introduction - Larcier Business
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INTRODUCTION Se réjouir d’une noce est plus aisé qu’organiser un divorce, et négocier la fin anticipée d’une joint venture (« JV ») est moins réjouissant que d’en poser les fondations. On peut le comprendre, les futurs partenaires d’une JV, lors des pourparlers de constitution, traitent généralement les modalités d’une coopération prochaine avec plus d’enthousiasme que les conséquences d’une séparation hypothétique. Pourtant, une JV, comme un mariage, peut se briser plus vite que son terme normal, et ne pas utilement prévoir cette éventualité au moment de la constitution revient à se précipiter à la maison communale sans avoir préalablement rendu visite au notaire (1). Prévoir la fin anticipée d’une JV est une précaution indispensable. Car les chiffres sont aussi éloquents que pessimistes : une JV sur deux est un échec ; une JV sur trois seulement dépasse les dix ans de mariage ; plus de sept JV sur dix se rompent par le rachat des parts de l’un des partenaires par l’autre partenaire (2). (1) La métaphore commode du mariage est couramment utilisée pour exprimer les ressorts spécifiques de la JV : « A joint venture is like a marriage. If both partners don’t want to make it work, it won’t ». M. J. G. C. RAAIJMAKERS, Joint Ventures, Deventer, Kluwer, (Vennootschaps- en rechtspersonenrecht, 14), 1976, 328 p., p. 5. Ainsi, lorsque la fin de la JV s’envisage, on explique, en comparant à un divorce : « The termination of a joint venture is very much like a divorce. There, too, it is a matter of undoing what has been built up over a long period. In both cases, the best results are obtained if the partners can come to an agreement ». G. LORCHER, « Negotiating the termination of joint ventures », Newsletter no. 10 — Institute of International Business Law and Practice (ICC), 1993, pp. 78 et s., p. 79. Ensuite, on distingue le divorce amiable du divorce conflictuel : « Reste aussi une situation […] qui justifie un sort particulier : c’est celle du divorce, amiable ou conflictuel, des associés dans une « joint venture » : il est fréquent, en pareil cas, de pouvoir recourir à une clause « ad hoc » souvent convenue lors même de la constitution de la société conjointe, pour éviter d’avoir à en débattre ultérieurement ». H.-P. LEMAÎTRE, « Les clauses visant à la prévention des situations de blocage et au règlement de conflits entre actionnaires », in Les conventions d’actionnaires — Quelles clauses privilégier ?, Séminaire Vanham & Vanham du 10 avril 2003, p. 9. Et puis, en cas de divorce, il faut organiser le sort des enfants : « Après les épousailles, conclues au moyen d’un contrat de mariage, et la vie commune, arrive parfois l’instance de divorce avec au cœur du débat, le sort des enfants communs nés de l’union ». D. LAMETHE, « La procédure de séparation des partenaires d’une filiale commune », Gaz. Pal., 1978, pp. 549 et s., p. 549. Joint Ventures : des noces au divorce On avance parfois un taux de divorce de 70 % (3). La JV est une formule qui ne fonctionne pas, dit-on souvent (4). Autant y penser au moment de signer. Les termes « fin anticipée de la JV » utilisés en titres de section doivent donc se comprendre comme étant la fin de la relation de collaboration au sein de la JV entre les deux partenaires. Soit l’un des partenaires s’en va (de façon volontaire ou non), soit la JV est dissoute. Mais, on l’aura compris, le participe « anticipé » recouvre, à dessein, ces deux significations complémentaires : il s’agit d’abord d’une fin « avant l’heure » (avant un terme normal) ; il s’agit ensuite d’une fin qui, sans être souhaitable, a été « prévue » par les négociateurs (5). C’est donc autour de la problématique de la fin anticipée — centrale en matière de JV — que le présent ouvrage est construit, en tentant d’apporter quelques réponses pratiques. En fait, sous couvert de traiter du divorce avant tout, ce texte tend à aborder quelques-uns des principaux aspects du droit des JV. C’est qu’aborder les JV par le biais de leur fin anticipée est probablement l’une des façons utiles d’approcher cette matière complexe et multidisciplinaire. Comme les titres de section choisis tentent de le suggérer, l’ouvrage est construit en suivant, autant que possible, une perspective chronologique. Il commence par la « visite chez le notaire » (Section I), une section introductive qui tente d’exposer (2) Selon un article envisageant — ensemble — les JV européennes, américaines et japonaises (R. P RICE et C. MILLERCHIP, « International joint ventures : deadlock and termination », Global Counsel, 2002 (September), pp. 20 et s., p. 20) : « Various surveys of joint ventures in Europe, America and Japan show that : — Only 50 % of joint ventures succeed. — The average life of joint ventures is seven years ; most survive for between three and seven years with less than one third continuing for more than ten years. — Most joint ventures face serious management or financial difficulties within the first two years. — Three-quarters of joint ventures end with one party buying out the other(s). It is important therefore that the joint venture parties address the questions of how to deal with the inevitable disputes that will arise between the parties and how to deal with the termination of the venture early on in the negotiations ». La méthode utilisée pour aboutir à ces conclusions chiffrées n’est malheureusement pas explicitée dans cet article. Même si une réserve de principe s’impose quant à la méthodologie, les chiffres avancés donnent une indication raisonnable d’une réalité économique indiscutable. (3) Nous sommes incapables d’avancer le « taux de divorce » des JV en Belgique. À notre connaissance, personne n’a tenté le calcul. Aux États-Unis, on avance un « taux de divorce » (divorce rate) de 70 %. Le chiffre est avancé par E. KLOPFER, « The validity of « divorce clauses » under American law », R.D.A.I./I.B.L.J., 1995 (3), pp. 341 et s., p. 343. (4) « [I]t is a popular business axiom that joint ventures don’t work », B. J. REITER, M. A. SHISHLER, Joint Ventures — Legal and Business Perspectives, Toronto, Irwin Law, 1999, 403 p., p. 25. Les auteurs citent une étude plus ancienne. (5) Selon ces auteurs, par exemple, (J.-M. LONCLE et J.-Y. TRONCHON, Pratique des négociations dans les rapprochements d’entreprises — Fusions, acquisitions, joint-ventures, Paris, éd. EFE, coll. Référence Première, (préf. E. LOQUIN), 1997, p. 230), les deux grands volets des pourparlers relatifs à la constitution de la JV sont : (i) « les considérations relevant de l’organisation et du fonctionnement de la filiale commune » et (ii) « celles concernant la prévention et la gestion des conflits entre les partenaires », avec la précision que toute société commune « doit nécessairement être conçue dans une perspective dynamique rendant éphémère la configuration initiale de l’actionnariat ». Les deux mêmes auteurs ont consacré cette étude aux pourparlers : « La phase de pourparlers dans les contrats internationaux », R.D.A.I./I.B.L.J., 1997 (1), pp. 3 et s. 6 LARCIER Introduction les principales causes de la précarité structurelle des JV. Il continue avec le « voyage de noce » des partenaires de la JV (Section II), une section consacrée à l’examen des clauses visant à fortifier la relation de collaboration au sein du véhicule commun et à bloquer contractuellement, autant que faire se peut, la fin anticipée de la JV. L’ouvrage se poursuit avec la « résolution des premières mésententes » des partenaires de la JV (Section III), une section qui aborde certaines techniques permettant d’éviter l’issue de la rupture à un moment de crise. Il termine avec le « divorce » proprement dit, lequel peut être réglé par accord entre les partenaires (« par consentement mutuel ») (Section IV), ou prononcé en justice (« au prétoire ») (Section V). Vu leur évidente pertinence dans ce cadre (6), certaines questions importantes relatives à l’arbitrage seront soulevées dans les sections III et V. Les questions fiscales ne seront, par contre, pas analysées (7). Dans un cadre international, lorsque la fin anticipée d’une JV est due au fait des autorités, des questions juridiques importantes liées à la protection des investissements dits étrangers peuvent entrer en ligne de compte ; cet aspect ne sera pas non plus abordé (8). Dans une perspective pratique, une trentaine d’exemples de clauses contractuelles sont proposés tout au long du texte. Ces exemples de clauses figurent pour la plupart en notes de bas de page. Notre but est d’attirer l’attention du lecteur, à l’aide de ces clauses, sur certains aspects choisis, typiques des JV (9). Même lorsqu’ils sont soumis au droit belge, les accords de JV sont souvent rédigés en langue anglaise, ce qui nous amène à indiquer des exemples de clauses dans cette langue (10). Eu égard (6) A. HIRSCH, « La rupture d’un contrat de « Joint Venture ». Extrait de quelques sentences arbitrales inédites », Mélanges offerts à Pierre Van Ommeslaghe, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 511 et s. ; K. GEENS, « De arbitrage over vennootschapsinterne conflicten », in Coll., L’arbitrage dans la vie des sociétés — Arbitrage en vennootschap, Bruxelles, Bruylant, 1999, 372 p., pp. 139 et s. ; O. CAPRASSE, Les sociétés et l’arbitrage, Bruxelles et Paris, Bruylant et L.G.D.J., 2002, 552 p. (7) Pour quelques traits : B. COLEMAN et C. MILLERCHIP, « International Joint Ventures : Tax », Global Counsel, 2002 (March), pp. 55 et s. ; D. MULLARKEY et N. TODD, « Structuring Cross Border JVs », European Counsel, 1998 (September), pp. 19 et s. Pour une étude de droit belge : R. TIEBOUT (PriceWaterhouse Brussels), « Strategic Alliances and Government Fiscal Policy », in D. CAMPBELL and S. COTTER (sous la dir. de), Commercial Alliances in the Information Age, Chichester, John Wiley & Sons, 1996, 408 p., pp. 251 et s. (8) Pour un ouvrage récent sur les litiges relatifs aux investissements internationaux : M. SORNARAJAH, The Settlement of Foreign Investment Disputes, The Hague, Kluwer Law International, 2000, 390 p., spéc. (sur les JV) pp. 32 et s. Du même auteur : Law of International Joint Ventures, Singapour, Longman, 1992, 358 p. (9) Les clauses citées à l’appui des commentaires sont indiquées à titre purement exemplatif et ne peuvent engager la responsabilité des auteurs. Toute clause doit être située dans un ensemble contractuel dont elle ne forme qu’une partie. Aucune clause ne peut être concrètement envisagée en dehors d’un contexte économique, factuel et normatif déterminé. (10) D’autres font de même : voy. p. ex. : M. FONTAINE, Droit des contrats internationaux. Analyse et rédaction de clauses, Paris, FEC, 1989, 365 p. ; M. FONTAINE et F. DE LY, Droit des contrats internationaux. Analyse et rédaction de clauses, Bruxelles, Bruylant, 2003, 2e éd., 716 p. Sauf pour les exemples de clauses, le corps du texte est rédigé en français uniquement. LARCIER 7 Joint Ventures : des noces au divorce à l’environnement transnational dans lequel s’inscrivent généralement les accords de JV, certaines références doctrinales sont également en langue anglaise. L’analyse est opérée au départ du droit belge. Des études de droit belge consacrées spécifiquement aux JV ont déjà été menées. Elles sont de qualité et relativement peu nombreuses (11). (11) D. VAN GERVEN, « Gezamenlijke vennootschappen : vennootschapsrechtelijke aspecten van de joint venture », R.D.C., 1995, pp. 96 et s. ; P. HUBERT, « Validité des clauses de sortie dans le cadre des contrats de joint ventures au regard du droit belge », R.D.A.I./I.B.L.J., 1995 (3), pp. 316 et s. ; A. HENRY DE FRAHAN, « La prévention et la résolution des impasses décisionnelles dans les sociétés conjointes — considérations pratiques », R.D.C., 2000, pp. 600 et s. ; D. PHILIPPE, « La rédaction du contrat de Joint Venture », D.A.O.R., 1994, pp. 9 et s. D’autres études seront citées. 8 LARCIER