La formulation du vœu en français, en grec et en arabe
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La formulation du vœu en français, en grec et en arabe
La formulation du vœu en français, en grec et en arabe (Tunisie) Par Stavroula KATSIKI, Salwa ZAMOURI GRIC — Université Lumière Lyon 2 Mai 2002 1. INTRODUCTION La présente contribution s’inscrit dans le champ de la pragmatique contrastive et se donne comme objectif l’étude comparée, à l’intérieur de trois langues différentes — le français, le grec et l’arabe tunisien1 —, d’un acte de langage spécifique, le vœu, dont la réalisation présente de nombreuses variations culturelles. Le vœu, que l’on peut globalement définir comme “un énoncé que le locuteur (L1) adresse à son interlocuteur (L2), afin d’exprimer son désir qu’un état de choses positif se produise pour celui-ci” (Katsiki 2001 : 89), constitue une routine conversationnelle destinée à accomplir des fonctions communicatives spécifiques à chaque langue. Il s’agira plus particulièrement de décrire ici la formulation du vœu — description basée sur une observation empirique de cet acte rituel, c’est-à-dire réalisée à partir d’un corpus composé de quelques milliers d’occurrences provenant essentiellement de conversations ordinaires dans les trois langues. Comme le dit Searle (1972 : 55), “à tout acte de langage possible correspond une phrase ou un ensemble de phrases possibles dont l’énonciation littérale à l’intérieur d’une situation particulière constitue l’accomplissement d’un acte de langage”. Ainsi, dans les trois langues observées, les locuteurs emploient des “phrases” spécifiques, dont la formulation dans le contexte approprié vise à la réalisation de cet acte de langage. Ce sont ces “phrases votives” qu’on examinera ici, c’est-à-dire tous ces énoncés auxquels on peut attribuer le statut de vœu. Dans chaque langue, les locuteurs disposent en effet de certains procédés syntaxico-sémantiques pour exprimer un vœu, ce qui donne lieu à un riche paradigme de formules votives préfabriquées, destinées à être employées dans les diverses circonstances de la vie sociale. Ces expressions sont fortement stéréotypées et se b a sent sur des structures morpho-syntaxiques et sur un contenu sémantique plus o u moins figés et caractéristiques du vœu. Afin de répondre à la double question de la formulation du vœu, portant à la fois sur la forme et sur le contenu de cet acte de langage, on s’attachera à décrire l e s constructions votives que possède chaque langue et le contenu sémantique des formules votives attestées, dont la richesse lexicale offre une vision des univers votifs français, grec et arabe tunisien, assez révélateurs du système de valeurs de chaque culture. 1 L'expression "arabe tunisien" est une simplification pour "arabe parlé en Tunisie" ou "arabe parlé, dialecte tunisien". Sur la question de la pluriglossie de l’arabe, voir Dichy (1994). 1 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas 2. LES STRUCTURES MORPHO-SYNTAXIQUES DU VŒU 2.1. Les structures votives du français 2.1.1. Réalisations performatives L’énonciation votive peut emprunter la forme performative explicite, c’est-à-dire se réaliser à l’aide du verbe performatif souhaiter qui explicite la force illocutoire d e l’énoncé votif. La formulation performative du vœu nécessite toutefois non seulement l’apparition du verbe souhaiter, en principe à la première personne du présent, m a i s également la présence indispensable dans l’énoncé du destinataire du vœu, le plus souvent indiqué par les pronoms de la deuxième personne te/ vous. Si le destinataire ne figure pas dans l’énoncé, il s’agit simplement de l’expression du désir du locuteur pour lui-même et non pas pour quelqu’un d’autre, ce qui ne peut pas constituer un vœu, puisque cet acte inclut par définition un destinataire à qui l e vœu est adressé : je souhaite passer de bonnes vacances s’oppose ainsi à l’énoncé je vous souhaite de passer de bonnes vacances, où le locuteur exprime son désir que l e vœu soit réalisé pour son interlocuteur, le pronom vous accordant à cette construction infinitive sa valeur votive et son statut d’acte de langage. Seulement dans le second cas, le verbe souhaiter est utilisé comme le décrit Ducrot (1980 : 59), c’est-à-dire comme apte à “faire l’acte qui peut s’accomplir en disant Je souhaite”. Les constructions performatives peuvent varier légèrement, selon les compléments qui s’adjoignent au verbe performatif, désignant l’objet du vœu et spécifiant ce que le locuteur désire pour L2 : je te/ vous souhaite + Adj. + N (ex. : Je vous souhaite bonne nuit) ; je te/ vous souhaite + Dét. + N (ex. : Je te souhaite la santé) ; je te/ vous souhaite + Dét. + Adj. + N (ex. : Je te souhaite un bon mercredi) ; je te/ vous souhaite de + Vinf. (ex. Je te souhaite de passer de bonnes fêtes de fin d’année) ; je te/ vous souhaite que + Vsubj. (ex. : Je vous souhaite que vos rêves puissent se concrétiser). La formulation performative peut être également modalisée (hedge performative). Il arrive en effet que le locuteur opte pour une réalisation modalisée de son vœu, e t qu’il l’adresse de façon indirecte à son interlocuteur (notamment à travers l’emploi des verbes vouloir et devoir), ex. : Je voulais te souhaiter bonne nuit, Je dois tout d’abord te souhaiter la bonne année. Le locuteur peut également produire un énoncé votif performatif qui n’a p a s comme support le verbe performatif souhaiter, mais qui contient le terme désignant l’acte de souhaiter lui-même. Ce “performatif nominal”, attesté notamment à l’écrit, consiste donc à inclure dans son énoncé le terme vœu1. L’énoncé votif peut aussi s’identifier carrément à ce terme, son contenu sémantique ne se spécifiant pas, e t coïncidant avec la valeur illocutoire de l’acte qu’il dénote, ex. : Vœux, Meilleurs vœux, Tous mes vœux, Tous mes vœux les plus affectueux. Enfin, une autre réalisation performative du vœu semble pouvoir s’effectuer avec le verbe espérer, qui peut devenir performatif et remplacer le verbe souhaiter. Bien que ces deux verbes ne soient pas synonymes, le verbe espérer accomplit parfois u n e fonction similaire à celle du verbe souhaiter, le locuteur l’employant afin de produire un véritable vœu, c’est-à-dire afin d’exprimer son désir que quelque chose de positif se produise pour L2, ex. : En espérant que cette nouvelle année t’apporte bonheur, joie et paix, qu’elle t’apporte tout ce que tu as toujours souhaité, qu’elle te garde en bonne santé, qu’elle te fasse progresser. 2.1.2. Constructions votives elliptiques 2.1.2.1. Réalisations nominales La réalisation nominale est souvent composée d’un adjectif axiologique, et d’un nom désignant l’objet de référence du vœu, que le locuteur désire positif. La place d e l’adjectif est occupée presque systématiquement par l’adjectif bon (qui s’accorde e n 1 Quant au terme souhait, on le trouve exclusivement dans l’expression À vos souhaits. 2 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas nombre et en genre avec le nom qui lui succède), et bon + nom est la structure votive la plus pratiquée, offrant aux locuteurs une manière très économique de formuler u n vœu. Cette structure arrive à elle seule à soutenir dans la majorité des cas l’acte d e vœu et permet une création infinie de formules votives. En effet, par l’adjonction d e l’adjectif bon, tout nom (en puissance positif), concret (ex. : Bon petit café) ou abstrait (ex. : Bon moral), concernant plus ou moins directement l’univers référentiel de L2, peut potentiellement se prêter à la production d’un vœu, dans certaines conditions contextuelles. Cette construction nominale peut d’ailleurs être hyperbolisée (ex. : Très bonnes vacances), ainsi que maintenir à l’écrit l’article indéfini (ex. : Une bonne année et une bonne santé)1. La réalisation nominale connaît parfois des alternatives sémantiques concernant l’adjectif qui peut varier dans certaines formules, et notamment les plus stéréotypées, mais assez rarement et surtout lorsqu’elles sont formulées à l’écrit, ex. : Agréable matinée, Bel été, Heureuse Saint-Valentin, Joyeuses fêtes, Excellent anniversaire, Merveilleuse fête, Sublime année. En outre, certains substantifs peuvent constituer à eux seuls un vœu, et n’ont p a s besoin d’adjectif accompagnateur leur attribuant une valeur votive. Ces substantifs dénotent déjà des valeurs positives pures, qui n’ont pas toujours besoin d’être nuancées, car elles sont reconnues immédiatement comme précieuses par les locuteurs partageant les mêmes implicites culturels, ex. : Santé, Courage, Plein de bonheur, Beaucoup de joie, Réussite, Succès. 2.1.2.2. Réalisations verbales Une structure votive très courante en français consiste à combiner un verbe à l’impératif, porteur de la référence votive, avec l’adverbe évaluatif bien. Cette formulation semble réservée aux activités de toute nature de L2, qui sont dénotées par l a forme verbale, et dont le locuteur désire le déroulement heureux, comme l’indique l’adverbe rattaché, ex. : Travaille bien, Déjeune bien, Finis bien la soirée, Amuse-toi bien, Sors bien. Une autre formulation verbale qui se prête à la réalisation du vœu est : que + verbe au subjonctif. Cette structure constitue également une sorte de performatif elliptique, dont l’emploi est rarissime et réservé exclusivement à l’écrit, ex. : Que la chance soit avec vous, Que les années à venir soient aussi belles, Que tous tes vœux se réalisent. Par ailleurs, certaines expressions votives s’appuient sur des formulations extrêmement rares et quasiment exclusives à l’écrit. Il s’agit des structures : puisse + verbe à l’infinitif (ex. : Bienvenue au petit Félix, puisse son nom lui porter bonheur) ; pourvu que + verbe au subjonctif (ex. : En cette Saint-Valentin, je veux exprimer tout m o n bonheur d’être avec toi. Pourvu qu’il dure toujours) ; que Dieu + verbe au subjonctif — employée dans la majorité des cas à des fins humoristiques (ex. : À votre santé, et que Dieu vous garde). 2.2. Les structures votives du grec 2.2.1. Réalisations performatives La formulation performative explicite se réalise en grec avec le verbe performatif efxome (souhaiter), qui désigne l’acte de souhaiter, son emploi étant exclusivement associé à l’expression du vœu. Le destinataire du vœu apparaît très souvent d a n s l’énoncé votif — soit avec les pronoms personnels su / sas (te/ vous), soit avec l’emploi d’un verbe à la deuxième personne introduit par le performatif. La réalisation performative connaît plusieurs constructions, comme : (su / sas) efxome + na + Vsubj., ex. : su efxome na perasis ena aksexasto kalokeri (je te souhaite de passer un été inoubliable), efxome 1 Structure qui est parfois introduite par le verbe passer à l’impératif, explicitant l e déroulement des actions dénotées par le vœu, ex. : Passez un excellent week-end à Paris, Passez un bon premier mai, Passe une bonne journée, Passez de jolies vacances. 3 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas na ise kala (je souhaite que tu te portes bien) ; su/ sas efxome + N, ex. : sas efxome ijia ke eftixia (je vous souhaite santé et bonheur) ; su / sas efxome + Adj. + N, ex. : sas efxome kali tixi (je vous souhaite bonne chance) ; su / sas efxome + Dét. + Adj. + N, ex. : su efxome mia Dimiurjiki xronia (je te souhaite une année créative). La formulation performative connaît en grec aussi des réalisations modalisées qui peuvent s’effectuer avec l’emploi du verbe performatif au futur, ou au subjonctif, ainsi que l’emploi du verbe Telo (vouloir) introduisant le verbe performatif, ex. : eVo Ta sas efxiTo kalo kalokeri (moi je vous souhaiterai bon été), na efxiTume kali xronia (que nous souhaitions bonne année), Telume na su efxiTume kali tixi (nous voulons te souhaiter b o n n e chance). La formulation performative du vœu peut se réaliser aussi avec le nom efxi dénommant l’acte votif, lorsqu’il est employé au pluriel — ex. : tis efxes mu (mes vœux) —, tandis que son emploi au singulier sert à la formulation de la bénédiction, produite exclusivement par des personnes âgées, afin d’exprimer leur gratitude vis-à-vis de personnes plus jeunes, ex. : (naxis) tin efxi mu (que tu aies — ma bénédiction). C e t emploi polysémique du terme efxi révèle les liens très proches qui existent entre l e vœu et la bénédiction, laquelle consiste à “souhaiter solennellement bonheur e t prospérité (en invoquant, le plus souvent, l’intervention de Dieu)” (Petit Robert 1989). 2.2.2. Constructions votives elliptiques 2.2.2.1. Réalisations nominales La réalisation nominale basique consiste à combiner l’adjectif kalo (bon) — qui varie en nombre et en genre — avec un nom, désignant le référent du vœu, ex. : kalo kalokeri (bon été), kali sinexia (bonne continuation), kalus apoVonus (bons descendants), kales DÈakopes (bonnes vacances). Il s’agit là de la structure la plus ouverte du système votif grec, et la plus propice à l’innovation créatrice, qui se réalise à travers l’adjonction de substantifs qui ne sont pas forcément prévus par la grammaire votive. Elle donne en effet au locuteur la possibilité d’élargir ses choix votifs, lorsqu’il sent que les formules déjà disponibles ne répondent pas à ses besoins rituels ou qu’il a envie tout simplement de personnaliser son discours. D’autres adjectifs que l’adjectif kalo peuvent plus rarement se combiner avec u n nom, ex. : xarumena xristujena (joyeux Noël), eftixismenos o kenurios xronos (heureux nouvel an), xronia pola (nombreuses années) ; en outre, assez rarement et surtout à l’écrit, o n observe le maintien dans l’énoncé votif de l’article indéfini, ex. : mia meVali kalimera (un grand bonjour). Enfin, certains substantifs dénotant des valeurs positives peuvent porter seuls l’énoncé votif, ex. : ijia (santé), eftixia (bonheur), kurajo (courage). Ces substantifs sont parfois introduits par l’adjectif indéfini kaTe (tout), ex. : kaTe epitixia (tout succès), kaTe xara (toute joie), kaTe eftixia (tout bonheur). 2.2.2.2. Réalisations adjectivales Certaines expressions consistent simplement en un adjectif qui désigne le destinataire du vœu, le locuteur ne souhaitant pas à son interlocuteur “ce qu’il peut avoir”, mais “ce qu’il peut être” (L2 ayant vs étant quelque chose), ex. : aksios/ a ([que tu sois] honoré/ e), siDerenios / a ([que tu sois] de fer), siDerokefalos / i ([que tu aies une] tête de fer), kalotixos/ i ([que tu aies] une bonne chance), polixronos/ i ([que tu aies une] longue vie). Un petit nombre de formules votives sont basées sur une construction adjectivale composée, réunissant l’adjectif kalo (bon) et un participe que l’on trouve uniquement dans ces structures — ces expressions adjectivales désignant non plus le destinataire du vœu, mais l’objet votif, ex. : kalofaVoto ([que ce soit] bien mangé), kaloforeto ([que ce soit] bien porté), kaloksoDefto ([que ce soit] bien dépensé), kalopioto ([que ce soit] bien bu), kaloriziko ([que ce soit] de bon augure). 4 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas 2.2.2.3. Réalisations prépositionnelles Certaines formules ont une construction prépositionnelle, et sont composées d e la préposition se (qui correspondrait aux prépositions françaises à, vers, dans, etc.), suivie d’un nom, et parfois d’un adjectif également, ex. : sto kalo ([que tu ailles] vers le bien), se kali meria ([que ce soit] bien placé). D’autres formules empruntant u n e structure prépositionnelle sont introduites par la préposition me (signifiant avec), ex. : me to kalo (avec le bien), me ijia (avec santé), me tis ijies su (avec tes santés), me tis efxes mu (avec mes vœux). Enfin, certaines expressions incluent obligatoirement dans leur formulation — qui peut être nominale, adjectivale ou prépositionnelle —, le connecteur d’adjonction ke (et), qui en fait partie intégrante (alors qu’il est facultatif pour d’autres formules) : ke tu xronu (et à l’année prochaine aussi), ke sta ekato (et à cent ans), ke sanotera (et encore plus haut), ke Vambros/ nifi (et [que tu sois] marié/ e), ke me ena Vambro/ mia nifi (et avec un mari/ une femme), ke me mia kori/ ena jo (et avec une fille/ un fils), ke me ti niki (et avec la victoire), ke se xilia xronia (et dans mille ans), ke sta Dika su (et à ton mariage aussi). 2.2.2.4. Réalisations verbales La réalisation verbale la plus courante dans la production votive est composée d e la particule na et d’un verbe au subjonctif, ex. : nase kala (que tu te portes bien), na zisete (que vous viviez), na ise eftixismenos/ i (que tu sois heureux/ euse). Une autre formulation verbale possible consiste à combiner le morphème as avec un verbe au subjonctif. Cette structure, nettement plus rare que la précédente, e n globe souvent le locuteur, ou sert à réaliser un vœu destiné à une tierce personne évoquée par les interactants, ex. : as ine kala (qu’il/ elle se porte bien), as imaste kala (que nous nous portions bien), as exi tin efxi mu (qu’il/ elle ait ma bénédiction). On observe aussi une structure verbale qui consiste à introduire un verbe au subjonctif par le morphème iTe , mais il s’agit là d’une formulation tombée en désuétude que l’on peut rencontrer exceptionnellement, et uniquement à l’écrit, ex. : iTe o kenurios xronos na ine o kaliteros tis zois mas (puisse l’année prochaine être la meilleure de notre vie). Il existe également des formules votives qui sont introduites par les termes o Teos (Dieu) et/ ou i panajia (la Vierge), suivis d’un verbe au subjonctif, mais elles sont religieusement connotées. Leur emploi est réservé à certaines personnes âgées et a souvent une valeur de gratitude, remplaçant le remerciement, ex. : o Teos/ i panajia na se exi kala (que Dieu/ la Vierge te garde en santé), o Teos na sexi jero (que Dieu te garde sain), o Teos na su Dini to kalo (que Dieu te donne le bien), o Teos na su ta Dini Dipla (que Dieu te le rende double), pliTos na su Dini o Teos (que Dieu te le rende multiple), o Teos ki i panajia mazi su nane (que Dieu et la Vierge soient avec toi). Cette structure peut être aussi e m ployée à des fins humoristiques, ex. : o Teos na vali to xeri tu (que Dieu pose sa main), o Teos na mas katalavi (que Dieu nous comprenne). Enfin, une autre formulation verbale attestée, mais rarissime, consiste à combiner un verbe à l’impératif et l’adverbe évaluatif kala (bien), ex. : Dulepse kala (travaille bien), mazepse kala tis valitses su (fais bien tes valises). 2.3. Les structures votives de l’arabe tunisien Comme pour le français et le grec, il existe en arabe tunisien un verbe qui signifie souhaiter ou espérer : tamanna. Cependant, contrairement à ces deux langues, l’emploi performatif de ce verbe comme accomplissement de l’acte votif est très rare. Il apparaît tout d’abord uniquement dans des productions monologales (correspondances, discours médiatiques, etc.), où la distance entre les interlocuteurs ne favorise pas l’emploi direct de la formule votive. Mais surtout il ne semble pas le mi e u x approprié pour accomplir un vœu. En effet, même lorsqu’il est employé performativement pour exprimer un vœu — ex. : n-itmanna-l-ik ?I@d sa?I@d (je te souhaite une fête 5 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas heureuse1) —, ce verbe n’exprime que le désir éprouvé par le locuteur vis-à-vis d e son interlocuteur, un désir qui s’assume en tant que tel et ne cherche pas forcément sa réalisation. En revanche, en tant que manifestation de foi envers le pouvoir d e s mots, l’arabe met à la disposition des locuteurs, un paradigme de formules votives2 qui sont très proches de la prière ou de l’invocation. Ces formules sont des énoncés injonctifs fortement figés — tant sur le plan de leur construction syntaxique que sur celui de leur contenu lexical — qui se réalisent selon deux formes principales. 2.3.1. rabi (ou allah ) + forme verbale + ik / kum / u (tu/ vous/ il) L’une des principales réalisations est formée par les substantifs rabi ou allah qui désignent la puissance divine (Dieu), suivis d’une forme verbale porteuse de l a référence votive (accompagnée ou non d’un GN) et d’un morphème de personne, complément qui renvoie au destinataire du vœu, ex. : rabi j-?ajS-ik ([que] Dieu te fasse vivre), rabi j-a?t¢-I@k is¢ah¢a ([que] Dieu te donne la santé), rabi j-kaTar XI@r-ik (que Dieu augmente ton bien). Les substantifs rabi et allah sont deux termes synonymes qui désignent la puissance divine et sont employés comme sujet du verbe, Dieu étant ainsi désigné comme l’agent de réalisation du vœu. Aujourd’hui, la plupart des formules sont e m ployées avec ellipse de ces termes, de telle sorte que lorsque ils réapparaissent, ils entraînent un certain défigement de la formule, qui sert à réactiver sa valeur religieuse. La forme verbale comporte un morphème de la troisième personne du singulier j qui est la marque du sujet, et un morphème verbal qui relève du mode d e l’inaccompli et prend dans ce contexte une valeur d’injonction, comme : ?ajS (vivre), a?t¢ (donner), kaTar (augmenter). Dans certaines formules, qui consistent à souhaiter à l’interlocuteur qu’il ne lui arrive rien de mal, le verbe est employé à la forme négative, ex. : /allah la j-war-ik saw ([que] Allah ne te montre pas de mal/ de malheur). En arabe (comme en grec, mais contrairement au français), le destinataire du vœu peut être une personne absente (vœu à la troisième personne, ex. 1), ou inclure l e locuteur (ex. 2) : 1. j-?ajiS-u ([qu]’Il le fasse vivre), j-?ajiS-ha ([qu]’il la fasse vivre), j-?ajiS-hum ([qu]’Il les fasse vivre) 2. j-?ajiS-na ([qu]’Il nous fasse vivre) Comme on peut le constater, ce type de construction votive suppose, comme l’a déjà relevé Traverso (2000), une relation triangulaire : moi/ Dieu/ toi3. Dans u n e formule telle que j-?ajS-ik, le locuteur, tout en exprimant un désir relatif à un événement qu’il souhaite voir arriver à son interlocuteur — en l’occurrence une longue vie —, adresse indirectement une demande, ou une prière, à la puissance divine pour qu’elle intervienne pour la satisfaction de ce désir. L’expression j-?ajS-ik est ainsi à entendre comme “je prie Dieu pour qu’Il te fasse vivre”. 1 Dans ce travail, nous avons opté pour une traduction littérale des formules car elle permet de mettre en évidence les variations qui touchent la réalisation de l'acte votif. Mais pour d e s phénomènes moins pertinents pour notre description et sur lesquels nous ne comptons pas nous arrêter, la traduction sera plus globale. Sur cette question, voir Traverso (2000). 2 En arabe, le vœu se divise en "vœu de bénédiction" où on souhaite à son interlocuteur que "son avenir se transforme positivement", et "vœu de malédiction" où au contraire, on lui souhaite un malheur (ex. allah la trabh¢ - ik "que Allah ne te fasse pas gagner"). Dans cette étude, nous nous limiterons à la première catégorie. 3 Dans cette triangulation, nous aurions une relation directe L1/ L2 (car L1 s’adresse directement à L2) et une relation indirecte L1/ Dieu (puisque L1 ne s’adresse pas directement à Dieu), puis Dieu/ L2 (car l’intervention divine en faveur de L2 reste virtuelle). 6 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas 2.3.2. Formules introduites par /in-Sa-allah (si Dieu veut) Un deuxième type de réalisation de vœux à valeur injonctive consiste à combiner la formule /in-Sa-allah (si Dieu veut) soit avec un groupe nominal, soit avec un groupe verbal désignant l’objet du vœu et spécifiant ce que le locuteur désire pour L2. 2.3.2.1. /in-Sa-allah (si Dieu veut) + GN Le GN peut être formé soit d’un nom, désignant l’objet du vœu, suivi d’une détermination portant la valeur positive recherchée — ex. : /in-Sa-allah ?I@d hna (si Dieu veut [que ce soit] une fête de bonheur), /in-Sa-allah ?a@m-kum mabru@k (si Dieu veut [que] votre année [soit] bénie) —, soit d’un substantif employé seul, lequel comporte u n e valeur positive intrinsèque, ex. : /in-Sa-allah farh¢-t-ik (si Dieu veut [que ce soit] ta joie), /in-Sa-allah fi h¢aZa (si Dieu veut [que ce soit] pour un pèlerinage). 2.3.2.2. /in-Sa-allah (si Dieu veut) + GV La construction verbale se réalise avec un verbe employé au mode de l’inaccompli et conjugué à la deuxième personne (et éventuellement à la troisième personne) qui renvoie au destinataire de la formule, lequel se présente comme l’agent de l’action représentée par le verbe, ex. : /in-Sa-allah ti-frah¢ bi-hum (si Dieu veut [que] tu célèbres leur mariage), /in-Sa-allah ti-lbis w t-qat¢a? (si Dieu veut [que] tu t’habilles et [que] tu déchires [tes vêtements])1. Tandis que dans le premier type de réalisation (2.3.1.) le destinataire de la formule semble passif, il apparaît ici plus impliqué dans la réalisation de l’état d e choses dénoté par le vœu. Son implication reste toutefois relative car, comme le rappelle l’emploi de la formule /in-Sa-allah, il est présupposé que tout acte entrepris par l’homme (surtout lorsqu’il s’agit d’un acte futur) est soumis à la volonté divine. L e s vœux formulés avec /in-Sa-allah impliquent donc eux aussi une relation triangulaire, même si elle semble moins explicite : si L1 adresse un vœu à L2, ce vœu passe par une autre instance “D” qui conditionne sa réalisation et garantit son efficacité2. La construction verbale introduite par /in-Sa-allah est très productive, car elle constitue une structure ouverte et souple syntaxiquement qui permet une plus grande liberté dans le choix du contenu votif, ainsi que sa personnalisation en fonction d e l’univers de référence de L2. 2.3.3. La construction elliptique Certains vœux peuvent être énoncés sous une forme elliptique, ex. : ?I@d-ik mabru@ k ([que] ta fête [soit] bénie), bi-Sfa ([que ce soit] avec la guérison). Dans ces cas, si la formule /in-Sa-allah ne figure pas dans l’énoncé votif, elle reste sous-entendue, car il est tout simplement impossible d’exprimer un désir s a n s présupposer que sa réalisation soit dépendante de la volonté de Dieu (al-maSi/atu)3. En effet, dans la religion musulmane, l’individu se présente comme entièrement soumis à la toute puissance divine, laquelle détermine ses actes, ses désirs et sa volonté, de sorte qu’exprimer un désir ou seulement envisager une action future sans tenir compte de cette dépendance, revient à transgresser la loi divine. 1 Ce vœu conjuratoire adressé à une personne qui porte un nouveau vêtement signifie qu’on lui souhaite de vivre longtemps pour avoir le temps d’user ses vêtements. 2 On pourrait sans doute distinguer deux valeurs de cette forme : dans la première, e t conformément au précepte coranique, elle rappelle que la réalisation des désirs de l’Homme dépend entièrement de la volonté de Dieu (il s’agit alors surtout d’une forme de reconnaissance de la toute puissance divine), dans la seconde, elle semble plus désémantisée (sans l’être pourtant tout à fait), et elle exprime globalement un désir. Voir Piamenta (1979). 3 Voir Piamenta qui écrit à ce sujet : « The religious duty to consider the will of G o d prerequisite, signifies that one cannot conceive the fulfillment of an action, the occurrence of event ; the execution of a thougt or plan except if God wills it » (1979 : 203). 7 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas 3. LE CONTENU SÉMANTIQUE DU VŒU Étant donné que le vœu constitue une routine conversationnelle fortement ritualisée, il possède une signification essentiellement pragmatique qui l’emporte sur s o n sens littéral et qu’il acquiert pleinement dans un contexte donné, susceptible d e déterminer aussi bien sa production que son interprétation et les réactions qu’il e n traîne : Meaning in conversation is deduced from what is known about context and from “conventionalized interpretation” rather than from an analysis of the semantics of the words spoken. […] Since the speaker’s intention is clear, it doesn’t matter what the words say literally. Most obvious is the formulaic nature of such expressions as “How are you” and the inappropriateness of a literal response. Foreign speakers of any language get into trouble when they decipher a formula for its literal meaning. […] Our understanding of any utterance in conversation is firstly contextual and only secondarily literal (Tannen et Öztek 1981 : 37). Les formules votives sont extrêmement figées non seulement syntaxiquement mais aussi d’un point de vue sémantique, et à force d’être systématiquement et a u tomatiquement employées, elles finissent par paraître largement désémantisées. Cependant, mis à part certaines expressions extrêmement stéréotypées, dont l e sens littéral est tellement tombé dans l’oubli que sa réactivation soudaine provoque la surprise , les formules votives sont loin d’être vides sémantiquement. Le vœu possède ainsi, outre ses valeurs pragmatiques, un contenu sémantique qui joue u n rôle primordial dans sa formulation : il ne suffit pas de savoir dans quel contexte il convient d'exprimer un voeu, il est aussi indispensable que le sens littéral du vœu choisi soit approprié à la situation et à l’interlocuteur pour que l'acte soit réussi. L’appropriation contextuelle du vœu doit donc, également et avant tout, respecter l e s lois de la sémantique : on ne peut en effet jamais se passer du sens qui poursuit l e locuteur, même dans ses activités les plus automatiques et mécaniques. Le vœu implique en effet non seulement un locuteur (quelqu’un souhaite) et u n destinataire (quelqu’un souhaite à quelqu’un d’autre), mais également un référent (quelqu’un souhaite à quelqu’un d’autre quelque chose) qui exerce de fortes contraintes sémantiques sur sa valeur pragmatique et détermine sa force illocutoire. Il est vrai que, comme le signale Kerbrat-Orecchioni (1992 : 310), “il est absurde de ramener les formules rituelles à leur sens littéral : leur signification est relationnelle, et leur fonction est d’abord d’attester la bonne volonté sociale du locuteur, s o n ouverture à l’autre, et son souci de l’heureux fonctionnement de l’interaction”. Dans le cas du vœu, il semble toutefois qu’une prise en compte du contenu sémantique des formules soit légitime et enrichissante pour une meilleure compréhension de ce rituel : elle peut permettre de voir en effet — une fois les structures syntaxiques étudiées —, quels sont les objets votifs qu’il est possible de souhaiter dans chaque langue, c’est-à-dire quel est le contenu que l’on peut attribuer à son vœu dans chaque culture. Les objets référentiels étant déterminés par des facteurs culturels, l’analyse d u sens littéral des formules permet de dégager les principaux thèmes votifs et peut constribuer à mieux comprendre le système de valeurs et de représentations d e s trois sociétés étudiées, française, grecque et tunisienne, tel qu’il se reflète d a n s l’univers votif. Ces valeurs culturelles peuvent être explicitement portées par les formules, à travers ce qui est dénoté par leur contenu propositionnel, ou signifiées implicitement, à travers les sous-entendus et les présupposés culturels dont elles sont chargées. Le vœu étant défini comme un énoncé exprimant le désir du locuteur qu’un état de choses positif se produise pour L2, il s’agit donc d’examiner la forme lexicale que prend dans chaque langue cet état de choses positif. En effet, le référent du vœu, désigné par le contenu propositionnel, bien que varié lexicalement, semble toujours obéir a u même refrain sémantique : le bien-être futur du destinataire, ou son avenir heureux. L’idée de bonheur associée à cet avenir est primordiale dans la formulation du vœu, qu’elle soit explicite ou implicite, dénotée ou connotée. Les objets de référence d u vœu désignant cet avenir heureux désiré par L1 pour L2 peuvent être tirés du m o n d e réel, matériel, objectif, ou, au contraire, extraits d’un univers abstrait, virtuel, im8 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas matériel. Les formules votives se répartissent globalement autour de trois a x e s sémantiques : celles qui font référence à une période temporelle, celles qui font référence à L2, et enfin celles qui font référence à des valeurs positives. 3.1. Le contenu sémantique des formules votives françaises Il est difficile de délimiter l’aire sémantique des vœux français du fait d e l’impossibilité de circonscrire le paradigme complet des formules : la restriction sur l e plan morpho-syntaxique à deux structures essentielles — bon + nom et verbe à l’impératif + bien — ouvre une vaste liste d’expressions votives jouant sur d'infinies variations sémantiques. Les deux structures principales du vœu présentent la caractéristique commune d’être constituées de deux composantes lexicales, dont l'une est constante (prenant respectivement la forme d’un adjectif et d’un adverbe) et l'autre variable. La composante constante consiste en deux l e x è m e s1 immuables, identiques e t stables, qui explicitent la valeur positive du vœu, et qui renvoient plus ou moins à l a même réalité sémantique : sous la forme d’un adjectif ou d’un adverbe, c’est, d a n s les deux structures, le même archilexème qui donne à l’énoncé votif son sens principal : l’idée du bien — le bien que l’on désire pour l’autre. Le vœu implique en effet l’état émotionnel le plus souhaitable et le plus souhaité, celui du bonheur, lequel peut être encore plus explicité, lorsque l’adjectif bon est remplacé par joyeux, qui renvoie à un état d’âme proche du bonheur dans l’échelle émotive, ou même carrément par heureux. Si cette partie lexicale stable permet l’identification de l’acte votif, en explicitant son caractère anti-menaçant, la composante variable de la formule dénote le contenu que peut prendre ce bonheur, c’est-à-dire la classe d’objets référentiels que le locuteur sélectionne dans le monde extra-linguistique, en le découpant et en l’organisant à sa manière, afin de le ramener à ses besoins linguistiques, et plus précisément votifs. La mobilité de ce constituant votif est liée à celle du monde de l’expérience qui peut varier d’une société à l’autre, d’un locuteur à l’autre, d’une situation à l’autre, et reflète le système de valeurs d’une culture donnée, dans laquelle prend sens la notion du bonheur. C’est certainement le contexte qui sert de base à l’élaboration des vœux, car il spécifie les objets de référence qui viennent prendre place dans une formule votive, et définit la sélection de ces fragments de la réalité extra-linguistique pouvant prêter à vœu. Dans l'univers votif français, les formules font majoritairement référence soit à l a période temporelle dans laquelle s’insère le vœu (la situation sociale qui déclenche l e vœu ou la période post-interactionnelle), soit aux activités futures du destinataire englobées dans cette temporalité. En revanche, la référence explicite à des valeurs positives est plutôt rare et réservée à des occasions spécifiques, ces formules e m pruntant par ailleurs la voie de l’écrit. 3.1.1. Formules votives faisant référence à une période temporelle Un certain nombre d’expressions votives dénotent la situation sociale qui est à l’origine de leur formulation, le référent du vœu coïncidant avec la situation même qui le déclenche. Ces expressions sont indirectement liées au temps, en ce sens que, bien qu’elles dénotent un événement d’ordre social ou religieux, c’est leur fonction d’organisation du calendrier et des activités humaines qui l’emporte : plus que l e s institutions qui les provoquent et auxquelles renvoie leur sens littéral, c’est la période temporelle où elles s’inscrivent qui est leur véritable objet de référence. Leur emploi 1 V oici comment ces deux termes sont définis dans le dictionnaire : « Bon : […] Q u i convient. Qui a les qualités utiles qu’on en attend ; qui fonctionne bien. V. Satisfaisant. […] Avantageux. […] Excellent, remarquable. […] Qui donne du plaisir. V. Agréable. […] (En souhait) Bonne fête! Bon voyage! Bonne année! V. Heureux.”. “Bien : […] D’une manière satisfaisante. […] Convenablement, correctement […] Admirablement, remarquablement […] V. Agréablement »(Petit Robert 1989). 9 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas est quasiment systématique et ne présuppose que la connaissance globale d e s données temporelles et des normes socio-culturelles largement connues et reconnues par les membres de la société, ex. : Bonnes fêtes, Bon Noël, Joyeuses Pâques, Bonne Toussaint, Heureuse Saint-Valentin, Bon premier mai, Bon pont, Bonne ascension, Joyeux anniversaire, Bonne fête. Une autre grande catégorie de formules votives est directement liée au temps, dénotant la période post-interactionnelle, c’est-à-dire la période temporelle plus o u moins longue, plus ou moins immédiate, succédant à l’interaction. Ce temps futur dénoté par les expressions votives peut être entier, englobant des unités temporelles complètes, ex. : Bonne journée, Bonne matinée, Bon après-midi, Bonne soirée, Bonne semaine, Bon lundi, Bon mercredi, Bon week-end, Bon dimanche, Bel été, Bonne année, Bonne année universitaire. Il peut également être découpé dans sa succession, insistant sur une tranche temporelle extraite de sa globalité, qui peut marquer quelquefois l e début, plus rarement la continuation du déroulement temporel, et, le plus souvent, l a fin de la période temporelle en question, ex. : Bon début de soirée, Bon début de semaine, Une merveilleuse suite de l’année, Bonne fin de journée, Bonne fin de matinée, Bonne fin d’après-midi, Bonne fin de soirée, Belle fin de nuit, Bonne fin de dimanche, Bonne fin de semaine, Bonne fin de week-end, Bonne fin de l’année. N’exigeant pas une connaissance spécifique et approfondie de l’interlocuteur auquel elles s’adressent, ces formules sont facilement employées, aussi bien d a n s des situations interactives institutionnalisées que dans des contextes plus individualisés. Comme elles sont réparties selon les différents moments de l’axe du temps, leur variation dépendant du contexte temporel qui est commun à tous les locuteurs, d’une société donnée du moins, il suffit de respecter cette répartition, en les appropriant temporellement, afin de les adapter à toute interaction. 3.1.2. Formules votives faisant référence à L2 Un grand nombre d’expressions votives font référence au destinataire du vœu, e n désignant de façon plus ou moins concrète sa situation, et plus particulièrement s e s activités futures, inscrites généralement dans l’avenir proche, situé après la fin d e l’interaction. Le contenu du vœu, quand il n’est pas général, se spécifie donc par rapport à L2, qui définit sémantiquement le référent de l’énoncé votif, et cela à travers l’effort du locuteur pour adapter son vœu au monde référentiel de son interlocuteur, en mobilisant toute sa compétence encyclopédique concernant ce dernier de près o u de loin, compétence qui peut être enrichie et rafraîchie par des éléments cotextuels apportés par l’interaction qui vient de se dérouler. Dans la création d’un vœu, c’est donc souvent le quotidien de L2 qui est dénoté, dans ses diverses manifestations, les formules votives faisant référence à ses diverses activités — administratives (ex. 1), commerciales (ex. 2), professionnelles (ex. 3), gastronomiques (ex. 4) —, au repos (ex. 5), au déplacement (ex. 6), ou encore aux loisirs (ex. 7) : 1. Bon secrétariat, Bon C.R.O.U.S., Bonne banque, Bonne déclaration (d’impôts), Bonne Mairie, Bonne inscription, Bonnes élections. 2. Bon shopping, Bonnes courses, Bons achats, Bon supermarché, Bon Atac, Bon fromage, Bon tissu, Bonnes chaussures. 3. Travaille bien, Bosse bien, Bon congrès, Bonne sémio, Bon D.E.A., Bonne soutenance, Bonne thèse, Bonnes révisions, Bonne composition, Bon examen, Bon colloque, Bonne recherche, Bonne rédaction, Bonnes copies, Bonnes corrections, Bon portable, Boucle bien, Corrige bien, Bonne habilitation, Bonne relecture, Écris bien, Rédige bien. 4. Bonne bouffe, Déjeune bien, Bon petit dîner, Bon appétit, Bonne fin d’appétit, Bonne fin de repas, Bon petit café, Bonne digestion, Bonne cigarette, Bonne bière, Bon nem, Bonne crêpe. 5. Bon repos, Repose-toi bien, Dors bien, Récupère bien. 10 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas 6. Bon retour, Bonne voiture, Rentre bien, Bonne route, Bon voyage, Bon camp, Bon séjour, Bon Paris, Bonne Italie, Bonnes vacances, Bonne Drôme, Bonne randonnée. 7. Sors bien, Bonne sortie, Bonne lecture, Bonne éclipse, Bonne partie de tarot, Bonne piscine, Bonne vidéo, Bonne vision, Bonne chorale, Bonne plage, Bonne projection, Bonne écoute, Bonne expo, Bon soleil, Bon zook, Bons rollers, Bon bal, Bon café, Bonne promenade, Bon vernissage, Bon film, Bon match, Bon cinéma, Bon théâtre, Bon spectacle, Bonne F.I.A.C., Bonne lecture, Bon square, Bon concert, Bon cours de danse, Bonne gym, Éclate-toi bien, Amuse-toi bien, Pédale bien, Promène-toi bien, Profite bien, Bon mariage, Bon Derrida, Bon muguet. On observe que les activités de L2 sont dénotées de façon très précise et minutieuse, le locuteur ayant la possibilité d’affiner toujours davantage la désignation d e la réalité de son interlocuteur, la représentant sous différents angles et dans u n e temporalité qui peut être fragmentée, ex. : Bon début de tout, Bonne continuation pour votre doctorat, Bonne fin de visite. Ainsi, le réel peut être non seulement décortiqué par le locuteur, mais aussi quelque peu “inventé”, à travers la personnalisation lexicale de l’expression votive, ex. : Bon portable, Bon écran, Bon tapage, Bon tapotage, Frappotte bien. 3.1.3. Formules votives faisant référence à des valeurs positives Si la majorité des formules votives font référence au contexte immédiat e t concret, on rencontre également certaines expressions qui dénotent un monde d e valeurs positives, générales et atemporelles. Ces valeurs sont très rarement explicitées, les expressions qui y font référence étant très peu nombreuses et, dans leur majorité, peu employées. 3.1.3.1. Le courage, la chance, le succès La formulation d’expressions qui dénotent le courage (ex. : Bon courage, Courage), sous-entendant que L2 se trouve dans une situation qui nécessite un effort physique, intellectuel, ou psychologique, est particulièrement récurrente dans les interactions françaises, s’appliquant à des situations très nombreuses et très variées, comme s i le courage était nécessaire pour tout dans la vie d’un individu (ex. : Bon courage pour tout). Afin d’enlever toute ambiguïté concernant l’appropriation contextuelle de s o n vœu, le locuteur préfère souvent allonger sémantiquement son expression pour e x pliciter la pertinence de sa formule, en l’adaptant à la situation précise de son interlocuteur, qui justifie sa formulation (ex. : Bon courage pour ton doctorat). La chance est également sollicitée à travers la formulation votive dans des situations dont l’enjeu particulièrement important est imprévu, dépendant quelque peu d u hasard. Il existe un aspect superstitieux dans l’emploi de cette formule, qui peut être explicité par le recours à d’autres actions un peu “magiques” (ex. : Pour tes e x a mens, je te souhaite bonne chance et je vais croiser les doigts le mercredi, le mercredi suivant et le lundi), ou révélé par son remplacement par une autre expression qui tend, par antonymie presque, à l’annuler pour la rendre plus efficace à travers cette précaution verbale (ex. : Merde pour demain), si ce n’est pas L2 qui se charge de l a neutraliser en évitant d’y répondre. La formule bonne chance est, tout comme la formule bon courage, ouverte, et le locuteur peut greffer sur elle d’autres éléments sémantiques qui nuancent l’énoncé votif, en précisant sa pertinence (ex. : Bonne chance pour ton nouveau film). Ces d e u x formules se trouvent assez souvent combinées (ex. : Je te souhaite bon courage et bonne chance pour tes trois défilés), comme si le courage et la chance représentaient deux ingrédients du succès, qui est par ailleurs une autre valeur souhaitée (ex. : Réussite, Bonne réussite, Succès, Bon succès). 11 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas 3.1.3.2. La santé et la longévité La santé est dénotée dans des formules échangées à l’occasion du premier jour de l’an, qui représente un moment propice à la verbalisation de cette valeur (ex. : Santé, Bonne santé, Meilleure santé), ou encore pendant les toasts (ex. : Santé, À ta santé, À la tienne), tandis que des expressions adressées à une personne qui s e trouve dans une situation physique ou psychique fragile y font implicitement référence, lorsqu’il s’agit pour L2 de recouvrer sa santé (ex. : Bon rétablissement, Prompt rétablissement, Bonne fin de convalescence, Bonne guérison, Soigne-toi bien, Remets-toi bien, Rétablis-toi vite, Bon moral). Dans le cadre d’interactions plus quotidiennes et plus neutres, on rencontre é g a lement l’expression porte-toi bien. Bien que son emploi soit en train de se raréfier, il se maintient pourtant dans certaines situations, et notamment si la durée de l a période post-interactionnelle qui sépare les deux interactants est longue et justifie l’emploi de formules plus générales qui ne se limitent pas à l’avenir immédiat de L2, ou encore si le locuteur tient à manifester sa préoccupation affectueuse pour L2, ex. : Il fait beau, je pense à toi, je voulais te dire bonjour, porte-toi bien. La longévité peut être souhaitée à des occasions spécifiques, comme la naissance et le mariage, qui signifient l’inauguration d’une nouvelle période promettant u n e inscription longue et durable dans le temps (ex. : Longue vie, Beaucoup de bonnes années ensemble), et que l’on espère épanouie, en associant souvent le bonheur à l a longévité dans les expressions votives (ex. : Longue et heureuse vie, Longue vie pleine et heureuse, Bel avenir). 3.1.3.3. Le bonheur Enfin, si toutes les formules votives comportent implicitement la valeur du bonheur que l’on désire pour son destinataire, il arrive que celle-ci soit verbalisée, surtout par écrit, lors d’“événements heureux”, comme la naissance ou le mariage, qui sont susceptibles d’annoncer le bonheur futur, ex. : Tout le bonheur, Pour toi tout le bonheur du monde, Je te souhaite tous les bonheurs, Beaucoup de bonheur, Beaucoup de joie, Tout le bonheur que tu mérites, Tout plein de bonheur, Tous nos vœux de bonheur, Soyez heureux, Soyons heureux tous les deux. 3.2. Le contenu sémantique des formules votives grecques En fonction de leur contenu sémantique, les formules votives grecques se regroupent globalement autour des mêmes axes que les expressions françaises, bien q u e leur répartition s’opère différemment, les formules qui dénotent des valeurs générales étant particulièrement nombreuses et récurrentes. Si les deux premières catégories de formules (faisant référence à une période temporelle et au destinataire d u vœu) se basent principalement sur la construction nominale kalo + nom — dont l e constituant adjectival, signifiant littéralement bon, colore positivement l’objet référentiel désigné par le nom, susceptible de varier —, la troisième a rarement recours à u n terme axiologique, puisqu’elle dénote en quelque sorte des valeurs pures qui n’ont pas besoin d’être qualifiées, étant considérées comme suffisamment positives par elles-mêmes. 3.2.1. Formules votives faisant référence à une période temporelle Certaines expressions font indirectement référence à la temporalité dans laquelle s’inscrit le vœu, dénotant la situation sociale qui déclenche leur formulation, e t représentent une sorte d’inscription dans le temps, organisé autour de ces événements, ex. : kali protoxronia (bon premier jour de l’an), kala xristujena (bon Noël), kali meVali evDomaDa (bonne Sainte Semaine), kalo pasxa (bonnes Pâques), kali anastasi (bonne résurrection), kales jortes (bonnes fêtes), kali arjia (bon jour férié). D’autres formules font directement référence au temps futur, dénotant la période temporelle qui succède à l’interaction, période qui peut être relativement courte, o u plus ou moins longue, ex. : kali su/ sas mera (bonne journée à toi/ vous), kalo mesimeri (bon midi), kalo apojevma (bon après-midi), kalo vraDi (bonne soirée), kali su/ sas nixta 12 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas (bonne nuit à toi/ vous), kalo ksimeroma (bon lever du jour), kalo savato (bon samedi), kalo savatokiriako (bon week-end), kali evDomaDa (bonne semaine), kalo mina (bon mois), kalo kalokeri (bon été), kalo ximona (bon hiver), kali xronia (bonne année), kalo melon (bon avenir). 3.2.2. Formules votives faisant référence à L2 Un certain nombre de formules votives font référence au destinataire, le locuteur visant à rendre son adresse votive plus directement ciblée sur L2, à travers la prise en compte de la vie de celui-ci dans ses différentes manifestations — comme l e s activités professionnelles (ex. 1) et les loisirs (ex. 2), le déplacement (ex. 3) et l e repos (ex. 4), ou encore les “nourritures terrestres” (ex. 5) : 1. kali Dulia (bon travail), Dulepse kala (travaille bien), kali proetimasia (bonne préparation), kales Dulies (bons travaux), kales spuDes (bonnes études), kales ekpombes (bonnes émissions), kalo DiDaktoriko (bon doctorat), kali premiera (bonne première), kala apotelesmata (bons résultats), kalo Diavasma (bonne lecture), kalo maTima (bon cours), kalo telioma tu likiu (bonne fin de lycée), kala Valika (bon français) 2. kali jimnastiki (bonne gymnastique), kalo pexniDi (bon jeu), kalo sinema (bon cinéma), kali ilioTerapia (bon bain de soleil), kali DiaskeDasi (bon amusement), kalo ksefandoma (bon “éclatement”), kala bania (bons bains) 3. kales Diakopes (bonnes vacances), kalo taksiDi (bon voyage), kali Diamoni (bon séjour), kali ekDromi (bonne excursion), kalo Dromo (bonne route) 4. kalon ipno (bon sommeil), kali ksekurasi (bon repos), onira Vlika (doux rêves) 5. kali oreksi (bon appétit), kali xonepsi (bonne digestion), kalofaVoto (que ce soit bien mangé), kalopioto (que ce soit bien bu) 3.2.3. Formules faisant référence à des valeurs positives Si les formules votives dénotant les activités de l’interlocuteur ne sont pas très nombreuses, c’est que la majorité des expressions grecques font référence à d e s valeurs générales et atemporelles. Outre les formules précédentes, dans lesquelles le bien-être et le bonheur sont suggérés implicitement à travers le lexème kalo (bon), les chargeant positivement, il existe tout un paradigme d’expressions qui n’englobent pas cet élément sémantique positif, car elles expriment des valeurs qui incarnent directement le bien souhaité, dans une conception largement partagée par les locuteurs. 3.2.3.1. La vie, la santé, la longévité Dès que l’on observe le paradigme des formules votives, on est immédiatement frappé par le fait que le plus grand nombre d’expressions font référence à trois valeurs prédominantes, la vie, la santé et la longévité, qui semblent constituer ensemble un véritable idéal votif. En effet, des formules votives dénotant ces valeurs sont e m ployées de façon récurrente dans tous les types d’interactions, ponctuant presque toute situation de communication. Les expressions dénotant la vie s’approprient contextuellement à tous ces événements, heureux ou malheureux, qui sont considérés comme très importants dans la vie d’un individu, comme l’anniversaire ou la “fête du nom” (ex. 1 )1, la naissance (ex. 2), le mariage (ex. 3), le décès (ex. 4) : 1. Vœu adressé à la personne dont c’est l’anniversaire ou la fête : na zisis (que tu v i ves) ; vœu adressé aux alliés de la personne célébrant sa fête ou son anniversaire : n a zisis na ton/ tin xerese (que tu vives pour être heureux/ euse de lui/ elle). 1 Sur une comparaison des vœux produits à cette occasion en français et en grec, voir Katsiki, 2000. 13 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas 2. Vœu adressé aux parents du nouveau-né : na sas zisi (qu’il/ elle vous vive). 3. Vœu adressé aux mariés : na zisete (que vous viviez) ; vœux adressés aux personnes proches des mariés : na sas zisun (qu’ils vous vivent), na zisete na tus kamaronete (que vous viviez pour être fiers d’eux) ; vœu échangé entre les proches des mariés : n a mas zisun (qu’ils nous vivent) ; vœu échangé entre les mariés : na zisume (que nous v i vions). 4. Vœux de vie adressés aux proches de la personne décédée : na zisete na ton / tin skefteste (que vous viviez pour penser à lui/ elle), na zisete na ton/ tin Timosaste (que vous v i viez pour vous souvenir de lui/ elle), zoi se loVu sas (vie sur vous), zoi se sas (vie sur vous). La santé — déjà présente dans les expressions les plus courantes de la salutation (ex. 1) et du toast (ex. 2) — représente certainement la valeur la plus désirée et l a plus souhaitée, étant dénotée par de nombreuses formules votives qui apparaissent avec une fréquence impressionnante dans les interactions quotidiennes (ex. 3), o u dans des circonstances précises (ex. 4) : 1. ja (santé), ja xara (santé joie) 2. ja mas (santé à nous), stin ijia sas (à votre santé), is ijia (à la santé) 3. ijia (santé), me ijia (avec santé), tin ijia su naxis (que tu aies ta santé), ijia naxis (que tu aies la santé), kali ijia (bonne santé), ijienete (que vous soyez sains), na ise jeros / i (que tu sois sain/ e) 4. L2 a changé d’apparence L2 a préparé un plat : ja sta xeria approuve : ja sto stoma su (santé finit de prendre son bain : me tis physique (vêtement, coiffure, etc.) : me ja (avec santé) ; su (santé à tes mains) ; L2 a dit quelque chose que L 1 à ta bouche) ; L2 éternue : jitses (petites santés) ; L 2 ijies sas (avec vos santés). Mais il existe une formule, nase kala (que tu te portes bien), qui est devenue presque indispensable dans la pratique interactionnelle de tous les jours, et dont l’emploi, largement banalisé depuis quelques années, connaît une extension spectaculaire, d’autant plus que cette expression est devenue plurifonctionnelle pragmatiquement. Signifiant littéralement que tu sois bien, cette formule fait référence n o n seulement à la santé, mais aussi à un état de bien-être, consistant à être bien avec soi-même et avec les autres. Sa fréquence est telle qu’elle fait partie des premières expressions apprises par les locuteurs non natifs, qui, dès leur premier contact avec la langue grecque, se mettent volontiers à l’employer, sans toujours échapper bien évidemment à l’“hypercorrection” qui guette toute formule récurrente. Si parfois il s’agit de l’acquisition de la santé, menacée par un état fragile q u e l’on espère provisoire (ex. 1), très souvent, c’est plutôt le maintien de cette valeur que l’on désire pour autrui, mais aussi pour soi-même — le locuteur s’insérant parfois dans des vœux collectifs de santé, en tant que membre du groupe qu’il forme avec son interlocuteur (ex. 2) —, et l’emploi très fréquent de formules de santé, qui contribuent de plus en plus à clore les interactions, ne fait que rappeler la précarité de cette valeur précieuse qu’il s’agit de préserver pour toujours (ex. 3), et qui compte avant toute autre chose (ex. 4) : 1. perastika (que cette maladie soit provisoire), siDerenios / a (que tu sois — de fer), kali anarosi (bon rétablissement) 2. ijia naxume (que nous ayons la santé), namaste kala (que nous nous portions bien) 3. nase panda kala (que tu te portes toujours bien) 4. pano apola ijia ola ta ala Den ine tipota (avant tout la santé tout le reste ne compte pas), ijia ke ola ftiaxnonde (santé et tout peut s’arranger) 14 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas Outre des formules de vie et de santé, on rencontre des expressions dénotant l a longévité, consistant à désirer le prolongement de la vie d’autrui, sa vie individuelle, mais aussi sa vie commune et partagée. Les occasions qui favorisent la verbalisation de cette valeur sont le nouvel an et toutes les fêtes, privées et publiques, durant lesquelles les interactants se souhaitent xronia pola (nombreuses années), formule e m blématique qui s’échange abondamment durant tous ces moments, dont on souhaite également le renouvellement avec la formule ke tu xronu (et à l’année prochaine aussi). À l’occasion d’un anniversaire, d’autres vœux de longévité sont également formulés, comme : polixronos/ i ([que tu aies une] longue vie), na ta ekatostisis (que tu atteignes l’âge de cent ans), ke sta ekato (et à cent ans), na ta xiliasis (que tu atteignes l’âge d e mille ans), xilia xronia na zisis (que tu vives mille ans), ke se xilia xronia (et dans mille ans). Le caractère hyperbolique de certaines de ces expressions laisse paraître u n e sorte d’illusion d’éternité et de foi en l’immortalité. En même temps et a s s e z paradoxalement (sauf si c’est d’immortalité qu’il s’agit encore), certaines formules destinées à des personnes âgées — comme kala jeramata (bonne vieillesse), kala sterna (bonne fin de la vie), ou encore kali psixi (bonne âme) —, dont l’usage semble s e raréfier, montrent une acceptation et une familiarisation avec la vieillesse et la mort. Cette valeur de longévité est apparente aussi dans des formules qui font référence à des choses positives qui doivent se préserver et durer le plus longtemps possible, et si possible pour toujours, ex. : panda epitixies (toujours des succès), nase panda kala (que tu te portes toujours bien), panda eftixismenos/ i (toujours heureux/ euse), panda xares (toujours des joies), na ise panda toso omorfi oso ise simera (que tu sois toujours aussi belle que tu l’es aujourd’hui). 3.2.3.2. Le bien et le bonheur Certaines formules votives dénotent le bien comme une sorte d’objectif absolu à atteindre (ex. 1), ou encore la bonne heure (ex. 2), tandis que d’autres font référence au mauvais œil qu’elles visent à éloigner (ex. 3) : 1. me to kalo (avec le bien), na pate sto kalo (que vous alliez vers le bien) oti kalo (tout le bien), oti kalo (tout ce qu'il y a de meilleur), oti kalitero (tout le mieux), ola na pane kala (que tout se passe bien) 2. kali tu/ tis ora (bonne heure à lui/ elle), ora kali (bonne heure), i ora i kali (que l’heure soit bonne) 3. na mi vaskaTis (que tu ne sois pas touché/ e par le mauvais œil), kako mati na mi s e piasi (que le mauvais œil ne te touche pas), kako mati na mi se Di (que le mauvais œil ne t e voie pas) Par rapport à la valeur du bien, celle du bonheur, implicite dans la majorité d e s vœux, est plus rarement explicitée dans les formules votives grecques. Cependant, cette valeur est parfois lexicalisée, lorsque le locuteur souhaite le bonheur individuel de quelqu’un (ex. 1), ou celui que L2 éprouve grâce à l’existence de son entourage (ex. 2) : 1. À l’occasion du mariage : na zisete eftixismeni (que vous viviez heureux), na ise eftixismenos / i (que tu sois heureux/ euse), kaTe xara (toute joie), kaTe eftixia (tout bonheur). 2. À l’occasion de la “fête du nom” : na xerese (que tu sois heureux/ euse) + nom (désignant une personne proche de L2 dont c’est la fête). 3.2.3.3. Le mariage et la procréation Certaines formules votives font référence au mariage et sont généralement e m ployées à l’occasion précisément d’un mariage (ex. 1). Il arrive cependant que certains locuteurs, surtout âgés et dans des milieux plutôt ruraux, adressent des vœux de mariage aux jeunes à d’autres occasions (ex. 2) — le mariage pouvant être aussi implicitement souhaité avec des expressions dénotant la chance (ex. 3). Sinon, l a procréation peut être également souhaitée à des personnes mariées, et notamment à l’occasion du mariage (ex. 4) : 15 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas 1. Formule adressée aux célibataires : ke sta Dika su (et à ton mariage aussi) ; formule adressée aux fiancés : kala stefana (bonnes couronnes de mariage). 2. ke Vambros/ nifi (et [que tu sois] marié/ e), ke me ena (kalo) Vambro (et avec un — bon — mari), ke me mia (kali) nifi (et avec une — bonne — femme), ke tu xronu Diplos/ i (et [que tu sois] double l’année prochaine) 3. kali tixi (bonne chance), na ise tixeros / i (que tu sois chanceux/ euse), kalotixos / i ([que tu aies] une bonne chance) 4. kalus apoVonus (bons descendants), ke me mia kori/ ena jo (et avec une fille/ un fils) 3.2.3.4. Le courage, la chance, le succès Certaines formules votives font référence à d’autres valeurs, comme le courage e t la force — dénotées essentiellement lors de situations impliquant une certaine difficulté —, la chance, le succès et le progrès, ex. : kalo kurajo (bon courage), kala kuraja (bons courages), kali Dinami (bonne force), kales Dinamis (bonnes forces), kali andoxi (bonne résistance), kali tixi (bonne chance), kali epitixia (bon succès), kales epitixies (bons succès), kaTe epitixia (tout succès), kali staDioDromia (bonne carrière), ke sanotera (et encore plus haut), kali prooDo (bon progrès). 3.2.3.5. Les désirs et les plaisirs de L2 Enfin, il existe certaines formules faisant référence aux désirs et aux plaisirs de L2, qui sont employées très fréquemment lors de diverses situations sociales et d a n s les interactions quotidiennes respectivement, ex. : oti aVapas (tout ce que tu aimes), oti epiTimis, oti poTis (tout ce que tu désires), kala na pernas (que tu passes de bons m o ments), na perasis orea (que tu passes un beau moment). 3.3. Le contenu sémantique des formules votives tunisiennes Les trois axes sémantiques dégagés pour le français et le grec se retrouvent aussi dans l’expression du vœu en arabe. Cependant, la place qu’occupent ces trois catégories d’objets de référence (la temporalité, les activités de L2 et les valeurs p o sitives) dans l’élaboration du vœu, ainsi que la manière d’y référer, diffèrent de ce que l’on observe en grec et plus encore en français. De plus, les valeurs positives véhiculées par les vœux en arabe tunisien ne sont pas toujours partagées par l e s deux autres langues. 3.3.1. Formules votives faisant référence à une période temporelle Certaines périodes de la vie déclenchent obligatoirement la formulation d’un vœu. Il s’agit principalement de fêtes religieuses, d’événements sociaux heureux (mariages, naissances, réussites scolaires, etc.) ou malheureux (décès, maladie) qui ponctuent la vie et représentent une inscription dans le temps1. Alors qu’en français et en grec le lexème qui colore positivement l’objet référentiel dénoté est constant et stable, en arabe le paradigme des axiologiques susceptibles d’être employés est plus ouvert. Il s’agit de termes qui renvoient à des valeurs positives générales telles que la bénédiction, la longévité ou la santé, et le bonheur. Ainsi, pour une même occasion, la fête par exemple (al-?I@d), on peut formuler l e s vœux suivants : /in-Sa-/allah ?I@d-ik mabru@k (si Dieu veut [que] ta fête [soit] bénie), /in-Sa-allah kull ?a@m w-inti h¢aj b-XI@r (si Dieu veut [que] chaque année tu demeures vivant et dans le bien), 1 Signalons que ces échanges de vœux sont un motif de visite. D'autres occasions, telles que les anniversaires ou la nouvelle année, sont moins contraignantes pour l'énonciation d'un vœu. 16 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas /in-Sa-allah snI@n dajma (si Dieu veut [que ce soit] des années qui durent), /in-Sa-allah ?I@d hna (si Dieu veut [que ce soit] une fête de bonheur), /in-Sa-allah ?I@d sa?I@d (si Dieu veut [que ce soit] une fête heureuse). En arabe tunisien, les événements temporels qui occasionnent la formulation d’un vœu sont limités et déterminés par l’usage. Ainsi, par rapport au français et a u grec, la marge de liberté du locuteur tunisien dans le choix de la période temporelle semble beaucoup moins grande. 3.3.2. Formules votives faisant référence à L2 Les formules dénotant explicitement les activités quotidiennes de L2 sont quasiment absente en arabe tunisien. Dans cette langue, il semble que les vœux qui font référence à l’interlocuteur ne prennent en compte que les activités exceptionnelles e t "à haut risque" dont l’enjeu est particulièrement important et imprévu, comme le fait de partir en voyage1 ou d’entreprendre quelque chose de particulièrement difficile. Dans ce cas-là aussi, les formules font appel à des valeurs positives générales et e n particulier à la protection et à l’assistance divines. Pour une personne qui part e n voyage, on formulera par exemple les vœux suivants : /in-Sa-allah fi wdi?it rabi (si Dieu veut [que ce soit] dans la protection de Dieu), /in-Sa-allah fi t¢rI@q i-sla@ma (si Dieu veut [que ce soit] dans le chemin de la sauvegarde), /in-Sa-allah ?ala h¢ja@t-u (si Dieu veut qu’il demeure sauf). Et pour celle qui est sur le point de s’engager dans une entreprise difficile : rabi j-wafq-ik ([que] Dieu t’accorde le succès), rabi j-?in-ik ([que] Dieu t’aide), rabi m?a-k ([que] Dieu [soit] avec toi). 3.3.3. Formules votives faisant référence à des valeurs positives Quel que soit le contexte où elles sont employées, les formules votives d e l’arabe font toujours référence à des valeurs positives générales. Celles-ci forment u n paradigme qui, tout en étant fermé et stéréotypé (puisque l’emploi et le choix d e s formules sont convenus et prédéterminés), est extrêmement large. Il est donc très difficile de circonscrire le paradigme complet des formules et de répertorier la totalité des valeurs véhiculées. Toutefois, nous pouvons, en simplifiant, dégager quelques valeurs prédominantes autour desquelles se regroupent une grande partie de formules courantes, fréquemment attestées, mais aussi beaucoup d’autres types d’énoncés expressifs2. Parmi ces valeurs, nous distinguerons celles qui ont u n e portée générale leur permettant de s’adapter à tous les interlocuteurs et celles, plus particulières, dont l’emploi se spécifie en fonction de l’interlocuteur. 3.3.3.1. Valeurs positives générales 1) La protection divine Le locuteur peut souhaiter au destinataire une protection divine contre le mal d e façon générale (aS-Sar). Ce mal, qui est rarement dénoté de façon explicite dans l e s vœux, peut tout aussi bien avoir un caractère concret (maladie, accident, décès, etc.) qu’abstrait. Dans ce dernier cas, l’idée du mal est liée aux pouvoirs surnaturels e t maléfiques du diable, du mauvais œil, de la magie ou, d’une manière plus générale, à tout ce qui appartient à "ce qui est caché ou ignoré" (al-Vajb), c’est-à-dire à tout ce qui est du domaine de l’inconnu, source constante d’appréhension pour l’Homme. 1 Encore aujourd’hui le voyage est un événement particulièrement appréhendé. C e t t e appréhension, qui est sans doute une survivance du temps où les voyages étaient très risqués, se manifeste dans le fait qu’il provoque toujours des rituels (verbaux ou non) conjuratoires, destinés à protéger le voyageur. 2 Voir la description faite par Piamenta (1983). 17 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas Les formules faisant appel à la protection sont d’un emploi très courant. Elles sont particulièrement attestées dans les contextes de maladie, d'événements favorables à la manifestation du mauvais œil, mais elles peuvent aussi s’employer d a n s des types de contextes qui ne sont pas à priori liés à l’idée du mal, tel que le remerciement ou la supplication. Parmi les valeurs dénotées on relève celles de as-satr, d e al-h¢ifD¢ et de al-lut¢f que nous considérerons ici comme des synonymes ayant le sens d e la protection, ex. : allah j-ustr-ik ([que] Allah te protège), allah j-ih¢fD¢-ik ([que] Allah t e garde), rabi j-ult¢uf bI@-k ([que] Dieu amoindrisse [ton malheur]). Mais la protection peut aussi s’exprimer, entre autres, par l’emploi du verbe ba?ad (éloigner). Le locuteur souhaite alors à son interlocuteur l’éloignement de tout ce qui peut constituer une source de malheur. Dans la formule suivante par exemple, c’est la protection contre certains individus qui est recherchée : allah j-ba?ad ?l-I@k wla@d l-ih¢ra@m ([que] Allah éloigne de toi les enfants du péché). Dans certains contextes, ces vœux de protection sont formulés sans la mention d’un destinataire en particulier. Dans ce cas, il s’agit de vœux adressés à toutes l e s personnes présentes, y compris le locuteur. Ainsi, par exemple, quand un sujet grave tel que la mort, la maladie ou l’infirmité, est évoqué au cours d’une conversation, il est fréquent de voir les différents partenaires de l’interaction formuler des vœux d e protection comme : rabi j-ustur ([que] Dieu protège), il-lut¢f ([qu’il y ait] amoindrissement [des malheurs], b?I@d iS-Sar ([que] le mal [soit] loin). 2) La santé et la longévité La santé et la longévité sont sans doute parmi les valeurs les plus recherchées e t les plus désirées. Les formules qui y renvoient sont nombreuses et d’un emploi très fréquent dans toutes sortes de situations. Les vœux de santé utilisent généralement le mot explicite s¢ a h¢ h ¢ a (santé) : j-a?t¢I@k i-s¢ah¢h¢a ([qu’]Il te donne la santé), rabi j-Sid-lik fi s¢ajh¢-tik ([qu’]Il te maintienne ta santé), s¢ah¢h¢a (santé), s¢ah¢-it ([que] tu aies la santé), /in-Sa-allah b-s¢ah¢it l-abda@n ([que ce soit] avec la santé des corps). Mais ils peuvent aussi s’exprimer à travers d’autres valeurs telles que celle de aSSifa/ (guérison : bi-iSfa/ "avec la guérison") ou celle de al-XI@r (le bien, voir ci-dessous). Ces vœux de santé s’emploient à l’attention de personnes malades à qui l’on souhaite la guérison (/in-Sa-allah laba@s "si Dieu veut [qu’il n’y ait] pas de mal"), ou e n core, au cours d’une interaction, pour une personne qui vient de boire ou de manger quelque chose, ex. : bi-iSfa/ (avec la guérison). Mais ils s’emploient aussi d a n s d’autres types de contextes pour accomplir d’autres actes comme remercier (j-a?t¢I@k is¢ah¢a "qu’Il te donne la santé"), encourager (s¢ah¢-it "que tu aies la santé") , complimenter une personne chez qui on remarque un changement (nouveaux vêtements, nouvelle coiffure ou possession d’un objet, ex. : s¢ a h¢ a "santé"). La longévité peut s’exprimer explicitement par l’emploi du substantif ?mur (âge, vie) et de l’adjectif t¢wI@l (long) : rabi j-t¢awil fi ?umr-ik ([que] Dieu prolonge ta vie), /in-Sa-allah ba?d ?mur t¢wI@l (si Dieu veut [que ce soit] après une longue vie), ou par l’emploi des formes verbales ?a@ S (vivre), Xalla ou faD¢al (garder) : j-?ajS-ik ([qu’]Il te fasse vivre), rabi j-faD¢l-ik ([que] Dieu te garde), rabi j-Xall-I@k ([que] Dieu te garde). Elle peut aussi s’exprimer indirectement, par exemple par la formule /in-Sa-allah snI@n da@jma (si Dieu veut [que ce soit] des années durables), particulièrement utilisée à l’occasion des fêtes, ou par /in-Sa-allah tilbis wi tqat¢a? (si Dieu veut que tu puisses porter et déchirer [tes vêtements]), adressée à une personne qui porte un vêtement neuf. 18 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas Enfin, dans certaines formules, la longévité et la santé sont associées, ex. :/in-Saallah b-is¢ah¢a w t¢u@l l-a?mur (si Dieu veut [que ce soit] avec la santé et la longue vie). 3) La bénédiction (al-baraka) 1 La bénédiction (al-baraka) est l’une des valeurs "phares" de L’Islam. Elle figure dans plusieurs versets du Coran et elle est très prisée. Sa signification exacte est difficile à cerner car il s’agit d’une valeur très abstraite et vague. Dans L’Encyclopédie de L’Islam elle est définie comme “une force bénéfique, d’origine divine, qui provoque la surabondance dans le domaine physique, la prospérité et la félicité dans l’ordre psychique”. Quand on observe les différentes expressions figées de l’arabe, on est frappé par la grande fréquence d’emploi des formules dénotant cette valeur et par la multiplicité et la diversité des situations qui déclenchent sa production. En effet, d e s dérivés de la racine brk figurent dans de nombreuses formules votives mais aussi dans beaucoup d’autres expressions figées. La valeur al-baraka est surtout associée à la congratulation et à l’expression d e l’admiration, les deux sentiments étant souvent associés. Comme expression de congratulation, elle est systématiquement souhaitée pour les différents événements heureux de la vie (mariage, naissance, fête etc.), ex. : mabru@k (béni), /in-Sa-allah kull Saj bi-l-barka (si Dieu veut [que] tout [se fasse] avec la bénédiction), ?I@d-ik mabru@k ([que] ta fête [soit] bénie), ?a@m-ik mabru@k ([que] ton année [soit] bénie) Dans la formule tba@ r k-allah (Dieu est béni), elle exprime l’admiration (qu’il s’agisse ou non de compliment) : mizjana tbark-allah (elle est belle Dieu est béni), wildi ¿andu tbark-allah zuz dja@r (mon fils a Dieu est béni deux maisons), al-mt¢ar t¢s¢ub tbark-allah (il pleut Dieu est béni). Mais le vœu de bénédiction figure aussi dans l’expression de la gratitude ba@rakaallahu fI@k (Dieu t’a béni) et de condoléances al-barka fI@k (la bénédiction est en toi). La valeur de al-baraka est en outre explicitée dans d’autres types d’expressions. Elle s’emploie comme formule de bienvenue (zarit-na al-barka "la bénédiction nous a visités"), pour dénombrer — (on dira ainsi barka, Tnin 'Litt. bénédiction, deux (bénédictions), etc.2), ou encore avec le sens de "quantité largement suffisante" (fih al-barka "cela suffit", "litt. : il y a de la bénédiction"). Dans la culture arabo-islamique, il est admis que al-baraka possède un effet conjuratoire très fort. L’énonciation des formules qui l’explicitent est ainsi considérée comme susceptible d’annihiler l’effet potentiel de l’envie (h¢usd) et du mauvais œil qui en résulte. Cette valeur conjuratoire est présente dans toutes les formules qui l a dénotent, mais elle est encore plus forte dans les formules qui s’associent à l’expression de l’admiration. 4) Le bien Cette valeur peut être définie comme le bien en tout (al-XI@r), un bien général qui peut être de nature soit matérielle, et ce terme désigne alors la richesse, l’abondance, la prospérité, soit abstraite, et il s’agit alors d’un bien-être général physique et psychologique. Cette valeur est surtout dénotée dans certaines formules de salutation, qui, comme on l’a dit plus haut, sont en fait intermédiaires entre le vœu et la salutation (ex. 1), dans les vœux de santé et de longévité (ex. 2), et aussi — mais avec s a valeur matérielle — dans l’expression de gratitude j-kaTar XI@r-ik ([qu’]Il augmente ton 1 L’expression al-baraka est ordinairement traduite en français par "bénédiction", mais le mot arabe a en réalité une signification beaucoup plus large. 2 Cette manière de dénombrer est en rapport avec la croyance à la magie des nombres e t la crainte des dénombrements. Voir à ce sujet Doutté (1909) et Dornier (1952). 19 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas bien) qui est formulée plus particulièrement pour remercier d’un bienfait de nature matérielle (nourriture, argent etc.) : 1. s¢ba@h¢ al-XI@r (matin de bien), msa al-XI@r (soir de bien ), tis¢bah¢ ?ala XI@r ([que] tu t e réveilles le matin dans le bien) 2. /in-Sa-allah kull ?a@m w-inti h¢aj b-XI@r (si Dieu veut [que] chaque année et toi [tu e s ] vivant et dans le bien), ti-bqa ?ala XI@r ([que] tu demeures dans le bien). 5) La joie et le bonheur Ces deux valeurs, très proches, sont explicitées à travers trois termes quasisynonymes : al-farah¢, al-hana/ et as-sa?a@da. Mais même s’ils sont très proches par le sens, ces termes n’ont pas, dans les formules votives, tout à fait la même distribution e t chacun d’eux possède un emploi spécifique. Dans les vœux, les dérivés de la racine frh¢ (al-farah¢) peuvent signifier "la joie" a u sens général. Le locuteur souhaite alors à son interlocuteur la joie comme un objectif absolu à atteindre : rabi j-farh¢-ik ([que] Dieu te rende joyeux). Mais ils peuvent aussi signifier "la célébration d’un événement heureux" ou toute manifestation de joie : /inSa-allah n-Ziw-kum fi-l-farh¢ (si Dieu veut [qu’]on vous rende visite à l’occasion d’une célébration — ou d’un événement heureux). Lorsque le substantif al-farh¢a est employé avec un morphème possessif, il a en Tunisie plus particulièrement le sens de m a riage : la joie de quelqu’un c’est son mariage. Les vœux de "joie" avec ce sens d e mariage s’adressent à des jeunes hommes ou femmes, ou à leurs parents, dans l e s cérémonies de mariage ou de fiançailles. Dans les autres contextes, ils ont une valeur de remerciement ou de supplication : /in-Sallah farh¢t-ik (si Dieu veut [que] ce soit ton mariage). Quant à al-hana/ , c’est aussi le bonheur de façon générale, mais plus précisément celui du couple. Dans son sens général al-hana/ est surtout souhaité pour les fêtes religieuses : /in-Sa-allah ?I@d hna (si Dieu veut [que ce soit] une fête de bonheur). Dans l e contexte spécifique du mariage ou des fiançailles, il est adressé au couple et a u x familles des mariés avec le sens de bonheur du couple : rabi j-hani ([que] Dieu rende heureux). Le terme as-sa?a@da peut être considéré comme un synonyme de al-hana/. Mais d a n s les vœux, son emploi est moins fréquent et semble réservé aux contextes écrits o u formels, où il apparaît surtout dans certaines formules de salutation, ex. : nha@r-ik s?I@d ([que] ta journée [soit] heureuse) et dans des vœux formulés à l’occasion des fêtes ou du nouvel an, ex. : ?I@d sa?I@d (fête heureuse). 3.3.3.2. Valeurs positives particulières Certains vœux nécessitent une connaissance plus spécifique de l’interlocuteur car, pour les produre, l’énonciateur doit en quelque sorte puiser dans la vie privée d u destinataire pour y chercher “la faille” qu’il pourra combler avec un souhait approprié. Cette connaissance n’est en fait que relative, le contenu sémantique de ces vœux restant malgré tout stéréotypé et figé. Le choix des valeurs est (pré)effectué e n fonction de l’âge et du statut de l’interlocuteur, et non en fonction de son univers concret et particulier : ce qu’on lui souhaite ne correspond pas à ses désirs réels e t exprimés mais à des désirs qu'il est supposé avoir, et qui sont en quelque sorte voulus par la communauté. 1) Le mariage Le vœu de mariage peut prendre la forme du vœu de "joie" que nous avons vu cidessus. Il peut aussi s'exprimer à travers la notion de sa?d qui signifie la chance d a n s le domaine du mariage (y compris le fait de trouver un bon mari), ex. : j-qawi sa?d-ik ([qu’]Il renforce ta chance [de trouver un bon mari]). Si les différentes cérémonies (mariages, fiançailles etc.), favorisent la formulation de ces vœux, leur emploi est aussi attesté dans d’autres contextes, comme remerciement par exemple ou c o m m e une formule de supplication. 20 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas 2) La procréation Pour un interlocuteur (homme, mais surtout femme) marié et sans enfant, l e vœu le plus approprié, le plus attendu, est celui de procréation. Dans la formule l a plus courante, ce vœu est exprimé implicitement : /in-Sa-allah farh¢it ?a@zib (si Dieu veut [que ce soit pour] la joie (ou le mariage) d’un adolescent). Le vœu explicite de "joie" (mariage) d’un garçon sous-entend en réalité qu’on souhaite au destinataire qu’il ait un enfant, plus précisément un garçon, et que celui-ci vive assez longtemps. Pour une femme enceinte, le vœu de procréation sera plus explicite : rabi j-Xallis¢ wah¢l-ik ([que] Dieu te délivre). 3) Le bonheur des enfants Beaucoup de formules votives prennent comme cible du vœu les enfants d e l’interlocuteur. Ces vœux (qui, bien entendu, ne peuvent être formulés qu’à des p a rents) font le plus souvent référence à la réussite, à la protection ou à la joie, ex. : rabi j-naZah¢-hum ([que] Dieu les fasse réussir), rabi j-faD¢al-hum ([que] Dieu les garde), rabi jXalli-hum-lik ([que] Dieu te les garde). Avec cette catégorie, nous pouvons parler d e "vœu indirect" dans lequel le bonheur des enfants1 va atteindre, par ricochet, l e s parents. Cette interdépendance est mise en évidence dans la formule suivante, ex. : rabi j-farh¢-ik bI@ - hum ([que] Dieu te rende heureuse par eux). 4) Le pèlerinage à la Mecque Le pèlerinage à la Mecque al-h¢ a Z est le cinquième des cinq "piliers" de l’Islam. Bien qu’il ne soit pas obligatoire, ce rite revêt une importance considérable pour les Musulmans. Pour beaucoup de gens en effet, le pèlerinage est l’un des désirs les plus chers, d’autant plus qu’il est souvent hors de portée. Mais ce désir est encore plus fort chez les personnes âgées chez qui la pensée de la mort et du "jugement dernier" est plus présente. Pour ceux-ci, l’accomplissement du pèlerinage est, d’une part, u n acte de dévotion ultime qui les confirme dans leur devoir de musulman, et d’autre part, un acte de purification. À toute occasion donc, le vœu le plus approprié qu’on adressera à une personne âgée fera référence à ce rituel, que ce soit pour lui souhaiter de pouvoir l’accomplir — ex. : /in-Sa-allah fi h¢aZa (si Dieu veut [que ce soit] pour u n pèlerinage) —, ou, lorsque l’interlocuteur l’a déjà accompli, de pouvoir le refaire, ex. : /in-Sa-allah fi ?awda (si Dieu veut [que ce soit] pour un retour). 4. CONCLUSION L’étude contrastive de la formulation de l’acte de vœu dans trois langues différentes révèle avec force la variabilité culturelle des actes de langage. Les locuteurs de chaque communauté discursive disposent d’un paradigme votif spécifique leur permettant d’accomplir cet acte rituel selon les préférences socio-culturelles qui caractérisent les trois ethnolectes observés. Les trois univers votifs dégagés par l a description de la formulation de cet acte fortement routinisé reflètent ainsi le profil socio-culturel de la France, la Grèce et la Tunisie, et participent à la découverte d u système de valeurs de ces sociétés, tel qu'il apparaît dans les interactions communicatives de tous les jours. Comme le vœu constitue l’expression d’un désir de bonheur futur, les formules votives font référence à un monde idéal, rêvé, souhaité, et reflètent les désirs collectifs de chaque communauté discursive. Or, il s’avère que ce monde n’est pas identique dans les trois cultures, chacune ayant une conception différente du bonheur, liée à des valeurs culturelles différentes, qui se cristallisent dans le rituel votif. En e x a m i nant ce qui est “souhaitable” dans chaque ethnolecte, à travers le contenu que l e s locuteurs investissent dans leurs vœux, on découvre certaines valeurs socio- 1 Dans la société tunisienne, on considère généralement que les enfants sont presque "l’unique" raison de vivre des parents. Ceux-ci doivent leur consacrer leur vie tant qu’ils n’ont pas encore fondé eux-mêmes une famille. Voir au sujet de la famille tunisienne Camilleri, 1973 . 21 Marges linguistiques http://www.marges-linguistiques.com - M.L.M.S. éditeur - 13250 Saint-Chamas culturelles, partagées par les membres de chaque communauté discursive, qui déterminent le style communicatif des locuteurs. La sacralisation du quotidien en France, l’attachement à des valeurs atemporelles en Grèce, l’impact de la religion et l’appréhension du “mal” en Tunisie constituent e n effet des aspects culturels que révèlent les formules votives et qui semblent occuper une place centrale dans les trois ethnolectes. L’étude des faits communicatifs ne v a pas sans croiser la question des réalités socio-culturelles, c’est-à-dire sans interroger le rapport, si difficile à articuler, entre la langue et la culture : c’est peut-être là u n des intérêts majeurs de l’étude des actes de langage dans une perspective interculturelle. Références bibliographiques BOSWORTH, C. E., VAN DONZEL, E., HEINRICHS, W. P. et feu PELLAT, CH. (1993). Encyclopédie de l’Islam. Leinden-New York, Brill. CAMILLERI, C. (1973). Jeunesse, Famille et Développement. Essai sur le changement socio-culturel dans un pays du Tiers-Monde (Tunisie). Paris, Éditions du CNRS. DICHY, J. (1994). “La pluriglossie de l’arabe”, Bulletin d’Études Orientales, XLVI. Damas : Institut Français d’Études Arabes, 19-42. DORNIER, P. (1952). “La politesse bédouine dans les campagnes du nord de la Tunisie”. IBLA 15 (1952), 17-47. DOUTTÉ, E. (1909). Magie et Religion dans l’Afrique du Nord, Alger, Adolphe Jourdan. DUCROT, O. 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