Pourquoi les Allemands ont voté Hitler

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Pourquoi les Allemands ont voté Hitler
LES LIVRES ET LES IDÉES
Geschichte eines Deutschen,
1914-1933
Par Sebastian Haffner
Pourquoi les Allemands
ont voté Hitler
HANS STARK*
Pourquoi les Allemands ont-ils sombré dans le
nazisme ? Les raisons de la victoire de Hitler
en 1933, maintes fois analysées, restent mal
élucidées. D’où le foisonnement d’ouvrages sur
le sujet – et une incompréhension croissante à
mesure que la mémoire s’éloigne. Rédigés en
1939 et publiés en 2000, les mémoires posthumes
de Sebastian Haffner1 aident à concevoir
l’inconcevable.
C
ommençons par une bonne
nouvelle : malgré le désir
manifeste de tirer un trait sur le
passé, l’arrivée au pouvoir des
nazis et, parallèlement, le déclin,
la perversion et la chute de la
civilisation allemande de l’entredeux-guerres continuent de
nourrir le débat politique, ainsi
que la production littéraire et
historique en Allemagne. Ce débat
est néanmoins enfermé dans un
dilemme. En effet, il semble relativement clos dans la mesure où
« tout a été dit ». L’historiographie
* Secrétaire Général du CERFA.
du « Troisième Reich » et de la
terreur nazie est riche, complète
et abondante et ne laisse guère de
place à des controverses ou des
interrogations. Les conditions dans
lesquelles Adolf Hitler a pu se
saisir des rênes du pouvoir sont
parfaitement connues : la défaite
de 1918, la crise économique, le
traité de Versailles, l’hyperinflation
de 1923, le rejet, par les Allemands,
du « système » de Weimar, et donc
de la démocratie, enfin les tendances
d’une élite politique et militaire
résolument anti-occidentale, « anti-
slave », puis antisémite. Bref, en 1933,
le peuple allemand était prêt à
succomber à l’idéologie nazie et à
se fondre dans le moule hitlérien.
Toutefois, toujours en 1933, la
NSDAP n’a pas eu la majorité
absolue des voix. 56 % des Allemands ont voté contre Adolf
Hitler lors des dernières élections
libres du 5 mars 1933. Or non
seulement l’Allemagne n’a pas
connu de résistance véritable par
la suite, mais surtout, dès l’arrivée
du « Troisième Reich », la majorité
silencieuse, anti-hitlérienne, s’est
effondrée, incapable de s’opposer
à l’émergence d’un consensus
global, sinon presque unanime
autour des idéaux, des objectifs
et des méthodes des nouveaux
dirigeants. Or cette chute collective,
ce retour à la barbarie d’une
Kulturnation séduite à la fois par les
sirènes d’une idéologie violente et
primaire et par des hommes aussi
primitifs que vulgaires constituent
un phénomène qui reste difficile à
comprendre. Comme le souligne
Joseph Rovan dans sa monumentale
Histoire de l’Allemagne, « à travers
l’abondance inépuisable des documents et des récits, des études et
1
Sebastian Haffner,
Geschichte eines
Deutschen,
1914-1933, DVA,
Stuttgart, 2000,
240 p.
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LES LIVRES ET LES IDÉES
des actes d’accusation, le Troisième
Reich reste mystérieux dans une
part importante de sa réalité. Pour
parler de cette époque à la fois
terrifiante et banale, il faut une
nouvelle disposition d’esprit... »2.
Car si les étapes qui ont mené à
la « catastrophe allemande » sont
parfaitement connues, la perversion
du peuple allemand et la séduction
de son élite par les dignitaires nazis
demeure un mystère qui s’explique
moins par les conséquences du
traité de Versailles que par l’exploration quasi psychanalytique des
méandres de l’âme allemande de
l’époque.
L’histoire d’un Allemand couvre,
comme le titre l’indique, la période
1914-1933. Ce n’est pas une
œuvre à caractère scientifique,
ayant pour objectif de mettre en
lumière les « raisons » de l’arrivée
au pouvoir des nazis. Il s’agit plutôt d’un récit intimiste, que son
auteur n’a jamais songé à publier,
et qui retrace les souvenirs d’enfance et de jeunesse de Sebastian
Haffner dans une Allemagne en
pleine effervescence. Né en 1907
à Berlin, Haffner a été, malgré son
jeune âge, un témoin très éveillé
(quoique, dit-il, « manipulé ») de la
Première Guerre mondiale et de
la courte période révolutionnaire
qui l’a suivie. Mais l’objet de sa
UN TÉMOIN
curiosité et, plus tard, de sa
DU DÉBUT DU SIÈCLE
souffrance, fut moins la trame
’est cette approche qui
politique de l’époque que le subcaractérise les « Mémoires
conscient collectif des Allemands,
1914-1933 » de Sebasen particulier ceux
tian Haffner. Il s’agit de L’événement clé
de sa génération –
l’œuvre posthume de qui a ouvert
les futurs acteurs du
l’auteur, décédé en
« Troisième Reich ».
« l’âme allemande »
1999. Publié par son
fils en 2001, l’ouvrage aux idées nazies fut
Rédigé en 1939, le
a suscité des échos le déclenchement de
livre porte un regard
considérables en Allesur les Allemands,
la Première Guerre
magne, dus en grande
depuis la Grandepartie à l’immense mondiale.
Bretagne, pour analynotoriété dont jouissait
ser la « reddition »
l’auteur. Journaliste et politologue,
collective de 1933. Sebastian
Sebastian Haffner (de son vrai nom
Haffner n’attache pas une grande
Raimund Pretzel) représentait en
importance aux événements
effet, pour toute une génération,
extérieurs qui, aux yeux de la
la conscience morale de l’Alleplupart des historiens de nos jours,
magne de l’après-guerre. Émigré
permettent jusqu’à un certain
en 1938 en Grande-Bretagne,
degré d’expliquer l’attitude des
où il a travaillé comme journaliste
Allemands face à la montée des
à l’Observer, Haffner n’est revenu
nazis. Sans les nier, il ne pense pas
qu’en 1954 en République fédérale,
que des facteurs comme le révioù il a travaillé pour le journal
sionnisme ambiant – provoqué par
Die Welt et le magazine Der Stern.
la perte de territoires en Europe
Il a publié plusieurs ouvrages
centrale –, les conséquences
qui furent des best-sellers en
financières du traité de Versailles,
Allemagne et qui ont fait de
l’effondrement socio-économique
lui l’un des spécialistes les
de la classe moyenne ou l’apparition
plus réputés de la période
du chômage de masse aient joué
1918-1945 : notamment son
un rôle décisif dans le succès de
livre sur Churchill (non traduit),
l’idéologie hitlérienne : même s’ils
son Un cer tain Adolf Hitler
ont contribué à la chute de la
(Grasset, 1979), et surtout son
République de Weimar, ils n’expliDe Bismarck à Hitler (La Docuquent pas à eux seuls la montée
mentation, 1991).
du nazisme.
C
2
Joseph Rovan,
Histoire de
l’Allemagne.
Des origines à
nos jours, Seuil,
1994, 965 p.
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Pour Haffner les raisons se trouvent ailleurs. De fait, il remonte
jusqu’au mois de juillet 1914 pour
trouver les racines de l’adhésion
populaire au programme politique
de l’auteur de Mein Kampf. L’événement clé, le « déclic » qui a ouvert
« l’âme allemande » aux idées nazies,
fut, selon lui, le déclenchement
de la Première Guerre mondiale.
Certes, l’exaltation des vertus
patriotiques et le dénigrement total
des ennemis ont été des phénomènes communs à beaucoup de
nations. De même l’enthousiasme,
l’effervescence que la crise de 1914
a suscités dans la population ont
été observés dans toutes les
capitales des pays belligérants. Du
moins au début. Car, à la différence
de ce qui s’est produit par la suite
dans les autres pays européens,
notamment ceux qui furent directement touchés par les combats,
en Allemagne, la mobilisation patriotique, militariste et xénophobe
a pu être maintenue tout au long
de la période 1914-1918.
L’ENTHOUSIASME
DE JUILLET 1914
C
ertes, les combattants allemands se sont fait rapidement
une autre idée de la guerre, tandis
que l’enthousiasme des civils a été
mis à rude épreuve par le blocus
économique. En revanche, pour
toute la jeune génération (celle
de Haffner), la guerre, parce
qu’elle fut à la fois abstraite et
lointaine, a produit des sensations
permanentes, une exaltation
ininterrompue. Pour eux, l’enthousiasme de juillet 1914 a duré quatre
ans. Nourrie en permanence par
une propagande gouvernementale
suffisamment simpliste pour être
à la portée de tout un chacun, y
compris des adolescents, voire des
enfants de 10 ans, cette exaltation
n’a nullement été affectée par la
faim et la misère qui furent le lot
commun de presque tous les Allemands. Au contraire, les privations
de la vie réelle ont poussé les jeunes
Allemands en âge pubertaire dans
POURQUOI LES ALLEMANDS ONT VOTÉ HITLER
un monde virtuel, viril, violent et
sans merci, où la haine de l’étranger
et la destruction physique de
l’ennemi étaient perçus comme
parfaitement légitimes et présentés
comme le meilleur service que
l’on pouvait rendre à sa patrie.
C’est cette enfance, durant laquelle
l’imaginaire guerrier a compensé
l’absence du père, décrite à travers
toutes ses facettes par Sebastian
Haffner, qui a formé, dit-il, la
génération des futurs cadres de
l’Etat SS.
Si cette génération a été traumatisée, ce n’est guère en raison de
la crise économique, du traité de
Versailles ou de la perte de la
Prusse orientale. A la différence
de la propagande militaire, si simpliste, il s’agissait là d’événements
politiques qui échappaient à la
compréhension des jeunes Allemands.
Le traumatisme de la défaite n’en
fut pas moins profond. Les jeunes
de l’âge de Haffner, sûrs de l’imminence d’une « victoire finale » – qui
paraissait inéluctable en raison
des innombrables conquêtes et des
nombreuses victoires célébrées par
la propagande pendant quatre ans
– n’ont pas été en mesure de saisir,
et encore moins de digérer, les
événements de 1918. Toute une
génération s’est sentie déstabilisée
et trahie. Pour la majorité, la
guerre n’était pas finie. Elle n’a été
que provisoirement interrompue à
cause de la trahison des « rouges »,
des révolutionnaires de l’automne
1918. Une minorité, cependant,
dont faisait partie Haffner, a
compris qu’elle avait été manipulée
par l’Etat, que l’Etat lui avait menti,
qu’il pouvait donc être source de
mensonges. Les premiers voteront
national-socialiste quinze ans plus
tard, les seconds feront partie de
la minorité silencieuse.
Autre source de traumatisme, la
naissance tumultueuse de la
République de Weimar. L’avènement de la démocratie et les
soubresauts révolutionnaires qui
l’ont accompagné ont rendu le
extrêmement hiérarchisées, qui
monde dans lequel évoluait la
serviront de modèle, quelques
génération de Haffner infiniment
années plus tard, aux jeunesses
plus complexe. La propagande des
hitlériennes. Pour Haffner, ces
années 1914-1918 avait eu le
dernières existaient de facto dès
mérite d’« expliquer » de la façon la
1919. Censés préparer le jeune
plus simpliste possible les affaires
Allemand à un futur glorieux et lui
politiques de l’époque. Il s’agissait
permettre de « battre » l’Anglais,
d’une vision manichéenne, qui ne
le Français ou le Russe, ces diffélaissait aucun doute quant à l’orirents Bünde et autres associations
gine du bien et du mal. Profondévéhiculaient d’emblée l’esprit de
ment malmenée par la « trahison »
camaraderie, mais
de 1918, cette vision
aussi l’intolérance, la
du monde s’efface avec Dès 1919, des
xénophobie, le mépris
la disparition de la
associations et clubs
de l’adversaire, et,
propagande et la fin de
fait nouveau, l’antisél’empire wilhelmien. sportifs ont véhiculé
mitisme. Ce mondeLe système auquel chez les jeunes
là, créé de toutes
elle cède la place est
l’intolérance,
pièces par les clubs
ultra-libéral, alors que
de sport et les
la société ne l’est pas. la xénophobie,
cadres des écoles
Ce monde, où chacun le mépris de
secondaires, et par
est (en théorie) tout
l’adversaire.
lequel passaient tous
d’un coup responsable
les jeunes Allemands,
de son propre destin,
se trouvait à des années-lumière
est complexe et opaque. La révode l’autre République de Weimar,
lution d’automne, la proclamation
celle de l’ouverture multiculturelle,
de la République, la répression
du modernisme, du théâtre, du
menée par Gustav Noske et la
cinéma et de la musique, où
soldatesque des Corps francs
la culture allemande s’ouvrait aux
contre les militants de « Spartakus »
influences américaines, centreet autres conseils d’ouvriers et
européennes et juives – un monde
de soldats se déroulent dans une
qui disparaîtra rapidement au
quasi-indifférence populaire, nourprintemps 1933.
rie, non par la désinformation,
mais par l’absence d’information.
L’auteur observe que la quête de
Weimar devient synonyme de
sensations fortes, un trait de cachaos. Frappée d’emblée par une
ractère propre aux jeunesses en
instabilité gouvernementale incesgénéral, a pu, une nouvelle fois,
sante, la République de Weimar
être assouvie en 1923, grâce à
offre l’image d’un système confus,
l’exaltation patriotique suscitée par
auquel les Allemands ne peuvent
la résistance passive contre les
s’identifier, un système violemment
troupes françaises qui ont occupé
rejeté par la génération de Haffner.
la Ruhr. Mais cette résistance
passive a également provoqué
ANNÉES DE CRISE,
l’effondrement
du mark et la ruine
ANNÉES D’ENNUI
de la classe moyenne, la principale
ette dernière se réfugie alors
victime de l’hyperinflation. En
de nouveau dans un monde
quelques mois, alors qu’un dollar
irréel, celui de l’exaltation sportive
s’échangeait contre plusieurs
paramilitaire, ce que les Allemands
milliards de vieux marks, les économment le Wehrsport. Faute de
nomies de millions d’Allemands
pouvoir manifester ses prouesses
ont disparu, grossissant, là encore,
sur le champ de bataille, les jeunes
les rangs des adversaires du
Allemands, en quête d’un monde
« système de Weimar ». Mais
clair et discipliné, se précipitent
l’hyperinflation n’a pas fait que des
dans des structures sportives
victimes. Sebastian Haffner souligne
C
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LES LIVRES ET LES IDÉES
que de nombreux jeunes, à peine
majeurs mais déjà fins connaisseurs
des affaires boursières (ou de la
« nouvelle économie » de l’époque),
ont acquis en peu de temps des
fortunes colossales, aux dépens
de la génération de leurs pères,
durement touchée. L’argent gagné,
il fallait le dépenser aussitôt, rapidement et de façon ostentatoire,
avant que la valse des prix n’ait
raison des dividendes. Placée sous
le signe antinomique de la misère
et de la fête, de la faim et de la
surconsommation, l’année 1923
a donc procuré le même état
d’excitation et d’anarchie que la
crise de juillet 1914.
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En revanche, la période qui a
suivi, l’ère Stresemann qui a duré
jusqu’en 1929, n’a suscité que de
l’ennui. L’Allemagne s’est stabilisée.
Le nouveau mark ne se comptait
plus en milliards, tandis que le bon
vieux Pfennig était de retour.
Pour Sebastian Haffner, cette
phase d’accalmie de la vie politique allemande était une véritable
seconde chance après la proclamation calamiteuse de la République
en 1918. Mais les Allemands n’ont
pu la saisir. L’Allemagne devenait,
pendant cinq ans, un pays presque
normal, presque démocratique,
respectueux de la liberté individuelle, offrant des possibilités
d’épanouissement culturel et personnel jusqu’alors inconnues. Mais
pour la génération de Haffner,
habituée au spectacle d’un État en
pleine décadence et aux plaisirs
d’une exaltation permanente et
jusqu’au-boutiste, l’ère Stresemann
était synonyme d’ennui. L’inculture
et la radicalisation avancée d’une
grande partie des Allemands,
incapables de s’accomplir autrement que dans l’affrontement
avec l’adversaire étranger, le
communiste ou le juif, vouaient
cette expérience à l’échec .
L’Allemagne de Weimar n’était
pas un pays comme les autres.
LE COUP D’ÉTAT LÉGAL
DE 1933
L
Allemands, en particulier des
Allemands juifs ou « aryens » de
l’entourage de l’auteur. A travers
les discussions avec ses amis et
son père, Haffner brosse le tableau
d’innombrables personnages : le
nazi de toujours, le nazi de
circonstance, l’Allemand de l’exil,
l’Allemand de Prusse trahi par
l’État SS, etc. Chacun s’exprime,
fait part de ses motivations et
livre ses secrets.
a fin de l’ennui, l’extériorisation
de la haine et la violence
extrême, à la fois verbale et physique, faisaient partie intégrante du
programme d’Hitler. Mais surtout,
après six années de calme et trois
nouvelles années de crise, l’idéologie hitlérienne a éveillé des résonances profondes. La révolution
de 1933 – qui n’en était pas une,
car la prise de pouvoir était légale
Il est indéniable que ce récit
– était en phase avec des structures,
permet de mieux comprendre
des mentalités et une
l’évolution de ce
population largement
peuple sous la
nazifiées avant l’arrivée L’existence même
République deWeimar
au pouvoir des nazis.
et les raisons de sa
des écrits de Haffner
La mise en place des
chute collective .
camps de détention prouve que
Toutefois, le mystère
concentrationnaires, l’avènement
reste entier : pourles pogroms, ainsi
quoi les Allemands
du nazisme n’avait
que la disparition de
ont-ils sombré dans
dizaines de milliers rien d’inéluctable.
le nazisme ? D’après
d’hommes politiques,
l’auteur, le lit du
d’intellectuels, d’arTroisième Reich était
tistes et de syndicalistes durant les
préparé bien avant 1933, et l’avèpremiers mois de l’année 1933,
nement de la dictature national-sotout cela était toléré, souvent apcialiste
obéissait
prouvé, et s’effectuait au vu et au su
à une fatalité historique. Mais
de
tout
l’exemple même de l’auteur ne
le monde. La majorité silencieuse,
prouve-t-il pas le contraire ?
rapidement devenue minoritaire,
« aryen », issu d’une famille de
n’avait aucune possibilité de
notables de la haute bourgeoisie
résister, ni de se réfugier dans un
prussienne, Sebastian Haffner, qui
attentisme intérieur. Omniprésent,
reconnaît avoir été, lui aussi, infecté
l’Etat SS s’infiltrait dans toutes les
par le virus de l’exaltation patriosphères de la vie publique et privée.
tique, a très vite et très lucidement
Ceux qui avaient la force et la
perçu les dangers de la montée du
lucidité de désapprouver le régime
nazisme. Son dégoût de l’idéologie
nazi n’avaient guère de choix : il
hitlérienne est identique à celui
fallait suivre ou s’exposer à être
que ressentent les Allemands nés
persécuté.
après la guerre. Conscient du caractère inéluctable d’une nouvelle
La force de l’ouvrage de Sebastian
guerre mondiale et de l’existence
Haffner, rédigé en 1939 mais
de camps de concentration, il s’instoujours d’actualité, ne réside pas
crit en faux contre l’excuse collecseulement dans la description et
tive des Allemands qui, en 1945,
l’analyse extrêmement fines de
prétendaient « n’avoir pas su ».
« l’âme allemande » de l’époque.
L’existence des écrits de Haffner
Ce livre ne nous parle pas
et la nature de ses réflexions
seulement du peuple allemand,
prouvent que l’avènement du
mais aussi, voire surtout, des
nazisme n’avait rien d’inéluctable –
ce qui rend les événements de
1933 encore plus mystérieux. l