Jouer avec le feu. Théâtre et prévention des

Transcription

Jouer avec le feu. Théâtre et prévention des
Dossier "L'oral / 1 - Prendre la parole"
Jouer avec le feu. Théâtre et prévention des violences au
collège Vercors
Géraldine Doat, intervenante théâtre de la compagnie Les Fées Rosses (Grenoble, 38)
Les Fées Rosses, compagnie de théâtre déclencheur1
La compagnie Les Fées Rosses travaille avec des adolescent-e-s de différents âges et au sein de
divers établissements et organisations : lycées, collèges, écoles, associations, structures d'accueil ou
d'accompagnement, etc. Les Fées Rosses adaptent leurs ateliers aux besoins et aux possibilités de
chaque structure, en impliquant les équipes pédagogiques et en restant ouvertes aux propositions
d'évolution et d'amélioration du déroulement des ateliers.
Les Fées Rosses pratiquent le théâtre dans un esprit critique pour amorcer un processus mettant les
corps en mouvement et libérant la parole de tous et toutes.
Les membres de l'équipe sont issus de domaines variés allant du théâtre à la danse, de l'animation
socioculturelle aux sciences politiques, avec comme objectif commun de favoriser l'émancipation
des individu-e-s. Pour cela, la compagnie dispose d'une palette d'outils issus du théâtre de
l'opprimé-e et de l'éducation populaire, tel que le théâtre-forum, le théâtre-image, les fresques
collectives, les débats mouvants, les dispositifs d'émergence de la parole, diverses formes de
pratiques corporelles artistiques et bien d'autres encore.
Les ateliers animés au collège Vercors2 ont été menés par Géraldine Doat, membre de la
compagnie, et pour cette première expérience grâce au relais de La Fabrique des Petites Utopies.
Proposer un cycle de théâtre-forum pour les élèves de 4e
L'objectif des ateliers de théâtre-forum qui se sont déroulés au collège Vercors de Grenoble est de
faire prendre conscience des rapports de dominations qui existent entre des individus et des groupes
sociaux, puis d'analyser collectivement ceux qui sont injustes afin de réaliser qu'il est possible d'agir
pour les changer, en transformant son propre comportement, en affrontant les autres ou en les
poussant à modifier leur attitude.
Un cycle de huit ateliers s'est déroulé avec les quatre classes de 4e du collège. Les séances d'une
heure ont eu lieu en demi-groupe, c'est-à-dire avec dix à douze adolescent-e-s. L'initiation à la
pratique du théâtre-forum débute par la participation des élèves à différents types de jeux-exercices
simples et accessibles à tou-te-s pour créer un climat de solidarité et de confiance. La phase
suivante consiste à monter des saynètes de théâtre-forum à partir d'histoires concernant la réalité
concrète et quotidienne des élèves. Le cycle aboutit à une présentation finale devant la classe
entière.
Les saynètes du théâtre de l'opprimé proposent de partir de la réalité de la vie quotidienne des
élèves, de leurs vécus personnels ou d'histoires qui auraient pu leur arriver. Pour cela, il s'agit
d'abord de créer un climat de confiance et de convivialité pour libérer la parole autour de situations
difficiles ou douloureuses, des situations d'oppressions.
Cette première étape n'est déjà pas si simple à aborder dans le cadre du collège où les relations de
pouvoir entre les élèves sont exacerbées. Les profils de "boucs émissaires" de la classe ou de
"leaders charismatiques" se font sentir dès les premières minutes passées avec les élèves. Les
moqueries, bien que dans un langage codé, sont généralement faciles à décrypter si on y prête une
oreille attentive. Et les élèves ayant un rapport conflictuel à l'autorité se repèrent très rapidement. Le
climat est différent suivant les groupes et les individu-e-s mais des rapports de domination plus ou
moins importants se font toujours sentir. Alors comment travailler sur une réalité violente vécue
quotidiennement ?
Développer la confiance par des jeux-exercices
La première étape consiste à se reconnaître comme des individu-e-s différents et des personnes
sensibles. Par exemple en faisant le point sur l'humeur de chacun-e, par un rapide jeu de langage des
signes mimant la météo (soleil, nuage, pluie ou libre expression fait par des mains ouvertes, poings
fermés ou bout des doigts qui bougent). Cet exercice permet à la fois une vision globale du climat
actuel du groupe par les gestes ainsi qu'une expression orale individuelle. Celle ou celui qui veut a
le droit de prendre la parole pour commenter son état intérieur : "aujourd'hui, il fait beau parce
qu'on finit à trois heures ; il pleut parce que j'ai mal à la tête ; je fais des arc-en-ciel parce que
Marseille a gagné le match ; etc.". Apprendre à s'exprimer et écouter chacun, chacune, sur une
réalité personnelle mais quotidienne est déjà un premier pas vers le dialogue et la rencontre de
l'autre, un impératif dans la pratique du théâtre en collectif.
Le cadre des ateliers théâtre est aussi différent de celui des cours :
- on se retrouve en cercle de chaises pour commencer, pour se voir tous les un-e-s les autres en étant
au même niveau ;
- le professeur n'est pas présent et il n'y a pas de notation du travail ;
- le silence n'est pas exigé, on peut parler assez librement, la première règle étant de s'exprimer sans
couper la parole aux autres et de laisser la parole être distribuée à qui la veut ;
- les règles des jeux-exercices doivent être respectées, mais une fois expliquées, les élèves en sont
tout autant garants que l'intervenante ; ils tiennent un rôle d'arbitre en étant souvent plus sévères
envers leurs camarades ;
- on est libre de dire ce que l'on veut, mais quand des insultes ou le dénigrement de personnes
apparaissent, une pause est faite dans le jeu pour en discuter. L'intervenante pose des questions pour
faire réfléchir les élèves par eux-mêmes pour expliquer pourquoi de tels comportements ne sont pas
acceptables au sein de l'atelier.
Malgré tout ce dispositif, il n'est pas facile de faire surgir des histoires d'injustices et d'oppressions,
il est souvent dangereux pour certains élèves de confier une histoire personnelle dont ils ou elles
craignent les représailles de moqueries au sein d'un groupe.
Ainsi, les jeux-exercices de théâtre sont essentiels pour découvrir l'historique et les thématiques qui
concernent directement un groupe.
Les jeux dit "de connaissance" sont essentiels et mobilisent avant tout le corps en mouvement. Par
exemple, le jeu "Avis de tempête" est une variante de la chaise musicale inversée (la personne seule
est au centre et le cercle de chaises autour) et elle doit exprimer un goût : "Avis de tempête à tous
ceux qui... aiment le chocolat !" et toutes les personnes concernées doivent changer de chaises, donc
une autre personne n'ayant pas trouvé de place se retrouve au milieu pour exprimer un autre goût.
C'est un jeu très amusant qui permet de connaître rapidement les centres d'intérêt d'un groupe. Il est
aussi impliquant pour les élèves qui doivent s'exprimer seuls face au groupe, aussi bien pour ceux
qui sont à l'aise à l'oral que ceux qui le sont moins. La notion de solidarité et de réussite collective
est abordée dès ce jeu comme principe au théâtre : si une personne n'arrive pas à s'exprimer, c'est
que les autres n'ont pas créé le cadre pour le rendre possible, il faut lui laisser le temps de trouver
ses mots ou l'aider. Le bon déroulement du jeu est une responsabilité collective et l'apprentissage se
fait par le plaisir. Jouer au théâtre c'est avant tout s'amuser au premier sens du terme.
Le théâtre est aussi un temps de cours qui ne se passe pas assis sur une chaise mais où le corps en
entier est mobilisé, dans ses mouvements, et avec tous les sens qui le composent (vue, ouïe, toucher,
odorat, ...) ouvrant ainsi à toutes les expressions qu'il est capable de créer et d'autres modes de
dialogue.
Il est fréquent de commencer par des exercices qui n'engagent que le corps, sans la voix et avec un
travail sur l'immobilité. Par exemple une variante du fameux "1, 2, 3 soleil" marche très bien
transformé en "1, 2, 3 émotion" où on dit : peur, colère, joie ou autre à la place du mot "émotion" et
tout le monde doit se figer avec l'expression adéquate sans bouger.
Dès ces premiers jeux d'initiation à la pratique théâtrale, la place de certains élèves, ou leur
implication peut déjà s'être modifiée car le cadre n'est plus le même. Ainsi il est arrivé fréquemment
que des élèves stigmatisés comme "mauvais-es" ou "perturbateurs-trices" se retrouvent comme des
éléments moteurs et dynamisant pour les jeux de théâtre, montrant une forte implication et l'envie
de bien faire. Il arrive aussi que certain-e-s élèves ne souhaitent pas du tout participer et refusent
tous les exercices, ce qui peut parfois provoquer le renversement de l'équilibre du groupe qui
refusera alors la proposition. La technique qui a donné les meilleurs résultats lors de ce cycle est
d'accepter qu'un-e élève ne veuille pas participer, sans le punir, et en lui proposant de rester assis à
l'écart du groupe et de simplement être attentif à ce qui se passe. Suivant les cas, cela peut aller de
plusieurs séances à seulement quelques dizaines de minutes, mais au bout d'un certain temps, l'élève
revient de lui-même pour participer, généralement quand il ressent le besoin impératif d'exprimer
son avis sur le déroulement d'un exercice quel qu'il soit (une envie de participer à un jeu ou un
commentaire à propos d'une saynète).
Les états émotionnels des adolescent-e-s sont aussi vraiment très fluctuants et peuvent se modifier
en quelques minutes ou passer d'un extrême à l'autre d'une séance à la suivante. La pratique du
théâtre, dans l'apprentissage du contrôle de son corps par la respiration, le mouvement et la parole,
ainsi que le fait de jouer des personnages offre un travail particulièrement intéressant sur le rapport
à ses émotions. Les jeux proposés sont adaptés suivant l'ambiance du groupe et les besoins en
concentration, disponibilité, expressions, etc.
Découvrir le langage du corps
Une autre étape consiste à aborder le théâtre-image. L'expression corporelle est isolée de
l'expression verbale tout en utilisant les deux. Un exercice classique de théâtre-image se pratique
par deux : les deux personnes font une "image" (c'est-à-dire une statue immobile avec une
expression claire) comme par exemple se serrer la main pour se dire bonjour. L'animatrice demande
au public de décrire qui sont ces personnes, si elles se connaissent, etc., c'est-à-dire de leur inventer
une histoire. Puis une des deux personnes sort de l'image alors que l'autre reste immobile dans la
même position, puis vient la compléter différemment, par exemple, en prenant l'autre par les
épaules dans un grand éclat de rire. La scène a changé : le public dira si on se trouve au bistrot ou
face à la télé devant un match de foot, etc. Cet exercice fait à la fois travailler l'imaginaire, le
langage corporel et l'expression orale. Il est impératif d'exprimer l'idée que chacun se fait des
personnages et de la situation : plus il y a de lectures multiples et contradictoires, plus cela est riche.
Rester en image sans bouger devant tout le groupe qui regarde demande aussi une grande
concentration.
Les exercices permettant de développer l'expressivité dans les langages corporels et oraux sont
nombreux au théâtre et d'autres sont très bien décrits par Augusto Boal, référence mondiale du
théâtre-forum et du théâtre de l'opprimé, dans son livre Jeux pour acteurs et non acteurs3.
Faire émerger la violence comme thématique des saynètes
Cependant, il est assez difficile en un temps aussi court, une heure de cours par demi-groupe, de
réussir à ce que les élèves construisent de A à Z leurs saynètes. Mais c'est à travers la rencontre par
tous ces jeux, en étant attentif à ce qui se passe et se joue dans la classe, que se découvrent les
"petites histoires" qui sont souvent les plus graves. Ainsi, après avoir relevé différentes thématiques
ou histoires lors des jeux-exercices, l'intervenante a proposé des situations d'improvisation dites
violentes ou injustes à partir desquelles monter une série "d'images" (comme des tableaux
immobiles) puis de les animer en saynètes et d'y ajouter des dialogues. Les thèmes choisis ont été
des moqueries sur le physique d'une personne, des insultes qui dégénèrent en bagarre, des rapports
conflictuels avec un professeur, des conflits avec les parents, etc.
Au deuxième trimestre, un nouveau support a été trouvé pour amener la discussion autour de la
thématique de la violence sans tomber dans les stéréotypes auxquels les élèves sont habitués : "la
violence c'est mal, il ne faut pas se frapper, la guerre c'est pas bien, etc.". Les mini-films de la
campagne gouvernementale "Agir contre le harcèlement à l'école"4 leur ont été projetés car ils
illustrent justement des situations crédibles et violentes des rapports quotidiens vécus entre les
élèves dans l'enceinte d'un établissement. Certaines saynètes ont été improvisées à partir de ces
histoires, comme "le jour des claques" où un élève mis à l'écart se fait harceler par une majorité
d'élèves, "les injures" quand un élève gros se fait insulter à travers des photos et dessins, "les
rumeurs" dans lequel une jeune fille se fait harceler physiquement par un garçon puis moralement
par l'ensemble de la classe qui la stigmatise. Ces scènes choquent et touchent beaucoup les élèves
qui choisissent ensuite de travailler directement sur ces situations ou d'en trouver d'autres sur le
même registre des injustices quotidiennes. Le support du film est très intéressant car il permet de
parler clairement de personnages et non de personnes directement concernées dans la classe. Le
décalage de la réalité au jeu théâtral est très important car il permet une distance d'analyse et de
protection des personnes concernées. Cependant, il arrive aussi que des personnes opprimées ou
stigmatisées décident volontairement de jouer leur propre rôle ou celui de leurs oppresseurs.
Suivant les demi-groupes, les équilibres sont très différents à trouver puisque cela dépend du niveau
de confiance et de bienveillance qui a réussi à s'instaurer entre les individu-e-s. Ainsi, il peut être
très délicat de gérer certaines situations sur des personnes mises à l'écart ou stigmatisées dans le
groupe. Il est alors intéressant de proposer de renverser les rôles habituels de chacun-e et que ce soit
un-e élève plus charismatique qui joue le rôle de l'opprimé-e. Malgré tout, la distance entre le jeu et
la réalité reste parfois assez faible dans le contexte de ces saynètes réalistes. Les rapports de pouvoir
ainsi que la volonté de dominer sont tellement fort chez certain-e-s que le décalage est impossible.
Engager un processus de changement
Lors de la dernière séance a lieu ce que l'on appelle le forum. Les saynètes sont présentées au
public, ici la classe entière, avec une situation problématique d'injustice. Ensuite, le public est
mobilisé pour savoir si cette situation pourrait se dérouler autrement, si un des personnages pourrait
agir d'une autre façon pour que l'issue de la saynète soit meilleure. Le débat et les avis fusent
pendant quelques minutes, jusqu'à ce qu'une proposition émerge et que l'intervenante (le "joker" en
théâtre-forum) fasse monter sur scène un-e élève du public pour remplacer un des personnages. La
saynète est alors rejouée mais avec une improvisation en fonction des changements que propose
l'élève. Ainsi, le débat se déroule par une pratique directe et concrète sur scène. Une fois le jeu
terminé, l'élève est remercié et le public analyse son intervention : qu'est-ce que l'élève a voulu
faire ? qu'est-ce que cela a changé ? serait-il possible de faire autrement ? peut-on aller plus loin ou
améliorer encore la situation ? Suite à ces questions, le débat se développe jusqu'à ce qu'un-e autre
élève monte sur scène pour proposer une alternative qui vienne compléter la précédente ou qui
explore une voie complètement différente.
Cette dernière séance a lieu avec le professeur, qui a accompagné un des demi-groupes sur la
dernière heure de répétition. Tout au long du processus, plus les échanges avec le professeur sont
riches, plus l'accompagnement et la compréhension des enjeux pour certain-e-s élèves sont facilités
pour l'intervenante. L'apport d'un changement de regard sur les comportements des élèves dans un
autre cadre fait aussi partie du processus.
La séance finale n'est qu'une étape dans le déroulement du processus de changement. Les jeuxexercices des séances précédentes sont souvent répétés pour permettre aux élèves de gagner en
aisance et en confiance, en eux-mêmes comme dans le groupe. Pour les élèves timides comme pour
les autres, l'objectif est de se renforcer pour réagir face à des situations injustes et permettre aux
opprimé-e-s de se défendre. Ainsi le jeu du "Samouraï", où chaque élève joue le rôle d'un guerrier
ou d'une guerrière devant passer des coups à ses adversaires avec des éliminations, est une pratique
qui travaille sur la posture physique, la respiration, le cri, l'adresse claire à un autre participant et le
contrôle des fous-rires et qui permet de gagner en confiance en soi. Il est arrivé que les élèves les
plus timides et introvertis arrivent en finale de ce jeu sans difficulté. Les élèves hyperactifs doivent
quant à eux apprendre à se canaliser, se contrôler tout en s'exprimant, laisser la place aux autres et
trouver un équilibre dans leur implication physique et mentale.
Les changements les plus importants ne sont pas forcément visibles à la dernière séance car ils
passent d'abord par l'étape de la transformation à l'intérieur de l'individu, dans son rapport à luimême. C'est dans un deuxième temps, une fois enclenché le changement intérieur, que lors d'une
nouvelle prise de conscience la personne pourra agir sur le monde extérieur, donner son point de
vue et réagir face à des injustices. Il est important de respecter le rythme de chacun et chacune dans
son évolution.
Cependant, l'enjeu de la présentation devant les autres fait aussi partie du moteur du théâtre. C'est
pour cela que la présentation finale est un leitmotiv qui permet de donner un objectif clair aux
élèves, de donner un enjeu autre que la note mais tout aussi fort. Car il est très impliquant de jouer
face à un groupe, par la présence de tout son corps, par une prise de parole claire et distincte, sur la
scène, exposé aux regards de tous et toutes. Cet enjeu a souvent permis de réinjecter de la
motivation au sein du groupe, par la curiosité de voir ce que les autres allaient faire et l'envie de
présenter une saynète dont on soit fier. Le cadre doit bien sûr rester abordable en fonction du temps
de préparation. Dans ce cas présent la présentation devant la classe était suffisante et cela aurait été
une mise en danger du groupe que de le faire devant plus de public.
Pour illustrer ce processus de changement par une anecdote, lors des séances du premier trimestre
du cycle d'ateliers, certaines filles dont une avec des problèmes de discipline et plusieurs renvois,
ont presque systématiquement refusé de participer, puis elles se sont débloquées, soit peu à peu, soit
soudainement à l'avant-dernière séance. Aujourd'hui, à chaque fois qu'elles croisent l'intervenante,
elles lui demandent : "Quand est-ce qu'on refait du théâtre ? On peut venir à votre cours
Madame ?". Elles ont même déboulé, toutes contentes, lors d'une fin de séance un peu difficile avec
un autre groupe. Il a fallu les recadrer puis discuter, après l'atelier. Leur retour a été qu'elles
aimaient le théâtre car elles y étaient valorisées et qu'on les encourageait.
Il apparaît que la pratique du théâtre, en impliquant le corps et la parole dans un autre espace peut
être un moyen de raccrocher l'intérêt d'élèves en rejet du cadre scolaire.
(1) Les Fées Rosses, Théâtre déclencheur, 15 rue Georges Jacquet - 38000 Grenoble, tél. :
06.52.33.78.89, [email protected]
(2) Un compte-rendu de l'un des professeurs ayant en charge deux des classes de 4e concernées par
cette action est également publié dans ce numéro "Jouer avec le feu... ou le dilemme du professeur
pompier".
(3) A. Boal, Jeux pour acteurs et non acteurs. Pratique du Théâtre de l'opprimé, François Maspero,
1978, réédition La Découverte, 2004.
(4) Site internet : http://www.agircontreleharcelementalecole.gouv.fr/
Lire au collège, n°90 (05/2012)
Dossier "L'oral / 1 - Prendre la parole"
Jouer avec le feu... ou le dilemme du professeur pompier
Bernard Mainger, professeur de lettres modernes, collège Vercors (Grenoble, 38)
Le collège Vercors, établissement classé en Réseau de Réussite Scolaire, situé dans le quartier de
l'Abbaye à Grenoble, à la fois chargé (par sa complexité démographique et historique) et riche de sa
pluralité culturelle, exige de prendre en compte les débordements propres à l'adolescence, encore
plus importants dans un quartier sensible.
Depuis septembre 2011, le collège Vercors a mis en place l'action "Prévention Violence par le
Théâtre" pour les classes de 4e, avec l'aide de la compagnie La Fabrique des Petites Utopies.
Pourquoi ce niveau ? Parce que nous avons constaté que la classe de 4e rencontrait plusieurs écueils
qui renvoyaient brutalement les élèves à eux-mêmes, dans des situations de conflits : la crise
d'adolescence qui apparaît, la charge de travail particulièrement importante, la question de
l'orientation, la puberté - évidemment - qui transforme l'enfant, etc.
Du fond de la salle, observateurs lors de la séance de répétition, nous enseignants, nous demandions
comment il est possible de les faire évoluer dans ce contexte, tant la charge s'avère lourde au
quotidien. Encore plus lorsque nous n'étions pas en charge de cette activité et que nos partenaires
insistaient pour se retrouver seuls avec la classe. Comment ? Vous confier une classe ? Sans que
nous n'intervenions ? Et pas de note ?
Le coeur chargé d'une légitime inquiétude, nous confiions donc nos disciples aux bons soins de La
Fabrique des Petites Utopies... qui dissipa nos doutes en nous assurant qu'en semant les graines de
la réflexion dans quelques esprits belliqueux, nous pourrions récolter quelques fruits, ceux de la
paix.
La suite des évènements nous prouva que nos préoccupations n'avaient pas lieu d'être.
Évidemment, d'un point de vue pragmatique, l'enseignant a besoin de savoir si une action entreprise
est réaliste, réalisable et réalisée.
Réaliste parce que nous envisageons, avant tout, de savoir si l'élève pourra en tirer un bénéfice
évident pour lui.
Réalisable parce que nous pensons concrètement aux ressources que l'élève pourra mobiliser pour
parvenir aux objectifs qu'eux et nous définirons au fur et à mesure.
Réalisée parce que l'on ne pourra atteindre les dits objectifs qu'avec la pleine et entière coopération
de la classe.
L'objectif de cette action était de faire prendre conscience à notre public combien son attitude encore une fois, plurielle - peut être génératrice de tensions.
Partons de l'organisation : notre intervenante nous a laissé le soin de constituer les demi-groupes ;
charge à nous de rassembler les personnalités selon leur capacité à créer, rassembler, commander oui, l'autorité naturelle entre les élèves -, suivre ou tout simplement se mettre à l'écart. Parfois, les
élèves revenaient de leur séance, avec un air enjoué, ou ennuyé, voire indifférent. Leur demandant
l'air de rien comment se déroulaient les choses, ils étaient parfois enchantés - la météo des humeurs
y était pour beaucoup - ou totalement imperméables à l'action. Il était intéressant de voir le
comportement de deux classes totalement différentes : d'un côté, une classe extrêmement vivante et
jamais indifférente ; de l'autre, une classe plutôt scolaire, les élèves s'appropriant le savoir sans trop
se disperser.
Un tel projet reposant fortement sur la personnalité des élèves, le résultat n'a pas été le même : la
première classe, avec beaucoup d'énergie et d'affirmation, sans jamais retomber dans l'excès que
l'on peut prêter aux élèves des quartiers défavorisés, s'est approprié avec enthousiasme les
thématiques proposées ; la seconde classe, avec beaucoup de recul et d'introspection, sans jamais se
prêter au mutisme qui peut seoir aux élèves studieux, a voulu comprendre pragmatiquement les
enjeux de l'action.
Globalement, l'évolution du projet a été déterminée par la présence d'élèves qui, au sein de la
structure théâtrale, ont dû se mettre en avant. Il reste difficile de motiver des élèves qui ne veulent
pas s'affirmer - surtout au sein d'une activité non notée - et de canaliser des élèves qui font preuve
d'une sur-présence dans la représentation de soi.
Pourtant tous réunis pour réfléchir à cette question, par le biais du jeu et du je, il a fallu que chacun
se construise une place, en respectant l'autre et son point de vue, dans un esprit de libre-échange.
Témoin, acteur ou victime de la violence en milieu scolaire, le plus dur a été de créer chez les
élèves la capacité à anticiper les causes de la violence et à avoir des réponses plus apaisantes.
Défendant l'idée que la présence du professeur peut influencer considérablement la réponse
attendue, nous avons préféré considérer cette activité comme une béquille sur laquelle s'appuyer
pour à la fois aider la communauté scolaire autour de l'élève et aussi multiplier les ressources dont
dispose ce dernier pour construire sa personnalité.
Sans constituer une remédiation absolue - le cadre et le thème de l'action exigeraient une
implication plus longue et plus soutenue -, nous avons au moins pu sensibiliser plusieurs élèves,
éveillant ça et là quelques réflexions. Mais encore une fois, nous manquions de temps et de moyens.
Pour cibler davantage le bilan, il est intéressant de voir que le dispositif a pu réveiller à la fois les
consciences et les vocations chez quelques élèves, afinde mieux vivre au collège.
Certes, la question de la violence est une épine dans le pied de l'école. Mais elle est révélatrice d'une
émotion omniprésente, une constante dans la construction de la personnalité d'un individu. L'année
dernière, nous avions déjà entamé ce travail avec Claude Rouge1, auteur et metteur en scène dans le
même contexte : amener les élèves à réfléchir sur la violence dont ils sont auteurs, victimes ou
témoins, une récurrence parfois hélas trop présente dans leur scolarité. Et bien qu'étant passé par un
partenariat plus étroit (notamment dans l'élaboration des scenarii), nous étions arrivés à la même
conclusion : dans leur apprentissage de la vie, certains élèves ont parfois une (très) mauvaise
réponse à une (très) bonne question, comment réagir face à l'autre, en restant moi-même ? Qu'on
pardonne la métaphore, tant elle est parlante, mais déclencher l'incendie (jouer la violence), par
petits foyers (les saynètes, les court-métrages), avec la nécessité de contenir le feu, est une action
qui peut s'avérer plus que foisonnante si on lui en laisse le temps
(1) http://claude.rouge.free.fr/
Lire au collège, n°90 (05/2012)
Lire au collège - Jouer avec le feu... ou le dilemme du professeur pompier