Le Monde - Voitures Noires
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Le Monde - Voitures Noires
Date : 10/10/2016 Heure : 09:52:01 Journaliste : Éric Béziat www.lemonde.fr Pays : France Dynamisme : 0 Page 1/3 Visualiser l'article Karim Ferchiou, le trublion de Voitures Noires C’est un stand de belle taille au fond du pavillon 4, le même que celui des Porsche et des Audi. Le visiteur est accueilli par une Rolls-Royce noire et deux jeunes femmes en minirobe sombre et escarpins Louboutin vernis. Au-dessus, un logo très fashion laisse deviner deux lettres : VN. Voici la dernière folie de Karim Ferchiou, président de Voitures Noires, le premier loueur français de grosses berlines pour chauffeurs de VTC, les Uber, Chauffeur privé, SnapCar et autres Marcel. Le patron, 40 ans en décembre, s’est offert un grand emplacement – 1 million d’euros au bas mot – au Mondial de l’automobile de Paris, le plus important salon du secteur, qui fermera ses portes dimanche 16 octobre. Créée en 2013 avec 15 000 euros, la société Voitures Noires loue aujourd’hui 3 500 voitures en France, et réalise un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros. Karim Ferchiou – grande carcasse, sourire enjôleur, tchatcheur impénitent – rentre par la fenêtre quand la porte se ferme. La preuve avec ce stand installé dans l’un des pavillons phares du salon alors qu’il n’est ni un constructeur ni un équipementier de premier rang. Tous les non-industriels sont rassemblés dans les pavillons 2 ou 3, la plupart sur des petites surfaces. Tous sauf Voitures Noires. Tous droits réservés à l'éditeur VOITURES2 282557148 lemonde.fr // 10.10.2016 Date : 10/10/2016 Heure : 09:52:01 Journaliste : Éric Béziat www.lemonde.fr Pays : France Dynamisme : 0 Page 2/3 Visualiser l'article « Nous ne voulions pas de ce type d’emplacements », affirme Marine Levy, directrice du marketing et de la communication. Hors de question pour M. Ferchiou de rester cantonné dans un secteur de seconde zone. Du côté des organisateurs, on assure n’avoir en aucune manière avantagé le loueur de berlines. « Le Mondial évolue, c’est désormais aussi le salon de la mobilité, explique Emmanuelle Casola, attachée de communication. Voitures Noires représente cette nouvelle économie. » La découverte d’une niche prometteuse L’épisode est révélateur de la personnalité de ce trublion des transports, et il faut aller aux racines pour mieux la comprendre. L’entrepreneur est né en décembre 1976 à Paris. Sa mère, Sylvie, et son père, Lamine, se sont rencontrés pendant leurs études d’économie à l’université d’Assas. La jeune Parisienne et le fils de notable tunisien, imam du quartier, ont dû batailler pour convaincre leur famille respective d’accepter leur union. « Nous avons éduqué Karim dans l’idée qu’il n’y a pas une seule norme, qu’il n’y a pas un seul dogme », explique Sylvie. « Nous sommes très fiers de lui avoir transmis ces valeurs », confirme Lamine. La famille est ni riche ni pauvre : le père travaille au ministère de la culture, la mère dans les ressources humaines pour des sociétés privées. Karim grandit heureux, traversant sans éclats sa scolarité. « J’étais un grand spécialiste du “ potentiel, peut mieux faire ” », sourit-il. Après des études dans une école de commerce parisienne, l’IPAG, il devient courtier en assurances. En 2008, il lance une affaire de logiciels de comptabilité publique et c’est quatre ans plus tard qu’il a la révélation. « Je suis un grand fan de voitures et j’avais perdu tous les points de mon permis, raconte-t-il. J’ai alors pris pour la première fois un Uber et j’ai trouvé ça génial. Je me suis même dit : quel crétin, pourquoi je n’ai pas eu cette idée ! » La niche prometteuse du VTC En discutant avec les chauffeurs, Karim Ferchiou se rend compte que ces derniers louent leurs véhicules aux boutiques classiques de location de courte durée. Un non-sens économique. Il saute alors sur l’occasion d’occuper une niche prometteuse du VTC, loueur de berlines pour chauffeurs. Il lance son activité à Bordeaux en 2013 avec trois voitures d’occasion. « Nous avons gagné de l’argent dès le départ », assure-t-il fièrement. La croissance est au rendez-vous : en 2015, l’entreprise louait 1 500 voitures et employait 35 personnes ; aujourd’hui, elle fait tourner 3 500 véhicules et affiche 100 salariés. Elle propose un écosystème complet à ses clients, avec un centre de formation permettant de préparer l’examen de chauffeur VTC. Voitures Noires a des agences à Paris, Lyon, Nice, Toulouse et Bordeaux. Karim Ferchiou ouvrira une succursale à Lille au premier semestre 2017 et a Londres et New York en ligne de mire. Trois fonds de capital-investissement accompagnent le développement de la société, dont Ciclad, spécialisée dans le soutien financier aux PME. Voitures Noires semble être une affaire florissante. Mais quand il évoque sa société, le patron ne parle pas d’argent. Il raconte une histoire de partage, de passion et d’hommes. Autoproclamé « premier acteur français du secteur », M. Ferchiou revendique avec une apparente sincérité une fonction sociale autant qu’économique. « Le VTC, c’est une politique des banlieues qui fonctionne, affirme-t-il. Ici au Mondial, on va créer 1 000 emplois, on va ouvrir la porte à ceux à qui on la ferme habituellement, amener du travail dans des territoires oubliés. » Avec sa double culture, l’entrepreneur affirme « bien connaître cette cible-là » . De fait, il incarne une élite nouvelle, lui qui se prénomme Karim et qui a réussi. Un succès qu’il tient à faire partager. Tous droits réservés à l'éditeur VOITURES2 282557148 lemonde.fr // 10.10.2016 Date : 10/10/2016 Heure : 09:52:01 Journaliste : Éric Béziat www.lemonde.fr Pays : France Dynamisme : 0 Page 3/3 Visualiser l'article « En devenant chauffeurs de VTC, ces jeunes des quartiers entrent dans une spirale positive, ils sont soudain respectés, impeccablement habillés, explique-il. Je veux les faire aller encore plus loin. » Lire aussi : En banlieue, « l’ubérisation » au secours de l’intégration Le chef d’entreprise multiplie les initiatives afin de faire accéder ses clients à un univers qui les fait rêver. Pour s’en rendre compte, direction La Maison Noire, le showroom qu’il a ouvert dans le 17 e arrondissement. De cette ancienne concession automobile il a fait une boutique haute couture : voiturier, hôtesses, beaux planchers, ambiance parfumée. Bling-bling et codes virils assumés Les clients sont reçus en VIP dans un « lounge » confortable avec un coiffeur barbier à leur service. Aux quatre étages, des Ferrari, Rolls, Jaguar, Mercedes de collection – certaines appartenant à l’entrepreneur – côtoient l’offre de voitures moins exceptionnelles destinées aux clients – des berlines haut de gamme tout de même. Cette envie de partage profite aussi à ses salariés. Un chef cuisinier fait tourner la cantine avec des produits frais et une dégustation gastronomique est proposée une fois par semaine. Chez M. Ferchiou, le rêve est plutôt à ranger dans la catégorie vroum-vroum, bling-bling et codes virils assumés. Les chauffeurs les mieux notés sont récompensés par des invitations à assister à des courses automobiles ou à participer au Team Boloss, une sorte de club de fans de vitesse qui jouent à Fast and Furious sur circuit. Une Rolls est prêtée pour les mariages ou pour une semaine sur la Côte d’Azur. Les meilleurs clients peuvent aussi assister aux matchs du PSG, dont Voitures Noires est un sponsor, visiter les vestiaires, rencontrer les joueurs. « Karim allie business et générosité », résume Julia, son épouse, et la mère de leur fille de 5 ans. « M. Une idée par jour » a lancé des programmes de soutien scolaire dans les banlieues en association avec des clubs de football. En partenariat avec la famille Debbouze, il sponsorise un match de charité au Maroc dans le cadre du Festival du Marrakech du rire. Le frère de Jamel, Mohamed Debbouze, présent à l’inauguration du stand au Mondial le 29 septembre, ne tarit pas d’éloges : « Karim a non seulement des principes, des valeurs humanistes mais c’est aussi un visionnaire. » Alors, un monde idéal, celui de Voitures Noires ? Sur les forums de discussions entre chauffeurs VTC, comme Uberzone, les avis sont loin d’être unanimes. Si nombre de commentaires laissent entrevoir des clients satisfaits, beaucoup évoquent aussi une jolie façade avec rien derrière et un manque de professionnalisme dès que les difficultés (accidents, litiges) surgissent. Le niveau des tarifs et les conditions de location mettent de nombreux chauffeurs en difficulté, témoignent-ils. Karim Ferchiou serait-il le Bernard Tapie du VTC ? L’homme aime aller vite, sait séduire, fourmille de projets. Sa société connaît probablement les difficultés de toutes les entreprises en croissance. « Karim est un gars sérieux, témoigne Hervé Trosset, l’homme qui lui a loué ses premières voitures et reste l’un de ses fournisseurs. Même en cas de problème, il ne se dérobe pas. Il est solide. » De la solidité, il lui en faudra pour faire face au succès. Tous droits réservés à l'éditeur VOITURES2 282557148 lemonde.fr // 10.10.2016