il était une fois l`amérique
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845GNIMES_024_025_026_027_028_Mise en page 1 12/08/15 08:13 Page24 24 LA VILLE EN PARLE La Gazette n°845 - Du 13 au 19 août 2015 HISTOIRE Camargue IL ÉTAIT UNE FOIS L’AMÉRIQUE Il y a 110 ans, Buffalo Bill présentait à Nîmes son show sur la conquête de l’Ouest. Plus de 800 hommes, dont une centaine d’Indiens, participaient à l’événement. Dans le public, le marquis Folco de Baroncelli, qui se liera d’amitié avec ces Sioux déracinés et leur fera découvrir la Camargue. E VILLE D’AVIGNON - PALAIS DU ROURE - FONDATION FLANDREYSY-ESPÉRANDIEU Photographie d’Indiens et de cowboys engagés par Buffalo Bill pour son spectacle. rnest Hemingway, lors de son séjour à Aigues-Mortes, aimait dire que la Camargue était le “Far-West français”. La référence de l’écrivain américain n’a jamais été aussi vraie qu’en 1905. L’histoire commence à Nîmes. Le 27 octobre débarque le personnage le plus célèbre de la conquête de l’Ouest : Buffalo Bill. William Frederick Cody, de son vrai nom, présente son cirque Buffalo Bill’s Wild West. Un show gigantesque avec huit cents hommes, plus de cinq cents chevaux, des dizaines de bisons, et qui évoque l’expansion de l’homme blanc en Amérique. Les stars de ce qui deviendra l’un des plus grands spectacles du 20e siècle sont les cow- boys et, bien sûr, les Indiens. De vrais Lakotas, en majorité de la tribu Oglalas, qui composent la nation Sioux. Des Indiens déracinés de leur terre et qui doivent jouer le rôle des sauvages Peaux-Rouges. “À cette époque, la lutte pour la survie du peuple indien est quasiment éteinte, ce show est une sorte de déportation”, souligne l’historien arlésien Rémi Venture, spécialisé dans la culture provençale et archiviste pour la confrérie des Gardians. Après le massacre de Wounded Knee en 1890 dans le Dakota du Sud, où plus de trois cents Indiens sont tués par la cavalerie américaine, beaucoup se sont en effet résignés à vivre comme les Blancs l’entendaient. Le marquis gardian Dans le public nîmois venu assister au show de Buffalo Bill, Folco de Baroncelli. Aristocrate devenu gardian aux Saintes-Maries-de-la-Mer, il est le créateur de la “Natioun Guardiano” (Nation Gardianne) et a travaillé tout au long de sa vie pour la mise en valeur de la Camargue et l’entretien de la race des chevaux Camargue. Surnommé “le marquis”, Folco de Baroncelli est né à Aix-enProvence et a grandi à Avignon. Il est tout de suite fasciné par ces Indiens venus d’outre-Atlantique. “Mon grand-père a toujours été ému par les peuples opprimés et aimait les Indiens pour la liberté qu’ils inspirent” explique Pierre Aubanel, petit-fils du marquis, qui possède encore une manade au Cailar. En juin 1905, Baroncelli voit le show de Buffalo Bill à Paris. Il propose les services de ses gardians au cirque. Si aucun document ne prouve qu’il a réussi à imposer ses cavaliers, selon l’historien Rémi Venture, “on sait que certains ont participé au show comme le Tarasconnais Hadrien Bathélemy qui fut gardian chez Baroncelli”. Quoi qu’il en soit, Baroncelli est à ce moment introduit auprès des Indiens grâce à Jean Hamman. “Ce dernier est un Français né à Paris et qui passa plusieurs années en Amérique aux côtés des Sioux de la réserve de Pine Ridge dans le Dakota du Sud”, explique Rémi Venture. Jean Hamman, surnommé Joë, à la fois cascadeur, cowboy et réalisateur de westerns, travaille avec Buffalo Bill dans son show (La Gazette n°823). “Lors de la venue en France, à Paris, de la troupe de Buffalo Bill, je rendais de multiples services à l’administration et au personnel (...). J’avais remarqué un petit monsieur qui se faufilait partout à travers le camp (...) C’est ainsi que je fis la connaissance du marquis Folco de Baroncelli-Javon. Je le présentais aux principaux personnages de la troupe et surtout aux PeauxRouges qu’il désirait particulièrement connaître”, écrit Hamman dans une lettre destinée à René Baranger, écrivain, acteur, spécialiste de la Camargue et ancien gardian chez Baroncelli. L’historien Rémi Venture précise : “Plus exactement on sait que Hamman organise à Paris une rencontre entre Baroncelli et des Indiens dont Jacob White Eyes et Sam Lone Beer dans un restaurant de l’avenue de la Bourdonnais près du Champs de Mars”. Hamman devient ansi le lien entre Baroncelli et les Indiens. “On suppose aussi que Baroncelli a rencontré Buffalo Bill directement car ce dernier lui a dédicacé un ouvrage, Le dernier des grands éclaireurs”, continue Rémi Venture. Queue-de-Fer Si Baroncelli rend de nouveau visite au cirque à Toulouse vers le 13 octobre, les choses prennent une tournure exceptionnelle à Nîmes. Le lendemain de la représentation, le 28 octobre, avec l’autorisation de Buffalo Bill, le marquis invite quelques Indiens au Cailar pour une ferrade. Les Sioux participent juste après à une abrivado à Gallargues-le-Montueux. “L’histoire dit que les Indiens en costume et coiffés de plumes ont chevauché leur monture pendant l’abrivado”, raconte le manadier Pierre Aubanel. En effet, Baroncelli lui-même fait écho de cet événement dans un article qui paraît le jeudi 845GNIMES_024_025_026_027_028_Mise en page 1 12/08/15 08:14 Page25 LA VILLE EN PARLE 25 VILLE D’AVIGNON - PALAIS DU ROURE - FONDATION FLANDREYSY-ESPÉRANDIEU La Gazette n°845 - Du 13 au 19 août 2015 Parade des Indiens du Buffalo Bill’s Wild West Show sur le Champs de Mars à Paris en juin 1905. C’est lors d’une représentation parisienne que Folco de Baroncelli-Javon rencontre pour la première fois les Indiens grâce au Français Joe Hamman qui travaillait pour le spectacle. REPÈRES 1889. Buffalo Bill 7 décembre 1905 dans le journal Prou- présente pour la 1re vie. En vous voyant, j’ai eu la sensation courrier des cartes postales et des phovenço, qu’il écrit sous le pseudonyme Pichoti-Braio. Baroncelli décrit : “Ils (les Indiens) sont restés tout d’abord accroupis sur leurs talons, emmitouflés sous leurs couvertures, immobiles et muets dans un coin du pré. Ils suivaient des yeux les petits chevaux camarguais (...). Les Indiens s’animèrent ensuite peu à peu. Ils sortirent de leurs couvertures, se levèrent et applaudirent à chaque tour d’adresse des chevaux et des gardians. Il y avait là Queue-de-fer, un homme magnifique. Malgré ses 75 ans, il saute encore comme un chat sur son cheval, lui qui a fait toutes les guerres indiennes. Il lutta en effet comme un lion pour défendre sa race gagnant ainsi une grande renommée et scalpant plus de Visages-Pâles que de ce qu’il y a de taureaux dans toute la Camargue.” Zintkala-Waste C’est l’Indien Queue-de-fer qui baptise le marquis du nom de Zintkala-Waste, oiseau fidèle en Sioux, cette même année. Un des Indiens, Jacob White Eyes, donne même au gardian un costume traditionnel Sioux qui est encore exposé dans une des maisons familiales du marquis aux Saintes. Une fois le cirque reparti en tournée vers le début d’année 1906, Baroncelli ne cesse d’être en contact avec Jacob White Eyes grâce à des échanges épistolaires. “J’ai été indien dans une autre fois son “Buffalo Bill’s Wild West” en France. Il fait escale à Paris puis à Lyon et Marseille. 1905. Énorme tournée française de Buffalo Bill. Son show passe dans 120 villes françaises dont Paris, Toulouse, Montpellier, Nîmes (27 octobre), Arles (30 octobre), Aix-enProvence (31 octobre). Hiver 1905. Le cirque s’arrête à Marseille. Une partie de l’équipe, dont l’Indien Jacob White Eyes, reste sur place. Baroncelli lui rend visite vers le 3 mars 1906. Septembre 1906 Bruxelles, dernière étape européenne avant son retour aux États-Unis. Baroncelli fait le déplacement pour voir ses amis indiens. de retrouver des frères autrefois perdus”, écrit-il à son ami indien dans une lettre datée de mars 1906. Des lettres qu’il termine souvent avec la note : “Votre ami dont le cœur est Oglala.” Cette relation entre la Camargue et les Indiens d’Amérique continue encore aujourd’hui, comme le raconte Pierre Aubanel. “En 2006, j’ai eu la visite de Ed Young Man Afraid Of his Horses, un descendant de Jacob White Eyes. Avec d’autres Indiens, il voulait rencontrer les enfants de cet homme qu’on appelait le marquis. Je les ai emmenés aux Saintes et ils ont vu le costume que mon grand-père a reçu en cadeau en 1905. Ils ont été émus de voir ce vêtement qui a été porté par leurs anciens. Les Indiens se sont alors recueillis sur la tombe de mon grand-père en invoquant les esprits de la nature.” Pierre Aubanel reçoit lors de cette rencontre, comme son grand-père en 1905, un nom indien : Oiseau qui va de l’avant. L’héritage de Buffalo Bill Retour en 1906, en juin, alors que le cirque de Buffalo Bill s’arrête à Budapest, l’Indien Jacob White Eyes écrit à Baroncelli et fait une demande particulière. “J’aimerais passer un moment avec vous, voir une corrida.” Si l’Indien ne verra jamais de corrida, comme Baroncelli ne verra jamais l’Amérique, tous les deux s’échangent dans leur tos de leur monde respectif dont certaines sont conservées au palais du Roure à Avignon, tout comme leur correspondance. Une légende est née de cette visite des Indiens en Camargue. Une légende qui dit que plusieurs Indiens ne seraient jamais rentrés en Amérique devenue terre des Blancs. Avec l’aide du marquis, certains se seraient installés en Camargue, libres à nouveau. “Bien sûr, ce n’est que pure légende mais on aime y croire. Il faut rappeler que Baroncelli a beaucoup fantasmé sur les Indiens comme sur les minorités qu’il défendait à l’instar des Gitans. Il surinvestissait sa relation avec les Indiens quitte à en exagérer les traits. Et certains ont continué à faire grossir cette légende. Mais ce qui est vrai, c’est que Baroncelli, qui a créé les codes équestres des jeux des gardians, s’est inspiré de ceux présentés par le spectacle de Buffalo Bill”, termine l’historien Rémi Venture. Une autre vérité, c’est l’admiration et l’estime qu’avait Baroncelli pour les Indiens qu’il aimait appeller “ses frères”.R Julien Ségura [email protected] Sauf indication, les photos d’archives proviennent du palais du Roure à Avignon, avec l’aide de la Ville d’Avignon et de la fondation Flandreysy-Espérandieu. À lire... Car mon cœur est rouge. Des Indiens en Camargue, Folco de Baroncelli. Aux éditions Gaussen. Les Indiens de Buffalo Bill et la Camargue, musée du Nouveau monde de la Rochelle avec la participation de Rémi Venture, aux éditions de la Martinière. En Camargue avec Baroncelli, René Baranger. Tristesse de la Terre, une histoire de Buffalo Bill Cody, d’Éric Vuillard aux éditions Actes Sud. Enterre mon cœur à Wounded Knee. Une histoire américaine (1860-1890), Dee Brown aux éditions Albin Michel. 845GNIMES_024_025_026_027_028_Mise en page 1 12/08/15 08:34 Page26 26 LA VILLE EN PARLE VILLE D’AVIGNON - PALAIS DU ROURE - FONDATION FLANDREYSY-ESPÉRANDIEU CAMARGUE IL ÉTAIT UNE FOIS L’AMÉRIQUE WILLIAM NOTMAN STUDIOS 1885 ENQUÊTE La Gazette n°845 - Du 13 au 19 août 2015 Sitting Bull et Buffalo Bill en 1885. Photo prise pour la publicité du Buffalo Bill’s Wild West. Portrait de l’Indien Queue-de-Fer, présent lors de l’abrivado à Gallargues organisée par Baroncelli vers le 28 octobre 1905. LE SHOW DE BUFFALO VENTURE reconstituait la célèbre bataille de Little Big Horn (1876) où le général américain Custer fut tué par les Indiens dirigés par Sitting Bull. Une des plus grandes victoires indiennes pendant la guerre des Black Hills. Mais, petit à petit, Buffalo Bill décida de modifier le dénouement de cette reconstitution pour faire gagner les Américains. Pour la tournée américaine et canadienne de 1885 du Wild West Show, le vieux chef indien Sitting Bull faisait partie du casting. Sorte de Colisée. Selon l’écrivain Éric Vuillard, la troupe de Buffalo Bill comptait huit cents hommes, cinq cents chevaux et des dizaine de bisons. Les bateaux qui ont traversé l’Atlantique contenaient aussi 1 200 pieux, 4 000 mâts, 30 000 mètres de cordages, 23 000 mètres de toile, 8 000 sièges et 10 000 pièces de bois et de fer qui servaient à former une centaine de chapiteaux. L’installation du cirque était tellement imposante que le show n’aurait pas pu s’installer dans le Colisée pour sa tournée italienne en 1906. Le cirque de Buffalo Bill était donc avant tout une énorme entreprise qui amassait énormément d’argent. Une entreprise qui vivait avant tout du destin malheureux des Indiens. Le show s’arrête vers 1913 et Buffalo Bill succombe à une maladie en 1917 à 71 ans. PRIVÉE RÉMY Sitting Bull. Chose marquante, le spectacle grand invité, il était surtout prisonnier même s’il touchait de l’argent pour ses représentations. Il n’est d’ailleurs pas autorisé à faire la tournée européenne. COLLECTION Ci-contre une affiche du show de Buffalo Bill pour son passage à Arles, le lundi 30 octobre 1905. On y lit le programme qui fut le même pour Nîmes quelques jours avant, le 27 octobre. Il y avait deux représentations par jour, une le matin et une le soir. En plus des scènes avec les Indiens et les cowboys, le spectacle montrait aussi d’autres personnages “exotiques”, comme des cavaliers arabes, cosaques ou japonais. 845GNIMES_024_025_026_027_028_Mise en page 1 12/08/15 08:16 Page27 LA VILLE EN PARLE 27 VILLE D’AVIGNON - PALAIS DU ROURE - FONDATION FLANDREYSY-ESPÉRANDIEU VILLE D’AVIGNON - PALAIS DU ROURE - FONDATION FLANDREYSY-ESPÉRANDIEU Folco de BaroncelliJavon (debout) et Joe Hamman (assis) en costume d’Indiens. Le costume de Baroncelli aurait été donné par l’Indien Jacob White Eyes. “Un costume qui date d’avant 1850”, selon Pierre Aubanel, petit-fils du marquis de Baroncelli. Portrait de Jacob White Eyes en 1905, Indien qui fut le plus proche de Baroncelli. Les deux hommes vont s’écrire au moins jusqu’en 1915. VILLE D’AVIGNON - PALAIS DU ROURE - FONDATION FLANDREYSY-ESPÉRANDIEU. PHOTO VANDYCK VILLE D’AVIGNON - PALAIS DU ROURE - FONDATION FLANDREYSY-ESPÉRANDIEU La Gazette n°845 - Du 13 au 19 août 2015 Photo de Joe Hamman, cascadeur, aventurier, acteur et réalisateur français (18831974). En plus d’être celui qui a présenté les Indiens à Baroncelli, il devient un ami proche du marquis. C’est chez Baroncelli, aux Saintes-Marie-dela-mer, que Hamman réalisa de nombreux westerns. 845GNIMES_024_025_026_027_028_Mise en page 1 12/08/15 08:16 Page28 28 LA VILLE EN PARLE CAMARGUE IL ÉTAIT UNE FOIS L’AMÉRIQUE OLIVIER CALLERIZA VILLE D’AVIGNON - PALAIS DU ROURE - FONDATION FLANDREYSY-ESPÉRANDIEU. PHOTO VANDYCK ENQUÊTE La Gazette n°845 - Du 13 au 19 août 2015 Pierre Aubanel et Ed Man Afraid of his Horses se recueillant sur la tombe de Baroncelli en 2006. Pierre Aubanel et Ed Man Afraid of his horses en 2006. OLIVIER CALLERIZA Folco de BaroncelliJavon à cheval en Camargue. Malgré sa passion pour la culture amérindienne, Baroncelli ne verra jamais la réserve américaine de Pine Ridge où vivaient ses amis indiens qu’il rencontra en 1905. Après une vie dédiée à la Camargue, Baroncelli s’éteint en 1943 à 74 ans. VILLE D’AVIGNON - PALAIS DU ROURE - FONDATION FLANDREYSY-ESPÉRANDIEU Portrait de Buffalo Bill.
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