouchkine Kirill Karabits, direction musicale Edgaras Montvidas, ténor (Mozart) Michail Schelomianski, basse (Salieri) Jean Lacornerie, mise en espace Bruno de Lavenère, scénographie Robin Chemin, costumes Bruno Marsol, lumières Romain Tanguy, effet vidéo Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon samedi 15 mai 2O1O à 20 heures 30 1 alexandre pouchkine MOZART ET SALIERI Scènes dramatiques (traduction : Fabrice Guibentif) Première scène Une pièce. Salieri C’est ce qu’on dit : point de justice en ce bas monde. Mais plus haut, point non plus de justice! C’est pour moi Aussi évident qu’une simple gamme. Je suis né avec l’amour de l’art ; Enfant, lorsque jouait, dans les hauteurs, L’orgue de notre vieille église, Je l’écoutais sans m’en lasser, laissant couler De douces larmes. Très tôt je rejetai toute distraction futile ; Toute science étrangère à la musique M’était odieuse ; obstiné, fier, Je les reniai pour ne m’adonner Qu’à la seule musique. Tout premier pas coûte, Tout début de chemin est ardu. Je surmontai Les premiers obstacles. Mon métier Je le déposai en base de l’art. Je me fis artisan, dotant mes doigts D’une rapidité obéissante et sèche, Ajustant mon ouïe. Je délitais les sons Et disséquais la musique comme un cadavre. Je pris L’algèbre pour démontrer l’harmonie. C’est alors Que j’osai, rompu à la science, M’adonner aux voluptés de la création. Je commençai à créer, mais isolé, en secret, N’osant encore songer à la gloire. Souvent, après avoir passé dans ma cellule muette Deux ou trois jours sans dormir ni manger, Goûtant aux élans et aux larmes de l’inspiration, Je brûlais mon œuvre et observais froidement Mes idées et les sons que j’avais créés Flamber et disparaître en une fine fumée. [Que dis-je ? Lorsque le grand Gluck Arriva et nous révéla de nouveaux mystères (mystères profonds et fascinants) N’ai-je pas alors oublié tout ce que j’avais su, Aimé et cru si ardemment Et ne l’ai-je pas suivi avec entrain 2 Et soumission, tel l’égaré Qu’une âme de rencontre envoie dans une autre direction?]* Par une persévérance intense et acharnée, Je touchai enfin de cet art infini Les plus hauts sommets. La gloire Me sourit ; dans les cœurs des hommes, Mes œuvres trouvèrent un écho. J’étais heureux : je me délectais en paix De mon labeur, de mes succès et de ma gloire ; de même Que des œuvres et des succès de mes amis Compagnons dans le même sublime art. Non ! Jamais je ne connus l’envie, [O, jamais ! Ni lorsque Piccini Sut charmer les sens des Parisiens farfelus, Ni lorsque j’entendis pour la première fois Les premiers accords d’Iphigénie.]* Qui pourrait dire que le fier Salieri se montra Ne serait-ce qu’une seule fois misérablement envieux, Qu’il fut une vipère que les hommes foulent aux pieds Et qui, dans son impuissance, mord boue et poussière ? Personne !... Mais à présent, je le dis moi-même – je suis maintenant Un envieux. J’envie férocement, Douloureusement, j’envie ! O ciel ! Où est la justice, lorsque le don sacré, Le génie immortel vient récompenser non pas L’amour brûlant, l’abnégation, Le labeur, l’acharnement, les supplications, Mais vient illuminer la tête d’un insensé, D’un noceur fainéant ? O, Mozart, Mozart ! Entre Mozart Mozart Ah, tu m’as vu ! Moi qui pensais Te ménager une plaisanterie inattendue. Salieri Tu es ici ! Et depuis longtemps ? Mozart J’arrive à l’instant. Je venais te voir Pour te montrer une petite chose ; * Les passages du texte de Pouchkine entre crochets n’ont pas été retenus par Rimski-Korsakov pour son livret. 3 Mais voilà qu’en passant devant un cabaret, J’ai entendu du violon… Non, Salieri, mon ami, Jamais tu n’as rien entendu de si drôle… Un violoniste aveugle, dans ce cabaret, Jouait Voi che sapete… Extraordinaire ! Je n’y ai pas tenu et je t’ai amené ce vieillard Pour qu’il te régale un peu de son art. Entre ! Entre un vieil aveugle avec son violon. Joue-nous un peu de Mozart ! Le vieillard joue un air de Don Giovanni, Mozart rit aux éclats. Salieri Et cela te fait rire ? Mozart Ah, Salieri ! Se peut-il que tu n’y trouves pas à rire ? Salieri Non. Je n’ai pas envie de rire lorsqu’un mauvais peintre Me gribouille une Madone de Raphaël ; Je n’ai pas envie de rire lorsqu’un misérable bouffon Offense de sa parodie Dante Alighieri. Va-t-en, vieillard Mozart Attends un peu : prends ceci Et bois à ma santé. Le vieillard sort. Eh bien, Salieri, Tu n’es pas d’humeur en ce moment. Je reviendrai te voir Une autre fois. Salieri Que voulais-tu me montrer? Mozart Oh, rien, une broutille. Cette nuit, Alors que j’étais pris d’insomnie, Deux, trois idées me sont venues Que j’ai notées aujourd’hui. Je voulais Entendre ton avis ; mais je vois Que tu as autre chose à faire. 4 Salieri Ah, Mozart, Mozart ! Comment pourrais-je avoir mieux à faire ? Assieds-toi, Je t’écoute. Mozart Au piano Imagine… quelqu’un… Moi, par exemple, en un peu plus jeune ; Amoureux, mais pas trop, juste un peu ; Avec sa belle, ou avec un ami, tiens, avec toi ; Je suis joyeux… et tout à coup, vision sépulcrale, Une noirceur subite ou quelque chose comme cela… Enfin, écoute donc. Il joue. Salieri Et en venant m’apporter ceci, Tu as pu t’arrêter devant un cabaret Pour écouter ce violoniste aveugle ! Dieu ! Mozart, tu n’es pas digne de toi-même. Mozart Alors, cela te plaît ? Salieri Quelle profondeur ! Que d’audace, que d’élégance ! Mozart, tu es un dieu et tu l’ignores ; Mais moi, moi, je le sais ! Mozart Bah, vraiment ? Peut-être… Mais ton dieu, il commence à avoir faim. Salieri Eh bien, dînons ensemble A l’auberge du Lion d’Or Mozart Pourquoi pas ; Avec plaisir. Mais permets que je passe à la maison Avertir ma femme qu’elle ne m’attende pas Pour le dîner. Il sort. 5 Salieri Je t’attends, fais vite. Non, je n’ai pas la force de lutter plus longtemps Contre ma destinée; je suis l’élu qui doit L’arrêter, sinon nous sommes tous perdus, Nous tous, serviteurs, fervents de la musique, Non pas moi seul et ma sourde renommée… A quoi cela sert-il que Mozart reste vivant Et atteigne encore de nouveaux sommets ? Fera-t-il avancer l’art ? Non ; L’art retombera dès qu’il aura disparu : Il ne nous laissera pas de successeur. Qu’attendre de lui ? Tel un chérubin, Il nous aura apporté quelques chansons célestes A même d’éveiller de chimériques espérances En nous, fils de la poussière, avant de lui-même prendre son envol ! Eh bien, envole-toi donc ! Le plus tôt sera le mieux. Voici le poison, dernier présent de mon Isaure. Je le porte sur moi depuis dix-huit ans, Et souvent durant ces années la vie me parut Une plaie insupportable, [souvent je me retrouvai assis À la même table qu’un ennemi insouciant, Mais jamais son murmure de tentation Ne me fit succomber, bien que je n’aie rien d’un lâche, Que je sois profondément sensible à l’offense Et que je n’estime guère la vie. Toujours j’hésitais. Combien me brûlait la soif de mort :]* Comment, mourir ? Mais la vie, me disais-je, M’apportera peut-être des cadeaux inattendus; L’extase viendra peut-être me toucher, Avec la nuit créatrice, avec l’inspiration ; Peut-être quelque nouveau Haydn créera Une grande œuvre dont je me délecterai… En partageant la table d’un convive abhorré, Je me disais que je trouverais peut-être Un ennemi pire encore ; que peut-être une offense Fondrait sur moi de ses hauteurs superbes, Et qu’alors le présent d’Isaure ne serait pas perdu… Et j’avais raison ! J’ai trouvé enfin Mon ennemi ; le nouveau Haydn M’a enivré d’une jouissance céleste ! A présent, il est temps ! Présent adoré de l’amour, Déverse-toi aujourd’hui dans le calice de l’amitié ! 6 Deuxième scène Un salon particulier dans une auberge ; un piano Mozart et Salieri sont attablés. Salieri Tu parais bien maussade aujourd’hui. Mozart Moi ? Non ! Salieri Quelque chose doit te chagriner. Le repas est bon, le vin excellent, Et tu es taciturne et renfrogné. Mozart A dire vrai, Mon Requiem m’inquiète. Salieri Ah ? Tu composes un Requiem ? Depuis longtemps ? Mozart Oui, depuis trois semaines. Mais cet étrange incident…. Ne t’ai-je pas raconté ? Salieri Non. Mozart Alors écoute. Il y a environ trois semaines, je rentrai tard Chez moi. On me dit que quelqu’un Était venu me voir. Je ne savais pas pourquoi, Et je passais la nuit à me demander qui cela avait été Et ce qu’il me voulait. Le lendemain, ce même inconnu Vint me voir alors que je n’étais pas là. Le lendemain encore, je jouais par terre Avec mon fils lorsque quelqu’un m’appela; Je sortis. Un homme vêtu de noir Me salua avec déférence, me commanda Un Requiem et disparut. Je me mis aussitôt À écrire, mais mon homme en noir n’est pas revenu ; J’en suis ravi, il me ferait de la peine de me séparer De mon travail, même si mon Requiem Est presque terminé. Cependant, je… Salieri Quoi ? 7 Mozart J’ai honte de l’avouer… Salieri Quoi donc ? Mozart Jour et nuit, je suis tourmenté Par mon homme en noir. Partout Il me suit comme une ombre. Tiens, à l’instant, Il me semble le voir entre nous, Là, assis… Salieri Suffit ! Quelle crainte puérile ! Chasse ces idées vaines. Beaumarchais Me disait souvent « Ecoute, Salieri, l’ami, S’il te vient des idées noires, Débouche une bouteille de champagne Ou relis Le Mariage de Figaro. » Mozart Oui, c’est vrai que Beaumarchais était ton ami ; C’est pour lui que tu as composé Tarare Une jolie petite chose, il y a un petit motif… Je le fredonne chaque fois que je suis heureux… Tra la la la… Oh, Salieri, est-ce vrai Que Beaumarchais avait empoisonné quelqu’un ? Salieri Je ne pense pas. Il était trop jovial Pour une telle tâche. Mozart Et c’était un génie, Comme toi et moi ; et le génie et le crime Sont deux choses incompatibles, n’est-ce pas ? Salieri Tu crois ? (Il jette le poison dans le verre de Mozart.) Allons, bois donc! Mozart À ta santé, ami, à l’union sincère Qui lie Mozart et Salieri, Deux fils de l’harmonie ! Il boit. 8 Salieri Attends, attends, attends !... Tu as bu… sans moi ? Mozart (jetant sa serviette par terre) Assez, je n’en veux plus. (Il va vers le piano.) Ecoute donc, Salieri, Mon Requiem. (Il joue.) Chœur (ad libitum, en coulisses) Requiem aeternam dona eis, Domine ! Tu pleures ? Salieri Ces larmes, Ce sont les premières que je verse: je ressens douleur et soulagement, Comme si je venais d’accomplir un devoir pénible, Comme si un bistouri m’avait tranché Un membre malade. Ami Mozart, ces larmes… N’y prends pas garde. Continue, hâte-toi D’emplir mon âme de ces sons… Mozart Si tout le monde pouvait ressentir ainsi la force De l’harmonie ! Mais non, le monde Ne pourrait alors subsister ; personne Ne se soucierait alors des basses nécessités de cette vie ; Tout le monde s’adonnerait à l’art libre. Nous sommes peu d’élus, peu de fortunés désoeuvrés Qui dédaignent tout profit misérable Et ne servent que le beau. N’est-ce pas ? Mais je ne me sens pas bien, Quelque chose me pèse ; je vais dormir. Adieu ! Salieri Au revoir. (Seul) Tu vas t’endormir Pour longtemps, Mozart ! Mais se peut-il qu’il ait raison, Et que je ne sois pas un génie ? Le génie et le crime Sont incompatibles. C’est faux : Et Buonarotti ? Ou serait-ce un conte Imbécile du peuple crédule, et Le créateur de Vatican n’aurait pas été un assassin ? 9 Un pari inouï : Mozart et Salieri ou du “post-moderne“ en 1898 Qui ne se souvient du film Amadeus qui fit salle comble en 1984 ? En réalisant cet historico-colossal, le cinéaste tchèque Miloš Forman avait puisé son inspiration dans la pièce homonyme de Peter Shaffer, un drame boulevardier créé à Londres en 1979. Il est cependant peu notoire que ces adaptations du mythe mozartien remontent directement au « fondateur » de la littérature russe moderne, à Alexandre Pouchkine. C’était en septembre 1830 que cet écrivain se divertit avec une étude dramatique, recherchant la réalisation la plus concise du problème de la jalousie en matière d’art. Initialement, Pouchkine avait choisi pour titre Zavist, La Jalousie ; sauf qu’il se rendit compte assez rapidement que les sentiments contradictoires d’un artiste honorable envers un créateur génial ne pouvaient se laisser ainsi délimiter. Plus encore, le personnage imaginé par Pouchkine était agacé par l’insouciance et le manque de sérieux qu’il rencontra chez son rival. Pour octroyer des noms aux deux antagonistes, le poète russe se référait à une anecdote indéfectible qui veut le compositeur Salieri pour assassin de Mozart. Il est probable que Pouchkine crut à la véracité des rumeurs qui voyaient le compositeur mort en 1791 victime d’un empoisonnement prémédité, bien que des soucis de « vérité » historique n’eussent aucun rôle dans la composition de cet exercice de style – négligence évidente encore lors de l’allusion à un Michel-Ange ayant fait crucifier un modèle pour mieux pouvoir capter les traits du Christ mourant. Aujourd’hui nous savons que l’hypothèse d’un Salieri assassin est des plus fantaisistes. Parallèlement, nous avons toujours du mal à admettre que ce compositeur actif à Vienne dès 1766 soit à compter parmi les figures les plus importantes de l’histoire du théâtre musical. Il est vrai qu’à la différence de Mozart, les qualités purement musicales s’y trouvent subordonnées à une conception dramatique qui tire sa richesse d’une sensibilité littéraire extrême. Des opéras tels que La grotta di Trofonio (1785) et Tarare (1787) se trouvent cadencés par un rythme effréné, faisant jaillir ainsi toute la saveur ironique des textes d’un Casti ou d’un Beaumarchais. Ils s’adressent à un public porté à ne pas voir la parole éclipsée par la beauté mélodique et sachant prendre plaisir aux maintes allusions intertextuelles. Déjà au temps de Rossini, une telle perception plutôt littéraire d’un opéra devenait difficile ; de fait, après 1820 les opéras de Salieri tombaient dans l’oubli tandis que des œuvres mozartiennes telles Don Giovanni (1787) ou Die Zauberflöte (1791) avaient trouvé leur place dans le répertoire international. 10 Pouchkine s’identifiait sans doute lui-même avec le géniecréateur insouciant, capable qu’il était d’écrire des chefs-d’œuvre incommensurables en quelques journées. Nous faisons bien alors de prendre les rôles « Mozart » et « Salieri » dans cette « petite tragédie » pour ce qu’ils sont : des abstractions presque caricaturales, destinées à incarner la problématique de la création artistique. Ce n’est pas pour rien que Pouchkine hésitait entre les dénominations « investigation dramatique », « tentative d’investigations dramatiques » et « essai dramatique » avant de se décider pour « petite tragédie », en désignant un texte destiné surtout à la lecture. Comme pour ses trois autres « malen’kie tragedii », il s’agit d’un véritable tour de force : seulement deux personnages (exception faite du rôle muet d’un violoniste aveugle), deux scènes entièrement versifiées, tous les vers soumis à la rigueur métrique d’un pentamètre iambique non rimé. « Toi, Mozart, Dieu ! » L’amalgame de sa propre position avec celle d’un Mozart méconnu n’aurait pas été possible sans l’imagerie qui faisait du contemporain de Salieri un artiste divin, imagerie particulièrement choyée parmi les intellectuels russes. Après avoir écouté l’improvisation de « Mozart », le « Salieri » imaginé par Pouchkine s’exclame : « Toi, Mozart, (tu es) Dieu, et toi-même, tu ne le sais pas. » Tchaïkovski notait le 20 septembre (2 octobre) 1886* (ou 1887 ?) dans son journal : « Chez Mozart j’aime tout, comme nous aimons tout chez un homme que nous aimons réellement » – et déclarait le compositeur pour rien de moins qu’un « Christ de la musique ». Cette vénération d’un Mozart divin a trouvé sa forme sonore dans Mozartiana, la petite suite de Tchaïkovski, créée le 14 (26) novembre 1887 à Moscou. Les quatre mouvements sont dans leur totalité des arrangements orchestraux de musiques pour pianoforte. Avec une « Gigue » écrite à Leipzig (K. 574) et le Menuet très chromatique (K. 355), deux pages particulièrement hardies forment le début, tandis que le mouvement final est constitué de variations brillantes sur un air de Gluck (K. 455). Pour le troisième mouvement, intitulé « Preghiera », nous sommes en présence d’un arrangement de deuxième degré, Tchaïkovski ne recourant pas directement à la page chorale Ave verum corpus (K. 618), mais à son adaptation pianistique, publié par Franz Liszt en 1865. * Les deux dates correspondent repsectueusement au calendrier grégorien (en vigueur en Europe occidentale) et au calendrier julien (en vigueur en Russie). 11 Risque de monotonie Ce caractère pastiche, étonnement proche de nos sensibilités « post-modernes », nous mène directement au tour de force tenté par Rimski-Korsakov quand il mit en musique – entre le 10 (22) juillet et le 5 (17) aout 1897* – Mozart et Salieri de Pouchkine. De manière révélatrice les passages chromatiques dans son prélude orchestral évoquent les chromatismes du Menuet K. 355. En assemblant les vers écrits en 1830, des citations de Mozart ainsi que maintes allusions indirectes, nous nous trouvons en face d’un montage à plusieurs degrés. Comme chez Pouchkine, c’est d’un véritable exercice de style qu’il s’agit: des 231 pentamètres iambiques de la petite tragédie, Rimski n’en a coupé que 18, laissant ainsi totalement inchangés tous les autres. Il est vrai que le langage poétique de Pouchkine excelle par une beauté et une sonorité extraordinaires. Pour la composition, la monotonie du rythme pose néanmoins un problème majeur, problème flagrant déjà lorsqu’Alexandre Dargomyjski avait mis en musique une autre des quatre petites tragédies pouchkiniennes, Le Convive de pierre (1872). Sans doute, Rimski s’était-il rendu compte des faiblesses lors de ce premier essai de respecter un texte dramatique qui n’était pas destiné à la musique. Profitant de la rythmique beaucoup plus souple que celle employée par Tchaïkovski dans son Eugène Onéguine, il se maintient néanmoins à l’idéal d’un chant proche des inflexions du dialogue quotidien et bien éloigné de toute effusion lyrique. Plus attentif aux nombreux enjambements qui lient les vers qu’au rythme des pentamètres, il réussit à animer ses lignes mélodiques d’une élégance congéniale au style de Pouchkine. L’on comprend qu’il pouvait noter dix ans après la composition dans la Chronique de sa vie musicale : « J’avais l’impression que j’entrais dans une nouvelle période de ma vie créatrice et gagnais pleine maîtrise sur mon style. » Mais quel est son style dans cet assemblage fantomatique ? Evidemment, Rimski avait choisi des formules mélodiques distinctes pour Mozart et pour Salieri, rendant le second un tantinet besogneux, le premier presque nonchalant. « Voi che sapete », l’incipit de l’air des Noces de Figaro cité par Pouchkine, est doublé par un incipit musical : cinq notes insérées dans un contexte harmonique totalement différent. Quand Pouchkine indique un « air » indéfini de Don Juan pour l’intrusion du violoneux aveugle, Rimski l’identifie avec la citation exacte de « Batti, batti, o bel Masetto » ; l’ordre amical « Ecoute alors, Salieri, Mon Requiem » donne lieu à un ample extrait de cette composition. Quand « Mozart » chantonne un air de Salieri par contre, Rimski ne cite pas directement 12 l’opéra Tarare, mais « Ne’ più vaghi soggiorni dell’Asia », le chœur du premier acte d’Axur, re d’Ormus, adaptation italienne de ce même opéra, créée à Vienne en 1788. Peut-être encore plus significatives que ces citations textuelles s’avèrent les nombreuses quasi-citations qui donnent une couleur plus ou moins mozartienne à la partition et permettent également d’éviter tout risque de monotonie. Quand Mozart se met au piano, nous croyons entendre au premier abord une sonate des années 1780, avant que la fougue d’une fantaisie libre ne nous surprenne par d’étranges parallèles avec le premier concerto pour piano de Johannes Brahms (1859) ; lors de la création de l’opéra le 25 novembre (7 décembre) 1898* à Moscou, le chanteur de « Mozart » n’eut qu’à simuler le jeu au piano, étant doublé par le très jeune Serge Rachmaninov derrière un rideau. Les gammes chromatiques et les mouvements soupirants accompagnant la plus grande partie des interventions de « Mozart » sonnent tel un écho lointain de la Fugue pour deux pianofortes en ut mineur (K. 426) et nous mènent à ce que Rimski supposait sans doute comme l’univers musical du compositeur du Requiem : une sorte de contrepoint mélodique. « Salieri », par contre, y est dépeint comme musicien assez superficiel. Lorsqu’il cite son ami « Beaumarchais » et le conseil de lire Le Mariage de Figaro (sans la musique de Mozart, devine-t-on) comme remède contre « des pensées noires », Rimski fait jouer à son orchestre une musique légère à la carrure périodique. Sur la voie du « néo-classicisme » Pour l’opéra de Rimski (comme pour le petit drame de Pouchkine), les clins d’œil à la musique du dix-huitième siècle sont un aspect qu’on ne voudra pas surestimer en se rendant compte de l’ancrage de l’œuvre dans la culture russe du dix-neuvième siècle. C’est une prise de position esthétique d’avoir dédié le petit opéra de 1898 à la mémoire d’Alexandre Sergueïevitch Dargomyjski, ce compositeur-dilettante mort en 1869 que Moussorgski avait nommé « maître de la vérité en musique ». Se remémorant le salon de cet aristocrate, Rimski avait ainsi démontré comment on pouvait mettre en musique un texte littéraire inchangé sans tomber dans cet ennui assoupissant qui avait contribué à l’échec du Convive de pierre d’une part, et qui avait d’autre part pour conséquence, que la tendance que nous appelons « Literaturoper » puisse s’imposer seulement avec Pelléas et Mélisande de Debussy (1902) et Salome de Strauss (1905). 13 De même, le petit opéra de Rimski s’insère comme un des derniers exemples dans ce courant qui fondait les opéras russes les plus importants sur des textes de Pouchkine : de Rouslan et Loudmila de Glinka (1842) à travers La Roussalka de Dargomyjski (1856), Boris Godounov de Moussorgski (1874), Eugène Onéguine (1879), Mazepa (1884), et La Dame de pique (1890) de Tchaikovski jusqu’au Coq d’or du même Rimski-Korsakov (1909). Comme opéra pouchkinien écrit quasiment d’ « après la lettre », Mozart et Salieri est au même moment un des premiers pas vers ce néoclassicisme exploité dans les années 1920 par un autre compositeur d’origine russe : Igor Stravinsky. Créé dans le théâtre privé de Savva Mamontov, cet industriel enrichi par la construction de chemins de fer, deux ans avant le début du vingtième siècle (avec le jeune Fédor Chaliapine dans le rôle de « Salieri »), l’opéra en miniature de Rimski-Korsakov réussit un pari inouï : donner une forme contemporaine à un texte classique de 1830. Anselm Gerhard Anselm Gerhard est musicologue et directeur de l’Institut de musicologie de l’Université de Berne. 14 biographies Kirill Karabits direction musicale Kirill Karabits est chef principal du Bournemouth Symphony Orchestra depuis cette saison. Né à Kiev en 1976, il débute en étudiant la direction d’orchestre et la composition au conservatoire Lysenko de Kiev avant de poursuivre son apprentissage, principalement à l’Académie nationale de musique Tchaïkovski (Kiev) et à la Musikhochschule de Vienne. En 1997, il est chef assistant au Festival de musique de Sewanee (USA), avant de devenir, l’année suivante, et pour deux saisons, assistant d’Iván Fischer à l’orchestre du Festival de Budapest. Kirill Karabits est également un « chef musicologue » à qui l’on doit la redécouverte de symphonies de Graun, exhumées à la bibliothèque de la Singakademie de Berlin, ou de La Pastourelle, un opéra de Telemann donné en 2004 au Musikverein de Vienne. Il fait ses débuts lyriques à Strasbourg, dans Eugène Onéguine. Il s’implique également dans la création contemporaine, dirigeant la première mondiale des Orages désirés de Gérard Condé en 2003. Chef associé à l’Orchestre philharmonique de Radio France entre 2002 et 2005, Kirill Karabits avait en outre été nommé en avril 2004 premier chef invité de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, poste qu’il occupera deux années durant. Il a dirigé l’Orchestre radio-symphonique de Vienne, l’Orchestre national symphonique d’Ukraine, l’Orchestre Haydn de Bolzano (Italie), l’Orchestre philharmonique de Tampere (Finlande), l’Orchestre du Capitole de Toulouse, l’Orchestre philharmonique du Luxembourg, l’Orchestre symphonique de Houston, l’Orchestre philharmonique de Los Angeles, les orchestres symphoniques de San Francisco et d’Indianapolis. Récemment, il était au pupitre pour Eugène Onéguine au Festival de Glyndebourne, pour Les Voyages de Monsieur Broucek (Janacek) au Grand Théâtre de Genève, Un bal masqué (Verdi) à Strasbourg, La Dame de pique (Tchaïkovski) à Luxembourg en janvier 2009, Idoménée (Mozart) à Nancy en juin 2009 et Moscou, quartier des cerises (Tchaïkovski) à l’Opéra de Lyon en décembre 2009. Prochainement, il dirigera l’Orchestre symphonique de Tokyo et l’Orchestre philharmonique de Londres en novembre 2010. Il fera également ses débuts à l’English National Opera à l’automne 2010. 15 Edgaras Montvidas Ténor (Mozart) Edgaras Montvidas est actuellement sur la scène de l’Opéra de Lyon pour le Festival Pouchkine/ Tchaïkovski. Il est l’interprète les rôles de Lenski (Eugène Onéguine) et d’Iskra (Mazeppa). Edgaras Montvidas étudie à l’Académie de musique de Lituanie à Vilnius. Il intègre ensuite le Young Artists Programme de Covent Garden (Londres) et devient chanteur dans la troupe de l’Opéra de Francfort de 2004 à 2006. Il y chante notamment Alfredo (La Traviata), Tamino (La Flûte enchantée), Belmonte (L’Enlèvement au sérail), Ottavio (Don Giovanni), Macduff (Macbeth), Des Grieux (Manon, Massenet). Sur la scène internationale, on l’entend dans les rôles de Werther en Lithuanie, Tebaldo (I Capuleti e I Montecchi) à l’Opera North, Ruggero (La Rondine, Puccini) à l’Opéra de Leipzig, Lenski au Festival de Glyndebourne, Belmonte à Berlin et Hambourg, Trieste et Amsterdam, Le Duc (Rigoletto), Tamino et Rodolfo (La Bohème) en Lithuanie, Ferrando (Cosi fan tutte) au Garsington Opera Festival, Edgardo (Lucia di Lammermoor) et Lenski à St Gallen... Edgaras Montvidas a travaillé avec des chefs tels que Paolo Carignani, Antonio Pappano, Yakov Kreizberg, Jiri Kout, Mikhaïl Pletnev, Saulius Sondeckis, Roger Epple et Gianandrea Noseda, dans le répertoire lyrique comme au concert (La Vida Breve avec le BBC Symphony Orchestra, Te Deum de Berlioz, Requiem de Mozart, Les Béatitudes de César Franck, Missa Coronationalis de Liszt...). Récemment, le ténor incarnait Alfredo (La Traviata) à l’Opéra de Lyon, Belmonte (L’Enlèvement au sérail) à Amsterdam avec Constantinos Carydis, Il Tabarro (Puccini) à Londres avec Gianandrea Noseda, Nemorino (L’Elixir d’amour) à Glasgow et Vilnius, Tamino à l’Opéra de Bordeaux. Il sera cet été au Festival d’Aix-en-Provence pour Le Rossignol (Stravinsky) puis à l’Opéra de Lyon en octobre 2010 pour cette même production. 16 Michail Schelomianski Basse (Salieri) Michail Schelomianski est actuellement sur la scène de l’Opéra de Lyon pour le Festival Pouchkine/ Tchaïkovski. Il est l’interprète le rôle du Prince Grémine dans Eugène Onéguine. Michail Schelomianski grandit à Moscou. Il y étudie à l’Ecole supérieure de Culture avant d’entrer à la Frankfurter Hochschule für Musik. Ces dernières saisons, il a chanté Guerre et Paix à l’Opéra de Paris, Œdipus Rex et Le Rossignol (Stravinsky) à l’Opéra du Rhin, le Prince Grémine (Eugène Onéguine) à l’Opéra de Lyon en 2007 puis au Staatsoper de Munich avec Kent Nagano, La Fiancée du tsar (Rimski-Korsakov) et Un bal masqué à l’Opéra de Francfort, Sénèque (Le Couronnement de Poppée, Monteverdi) et Philippe II (Don Carlo) au Staatsoper de Hambourg. En concert, on l’a entendu avec l’Orchestre de Paris dans les Scènes de Faust (Schumann) à la Salle Pleyel, dans Messa da Requiem (Verdi), La Nuit de Walpurgis (Mendelssohn), Noces (Stravinsky), L’Enlèvement au sérail (rôle d’Osmin) et dans le Requiem de Mozart avec l’Orchestre des Pays de la Loire. Il a travaillé avec des chefs tels que Marc Albrecht, Christoph Eschenbach, Alessandro de Marchi, Alan Gilbert, Vladimir Jurowski, Helmut Rilling, Alexander Joel, Gennady Rozhdestvensky et les metteurs en scène Nikolaus Lehnhoff, Robert Carsen, Harry Kupfer, Christine Mielitz et Peter Konwitschny. Michail Schelomianski était au Festival de Glyndebourne en 2008 pour Eugène Onéguine et en 2009 pour Rusalka (rôle de Vodnik) sous la direction de Jiri Belohlavek. Il était à Berne pour Eugène Onéguine, à Cologne pour La Flûte enchantée (rôle de Sarastro) et Tristan et Isolde (rôle du Roi Marke), à l’Opéra de Paris pour Un bal masqué. 17 jean lacornerie mise en espace Jean Lacornerie débute comme assistant de Jacques Lassalle, alors directeur du Théâtre National de Strasbourg, qui le nomme, à 26 ans, secrétaire général de la Comédie-Française. En 1992, il fonde la compagnie Ecuador à Lyon ; il s’intéresse surtout aux écritures contemporaines de Carlo Emilio Gadda, Guy Walter ou Copi. A partir de 1994, il explore avec Bernard Yannotta les formes du théâtre musical, avec des pièces de Michael Nyman, Leonard Bernstein, Kurt Weill et Bertolt Brecht. Depuis octobre 2002, il est directeur du Théâtre de la Renaissance à Oullins, où il mène un projet original dédié au croisement du théâtre et de la musique. Il créé pour la première fois en France Pour toi baby ! de George et Ira Gershwin et George Kaufmann (2003). Il explore l’œuvre américaine de Kurt Weill : Signé Vénus en 2006 et Lady in the Dark en 2008 en coproduction avec l’Opéra de Lyon. Il poursuit cette collaboration avec The Tender Land, opéra de Aaron Copland, qu’il vient de créer. BRUNO DE LAVENERE scénographie Après une formation en architecture à Toulouse et à Montréal, il obtient en 2000 un diplôme de scénographie à l’ENSATT. Pendant neuf ans, il est assistant et collaborateur de Rudy Sabounghi sur une trentaine de scénographies d’opéra, de théâtre et de danse. Il crée aussi ses propres scénographies et costumes, pour les metteurs en scène Jerzy Klesyk, Jean Lacornerie, Richard Brunel, Jean-Louis Grinda ou les chorégraphes Laurent Pichaud, Rémy Héritier, Isira Makuloluwe, Eric Oberdorff, Dominique Boivin. Il conçoit régulièrement les scénographies de la Compagnie Chant de balles (Vincent de Lavenère). Récemment, il a signé la scénographie de Cendrillon chorégraphié par Michel Kelemenis à l’Opéra de Genève ainsi que Songs from before de Lucinda Childs pour le Ballet du Rhin à l’Opéra de Strasbourg puis au Théâtre de la Ville de Paris. Pour l’Opéra de Lyon, il a réalisé la scénographie de The Tender Land, opéra d’Aaron Copland donné en mars 2010. 18 formations orchestre de l’opéra de Lyon Violons Nicolas Gourbeix Laurence Ketels-Dufour Lia Snitkovski Maria Estournet Haruyo Nagao Fabien Brunon Dominique Delbart Vassil Deltchev Magdaléna Mioduszewska Karol Miczka Frédéric Bardon Frédérique Lonca Calin Chis Sophie Moissette Anne Chouvel Florence Carret Jean-Louis Constant Altos Mirjam Schmidt Donald O’Neil Henrik Kring Nagamasa Takami Pascal Prévost Lauriane David Violoncelles Alice Bourgouin Nicolas Seigle Jean-Marc Weibel Henri Martinot Naoki Tsurusaki Laure Becard Contrebasses Cédric Carlier Richard Lasnet François Montmayeur Dorian Marcel Flûtes Julien Beaudiment Catherine Puertolas Hautbois Frédéric Tardy Patrick Roger Clarinettes Sandrine Pastor Sergio Menozzi Cors Thierry Lentz Thierry Cassard Pierre-Alain Gauthier Etienne Canavesio Anne Boussard Trompettes Philippe Desors Anthony Galinier Timbales Christophe Roldan Percussions Sylvain Bertrand Harpe Sophie Bellanger Piano Wilhem Latchoumia Bassons Cédric Laggia Nicolas Cardoze 19 chœurs de l’opéra de Lyon Alan Woodbridge, Chef des chœurs Sopranos Sharona Applebaum Marie Cognard Marie-Eve Gouin Marie-Pierre Jury Sophie Lou Pascale Obrecht Véronique Thiébaut Pei Min Yu Mezzo-sopranos Sophie Calmel-Elcourt Françoise Courbarien Joanna Curelaru Kat Alexandra Guérinot Sabine Hwang Sylvie Malardenti Celia Roussel-Barber Ténors Jérôme Avenas Yannick Berne Gérard Bourgoin Brian Bruce Fabrice Constans Philippe Maury Hidefumi Narita Didier Roussel 20 Barytons-basses Dominique Beneforti Jean-Jacques Bornuat Jean-Richard Fleurençois Marc Fournier Jean-François Gay Charles Saillofest Alain Sobieski Paolo Stupenengo L'Opéra national de Lyon remercie pour leur généreux soutien, les entreprises mécènes et partenaires Mécènes principaux Partenaire du projet Kaléidoscope Les jeunes à l’Opéra Mécène fondateur Partenaire de la Fabrique Opéra Mécènes de projets Partenaire de la Journée Portes Ouvertes Mécène de la création de l’opéra Emilie Cercle Kazushi Ono Soutien à la tournée du Ballet aux Etats-Unis Mécènes de la vidéotransmission 2010 le Club Entreprises de l’Opéra de lyon Partenaires Partenaire d’échange Partenaires médias Opéra national de Lyon Place de la Comédie 69001 Lyon Directeur général : Serge Dorny 0 826 305 325 (0,15E/ mn) fax + 33 (0) 4 72 00 45 46 www.opera-lyon.com L’Opéra national de Lyon est conventionné par le ministère de la Culture et de la Communication, la Ville de Lyon, le conseil régional Rhône-Alpes et le conseil général du Rhône.