AVERTISSEMENT - Le Proscenium

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AVERTISSEMENT - Le Proscenium
AVERTISSEMENT
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Auteur : Régis Rodriguez - 06 11 44 17 83 ou par mail à [email protected]
NOTE complémentaire : il y a beaucoup de didascalies créées à l’origine pour faciliter une compréhension rapide
par les lecteurs…
Troupes amateurs, oubliez-les si vous avez de la bouteille, et faites comme bon vous semble !
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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Quel Cirque !
COMEDIE CONTEMPORAINE
(5 H / 7 F)
Auteur : Régis Rodriguez
H:
GERALD GALLINEAU
Organisateur d’événements – Successeur de son père Gustave chez « GallineauVation Evénements » (GVE) - sous pression
REMI
Contorsionniste qui a perdu son épouse, Cannelle, contorsionniste aussi, lors d’un événement de GVE - revanchard
QUENTIN
Ancien juge d’instruction cherchant à tout prix un job pour toucher le chômage – se déguisera en femme
LESTER
Malade mental en réinsertion, atteint du syndrome de Tour (une grosse Tourette :-) ) Cherche la bonne dose de cachets
AZRAEL
Témoin de Jevéhou, illuminé et plein de gestes – au point qu’il sera pressenti pour être le magicien
F:
LUCILLE DE MERCOEUIL
Patronne de « Lucirque », Cirque et lieu d’événements – Manipulatrice – Un compte à régler avec les Gallineau
CORIANDRE
Assistante de Lucille – Décalée et lunaire – Une relation particulière avec la souris de son ordinateur
PRUDENCE DE SALON
DRH de la banque Fourb’n Co, commanditaire de l’événement - Stricte – peur de tout, peur des autres…
CLEMENCE
Assistante de magicien – Légère et enjouée – Un humour que les autres ne comprennent pas
Note : PRUDENCE & CLEMENCE peuvent être jouées par la même comédienne, ce qui était le cas à la création
SAM
La clown amatrice de jeux de l’esprit et autres casse-tête ; rarement embauchée parce que trop intello
PETULA
Ancienne majorette et taularde – reconvertie en jongleuse – Grande gueule attachante, rebelle
RUTH
Hôtesse de l’air reconvertie en hôtesse d’accueil – déformations professionnelles à l’appui – grosse bouffeuse mais mince
ANAIS
Femme d’Azraël, détective pied-noir et jalouse au dernier degré – elle espionne son mari par tous les moyens possibles
« Quel Cirque ! » est une comédie pure, mais avec 2 personnages dramatiques (Rémi & Lucille).
Résumé :
Pour des raisons totalement différentes, Lucille – gérante d’un cirque - et Rémi – contorsionniste - projettent de
faire échouer l’événement que doit organiser l'agence événementielle de Gérald Gallineau : la soirée du
personnel d’une banque, pour laquelle sera loué le cirque de Lucille. Pour réaliser son funeste projet commun
avec Rémi, Lucille va embaucher, non pas les meilleurs artistes de cirque, mais les pires ! Tout ne se déroule
donc pas comme prévu pour les « artistes »… mais pour elle non plus !
Jouée 6 fois à Lyon et Villeurbanne en mai et juin 2015, la pièce a toujours connu un excellent accueil du
public, ravi. Durée : 1h35 max.
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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Piste Cirque
Toilettes
Entrée / Sortie
(de) Dehors
Jardin
Cour
Public
Conventions dans le texte :
- En vert les entrées et sorties côté jardin, en rouge les entrées et sorties côté cour
- En mauve les personnages qui appellent au téléphone, censés être ailleurs, hors-scène
- En bleu le texte en voix-off enregistrée
- En gris dans les distributions des scènes, les personnages présents, mais muets
•
•
Il faut garder dans le public au premier rang : des places pour Rémi, Quentin, Ruth, Anaïs et Coriandre.
Il faut également préparer 2 chaises pour Gérald et Lucille au moment du spectacle de Cirque, pas dans
le public, mais juste devant, décalées sur la gauche ou la droite pour que le public les voie parler.
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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(Dans les bureaux d’accueil de la Société LUCIRQUE, gérée par Lucille De Mercoeuil)
Acte I, Scène 1 : Gérald, Coriandre, puis Lucille
VOIX-OFF : Bureaux du cirque « Lucirque » - LUNDI
(L’accueil est désert. Gérald entre de cour, mine sérieuse, et sonne au carillon posé sur la table. S’ensuit une attente
relativement longue pendant laquelle il manifeste son impatience, sort un carnet et note le retard. Coriandre entre de cour)
Coriandre :
(constatant avec dépit la présence de Gérald à son bureau. A elle-même, paniquée) Oh non ! Elle m’a
remplacée ! (à Gérald) Ecoutez, M’sieur, je me figure que vous faisez tout bien votre boulot, que vous
arrivez à l’heure, et que vous savez taper plus de 10 mots à la minute, tout ça, mais siouplaît, laissez Minnie
tranquille ! (elle s’assied et s’enfouit la tête entre les mains)
Gérald :
(stupéfait) Pardon ?
Coriandre :
Ou alors vous lui parlez avec douceur !
Gérald :
A qui ?
Coriandre :
A Minnie ! Oh, vous avez pas été présentés ?
Gérald :
Je ne vous suis pas, là.
(Lucille entre de jardin, avec un balai à chiottes, passablement agacée)
Lucille :
Coriandre ! Quand vous déciderez-vous à arriver à 8h du matin, comme le stipule votre contrat ?
Coriandre :
Ben, j’y peux rien : mon réveil, il l’a pas lu, le contrat ! Et pis, l’un dans l’autre, vous m’avez déjà
remplacée… (montrant Gérald)… j’ai droit aux soldes de tout compte, non ? J’adore les soldes. Mais pas
les tout comptes.
Lucille :
Ne soyez pas stupide, Coriandre. Monsieur est un client. (à Gérald, le dévisageant intensément) Bonjour
Gérald. (donnant le balai à Coriandre) Allez, arrêtez votre cirque et au travail. (Coriandre sort à cour, non
sans avoir envoyé un baiser à sa souris d’ordinateur)
Gérald :
Vous avez une bien étrange assistante, Madame De Mercoeuil !
Lucille :
Appelez-moi Lucille, je vous en prie. (elle sort un dossier) Asseyez-vous, Gérald. (lisant le dossier) Alors :
« Gallineau-Vation Evénéments » cherche un dispositif festif pour son plus gros client, pour samedi soir,
c’est bien ça ?
Gérald :
(essayant de masquer que la banque est son dernier client) C’est … tout à fait ça, Lucille. Mon… plus gros
client… oui : une grande banque qui veut organiser sa soirée annuelle du personnel. Alors j’ai pensé à une
soirée au cirque, et donc à « Lucirque ».
Lucille :
Vous avez bien fait ! « Lucirque » plante les graines, et « Gallineau-Vation Evénéments » récolte les fruits.
Gérald :
Je veux les meilleures graines ! Et le timing est serré. Mais je sais que vous avez travaillé avec mon père, à
l’époque où il a lancé « GVE ». Il m’a dit que vous faisiez un travail remarquable !
Lucille :
Gustave a dit cela ? Vous le remercierez de ma part. J’aurais aimé continuer à… travailler avec lui, naguère.
Gérald :
(faux) Papa avait décidé de faire moins d’événements autour du cirque, je suppute. J’ai repris l’affaire
récemment.
Lucille :
Belle réussite familiale ! Vous … avez un frère qui est patron aussi, me trompe-je ?
Gérald :
Non, c’est juste ! Mon grand frère, Gabriel, s’occupe de « GLC » : « Gallineau-Léum & Carrelages » !
Lucille :
C’est moins reluisant que les paillettes de l’événementiel, j’imagine. Alors… voici le devis de « Lucirque ».
(elle lui donne le devis) Si vous le validez, je lance tout de suite le recrutement de l’équipe !
Gérald :
Je valide votre devis les yeux fermés, Lucille. (après avoir lu le devis très très attentivement, et noté des
choses dans son carnet) Vous avez mon feu vert pour recruter !
Lucille :
« Lucirque » et « GVE », main dans la main, comme au bon vieux temps avec Gustave.
Gérald :
Bonne journée, Lucille ! Je passerai superviser l’avancement du projet. (il sort à cour. Lucille esquisse un
sourire énigmatique)
Acte I, Scène 2 : Lucille, Coriandre, puis Rémi
Lucille :
(appelant Coriandre) Coriandre ! … Coriandre !!!
Coriandre :
(revenant de jardin avec des gants de vaisselle) Oui, M’dame Lucille ?
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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Lucille :
Otez ces gants et convoquez les artistes du dossier de recrutement ! Mais pas le dossier blanc ! Le noir !
Coriandre :
C'est-à-dire, euh… il reste encore des morceaux de bouse d’éléphant sur le tapis rouge. Si je gratte pas
maintenant, ça va s’incruster.
Lucille :
(incrédule) Coriandre, ça fait presque un mois que nous n’avons pas fait de spectacle avec des éléphants !
Coriandre :
Ben justement. A mon avis, si on attend encore, ça va s’incruster, l’un dans l’autre.
Lucille :
(remontée) Cessez d’utiliser cette expression sans raison ! Bon. Vous êtes en train de m’expliquer qu’on a
organisé la convention bisannuelle des trapézistes, la semaine dernière, avec de la bouse sur le tapis ?
Coriandre :
Yep ! Mais vu des trapèzes, c’était nickel. Les trapézistes, y voient pas les bouses, d’en haut, c’est connu.
Lucille :
(ironique) Et bien sûr, ils arrivent directement sur les trapèzes, en volant, sans entrer sur la piste par le tapis
? (blasée) Bon… allez gratter vos bouses et revenez convoquer les artistes du dossier noir.
Coriandre :
Ça roule, M’dame Lucille ! Mais disez-moi : pourquoi le dossier NOIR ? (Lucille lui jette un regard noir.
Coriandre sort à jardin. Lucille lit la demande de « GVE ». Rémi entre de cour)
Rémi :
(haletant) Bonjour Lucille. C’est… C’est bien Gérald Gallineau que je viens de voir sortir d’ici ? Vous…
Vous êtes en affaire ensemble ?
Lucille :
Bonjour Rémi. Oui… mais je n’ai pas besoin d’un bon contorsionniste.
Rémi :
(grave) Je ne viens pas pour te proposer mes services. Je… je passais dans le coin, et je venais te saluer,…
quand j’ai vu sortir Gallineau. Tu… tu sais … ce qui est arrivé à Cannelle ?
Lucille :
(froidement) Oui, dans les grandes lignes. Toutes mes condoléances. Mais est-il bien utile de me rappeler
qu’il vous arrivait de travailler avec des cirques concurrents, Cannelle et toi ?
Rémi :
(montant en tension) C’est pas le moment de parler de concurrence, Lucille. Ou plutôt si : sais-tu que c’est
« Gallineau-Vation Evénéments » qui organisait le show qui a été fatal à Cannelle… chez des concurrents à
toi ?
Lucille :
Ah non, tiens ! Donc il m’a menti, le petit Gérald ; « GVE » n’a pas cessé de travailler avec des cirques !
Rémi :
Non ! En plus, ce petit fumier arriviste de Gérald tire les prix vers le bas. Il va venir superviser ton boulot
régulièrement, et au moindre petit détail, il essaiera de faire baisser le devis. (progressivement fou de
douleur) Comme il l’a fait pour ce… ce putain de show qui a tué Cannelle. Pour tenir le budget, ton
concurrent a été obligé d’économiser sur la maintenance du matériel. Et… et … et le cadenas du… du coffre
dans lequel était enfermée Cannelle avait un verrou défectueux… et… et… (il halète de plus en plus, de
douleur)
;...
Lucille :
Calme-toi, Rémi, calme-toi ! Je compatis… (avec un rictus énigmatique) ... et j’ai déjà prévu de mettre les
pires artistes sur l’événement.
Rémi :
(stupéfait) C’est ce que j’allais te demander ! Comment… Comment savais-tu que sa boîte coulerait en cas
d’échec, et que tu pourrais la racheter pour quasiment rien ? Je voulais même te proposer de m’associer avec
toi !
Lucille :
(énigmatique) Nous en reparlerons. Sois tranquille, le petit Gérald aura du mal à s’en remettre !
Rémi :
Merci, Lucille, merci ! (il sort à cour. Lucille esquisse un sourire énigmatique)
NOIR
Acte I, Scène 3 : Sam, Pétula, puis Coriandre
VOIX-OFF : MARDI – Premiers castings
(Sam et Pétula attendent qu’on les appelle pour leur casting. Sam est assise bizarrement, vêtue en clown, et patiente en
faisant un sudoku. Pétula est vêtue de manière excentrique, avec une baguette de majorette qu’elle manie sans grande
dextérité, debout. Elle la fait tomber régulièrement. Elles ne se sont pas encore parlé)
Sam :
(après un temps, souriante) Vous pourriez arrêter le massacre, j’arrive pas à me concentrer ! Vous arrivez
pas à la rattraper… Laissez tomber !
Pétula :
(vexée) Qu’est-ce qu’elle me veut, « Georges Clownée » ? Je t’ai parlé à toi ?
Sam :
Maladroite et agressive ! (avec une posture bizarre, limite collée à Pétula) Ça démarre bien, si on doit
bosser ensemble !
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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Pétula :
(gênée, s’éloignant) Excuse, euh… machine… J’suis un peu à cran avec ce casting. Ça fait bien 20 ans
qu’j’ai pas manié la baguette. Enfin, si : j’bosse dans une boulange, mais c’est pas pareil, je les lance pas.
Sam :
(lui tendant une main molle) Je m’appelle Sam. Et toi ?
Pétula :
Pétula. « La pétulante Pétula », comme on m’appelait avant ! Et pour pétuler, ça, je pétulais ! Je pétulais
quand j’étais majorette ; et pis, euh… ouais, bon, j’vais pas t’raconter ma life tout d’suite. Et pis là, à la
boulange, je pétule moyen, et ça me manque. Alors j’postule pour pétuler.
Sam :
Une majorette dans un spectacle de cirque ?
Pétula :
Non, bah non ! Y cherchent une jongleuse.
Sam :
(mimant un jongleur) Et tu sais jongler ?
Pétula :
Ouais ! Avec une baquette de majorette.
Sam :
(mimant) J’ai pas vu beaucoup de jongleurs qui jonglaient qu’avec un seul objet… et mal, en plus !
Pétula :
C’est c’qui m’rend unique, Sammy ! Un gonze qui fait voltiger un pacson de quilles, c’est du déjà vu,
revu, survu. Alors que moi, c’est du neuf, du pas réchauffé, du pétulant ! (montrant le magazine de Sam)
Tu te concentrais sur quoi, là ?
Sam :
Un sudoku. (pleine de gestes soigneusement désordonnés ☺) Tu mets les chiffres de 1 à 9 dans des cases, et
tu dois avoir tous les chiffres sur chaque ligne, chaque colonne, et dans chaque carré de 9 cases.
Pétula :
Rhoooo, la prise de chou ! J’savais pas qu’les clowns, y s’prenaient le chou avec des trucs d’intello !
Sam :
(se renfrognant à grands renforts de gestes) Rhaaa mais ! Qui a dit que les clowns avaient le cerveau d’un
bulot ? Toujours la même chose !
(Coriandre entre de cour)
Coriandre :
(à elle-même) A peine 2h de retard ! Trop forte ! (à Sam et Pétula) Vous êtes le clown et la… la… la quoi ?
Pétula :
La jongleuse ! Faut pas être déguisée pour le casting, si ?
Sam :
(avec une posture bizarre) Et moi, je suis LA clown !
Pétula :
Ouais ! Même qu’elle fait des sodukus.
Sam :
SUDOkus ! (montrant Coriandre d’une main molle) Mais je pense qu’elle s’en fiche, la demoiselle, de ça !
Coriandre :
(enthousiaste) Mais carrément pas ! J’ai essayé un jour, mais je trouvais pas où elles étaient, les définitions,
si vous pouvez m’expliquer !
Sam :
(avec un geste spécial) Mais c’est normal, c’est pas des mots croisés !
Coriandre :
(allant à son bureau) Ah, ben alors, c’est pour ça ! (à sa souris d’ordinateur) Salut Minnie ! (ouvrant un
dossier sur son ordinateur) Alors… euh… Sam et Pétula, c’est vous ?
Pétula :
La pétulante Pétula ! (elle lance sa baguette et n’arrive pas à la rattraper)
Coriandre :
(ça la fait rire) Et c’est laquelle, la clown, du coup ? L’un dans l’autre, j’ai comme un doute.
Sam :
(pleine de gestes) Au niveau costume, y a pas photo. Pour le reste, elle a les moyens de me piquer mon job
malgré elle. Mais comme je pense savoir au moins aussi bien jongler qu’elle… on peut inverser !
Coriandre :
(prenant le dossier et les invitant à la suivre vers la piste pour le casting, solennelle) Bon, eh ben, euh… :
veuillez me suivre, euh… dans mon sillage ! (Sam fait une moue amusée et la suit à jardin. Pétula se met à
marcher comme une majorette en faisant tourner sa baguette, sortant à jardin derrière Coriandre et Sam)
Acte I, Scène 4 : Lester, Quentin, Ruth, puis Prudence, puis Lucille
(Lester entre avec précipitation de cour, sort 2 cachets de sa poche, les recompte, et les avale. Puis il s’assied et patiente,
droit comme un I. Quentin entre de cour avec un attaché-case, propre sur lui)
Quentin :
Bonjour.
Lester :
(droit comme un I, avec un débit lent) Bon-jour. (à lui-même, satisfait) Ouais, ça tient avec 2 !!!
Quentin :
Je vous demande pardon ?
Lester :
(même jeu) Non, rien.
Quentin :
C’est pour le casting de « Monsieur Loyal » ?
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Lester :
(même jeu) Lui-même.
Quentin :
Ah… (pensant que c’est gagné pour lui, ironique) … Un « Monsieur Loyal » bien dynamique ! (se
présentant) Quentin Fallavier. Q-U-E-N-T-I-N, F-A-2L-A-V-I-E-R.
Lester :
(même jeu) Lester Adam. Euh… L-E- (de peur d’échouer, il enchaîne)…Steradam. En-en-enchanté.
Quentin :
Stéradent ?
(Ruth entre de cour, avec une part de pizza, et tend une main chaleureuse à Quentin)
Ruth :
Bienvenue à Bo… Euh, non, pardon… Bonjour.
Quentin :
(lui serrant la main, puis s’essuyant et fouillant son attaché-case avec empressement) Bonjour ! Et bon
appétit. Je vous sors mes références… Une petite seconde… Vous allez voir, ce n’est pas banal, mais tout
mon parcours atteste d’une énergie et d’une répartie sans faille !
Ruth :
Moi aussi, vous verrez, mon parcours est insolite. Mais… je ne suis pas la chargée de casting. Je postule
pour être l’hôtesse de l’… accueil du spectacle. Mon prénom est Ruth.
Lester :
(s’oubliant, avec un soubresaut vite contrôlé) RUTH !
Quentin :
(à Ruth) Ah ! Alors je retire ce que j’ai dit… Enfin, euh, non… vous pourrez parler de moi à qui de droit, si
on vous demande… pour le rôle de « Monsieur Loyal ». Vous voyez ?
Ruth :
(tendant la main à Lester, qui prend sur lui pour l’ignorer. Il sait que le moindre geste désordonné peut
trahir sa pathologie) Bon… bonjour… Vous ne me serrez pas la main ?
Quentin :
(ironique) C’est déloyal !
Lester :
(prend une profonde respiration et tend sa main, d’un geste lent, puis dit avec un débit lent) Arh…. Bonjour. (il serre la main à Ruth, puis la ramène avec lenteur et pousse un soupir de soulagement). Arh…
(Prudence entre de cour, très stricte, une tablette tactile à la main)
Prudence :
Messieurs… Madame. Je suis Prudence De Salon, directrice des ressources humaines à la Banque « Fourb’n
Co ». C’est moi qui suis chargée de l’événement. Vous êtes les artistes pressentis ?
Quentin :
(se précipitant avec ses papiers) Oui, Madame. Q-U-E-N-T-I-N, F-A-2L-A-V-I-E-R, et voici mes
références pour « Monsieur Loyal ». Vous allez voir, ce n’est pas banal, mais tout mon parcours atteste
d’une énergie et d’une répartie sans faille !
Prudence :
Je ne suis pas responsable du casting. Je viens simplement pour faire une revue des installations du cirque.
Pourriez-vous m’indiquer où se trouve le couloir qui mène à la piste ?
Ruth :
(enchaîne les mouvements classique de l’hôtesse qui donne les issues de secours. Puis un silence.)
Pardon. Mon prénom est Ruth…
Lester :
(s’oubliant, avec un soubresaut vite contrôlé) RUTH !
Ruth :
(terminant sa phrase) … hôtesse de l’… accueil.
Prudence :
D’accord. (à Lester, s’approchant) Et vous, pour ma curiosité personnelle, vous êtes ?
Lester :
(tétanisé) Aaaaaaaa… ssis.
Prudence :
(aux autres) Qu’est-ce qu’il dit ?
Quentin :
(ironique) Je ne sais pas, mais il n’a pas une articulation sans faille.
Ruth :
Je crois qu’il a dit « assis ». « Vous êtes ? »« assis ». Ce n’est pas faux. Même si ce n’est pas très pertinent.
Prudence :
(à Lester) Vous postulez pour quel rôle ?
Quentin :
(ironique) « Monsieur Loyal » ! La bonne blague ! (à Prudence) Je serais vous, je le relaxerais
immédiatement.
Ruth :
C’est vrai qu’il n’a pas l’air très relaxé.
Prudence :
(à Quentin) Vous le « relaxeriez » ?
Quentin :
Enfin, je veux dire : je le euh… « libèrerais » immédiatement… et je me choisirais moi.
Prudence :
(à Lester) Monsieur ? (elle le touche à l’épaule)
Lester :
(pétant un plomb, il se lève) Aaaaaaarh-m’a-touché ! Ruth, Ruth ! Aaaaaarh ! Cucurbitacée !!! (il étrangle
Prudence)
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Quentin :
(à Ruth) Vous voyez, ce type ne sait pas se contenir ! Aucune chance pour lui !
Ruth :
Certes, mais si elle meurt, la dame, il n’y a plus d’événement ! Faites quelque chose ! Sortez les parachutes !
(Prudence sort sa bombe anti-agression, asperge Lester, puis s’assied, haletante)
Lester :
(s’éloignant, aveuglé) Aaaarh !!!
Lucille :
(entrant de Jardin, et prêtant peu attention à la situation. A Ruth) Ah ! Madame De Salon. Je vous laisse
aller visiter le cirque.
Ruth :
Euh… non ! (elle montre Prudence du doigt) Mon nom est Abaga. Ruth, l’hôtesse de l’… accueil.
Lucille :
(souriante à la vue de Lester : elle a un sérieux candidat au « foirage ») Formidable ! (A Lester, qui bave)
Ça n’a pas l’air d’aller, jeune homme. (à Prudence) Madame De Salon, je vous laisse visiter, c’est par là !
Prudence :
(reprenant son souffle et montrant sa bombe) Merci… Il y a d’autres « animaux », là-bas ?
Lucille :
Non… (avec un petit sourire perfide) … les candidates précédentes sont sorties par l’issue de secours.
(Prudence sort à jardin. A Lester) Vous êtes embauché, jeune homme !
Lester :
(après avoir pris 3 cachets supplémentaires, bien recomptés. A nouveau droit comme un I, débit lent)
Mer-ci !
Quentin :
Hein ? (à Lucille) Vous n’êtes pas sérieuse ? Son dossier est accablant !
Ruth :
(montrant Lester) Oh, il m’a l’air d’avoir bien atterri maintenant !
Lucille :
(à Ruth) Et vous, vous êtes Ruth Abaga, l’hôtesse de l’air ?
Ruth :
(spontanément) Oui ! … (se reprenant) … Non ! Je suis hôtesse de l’… hôtesse … d’accueil ! (résignée)
Mais suis-je bête ? Vous avez mon dossier : vous le savez que j’étais hôtesse de l’air. (reprenant confiance)
Mais je vous assure, je sais aussi accueillir sur Terre.
Lucille :
Je n’en doute pas. (la dévisageant intensément) J’hésite quand même. Laissez-moi réfléchir. (à Quentin)
Quant à vous…
Quentin :
Non : QuenTIN ! Fallavier. Q-U-E-N-T-I-N ; F-A-2L…
Lucille :
Oui, d’accord. Donc : « quant à vous », « Quentin », vous ne faites pas l’affaire. Au revoir. (à Lester) Vous
pourrez venir répéter dès demain, 8 heures ! (à Ruth) Ruth, revenez demain à 11 heures 30 pour un second
entretien. (Ruth sort à cour, forçant son sourire. Quentin regarde Lester qui sort à cour, lentement et
droit, et sort lui-même à cour, en rage) Ça, c’est fait !
Acte I, Scène 5 : Lucille, Azraël, puis Anaïs (en mode téléphone, sur le côté de la scène)
(Lucille retourne au bureau pour prendre des notes. Azraël entre de cour avec un regard illuminé, limite hypnotiseur, en
portant un gros livre sur lui)
Azraël :
Bonjour ma sœur !
Lucille :
Je suis fille unique.
Azraël :
(en transes) Nous sommes tous les enfants de Jevéhou ! Jevéhou est « l’Etre » qui nous façonne, nous pétrit,
et nous enveloppe de sa bienveillance surnaturelle ! « L’Etre » a été, est, et demeure un tout flamboyant et
céleste, par-delà le bien, le mal, la foi, la première fois, la dernière fois et toutes les autres fois. Prends ce
livre, ma sœur ! Parcours-le ! Donne à « l’Etre », et « l’Etre » te rendra.
Lucille :
C’est super. Mais je n’ai besoin de rien. Passez votre chemin.
Azraël :
(en transes) Jevéhou,…
Lucille :
Où vous voulez, mais sortez !
Azraël :
(en transes, exhibant son livre) Non, mais laissez-moi finir : Jevéhou, notre maître, notre guide, notre
flamme, a poussé la mansuétude et l’amour jusqu’à écrire ce livre, témoin de notre temps - comme je suis
son témoin - et dans lequel il te propose de réparer tes erreurs, ma sœur, dès le jour d’aujourd’hui,
moyennant une obole symbolique non déductible de tes impôts.
Lucille :
Ah ! Vous êtes témoin de Jevéhou ! Vous feriez la paire avec Ruth : elle a l’air de planer, elle aussi.
[ Téléphone Azraël ]
(le téléphone sonne. Lucille décroche)
Lucille :
Allô.
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Anaïs (Tél) : (sèche) Passe-moi mon mari, figure de Barbarie !
Lucille :
Mais enfin ! Qui êtes-vous ?
Anaïs (Tél) : (très sèche) Passe-moi Azraël, j’te dis ! Le grand baraqué, juste en face de ta face de cake ! Et fissa !
Lucille :
Mais qu’est-ce que ça veut dire, ça ? (à Azraël, prenant sur elle) C’est pour vous ! (elle passe le combiné à
Azraël)
Anaïs (Tél) : Azraël ?
Azraël :
C’est toi, ma douce ?
Anaïs (Tél) : Et tu veux que c’est qui ? J’ai tout entendu ! La vieille pie, en face de toi, elle a dit que tu fais la paire avec
une certaine Ruth ! Alors… je sais pas elle sort d’où, cette Ruth avec son prénom qui me fait frémir les
ovaires, mais ti as intérêt à revenir à la maison sur-le-champ-de-blé, sinon je te coupe les glaouis, et j’en fais
de la mechouia, ti as compris ?
Azraël :
Mais, Anaïs, ma douce, tu es ma seule maîtresse… après Jevéhou !
Anaïs (Tél) : Après, tu vas où tu veux, mais tu reviens plus si ti es infidèle ! Quoi, il te suffit plus mon corps ? Elle te
suffit plus ma bouche ? Mes patins ? Mes couffins ? Elles te suffisent plus mes mains ?
Azraël :
Je te jure, ma douce, je ne connais pas cette Ruth ! Et puis d’abord, comment tu sais ?
Anaïs (Tél) : Tu m’as pris pour une quiche de lorraine ou quoi ? Mon homme à moi, j’y tiens comme à la praline de mes
yeux et, sur ma vie, s’y faut qu’je traficote ses vêtements avec des micros, j’me gêne pas l’dos d’la cuillère !
Azraël :
Tu as mis des micros dans mes vêtements ?
Anaïs (Tél) : Mais oui mais tu deviens sourd ou quoi ? Aïe aïe aïe, ça va m’énerver, ça ! Elle te fait quoi, la Ruth, avec
son prénom d’sa race ? Reviens à la maison, j’te dis, ou ti auras pas mes boulettes que j’ai fait pour toi !
Azraël :
D’accord, j’arrive.
Anaïs (Tél) : Ti as intérêt ! (elle raccroche)
Azraël :
(à Lucille) C’était ma femme, ma sœur.
Lucille :
Oui, j’avais compris. On est souvent les deux à la fois. Et même souvent la mère aussi.
Azraël :
(triste) Anaïs, c’est la femme de ma vie. Elle accepte tout, même ma dévotion pour Jevéhou. Mais elle est
détective privée, alors, il y a une déformation professionnelle, une méfiance instinctive ! Elle est d’une
jalousie hallucinante !
Lucille :
Lisez votre bouquin. Vous réparerez tout ça dès le jour d’aujourd’hui, et tant pis pour les impôts.
Azraël :
(triste) C’est un livre de magie, qu’il faudrait. Oh, comme j’aimerais avoir une baguette magique et faire
disparaître sa jalousie ! Bon, il faut que je rentre. Je vous laisse ma carte, si vous voulez m’acheter un ou
deux livres. (il lui donne sa carte et sort piteusement à cour. Lucille esquisse un petit sourire)
NOIR
Acte II, Scène 1 : Pétula, Gérald
VOIX-OFF : MERCREDI – 11 heures – premières répétitions et suite du casting
(Pétula, en tenue de majorette, répète ses lancers de baguette. Gérald entre de cour)
Gérald :
(entrant sans être entendu par Pétula, puis constatant qu’elle est à la ramasse) Bonjour. Vous répétez
pour quel événement ?
Pétula :
J’t’en pose, moi, des questions ?
Gérald :
Pardon ?
Pétula :
D’acc’, j’te pardonne. Mais c’est bien parce que t’as une tronche de premier d’la classe.
Gérald :
Pardon ?
Pétula :
Ah non ! J’pardonne pas deux fois de suite, question de principe.
Gérald :
Non mais vous êtes qui ?
Pétula :
Bah ? La jongleuse, t’es miro ? Ça pétule, tu trouves pas ? (il est déboussolé) Tu bosses chez « Lucirque » ?
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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Gérald :
Non, mais… Où sont vos autres baguettes ?
Pétula :
Quelles autres baguettes ? (après réflexion) Ah ! Je vois ! T’es client de la boulange où j’bosse, et tu m’as
reconnue ! Qu’est-ce que tu fous ici ? Me dis pas qu’tu veux un autographe ?
Gérald :
Non, mais, enfin, euh… Attendez… je ne comprends pas un traître mot de ce que vous me racontez !
Pétula :
(attendrie, à elle-même) Il est timide, le pauv’chou farci ! (à Gérald) Allez, on joue cartes sur table : c’est la
boulangère qui t’a dit qu’j’étais en liberté conditionnelle, j’me goure ? Et, comme tous les premiers d’la
classe, t’es fasciné par les taulardes ! Ça t’foutrait limite la gaule, hein ?
Gérald :
Non, mais… euh… non ! En revanche, je ne vois pas très bien ce que vous faites ici.
Pétula :
Si tu savais le nombre de type avec des gueules d’after-shave, comme toi, qui m’ont envoyé des bafouilles
avec leur photo, quand j’étais au mitard ! Allez, j’te raconte mon parcours, vu qu’t’es un fan.
Gérald :
(sortant son carnet et notant) Si je peux m’en servir, oui, ça m’intéresse.
Pétula :
(avec son lyrisme personnel) Alors, au début du commencement, je pétulais comme une boutonneuse de
base, chez les majorettes de Villeurbanne. Tout ça pour faire du gringue à Paulo, le caïd de l’équipe de
basket locale.
Gérald :
De l’ASVEL, donc ?
Pétula :
(même jeu) Mais non, pauv’gland ! Du lycée ! Suis un peu, merde ! Paulo et moi, c’est d’venu comme
Bunny and Clide : on prenait not’pied à « baver les interdits » comme on dit ! On braquait toutes les
pâtisseries du quartier.
Gérald :
Vous braquiez des pâtisseries ?
Pétula :
(même jeu) Bah, chacun ses p’tites faiblesses ! Nous, c’était les éclairs au café. On s’est fait choper, mais ils
ont relâché ce glandu de Paulo qu’était pas majeur. Moi, j’avais 18 ans et 2 jours !
Gérald :
Pas de chance !
Pétula :
(même jeu) Bah si ! En taule, j’étais une star ! Tu parles, une gamine de 18 ans au milieu des fauves, ça
pétule ! Attention : ils m’ont tous respectée, hein ! Et pis un jour, y’a Pédro qui m’a proposé une évasion !
Gérald :
Vous vous êtes évadée avec un certain Pédro ?
Pétula :
(même jeu) Sois pas pressé comme ça ! Bon… j’avais eu l’idée qui pétule : me faire tatouer le plan de la
prison sur le dos. Ouais, passque Pédro, il était tatoueur. Il m’a fait ça vachement bien. Mais j’étais pudique.
Gérald :
Et alors ?
Pétula :
(même jeu) Et alors j’avais gardé mon soutif pendant qu’y m’tatouait le plan de la prison. Résultat : y’avait
des couloirs en trop, tu piges ?
Gérald :
Euh… non !
Pétula :
Réfléchis ! Tu crois qu’je garde le même soutif tous les jours ? Le jour d’l’évasion, j’avais changé !
Acte II, Scène 2 : Pétula, Gérald, Coriandre, puis Clémence
(Coriandre entre de jardin, avec une pelle à poussière et une balayette)
Coriandre :
(avisant Pétula) Ah, Pétula, vous êtes là ! Hé ! Ça rime ! « Pétula » « vous êtes la » ! J’suis trop forte ! Hé,
mais… (à Pétula) … on peut se tutoyer ?
Pétula :
Bah oui, tu veux pas que j’te donne du « vous », quand même ? T’as encore du lait qui t’sort des naseaux !
Coriandre :
(fière) Chouette ! Du coup, je peux faire mieux, écoute : « Pétula, es-tu là ? » ! Ça fait une rime super riche !
Pétula :
Oh, t’sais, moi, les riches…
Coriandre :
Y’a M’dame Lucille qui t’attend sur la piste pour la répète !
Pétula :
(à Gérald, en lui pinçant le menton) T’inquiète, gamin, t’auras la suite de l’histoire et ton autographe ! (elle
sort à jardin)
Gérald :
(effaré, à Coriandre) Cette… chose… est dans mon spectacle ?
Coriandre :
Yep !
Gérald :
J’espère que Lucille est compétente en coaching ! Sinon, dites-lui bien que je demanderai une remise sur le
devis, soyez-en sûre !
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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Coriandre :
(à sa souris) Salut Minnie, je suis de retour ! Je t’ai manqué ?
Gérald :
Mais enfin, à qui parlez-vous ? Et qui est cette « Minnie » ?
Coriandre :
Ben, c’est ma souris ! Une souris, tu l’appelles forcément « Minnie »… (après réflexion) … ou
« Bianca »… (après réflexion)… ou si c’est une souris mâle, tu peux l’appeler « Mickey »… ou
« Bernard », du coup, l’un dans l’autre.
Gérald :
(à lui-même) Mais qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Et si encore c’était un cirque, ce serait normal en la
circonstance… Mais c’est un asile d’aliénés !
Coriandre :
(poursuivant sa démo logique) Mais par exemple, tu l’appelles pas « Donald » ! (après réflexion) Sauf si
c’est un canard. Mais j’ai encore jamais vu de canard d’ordinateur. (après réflexion) Ou « Picsou »… si
c’est un vieux canard d’ordinateur, genre même pas usb.
Gérald :
(la tension montant) Bon, ça suffit ! Appelez-moi Lucille !
Coriandre :
(poursuivant sa démo logique) Ou si c’est un canard femelle, …
Gérald :
(la tension montant encore) Appelez-moi Lucille !
Coriandre :
(poursuivant sa démo logique) Daisy !
Gérald :
(excédé) Stop ! Allez me chercher Lucille !!!!
Coriandre :
Vous énervez pas, j’avais pas fini ! (cherchant une façon de s’en sortir) Euh… Daisy… rez-vous un café ?
Parce que M’dame Lucille, elle est pas dérangeable, là !
(Clémence entre de cour, en tenue d’assistante avec un parapluie, un chapeau et un sac, comme Mary Poppins)
Clémence :
(chantant) Supercalifragilisticexpialidocious !
Coriandre :
Mary Poppers !
Clémence :
Non, « Poppins » !
Gérald :
(perturbé, à lui-même, continuant à noter sur son carnet) Un asile ! C’est un asile ! (à Coriandre) Dites à
Lucille que je repasserai !
Coriandre :
Oh, non, ça ira, vos vêtements sont pas trop froissés. (elle cherche quelque chose sur son ordinateur)
Clémence :
(à Gérald) Je suis assez d’accord. (avec son humour perso) Par contre, vous êtes pâle, on dirait un cachet !
Vous pourriez compléter mon dossier pour le statut d’intermittente ?
Gérald :
(totalement dépassé, il sort à cour. A lui-même) Des fous !
Clémence :
(à Coriandre) Aucun humour, ce type !
Coriandre :
(continuant à chercher quelque chose sur son ordinateur) Quel humour ?
Clémence :
Voyons ! Un « cachet », pour une « intermittente » ! Non ?
Coriandre :
Aaaah ! Je vois !!! Mais ça marche que si l’intermittente, elle a mal à la tête !
Clémence :
(déçue qu’on ne comprenne toujours pas son humour) Ah d’accord. Bon, faites comme si je n’avais rien
dit ! Je suis Clémence, l’assistante du magicien !
Coriandre :
Hé, mais vous êtes blagueuse ! Je cherchais « Mary Poppins » dans le dossier, c’est normal que je trouvais
pas ! Je pouvais chercher longtemps !
Clémence :
Sans indiscrétion, ce sera qui le magicien ? Mandrax ? David Copperwiz ? Pas Antoine Eric, tout de même ?
Coriandre :
Je regarde ça… (à sa souris) Allez Minnie, cherche ! Cherche ! (elle regarde sur son ordinateur) Il
s’appelle Azraël !
Clémence :
« Azraël » ? Connais pas ! Il est étranger ?
Coriandre :
J’en sais rien, moi ! Mais M’dame Lucille, elle a noté ce nom comme magicien ! Il a même pas fait de
casting !
Clémence :
Ça doit signifier qu’il est excellent ! Mais c’est bizarre, son nom ne me dit rien !
Coriandre :
En même temps, l’un dans l’autre, toutes les candidatures viennent du dossier noir, c’est normal !
Clémence :
Le « dossier noir » ? C’est quoi, le « dossier noir » ?
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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Acte II, Scène 3 : Clémence, Coriandre (« in » puis « off »), Lucille, puis Quentin (déguisé en hôtesse d’accueil)
(Lucille entre de jardin)
Lucille :
(à Coriandre) Coriandre ! Allez nettoyer la piste, au lieu de raconter des bêtises !
Coriandre :
Ça roule, M’dame Lucille ! (elle reprend sa pelle et sa balayette et, solennellement) « La pelle… La pelle
du 18ème joint ! » (elle sort à jardin)
Lucille :
(à Clémence, après avoir regardé l’ordinateur) Vous êtes Clémence, l’assistante du magicien ?
Clémence :
Tout à fait ! Oh, je suis si contente qu’on fasse de nouveau appel à moi ! Depuis que j’ai tué une colombe,
plus personne ne me fait confiance !
Lucille :
Je sais bien !
Clémence :
Et vous m’embauchez quand même ? Oh, madame De Mercoeuil, vous êtes la bonté incarnée !
Lucille :
(perfide) Vous savez, Clémence, la confiance est une graine qu’on peut décider de planter… ou pas.
Clémence :
C'est-à-dire ? Ah, c’est de l’humour que personne ne comprend, vous aussi ?
Coriandre (off) : M’dame Lucille !!! Venez voir !
Lucille :
Qu’est-ce qu’elle a fait encore, celle-là ! (elle sort à jardin)
Clémence :
(se met à répéter ses « poses » d'assistante de magicien, avec son parapluie ». Au public) Hey !
Gargamel !!!! (à elle-même) Euh, non… comment il s’appelle, déjà ! Ah oui ! (au public) Hey ! Azraël !!!
(Quentin entre de cour, déguisé en hôtesse d’accueil, jupe, maquillage, perruque, faux seins, etc…)
Quentin :
(avec une voix aiguë) Bonjour. Je suis venue avant 11 heures 30… Peut-être êtes-vous toujours en quête
d’une hôtesse d’accueil ?
Clémence :
Moi ? Pourquoi est-ce que je serais en quête d’une hôtesse d’accueil ?
Quentin :
Vous n’êtes pas l’assistante ?
Clémence :
Si. Et vous ?
Quentin :
Quentin Fallavier, Q-U-E-N-T-I-N… (lueur de panique et bredouillements) … E !!!! Q-U-E-N-T-I-N-E,
évidemment ! Quen… Quen… oui, ben donc : Quentine, finalement, oui, oui, c’est ça : Quentine, euh…
Fallavière, donc ! Enfin, non ! « Fallavier », au masculin…puisque c’est le patronyme ! Enfin, pas masculin,
féminin… mais comme ça n’a pas de sexe, un patronyme... F-A-2L-A-V-I-E-R. Fallavier, c’est… toujours
mon patronyme… c’est… voilà.
Clémence :
(après un silence) Moi, c’est Clémence ! Et vous venez pour faire l’hôtesse d’accueil ?
Quentin :
Oui, cela ne se voit pas ?
Clémence :
Pour tout vous dire, Quentine – c’est bizarre, « Quentine » – bref… Pour tout vous dire, Quentine, j’ai
traversé un long désert dans ma vie d’assistante, qui m’a obligée à accepter de faire l’hôtesse d’accueil, fut
un temps.
Quentin :
Oui… Et donc ?
Clémence :
Et donc, si je peux me permettre, vous ne mettez pas assez en valeur vos attributs féminins ! Tiens, la
poitrine, par exemple. Il faut la mettre en valeur, ça attire la bave des hommes et l’admiration des femmes.
Sortez un peu vos seins, là, pour voir !
Quentin :
Euh… non, je… je… je suis plate ! Super plate. Méga plate. J’en souffre depuis ma puberté, c’est terrible.
Clémence :
Mais non, je vois bien que vous avez du monde au balcon. Allez, sortez-moi vos rondeurs ! (elle le tripote
pour ouvrir son chemisier)
Quentin :
(voix d’homme) Mais ça suffit, oui ! (se reprenant, voix de femme) Euh, non, excusez-moi… C’est euh,
c’est… pas des rondeurs en tout cas… je suis plate, j’ai honte ! Je… j’ai mis un wonder…truc, vous voyez ?
Clémence :
Bra !
Quentin :
Quoi « Bras » ?
Clémence :
« WonderBRA » ! Toutes les femmes plates connaissent ce mot ! (après réflexion) Ah ! Vous êtes pudique,
en fait !
Quentin :
No… oui ! Noui ! Enfin, euh, OUI ! C’est ça : je suis pudique.
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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Clémence :
Dommage pour une hôtesse ! Vous avez beaucoup d’expérience ?
Quentin :
Je … je … j’ai une lettre de recommandation du barreau de Lyon.
Clémence :
(avec son humour perso) Un barreau qui écrit ?
Quentin :
Non, mais « le barreau », au sens institutionnel… L’ordre des avocats, vous voyez ?
Clémence :
(toujours avec son humour perso) Non, je ne mange pas de légumes verts, quel que soit l’ordre.
Quentin :
Vous êtes neuneu ou vous faites exprès ?
Clémence :
(vexée) Allons, Quentine, un peu d’humour ne tue personne !… sauf éventuellement une colombe : oui, je
n’en suis pas fière, mais je voulais juste faire une blague à Mandrax… et j’ai écrasé le frêle oiseau de paix !
Quentin :
(voix d’homme) Hein ?
Clémence :
Et si je peux me permettre, pour votre problème de platitude : allez voir un spécialiste pour voir si vous
n’avez pas un peu trop d’hormones masculines… Je dis ça, parce que votre voix aussi, elle n’est pas claire.
Quentin :
(voix de femme) Hein ?
Acte II, Scène 4 : Clémence, Quentin, Azraël, puis Ruth
(Azraël entre de cour, et roule des yeux effarouchés à la vue de ces 2 femmes)
Azraël :
Bonj… (effarouché, à lui-même) Oh non, deux belles femmes ! Si Anaïs a mis une caméra sur mes
vêtements, je suis mort ! (il positionne son corps de façon à ne pas filmer éventuellement Clémence et
Quentine) Bonjour, je suis Azraël. Madame De Mercoeuil n’est pas là ?
Clémence :
Elle est juste à côté, sur la piste ! Vous êtes Azraël ? Je suis Clémence, votre assistante !
Quentin :
(voix d’homme) Hein ? (voix de femme, à Clémence) Hein ? Vous n’êtes pas l’assistante de « Lucirque » ?
Clémence :
Mais non, Quentine, où allez-vous chercher ça ? Je suis l’assistante du magicien ! Hey ! Azraël !!!
Azraël :
C'est-à-dire que, euh… je ne suis pas tout à fait magicien, ma sœur… Mais Madame De Mercoeuil m’a
appelé pour me proposer le job, avec une formation avant.
Clémence :
(outrée) Moi, Clémence ? Avec un magicien débutant ??? (vers jardin) Madame de Mercoeuil, il faut que je
vous parle !!! (Elle sort à jardin)
Quentin :
(à Azraël) Il se passe des choses peu communes, ici. Vous avez une assistante qui est votre sœur et qui ne
vous connaît pas ?
Azraël :
(toujours tourné) Jevéhou, dans sa toute puissance, sème des pièges pour nous montrer le chemin.
Quentin :
Qui ?
Azraël :
(s’asseyant à côte de Quentin, sans le regarder, en se grattant régulièrement le bas-ventre ☺ ) « L’Etre »,
le grand LUI aux multiples ramifications : le plus et le moins, l’anode et la cathode, le sud et le nord, le pile
et le face, le poison et l’antidote, euh… le plein et le vide, euh… le pif et l’hercule, euh…
Quentin :
C’est bon, c’est bon, j’ai compris, vous êtes un illuminé. Euh … Sans indiscrétion, pourquoi vous grattezvous les… les…
Azraël :
L’appareil reproducteur ?
Quentin :
Ouuuu…i, ça s’appelle comme ça aussi.
Azraël :
Parce que ça me gratte.
Quentin :
Evidemment. Alors vous êtes « magicien »… « débutant » ?
Azraël :
Oui, ma sœur !
Quentin :
Je ne suis pas votre sœur ! (ayant décidé de passer outre compte-tenu du côté illuminé d’Azraël) Ah !
Euh… d’accord. Ils prennent des magiciens débutants, ici ?
Azraël :
Il faut croire ! On verra bien, je n’ai pas encore signé le contrat.
Quentin :
(à lui-même, mais avec une voix d’homme et fort) Mais ça change tout !!! Plus besoin de me travestir !
Azraël :
Oh non, par pitié pour le Créateur et son égal Jevéhou, ne travestissez pas votre voix, Quentine. Elle est si
pure naturellement !
(Ruth entre de cour, avec une énorme cuisse de poulet)
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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Quentin :
(à lui-même, avec sa voix d’homme, et fort) Oh non ! Ruth !
Azraël :
Ruth ? (regardant ses vêtements et grimaçant par peur d’un micro caché) Oh mince !
Ruth :
(à Quentin) On se connaît ?
Quentin :
(voix de femme après raclement) Hum…. Du tout ! Pas du tout ! Je… je… je vais prendre l’air ! (il sort à
cour, veillant à ne pas trop s’orienter face à Ruth)
Ruth :
(rêveuse, à elle-même) Ah ! Prendre l’air ! (à Azraël) Bonjour. Mon prénom est Ruth, donc.
Azraël :
(très fort vers ses vêtements pour des éventuels micros, et en se détournant de Ruth) Azraël ! Bonjour,
euh… « Ruttdonque » !
Ruth :
Non, « Ruth » tout court ! Comme un rut. (Azraël tousse fort vers ses vêtements) Ça va ?
Azraël :
Oui. Bon appétit, ma sœur ! (montrant le bureau de Coriandre) Vous n’allez pas manger à votre bureau ?
Ruth :
Ce n’est pas mon bureau, et je ne suis pas nonne… loin de là ! Je viens pour le casting d’hôtesse de l’…
accueil.
Azraël :
Vous venez à un casting avec une cuisse de poulet à la main ?
Ruth :
Où voulez-vous que je la mette ?
Azraël :
(il se gratte à nouveau le bas-ventre) Non mais, je veux dire : ça ne se fait pas… Si ?
Ruth :
Pas plus que de se grattouiller le train d’atterrissage. (reprenant sur le sujet de la bouffe) J’ai toujours faim,
et ça me permet de dire à mes futurs employeurs que j’ai beau manger, je ne grossis pas ! C’est comme ça !
Et au moins, ils sont sûrs d’avoir une hôtesse svelte et gracieuse ! Parée au décollage !
Azraël :
Au ?
Ruth :
Pardon. Des résurgences de ma vie d’avant.
Azraël :
Votre vie d’avant vous obsède, ma sœur ?
Ruth :
On dirait, oui. Mais je ne suis pas nonne, je vous ai dit !
Azraël :
J’aurais bien un livre pour vous, mais pas sur moi. Je vous l’apporterai à l’occasion.
Ruth :
Nous sommes amenés à nous revoir ?
Azraël :
Le moins possible … Désolé, je ne peux rien vous dire de plus. Et vous ne pouvez pas comprendre.
Ruth :
Ah, c’est sûr que si vous ne me dites rien, j’aurai du mal à comprendre.
Azraël :
Souvenez-vous seulement cette phrase : « notre passé peut survivre en nous avec les couleurs vives de l’arcen-ciel de l’espoir, ou les obscures langueurs du noir ébène des regrets ». Jevéhou.
Ruth :
Ah, ça, je ne peux pas vous dire… Je ne fais pas les réservations ! Na !
Acte II, Scène 5 : Azraël, Ruth, Anaïs, puis Pétula, puis Rémi
(Anaïs entre de cour, en furie)
Anaïs :
(à Azraël) La purée de toi, Azraël ! Tu crois que je t’entends pas tousser dans le micro comme un lépreux
mort ? Et tu crois que je vais gober que tu parles aux gens sans jamais les regarder ? (Azraël comprend
qu'elle lui a mis une caméra et commence à palper son vêtement). Cherche pas, elle est dans ton col, la
caméra ! Sous ton menton de menteur !
Azraël :
Ma douce, tu te méprends ! Mais comment savais-tu où j’étais ?
Anaïs :
J’ai mis une balise GPS dans ton slip, espèce de trompe-la-mort !
Azraël :
C’est pour ça que ça me grattait ! C’est dangereux ! Tu veux que je perde ma fertilité à cause des ondes ?
Anaïs :
Mais qu’est-ce tu me parles de fertilité ? Tu veux fertiliser qui, chien d’infidèle ? Allez, tire tes fesses d’ici
ou tu pourras compter tes os avec la moitié d’œil qui te restera ! (il sort piteusement à cour. A Ruth) A nous
deux, Ruth de mes deux !
Ruth :
Mesurez votre langage, je vous prie.
Anaïs :
(hurlant) Tu vas voir ce que j’vais t’mesurer, moi ! Ton cercueil, je vais mesurer, ti entends ? Ton cercueil !
Et il sera pas bien large, vu comment ti es maigre comme un stockfish !
Ruth :
Ne hurlez pas, j’ai horreur de ça !
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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Anaïs :
Je hurle pas, espèce de résidu d’cercle polaire ! Je parle comme une femme du sud ! Toi, ta voix normale,
j’ai la même quand je chuchote ! Et puis change pas de sujet, tu lui veux quoi, à mon Azraël ?
Ruth :
Ben… rien ! Il y a deux minutes, je ne savais même pas qu’il existait.
Anaïs :
Et en plus, tu me prends pour une bourriche de merlus ?! Allez, accouche ! Vous vous voyez depuis quand ?
C’est sérieux ? Vous avez déjà pratiqué des choses, euh… que la morale, euh… prouve et reprouve ?
Ruth :
Mais de quoi parlez-vous ?
Anaïs :
(la secouant violemment) Ti accouches ou j’te fais une césarienne de la bouche ?
Ruth :
(à elle-même comme à un micro) Nous traversons une zone de turbulences… je répète : nous traversons
une…
Anaïs :
(décontenancée) Tu joues à quoi, là ?
Ruth :
Rien, pardon. Une résurgence.
Anaïs :
(reprenant agressivement) Je confirme que tu vas aller les voir, les urgences, si tu me dis pas toute la vérité,
rien que la vérité, je le jure sur la vie de mon chien !
(Pétula entre de jardin, avec sa baguette)
Pétula :
Pourquoi ça gueule, ici ?
Anaïs :
Je t’ai demandé l’heure ?
Pétula :
Non, mais si tu veux, j’te la donne : il est 11h38. A peu près l’heure de fermer ta gueule !
Anaïs :
Oh purée, mais c’est qu’elle a du répondeur, la « pom pom pom girl » !
Pétula :
Non ! 2 « pom », ça suffit.
Anaïs :
Qu’est-ce tu me parles de pommes ?
Pétula :
C’est « Pom pom girl » ! Pas « pom pom pom girl ».
Ruth :
(amusée) Sinon, c’est presque du Beethoven.
Anaïs :
(à Pétula) Mais d’où elle vient nous parler de Beethoven pendant notre embrouille, celle-là ?
Pétula :
(à Ruth) C’est vrai, ça ! Pourquoi tu ramènes ta science, toi, alors qu’on se frite ? Et pis t’es qui, d’abord ?
Ruth :
(avec sa cuisse de poulet) Ben, Ruth, postulante pour l’hôtesse de l’… accueil.
Pétula :
(à Anaïs) Et en plus, elle schlingue la friture ! Je te la laisse ! (elle sort à jardin)
Anaïs :
(à Ruth, montant en tension) Alors toi, non seulement ti aguiches Azraël, mais tu me gâches une
embrouille ! Mais ti es le démon incarné à spirales ! (elle s’en prend physiquement à Ruth)
(Rémi entre de cour, cherchant Lucille)
Rémi :
(apercevant Anaïs, et allant s’interposer) Hé ho ! Qu’est-ce qu’il se passe ici ?
Ruth :
(montrant Anaïs) Madame…
Anaïs :
(agressive) Anaïs ! Epouse légitime de cette brebis galloise d’Azraël en rut !
Ruth :
(se rebellant, à Anaïs) Non, mais elle va se calmer, maintenant, l’hystérique ? Je ne le connais pas, votre
Azraël ! On s’est vus deux minutes, là, tout à l’heure, et je ne l’avais jamais vu avant !
Anaïs :
Aïe aïe aïe… Ça, ça veut dire tu le reverras après ?
Ruth :
Mais évidemment, on va voler ensemble !
Rémi :
« Voler » ? Vous allez voler quoi ?
Anaïs :
Elle va me voler mon mari devant Dieu et derrière Jevéhou !
Rémi :
Allez dehors ! Sortez… (à Ruth) J’ai compris, vous êtes trapéziste ?
Ruth :
Mais non ! J’ai dit « voler » par résurgence. On va « bosser » ensemble, Azraël et moi !
Anaïs :
La purée de toi, Ruth, y’a pas d’« Azraël et toi », et y’en aura jamais !
Rémi :
Mais vous avez fini de gueuler, oui ?
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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Anaïs :
Bon, j’me calme. (à Ruth) Mais j’te confie une mission, Ruth – la vérité qu’j’aime pas ton prénom d’sa
race ! -, bref… j’te confie une mission : si tu vois une femme tourner autour de lui, tu m’appelles. Tiens,
voici ma carte. (elle donne sa carte) Allez, salut ! (elle sort à cour)
Ruth :
(lisant la carte à voix haute à Rémi) « Anaïs, détective privée de fidélité »…
Rémi :
Il y a écrit ça sur sa carte ?
Ruth :
Elle a rajouté « de fidélité » au stylo… Sans doute dans un accès de rage, comme on déchire les photos de
son couple après une rupture douloureuse.
Rémi :
(sombre) Il y a des ruptures plus douloureuses qu’une séparation… vivante.
Ruth :
(terminant sa cuisse de poulet en la léchant) Oui, une séparation, c’est toujours une petite mort.
Rémi :
(vexé) Vous ne pouvez pas comprendre…
Ruth :
Encore !!!? Les hommes sont gonflés : ils ne disent rien et ils s’étonnent qu’on ne comprenne pas.
Rémi :
(sombre) Je disais la même chose à Cannelle. Elle était très secrète.
Ruth :
Vous l’aimiez ?
Rémi :
(même jeu, jusqu’au bout) A votre avis ?
Ruth :
Et elle vous a aimé ?
Rémi :
Jusqu’au dernier moment.
Ruth :
(conseillère compatissante) Alors croyez-en une femme qui a vu revenir tous les pilotes qu’elle a vu partir :
Cannelle va revenir, reprenez confiance. Déjà faites un effort pour sourire, les femmes ont horreur de voir
que leur ex est dépressif. Ensuite, oubliez les derniers mots qu’elle vous a dits, elle ne les pensait sans doute
pas.
Rémi :
Les derniers mots qu’elle m’a criés, de son coffre cadenassé…
Ruth :
Ah, mais si vous lui imposez des jeux sado-masos, aussi ! Je la comprends.
Rémi :
Vous pouvez la fermer cinq minutes ?
Ruth :
(se rebellant) Dites, vous débarquez comme un Zorro chevaleresque pour empêcher cette furie d’Anaïs de
m’agresser… et puis vous m’agressez, vous, au nom de je-ne-sais-quel souvenir d’une femme que vous avez
torturée ?
Rémi :
Fermez-la ! Cannelle était contorsionniste, comme moi. Elle était entrée dans le coffre en toute conscience.
Le cadenas était défectueux. On n’a pas pu le rouvrir à temps… Elle est morte étouffée.
Ruth :
Ah…
Rémi :
Ses derniers mots, qu’elle m’a criés, contrairement à ce que vous préconisiez, je ne les oublierai jamais et je
ne le peux ni ne le veux. Elle a crié, juste avant son dernier soupir : « Rémi… je t’aime ». (Ruth a l’os de
poulet dans la bouche, et se raidit. Elle enlève l’os, et sort à jardin, comme prise par une envie de vomir)
Acte II, Scène 6 : Rémi, Lester, puis Sam, puis Lucille (off)
(Lester entre de cour, en « Monsieur Loyal », avec un bandeau sur l’œil droit et des rougeurs sur le visage, suite au
« bombage » de Prudence)
Lester :
(à lui-même) 3 cachets… 3 cachets… 3 cachets… (il prend 3 cachets, après les avoir recomptés, puis se
tourne vers Rémi. Calmement) Bonjour ! (à lui-même) Ça marche !
Rémi :
(toujours sombre) Bonjour.
Lester :
Vous postulez pour quoi ?
Rémi :
Pour me venger ou pour mourir le plus vite possible.
Lester :
C’est la joie, quoi.
Rémi :
Désolé, vous n’y êtes pour rien dans tout ce marasme.
Lester :
Pour une fois, non. (s’oubliant) Si le dosage est bon.
Rémi :
Le dosage ?
Lester :
(se fissurant un peu en s’apercevant de sa confession involontaire) Arh… Le… quoi ?
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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Rémi :
C’est vous qui avez dit : « le dosage » !
Lester :
Ah bon ?
Rémi :
A moins que mes oreilles soient mortes en même temps que mon cœur.
Lester :
C’est gai, ça, encore ! (fébrile par besoin de sérénité) Euh… Vous voulez pas dire des choses normales ?
J’ai besoin de normalité, moi… au moins autour, quoi… Sinon, je sais pas trop réagir. Et quand je sais pas
réagir, euh… arh !
Rémi :
Désolé. J’ai déjà plombé la pauvre Ruth, qui n’y était pour rien.
Lester :
(s’oubliant, avec un soubresaut vite contrôlé) RUTH !
Rémi :
Oui, vous la connaissez ?
Lester :
(commençant à se lézarder) RUTH !
Rémi :
Oui, Ruth ! Ruth !
Lester :
(pétant un boulon) RUTH ! RUTH ! Arrrrrhhhhhh !
Rémi :
Je peux faire quelque chose pour vous ?
Lester :
(en crise) Arrrrrhhhhhh !
Rémi :
Vous voulez un verre d’eau ?
Lester :
(en crise) CUCURBITACEEEEEEE !!!
Rémi :
(stupéfait) Vous voulez un concombre ?
Lester :
(en crise, qu’il essaie de juguler) Cu…cur…bitacée…
Rémi :
Un melon ?
Lester :
(en crise) Naooooonnnnn !
Rémi :
Une courge ?
Lester :
(en crise) Nannnnn !
Rémi :
Désolé, mais j’ai fait le tour des cucurbitacées que je connais.
(Sam entre de cour, en clown, avec un Rubik’s Cube, pendant que Lester essaie de se calmer dans son coin)
Sam :
(à fond dans son personnage de clown) Bonjour les petits enfants !!! Ça va bien ???
Rémi :
(montrant Lester) Vous trouvez qu’il a l’air d’aller bien ?
Sam :
(dépitée, en position « clown triste ») Non, mais j’aurais espéré un meilleur accueil…
Rémi :
Vous êtes le clown ?
Sam :
LA clown ! (se mettant de profil) Vous voyez pas en 3D ?
Rémi :
(pressentant qu’elle n’est pas compétente) C’est génial !
Sam :
Ah ?
Rémi :
Une clown qui fait pas rire, et avec un Rubik’s Cube !!! Le degré zéro de la clownerie ! Et un « Monsieur
Loyal » malade mental !!! Lucille est géniale !
Sam :
Mais je vous en prie ! (au public, avec plein de gestes et postures) « Le degré zéro de la clownerie », ce
qu’il faut pas entendre ! Et même pas il s’excuse !
Rémi :
(vers jardin) Lucille, t’es géniale ! (à Sam) Il faut que je lui dise ! (il sort à jardin)
Sam :
(à Lester, position clown dépité) Quel mufle, celui-là !
Lester :
(se remettant) Arh…
Sam :
(rapprochant son visage) « Arh », ça veut dire que tu es d'accord avec moi ?
Lester :
(essayant de se concentrer et comptant 4 cachets, qu’il avale) 1, 2, 3, 4 ! (après quelques secondes, à Sam)
Oui !
Sam :
(avec plein de gestes) C’est des Smarties ? Tu m’en files ?
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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Lester :
(courte rechute, avec un soubresaut vite contrôlé) TU M’ENFILES !!! Arhhh… arh… Non, c’est mes
nouveaux cachets.
Sam :
(avec plein de mimiques) Des cachets pour quoi ? Ou contre quoi ?
Lester :
J’ai le syndrome de Tour.
Sam :
Tu veux dire : « de Tourette » ?
Lester :
Non, une Tourette, c’est rien. C’est une petite tour. Le syndrome de Tour, c’est un cran au-dessus.
Sam :
(gestuelle) Et tu prends 4 cachets tous les jours ?
Lester :
Je sais pas, je cherche le bon dosage. A 2 cachets, ça tient pas longtemps. A 3, pas beaucoup plus. Alors
j’essaie 4.
Sam :
Tes crises, elles sont liées à quelque chose de particulier ?
Lester :
Ben… Arh… Faut pas me gueuler dessus… Faut pas qu’une femme me touche… Faut pas me dire des mots
salaces… genre : « ruth » … arh… ou : « tu m’enfiles »… aaaaaarh… Ouf, ça tient, pour l’instant !
Sam :
(se montrant clownesquement) Et une femme clown, ça compte ?
Lester :
Je sais pas. (changeant de sujet) Le Rubik’s Cube, c’est parce que c’est un drôle d’objet plein de couleurs ?
C’est pour ton numéro ?
Sam :
(gestuelle) Non, c’est pour mes neurones.
Lester :
Quand t’es clown, t’as pas besoin de tes neurones.
Sam :
Sur la piste, non. Tant que je suis pas en représentation, je vois pas pourquoi je m’amuserais pas le cerveau.
Lester :
Tu t’amuses en te prenant la tête et les neurones ?
Sam :
(avec gestuelle exégérée) Eh ben ouais ! Et je suis cataloguée « mauvais clown » parce que dans l’esprit des
gens, on peut pas faire rire après avoir fait un sudoku ou un Rubik’s Cube, tu le crois, toi, ça ?
Lester :
En fait, je m’en fous.
Sam :
(à genoux) A la limite, je préfère.
Lucille (off) : Lester !!! Ruth !!! (continuer sans tenir compte de Lester, ou très peu)
Lester :
(essayant de se contenir) RUTH !!! Aaaarh…
Lucille (off) : (continuant) … Azraël !!! Sam !!! Vous êtes là ? Venez nous rejoindre !
Sam :
(à Lester) Tout doux, tout doux… C’est toi, Lester ? (il acquiesce de la tête. Vers Jardin) Y’a que Lester et
Sam ici ! On arrive ! (ils sortent à jardin)
NOIR
(Ceci est à peu près la moitié du texte …
L’auteur peut vous adresser gratuitement la suite !
Il ne s’agit pas de vous faire languir,
Mais de protéger mon travail !)
N’hésitez pas à le contacter… Il ne mord pas,
il est très sympa, propre sur lui, aimable et souriant,
et il aime bien discuter avec d’autres gens passionnés !
« Quel Cirque ! », auteur : Régis Rodriguez
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