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Réanimation 2002 ; 11 : 509-15 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1624069302002876/SSU MISE AU POINT Indications de l’oxygénothérapie hyperbare dans les services d’urgence* D. Annane, J.-C. Raphaël** Service de réanimation médicale, hôpital Raymond-Poincaré, 92380 Garches, France (Reçu et accepté le 30 juin 2002) Résumé Le but de cette mise au point est d’identifier les situations où le recours à l’oxygénothérapie hyperbare (OHB) est légitime dans le recrutement d’un service d’urgence. Les indications dépendent du niveau de preuves, de considérations physiopathologiques, de l’expérience acquise, des difficultés de transport vers un centre d’hyperbarie. L’intoxication au monoxyde de carbone est la situation la plus fréquente et la plus étudiée. Le recours à l’OHB est légitime chez les sujets ayant présenté un coma initial, les femmes enceintes. L’indication en urgence de l’OHB ne se discute pas dans les embolies gazeuses iatrogènes, les accidents de décompression. Dans ces situations l’OHB vient compléter l’oxygénothérapie normobare à FiO2 100 %. L’intérêt de l’OHB dans les myonécroses clostridiales en complément de la chirurgie et de l’antibiothérapie n’est pas démontée chez l’homme sans que l’on puisse écarter cette indication qui dépend de la faisabilité de l’OHB. Dans l’état actuel des connaissances, il n’apparaît pas souhaitable de prescrire l’OHB dans les surdités brutales, les traumatismes crâniens, le crush syndrome, les suites de pendaison et d’une façon générale les anoxies cérébrales. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS accident de décompression / embolie gazeuse iatrogène / intoxication oxycarbonée aiguë / médecine d’urgence / myonécrose clostridiale / oxygénothérapie hyperbare Summary – Hyperbaric oxygenation in emergency medicine. This review is aimed at establishing guidelines for hyperbaric oxygenation that may help the physicians working in the emergency room to decide which patients should be referred to an hyperbaric unit. The proposed recommendations are evidence-based, rely on the authors own experiences, and also take into account that there are not many hyperbaric centers. Acute carbon monoxide poisoning is the most studied indication for hyperbaric oxygenation. There is a body of evidence to recommend its use only in comatous patients and for pregnant victims. Hyperbaric oxygen therapy is also recommended for the treatment of iatrogenic gas embolism, decompression sickness, and gas gangrenous. By contrast, its use for sudden deafness, head trauma, crush syndrome, or brain anoxia is not supported by the current literature. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS acute carbon monoxide poisoning / decompression sickness / emergency medicine / gas gangrenous / hyperbaric oxygenation / iatrogenic gas embolism *Cet article a été accepté avant la publication de Weaver LK et al. N Engl J Med 2002 ; 347 : 1057-67, raison pour laquelle les auteurs n’ont pu y faire référence. **Correspondance et tirés à part. Adresses e-mail : [email protected] (D. Annane) ; [email protected] (J.C. Raphaël). 510 D. Annane, J.-C. Raphaël question à laquelle nous tenterons d’apporter quelques éléments de réponses est d’identifier les situations où il paraît légitime de proposer un transfert vers un centre d’hyperbarie. Le recrutement d’un service d’urgence est très varié. Bien que controversées, les pathologies où l’oxygénothérapie hyperbare (OHB) a été recommandée sont nombreuses. Le but de cet article est de recenser les situations où il apparaît légitime de contacter un centre d’hyperbarie. Pour cela nous avons listé les situations les plus fréquentes ainsi que leurs niveaux de preuves (tableau I) qui permettent d’affirmer que l’OHB est ou n’est pas efficace (tableau II). Les centres d’hyperbarie sont peu nombreux, irrégulièrement répartis sur le territoire national. Les transferts représentent des contraintes importantes de temps et de coût. Le principe même du transport doit donc être mesuré en terme du rapport risque/bénéfice. Une autre question serait de préciser la posologie « optimale » : nombre de séances, durée d’une séance, détermination de la pression, ainsi que la morbidité potentielle ou connue de l’OHB. Sauf cas particuliers, nous n’entrerons pas dans ce débat qui lui aussi est très discuté, et est de la compétence des spécialistes. La seule INTOXICATION AIGUË PAR LE MONOXYDE DE CARBONE C’est certainement la situation la plus fréquente et la plus étudiée. Bien qu’il n’existe pas de registre national fiable, on peut estimer que le nombre d’intoxications aiguës varie entre 6 000 et 10 000 par an [1]. Le risque de décès est d’environ 5 %. Actuellement la majorité des décès survient au domicile, avant même que la victime ait pu être hospitalisée. Outre les mesures symptomatiques habituelles, le traitement de base de toute intoxication oxycarbonée aiguë est l’oxygène pur, au masque, ou par le ventilateur chez les malades ventilés, pendant une durée de six à 12 heures [2, 3], débuté sur le lieu même de l’intoxication. Tableau I. Échelle de recommandations. Score A B C D E I II III Recommandé Préféré Acceptable Inacceptable Critères Niveau de Recommandations Évidence scientifique forte de l’efficacité thérapeutique – recommandation indiscutable Évidence scientifique faible ou efficacité clinique très modeste – recommandation discutable Évidence scientifique insuffisante pour fonder une recommandation – mais rationnels théoriques fort Évidence scientifique faible de l’inefficacité thérapeutique ou d’effets indésirables graves – recommandation contre l’utilisation du traitement discutable Évidence scientifique forte de l’inefficacité thérapeutique – recommandation contre l’utilisation du traitement indiscutable Qualité de l’évidence scientifique Au moins 1 essai randomisé de phase III Essai de phase II, ou études cas – contrôle, ou études non contrôlées sur un grand nombre de patients Opinion d’experts, études descriptives Terminologie Évidence scientifique forte en faveur de l’utilisation du traitement, quand pas d’alternatives Évidence scientifique forte en faveur de l’utilisation du traitement, versus alternatives thérapeutiques Pas d’argument en faveur de la supériorité ou de l’infériorité du traitement versus alternatives thérapeutiques Évidence scientifique forte contre l’utilisation du traitement Tableau II. Recommandations pour ou contre l’oxygénothérapie hyperbare. Pathologies Intoxication au CO sans perte de connaissance Intoxication au CO avec perte de connaissance Intoxication au CO avec coma Embolie gazeuse iatrogène Accident de décompression Myonécrose clostridiale Autres infections des parties molles Surdité brutale Trauma crânien Crush syndrome Pendaison Autre anoxie cérébrale Niveau de recommandations Qualité de l’évidence Terminologie E D D C C C C B B C C C I I I III III III III II I II III III Inacceptable Acceptable Préféré Acceptable Acceptable Acceptable Acceptable Acceptable ? Acceptable ? Acceptable ? Acceptable ? Inacceptable 511 Oxygénothérapie hyperbare dans les services d’urgence L’objectif principal de l’OHB, qui vient donc compléter l’oxygénothérapie normobare traditionnelle (ONB) est d’éviter des manifestations neurologiques secondaires qui peuvent apparaître d’emblée, ou après un intervalle libre de quelques jours à un mois. Ces manifestations peuvent être graves et correspondent aux descriptions anciennes du « syndrome secondaire ». Elles associent divers troubles des fonctions supérieures à des manifestations pyramidales et extrapyramidales. Leur fréquence actuelle est beaucoup plus faible que dans la série ancienne, on peut l’estimer entre 1 % et 4 % des séries récentes [4-6]. De connaissances plus récentes, sont les manifestations de gravité moindre, non spécifiques mais parfaitement authentiques, associant une sensation d’asthénie, des troubles de la vision, de la mémoire, des céphalées, des modifications du comportement dont l’association peut être responsable de difficultés scolaires ou professionnelles [6-8]. La fréquence de ces troubles varie entre 25 % et 40 % [4, 9-11]. Ces variations s’expliquent par les différences de populations étudiées, les différences de mesures de ce critère. La question est de savoir si l’OHB peut ou non prévenir ces manifestations. Dans le tableau III nous avons résumé les principaux essais disponibles publiés, sous forme d’abstracts pour certains, qui montrent que les résultats obtenus sont contradictoires. Un essai trouve un résultat positif sur un nombre relativement restreint de patients [11], l’autre utilise un critère physiopathologique [12]. La méta-analyse Cochrane faite sur ce sujet [13], conclut que sur les six essais publiés, on ne peut démontrer un résultat bénéfique de l’OHB. Les symptômes persistent chez 81 des 273 patients inclus (34 %), traités par OHB, comparés à 80 des 218 traités par oxygénothérapie simple (37 %) (odd-ratio pour un bénéfice de l’OHB 0.88, IC 95 % 0,41 à 1,66). Tableau III. Essais thérapeutiques évaluant l’effet de l’OHB et de l’ONB dans les intoxications aiguës par le CO Auteurs Nombre de sujets inclus Raphael et al. [4] 343 Thom et al. [11] 65 Ducassé et al. [12] 26 Weaver et al.* [10] 50 Mathieu et al.* [2] 575 Scheinkestel et al. [17] 191 Raphael et al. [15] 179 Critères d’inclusion Critère de jugement Intoxications d’origine domestique % de malades n’ayant pas Pas de perte initiale de connaissance de signe clinique après Pas de trouble des fonctions 1 mois de recul (guérison) supérieures à l’admission Etiologies diverses 66 % de guérison dans le groupe ONB versus 68 % dans le groupe OHB Plus d’aggravation dans le groupe ONB Troubles des fonctions supérieures apprécié par des tests neuro- (23 %) que dans le groupe (confusion, obnubilation) psychologiques après 1 mois OHB (0 %) Pas de trouble cardio-vasculaire Causes de l’intoxication non Anomalies de l’EEG à 21 j Plus d’anomalies de l’EEG et précisées 17 pertes initiales de conscience Diminution de l’activité du diminution de la réactivité du flux flux sanguin cérébral sanguin cérébral dans le groupe ONB (mais données manquantes) Toutes étiologies avec et sans perte Test neuropsychique et ques- Pas de différence entre le groupe de connaissance tionnaire d’activité quotidienne ONB et OHB (double aveugle) à 2 et 6 semaines Taux global de séquelles 25 % Toutes étiologies Bilan à 1, 3, 6 et 12 mois Plus de manifestations résiduelles à 3 mois Malades conscients à l’admission dans le groupe ONB (15 % versus 9,5 %) La différence disparaît à 6 mois et 1 an Etiologies diverses (en particulier Persistance d’anomalies Plus d’anomalies dans le groupe traité par pourcentage élevé de suicides) neuropsychiques objectivées OHB (mais nombreux perdus de vue) Toutes gravités confondues par des tests (à la sortie et à 1 mois) Intoxications d’origine domestique Guérison à 1 mois Pas de différence entre le groupe traité par Perte de connaissance ONB (61 %) ou par OHB (58 %) * Analyse intermédiaire, étude se poursuivant % de malades aggravés Résultats 512 D. Annane, J.-C. Raphaël Figure 1. Conduite à tenir devant une intoxication oxycarbonée aiguë (quel que soit le taux initial de carboxyhémoglobine). L’absence d’effet préventif de l’OHB semble confirmée par un récent essai fait chez la souris [14]. Malgré tout, on ne peut totalement éliminer l’hypothèse d’un bénéfice de l’OHB dans les formes graves, c’est-à-dire chez les sujets ayant présenté un coma initial, surtout si ce coma persiste à l’admission en milieu hospitalier. C’est en effet dans ces situations que le risque de séquelles est le plus grand [4, 15]. Dans les séries disponibles, cette distinction n’est pas toujours faite. L’idéal serait d’organiser un nouvel essai comparant dans cette population l’ONB seule à l’OHB, étude qui à notre connaissance n’est pas disponible. Le schéma décisionnel qui, en pratique, peut être appliqué est résumé dans la figure 1. Le recours à l’OHB n’apparaît pas justifié chez les malades n’ayant présenté qu’une simple perte de connaissance, et a fortiori ceux qui n’ont présenté aucun trouble initial des fonctions supérieures. L’existence d’un coma est un argument fort pour contacter un centre d’hyperbarie. En cas de doute (intoxication médicamenteuse associée, distinction difficile à faire entre perte de connaissance et coma), il est raisonnable de recourir à l’OHB. Il n’existe aucune étude chez l’enfant. Par défaut, il paraît logique d’appliquer le même schéma que chez l’adulte, sachant que les troubles des fonctions supérieures sont très difficiles à quantifier chez le jeune enfant. D’autres indications de l’OHB ont été proposées : douleurs thoraciques, vivacité des réflexes ostéotendineux, troubles modérés de la conscience : confusion, désorientation [2]. Ces propositions ne reposent pas sur des arguments scientifiques et ne modifient pas le schéma que nous avons proposé. Le cas particulier de la femme enceinte est peu documenté dans la littérature. Le risque fœtal de l’intoxication CO est important, il n’est pas corrélé avec les manifestations cliniques observées chez la mère. Des études pilotes, non comparatives, rétrospectives [2], ou prospectives [16], aboutissent à la conclusion que l’application systématique d’une séance d’OHB donne de « bons » résultats tant chez la mère, que chez le fœtus. L’OHB n’augmente pas le risque d’avortement comme cela avait été un moment discuté. Le risque d’hypotrophie fœtale, de malformation, est, avec ce traitement, identique à celui de la population générale. Ce sont ces arguments qui conduisent à préconiser l’utilisation systématique de l’OHB chez la femme enceinte. Faute d’études comparatives, quasi impossibles à réaliser, les résultats de l’ONB seule ne sont pas connus. EMBOLIE GAZEUSE IATROGÈNE L’incidence de l’embolie gazeuse iatrogène est difficile à apprécier car cet accident est souvent méconnu. Les manifestations cliniques sont variées, variables dans le temps et non spécifiques [18]. Le diagnostic n’est certain que lorsque l’on objective le passage de gaz dans la circulation systémique. Néanmoins, toute suspicion d’embolie gazeuse est une indication formelle et urgente à l’OHB. Comme pour l’intoxication oxycarbonnée, le traitement repose sur la suppression de l’exposition au risque, le maintien des grandes fonctions vitales et l’oxygénothérapie à une fraction inspirée d’oxygène de 100 % au masque facial ou, le cas échéant, en ventilation mécanique [19]. En oxygène pur, la dénitrogénation du sang permet la réduction de la taille des bulles d’air, par simple diffusion de l’azote. Par ailleurs, l’augmentation de l’oxygène dissout permet de couvrir les besoins énergétiques tissulaires. L’ONB doit impérativement être initiée dès la suspicion du diagnostic d’embolie gazeuse, et le patient transféré vers un centre d’OHB. En plus de l’accélération des effets bénéfiques de l’oxygène, l’hyperbarie peut réduire la taille des Oxygénothérapie hyperbare dans les services d’urgence bulles par un effet mécanique. Par exemple, en appliquant la loi de Boyle-Mariotte, une compression rapide à 6 ATA diminue le volume d’une bulle d’air de 5/6e. Des études chez l’animal montrent que l’OHB améliore le pronostic neurologique de l’embolie gazeuse [20]. Chez l’homme, il n’existe aucune étude contrôlée, mais l’indication de l’OHB est consensuelle [21]. Le délai de mise en oeuvre du traitement par OHB semble être un facteur pronostique. Une étude rétrospective suggère que le taux de guérison est de 80 % lorsque le traitement est effectué dans les trois heures, et de seulement 48 % si le délai est supérieur à trois heures [22]. Les modalités de traitement, profondeur, durée de la séance et nombre de séances ne font l’objet d’aucun consensus. Le protocole utilisé à l’hôpital RaymondPoincaré consiste en la réalisation d’une seule séance à un plateau à 4 ATA pendant 15 minutes suivi de deux plateaux à 2, 5 ATA et 2 ATA de 30 minutes chacun. Pendant toute la durée de la plongée et pendant les 12 heures suivantes la fraction inspirée d’oxygène est de 100 %. Une prévention systématique des crises hyperoxiques est effectuée par une benzodiazépine par voie parentérale. ACCIDENT DE DÉCOMPRESSION L’accident de décompression est un syndrome causé par l’apparition de bulles de gaz inertes, essentiellement de l’azote, dans les tissus à la suite d’une réduction brutale de la pression environnante. Cet accident survient au cours de la plongée sous-marine mais également chez les personnes travaillant en atmosphère comprimée telles que les tunneliers. Les bulles apparaissent dans les cellules notamment au niveau de la myéline, de la plupart des tissus, notamment dans le liquide céphalorachidien et le poumon, et dans les vaisseaux [23]. Le diagnostic est fondé sur la clinique et les circonstances de survenue, et les accidents de décompression sont classés en type 1, douleurs articulaires ou musculaires (bends) et en type 2, signes neurologiques ou cardiovasculaires [24]. L’OHB est supposée permettre la réduction du volume des bulles, accélérer la clairance du gaz et diminuer les conséquences des phénomènes d’ischémie reperfusion. Les indications de l’OHB sont les formes de type 1 d’une durée supérieure à 30 minutes et les formes de type 2 quelle que soit la durée des symptômes. La recompression doit se faire dans une chambre où l’administration d’oxygène est possible. Pour les types 1, la profondeur de recompression est de 2,8 ATA en oxygène pur pendant 135 min. Les formes de type 2 peuvent être traitées à 1,9 ATA, avec alternance en oxygène pur pendant 20 minutes et air pendant cinq minutes, pour une durée totale de recompression de 285 minutes. D’autres modalités sont également possi- 513 bles table COMEX30A ou US Navy 6A modifiée [25]. L’utilisation de mélange gazeux n’a pas fait la preuve d’une efficacité supérieure à l’OHB. INFECTIONS DES PARTIES MOLLES Les infections des parties molles représentent une urgence médicochirurgicale dont l’incidence est mal connue. La place de l’OHB en adjonction à l’antibiothérapie et à la chirurgie est discutée [26, 27]. L’indication la moins controversée de l’OHB est la myonécrose clostridiale. Pourtant, là encore le niveau de preuve est faible. L’OHB fut introduite dans le traitement de la gangrène gazeuse en 1941 par Ozario de Almeida et Pacheco. Les germes anaérobies, en particulier Clostridium perfringens, sont extrêmement sensibles à l’oxygène. À une pression partielle de 90 à 250 mmHg, l’oxygène exerce un effet bactériostatique sur les Clostridies. À trois atmosphères absolues, l’oxygène inhibe la production d’alphatoxine. Lorsque l’exposition à l’oxygène en milieu hyperbare est suffisamment prolongée, l’élévation du potentiel d’oxydoréduction provoque une réduction des synthèses protéiques et induit la formation de radicaux libres oxygénés qui peuvent être responsables de lyse bactérienne. Par contre, si l’on se place dans les conditions de pression et de durée d’exposition tolérées par l’homme, l’effet observé in vitro n’est que bactériostatique. Mais une action indirecte et non spécifique de l’oxygène sur les propriétés de phagocytose des polynucléaires pourrait expliquer l’obtention d’un effet bactéricide in vivo [28]. En pratique, dans une étude expérimentale chez le chien [29], le traitement chirurgical seul, l’OHB seule et l’association des deux traitements ne permettaient la survie d’aucun animal. Par contre, 50 % d’animaux traités par antibiothérapie seule survivaient. L’adjonction de l’OHB à l’antibiothérapie ne modifiait pas le taux de survie, alors que la combinaison de l’antibiothérapie et de la chirurgie faisait passer le taux de survie de 50 à 70 %. Enfin, l’adjonction de l’OHB à l’antibiothérapie et à la chirurgie améliorait encore le taux de guérison (95 % au lieu de 70 %). Ce bénéfice de l’OHB comme traitement adjuvant de l’antibiothérapie et de la chirurgie, ne semble pas constant dans les modèles expérimentaux. En effet, sur un modèle murin de myonécrose clostridiale, l’oxygénothérapie s’avère peut être même délétère [30]. Chez l’homme, il n’existe aucune étude contrôlée. Néanmoins, en l’absence de contre-indication, et si une chambre hyperbare est disponible, il n’est pas illicite de proposer ce traitement. Il consistera en la réalisation de séances à 3 ATA, durant une à deux heures, répétées deux à trois fois par jour et poursuivies quatre à sept jours selon l’état local. 514 D. Annane, J.-C. Raphaël AUTRES INDICATIONS Les surdités brutales sont une indication controversée. Pour les médecins qui prônent l’intérêt de l’OHB, l’indication est fondée sur le fait que l’OHB – augmente la pression partielle en oxygène au niveau de l’oreille interne [31] ; – améliore la viscosité sanguine et l’élasticité globulaire [32]. Une revue de la littérature suggère un bénéfice potentiel de l’OHB dans les cas de surdité brutale réfractaire après deux semaines de traitement vasodilatateur et/ou corticoïdes, à condition que le traitement soit administré dans les trois mois du début de la maladie [33]. Toutefois, cette revue de la littérature ne différencie pas les surdité idiopathiques des surdités traumatiques, vasculaires ou infectieuses. De plus, il faut préciser qu’il n’y a pas d’étude randomisée de phase III évaluant l’efficacité de l’OHB par rapport au traitement vasodilatateur et corticoïdes. Une étude randomisée sur 168 patients ayant un traumatisme crânien fermé, a montré que le traitement par OHB, une séance à 1,5 ATA de une heure toutes les huit heures pendant deux semaines était accompagné d’une diminution de la mortalité (17 % contre 32 % pour le groupe contrôle, p = 0,04) [34]. Toutefois, la proportion de survivants avec séquelles neurologiques graves est accrue. Pour l’instant, cette indication n’est pas retenue. Pour les autres atteintes cérébrales aiguës, y compris les pendaisons et les autres causes de coma postanoxiques, aucune étude contrôlée évaluant l’intérêt de l’OHB n’a été publiée. Aussi, elles ne sont pas des indications à ce traitement. Une étude randomisée en double insu portant sur 36 patients victimes d’un crush syndrome a évalué le bénéfice de séances d’OHB de 90 minutes à 2,5 ATA, administrées toutes les 12 heures pendant six jours [35]. Dans cette étude, le traitement par OHB débuté dans les 24 heures suivant l’accident et après le traitement chirurgical s’est accompagné d’un taux de cicatrisation complète plus important que le groupe contrôle (17/18 contre 10/18, p < 0,01). De plus, seul un patient du groupe OHB, a nécessité une reprise chirurgicale contre six dans le groupe contrôle (p < 0,05). Les résultats de cette étude monocentrique doivent être confirmés par une étude de phase III, avant de conclure à l’efficacité de l’OHB dans cette indication. CONCLUSION Bien que l’OHB soit préconisée par certains auteurs, pour le traitement de nombreuses affections, ces recommandations reposent surtout sur un rationnel théorique et quelques études descriptives, plutôt que sur une évidence scientifique forte. Parfois même l’évidence scientifique est contre l’utilisation de cette thérapeutique. Aussi, compte tenu du coût et des risques potentiels de ce traitement, le transfert d’un patient vers un centre hyperbare ne nous paraît justifié que pour des situations limitées, i.e. formes comateuses de l’intoxication oxycarbonnée, intoxication oxycarbonée de la femme enceinte, embolies gazeuses iatrogènes et accidents de décompression, et certaines infections sévères des parties molles. RÉFÉRENCES 1 Raphael JC, Jars-Guincestre MC. Intoxications aiguës par le monoxyde de carbone. In : Jaeger A, Vale JA, Eds. Réanimation : intoxications aiguës. Paris : Elsevier ; 1999. p. 304-21. 2 Mathieu D, Mathieu-Nolf M, Wattel F. Intoxication par le monoxyde de carbone : aspects actuels. Bull Acad Natle Méd 1996 ; 180 : 965-73. 3 Raphael JC, Jars-Guincestre MC, Gajdos P. Intoxication aiguë par le monoxyde de carbone. Réanim Urg 1992 ; 1 : 723-35. 4 Raphael JC, Elkharrat D, Jars-Guincestre MC, Chastang C, Chasles V, Vercken JB, et al. 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