DISCOURS A L`OCCASION DE LA REMISE DES DIPLÔMES

Transcription

DISCOURS A L`OCCASION DE LA REMISE DES DIPLÔMES
DISCOURS A L'OCCASION DE LA REMISE DES DIPLÔMES
BACHELORS
UNIVERSITÉ DE FRIBOURG
4 JUILLET 2015
Monsieur le Doyen,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Mesdames et Messieurs les invités,
Chers étudiantes et étudiants,
I.
D'abord, je souhaiterais remercier la faculté de droit de m'avoir si
aimablement invité à prononcer le discours de circonstance aujourd'hui.
En qualité d'ancien de l'alma mater de Fribourg, c'est avec un plaisir mêlé
d'émotion que j'ai accepté ce redoutable honneur! Honneur d'autant plus
redoutable sous cette chaleur quasi tropicale!
II.
Anschliessend möchte ich Ihnen, liebe Diplomierte, ganz herzlich zu
dieser tollen Herausforderung gratulieren, der Sie sich gestellt und die Sie
gemeistert haben: dem Bachelor!
Oui, j'aimerais avant tout vous adresser, à vous chers diplômés, du fond
du cœur mes plus vives félicitations pour ce magnifique défi que vous avez
relevé et gagné : le diplôme de bachelor !
III.
Je vois d'ailleurs se dessiner dans la salle de larges sourires de
satisfaction, vous avez raison, c'est amplement mérité !
Möglich wurde das, was Sie geleistet und geschafft haben, dank Ihrer
grossen Motivation und riesigen Anstrengungen. Zudem haben Sie
beträchtliche Opfer erbracht. (Statt den zahlreichen Versuchungen
nachzugehen, die in einer grossen Stadt locken, haben Sie während vieler
Stunden hart gearbeitet).
1
Ce que vous avez accompli et réussi : c'est grâce, certes, à une profonde
motivation et d'énormes efforts, mais aussi d'importants sacrifices
consentis (des heures de travail assidu plutôt que de se laisser aller à
toutes sortes de tentations pourtant fort nombreuses dans une grande ville
comme Fribourg).
Pour y arriver, vous n'étiez sans doute pas tout seul : vous avez pu
compter sur le soutien moral de votre famille et de vos amis ; je vois
d'ailleurs que vous êtes nombreux, aujourd'hui à être accompagnés. Et
c'est tant mieux. Il faut partager sa joie dans des moments pareils!
IV.
En obtenant ce diplôme tant convoité, vous avez franchi une étape
décisive, quasi irréversible désormais, dans votre formation universitaire
et qui va déterminer la suite de votre orientation professionnelle : celle qui
vous fera devenir juriste à part entière.
En tenant de tels propos - comprenez-moi bien - , je ne voudrais pas que
vous ayez la fâcheuse impression que je minimise le travail accompli. Non,
pas du tout. Ce que vous avez réussi prouve vos excellentes aptitudes ;
vous avez donc le droit de vous réjouir pleinement.
Toutefois, comme un joueur d'échecs, il faut déjà penser au coup suivant.
Or, vous le savez bien, vous êtes maintenant au milieu du gué: vous avez
réalisé la moitié du parcours qui conduit à une formation complète de
juriste. Alors… pourquoi s'arrêter en si bon chemin ?
Si vous voulez prétendre au titre de juriste à part entière, si vous voulez
augmenter de manière déterminante vos chances sur le marché du travail,
alors, vous ne devez pas hésiter: il faut vous lancer un nouveau défi: celui
de continuer vos études en droit par l'obtention d'un master. Vous êtes
jeunes, dynamiques, pleins de motivation, n'hésitez plus : continuez! Vous
ne le regretterez pas même si c'est encore un effort supplémentaire qui
se présente devant vous. C'est le bon moment.
Cela dit, bien sûr, rien ne vous empêche, préalablement, de partir une
année à l'étranger dans le cadre d'un échange universitaire, pour parfaire
vos connaissances avant de continuer en direction du master.
2
V.
Alors continuer, oui, mais où?
Weitermachen ja, aber wo?
Sie haben die Universität Fribourg für Ihr Bachelor-Studium gewählt, und
das war ein weiser Entscheid! Ich sage dies nicht, weil ich Ehemaliger aus
Fribourg bin, sondern weil ich es wirklich glaube.
Erstens einmal ist die Fakultät über die Landesgrenzen hinaus sehr sehr
gut renommiert.
Zweitens handelt es sich um eine zweisprachige Universität, an der man
die Vorlesungen gleichermassen auf Deutsch und Französisch besuchen
kann. Inzwischen gibt es sogar ganz offiziell einen zweisprachigen
Lehrgang. Dieser stellt zweifellos einen wertvollen Vorteil dar – nicht nur,
um die beiden Landessprachen zu beherrschen, sondern auch um die
beiden Kulturen besser kennen zu lernen. Diese sind voneinander
abhängig und gleichzeitig sehr verschieden. Zudem stellt ein
Universitätsabschluss mit dem Vermerk „zweisprachig“ einen Vorteil dar,
der auf dem Arbeitsmarkt entscheidend sein kann.
Ein dritter Grund kommt mir noch in den Sinn: die humanistische
Ausbildung, auf die die Universität Fribourg stets grossen Wert gelegt hat.
Dieser Aspekt, der in unserer materialistischen Welt in den letzten
Jahrzehnten leider oftmals vernachlässigt wurde, wird inzwischen wieder
geschätzt.
Umso besser!
VI.
Et c'est tant mieux!
Je vais vous dire pourquoi cette formation humaniste, à Fribourg, constitue
sa plus grande force.
Pour comprendre le droit dans son ensemble, il faut le saisir dans sa
globalité ; j'allais dire dans sa profondeur. En effet, le droit, c'est un peu
comme un mille-feuille: il est le résultat de nombreuses strates
superposées de la vie sociale qui en font toute sa complexité mais aussi
toute sa richesse inépuisable.
3
L'Université de Fribourg a bien compris cet enjeu dans une perspective
résolument humaniste et ouverte sur le monde : en enseignant le droit
sous les angles les plus divers, par exemple sous celui de:
- l'histoire du droit;
- la philosophie du droit;
- le droit romain;
- le droit canon et des religions;
mais aussi:
- la logique juridique;
- la sociologie du droit…
Et j'en passe.
Was ist Recht und was ist rechtens? In welchem Verhältnis stehen Recht
und Gerechtigkeit zueinander? Wie ist das Recht entstanden und was ist
der Sinn des Rechtes? Die Erörterung rechtsphilosophischer Fragen im
Kontext einer reichen Rechtsgeschichte gehört für mich zu den
Grundvoraussetzungen für ein umfassendes, über den Gehalt einzelner
Normen hinausreichendes Verständnis für das Recht. Es sind Breite und
Tiefgang, die den guten Juristen und die gute Juristin ausmachen.
Die Juristische Fakultät Freiburg hat stets grosses Gewicht auf Breite und
Tiefe gelegt. Ihre Rechtslehrer haben Fragen des Wohers ebenso stark
gewichtet wie solche des Wohins.
VII.
Oui, je peux témoigner que cette approche pluridisciplinaire du droit,
l'Université de Fribourg l'a mis largement en pratique en plaçant l'homme,
l'humain au centre de ses préoccupations.
A ce propos, il ne faut pas oublier que le droit n'est pas une science exacte
comme les mathématiques mais une science dite "humaine", soit une
discipline qui se donne pour objet l'étude des divers aspects de la réalité
humaine.
En fait, pour bien concevoir la notion même de la science du droit, il faut
bien comprendre la vie. Rudolf von Jhering, juriste allemand du XIXè
siècle et fondateur de la sociologie du droit, ne disait pas autre chose
quand il prétendait que : "Das Ziel des Rechts ist der Friede, das Mittel
4
dazu der Kampf. (…) Alles Recht in der Welt ist erstritten worden, jeder
wichtige Rechtssatz hat erst denen, die sich ihm widersetzten,
abgerungen werden müssen, (…). Das Recht ist nicht blosser
Gedanke, sondern lebendige Kraft."
J'aime bien cette définition de Jhering: elle sonne juste et plaque
parfaitement à la réalité du terrain.
D'abord, le droit ne s'assimile pas à une simple pensée (aussi belle et
subtile soit-elle); non, le droit c'est une "force vive" ou plutôt une "force
vivante". En d'autres termes, l'émergence du droit provient tout
simplement du fait que nous ne sommes pas tout seul sur terre, que nous
vivons à plusieurs dans un endroit donné. Or, pour préserver la paix – ce
qui est finalement l'objectif essentiel du droit -, il faut immanquablement
des règles, admises par tous. Tout le monde ne peut pas vivre, seul, sur
une île déserte comme Robinson Crusoé. Mais ces règles, avant d'être
admises par tous, nécessitent parfois des luttes d'influence voire de rudes
combats (maintenant dans les hémicycles parlementaires la plupart du
temps et non plus sur un champ de bataille, dieu merci…).
Une norme juridique, un article de loi n'est pas du tout statique comme on
pourrait le croire a priori mais, au contraire, en constante évolution; ce qui
nous force - nous les juristes - à rester constamment en éveil mais
aussi à nous remettre systématiquement en question.
Vous le constatez, le droit, avant d'atterrir bien gentiment dans un code, a
connu préalablement une vie antérieure très mouvementée que l'on a
tendance à oublier alors qu'elle se révèle fondamentale quand il faut
procéder à son interprétation pour comprendre le sens réel d'une norme.
Vous voyez donc combien toute règle de droit possède du relief et n'est
pas fade du tout.
C'est la raison pour laquelle il vous faut continuer à approfondir vos
connaissances et que vous ne pourrez y réussir que par le master,
complément indispensable à un bachelor….
VIII.
Toutefois, la connaissance des règles juridiques ne constitue que l'une
des deux faces du droit au sens large.
L'autre face, indissolublement attachée à la première (un peu comme le
ying et le yang), ce sont les faits.
5
A priori, on aurait tendance à les négliger, les considérant comme quelque
chose d'acquis et, donc, sans réel problème.
Il s'agit là d'une approche par trop simpliste. Dans la réalité et de manière
paradoxale, le juriste devra sans doute consacrer beaucoup plus de temps
à l'établissement des faits qu'à l'application subséquente du droit.
A l'université – et ce n'est pas un reproche car son rôle est différent - les
faits sont donnés et non contestés. L'essentiel du travail se situera au
niveau de l'application du droit; cela est normal.
Cependant, quand, plus tard, vous devrez :
- établir un avis de droit pour le compte d'une administration ou d'une
entreprise privée comme juriste;
- ou bien rédiger un recours comme avocat;
- ou encore rendre un arrêt comme juge;
Vous verrez alors que la recherche exacte et complète des faits joue un
rôle que vous n'imaginez pas encore.
Or, dans cette quête des faits juridiques, vous ne pourrez pas vous
contenter de limiter votre champ d'investigation à un simple "lit de
Procuste".
Procuste, c'est le nom d'un fameux brigand de la mythologie grecque qui
vivait dans la région d'Athènes et qui fut finalement tué par Thésée. Il avait
la déplorable habitude de faire étendre les voyageurs sur un lit mécanique
de son invention pour les mettre à la "bonne dimension": si la victime était
trop grande, il coupait le surplus des membres et si elle était trop petite, il
les étirait en conséquence…
Bien triste spectacle, vous en conviendrez…
Eh bien, un juriste ne peut pas se permettre de faire la même chose : il ne
saurait par simple convenance ou commodité ne garder des faits que ceux
qui l'arrange en ignorant (en les balayant soigneusement sous le tapis)
ceux qui ne "collent" pas avec son raisonnement.
Au contraire, que cela lui plaise ou pas, il devra retenir tous les faits de
l'affaire avant de se lancer dans une analyse sous l'angle du droit. Sinon,
la réponse donnée au problème sera immanquablement erronée.
6
Alors, pas de lit de Procuste pour les faits juridiques. Souvenez-vous en.
C'est une question de professionnalisme pour ne pas dire d'éthique.
Ethique sur laquelle le temps me manque, malheureusement, pour vous
en parler plus longuement.
IX.
Un dernier élément s'avère indispensable dans le travail ordinaire du
juriste: c'est de trouver la bonne clef qui permettra, sur la base de faits
donnés, d'ouvrir son code à la bonne page et d'y trouver la norme juridique
applicable.
En d'autres termes: quelle est l'interface (arbre à cam) qui permettra
d'opérer, sans douleur, ce passage du fait au droit?
Eh bien, cette interface, c'est la "question topique" autrement la question
principale, "LA" vraie question. Dans chaque affaire, on doit se poser la
question centrale : " de quoi s'agit-il ?"
Quand on a répondu à cette question, en se fondant sur l'ensemble des
faits, on peut ensuite, seulement, se lancer dans une analyse juridique
plus poussée. Mais pas avant. Sinon, on risque d'arriver à un
raisonnement juridique, certes d'excellente qualité, mais qui, au final, se
révélera inutilisable car ne répondant pas aux faits qui nous sont soumis.
Les anciens disaient justement : "festina lente". C'est cela : hâte-toi
lentement / Eile mit Weile. Ne vous précipitez donc pas, tête baissée, sur
votre code pour chercher la solution. Respectez les étapes à suivre :
d'abord bien établir les faits (mais ne vous couchez pas sur le "lit de
Procuste"), ensuite, posez-vous la/les bonnes questions et, enfin,
cherchez la solution en droit. A ce moment-là, vous pourrez alors
appliquer le syllogisme judiciaire dans toute son étendue.
Si vous respectez, systématiquement, ce rythme ternaire dans la
recherche de la solution juridique, vous vous éviterez bien des
déconvenues inutiles.
X.
Un mot encore: n'oubliez pas autre chose : pour être à même de se poser
la/les bonnes questions, il est important de rester toujours et encore
curieux sur tout et, en outre, de rester en contact avec la "vraie" vie, avec
cette vie de tous les jours qui constitue le fonds de commerce du juriste.
Alors, outre vos études, n'hésitez pas à vous diversifier, dans les loisirs et
7
le sport – sans doute - , le service militaire (c'est encore le lot de beaucoup
d'entre vous), mais aussi dans les petits boulots qui vous apprendront
beaucoup pour votre carrière de juriste.
Ich möchte diesen letzten Punkt noch betonen:
Um in der Lage zu sein, sich die gute(n) Frage(n) zu stellen, muss man
stets neugierig auf alles sein und bleiben. Zudem gilt es, mit dem „echten“
Leben in Kontakt zu bleiben – diesem alltäglichen Leben, welches die
Grundlage des Geschäfts als Juristin oder Jurist darstellt. Zögern Sie also
nicht, nebst Ihrem Studium zahlreichen Aktivitäten im Sport- und
Freizeitbereich nachzugehen, Militärdienst zu leisten, aber auch kleine
Arbeiten zu übernehmen, bei denen Sie viel für Ihre Juristenkarriere lernen
können.
XI.
Or, savez-vous ? Cette clef, cette interface, l'Université de Fribourg excelle
justement en cette manière de travailler. Grâce à un dosage très équilibré
entre cours théoriques passionnants et exercices pratiques très pointus,
les professeurs de la faculté de droit sauront - j'en suis intimement
convaincu - poursuivre avec vous cette technique de résolution des cas
qui vous servira, ensuite, tout au long de votre carrière de juriste.
Si j'osais une métaphore musicale, je dirais que : après les gammes, il est
temps maintenant de passer à l'harmonie.
Ne pensez-vous pas que, déjà juste pour cela, il vaut la peine de continuer
son master et, a fortiori, à Fribourg ?
Fidèle à ce que je viens de vous expliquer, je me contenterai de poser la
question topique mais ne fournirai pas la réponse…
XII.
Pour l'heure, vous êtes dans la joie du moment présent et de la réussite
de votre diplôme. Et c'est tant mieux.
Ich gratuliere Ihnen noch einmal ganz herzlich zu diesem schönen Erfolg.
Sie haben ihn verdient.
8
Je vous réitère mes plus vives félicitations pour cette belle promotion.
Vous l'avez bien méritée et pouvez être fiers de vous !
Je vous présente également mes vœux les meilleurs et les plus sincères
pour la suite de votre formation et de votre future carrière de juriste.
Bravo et belle fête à toutes et à tous !
Jean-Luc Baechler
Président du Tribunal administratif fédéral
9